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Quincy Jones, l’homme qui murmurait à l’oreille des notes

« Music Man », un documentaire d’Olivier Lemaire, demain sur France 4


Quincy Jones, l’homme qui murmurait à l’oreille des notes
Le musicien américain Quincy Jones (1933-2024) © Effervescence / FTV.

Demain soir, lundi 22 septembre, sur France 4, sera diffusé à 21 h 05 le documentaire « Music Man » réalisé par Olivier Lemaire et raconté par MC Solaar sur la carrière et la vie de Quincy Jones (1933-2024), des caves de Saint-Germain-des-Prés à Thriller, de la ségrégation musicale aux 28 Grammy Awards, du producteur de Bad aux salles de cinéma. Monsieur Nostalgie l’a vu en avant-première. Et vous le recommande vivement.


On a beau chercher. Essayer de trouver la recette de Quincy. Du son Quincy Jones. On n’y comprend rien. Les plus érudits se perdent en conjectures. Le génie ne s’explique pas. On s’incline devant lui. Un point, c’est tout. De l’intrication des notes à la mélodie brillante. Du clinquant apparent à cette multitude de strates enfouies. C’est un mystère. Les contraires s’assemblent. Les certitudes volent en éclat. Chez Quincy, deux forces de même intensité se percutent pour créer une nouvelle identité musicale. Il y a d’un côté, le rythme, la scansion, la tension dramatique, un punch qui vous fait lever de votre chaise pour bouger les bras et les jambes, vous l’entendez cette basse satanique et ses cordes diablesses, les cuivres crient famine, la colère du ghetto de Chicago est alors comprimée, transfigurée en une invention, Quincy écrit une nouvelle langue ; on nage d’abord en plein bebop, une cool attitude matinée de funk et de disco va bientôt vous atteindre, déferler sur votre cerveau, impossible d’y résister, cette eau vive irriguera votre corps. Quincy a plus d’un tour dans son cahier de solfège, il ne dédaigne pas les affabulations électroniques, il sait tout faire, diriger un orchestre symphonique comme lui a appris Nadia Boulanger ou chercher dans la puissance des ordinateurs, d’autres couleurs, d’autres percussions intérieures, d’autres voies lumineuses.

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Quincy est un dieu-arrangeur de Sinatra au Prince de Bel-Air, il peut tout s’autoriser. De la Bossa qui flirte avec des langueurs funky. De la pop sirupeuse qui fermente comme un vieux Rock. N’essayez pas de l’enfermer, de le réduire à un groove particulier, à une Soul charnelle ou à un rôle de faiseur de hit-parades. Ce serait une erreur. Quincy est un producteur qui possède toutes les cultures, celles héritées de son enfance pauvre, celles de la ségrégation où les noirs avaient interdiction de toucher aux cordes dans un pays qui se disait pourtant libre, celles des clubs de jazz, du compagnonnage avec Count Basie, Ray Charles son vieux complice, Dizzie, Lionel Hampton ou Sarah Vaughan, mais il est aussi immergé dans la musique classique, Debussy est là, en décalque, en apnée féérique et puis toutes les autres tendances que lui seul voit venir à l’horizon. Quincy est un mixologue inventif, disruptif et solaire. Il précède les modes. Les ténors du hip-hop, Snoop, Ice-T, Dr. Dre et les autres savent ce qu’ils lui doivent. Ils le sampleront jusqu’à leur mort. Il est le Sound Master de leur Sound Blaster. Dans son shaker, on retrouve toute une palette de sentiments contrastés, l’envie de faire la fête, de se désarticuler sur la piste, de nager nu dans le Pacifique et puis, en contrepoint, en rêverie, une mélancolie songeuse fait dériver votre cerveau très loin sur les rives de l’enfance. Quincy passe au tamis toutes les musiques, peu importe les genres, les instruments, les latitudes, les identités, il les façonnera à son instinct. C’est un diamantaire. Le documentaire d’Oliver Lemaire porté par la belle voix chaloupée de MC Solaar réussit à résumer en une heure une vie professionnelle aussi riche et surtout donne envie d’écouter ou de réécouter l’œuvre de Quincy. Une année n’y suffirait pas. Mon souhait le plus cher serait de plonger durant des mois dans sa caverne magique. Je commencerais par « The Dude », son album-signature et je retournerais voir son « Back on the block » de la fin des années 1980, je ne pourrais faire l’impasse sur les tubes tractopelles de Michael Jackson et de George Benson.

Avec Michael Jackson, capture d’écran.

Avant de m’endormir, chaque soir, je prendrais une dose de « Summer in the city ». Après Quincy sorti sur Netflix en 2018[1] et « The Greatest Night in Pop » qui raconte la genèse de « We are the world » avec Lionel Richie[2], « Music Man » est un voyage délicat, très bien écrit, élégant qui se regarde avec plaisir. Le documentaire n’oublie pas de rappeler que la France a toujours tenu une place de cœur dans la carrière de Quincy en soulignant ses liens fraternels avec Eddie Barclay, Aznavour ou Henri Salvador. Les musiciens noirs qui débarquèrent à Paris dès les années 50 furent accueillis à la hauteur de leur talent. Il y a un tout petit peu de France dans le succès planétaire de Quincy, un goût pour la liberté.

Lundi 22 septembre à 21h05 sur France 4
52 minutes
https://www.france.tv/documentaires/


[1] https://www.netflix.com/fr/title/80102952

[2] https://www.netflix.com/fr/title/81720500



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Journaliste et écrivain. Dernières publications : "Tendre est la province", (Équateurs), "Les Bouquinistes" (Héliopoles), et "Monsieur Nostalgie" (Héliopoles).

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