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Stella est amoureuse : le teen-movie revisité

La caméra de Sylvie Verheyde est à la fois pudique et rentre dedans.


Stella est amoureuse : le teen-movie revisité
Flavie Delangle, Benjamin Biolay et Marina Fois - Avant premiere du film Stella est amoureuse de Sylvie Verheyde, le 08/12/22 / ©SEBA/SIPA / 01096612_000022

La caméra tendre et pudique de Sylvie Verheyde ressuscite le Paris des années 80 et renouvelle la vision de l’adolescence.


Stella est amoureuse de Sylvie Verheyde est en salle depuis le 14 décembre. Ce teen movie qui est à la lisière du genre, est la suite de Stella, sorti en 2008. J’avais beaucoup aimé, à l’époque, ce film attachant et singulier. Je suis donc allée voir la suite, déjà conquise, et je ne fus pas déçue par le deuxième volet des aventures la petite Stella. Issue d’un milieu très populaire – ses parents tiennent un café au fin fond du XVIIème arrondissement – ce sont des gens du Nord, presque incultes mais diablement vivants. Stella, leur fille, qui évolue au milieu des alcooliques et de quelques paumés attachants (dont Guillaume Depardieu, dont ce fut un des derniers rôles, et il y est excellent), est sauvée par la carte scolaire. Elle entre en 6ème dans un bon lycée, elle fait tache, mais rencontre Gladys, fille de psychanalyste qui lui fait découvrir Lavilliers et Balzac, et lui permet de continuer sa scolarité dans ce lycée avec cette population dont elle ignore tout des codes, cette gamine qui assiste à des bagarres dans le café de ses parents et danse sur Sheila devant la télé.

Quand le teen-movie rencontre Pialat et Diane Kurys

Nous la retrouvons en terminale. La réalisatrice met en place le même dispositif que dans la cultissime Boum : une suite avec les mêmes protagonistes. Cependant Stella est amoureuse, s’il obéit à quelques règles du teen movie : les scènes de lycée, les histoires de coeur, les rapports avec les parents, trempe dans un réel parfois acide, quelquefois drôle, mais également oppressant. C’est La Boum qui rencontre Pialat qui rencontre Diabolo Menthe.

Tout le long du film, j’ai pensé à Passe ton bac d’abord, de Pialat. Les mêmes scènes de café, autour du flipper, caméra au poing, image un peu sale, les mêmes ados traînant leur désenchantement. Du film culte de Diane Kurys, nous retrouvons la bande de copines, les histoires de familles compliquées et l’ancrage dans une époque. Pour Stella est amoureuse, il s’agit des années 80, mais pas comme elles sont représentées dans La Boum, édulcorées et sages. Là nous sommes dans le réel. Ceux de ma génération, dont, comme moi, la principale préoccupation était la sortie en boîte du samedi soir, s’y retrouveront. Rien que de très classique, me direz vous, pour un teen movie.

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Paris, années 80

Cependant, dans Stella est amoureuse, la boite de nuit, ce sont les fameux Bains Douches, pour y entrer, il faut plaire à Farida, qui sélectionne les heureux élus. Nous sommes en plein dans le Paris branché des swinging 80’s. Stella et ses copines y participent de loin en décrochant le sésame. Stella y élut vite domicile. Mais point de gamines hystériques et de slows baveux. La jeune fille est toujours un peu ailleurs, elle observe, hiératique dans son mini short. Elle y est un peu comme à l’église, c’est un lieu saint, dans lequel elle observe un beau noir danseur de hip hop, à la fois avec admiration et suspicion.

On sent bien que les garçons, c’est compliqué pour elle. Elle connaît leurs injustices, leur violence parfois, elle les a observés dans le café. Les amants de sa mère, l’alcoolisme fatigué de son père, les attouchements qu’elle a certainement subis, suggérés, dans le premier volet, avec beaucoup de pudeur et de délicatesse.

Car la caméra de Sylvie Verheyde est à la fois pudique et rentre dedans, au plus près des corps, des visages, elle affectionne les gros plans. Les arrière-plans sont souvent flous, et il fait toujours gris dans ce Paris des années 80, filmé comme presque une ville de province dans laquelle on s’ennuie. Elle montre cependant, comme un kaléidoscope, des morceaux de ces années-là. Les jambes des filles, collants opaques et ballerines flashy, les visages aux lèvres rouges et aux yeux cernés d’eye liner, les coiffures soigneusement crêpées. Nous sommes bien à Paris, les looks sont sophistiqués. Mais la réalisatrice nous montre également cette scène, filmée comme un coup de poing (c’est le cas de le dire) : la violence des skinheads de l’époque, qui cherchaient à casser du noir et de l’arabe au coeur du quartier des Halles. Seul les plans qui ouvrent et ferment le film sont larges : les vacances en Italie, lumière aveuglante et garçons en Vespa, les filles accrochées derrière. La première fois. Sauf pour Stella qui n’a pas pu. Très habilement, Sylvie Verheyde fait des clins d’oeil à deux films cultes. On voit Sophie Marceau à la télévision, et, comme Charlotte Gainsbourg dans L’Effrontée, Stella veut jouer du piano. C’est bien le piano, elle sortirait de son milieu social.

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Elle a finalement une aventure et une première fois avec le danseur de hip hop. Le garçon est tendre et attentionné mais elle est toujours un peu ailleurs et méfiante.

Comme au théâtre, le film obéit à la règle de l’unité de lieu, d’action et de temps : le lycée et la boîte, l’année scolaire, les péripéties amoureuses et familiales, la complexité de l’adolescence, montrée dans le film avec beaucoup de justesse et de profondeur.

Cinéma français pas mort !

Un mot sur les acteurs qui sont tous parfaits : Marina Fois et Benjamin Biolay (très bon acteur), en les parents qui ont vieilli prématurément, quant à Stella, elle est interprétée par Flavie Délangie, impressionnante de violence contenue.

Ce film nous prouve que non, le cinéma français n’est pas mort, comme on le lit trop souvent dans ces colonnes. Il suffit d’être curieux, attentif, on y déniche de sacrées pépites. Mais certains n’y trouvent que ce qu’ils veulent bien y trouver, pour rester campés dans leurs certitudes déclinistes.

Le titre est cependant trompeur. Stella est-elle vraiment amoureuse ? Non, pour l’instant elle tâtonne, l’amour elle y « pensera demain ».

Stella est amoureuse de Sylvie Verheyde, en salle depuis le 14 décembre.



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est enseignante.

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