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Haro sur Bolsonaro!

La carte postale brésilienne de Driss Ghali


Haro sur Bolsonaro!
Michelle Bolsonaro participe à une manifestation de soutien à son mari Jair Bolsonaro à Belém (nord du Brésil), dimanche 7 septembre 2025 © Fotoarena/Sipa USA/SIPA

Au Brésil, ils étaient des dizaines de milliers à battre le pavé dimanche pour défendre Jair Bolsonaro, à la veille d’un verdict explosif de la Cour suprême. L’ancien président (2019-2022), accusé d’avoir voulu jouer les Bonaparte trop pressés lors de la crise de 2022, risque jusqu’à quarante-trois ans derrière les barreaux… Depuis août, il purge déjà une sorte de préventive chic : l’assignation à résidence. Le sort judiciaire du «Trump des tropiques» agace Washington. Sur place, Driss Ghali raconte.


Il est difficile de parler du Brésil car les clichés ont la vie dure. Une grande partie du public a en effet décidé de croire que ce pays se résume à la plage, au foot et aux favelas.  Le fait que ce pays vive son pire moment politique depuis le retour de la démocratie en 1988 n’intéresse pas grand monde en France et dans le monde, à part un certain Donald Trump, président des Etats-Unis.

Ingérence américaine

Le nouveau locataire de la Maison Blanche a décidé de « Make Brazil Great Again » ! Il s’est immiscé de plain-pied dans les affaires internes du Brésil exigeant la fin de « la chasse aux sorcières » qui concernerait l’ancien président Bolsonaro. Celui-ci est en train d’être jugé actuellement pour des crimes aussi graves que fantaisistes dont « tentative de coup d’Etat ». Or, de coup d’État il n’y en a pas eu à Brasilia, soutiennent ses défenseurs. Tout au plus, y a-t-il eu du vandalisme le 8 janvier 2023 aux abords et au sein des bâtiments abritant le Congrès et la Cour Suprême. Bilan : zéro mort. Moyens employés : du rouge à lèvre pour écrire des slogans sur une statue (véridique) et des pierres ramassées dans la rue pour casser les vitres. Peu importe, des verdicts de prison ferme de 14 à 17 ans ont été distribués notamment à des mémés en chaise roulante ou à des coiffeuses, mères de famille. Et Bolsonaro, qui était en vacances en Floride ce jour-là, a été accusé d’avoir tout organisé.  Il risque 43 ans de prison. Verdict attendu entre le 10 et le 12 septembre.

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Trump a vécu une expérience similaire aux Etats-Unis. Après l’attaque du Capitole le 6 janvier 2021, l’appareil judiciaire a été mobilisé contre lui et il a échappé de peu à la prison (pour cette affaire, et tant d’autres…) après avoir payé plus d’un milliard de dollars de frais d’avocat. M. Bolsonaro n’a pas les moyens de M. Trump et les tribunaux brésiliens sont certainement moins indépendants que ceux des États-Unis. Trump prend les choses personnellement et met tout son poids dans la balance : il soumet le Brésil à des droits d’importation de 50% jusqu’à ce que Bolsonaro soit affranchi. De surcroît, il a mis le principal persécuteur de Bolsonaro, le juge suprême Alexandre de Moraes, dans le viseur de la Loi Magnitsky, une législation américaine qui punit les personnes physiques et juridiques qui bafouent gravement les droits de l’homme. Depuis, ce juge n’a plus le droit de faire de transaction en USD, d’avoir de cartes de crédit (Visa et Mastercard sont américains), de voyager aux États-Unis etc. En résumé, aucune entreprise ou individu qui a des intérêts aux États-Unis n’a le droit d’être en affaires avec lui.

Bolsonaro assigné à résidence

Au lieu de mettre de l’eau dans son vin, le juge double la mise. Lors de l’ouverture du procès de Bolsonaro, le 2 septembre dernier, il a évoqué la souveraineté brésilienne qui ne saurait être soumise à des pressions extérieures. Bien plus, il a interdit tout simplement à Bolsonaro de quitter sa villa de Brasilia. Il est désormais en résidence surveillée pour éviter une supposée fuite à l’ambassade américaine. Aujourd’hui, des policiers montent la garde dans le jardin même de la villa, au cœur de la résidence de Bolsonaro.

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Et la droite brésilienne dans tout ça ?

Elle a manifesté dimanche dernier. De Rio de Janeiro à Belo Horizonte, le peuple de droite s’est mobilisé. À Sao Paulo, votre serviteur a couvert la manifestation (photos ci-dessous). Selon la presse, nous étions un peu plus de 40 000 à battre le pavé de l’avenue Paulista, la principale artère de la mégalopole économique brésilienne. Par expérience et pour avoir participé à d’autres manifestations au même endroit, je pense que ce chiffre doit être multiplié au moins par deux. Peu importe, le cœur n’y était pas. Il a manqué de l’enthousiasme et de l’espoir. Le chef est en « taule », personne n’a la stature suffisante pour prendre sa place, sa femme venue le représenter a pleuré pendant sa prise de parole, la voix saisie par le poids de « l’humiliation ».

En réalité, la droite brésilienne a déjà digéré Bolsonaro. Elle a en réserve trois ou quatre gouverneurs d’Etat prêts à se jeter dans la course à la présidentielle de l’an prochain (octobre 2026). Les mauvaises langues disent qu’aucun d’entre eux n’a intérêt à ce que M. Bolsonaro soit de retour dans la course. Il est donc question qu’une amnistie soit prononcée quelques jours après le verdict de la Cour suprême. Le projet est en discussion au parlement. Pour l’instant, il vise à rendre à Bolsonaro tous ses droits, notamment celui de participer à l’élection. Mais, au Brésil, tout se négocie et il est certain que les promoteurs de ce projet devront céder quelque chose à Lula et aux juges qui sont vent debout contre l’idée d’amnistie. Il est fort probable que la poire soit coupée en deux et que Bolsonaro soit pardonné mais qu’il demeure inéligible.

Cette perspective ne devrait pas réjouir la Maison-Blanche. Donald Trump semble avoir développé une sympathie très personnelle pour Bolsonaro. Ce dernier pourrait cela dit se contenter de voir sa femme ou un de ses fils concourir à l’élection présidentielle « en son nom ». En attendant, le climat est morne au Brésil, dans les rangs du peuple de droite. Hier en repartant de la manifestation, je n’ai même pas bu de caïpirinha…



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Ecrivain et diplômé en sciences politiques, il vient de publier "De la diversité au séparatisme", un ebook consacré à la société française et disponible sur son site web: www.drissghali.com/ebook. Ses titres précédents sont: "Mon père, le Maroc et moi" et "David Galula et la théorie de la contre-insurrection".

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