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Incompréhension radicale

Un paradoxe au cœur de l’époque


Incompréhension radicale
Rassemblement propalestinien, en face du siège de l’ONU, New York, États-Unis ,18 septembre 2025 © Lev Radin/Shutterstock/SIPA

Drôle de timing. Le président Macron s’apprête à reconnaitre un État palestinien à l’ONU, à un moment des plus controversés (le Hamas n’est pas démantelé, détient toujours 48 otages à Gaza, et 47% des citoyens français désapprouvent cette décision, selon un sondage Elabe). Un « pari risqué » pour parvenir à la paix, selon la plupart des journaux imprimés ce matin. Dans une sorte de fuite en avant, M. Netanyahou envisagerait de fermer le consulat français de Jérusalem, voire d’annexer une partie de la Cisjordanie… Dans son texte, notre contributeur rappelle que le Hamas incarne un islamisme totalitaire similaire aux autres mouvements djihadistes, mais que l’Occident peut parfois le relativiser voire le valoriser (notamment à l’extrême gauche) au nom de l’antisionisme, révélant une incohérence morale et une mémoire historique biaisée.


Il est des situations où le bon sens devrait s’imposer sans difficulté, tant les faits semblent clairs, tant l’expérience accumulée nous fournit de précédents. Pourtant, dans le cas du Hamas, nous observons une étrange suspension du jugement. Tout le monde sait qu’il s’agit d’un mouvement islamiste, comparable dans ses fondements idéologiques et ses méthodes aux organisations les plus sinistres de notre temps : Al-Qaïda, Daesh, Boko Haram. Tout le monde sait qu’il recourt à la terreur et à la cruauté comme stratégie politique. Et tout le monde a pu constater, le 7 octobre 2023, l’ampleur de la barbarie dont il est capable.

Mais au lieu d’une condamnation univoque, comme ce fut le cas pour Daesh en Syrie ou en Irak, un discours parallèle s’installe : celui qui présente le Hamas comme un mouvement de résistance légitime, au motif qu’il s’oppose à Israël. Voilà le paradoxe : ce que nous combattons avec acharnement en d’autres lieux se voit excusé, relativisé, voire valorisé, dès lors que l’État juif est en jeu.

Il faut interroger cette exception. Elle n’est pas un accident de perception, mais le symptôme d’une logique profonde : celle d’une incompréhension radicale, révélatrice de notre rapport troublé à l’histoire, à la mémoire et au politique.

Le Hamas : un islamisme parmi d’autres

Le Hamas n’est pas un phénomène singulier dans le monde musulman contemporain. Il appartient à la vaste famille de l’islamisme radical née au XXᵉ siècle, de la matrice des Frères musulmans égyptiens jusqu’aux organisations terroristes transnationales. On y retrouve la même vision : l’instauration d’un ordre religieux total, la négation des libertés individuelles, l’usage de la violence comme instrument légitime.

De ce point de vue, le Hamas se situe dans la continuité directe d’Al-Qaïda ou de Daesh. Les moyens changent, les terrains diffèrent, mais le projet reste identique : gouverner par la terreur et par l’embrigadement idéologique.

Lorsque ces mouvements frappent en Occident, personne ne se méprend. Après les attentats du 11 septembre, après le Bataclan, après Nice, les condamnations furent unanimes. Mais lorsque le Hamas massacre, torture, enlève, les mêmes actes sont réinterprétés sous l’angle de la « résistance ». Comme si l’hostilité à Israël suffisait à effacer la parenté idéologique avec les autres branches de l’islamisme global.

L’exception palestinienne : un révélateur

C’est cette exception qui mérite examen. Pourquoi ce que nous appelons terrorisme à Paris ou à New York devient-il résistance à Gaza ? Pourquoi l’acte le plus barbare peut-il changer de nature en fonction de sa cible ?

La réponse tient à une donnée plus large : la persistance d’une singularité juive dans l’imaginaire occidental. L’État d’Israël n’est pas un État comme un autre dans les consciences. Il concentre, de manière souvent inconsciente, des siècles de représentations liées au destin juif. Le Palestinien devient le « bon opprimé » parce qu’il s’oppose au « mauvais survivant », accusé de trahir son propre passé en exerçant la force.

L’antisionisme radical fonctionne ici comme le relais d’un antisémitisme qui ne peut plus dire son nom, mais qui trouve dans l’exception faite au Hamas une expression indirecte. Ce n’est pas par ignorance que l’on absout un mouvement islamiste : c’est par une logique profonde d’exclusion symbolique.

Les ruines de Gaza et la mémoire sélective

Les images de Gaza détruite suscitent une émotion légitime. Mais leur traitement médiatique révèle une mémoire sélective. Qui se souvient des ruines de Mossoul et de Raqqa, où les armées de la coalition ont éradiqué Daesh ? Qui rappelle les villes allemandes rasées durant la Seconde Guerre mondiale – Dresde, Hambourg, Berlin – ou les cités japonaises détruites avant même Hiroshima et Nagasaki ?

Dans tous ces cas, la logique militaire a conduit à la destruction massive de zones urbaines. Mais seul Gaza est présenté comme la scène d’un crime inédit, comme l’illustration d’un génocide en cours.

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Or les faits contredisent cette accusation. Si Israël avait voulu anéantir Gaza, il en avait les moyens en quarante-huit heures. Les deux millions d’habitants de l’enclave seraient morts. Le simple constat de leur survie invalide la thèse génocidaire. Pourtant, ce mot s’impose, précisément parce qu’il inverse les rôles : il permet d’accuser Israël avec les termes mêmes qui ont servi à désigner l’extermination des Juifs. C’est une revanche symbolique, une manipulation de la mémoire.

La stratégie de la victimisation

Le Hamas, lui, a parfaitement compris la logique médiatique de notre temps. Son objectif n’est pas de protéger sa population, mais de la sacrifier. En se dissimulant parmi les civils, en installant ses infrastructures militaires sous les écoles et les hôpitaux, il fabrique délibérément les conditions de la tragédie. Chaque enfant tué devient une arme de propagande. Chaque image de ruine est une victoire politique.

L’opinion publique occidentale, saturée d’images, se laisse prendre à ce piège. Elle inverse la causalité : ce ne sont plus les islamistes qui causent la mort de leurs propres enfants, mais l’armée israélienne qui les ciblerait volontairement. On entre alors dans un univers de mythes, où la compassion pour la victime l’emporte sur toute analyse des responsabilités.

L’ONU et la légitimité ambiguë

C’est dans ce contexte qu’intervient la reconnaissance de l’État palestinien à l’ONU par certains pays européens, suivis par la France. En soi, l’idée d’un État palestinien n’a rien d’illégitime : elle correspond à la solution des deux États envisagée depuis des décennies.

Mais la situation concrète est tout autre. Le Hamas domine Gaza, il influence profondément l’opinion palestinienne, et il pourrait à nouveau remporter des élections libres. Reconnaître l’État palestinien aujourd’hui, c’est donc conférer indirectement une légitimité à un mouvement que nous qualifions ailleurs de terroriste. C’est vouloir la paix tout en consacrant comme interlocuteur un acteur qui nie jusqu’au droit d’exister de l’État voisin.

Le symptôme d’une crise occidentale

L’« incompréhension radicale » n’est pas un simple aveuglement. Elle révèle une crise plus profonde de nos sociétés. Nous avons perdu la capacité d’appliquer des principes universels sans exception. Nous nous laissons guider par l’image immédiate, par la compassion sélective, par la mauvaise conscience historique.

En refusant de voir dans le Hamas ce qu’il est – un islamisme parmi d’autres – nous trahissons nos propres critères. Nous croyons défendre une cause humanitaire, mais nous légitimons un projet totalitaire. Nous croyons œuvrer pour la paix, mais nous alimentons la guerre.

Il y a là un diagnostic sur notre époque : l’impossibilité d’assumer la singularité d’Israël et, à travers elle, la singularité du destin juif. C’est cette impossibilité qui fait de nous des contemporains aveugles, prisonniers d’une mémoire retournée contre elle-même. L’exception que nous accordons au Hamas nous condamne : elle est le miroir de notre incapacité à penser clairement, donc à agir efficacement, face au retour de la barbarie islamiste.




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Essayiste et fondateur d'une approche et d'une école de psychologie politique clinique, " la Thérapie sociale", exercée en France et dans de nombreux pays en prévention ou en réconciliation de violences individuelles et collectives.

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