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Comment le «progressisme» peut désinformer et attiser les haines

Guerre culturelle: et si le vent était en train de tourner? Dans la bataille, notre chroniqueur n’a aucun problème à mettre mélenchonistes et macronistes dans le même panier…


La gauche robespierriste a ressorti la guillotine. Elle a été installée place de la République, le 18 septembre, par des nostalgiques de la Terreur. Sur la maquette de trois mètres de haut, il était écrit : « Bolloré, Arnault, Stérin : couic ! » ; ou encore : « Si t’es écolo, plante un facho ! ». De l’humour, ont relativisé les médias complaisants.

Hystérie progressiste

Sans doute. Il n’empêche que le goût du sang imprègne de plus en plus le « progressisme », à mesure qu’il enrage face au réveil national de la France naguère silencieuse. Cette intolérance des vendeurs de vertu fait craindre de leur part un retour à la violence physique. L’assassinat de l’influenceur Charlie Kirk, à qui un hommage national a été rendu hier en Arizona en présence de Donald Trump, a été mis sur le compte de son conservatisme, y compris par des figures du macronisme. La pensée mondaine ne supporte pas non plus les succès de CNews. En l’accusant d’être « une chaîne d’extrême droite » (Le Monde, 18 septembre), Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, a placé les journalistes de CNews en situation d’insécurité. L’hystérie gagne les mélenchonistes et les macronistes. Ils sont unis dans la même détestation de ceux qui n’entendent plus se soumettre à la tyrannie des universalistes anti-français d’extrême gauche et des mondialistes post-nationaux du bloc central. Une même dérive totalitaire unit ces deux courants politiques. Ils hurlent à l’unisson contre l’extrême droite et le fascisme, comme aux belles heures du stalinisme et de ses incapacités à admettre la contradiction.

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Tous les mécanismes de la désinformation et de l’inversion accusatoire ont été réactivés par la gauche. Des journalistes militants, notamment au Monde, ont cherché à falsifier le profil du tueur de Kirk afin de gommer son fascisme « antifasciste ». D’autres dénonciateurs de « fake-news » se sont employés à tordre des propos de la victime pour la faire passer pour un danger nazi ; hier soir, son épouse a « pardonné » au meurtrier au nom du Christ. Le succès de la pétition de Philippe de Villiers contre l’immigration est laborieusement mis en doute. Le service public de l’audiovisuel, ébranlé par les révélations de L’Incorrect sur les compromissions politiques de deux de ses éditorialistes, est venu en renfort avec sa force propagandiste.

Indésirables

Ernotte a aussi déclaré l’autre jour, parlant de France TV : « Nous n’avons pas de problème de pluralisme ». Le comité de la Pravda (« La Vérité », en russe) devait asséner de semblables énormités ! Déjà, en novembre 2022, une campagne de promotion de 14 chevaliers blancs de l’audiovisuel public assurait sans rire : « Info ou intox : on vous aide à faire le tri ».

En 50 ans de journalisme, je n’ai jamais été convié à France Inter. Je ne suis pas le seul indésirable sur ce « service public » qui viole son devoir de neutralité.

Ce lundi, mélenchonistes et macronistes se féliciteront de la décision du chef de l’État de reconnaître, à l’ONU, un État palestinien, alors que le Hamas est toujours en place avec 48 otages. Cette victoire islamiste, parrainée par la gauche perdue, annonce d’autres terreurs.

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Incompréhension radicale

Drôle de timing. Le président Macron s’apprête à reconnaitre un État palestinien à l’ONU, à un moment des plus controversés (le Hamas n’est pas démantelé, détient toujours 48 otages à Gaza, et 47% des citoyens français désapprouvent cette décision, selon un sondage Elabe). Un « pari risqué » pour parvenir à la paix, selon la plupart des journaux imprimés ce matin. Dans une sorte de fuite en avant, M. Netanyahou envisagerait de fermer le consulat français de Jérusalem, voire d’annexer une partie de la Cisjordanie… Dans son texte, notre contributeur rappelle que le Hamas incarne un islamisme totalitaire similaire aux autres mouvements djihadistes, mais que l’Occident peut parfois le relativiser voire le valoriser (notamment à l’extrême gauche) au nom de l’antisionisme, révélant une incohérence morale et une mémoire historique biaisée.


Il est des situations où le bon sens devrait s’imposer sans difficulté, tant les faits semblent clairs, tant l’expérience accumulée nous fournit de précédents. Pourtant, dans le cas du Hamas, nous observons une étrange suspension du jugement. Tout le monde sait qu’il s’agit d’un mouvement islamiste, comparable dans ses fondements idéologiques et ses méthodes aux organisations les plus sinistres de notre temps : Al-Qaïda, Daesh, Boko Haram. Tout le monde sait qu’il recourt à la terreur et à la cruauté comme stratégie politique. Et tout le monde a pu constater, le 7 octobre 2023, l’ampleur de la barbarie dont il est capable.

Mais au lieu d’une condamnation univoque, comme ce fut le cas pour Daesh en Syrie ou en Irak, un discours parallèle s’installe : celui qui présente le Hamas comme un mouvement de résistance légitime, au motif qu’il s’oppose à Israël. Voilà le paradoxe : ce que nous combattons avec acharnement en d’autres lieux se voit excusé, relativisé, voire valorisé, dès lors que l’État juif est en jeu.

Il faut interroger cette exception. Elle n’est pas un accident de perception, mais le symptôme d’une logique profonde : celle d’une incompréhension radicale, révélatrice de notre rapport troublé à l’histoire, à la mémoire et au politique.

Le Hamas : un islamisme parmi d’autres

Le Hamas n’est pas un phénomène singulier dans le monde musulman contemporain. Il appartient à la vaste famille de l’islamisme radical née au XXᵉ siècle, de la matrice des Frères musulmans égyptiens jusqu’aux organisations terroristes transnationales. On y retrouve la même vision : l’instauration d’un ordre religieux total, la négation des libertés individuelles, l’usage de la violence comme instrument légitime.

De ce point de vue, le Hamas se situe dans la continuité directe d’Al-Qaïda ou de Daesh. Les moyens changent, les terrains diffèrent, mais le projet reste identique : gouverner par la terreur et par l’embrigadement idéologique.

Lorsque ces mouvements frappent en Occident, personne ne se méprend. Après les attentats du 11 septembre, après le Bataclan, après Nice, les condamnations furent unanimes. Mais lorsque le Hamas massacre, torture, enlève, les mêmes actes sont réinterprétés sous l’angle de la « résistance ». Comme si l’hostilité à Israël suffisait à effacer la parenté idéologique avec les autres branches de l’islamisme global.

L’exception palestinienne : un révélateur

C’est cette exception qui mérite examen. Pourquoi ce que nous appelons terrorisme à Paris ou à New York devient-il résistance à Gaza ? Pourquoi l’acte le plus barbare peut-il changer de nature en fonction de sa cible ?

La réponse tient à une donnée plus large : la persistance d’une singularité juive dans l’imaginaire occidental. L’État d’Israël n’est pas un État comme un autre dans les consciences. Il concentre, de manière souvent inconsciente, des siècles de représentations liées au destin juif. Le Palestinien devient le « bon opprimé » parce qu’il s’oppose au « mauvais survivant », accusé de trahir son propre passé en exerçant la force.

L’antisionisme radical fonctionne ici comme le relais d’un antisémitisme qui ne peut plus dire son nom, mais qui trouve dans l’exception faite au Hamas une expression indirecte. Ce n’est pas par ignorance que l’on absout un mouvement islamiste : c’est par une logique profonde d’exclusion symbolique.

Les ruines de Gaza et la mémoire sélective

Les images de Gaza détruite suscitent une émotion légitime. Mais leur traitement médiatique révèle une mémoire sélective. Qui se souvient des ruines de Mossoul et de Raqqa, où les armées de la coalition ont éradiqué Daesh ? Qui rappelle les villes allemandes rasées durant la Seconde Guerre mondiale – Dresde, Hambourg, Berlin – ou les cités japonaises détruites avant même Hiroshima et Nagasaki ?

Dans tous ces cas, la logique militaire a conduit à la destruction massive de zones urbaines. Mais seul Gaza est présenté comme la scène d’un crime inédit, comme l’illustration d’un génocide en cours.

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Or les faits contredisent cette accusation. Si Israël avait voulu anéantir Gaza, il en avait les moyens en quarante-huit heures. Les deux millions d’habitants de l’enclave seraient morts. Le simple constat de leur survie invalide la thèse génocidaire. Pourtant, ce mot s’impose, précisément parce qu’il inverse les rôles : il permet d’accuser Israël avec les termes mêmes qui ont servi à désigner l’extermination des Juifs. C’est une revanche symbolique, une manipulation de la mémoire.

La stratégie de la victimisation

Le Hamas, lui, a parfaitement compris la logique médiatique de notre temps. Son objectif n’est pas de protéger sa population, mais de la sacrifier. En se dissimulant parmi les civils, en installant ses infrastructures militaires sous les écoles et les hôpitaux, il fabrique délibérément les conditions de la tragédie. Chaque enfant tué devient une arme de propagande. Chaque image de ruine est une victoire politique.

L’opinion publique occidentale, saturée d’images, se laisse prendre à ce piège. Elle inverse la causalité : ce ne sont plus les islamistes qui causent la mort de leurs propres enfants, mais l’armée israélienne qui les ciblerait volontairement. On entre alors dans un univers de mythes, où la compassion pour la victime l’emporte sur toute analyse des responsabilités.

L’ONU et la légitimité ambiguë

C’est dans ce contexte qu’intervient la reconnaissance de l’État palestinien à l’ONU par certains pays européens, suivis par la France. En soi, l’idée d’un État palestinien n’a rien d’illégitime : elle correspond à la solution des deux États envisagée depuis des décennies.

Mais la situation concrète est tout autre. Le Hamas domine Gaza, il influence profondément l’opinion palestinienne, et il pourrait à nouveau remporter des élections libres. Reconnaître l’État palestinien aujourd’hui, c’est donc conférer indirectement une légitimité à un mouvement que nous qualifions ailleurs de terroriste. C’est vouloir la paix tout en consacrant comme interlocuteur un acteur qui nie jusqu’au droit d’exister de l’État voisin.

Le symptôme d’une crise occidentale

L’« incompréhension radicale » n’est pas un simple aveuglement. Elle révèle une crise plus profonde de nos sociétés. Nous avons perdu la capacité d’appliquer des principes universels sans exception. Nous nous laissons guider par l’image immédiate, par la compassion sélective, par la mauvaise conscience historique.

En refusant de voir dans le Hamas ce qu’il est – un islamisme parmi d’autres – nous trahissons nos propres critères. Nous croyons défendre une cause humanitaire, mais nous légitimons un projet totalitaire. Nous croyons œuvrer pour la paix, mais nous alimentons la guerre.

Il y a là un diagnostic sur notre époque : l’impossibilité d’assumer la singularité d’Israël et, à travers elle, la singularité du destin juif. C’est cette impossibilité qui fait de nous des contemporains aveugles, prisonniers d’une mémoire retournée contre elle-même. L’exception que nous accordons au Hamas nous condamne : elle est le miroir de notre incapacité à penser clairement, donc à agir efficacement, face au retour de la barbarie islamiste.

Ballon d’Or: plus gonflant que gonflé!

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Qui pour succéder à l’Espagnol Rodri au palmarès du Ballon d’Or? Si ce grand raout mondain du football mondialisé vous passionne encore (autrement dit: si vous aimez regarder des millionnaires en costard et leurs femmes sur leur 31 attendre un des trop nombreux trophées dorés sous les lustres du Théâtre du Châtelet) alors sachez qu’on nous vend déjà Ousmane Dembélé comme favori.


Il fut un temps, que les moins de 20 ans n’ont pas connu, où le Ballon d’Or (qui récompensait alors uniquement le meilleur footballeur européen) était un vrai… cadeau de Noël. Créateur en 1956 de ce trophée, l’hebdomadaire France-Football révélait le nom du lauréat dans son dernier numéro avant Noël. Ce jour-là, un mardi, les amateurs de foot, grands et petits, avec l’excitation d’un gamin devant une pochette-surprise, se rendaient au kiosque (échoppe où se vendaient alors des journaux en papier, qu’on récupérait ensuite pour emballer le poisson) pour découvrir quel joueur avait décroché la une, pour connaître le nouveau Ballon d’Or.

Je vous parle d’un temps…

Et ensuite, comme au lendemain d’une élection politique, en pages intérieures ils épluchaient dans le détail le choix des journalistes européens habilités à voter. Le 22 décembre 1958, Raymond Kopa était le premier Français à inscrire son nom au palmarès… Le 24 décembre 1985, Michel Platini remportait son troisième Ballon d’Or… Le 22 décembre 1998, c’est Zinedine Zidane qui triomphait.

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C’était au siècle dernier, à la bonne franquette, la magie de Noël faisait scintiller l’or du ballon et briller le regard des enfants. Aujourd’hui, le scrutin épousant la saison sportive, à cheval sur deux années civiles, le verdict, désignant désormais le meilleur joueur mondial, est rendu à l’automne, à la saison des feuilles mortes.

Ennuyeux tapis rouge

L’occasion d’une soirée de gala à Paris, télévisée sur l’Equipe 21, cette année en direct du Châtelet, c’est au théâtre ce soir, mais la pièce jouée ne vaut pas un clou. Pour faire durer l’ennui, on distribue également un prix au meilleur espoir, au meilleur gardien, au meilleur entraîneur, à la meilleure joueuse, pas encore au meilleur supporteur ou au joueur ayant fait son coming-out, mais cependant un prix pour le footballeur le plus engagé dans l’action sociale et solidaire !

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Les joueurs, avec des compagnes sur leur 31, foulent le tapis rouge, déguisés en stars du show-biz au festival de Cannes, ce qui fait une belle jambe aux amateurs de foot qui les préfèrent en short sur un rectangle vert. Dans la salle, la grande famille du football sourit benoîtement comme celle du cinéma à la cérémonie des César.

Pour apporter un peu d’animation, depuis deux ans la polémique s’invite… En 2024, informés que le trophée serait attribué à Pedri un joueur de Manchester City, les joueurs et les dirigeants du Real Madrid avaient boycotté l’événement. Cette année, pressentant que le lauréat sera Yamal un joueur de Barcelone, ou Dembélé un joueur du PSG, Kylian Mbappé, ancien joueur du PSG mais nouveau joueur du Real, s’est fait porter pâle. Cela dit, les absents n’ont pas toujours forcément tort…


Dernière minute !!
Cela dit, les absents n’ont pas toujours forcément tort, ou peuvent avoir une bonne… excuse, tombée du ciel. Le match Marseille-PSG était programmé hier dimanche soir, mais annulé pour cause de pluies diluviennes sur le Vieux Port, il est reporté ce lundi, à la même heure que la cérémonie du Ballon d’Or, ce qui explique l’absence des joueurs du PSG au Châtelet (à l’exception de Dembélé, actuellement blessé et disponible pour enfiler un smoking). Pareil carambolage n’arriverait pas si la cérémonie se déroulait pendant la trêve des confiseurs, à… Noël.

Quelle connerie la guerre…


 © 2025 The Associated Press et WGBH

Dans une plaine pelée criblée de carcasses et d’arbres fracassés, maculée d’entonnoirs jusqu’à l’horizon, la petite troupe des fantassins lourdement harnachés, le casque bizarrement emmailloté de ruban adhésif bleu ou jaune, « poilus » souvent imberbes, s’enterrent dans des tranchées. Fracas d’artillerie, éclats, tirs sporadiques. Les blessés hurlent de douleur, dont on garrote avec les moyens du bord un bras, une jambe, avant de les évacuer, pourvu que le blindé salvateur arrive à démarrer dans la boue. Des macchabées en treillis gisent çà et là sous le bleu indifférent du ciel, dans le vacarme incessant des armes automatiques. On « bute » d’une brève rafale ou d’une grenade un type pris pour cible à moins de cinquante mètres de distance, en le traitant de « fils de pute ». Ou bien, après avoir froidement abattu son binôme, on déloge de son abri souterrain le dernier gus encore vivant, sous la menace de le liquider comme un chien s’il ne sort pas en rampant à plat ventre – hère hirsute, hébété, doublement captif car, pressé de questions, le mongol avouera ne pas savoir pourquoi on l’a envoyé dans cet enfer. D’un chaton recueilli au fond d’une cave, la brigade se fera une mascotte…

Village fantôme

Nous ne sommes ni dans un film d’archives colorisé de la Grande guerre, ni dans un jeu vidéo. Mais en 2023, sur le front du Donbass, côté ukrainien, capté en live par la caméra numérique HD collée comme une seconde peau à l’opérateur. La troisième brigade d’assaut dispute à l’ennemi le village d’Andriivka, en périphérie de Bakhmout, à deux heures de la ville de Kharkiv.  Comme le territoire est entièrement miné, le seul moyen de reprendre Andriivka à l’adversaire, c’est de se couler dans l’étroit corridor forestier qui reste encore pratiquable.

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Paradoxe de cette guerre de tranchées « archéologique » par bien des traits, en ce que son spectacle visuel renvoie implicitement à l’imagerie de 14-18 tels que restituée par ces innombrables films d’archives vus et revus. Sinon qu’ici la menace des essaims de drones ou les mouvements de troupe sont repérés, en arrière du front, dans une casemate bardée d’informatique dont les servants s’activent devant un mur d’écrans, et informent les combattants de la brigade d’assaut en temps réel, eux-mêmes suréquipés de matériels de haute technologie. Ancien préparateur de commande, Fedya, 24 ans, est à la tête de ce petit commando qui finira par planter le drapeau ukrainien, un peu dérisoirement, dans Andriivka dévasté, village fantôme au cœur d’un paysage de fin du monde. À quoi bon ? En attendant, les mères pleurent leurs fils fauchés de bonne heure, dans une interminable procession de cercueils.

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Hécatombe quotidienne

Tout aussi saisissant que le film 20 jours à Marioupol, prix Pulitzer en 2024, ce deuxième volet, A 2000 mètres d’Andriivka, nous rapproche pas à pas d’un but évanescent, aux côtés de ces guerriers pleins d’une bravoure aussi attachante que dérisoire. De fait, à peu de temps de là, les Russes reprendront cette minuscule parcelle arrachée à l’ennemi au prix d’une hécatombe quotidienne. En quoi le film, sur le fond, semble décidément épouser l’approche américaine dans son appel à déposer les armes coûte que coûte. Car comme dit la chanson, « quelle connerie la guerre » !


À 2000 mètres d’Andriivka. Documentaire de Mstyslav Chernov. Ukraine, États-Unis, couleur, 2025. Durée : 1h51
En salles le 24 septembre 2025.

Au Brésil, l’âme de la Confédération sudiste subsiste

Chaque année, la Festa dos Confederados réunit à Santa Bárbara d’Oeste les descendants des Sudistes installés au Brésil après la guerre de Sécession. Entre folklore revendiqué et héritage esclavagiste évidemment contestable, la fête ravive les tensions sur la mémoire et le racisme au Brésil.


Tous les ans, à Santa Bárbara d’Oeste, au Brésil, une foule bigarrée se presse autour d’un cimetière centenaire. Hommes en bottes et stetsons, femmes en robes à crinoline, jeunes danseurs arborant fièrement le drapeau confédéré : la Festa dos Confederados (fête des Confédérés) a des airs de bal costumé. Mais, derrière les sourires et les barbecues, les odeurs de steaks grillés et les airs de violons et d’accordéons se cache une mémoire lourde, qui divise le Brésil contemporain.

Quand le Brésil était un refuge pour migrants sudistes

En avril 1865, l’armée confédérée est vaincue, contrainte de signer sa reddition. Basé sur le commerce de l’esclavage, c’est tout un mode de vie qui s’écroule pour des milliers de planteurs de coton. Refusant de se soumettre à la Reconstruction et aux ordres humiliants de l’Union, certains vont chercher ailleurs une terre où reproduire leur modèle économique et social. Jeune nation indépendante depuis cinq décennies, l’empire brésilien de Dom Pedro II va alors devenir un refuge pour ces sudistes qui retrouvent toutes leurs privilèges perdus. Non seulement le pays maintient encore l’esclavage, mais il propose des avantages attractifs: terres fertiles achetables à un coût dérisoire, transport facilité, exonérations fiscales.

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C’est ainsi que près de 2 000 Américains, principalement originaires de l’Alabama, du Texas et de la Géorgie, s’installent dans l’État de São Paulo. Dans leurs bagages, des esclaves ramenés de force dans leur nouvel habitat tropical comme en témoignent les archives d’époque qui mentionnent également l’achat de captifs raflés sur les côtes africaines, revendus par les roitelets locaux aux navires européens venus s’approvisionner en marchandise humaine. Cette petite société va rapidement s’organiser et récréer tous les éléments d’un « petit Sud » qui entend survivre aux affres de l’histoire envers et contre tout.

En 1867, cette communauté se dote d’un cimetière au décès du premier de ses membres afin de pouvoir enterrer ses défunts selon le rite protestant toléré dans ce vaste empire catholique. Le « Cemitério do Campo » abrite encore aujourd’hui entre quatre et cinq cents tombes, une chapelle œcuménique et de nombreux objets liés à la Confédération, dont un obélisque dressé afin de rappeler cette épopée qui fait aujourd’hui débat dans la société brésilienne. Bien que l’esclavage ait été aboli en 1888 par la monarchie par la suite, c’est ici que les descendants de ces confédérés continuent encore de se réunir pour entretenir la mémoire de leurs ancêtres, derniers tenants d’un monde disparu où la hiérarchisation raciale et l’économie esclavagiste jouèrent un rôle central encore longtemps.

Une curiosité touristique

Pendant des décennies, la célébration a été localement vue comme une curiosité historique et un attrait touristique. Mais, avec l’apparition du Black Lives Matter (BLM) aux États-Unis, la visibilité publique du drapeau et des symboles confédérés a déclenché des critiques croissantes de la part des mouvements antiracistes, d’élu(e)s et de la société civile brésilienne. Le débat local s’est rapidement durci entre défenseurs d’une « tradition » commémorative et partisans d’une réévaluation critique du passé.

Pour les descendants des Confédérés, cet héritage, qu’ils célèbrent, n’a rien à voir avec l’esclavage. Rogério Seawright, ancien président de Fraternité des Confédérés, affirme que leur apport réside dans « les écoles, les hôpitaux, la pastèque Georgia Rattlesnake », et rejette toute accusation : « Cet héritage d’esclavage appartenait déjà au Brésil. » Il défend aussi le drapeau confédéré, symbole selon lui de leur origine.

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Mais face à ce discours, la contestation est de plus en plus vive. Les détracteurs de cette cérémonie ont réclamé que les rues rappelant ce passé sudiste, telles que Pyles, Crisp, MacKnight et Jones, soient renommées afin d’effacer toute trace de cet américanisme controversé. L’ancienne députée Erica Malunguinho a obtenu l’interdiction de ce drapeau, jugé lié au suprémacisme blanc et au Ku Klux Klan. Les tensions entre les deux communautés se sont accentuées après la visite de l’ancien député Eduardo Bolsonaro, fils du président du même nom accusé de tentative de putsch, à Santa Bárbara, soutenue par la Fraternité. En réaction, la conseillère municipale Esther Moraes (Verts) et des associations ont proposé de bannir avec succès tout symbole « raciste » des événements publics. Pour la militante Silvia Motta, l’enjeu est clair : « Tout ce qui appartient à la population noire est effacé » par les descendants des esclavagistes, d’après elle.

Le changement de gouvernance lors des dernières élections présidentielles dans le pays (2022) ont permis aux associations d’obtenir finalement gain de cause. Depuis janvier 2025, la Festa dos Confederados a décidé de se défaire définitivement de son passé et de s’appeler « Fête des Américains ». Les drapeaux confédérés de la ville ont tous été recouverts de peinture, comme le symbole arborant un obélisque au centre-ville, portant les noms de famille des soldats sudistes. Interrogés, le nouveau dirigeant de la Fête, Marcelo Sans Dodson, explique que la fête sera désormais axée sur la célébration de l’immigration américaine dans son ensemble, et non plus seulement de leur passé lié à la guerre de Sécession… Même si on peut encore y entendre Dixie, l’hymne confédéré, entonné par les descendants de ces colons, grimés tel qu’on peut le voir dans le film Autant en emporte le vent. Un peu comme en avril dernier où les Américains ont commémoré le 160e anniversaire de la reddition sudiste, à Appomattox. La Festa dos Confederados illustre parfaitement la persistance des tensions raciales au Brésil à l’heure où les États-Unis réhabilitent les noms et statues confédérées déboulonnées: sous couvert de folklore et de costumes pittoresques, elle recycle un imaginaire qui glorifie l’ordre ségrégationniste d’hier. Quoiqu’on en pense, elle reste plus que jamais le miroir de l’histoire brésilienne: une société qui, aujourd’hui encore, peine à regarder en face ses propres fondations et son histoire avec le recul que cela impose.

L’Intelligence artificielle, ou le réenchantement du monde pour les nuls

On savait notre chroniqueur farouche détracteur de l’Intelligence Artificielle qui permet à tant de journalistes d’écrire des articles bien informés et vides de sens. Le voici qui craint désormais une déculturation massive, une perte sans précédent de compétences. N’exagère-t-il pas ?


Dans un article récent du Figaro, Luc Ferry explique que l’utilisation massive de l’IA entraîne déjà chez les étudiants un « Deskilling », une perte de compétences et de savoir-faire (« skills »). À quoi bon apprendre, estiment-ils, si une machine est « plus performante qu’eux dans tous les domaines de l’intelligence et du savoir ? » 

Et d’ajouter, dans un style exclamatif assez peu philosophique :
« 88 % des étudiants font faire leurs devoirs par ChatGPT ! Les derniers modèles d’IA permettent en outre de contourner l’interdiction de tricher: il suffit d’une oreillette et d’un smartphone bien cachés pour soumettre discrètement les sujets de l’examen à une IA et obtenir les réponses tout aussi discrètement en quelques secondes. Cette situation est désormais réelle. Elle a été constatée lors d’un examen de l’ULB, l’université de Bruxelles, le professeur ayant demandé à ses étudiants, pour défendre le principe de l’égalité pour tous, de découvrir leurs oreilles afin d’éviter la triche que permet l’usage d’oreillettes dissimulées. Sa demande, bien légitime, a suscité une incroyable polémique, les étudiantes voilées ayant déposé un recours contre lui au nom de la liberté religieuse ! »

Un joli prétexte pour rester voilées et tricher.

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Mais l’ancien ministre reste au seuil de la compréhension du problème. L’IA n’est pas seulement un outil. C’est une divinité.

On se souvient que Max Weber, dans L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme (1904-1905), avait théorisé le « désenchantement du monde » : après une phase primitive où tout est signe divin (fétichisme), l’humanité est passée par une phase polythéiste, avec des dieux spécialisés, puis monothéiste, avec un Dieu tout-puissant, et enfin une phase athée, où l’homme est son propre dieu. Nous en sommes aujourd’hui, depuis que l’informatique domine nos vies, à une phase égothéiste, où nous pensons être grands ordonnateurs de la pensée, alors que nous sommes les esclaves des ordinateurs auxquels nous demandons humblement des réponses à nos questions. La servitude volontaire dont parlait La Boétie nous tend ses bras et ses micro-processeurs.

Les médecins déjà avouent que l’IA est bien plus forte qu’eux pour diagnostiquer des maladies non encore perceptibles par les outils ordinaires. Les étudiants se confient aux machines pour étudier à leur place. Les journalistes, subventionnés ou non par les fabricants de merveilles, chantent les louanges de ChatGPT dans des articles écrits… par ChatGPT.

J’ai déjà tenté d’expliquer qu’il s’agit là d’une illusion extrêmement dangereuse — et d’autant plus dangereuses que la « Gen Z », ou génération Z, arrive aux manettes — et dans les salles de profs, où elle prépare ses cours avec l’IA, pense avec l’IA, et corrige avec l’IA des copies écrites avec l’IA. Mal formés par des enseignants qui ont baissé les bras devant des politiques de médiocrité généralisée, ces nouveaux boomers confondent compétences et savoirs. L’IA est sans égale dans le domaine des compétences. Elle est nulle dans le domaine du savoir. Au point que Raphaël Enthoven, qui n’est pas exactement Aristote ni Kant, a enfoncé ChatGPT il y a deux ans en proposant une dissertation de baccalauréat infiniment plus élaborée que ce que proposait la machine, réglée pour se limiter à une médiocrité de bon ton. Inintelligence artificielle, disais-je…

La fin du facteur humain

Ah oui, les médecins s’en remettent à l’IA ? Et les futurs docteurs se fient aux machines pour élaborer des diagnostics ? Demandez-leur donc comment elles annoncent à un patient atteint d’un cancer du pancréas qu’il va mourir dans un délai de six à neuf mois. Avec quelle délicatesse elles lui fourniront immédiatement des modèles de testaments.

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Sans compter que la machine, à laquelle on a intégré nécessairement la question du coût des traitements, vous abandonnera en rase campagne si elle estime votre survie trop onéreuse pour la société. Déjà que sans IA on a multiplié les déserts médicaux…

L’IA signe la fin du facteur humain. Jadis les dieux (ou le dieu) trônaient au-dessus des homes. Désormais c’est un outil de plastique qui est installé dans les foyers comme une divinité tutélaire, disponible dans la poche des pantalons comme autrefois les dieux lares. C’est le totem du New Age.

Les machines ont leur utilité — elles sont les Pic de la Mirandole de la modernité. Monsieur-Madame Je-sais-tout. Des machines dégenrées, un rêve de jobards LG-hébétés. Pas de quoi briser les ordinateurs, les smartphones, les montres connectées et autres merveilles auxquelles nous soumettons notre humanité. Mais il est essentiel d’expliquer que notre humanité ne sera jamais réductible à une mémoire artificielle — parce qu’elle est par définition dépourvue d’émotions. Et c’est ce qui fonde notre humanité.

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Quincy Jones, l’homme qui murmurait à l’oreille des notes

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Demain soir, lundi 22 septembre, sur France 4, sera diffusé à 21 h 05 le documentaire « Music Man » réalisé par Olivier Lemaire et raconté par MC Solaar sur la carrière et la vie de Quincy Jones (1933-2024), des caves de Saint-Germain-des-Prés à Thriller, de la ségrégation musicale aux 28 Grammy Awards, du producteur de Bad aux salles de cinéma. Monsieur Nostalgie l’a vu en avant-première. Et vous le recommande vivement.


On a beau chercher. Essayer de trouver la recette de Quincy. Du son Quincy Jones. On n’y comprend rien. Les plus érudits se perdent en conjectures. Le génie ne s’explique pas. On s’incline devant lui. Un point, c’est tout. De l’intrication des notes à la mélodie brillante. Du clinquant apparent à cette multitude de strates enfouies. C’est un mystère. Les contraires s’assemblent. Les certitudes volent en éclat. Chez Quincy, deux forces de même intensité se percutent pour créer une nouvelle identité musicale. Il y a d’un côté, le rythme, la scansion, la tension dramatique, un punch qui vous fait lever de votre chaise pour bouger les bras et les jambes, vous l’entendez cette basse satanique et ses cordes diablesses, les cuivres crient famine, la colère du ghetto de Chicago est alors comprimée, transfigurée en une invention, Quincy écrit une nouvelle langue ; on nage d’abord en plein bebop, une cool attitude matinée de funk et de disco va bientôt vous atteindre, déferler sur votre cerveau, impossible d’y résister, cette eau vive irriguera votre corps. Quincy a plus d’un tour dans son cahier de solfège, il ne dédaigne pas les affabulations électroniques, il sait tout faire, diriger un orchestre symphonique comme lui a appris Nadia Boulanger ou chercher dans la puissance des ordinateurs, d’autres couleurs, d’autres percussions intérieures, d’autres voies lumineuses.

A lire ensuite, du même auteur: Redford, la classe américaine

Quincy est un dieu-arrangeur de Sinatra au Prince de Bel-Air, il peut tout s’autoriser. De la Bossa qui flirte avec des langueurs funky. De la pop sirupeuse qui fermente comme un vieux Rock. N’essayez pas de l’enfermer, de le réduire à un groove particulier, à une Soul charnelle ou à un rôle de faiseur de hit-parades. Ce serait une erreur. Quincy est un producteur qui possède toutes les cultures, celles héritées de son enfance pauvre, celles de la ségrégation où les noirs avaient interdiction de toucher aux cordes dans un pays qui se disait pourtant libre, celles des clubs de jazz, du compagnonnage avec Count Basie, Ray Charles son vieux complice, Dizzie, Lionel Hampton ou Sarah Vaughan, mais il est aussi immergé dans la musique classique, Debussy est là, en décalque, en apnée féérique et puis toutes les autres tendances que lui seul voit venir à l’horizon. Quincy est un mixologue inventif, disruptif et solaire. Il précède les modes. Les ténors du hip-hop, Snoop, Ice-T, Dr. Dre et les autres savent ce qu’ils lui doivent. Ils le sampleront jusqu’à leur mort. Il est le Sound Master de leur Sound Blaster. Dans son shaker, on retrouve toute une palette de sentiments contrastés, l’envie de faire la fête, de se désarticuler sur la piste, de nager nu dans le Pacifique et puis, en contrepoint, en rêverie, une mélancolie songeuse fait dériver votre cerveau très loin sur les rives de l’enfance. Quincy passe au tamis toutes les musiques, peu importe les genres, les instruments, les latitudes, les identités, il les façonnera à son instinct. C’est un diamantaire. Le documentaire d’Oliver Lemaire porté par la belle voix chaloupée de MC Solaar réussit à résumer en une heure une vie professionnelle aussi riche et surtout donne envie d’écouter ou de réécouter l’œuvre de Quincy. Une année n’y suffirait pas. Mon souhait le plus cher serait de plonger durant des mois dans sa caverne magique. Je commencerais par « The Dude », son album-signature et je retournerais voir son « Back on the block » de la fin des années 1980, je ne pourrais faire l’impasse sur les tubes tractopelles de Michael Jackson et de George Benson.

Avec Michael Jackson, capture d’écran.

Avant de m’endormir, chaque soir, je prendrais une dose de « Summer in the city ». Après Quincy sorti sur Netflix en 2018[1] et « The Greatest Night in Pop » qui raconte la genèse de « We are the world » avec Lionel Richie[2], « Music Man » est un voyage délicat, très bien écrit, élégant qui se regarde avec plaisir. Le documentaire n’oublie pas de rappeler que la France a toujours tenu une place de cœur dans la carrière de Quincy en soulignant ses liens fraternels avec Eddie Barclay, Aznavour ou Henri Salvador. Les musiciens noirs qui débarquèrent à Paris dès les années 50 furent accueillis à la hauteur de leur talent. Il y a un tout petit peu de France dans le succès planétaire de Quincy, un goût pour la liberté.

Lundi 22 septembre à 21h05 sur France 4
52 minutes
https://www.france.tv/documentaires/


[1] https://www.netflix.com/fr/title/80102952

[2] https://www.netflix.com/fr/title/81720500

À la recherche de Pierre Loti

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« Le Monde selon Pierre Loti », le documentaire de Michel Viotte diffusé le 26 septembre sur France 5, est remarquable


Parrainé par un Stéphane Bern dont les propos liminaires célèbrent « l’écrivain voyageur à l’imagination fertile » […], « cet insatiable curieux [qui] a navigué sur presque toutes les mers, partant à la découverte de terres parfois quasi inexplorées, de lieux et de peuples qu’il voulait encore authentiques, lui dont l’âme romantique le portait vers le passé », l’ouvrage Les vies de Pierre Loti,  paru sous les auspices des Editions de La Martinière au moment même où rouvrait sa fameuse maison rochefortaine, restaurée comme l’on sait après plus de douze ans de fermeture, constitue bel et bien ce viatique indispensable à qui veut comprendre les relations complexes entre l’officier de marine et l’homme de lettres, le très talentueux dessinateur et bon pianiste, le chineur compulsif et l’hédoniste intempérant, le protestant et l’athée idolâtre des sites sacrés, l’ascète et l’amphitryon travesti, le bourgeois déclassé devenu célèbre et fortuné par la grâce de sa plume, le docte académicien et le nomade en burnous, en costume de spahi, en tenue d’ Albanais voire même en feuille de vigne…

Imaginaire débridé

Car ce n’est pas le tout de pénétrer, à Rochefort, sise rue Chanzy, dès longtemps rebaptisée « rue Pierre Loti », dans le scrupuleux capharnaüm de l’illustre Maison de Loti, et d’en savourer l’exubérance épicée, l’exotisme éclectique, la surprise délibérée des agencements. Encore faut-il, pour comprendre les ressorts de cet imaginaire débridé, cristallisé derrière la sobre modénature d’une façade en pierre de taille à la blondeur emprunte de respectabilité, larguer les amarres de Rochefort et voguer aux antipodes, dans le sillage de Loti. Illustré de près de quatre cents documents iconographiques – photos de et par Loti, superbes dessins et aquarelles de Loti encore, ou gravures réalisées d’après lui, affiches, caricatures d’époque, pages manuscrites, cartons d’invitation et autre menu de ce « dîner Louis IX » arrosé «  de plusieurs vins, de cervoise et d’hydromel », couvertures de L’illustration, du Petit journal ou de l’hebdomadaire Le Monde illustré… – le « grand format » que voici part à la recherche de Pierre Loti : à travers lui, il nous fait miraculeusement retrouver ce temps perdu.

Rédigé d’une belle plume sous l’attentif patronage d’Alain Quella-Villéger, spécialiste émérite de l’auteur d’Aziyadé, de Pêcheur d’Islande ou de Mon frère Yves, le texte de Michel Viotte invite le lecteur, contrepoint de cette fabuleuse iconographie et des scrupuleuses notices qui l’accompagne, à un voyage dans ce passé pour nous tout à la fois si lointain et si proche, sous toutes les latitudes où Loti démultiplia son existence dans tous les Orients du globe, de l’île de Pâques à la vallée du Nil, de Dakar à Istambul, du Tonkin au Japon, de l’Algérie française aux Indes britanniques…

A lire aussi: Quincy Jones, l’homme qui murmurait à l’oreille des notes

Cette invite à acquérir le précieux volume des Vies de Pierre Loti, votre serviteur l’accompagne de celle, encore plus pressante, de visionner Le monde selon Pierre Loti, passionnant documentaire, également cosigné Viotte & Quella-Villéger. Nourri d’éloquents et superbes documents et images d’archives, ce film parvient, en moins d’une heure, à entrecroiser avec beaucoup de finesse le récit biographique, la chronologie des voyages, la carrière de l’officier de marine et ses amitiés viriles, le regard sur l’œuvre romanesque mais également sur l’essayiste et journaliste controversé que fut l’académicien, le contexte historique et géopolitique du temps, la visite de la maison de Rochefort et l’évocation des fêtes déguisées qui s’y donnaient, comme des villégiatures basques ou bretonnes, l’approche sans détour des ambiguïtés libidinales et des hantises métaphysiques propres au personnage…  Chose rare par les temps qui courent, la production a su résister à la profonde débilité du genre docu-fiction, ce nouveau formalisme télévisuel où ici, quelque médiocre acteur aurait pu cachetonner sous l’apparence douteuse d’un « Pierre Loti » inséré dans  des reconstitutions improbables…

Non seulement on échappe donc à ce travers désastreux, mais Le monde selon Pierre Loti  est la promesse d’alimenter encore votre rêverie sur de bonnes bases d’érudition. Et, sait-on jamais, l’occasion d’inciter les jeunes générations à lire Loti dans le texte ?  Rendez-vous au 22 septembre, en deuxième partie de soirée sur France 5, ou ensuite à la demande sur France.tv.


En librairie : Les vies de Pierre Loti, par Michel Viotte, avec la collaboration d’Alain Quella-Villéger). Avant-propos de Stéphane Bern. Editions de La Martinière,  240p. 2025.

A voir : Le Monde selon Pierre Loti, documentaire de Michel Viotte (co-écrit avec Alain Quella-Villéger). France, couleur, 2025.  Durée : 52mn. Vendredi 26 septembre à 22H35 sur France 5 et sur france.tv à la demande.

Turning Point Paris ?

Après son assassinat, les Américains rendent un hommage géant à Charlie Kirk en banlieue de Phoenix, dans l’Arizona, ce dimanche. À Paris, vendredi soir, des militants français de la droite radicale s’étaient réunis dans le centre de la capitale.


Vendredi 19 septembre, à 18 h, la statue de La Fayette, située à deux pas de la place de la Concorde et du Grand Palais, s’ennuyait moins que d’habitude. À ses pieds, environ cinq cents participants étaient venus rendre un hommage trumpiste à Charlie Kirk, la jeune star du conservatisme américain assassinée le 10 septembre en plein discours.

À mi-chemin entre liturgie trumpiste et revival protestant, l’ambiance était résolument américaine : banderoles étoilées, minute de silence, prières, discours ponctués de références bibliques, citations de Burke et de Tocqueville… Le tout rythmé par l’hymne américain, régulièrement interprété par une cantatrice italienne déjà sollicitée lors du tournoi de NBA à Paris.

Florian et Laurent, Canadiens, familiers de l’Amérique du Nord ont sorti l’outfit trumpiste pour l’hommage à Kirk. Photo: Lucien Rabouille

Organisé dans l’urgence de l’émotion, le rassemblement a réuni toute la galaxie des trumpistes français, familiers des vidéos de Charlie Kirk bien avant que son assassinat n’en fasse une icône du conservatisme mondial. Au micro se sont succédé Philippe Karsenty, ancien adjoint à la mairie de Neuilly-sur-Seine et animateur du comité Trump France, puis Kate Pesey, directrice de la bourse Tocqueville, qui « perpétue l’héritage intellectuel d’Alexis de Tocqueville » en envoyant chaque année de jeunes gens prometteurs découvrir le modèle politique américain. Elle a déclaré mener un combat « contre les forces anti-chrétiennes », tandis qu’un abbé venu spécialement a fait réciter un Notre-Père, le tout sous une banderole « Je suis Charlie » en hommage aux laïcards de Charlie Hebdo. Singulier syncrétisme : un brin de biblisme américain mêlé à l’esprit voltairien français.

Biblisme américain et « Je suis Charlie »

En France, on sépare volontiers politique et religion. Ce soir-là, la droite s’était mise à l’heure américaine et brouillait les frontières. La militante féministe Marguerite Stern, poing et chapelet levés, évoqua le « martyre » de Charlie Kirk et invoqua sa présence « mystique », tout en faisant applaudir à tout rompre la décision de Donald Trump de classer les Antifa comme organisation terroriste. Randy Yaloz, pour Republicans Overseas (association qui regroupe les membres du Parti républicain expatriés), rappela le goût de Kirk pour les débats difficiles – le jeune homme avait fait de la confrontation en terrain universitaire hostile sa marque de fabrique. Un orateur rappela que Moïse, bègue à ses débuts, dut apprendre à bien parler pour convaincre Pharaon : « On affûte mieux ses arguments dans la confrontation d’idées. »

A relire, Nicolas Conquer: Assassinat de Charlie Kirk, le point de bascule

Damien Rieu, l’influenceur identitaire, adopta parfaitement le ton à l’américaine avec séquence émotion et évocation de la famille du militant assassiné : « Chers enfants d’Erika et Charlie Kirk, votre père n’était pas seulement le plus brillant débatteur de notre camp : il était d’abord celui qui vous portait sur ses épaules, qui vous lisait des histoires, qui priait pour vous chaque soir. » Dans ce climat où la foi se mêlait à l’action politique, la conclusion paraissait presque naturelle : le « martyre » de Charlie Kirk, ainsi que le rappelait Tertullien pour les premiers chrétiens, deviendrait lui aussi « semence de chrétiens » – mais de chrétiens… trumpistes.

Réunion de famille

Trump et la droite américaine comptent déjà quelques fans en France. Sur place, un public varié : quinquagénaires catholiques pratiquants de l’Ouest parisien en perfecto, Franco-Américains, fans de Trump français, bikers arborant casquette MAGA et bannière étoilée en bandoulière, mais aussi quelques militants issus des syndicats étudiants comme la Cocarde (RN-compatible) ou l’UNI (LR-compatible). La députée IDL (Identité et libertés) Anne Sicard, proche de Marion Maréchal, avait également fait le déplacement. Plus inattendu, on croisait aussi quelques jeunes du « lycée autogéré » de Paris, venus anonymement mais sensibles aux discours sur la « liberté d’expression » et les « risques personnels et professionnels » encourus par les militants conservateurs.

Beaucoup avaient déjà découvert les influenceurs MAGA ou conservateurs américains sur Internet. Outre le défunt Charlie Kirk, les vidéos de PragerU (dont un message a été lu à la tribune) ou celles de Joe Rogan, populaires aux États-Unis, ont aussi trouvé un public à l’étranger. Ces contenus ont contribué à ramener une partie du vote jeune, traditionnellement acquis aux démocrates, vers le Parti républicain en 2024 et joué un rôle décisif dans la victoire de Trump.

Un Turning Point à la française ?

Le Franco-Américain Nicolas Conquer, maître de cérémonie, diffuse activement les idées de la droite américaine en France. Par son style et son verbe facilement identifiables, il est devenu depuis les élections de 2024 le visage et la voix du trumpisme hexagonal. Dans sa conclusion, il a appelé de ses vœux à reprendre en France le combat de Charlie Kirk pour la liberté d’expression et le conservatisme. De là à envisager un Turning Point USA à la française, du nom de la plate-forme politique fondée par Kirk ? À la tribune, Conquer a loué la capacité qu’avait Kirk à lever des fonds et à bousculer les médias traditionnels.

Mais, un Américain de Floride installé en France tempère l’enthousiasme : « Ce modèle repose sur les fondations privées, la culture du don. Cela n’est certes pas complètement impossible, mais nos cultures politiques sont bien différentes. » La Ve République est en effet moins souple que la Constitution américaine concernant les dons. Outre-Manche, le projet a déjà trouvé un écho avec Turning Point UK. Pourquoi pas ici ? « Le plus tôt sera le mieux », confie une participante. « Il faut nous organiser », assure Nicolas Conquer, qui voit dans le GOP un modèle d’organisation politique capable d’inspirer les partis de droite français et européens, souvent trop centralisés et incapables de lancer de vastes plateformes de diffusion d’idées.

Le GOP américain, une inspiration pour les héritiers français du général de Gaulle, vraiment ? La statue de La Fayette, qui porta jadis les idéaux de liberté de part et d’autre de l’Atlantique, pouvait sourire : pour une fois, c’est Paris qui rejouait la partition américaine.

Edouard Bina, le président de la Cocarde étudiante, venu avec ses troupes militantes.

Que pense la «bande du Bellota» de Bruno Retailleau?

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D’après les indiscrétions du journal Le Monde, « affamé de pouvoir » et de jambon ibérique, le trio constitué par Sébastien Lecornu, Gérald Darmanin et Thierry Solère formerait désormais le premier cercle d’Emmanuel Macron. Après avoir combattu le projet « Horizons » d’Edouard Philippe, les trois hommes voient assurément d’un mauvais œil les succès et la popularité du ministre de l’Intérieur démissionnaire…


Aucune hésitation à l’idée d’écrire un nouveau billet qui va concerner essentiellement Bruno Retailleau, ses soutiens, ses adversaires compulsifs ou masqués.

Bande des quatre, puis trois…

Parce que le ministre de l’Intérieur répond, par son action, à l’objection trop souvent entendue de sa prétendue absence de résultats. Il me suffit, par exemple, de faire référence à ses succès (évidemment relatifs) dans la politique du maintien de l’ordre, aussi bien pour la France, qui heureusement n’a pas été bloquée le 10 septembre, que pour la manifestation du 18 septembre. J’ai aimé que, dans ses diverses interventions au soir de cette dernière journée, il rappelle aux forces de l’ordre engagées et efficaces que leur seule finalité avait été de permettre l’exercice du droit constitutionnel de manifester, contre tous les casseurs et les Black Blocs.

Les propos d’un Jean-Luc Mélenchon, se vantant d’être un organisateur et un spécialiste du « bordel », sont alors d’autant plus scandaleux qu’il accuse le ministre de favoriser une violence collective qu’il prétend combattre. De telles attaques ne relèvent plus de la joute politique, même la plus vive, mais d’une mauvaise foi abyssale qu’aucun esprit partisan ne parvient à excuser.

A lire aussi: Crise politique: la résistible ascension de Jean-Luc Mélenchon

La raison principale qui me conduit à proposer cet article est que, si l’information est exacte, je voudrais tordre le cou à un complotisme qui serait mis en œuvre par la bande des quatre, familièrement nommée la bande du Bellota, du nom du restaurant parisien Bellota-Bellota. De la part de Sébastien Lecornu, de Gérald Darmanin, d’Édouard Philippe et du mauvais génie Thierry Solère, il s’agirait d’entraver autant que possible le futur de Bruno Retailleau dans ses visées présidentielles, que son socle ministériel demeure ou non[1].

Je prends toujours très au sérieux la politique politicienne, la « poloche » vulgairement qualifiée, parce qu’il ne faut jamais s’imaginer que le destin du pays est mis entre des esprits élevés et des mains nobles, pour ce qui concerne l’ambition de chacun. Il relève, au contraire, de coups fourrés et de la relégation de l’intérêt national au profit de calculs médiocres. Laurent Wauquiez n’est pas dans les quatre mais, contre Bruno Retailleau, il fait tout ce qu’il peut dans ce sens !

Cette bande du Bellota mérite une appréhension sinon nuancée, du moins juste, pour ceux qui la composent et dont la réunion peut surprendre un naïf comme moi, qui ne cesse d’espérer que les amitiés politiques devraient parfois céder le pas à l’éthique.

J’ai déjà dit à quel point le rôle de Thierry Solère auprès du président de la République et du Premier ministre, hier officiel, devenu officieux, tout d’entregent, de connivence et de tentation, était choquant si on veut bien considérer qu’une personnalité multi-mise en examen n’est pas la plus appropriée pour des manœuvres qui se rapportent à notre vie nationale. Je suis persuadé que Thierry Solère est sympathique, a de la faconde, n’est pas débordé par les convictions et qu’il est doué pour les complicités et fidélités amicales. Mais notre vivier est-il si pauvre qu’on soit obligé de faire appel, pour des tâches importantes, à des auxiliaires au moins discutables ?

Édouard Philippe est très habile, il flotte entre une vague loyauté – qui peut encore servir – à l’égard du président et l’envie de nous faire croire qu’il a mis de l’airain dans sa souplesse et que le Premier ministre d’hier, avec ses erreurs qui ont fait mal, fera surgir en 2027 un chef dont on cherche encore « le programme massif » et une illustration plus revigorante que celle qui l’a conduit à être modeste et pédagogue durant le fléau du Covid…

Gérald Darmanin, dans cette équipe, me pose un vrai problème. Roué, politicien, ambitieux, habité, j’en suis sûr, par la passion d’une droite sociale et populaire, il est en même temps – j’ose le terme – un formidable garde des Sceaux qui n’a que le grand tort, aux yeux de ses adversaires et même, je le crains, de beaucoup de magistrats, d’avoir identifié avec pragmatisme les maux prioritaires de la Justice et de vouloir les éradiquer dans l’urgence. On est passé d’un ministre qui éructait contre le Rassemblement national à un ministre qui est celui de la Justice. Pour moi, il serait navrant que Gérald Darmanin, sans que je sous-estime ses desseins personnels, participât à une offensive concertée contre Bruno Retailleau. On n’est jamais trop, à droite, pour aller dans la bonne direction !

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C’est aussi à cause de cette perception que je n’abonderai pas dans la description du profil d’un Sébastien Lecornu qui ne serait doué que pour les coulisses, les compromis et une politique à horizon « régionaliste », même s’il a été un remarquable ministre de la Défense et qu’il a encaissé avec classe certaines déconvenues gouvernementales.

Oui, déjeuner en paix

Les Républicains attendent beaucoup de lui, et d’abord qu’il ne cède pas trop aux socialistes que je trouve de plus en plus mauvais dans leur fond et leur tactique – fascination/répulsion à l’égard de LFI – pour obtenir un accord de non-censure. Je refuse de tomber dans un sadisme anticipé, se délectant de l’échec du Premier ministre comme s’il était inéluctable – et même désiré.

Il me semble que cette description rapide d’alliés à la fois dissemblables et résolus montre à l’évidence qu’il serait inconvenant de leur part d’assigner l’objectif médiocre de briser net la chance, pour une droite authentique, non seulement de reprendre le haut du pavé républicain mais aussi de laisser espérer, pour 2027, son retour avec la certitude que, pour une fois, ses promesses seraient tenues.

Non pas forcément tous pour un, mais pas quelques-uns mus par des ressorts équivoques contre un. Qu’on ne complote plus au Bellota, qu’on y mange !


[1] https://www.lemonde.fr/politique/article/2025/09/16/l-irresistible-ascension-du-trio-darmanin-lecornu-solere_6641338_823448.html?random=1828521993

Comment le «progressisme» peut désinformer et attiser les haines

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Le président Donald Trump enlace Erika Kirk à la fin d’une cérémonie en mémoire de son mari, l’activiste conservateur Charlie Kirk, le dimanche 21 septembre 2025, au State Farm Stadium de Glendale, en Arizona © Julia Demaree Nikhinson/AP/SIPA

Guerre culturelle: et si le vent était en train de tourner? Dans la bataille, notre chroniqueur n’a aucun problème à mettre mélenchonistes et macronistes dans le même panier…


La gauche robespierriste a ressorti la guillotine. Elle a été installée place de la République, le 18 septembre, par des nostalgiques de la Terreur. Sur la maquette de trois mètres de haut, il était écrit : « Bolloré, Arnault, Stérin : couic ! » ; ou encore : « Si t’es écolo, plante un facho ! ». De l’humour, ont relativisé les médias complaisants.

Hystérie progressiste

Sans doute. Il n’empêche que le goût du sang imprègne de plus en plus le « progressisme », à mesure qu’il enrage face au réveil national de la France naguère silencieuse. Cette intolérance des vendeurs de vertu fait craindre de leur part un retour à la violence physique. L’assassinat de l’influenceur Charlie Kirk, à qui un hommage national a été rendu hier en Arizona en présence de Donald Trump, a été mis sur le compte de son conservatisme, y compris par des figures du macronisme. La pensée mondaine ne supporte pas non plus les succès de CNews. En l’accusant d’être « une chaîne d’extrême droite » (Le Monde, 18 septembre), Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, a placé les journalistes de CNews en situation d’insécurité. L’hystérie gagne les mélenchonistes et les macronistes. Ils sont unis dans la même détestation de ceux qui n’entendent plus se soumettre à la tyrannie des universalistes anti-français d’extrême gauche et des mondialistes post-nationaux du bloc central. Une même dérive totalitaire unit ces deux courants politiques. Ils hurlent à l’unisson contre l’extrême droite et le fascisme, comme aux belles heures du stalinisme et de ses incapacités à admettre la contradiction.

À lire aussi, du même auteur: Les charlatans de la morale signent l’échec de la gauche

Tous les mécanismes de la désinformation et de l’inversion accusatoire ont été réactivés par la gauche. Des journalistes militants, notamment au Monde, ont cherché à falsifier le profil du tueur de Kirk afin de gommer son fascisme « antifasciste ». D’autres dénonciateurs de « fake-news » se sont employés à tordre des propos de la victime pour la faire passer pour un danger nazi ; hier soir, son épouse a « pardonné » au meurtrier au nom du Christ. Le succès de la pétition de Philippe de Villiers contre l’immigration est laborieusement mis en doute. Le service public de l’audiovisuel, ébranlé par les révélations de L’Incorrect sur les compromissions politiques de deux de ses éditorialistes, est venu en renfort avec sa force propagandiste.

Indésirables

Ernotte a aussi déclaré l’autre jour, parlant de France TV : « Nous n’avons pas de problème de pluralisme ». Le comité de la Pravda (« La Vérité », en russe) devait asséner de semblables énormités ! Déjà, en novembre 2022, une campagne de promotion de 14 chevaliers blancs de l’audiovisuel public assurait sans rire : « Info ou intox : on vous aide à faire le tri ».

En 50 ans de journalisme, je n’ai jamais été convié à France Inter. Je ne suis pas le seul indésirable sur ce « service public » qui viole son devoir de neutralité.

Ce lundi, mélenchonistes et macronistes se féliciteront de la décision du chef de l’État de reconnaître, à l’ONU, un État palestinien, alors que le Hamas est toujours en place avec 48 otages. Cette victoire islamiste, parrainée par la gauche perdue, annonce d’autres terreurs.

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Incompréhension radicale

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Rassemblement propalestinien, en face du siège de l’ONU, New York, États-Unis ,18 septembre 2025 © Lev Radin/Shutterstock/SIPA

Drôle de timing. Le président Macron s’apprête à reconnaitre un État palestinien à l’ONU, à un moment des plus controversés (le Hamas n’est pas démantelé, détient toujours 48 otages à Gaza, et 47% des citoyens français désapprouvent cette décision, selon un sondage Elabe). Un « pari risqué » pour parvenir à la paix, selon la plupart des journaux imprimés ce matin. Dans une sorte de fuite en avant, M. Netanyahou envisagerait de fermer le consulat français de Jérusalem, voire d’annexer une partie de la Cisjordanie… Dans son texte, notre contributeur rappelle que le Hamas incarne un islamisme totalitaire similaire aux autres mouvements djihadistes, mais que l’Occident peut parfois le relativiser voire le valoriser (notamment à l’extrême gauche) au nom de l’antisionisme, révélant une incohérence morale et une mémoire historique biaisée.


Il est des situations où le bon sens devrait s’imposer sans difficulté, tant les faits semblent clairs, tant l’expérience accumulée nous fournit de précédents. Pourtant, dans le cas du Hamas, nous observons une étrange suspension du jugement. Tout le monde sait qu’il s’agit d’un mouvement islamiste, comparable dans ses fondements idéologiques et ses méthodes aux organisations les plus sinistres de notre temps : Al-Qaïda, Daesh, Boko Haram. Tout le monde sait qu’il recourt à la terreur et à la cruauté comme stratégie politique. Et tout le monde a pu constater, le 7 octobre 2023, l’ampleur de la barbarie dont il est capable.

Mais au lieu d’une condamnation univoque, comme ce fut le cas pour Daesh en Syrie ou en Irak, un discours parallèle s’installe : celui qui présente le Hamas comme un mouvement de résistance légitime, au motif qu’il s’oppose à Israël. Voilà le paradoxe : ce que nous combattons avec acharnement en d’autres lieux se voit excusé, relativisé, voire valorisé, dès lors que l’État juif est en jeu.

Il faut interroger cette exception. Elle n’est pas un accident de perception, mais le symptôme d’une logique profonde : celle d’une incompréhension radicale, révélatrice de notre rapport troublé à l’histoire, à la mémoire et au politique.

Le Hamas : un islamisme parmi d’autres

Le Hamas n’est pas un phénomène singulier dans le monde musulman contemporain. Il appartient à la vaste famille de l’islamisme radical née au XXᵉ siècle, de la matrice des Frères musulmans égyptiens jusqu’aux organisations terroristes transnationales. On y retrouve la même vision : l’instauration d’un ordre religieux total, la négation des libertés individuelles, l’usage de la violence comme instrument légitime.

De ce point de vue, le Hamas se situe dans la continuité directe d’Al-Qaïda ou de Daesh. Les moyens changent, les terrains diffèrent, mais le projet reste identique : gouverner par la terreur et par l’embrigadement idéologique.

Lorsque ces mouvements frappent en Occident, personne ne se méprend. Après les attentats du 11 septembre, après le Bataclan, après Nice, les condamnations furent unanimes. Mais lorsque le Hamas massacre, torture, enlève, les mêmes actes sont réinterprétés sous l’angle de la « résistance ». Comme si l’hostilité à Israël suffisait à effacer la parenté idéologique avec les autres branches de l’islamisme global.

L’exception palestinienne : un révélateur

C’est cette exception qui mérite examen. Pourquoi ce que nous appelons terrorisme à Paris ou à New York devient-il résistance à Gaza ? Pourquoi l’acte le plus barbare peut-il changer de nature en fonction de sa cible ?

La réponse tient à une donnée plus large : la persistance d’une singularité juive dans l’imaginaire occidental. L’État d’Israël n’est pas un État comme un autre dans les consciences. Il concentre, de manière souvent inconsciente, des siècles de représentations liées au destin juif. Le Palestinien devient le « bon opprimé » parce qu’il s’oppose au « mauvais survivant », accusé de trahir son propre passé en exerçant la force.

L’antisionisme radical fonctionne ici comme le relais d’un antisémitisme qui ne peut plus dire son nom, mais qui trouve dans l’exception faite au Hamas une expression indirecte. Ce n’est pas par ignorance que l’on absout un mouvement islamiste : c’est par une logique profonde d’exclusion symbolique.

Les ruines de Gaza et la mémoire sélective

Les images de Gaza détruite suscitent une émotion légitime. Mais leur traitement médiatique révèle une mémoire sélective. Qui se souvient des ruines de Mossoul et de Raqqa, où les armées de la coalition ont éradiqué Daesh ? Qui rappelle les villes allemandes rasées durant la Seconde Guerre mondiale – Dresde, Hambourg, Berlin – ou les cités japonaises détruites avant même Hiroshima et Nagasaki ?

Dans tous ces cas, la logique militaire a conduit à la destruction massive de zones urbaines. Mais seul Gaza est présenté comme la scène d’un crime inédit, comme l’illustration d’un génocide en cours.

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Or les faits contredisent cette accusation. Si Israël avait voulu anéantir Gaza, il en avait les moyens en quarante-huit heures. Les deux millions d’habitants de l’enclave seraient morts. Le simple constat de leur survie invalide la thèse génocidaire. Pourtant, ce mot s’impose, précisément parce qu’il inverse les rôles : il permet d’accuser Israël avec les termes mêmes qui ont servi à désigner l’extermination des Juifs. C’est une revanche symbolique, une manipulation de la mémoire.

La stratégie de la victimisation

Le Hamas, lui, a parfaitement compris la logique médiatique de notre temps. Son objectif n’est pas de protéger sa population, mais de la sacrifier. En se dissimulant parmi les civils, en installant ses infrastructures militaires sous les écoles et les hôpitaux, il fabrique délibérément les conditions de la tragédie. Chaque enfant tué devient une arme de propagande. Chaque image de ruine est une victoire politique.

L’opinion publique occidentale, saturée d’images, se laisse prendre à ce piège. Elle inverse la causalité : ce ne sont plus les islamistes qui causent la mort de leurs propres enfants, mais l’armée israélienne qui les ciblerait volontairement. On entre alors dans un univers de mythes, où la compassion pour la victime l’emporte sur toute analyse des responsabilités.

L’ONU et la légitimité ambiguë

C’est dans ce contexte qu’intervient la reconnaissance de l’État palestinien à l’ONU par certains pays européens, suivis par la France. En soi, l’idée d’un État palestinien n’a rien d’illégitime : elle correspond à la solution des deux États envisagée depuis des décennies.

Mais la situation concrète est tout autre. Le Hamas domine Gaza, il influence profondément l’opinion palestinienne, et il pourrait à nouveau remporter des élections libres. Reconnaître l’État palestinien aujourd’hui, c’est donc conférer indirectement une légitimité à un mouvement que nous qualifions ailleurs de terroriste. C’est vouloir la paix tout en consacrant comme interlocuteur un acteur qui nie jusqu’au droit d’exister de l’État voisin.

Le symptôme d’une crise occidentale

L’« incompréhension radicale » n’est pas un simple aveuglement. Elle révèle une crise plus profonde de nos sociétés. Nous avons perdu la capacité d’appliquer des principes universels sans exception. Nous nous laissons guider par l’image immédiate, par la compassion sélective, par la mauvaise conscience historique.

En refusant de voir dans le Hamas ce qu’il est – un islamisme parmi d’autres – nous trahissons nos propres critères. Nous croyons défendre une cause humanitaire, mais nous légitimons un projet totalitaire. Nous croyons œuvrer pour la paix, mais nous alimentons la guerre.

Il y a là un diagnostic sur notre époque : l’impossibilité d’assumer la singularité d’Israël et, à travers elle, la singularité du destin juif. C’est cette impossibilité qui fait de nous des contemporains aveugles, prisonniers d’une mémoire retournée contre elle-même. L’exception que nous accordons au Hamas nous condamne : elle est le miroir de notre incapacité à penser clairement, donc à agir efficacement, face au retour de la barbarie islamiste.

Ballon d’Or: plus gonflant que gonflé!

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L’attaquant du Paris Saint-Germain Ousmane Dembélé content après son but lors de la demi-finale de la Coupe du monde des clubs face au Real Madrid, disputée dans le New Jersey le 7 août 2025 © Pamela Smith/AP/SIPA

Qui pour succéder à l’Espagnol Rodri au palmarès du Ballon d’Or? Si ce grand raout mondain du football mondialisé vous passionne encore (autrement dit: si vous aimez regarder des millionnaires en costard et leurs femmes sur leur 31 attendre un des trop nombreux trophées dorés sous les lustres du Théâtre du Châtelet) alors sachez qu’on nous vend déjà Ousmane Dembélé comme favori.


Il fut un temps, que les moins de 20 ans n’ont pas connu, où le Ballon d’Or (qui récompensait alors uniquement le meilleur footballeur européen) était un vrai… cadeau de Noël. Créateur en 1956 de ce trophée, l’hebdomadaire France-Football révélait le nom du lauréat dans son dernier numéro avant Noël. Ce jour-là, un mardi, les amateurs de foot, grands et petits, avec l’excitation d’un gamin devant une pochette-surprise, se rendaient au kiosque (échoppe où se vendaient alors des journaux en papier, qu’on récupérait ensuite pour emballer le poisson) pour découvrir quel joueur avait décroché la une, pour connaître le nouveau Ballon d’Or.

Je vous parle d’un temps…

Et ensuite, comme au lendemain d’une élection politique, en pages intérieures ils épluchaient dans le détail le choix des journalistes européens habilités à voter. Le 22 décembre 1958, Raymond Kopa était le premier Français à inscrire son nom au palmarès… Le 24 décembre 1985, Michel Platini remportait son troisième Ballon d’Or… Le 22 décembre 1998, c’est Zinedine Zidane qui triomphait.

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C’était au siècle dernier, à la bonne franquette, la magie de Noël faisait scintiller l’or du ballon et briller le regard des enfants. Aujourd’hui, le scrutin épousant la saison sportive, à cheval sur deux années civiles, le verdict, désignant désormais le meilleur joueur mondial, est rendu à l’automne, à la saison des feuilles mortes.

Ennuyeux tapis rouge

L’occasion d’une soirée de gala à Paris, télévisée sur l’Equipe 21, cette année en direct du Châtelet, c’est au théâtre ce soir, mais la pièce jouée ne vaut pas un clou. Pour faire durer l’ennui, on distribue également un prix au meilleur espoir, au meilleur gardien, au meilleur entraîneur, à la meilleure joueuse, pas encore au meilleur supporteur ou au joueur ayant fait son coming-out, mais cependant un prix pour le footballeur le plus engagé dans l’action sociale et solidaire !

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Les joueurs, avec des compagnes sur leur 31, foulent le tapis rouge, déguisés en stars du show-biz au festival de Cannes, ce qui fait une belle jambe aux amateurs de foot qui les préfèrent en short sur un rectangle vert. Dans la salle, la grande famille du football sourit benoîtement comme celle du cinéma à la cérémonie des César.

Pour apporter un peu d’animation, depuis deux ans la polémique s’invite… En 2024, informés que le trophée serait attribué à Pedri un joueur de Manchester City, les joueurs et les dirigeants du Real Madrid avaient boycotté l’événement. Cette année, pressentant que le lauréat sera Yamal un joueur de Barcelone, ou Dembélé un joueur du PSG, Kylian Mbappé, ancien joueur du PSG mais nouveau joueur du Real, s’est fait porter pâle. Cela dit, les absents n’ont pas toujours forcément tort…


Dernière minute !!
Cela dit, les absents n’ont pas toujours forcément tort, ou peuvent avoir une bonne… excuse, tombée du ciel. Le match Marseille-PSG était programmé hier dimanche soir, mais annulé pour cause de pluies diluviennes sur le Vieux Port, il est reporté ce lundi, à la même heure que la cérémonie du Ballon d’Or, ce qui explique l’absence des joueurs du PSG au Châtelet (à l’exception de Dembélé, actuellement blessé et disponible pour enfiler un smoking). Pareil carambolage n’arriverait pas si la cérémonie se déroulait pendant la trêve des confiseurs, à… Noël.

Quelle connerie la guerre…

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(C) Originals Factory

 © 2025 The Associated Press et WGBH

Dans une plaine pelée criblée de carcasses et d’arbres fracassés, maculée d’entonnoirs jusqu’à l’horizon, la petite troupe des fantassins lourdement harnachés, le casque bizarrement emmailloté de ruban adhésif bleu ou jaune, « poilus » souvent imberbes, s’enterrent dans des tranchées. Fracas d’artillerie, éclats, tirs sporadiques. Les blessés hurlent de douleur, dont on garrote avec les moyens du bord un bras, une jambe, avant de les évacuer, pourvu que le blindé salvateur arrive à démarrer dans la boue. Des macchabées en treillis gisent çà et là sous le bleu indifférent du ciel, dans le vacarme incessant des armes automatiques. On « bute » d’une brève rafale ou d’une grenade un type pris pour cible à moins de cinquante mètres de distance, en le traitant de « fils de pute ». Ou bien, après avoir froidement abattu son binôme, on déloge de son abri souterrain le dernier gus encore vivant, sous la menace de le liquider comme un chien s’il ne sort pas en rampant à plat ventre – hère hirsute, hébété, doublement captif car, pressé de questions, le mongol avouera ne pas savoir pourquoi on l’a envoyé dans cet enfer. D’un chaton recueilli au fond d’une cave, la brigade se fera une mascotte…

Village fantôme

Nous ne sommes ni dans un film d’archives colorisé de la Grande guerre, ni dans un jeu vidéo. Mais en 2023, sur le front du Donbass, côté ukrainien, capté en live par la caméra numérique HD collée comme une seconde peau à l’opérateur. La troisième brigade d’assaut dispute à l’ennemi le village d’Andriivka, en périphérie de Bakhmout, à deux heures de la ville de Kharkiv.  Comme le territoire est entièrement miné, le seul moyen de reprendre Andriivka à l’adversaire, c’est de se couler dans l’étroit corridor forestier qui reste encore pratiquable.

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Paradoxe de cette guerre de tranchées « archéologique » par bien des traits, en ce que son spectacle visuel renvoie implicitement à l’imagerie de 14-18 tels que restituée par ces innombrables films d’archives vus et revus. Sinon qu’ici la menace des essaims de drones ou les mouvements de troupe sont repérés, en arrière du front, dans une casemate bardée d’informatique dont les servants s’activent devant un mur d’écrans, et informent les combattants de la brigade d’assaut en temps réel, eux-mêmes suréquipés de matériels de haute technologie. Ancien préparateur de commande, Fedya, 24 ans, est à la tête de ce petit commando qui finira par planter le drapeau ukrainien, un peu dérisoirement, dans Andriivka dévasté, village fantôme au cœur d’un paysage de fin du monde. À quoi bon ? En attendant, les mères pleurent leurs fils fauchés de bonne heure, dans une interminable procession de cercueils.

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Hécatombe quotidienne

Tout aussi saisissant que le film 20 jours à Marioupol, prix Pulitzer en 2024, ce deuxième volet, A 2000 mètres d’Andriivka, nous rapproche pas à pas d’un but évanescent, aux côtés de ces guerriers pleins d’une bravoure aussi attachante que dérisoire. De fait, à peu de temps de là, les Russes reprendront cette minuscule parcelle arrachée à l’ennemi au prix d’une hécatombe quotidienne. En quoi le film, sur le fond, semble décidément épouser l’approche américaine dans son appel à déposer les armes coûte que coûte. Car comme dit la chanson, « quelle connerie la guerre » !


À 2000 mètres d’Andriivka. Documentaire de Mstyslav Chernov. Ukraine, États-Unis, couleur, 2025. Durée : 1h51
En salles le 24 septembre 2025.

Au Brésil, l’âme de la Confédération sudiste subsiste

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Sur cette photo prise le dimanche 26 avril 2015, des descendants des Américains du Sud Philip Logan et de son épouse Eloiza Logan posent pour des photos lors d’une fête célébrant le 150ᵉ anniversaire de la fin de la guerre de Sécession, à Santa Bárbara d’Oeste, au Brésil. Chaque année, des milliers de personnes participent à l’événement, notamment de nombreux descendants des dizaines de familles qui, attirées par les offres de concessions de terres du gouvernement brésilien, se sont installées ici entre 1865 et environ 1875, ainsi que des amateurs de musique country, des passionnés d’histoire et des habitants ayant une envie de biscuits étasuniens... © Andre Penner/AP/SIPA

Chaque année, la Festa dos Confederados réunit à Santa Bárbara d’Oeste les descendants des Sudistes installés au Brésil après la guerre de Sécession. Entre folklore revendiqué et héritage esclavagiste évidemment contestable, la fête ravive les tensions sur la mémoire et le racisme au Brésil.


Tous les ans, à Santa Bárbara d’Oeste, au Brésil, une foule bigarrée se presse autour d’un cimetière centenaire. Hommes en bottes et stetsons, femmes en robes à crinoline, jeunes danseurs arborant fièrement le drapeau confédéré : la Festa dos Confederados (fête des Confédérés) a des airs de bal costumé. Mais, derrière les sourires et les barbecues, les odeurs de steaks grillés et les airs de violons et d’accordéons se cache une mémoire lourde, qui divise le Brésil contemporain.

Quand le Brésil était un refuge pour migrants sudistes

En avril 1865, l’armée confédérée est vaincue, contrainte de signer sa reddition. Basé sur le commerce de l’esclavage, c’est tout un mode de vie qui s’écroule pour des milliers de planteurs de coton. Refusant de se soumettre à la Reconstruction et aux ordres humiliants de l’Union, certains vont chercher ailleurs une terre où reproduire leur modèle économique et social. Jeune nation indépendante depuis cinq décennies, l’empire brésilien de Dom Pedro II va alors devenir un refuge pour ces sudistes qui retrouvent toutes leurs privilèges perdus. Non seulement le pays maintient encore l’esclavage, mais il propose des avantages attractifs: terres fertiles achetables à un coût dérisoire, transport facilité, exonérations fiscales.

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C’est ainsi que près de 2 000 Américains, principalement originaires de l’Alabama, du Texas et de la Géorgie, s’installent dans l’État de São Paulo. Dans leurs bagages, des esclaves ramenés de force dans leur nouvel habitat tropical comme en témoignent les archives d’époque qui mentionnent également l’achat de captifs raflés sur les côtes africaines, revendus par les roitelets locaux aux navires européens venus s’approvisionner en marchandise humaine. Cette petite société va rapidement s’organiser et récréer tous les éléments d’un « petit Sud » qui entend survivre aux affres de l’histoire envers et contre tout.

En 1867, cette communauté se dote d’un cimetière au décès du premier de ses membres afin de pouvoir enterrer ses défunts selon le rite protestant toléré dans ce vaste empire catholique. Le « Cemitério do Campo » abrite encore aujourd’hui entre quatre et cinq cents tombes, une chapelle œcuménique et de nombreux objets liés à la Confédération, dont un obélisque dressé afin de rappeler cette épopée qui fait aujourd’hui débat dans la société brésilienne. Bien que l’esclavage ait été aboli en 1888 par la monarchie par la suite, c’est ici que les descendants de ces confédérés continuent encore de se réunir pour entretenir la mémoire de leurs ancêtres, derniers tenants d’un monde disparu où la hiérarchisation raciale et l’économie esclavagiste jouèrent un rôle central encore longtemps.

Une curiosité touristique

Pendant des décennies, la célébration a été localement vue comme une curiosité historique et un attrait touristique. Mais, avec l’apparition du Black Lives Matter (BLM) aux États-Unis, la visibilité publique du drapeau et des symboles confédérés a déclenché des critiques croissantes de la part des mouvements antiracistes, d’élu(e)s et de la société civile brésilienne. Le débat local s’est rapidement durci entre défenseurs d’une « tradition » commémorative et partisans d’une réévaluation critique du passé.

Pour les descendants des Confédérés, cet héritage, qu’ils célèbrent, n’a rien à voir avec l’esclavage. Rogério Seawright, ancien président de Fraternité des Confédérés, affirme que leur apport réside dans « les écoles, les hôpitaux, la pastèque Georgia Rattlesnake », et rejette toute accusation : « Cet héritage d’esclavage appartenait déjà au Brésil. » Il défend aussi le drapeau confédéré, symbole selon lui de leur origine.

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Mais face à ce discours, la contestation est de plus en plus vive. Les détracteurs de cette cérémonie ont réclamé que les rues rappelant ce passé sudiste, telles que Pyles, Crisp, MacKnight et Jones, soient renommées afin d’effacer toute trace de cet américanisme controversé. L’ancienne députée Erica Malunguinho a obtenu l’interdiction de ce drapeau, jugé lié au suprémacisme blanc et au Ku Klux Klan. Les tensions entre les deux communautés se sont accentuées après la visite de l’ancien député Eduardo Bolsonaro, fils du président du même nom accusé de tentative de putsch, à Santa Bárbara, soutenue par la Fraternité. En réaction, la conseillère municipale Esther Moraes (Verts) et des associations ont proposé de bannir avec succès tout symbole « raciste » des événements publics. Pour la militante Silvia Motta, l’enjeu est clair : « Tout ce qui appartient à la population noire est effacé » par les descendants des esclavagistes, d’après elle.

Le changement de gouvernance lors des dernières élections présidentielles dans le pays (2022) ont permis aux associations d’obtenir finalement gain de cause. Depuis janvier 2025, la Festa dos Confederados a décidé de se défaire définitivement de son passé et de s’appeler « Fête des Américains ». Les drapeaux confédérés de la ville ont tous été recouverts de peinture, comme le symbole arborant un obélisque au centre-ville, portant les noms de famille des soldats sudistes. Interrogés, le nouveau dirigeant de la Fête, Marcelo Sans Dodson, explique que la fête sera désormais axée sur la célébration de l’immigration américaine dans son ensemble, et non plus seulement de leur passé lié à la guerre de Sécession… Même si on peut encore y entendre Dixie, l’hymne confédéré, entonné par les descendants de ces colons, grimés tel qu’on peut le voir dans le film Autant en emporte le vent. Un peu comme en avril dernier où les Américains ont commémoré le 160e anniversaire de la reddition sudiste, à Appomattox. La Festa dos Confederados illustre parfaitement la persistance des tensions raciales au Brésil à l’heure où les États-Unis réhabilitent les noms et statues confédérées déboulonnées: sous couvert de folklore et de costumes pittoresques, elle recycle un imaginaire qui glorifie l’ordre ségrégationniste d’hier. Quoiqu’on en pense, elle reste plus que jamais le miroir de l’histoire brésilienne: une société qui, aujourd’hui encore, peine à regarder en face ses propres fondations et son histoire avec le recul que cela impose.

L’Intelligence artificielle, ou le réenchantement du monde pour les nuls

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L'ingénieur français Arthur Mensch, cofondateur de Mistral AI, Paris, 10 février 2025 © Michel Euler/AP/SIPA

On savait notre chroniqueur farouche détracteur de l’Intelligence Artificielle qui permet à tant de journalistes d’écrire des articles bien informés et vides de sens. Le voici qui craint désormais une déculturation massive, une perte sans précédent de compétences. N’exagère-t-il pas ?


Dans un article récent du Figaro, Luc Ferry explique que l’utilisation massive de l’IA entraîne déjà chez les étudiants un « Deskilling », une perte de compétences et de savoir-faire (« skills »). À quoi bon apprendre, estiment-ils, si une machine est « plus performante qu’eux dans tous les domaines de l’intelligence et du savoir ? » 

Et d’ajouter, dans un style exclamatif assez peu philosophique :
« 88 % des étudiants font faire leurs devoirs par ChatGPT ! Les derniers modèles d’IA permettent en outre de contourner l’interdiction de tricher: il suffit d’une oreillette et d’un smartphone bien cachés pour soumettre discrètement les sujets de l’examen à une IA et obtenir les réponses tout aussi discrètement en quelques secondes. Cette situation est désormais réelle. Elle a été constatée lors d’un examen de l’ULB, l’université de Bruxelles, le professeur ayant demandé à ses étudiants, pour défendre le principe de l’égalité pour tous, de découvrir leurs oreilles afin d’éviter la triche que permet l’usage d’oreillettes dissimulées. Sa demande, bien légitime, a suscité une incroyable polémique, les étudiantes voilées ayant déposé un recours contre lui au nom de la liberté religieuse ! »

Un joli prétexte pour rester voilées et tricher.

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Mais l’ancien ministre reste au seuil de la compréhension du problème. L’IA n’est pas seulement un outil. C’est une divinité.

On se souvient que Max Weber, dans L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme (1904-1905), avait théorisé le « désenchantement du monde » : après une phase primitive où tout est signe divin (fétichisme), l’humanité est passée par une phase polythéiste, avec des dieux spécialisés, puis monothéiste, avec un Dieu tout-puissant, et enfin une phase athée, où l’homme est son propre dieu. Nous en sommes aujourd’hui, depuis que l’informatique domine nos vies, à une phase égothéiste, où nous pensons être grands ordonnateurs de la pensée, alors que nous sommes les esclaves des ordinateurs auxquels nous demandons humblement des réponses à nos questions. La servitude volontaire dont parlait La Boétie nous tend ses bras et ses micro-processeurs.

Les médecins déjà avouent que l’IA est bien plus forte qu’eux pour diagnostiquer des maladies non encore perceptibles par les outils ordinaires. Les étudiants se confient aux machines pour étudier à leur place. Les journalistes, subventionnés ou non par les fabricants de merveilles, chantent les louanges de ChatGPT dans des articles écrits… par ChatGPT.

J’ai déjà tenté d’expliquer qu’il s’agit là d’une illusion extrêmement dangereuse — et d’autant plus dangereuses que la « Gen Z », ou génération Z, arrive aux manettes — et dans les salles de profs, où elle prépare ses cours avec l’IA, pense avec l’IA, et corrige avec l’IA des copies écrites avec l’IA. Mal formés par des enseignants qui ont baissé les bras devant des politiques de médiocrité généralisée, ces nouveaux boomers confondent compétences et savoirs. L’IA est sans égale dans le domaine des compétences. Elle est nulle dans le domaine du savoir. Au point que Raphaël Enthoven, qui n’est pas exactement Aristote ni Kant, a enfoncé ChatGPT il y a deux ans en proposant une dissertation de baccalauréat infiniment plus élaborée que ce que proposait la machine, réglée pour se limiter à une médiocrité de bon ton. Inintelligence artificielle, disais-je…

La fin du facteur humain

Ah oui, les médecins s’en remettent à l’IA ? Et les futurs docteurs se fient aux machines pour élaborer des diagnostics ? Demandez-leur donc comment elles annoncent à un patient atteint d’un cancer du pancréas qu’il va mourir dans un délai de six à neuf mois. Avec quelle délicatesse elles lui fourniront immédiatement des modèles de testaments.

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Sans compter que la machine, à laquelle on a intégré nécessairement la question du coût des traitements, vous abandonnera en rase campagne si elle estime votre survie trop onéreuse pour la société. Déjà que sans IA on a multiplié les déserts médicaux…

L’IA signe la fin du facteur humain. Jadis les dieux (ou le dieu) trônaient au-dessus des homes. Désormais c’est un outil de plastique qui est installé dans les foyers comme une divinité tutélaire, disponible dans la poche des pantalons comme autrefois les dieux lares. C’est le totem du New Age.

Les machines ont leur utilité — elles sont les Pic de la Mirandole de la modernité. Monsieur-Madame Je-sais-tout. Des machines dégenrées, un rêve de jobards LG-hébétés. Pas de quoi briser les ordinateurs, les smartphones, les montres connectées et autres merveilles auxquelles nous soumettons notre humanité. Mais il est essentiel d’expliquer que notre humanité ne sera jamais réductible à une mémoire artificielle — parce qu’elle est par définition dépourvue d’émotions. Et c’est ce qui fonde notre humanité.

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Quincy Jones, l’homme qui murmurait à l’oreille des notes

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Le musicien américain Quincy Jones (1933-2024) © Effervescence / FTV.

Demain soir, lundi 22 septembre, sur France 4, sera diffusé à 21 h 05 le documentaire « Music Man » réalisé par Olivier Lemaire et raconté par MC Solaar sur la carrière et la vie de Quincy Jones (1933-2024), des caves de Saint-Germain-des-Prés à Thriller, de la ségrégation musicale aux 28 Grammy Awards, du producteur de Bad aux salles de cinéma. Monsieur Nostalgie l’a vu en avant-première. Et vous le recommande vivement.


On a beau chercher. Essayer de trouver la recette de Quincy. Du son Quincy Jones. On n’y comprend rien. Les plus érudits se perdent en conjectures. Le génie ne s’explique pas. On s’incline devant lui. Un point, c’est tout. De l’intrication des notes à la mélodie brillante. Du clinquant apparent à cette multitude de strates enfouies. C’est un mystère. Les contraires s’assemblent. Les certitudes volent en éclat. Chez Quincy, deux forces de même intensité se percutent pour créer une nouvelle identité musicale. Il y a d’un côté, le rythme, la scansion, la tension dramatique, un punch qui vous fait lever de votre chaise pour bouger les bras et les jambes, vous l’entendez cette basse satanique et ses cordes diablesses, les cuivres crient famine, la colère du ghetto de Chicago est alors comprimée, transfigurée en une invention, Quincy écrit une nouvelle langue ; on nage d’abord en plein bebop, une cool attitude matinée de funk et de disco va bientôt vous atteindre, déferler sur votre cerveau, impossible d’y résister, cette eau vive irriguera votre corps. Quincy a plus d’un tour dans son cahier de solfège, il ne dédaigne pas les affabulations électroniques, il sait tout faire, diriger un orchestre symphonique comme lui a appris Nadia Boulanger ou chercher dans la puissance des ordinateurs, d’autres couleurs, d’autres percussions intérieures, d’autres voies lumineuses.

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Quincy est un dieu-arrangeur de Sinatra au Prince de Bel-Air, il peut tout s’autoriser. De la Bossa qui flirte avec des langueurs funky. De la pop sirupeuse qui fermente comme un vieux Rock. N’essayez pas de l’enfermer, de le réduire à un groove particulier, à une Soul charnelle ou à un rôle de faiseur de hit-parades. Ce serait une erreur. Quincy est un producteur qui possède toutes les cultures, celles héritées de son enfance pauvre, celles de la ségrégation où les noirs avaient interdiction de toucher aux cordes dans un pays qui se disait pourtant libre, celles des clubs de jazz, du compagnonnage avec Count Basie, Ray Charles son vieux complice, Dizzie, Lionel Hampton ou Sarah Vaughan, mais il est aussi immergé dans la musique classique, Debussy est là, en décalque, en apnée féérique et puis toutes les autres tendances que lui seul voit venir à l’horizon. Quincy est un mixologue inventif, disruptif et solaire. Il précède les modes. Les ténors du hip-hop, Snoop, Ice-T, Dr. Dre et les autres savent ce qu’ils lui doivent. Ils le sampleront jusqu’à leur mort. Il est le Sound Master de leur Sound Blaster. Dans son shaker, on retrouve toute une palette de sentiments contrastés, l’envie de faire la fête, de se désarticuler sur la piste, de nager nu dans le Pacifique et puis, en contrepoint, en rêverie, une mélancolie songeuse fait dériver votre cerveau très loin sur les rives de l’enfance. Quincy passe au tamis toutes les musiques, peu importe les genres, les instruments, les latitudes, les identités, il les façonnera à son instinct. C’est un diamantaire. Le documentaire d’Oliver Lemaire porté par la belle voix chaloupée de MC Solaar réussit à résumer en une heure une vie professionnelle aussi riche et surtout donne envie d’écouter ou de réécouter l’œuvre de Quincy. Une année n’y suffirait pas. Mon souhait le plus cher serait de plonger durant des mois dans sa caverne magique. Je commencerais par « The Dude », son album-signature et je retournerais voir son « Back on the block » de la fin des années 1980, je ne pourrais faire l’impasse sur les tubes tractopelles de Michael Jackson et de George Benson.

Avec Michael Jackson, capture d’écran.

Avant de m’endormir, chaque soir, je prendrais une dose de « Summer in the city ». Après Quincy sorti sur Netflix en 2018[1] et « The Greatest Night in Pop » qui raconte la genèse de « We are the world » avec Lionel Richie[2], « Music Man » est un voyage délicat, très bien écrit, élégant qui se regarde avec plaisir. Le documentaire n’oublie pas de rappeler que la France a toujours tenu une place de cœur dans la carrière de Quincy en soulignant ses liens fraternels avec Eddie Barclay, Aznavour ou Henri Salvador. Les musiciens noirs qui débarquèrent à Paris dès les années 50 furent accueillis à la hauteur de leur talent. Il y a un tout petit peu de France dans le succès planétaire de Quincy, un goût pour la liberté.

Lundi 22 septembre à 21h05 sur France 4
52 minutes
https://www.france.tv/documentaires/


[1] https://www.netflix.com/fr/title/80102952

[2] https://www.netflix.com/fr/title/81720500

À la recherche de Pierre Loti

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L’écrivain français Pierre Loti (pseudonyme de Julien Viaud, 1850-1923) dans sa villa de Rochefort-sur-Mer. Illustration parue dans Je Sais Tout (magazine, 1909) © Cci/Shutterstock/SIPA

« Le Monde selon Pierre Loti », le documentaire de Michel Viotte diffusé le 26 septembre sur France 5, est remarquable


Parrainé par un Stéphane Bern dont les propos liminaires célèbrent « l’écrivain voyageur à l’imagination fertile » […], « cet insatiable curieux [qui] a navigué sur presque toutes les mers, partant à la découverte de terres parfois quasi inexplorées, de lieux et de peuples qu’il voulait encore authentiques, lui dont l’âme romantique le portait vers le passé », l’ouvrage Les vies de Pierre Loti,  paru sous les auspices des Editions de La Martinière au moment même où rouvrait sa fameuse maison rochefortaine, restaurée comme l’on sait après plus de douze ans de fermeture, constitue bel et bien ce viatique indispensable à qui veut comprendre les relations complexes entre l’officier de marine et l’homme de lettres, le très talentueux dessinateur et bon pianiste, le chineur compulsif et l’hédoniste intempérant, le protestant et l’athée idolâtre des sites sacrés, l’ascète et l’amphitryon travesti, le bourgeois déclassé devenu célèbre et fortuné par la grâce de sa plume, le docte académicien et le nomade en burnous, en costume de spahi, en tenue d’ Albanais voire même en feuille de vigne…

Imaginaire débridé

Car ce n’est pas le tout de pénétrer, à Rochefort, sise rue Chanzy, dès longtemps rebaptisée « rue Pierre Loti », dans le scrupuleux capharnaüm de l’illustre Maison de Loti, et d’en savourer l’exubérance épicée, l’exotisme éclectique, la surprise délibérée des agencements. Encore faut-il, pour comprendre les ressorts de cet imaginaire débridé, cristallisé derrière la sobre modénature d’une façade en pierre de taille à la blondeur emprunte de respectabilité, larguer les amarres de Rochefort et voguer aux antipodes, dans le sillage de Loti. Illustré de près de quatre cents documents iconographiques – photos de et par Loti, superbes dessins et aquarelles de Loti encore, ou gravures réalisées d’après lui, affiches, caricatures d’époque, pages manuscrites, cartons d’invitation et autre menu de ce « dîner Louis IX » arrosé «  de plusieurs vins, de cervoise et d’hydromel », couvertures de L’illustration, du Petit journal ou de l’hebdomadaire Le Monde illustré… – le « grand format » que voici part à la recherche de Pierre Loti : à travers lui, il nous fait miraculeusement retrouver ce temps perdu.

Rédigé d’une belle plume sous l’attentif patronage d’Alain Quella-Villéger, spécialiste émérite de l’auteur d’Aziyadé, de Pêcheur d’Islande ou de Mon frère Yves, le texte de Michel Viotte invite le lecteur, contrepoint de cette fabuleuse iconographie et des scrupuleuses notices qui l’accompagne, à un voyage dans ce passé pour nous tout à la fois si lointain et si proche, sous toutes les latitudes où Loti démultiplia son existence dans tous les Orients du globe, de l’île de Pâques à la vallée du Nil, de Dakar à Istambul, du Tonkin au Japon, de l’Algérie française aux Indes britanniques…

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Cette invite à acquérir le précieux volume des Vies de Pierre Loti, votre serviteur l’accompagne de celle, encore plus pressante, de visionner Le monde selon Pierre Loti, passionnant documentaire, également cosigné Viotte & Quella-Villéger. Nourri d’éloquents et superbes documents et images d’archives, ce film parvient, en moins d’une heure, à entrecroiser avec beaucoup de finesse le récit biographique, la chronologie des voyages, la carrière de l’officier de marine et ses amitiés viriles, le regard sur l’œuvre romanesque mais également sur l’essayiste et journaliste controversé que fut l’académicien, le contexte historique et géopolitique du temps, la visite de la maison de Rochefort et l’évocation des fêtes déguisées qui s’y donnaient, comme des villégiatures basques ou bretonnes, l’approche sans détour des ambiguïtés libidinales et des hantises métaphysiques propres au personnage…  Chose rare par les temps qui courent, la production a su résister à la profonde débilité du genre docu-fiction, ce nouveau formalisme télévisuel où ici, quelque médiocre acteur aurait pu cachetonner sous l’apparence douteuse d’un « Pierre Loti » inséré dans  des reconstitutions improbables…

Non seulement on échappe donc à ce travers désastreux, mais Le monde selon Pierre Loti  est la promesse d’alimenter encore votre rêverie sur de bonnes bases d’érudition. Et, sait-on jamais, l’occasion d’inciter les jeunes générations à lire Loti dans le texte ?  Rendez-vous au 22 septembre, en deuxième partie de soirée sur France 5, ou ensuite à la demande sur France.tv.


En librairie : Les vies de Pierre Loti, par Michel Viotte, avec la collaboration d’Alain Quella-Villéger). Avant-propos de Stéphane Bern. Editions de La Martinière,  240p. 2025.

A voir : Le Monde selon Pierre Loti, documentaire de Michel Viotte (co-écrit avec Alain Quella-Villéger). France, couleur, 2025.  Durée : 52mn. Vendredi 26 septembre à 22H35 sur France 5 et sur france.tv à la demande.

Turning Point Paris ?

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Erik Svane, blogueur, et le chat Jixie en renfort du trumpisme français, Paris, 19 septembre 2025 © Wilson T

Après son assassinat, les Américains rendent un hommage géant à Charlie Kirk en banlieue de Phoenix, dans l’Arizona, ce dimanche. À Paris, vendredi soir, des militants français de la droite radicale s’étaient réunis dans le centre de la capitale.


Vendredi 19 septembre, à 18 h, la statue de La Fayette, située à deux pas de la place de la Concorde et du Grand Palais, s’ennuyait moins que d’habitude. À ses pieds, environ cinq cents participants étaient venus rendre un hommage trumpiste à Charlie Kirk, la jeune star du conservatisme américain assassinée le 10 septembre en plein discours.

À mi-chemin entre liturgie trumpiste et revival protestant, l’ambiance était résolument américaine : banderoles étoilées, minute de silence, prières, discours ponctués de références bibliques, citations de Burke et de Tocqueville… Le tout rythmé par l’hymne américain, régulièrement interprété par une cantatrice italienne déjà sollicitée lors du tournoi de NBA à Paris.

Florian et Laurent, Canadiens, familiers de l’Amérique du Nord ont sorti l’outfit trumpiste pour l’hommage à Kirk. Photo: Lucien Rabouille

Organisé dans l’urgence de l’émotion, le rassemblement a réuni toute la galaxie des trumpistes français, familiers des vidéos de Charlie Kirk bien avant que son assassinat n’en fasse une icône du conservatisme mondial. Au micro se sont succédé Philippe Karsenty, ancien adjoint à la mairie de Neuilly-sur-Seine et animateur du comité Trump France, puis Kate Pesey, directrice de la bourse Tocqueville, qui « perpétue l’héritage intellectuel d’Alexis de Tocqueville » en envoyant chaque année de jeunes gens prometteurs découvrir le modèle politique américain. Elle a déclaré mener un combat « contre les forces anti-chrétiennes », tandis qu’un abbé venu spécialement a fait réciter un Notre-Père, le tout sous une banderole « Je suis Charlie » en hommage aux laïcards de Charlie Hebdo. Singulier syncrétisme : un brin de biblisme américain mêlé à l’esprit voltairien français.

Biblisme américain et « Je suis Charlie »

En France, on sépare volontiers politique et religion. Ce soir-là, la droite s’était mise à l’heure américaine et brouillait les frontières. La militante féministe Marguerite Stern, poing et chapelet levés, évoqua le « martyre » de Charlie Kirk et invoqua sa présence « mystique », tout en faisant applaudir à tout rompre la décision de Donald Trump de classer les Antifa comme organisation terroriste. Randy Yaloz, pour Republicans Overseas (association qui regroupe les membres du Parti républicain expatriés), rappela le goût de Kirk pour les débats difficiles – le jeune homme avait fait de la confrontation en terrain universitaire hostile sa marque de fabrique. Un orateur rappela que Moïse, bègue à ses débuts, dut apprendre à bien parler pour convaincre Pharaon : « On affûte mieux ses arguments dans la confrontation d’idées. »

A relire, Nicolas Conquer: Assassinat de Charlie Kirk, le point de bascule

Damien Rieu, l’influenceur identitaire, adopta parfaitement le ton à l’américaine avec séquence émotion et évocation de la famille du militant assassiné : « Chers enfants d’Erika et Charlie Kirk, votre père n’était pas seulement le plus brillant débatteur de notre camp : il était d’abord celui qui vous portait sur ses épaules, qui vous lisait des histoires, qui priait pour vous chaque soir. » Dans ce climat où la foi se mêlait à l’action politique, la conclusion paraissait presque naturelle : le « martyre » de Charlie Kirk, ainsi que le rappelait Tertullien pour les premiers chrétiens, deviendrait lui aussi « semence de chrétiens » – mais de chrétiens… trumpistes.

Réunion de famille

Trump et la droite américaine comptent déjà quelques fans en France. Sur place, un public varié : quinquagénaires catholiques pratiquants de l’Ouest parisien en perfecto, Franco-Américains, fans de Trump français, bikers arborant casquette MAGA et bannière étoilée en bandoulière, mais aussi quelques militants issus des syndicats étudiants comme la Cocarde (RN-compatible) ou l’UNI (LR-compatible). La députée IDL (Identité et libertés) Anne Sicard, proche de Marion Maréchal, avait également fait le déplacement. Plus inattendu, on croisait aussi quelques jeunes du « lycée autogéré » de Paris, venus anonymement mais sensibles aux discours sur la « liberté d’expression » et les « risques personnels et professionnels » encourus par les militants conservateurs.

Beaucoup avaient déjà découvert les influenceurs MAGA ou conservateurs américains sur Internet. Outre le défunt Charlie Kirk, les vidéos de PragerU (dont un message a été lu à la tribune) ou celles de Joe Rogan, populaires aux États-Unis, ont aussi trouvé un public à l’étranger. Ces contenus ont contribué à ramener une partie du vote jeune, traditionnellement acquis aux démocrates, vers le Parti républicain en 2024 et joué un rôle décisif dans la victoire de Trump.

Un Turning Point à la française ?

Le Franco-Américain Nicolas Conquer, maître de cérémonie, diffuse activement les idées de la droite américaine en France. Par son style et son verbe facilement identifiables, il est devenu depuis les élections de 2024 le visage et la voix du trumpisme hexagonal. Dans sa conclusion, il a appelé de ses vœux à reprendre en France le combat de Charlie Kirk pour la liberté d’expression et le conservatisme. De là à envisager un Turning Point USA à la française, du nom de la plate-forme politique fondée par Kirk ? À la tribune, Conquer a loué la capacité qu’avait Kirk à lever des fonds et à bousculer les médias traditionnels.

Mais, un Américain de Floride installé en France tempère l’enthousiasme : « Ce modèle repose sur les fondations privées, la culture du don. Cela n’est certes pas complètement impossible, mais nos cultures politiques sont bien différentes. » La Ve République est en effet moins souple que la Constitution américaine concernant les dons. Outre-Manche, le projet a déjà trouvé un écho avec Turning Point UK. Pourquoi pas ici ? « Le plus tôt sera le mieux », confie une participante. « Il faut nous organiser », assure Nicolas Conquer, qui voit dans le GOP un modèle d’organisation politique capable d’inspirer les partis de droite français et européens, souvent trop centralisés et incapables de lancer de vastes plateformes de diffusion d’idées.

Le GOP américain, une inspiration pour les héritiers français du général de Gaulle, vraiment ? La statue de La Fayette, qui porta jadis les idéaux de liberté de part et d’autre de l’Atlantique, pouvait sourire : pour une fois, c’est Paris qui rejouait la partition américaine.

Edouard Bina, le président de la Cocarde étudiante, venu avec ses troupes militantes.

Que pense la «bande du Bellota» de Bruno Retailleau?

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Sébastien Lecornu et Brigitte Macron photographiés à Jakarta, en Indonésie, le 28 mai 2025 © LUDOVIC MARIN-POOL/SIPA

D’après les indiscrétions du journal Le Monde, « affamé de pouvoir » et de jambon ibérique, le trio constitué par Sébastien Lecornu, Gérald Darmanin et Thierry Solère formerait désormais le premier cercle d’Emmanuel Macron. Après avoir combattu le projet « Horizons » d’Edouard Philippe, les trois hommes voient assurément d’un mauvais œil les succès et la popularité du ministre de l’Intérieur démissionnaire…


Aucune hésitation à l’idée d’écrire un nouveau billet qui va concerner essentiellement Bruno Retailleau, ses soutiens, ses adversaires compulsifs ou masqués.

Bande des quatre, puis trois…

Parce que le ministre de l’Intérieur répond, par son action, à l’objection trop souvent entendue de sa prétendue absence de résultats. Il me suffit, par exemple, de faire référence à ses succès (évidemment relatifs) dans la politique du maintien de l’ordre, aussi bien pour la France, qui heureusement n’a pas été bloquée le 10 septembre, que pour la manifestation du 18 septembre. J’ai aimé que, dans ses diverses interventions au soir de cette dernière journée, il rappelle aux forces de l’ordre engagées et efficaces que leur seule finalité avait été de permettre l’exercice du droit constitutionnel de manifester, contre tous les casseurs et les Black Blocs.

Les propos d’un Jean-Luc Mélenchon, se vantant d’être un organisateur et un spécialiste du « bordel », sont alors d’autant plus scandaleux qu’il accuse le ministre de favoriser une violence collective qu’il prétend combattre. De telles attaques ne relèvent plus de la joute politique, même la plus vive, mais d’une mauvaise foi abyssale qu’aucun esprit partisan ne parvient à excuser.

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La raison principale qui me conduit à proposer cet article est que, si l’information est exacte, je voudrais tordre le cou à un complotisme qui serait mis en œuvre par la bande des quatre, familièrement nommée la bande du Bellota, du nom du restaurant parisien Bellota-Bellota. De la part de Sébastien Lecornu, de Gérald Darmanin, d’Édouard Philippe et du mauvais génie Thierry Solère, il s’agirait d’entraver autant que possible le futur de Bruno Retailleau dans ses visées présidentielles, que son socle ministériel demeure ou non[1].

Je prends toujours très au sérieux la politique politicienne, la « poloche » vulgairement qualifiée, parce qu’il ne faut jamais s’imaginer que le destin du pays est mis entre des esprits élevés et des mains nobles, pour ce qui concerne l’ambition de chacun. Il relève, au contraire, de coups fourrés et de la relégation de l’intérêt national au profit de calculs médiocres. Laurent Wauquiez n’est pas dans les quatre mais, contre Bruno Retailleau, il fait tout ce qu’il peut dans ce sens !

Cette bande du Bellota mérite une appréhension sinon nuancée, du moins juste, pour ceux qui la composent et dont la réunion peut surprendre un naïf comme moi, qui ne cesse d’espérer que les amitiés politiques devraient parfois céder le pas à l’éthique.

J’ai déjà dit à quel point le rôle de Thierry Solère auprès du président de la République et du Premier ministre, hier officiel, devenu officieux, tout d’entregent, de connivence et de tentation, était choquant si on veut bien considérer qu’une personnalité multi-mise en examen n’est pas la plus appropriée pour des manœuvres qui se rapportent à notre vie nationale. Je suis persuadé que Thierry Solère est sympathique, a de la faconde, n’est pas débordé par les convictions et qu’il est doué pour les complicités et fidélités amicales. Mais notre vivier est-il si pauvre qu’on soit obligé de faire appel, pour des tâches importantes, à des auxiliaires au moins discutables ?

Édouard Philippe est très habile, il flotte entre une vague loyauté – qui peut encore servir – à l’égard du président et l’envie de nous faire croire qu’il a mis de l’airain dans sa souplesse et que le Premier ministre d’hier, avec ses erreurs qui ont fait mal, fera surgir en 2027 un chef dont on cherche encore « le programme massif » et une illustration plus revigorante que celle qui l’a conduit à être modeste et pédagogue durant le fléau du Covid…

Gérald Darmanin, dans cette équipe, me pose un vrai problème. Roué, politicien, ambitieux, habité, j’en suis sûr, par la passion d’une droite sociale et populaire, il est en même temps – j’ose le terme – un formidable garde des Sceaux qui n’a que le grand tort, aux yeux de ses adversaires et même, je le crains, de beaucoup de magistrats, d’avoir identifié avec pragmatisme les maux prioritaires de la Justice et de vouloir les éradiquer dans l’urgence. On est passé d’un ministre qui éructait contre le Rassemblement national à un ministre qui est celui de la Justice. Pour moi, il serait navrant que Gérald Darmanin, sans que je sous-estime ses desseins personnels, participât à une offensive concertée contre Bruno Retailleau. On n’est jamais trop, à droite, pour aller dans la bonne direction !

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C’est aussi à cause de cette perception que je n’abonderai pas dans la description du profil d’un Sébastien Lecornu qui ne serait doué que pour les coulisses, les compromis et une politique à horizon « régionaliste », même s’il a été un remarquable ministre de la Défense et qu’il a encaissé avec classe certaines déconvenues gouvernementales.

Oui, déjeuner en paix

Les Républicains attendent beaucoup de lui, et d’abord qu’il ne cède pas trop aux socialistes que je trouve de plus en plus mauvais dans leur fond et leur tactique – fascination/répulsion à l’égard de LFI – pour obtenir un accord de non-censure. Je refuse de tomber dans un sadisme anticipé, se délectant de l’échec du Premier ministre comme s’il était inéluctable – et même désiré.

Il me semble que cette description rapide d’alliés à la fois dissemblables et résolus montre à l’évidence qu’il serait inconvenant de leur part d’assigner l’objectif médiocre de briser net la chance, pour une droite authentique, non seulement de reprendre le haut du pavé républicain mais aussi de laisser espérer, pour 2027, son retour avec la certitude que, pour une fois, ses promesses seraient tenues.

Non pas forcément tous pour un, mais pas quelques-uns mus par des ressorts équivoques contre un. Qu’on ne complote plus au Bellota, qu’on y mange !


[1] https://www.lemonde.fr/politique/article/2025/09/16/l-irresistible-ascension-du-trio-darmanin-lecornu-solere_6641338_823448.html?random=1828521993