Accueil Édition Abonné Au Brésil, l’âme de la Confédération sudiste subsiste

Au Brésil, l’âme de la Confédération sudiste subsiste

Encore plus au Sud que les Etats du Sud, à Santa Bárbara d’Oeste au Brésil, une curiosité touristique désormais très contestée


Au Brésil, l’âme de la Confédération sudiste subsiste
Sur cette photo prise le dimanche 26 avril 2015, des descendants des Américains du Sud Philip Logan et de son épouse Eloiza Logan posent pour des photos lors d’une fête célébrant le 150ᵉ anniversaire de la fin de la guerre de Sécession, à Santa Bárbara d’Oeste, au Brésil. Chaque année, des milliers de personnes participent à l’événement, notamment de nombreux descendants des dizaines de familles qui, attirées par les offres de concessions de terres du gouvernement brésilien, se sont installées ici entre 1865 et environ 1875, ainsi que des amateurs de musique country, des passionnés d’histoire et des habitants ayant une envie de biscuits étasuniens... © Andre Penner/AP/SIPA

Chaque année, la Festa dos Confederados réunit à Santa Bárbara d’Oeste les descendants des Sudistes installés au Brésil après la guerre de Sécession. Entre folklore revendiqué et héritage esclavagiste évidemment contestable, la fête ravive les tensions sur la mémoire et le racisme au Brésil.


Tous les ans, à Santa Bárbara d’Oeste, au Brésil, une foule bigarrée se presse autour d’un cimetière centenaire. Hommes en bottes et stetsons, femmes en robes à crinoline, jeunes danseurs arborant fièrement le drapeau confédéré : la Festa dos Confederados (fête des Confédérés) a des airs de bal costumé. Mais, derrière les sourires et les barbecues, les odeurs de steaks grillés et les airs de violons et d’accordéons se cache une mémoire lourde, qui divise le Brésil contemporain.

Quand le Brésil était un refuge pour migrants sudistes

En avril 1865, l’armée confédérée est vaincue, contrainte de signer sa reddition. Basé sur le commerce de l’esclavage, c’est tout un mode de vie qui s’écroule pour des milliers de planteurs de coton. Refusant de se soumettre à la Reconstruction et aux ordres humiliants de l’Union, certains vont chercher ailleurs une terre où reproduire leur modèle économique et social. Jeune nation indépendante depuis cinq décennies, l’empire brésilien de Dom Pedro II va alors devenir un refuge pour ces sudistes qui retrouvent toutes leurs privilèges perdus. Non seulement le pays maintient encore l’esclavage, mais il propose des avantages attractifs: terres fertiles achetables à un coût dérisoire, transport facilité, exonérations fiscales.

A lire aussi: Comment le «progressisme» peut désinformer et attiser les haines

C’est ainsi que près de 2 000 Américains, principalement originaires de l’Alabama, du Texas et de la Géorgie, s’installent dans l’État de São Paulo. Dans leurs bagages, des esclaves ramenés de force dans leur nouvel habitat tropical comme en témoignent les archives d’époque qui mentionnent également l’achat de captifs raflés sur les côtes africaines, revendus par les roitelets locaux aux navires européens venus s’approvisionner en marchandise humaine. Cette petite société va rapidement s’organiser et récréer tous les éléments d’un « petit Sud » qui entend survivre aux affres de l’histoire envers et contre tout.

En 1867, cette communauté se dote d’un cimetière au décès du premier de ses membres afin de pouvoir enterrer ses défunts selon le rite protestant toléré dans ce vaste empire catholique. Le « Cemitério do Campo » abrite encore aujourd’hui entre quatre et cinq cents tombes, une chapelle œcuménique et de nombreux objets liés à la Confédération, dont un obélisque dressé afin de rappeler cette épopée qui fait aujourd’hui débat dans la société brésilienne. Bien que l’esclavage ait été aboli en 1888 par la monarchie par la suite, c’est ici que les descendants de ces confédérés continuent encore de se réunir pour entretenir la mémoire de leurs ancêtres, derniers tenants d’un monde disparu où la hiérarchisation raciale et l’économie esclavagiste jouèrent un rôle central encore longtemps.

Une curiosité touristique

Pendant des décennies, la célébration a été localement vue comme une curiosité historique et un attrait touristique. Mais, avec l’apparition du Black Lives Matter (BLM) aux États-Unis, la visibilité publique du drapeau et des symboles confédérés a déclenché des critiques croissantes de la part des mouvements antiracistes, d’élu(e)s et de la société civile brésilienne. Le débat local s’est rapidement durci entre défenseurs d’une « tradition » commémorative et partisans d’une réévaluation critique du passé.

Pour les descendants des Confédérés, cet héritage, qu’ils célèbrent, n’a rien à voir avec l’esclavage. Rogério Seawright, ancien président de Fraternité des Confédérés, affirme que leur apport réside dans « les écoles, les hôpitaux, la pastèque Georgia Rattlesnake », et rejette toute accusation : « Cet héritage d’esclavage appartenait déjà au Brésil. » Il défend aussi le drapeau confédéré, symbole selon lui de leur origine.

A lire aussi: Haro sur Bolsonaro!

Mais face à ce discours, la contestation est de plus en plus vive. Les détracteurs de cette cérémonie ont réclamé que les rues rappelant ce passé sudiste, telles que Pyles, Crisp, MacKnight et Jones, soient renommées afin d’effacer toute trace de cet américanisme controversé. L’ancienne députée Erica Malunguinho a obtenu l’interdiction de ce drapeau, jugé lié au suprémacisme blanc et au Ku Klux Klan. Les tensions entre les deux communautés se sont accentuées après la visite de l’ancien député Eduardo Bolsonaro, fils du président du même nom accusé de tentative de putsch, à Santa Bárbara, soutenue par la Fraternité. En réaction, la conseillère municipale Esther Moraes (Verts) et des associations ont proposé de bannir avec succès tout symbole « raciste » des événements publics. Pour la militante Silvia Motta, l’enjeu est clair : « Tout ce qui appartient à la population noire est effacé » par les descendants des esclavagistes, d’après elle.

Le changement de gouvernance lors des dernières élections présidentielles dans le pays (2022) ont permis aux associations d’obtenir finalement gain de cause. Depuis janvier 2025, la Festa dos Confederados a décidé de se défaire définitivement de son passé et de s’appeler « Fête des Américains ». Les drapeaux confédérés de la ville ont tous été recouverts de peinture, comme le symbole arborant un obélisque au centre-ville, portant les noms de famille des soldats sudistes. Interrogés, le nouveau dirigeant de la Fête, Marcelo Sans Dodson, explique que la fête sera désormais axée sur la célébration de l’immigration américaine dans son ensemble, et non plus seulement de leur passé lié à la guerre de Sécession… Même si on peut encore y entendre Dixie, l’hymne confédéré, entonné par les descendants de ces colons, grimés tel qu’on peut le voir dans le film Autant en emporte le vent. Un peu comme en avril dernier où les Américains ont commémoré le 160e anniversaire de la reddition sudiste, à Appomattox. La Festa dos Confederados illustre parfaitement la persistance des tensions raciales au Brésil à l’heure où les États-Unis réhabilitent les noms et statues confédérées déboulonnées: sous couvert de folklore et de costumes pittoresques, elle recycle un imaginaire qui glorifie l’ordre ségrégationniste d’hier. Quoiqu’on en pense, elle reste plus que jamais le miroir de l’histoire brésilienne: une société qui, aujourd’hui encore, peine à regarder en face ses propres fondations et son histoire avec le recul que cela impose.




Article précédent L’Intelligence artificielle, ou le réenchantement du monde pour les nuls
Article suivant Quelle connerie la guerre…
Journaliste , conférencier et historien.

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération