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Redford, la classe américaine

L'acteur américain oscarisé disparait (1936-2025)


Redford, la classe américaine
© RONALDGRANT/MARY EVANS/SIPA

La plus belle gueule d’amour d’Hollywood s’est éteinte à l’âge de 89 ans. Acteur bien sous tous rapports, image glabre d’une Amérique tentatrice, homme de tous les combats « justes », écologiste sincère, promoteur d’un cinéma indépendant, il avait toutes les qualités progressistes de son époque. Il n’en demeurait pas moins une icône au charisme ravageur…


Robert Redford avait tout pour nous agacer, nous humilier. Il cumulait. Il exagérait même. Quel salaud ! Ce beau mec de Santa Monica était béni des dieux, un visage à fendre les ménages les plus solides et le calme d’un technocrate bruxellois vous exposant la règle des 3%. Une retenue olympienne. Presque suspecte. La voix suggestive. Le verbe rare. Aucune modulation disgracieuse. Et le cheveu plus que soyeux, une texture inhumaine ; la mèche à la fois aérienne et consistante, le volume et la légèreté. Apollinien serait le terme exact. Et vous avez vu ses reflets dorés d’une blondeur assassine ? Marylin était battue. Les horreurs du monde coulaient sur la peau lustrée de Redford. Il était l’élu parmi les élus. Voilà tout. Reconnaissons son emprise ! Ne mégottons pas sur son pouvoir de séduction. Il était infini. Nous y avons succombé avec volupté et délice. Les excités du Nouvel Hollywood, les énergumènes, névrosés, cabossés, violentés, souillons, les Dustin, Woody, Al Pacino, De Niro et compagnie qui voulaient casser les codes dans les années 1970, faire dérailler l’establishment, secouer cette apathique Amérique, n’ont pas réussi à le déloger. Car Redford était ce classique qui vieillissait si bien, au-delà des modes, au-delà des présidents. Il n’était pas le plus musclé, le plus révolté, le plus possédé par son art, il était LA star. Le mètre-étalon. Notre bonne conscience. Robert était du côté des gentils et des opprimés. Il ne se vautrait pas dans les combats inutiles. Pour les autres, les suiveurs et les jaloux, les écorchés et les paranos, quelle cruelle injustice ! On se trémousse, on se déshabille, on profère des paroles disruptives, on tente d’exister maladroitement sur l’écran et, à la fin, c’est Robert qui emporte la mise. Banco ! Notre imaginaire lui appartient.

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Chez d’autres acteurs, cette image trop brossée à la pâleur d’un dentifrice aurait pu être fatale sur une longue carrière. Chez lui, il y a bien sûr le talent, la vista, la classe naturelle, l’intelligence des rôles, des partenaires à sa hauteur, mais surtout la marque d’une qualité « Made in USA » qui ne s’est pas démentie au fil des années. On revient toujours à l’original. Ce type-là était déjà une star avant d’en avoir pleinement conscience. Il devait bien se douter que sa gueule brûlait la rétine de ses petits camarades. Tous sexes confondus, il coupait le souffle. Un mec de ce calibre dans un lycée de province foutait votre année scolaire en l’air. Il matait toute concurrence. Les filles, le proviseur, les profs, le personnel administratif, les cantinières et les jardiniers, tous succombèrent. On était captif de cette onde californienne. Pour des petits Berrichons, c’était les US en intraveineuse: Venice Beach, une Corvette Stingray split window, un flight jacket et Robert en nonce apostolique. Croiser une telle beauté, du même genre que celle de Paul Newman, fut un choc visuel et émotionnel. Aujourd’hui, mémoriel. On pourra dire que l’on a rencontré ce phénomène de notre vivant, qu’on l’a vu à la séance du mercredi à 14h00 en majesté. C’était peut-être pour vous rien que du cinéma, du chiqué, du grossissant, moi je crois que c’était une forme de vie augmentée. Le cinéma ne peut agir durablement sur notre psychisme que s’il est véhiculé par des géants comme Redford. Nous avons cru en lui. Meryl et Barbra aussi, qu’elles viennent nous dire dans les yeux que la présence de Robert n’était pas sismique. Je lui faisais entièrement confiance. J’ai suivi à la lettre ses préceptes. Quand j’ai vu « Nos plus belles années », j’ai opté pour le trench-coat au col relevé à défaut d’être officier de marine. Après « Les Trois Jours du Condor », je n’ai pas quitté mon caban et mes lunettes d’aviateur pendant six mois. L’été fut chaud. « Out of Africa » coïncida avec une période trouble de mon existence, je portais un gilet près du corps, l’effet était désastreux et involontairement comique. « L’Homme qui murmurait à l’oreille des chevaux » me réconcilia avec les chemises en jean. Une star, une vraie, produit cette transposition-là.

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Journaliste et écrivain. Dernières publications : "Tendre est la province", (Équateurs), "Les Bouquinistes" (Héliopoles), et "Monsieur Nostalgie" (Héliopoles).

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