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Agatha Christie encore victime des censeurs!

Être offensé par une œuvre écrite il y a cinquante, cent ou deux mille ans, et justifier une censure au nom de cette offense, c’est partir du principe qu’un auteur devrait écrire pour un lectorat invariable.


Au risque de faire réagir certains lecteurs, j’oserai dire que les partisans de l’idéologie woke, celle des « sensitivity readers » et de la « cancel culture », n’analysent pas toujours à tort les ressorts complexes, et profonds, de nos civilisations occidentales : c’est même ce qui les rend, parfois, si difficiles à contredire – les conclusions qu’ils tirent de leurs observations, en revanche, et, surtout, les solutions qu’ils préconisent pour mettre celles-ci à exécution, laissent invariablement pantois.

Sensitivity readers: les censeurs du wokisme

Ainsi se heurtent-ils l’esprit à intervalles réguliers, sans d’ailleurs qu’on ne leur ait rien demandé, en lisant ou relisant les œuvres de celle que l’on surnomma en son temps la « Duchesse de la Mort », Agatha Christie. En 2020, déjà, ils obtenaient que le roman les Dix petits nègres fût renommé en Ils étaient dix. Et voilà que, coup de tonnerre prévisible d’un ciel de plus en plus nègre, (« un ciel si noir ne s’éclaircit pas sans orage », écrivait Shakespeare), l’éditeur français – Le Masque – de l’auteur du Crime de l’Orient Express, de Mort sur le Nil, et de ce petit chef-d’œuvre méconnu qu’est La Nuit qui ne finit pas, annonce ce 17 avril, avec fracas (mais peut-être cherche-t-il la polémique pour vendre ?) qu’après Roald Dahl et Ian Fleming, Christie va passer à son tour – encore ! – à la moulinette de la « révision », c’est-à-dire de la censure.

À lire aussi, Jean-Paul Brighelli: Christine Angot au jury des Goncourt: enfin à sa place!

Si je disais en préambule que les wokistes n’ont pas toujours tort, c’est parce que le lecteur sinon passionné, du moins régulier, que j’ai toujours été des aventures de Marple et de Poirot, a souvent sursauté, tel un « sensible » (toute proportion gardée…), en découvrant, par-ci, par-là, des termes, des expressions, des tournures de phrases, qui aujourd’hui (aujourd’hui seulement, la nuance a son importance !) paraissent en effet d’un racisme décomplexé, d’une misogynie crasse, voire d’un antisémitisme parfaitement assumé – c’est dire que l’esprit d’Agatha Christie a pu être façonné par un ensemble de facteurs qui, de nos jours, la rendraient assurément persona non grata des plateaux de télévision. Il serait, bien entendu, plutôt malvenu d’utiliser en 2023 le terme de nègre pour parler d’un noir, ou de se livrer à une caricature de juif.

Et alors ? – c’est offensant ! diront les plus candides, qui n’auront pas voulu comprendre qu’il existe bel et bien, derrière l’argumentation superbement rodée de toute la cohorte des brillants universitaires qui justifient ces censures, une probable lutte de races (la haine, triste, de l’homme blanc occidental) comme on eût, pourtant, aimé ne pas en voir de sitôt.

La bienveillance, atroce idée

Et alors ? dis-je à nouveau – et moi dont l’œil, comme celui des censeurs, a été titillé par un langage libre dans son expression, celle-ci fût-elle offensante, et dont l’atroce idée de bienveillance, toute moderne, a depuis longtemps cessé de nous habituer, je ne réponds rien à cette question rhétorique, et ainsi je ne verse pas dans l’anachronisme, qui est l’une des plus grandes fautes de la pensée rationnelle. Car l’anachronisme est dangereux, à maints égards. Être offensé par une œuvre écrite il y a cinquante, cent, cinq cents, ou deux mille ans, et justifier une censure au nom de cette offense, c’est confondre en un seul bloc tous les horizons d’attente : c’est partir du principe qu’un auteur, quand il écrit – étant entendu qu’il devrait lui-même être une sorte d’être supérieur jamais soumis aux déterminismes de son époque –, devrait écrire pour un lectorat invariable, qui aurait en tout temps les mêmes sensibilités. On voit le vice : aujourd’hui, l’on corrige au nom de l’idéologie woke, qui n’est qu’une idéologie d’époque, et dont il ne restera peut-être rien ; mais les œuvres, elles, auront été réécrites, et ne seront, peut-être, plus connues de nos descendants que sous ces nouvelles formes aseptisées ; alors, à n’en pas douter, une nouvelle idéologie totalitaire, aussi vaine, haineuse, et véhémente que le wokisme, prendra le pouvoir à l’Université, et au nom de nouvelles sensibleries ridicules, censurera l’œuvre censurée. Au bout du bout, il n’en restera rien : l’on aura oublié l’histoire (celle racontée par le livre, mais aussi celle du livre lui-même, et finalement l’Histoire avec un grand H), à force de vouloir en gommer les imperfections.

A lire ensuite, Thomas Morales: L’esprit Hussard bouge encore!

Océan de ratures

La littérature est comme un manuscrit continué de main en main, pendant des siècles et des siècles, par des milliers et des milliers de mains. Si, à chaque nouvelle génération, des intellectuels, qui se croient plus intelligents que leurs prédécesseurs, reprennent les travaux de leurs pères, alors le bel ouvrage disparaît sous un océan de ratures. Ceux qui se livrent aujourd’hui sans vergogne à la censure ne devraient pas se croire si malins : car eux aussi se retourneront dans leurs tombes, quand leurs fils les auront censurés ! Une subjectivité d’époque, à l’échelle du temps long, est fugace comme la vie d’un papillon : la sensibilité change avec les ans qui passent – et c’est pourquoi s’en prendre aux œuvres dont le caractère est immuable, avec des sentiments changeants, c’est brouiller le passé, et c’est se rendre aveugle.

Et puis, enfin, au nom de quoi certaines minorités auraient droit d’être outrées, et pas d’autres ? Bientôt, l’on ira censurer La Terre de Zola, roman particulièrement insultant à l’encontre des paysans ; et l’on aura qu’à s’en prendre, dans la foulée, au Bourgeois gentilhomme, de Molière – les bourgeois, après tout, sont l’objet de tant de haine, qu’à coup sûr, on leur ouvrira bientôt les droits à la « minorité persécutée ». C’est déjà la course à la victimisation : l’on s’interrogera, par exemple, sur l’opportunité de changer les termes « oriental », « nubien », ou « indigène » (les juger offensants, ne serait-ce pas un peu raciste ?) – à coup sûr, « personne de couleur », ou « de petite taille », qui remplacent déjà « noir » et « nain », deviendront à leur tour offensants… et l’on frémit, en imaginant ce que les sensibles feraient à des œuvres comme Salammbô ! Bref, la censure est sans fin.

Papa Macron

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Les citoyens français continuent de trépigner, sur le mode « s’il ne retire pas son texte, j’arrête de respirer ! » s’amuse Elisabeth Lévy. Pendant que le président parlait, hier soir à 20 heures, les casseroles ont tintinnabulé…


D’après l’ONG altermondialiste ATTAC, alors que le président prononçait son allocution télévisée, les manifestants ont agité leurs gamelles dans pas moins de 300 villes en France. Selon moi, ces casseroles, c’est un peu le stade infantile de la politique. Il nous écoute pas, alors nous non plus on l’écoute pas, nananère ! Que l’on soit contre la réforme des retraites ou toute autre décision de l’exécutif est bien évidemment légitime. Mais tout ce discours sur le « mépris » que l’on entend actuellement est vraiment hors sujet.

Passions françaises

On s’en fiche que le président nous aime ou nous considère ! La seule chose qui compte –et qui personnellement m’inquiète d’ailleurs – c’est son projet pour la France. Chirac nous aimait, il était éminemment sympathique, et pourtant il n’a rien fait. Et maintenant, nous trépignons sur le mode « s’il ne retire pas son texte, j’arrête de respirer ! » Nous ne voulons pas de l’acclimatation à la mondialisation via l’Union européenne, présentée comme la seule politique possible ? Nous ne sommes pas de vulgaires Hollandais pour travailler jusqu’à 67 ans ? Fort bien. Inventons une voie française, mais elle ne naîtra pas du merveilleux mouvement social actuel me semble-t-il. En attendant, on joue à la Révolution, mais en réalité la vraie passion française, c’est le statu quo.

A relire, Elisabeth Lévy: Fahrenheit 49.3

Elisabeth Lévy, crypto-macroniste?

Ai-je pour autant trouvé le président convaincant ? Non, mais il a fait tout ce qu’on attendait de lui. Il nous a rassurés. Il nous a dit qu’il nous aimait. Qu’il nous avait compris. Ses conseillers lui avaient dit : « pas d’arrogance » ! Et il n’a donc pas employé de mots bizarres comme « croquignolet ». Il a dit qu’il savait que les Français ne voulaient pas de sa réforme, qu’il savait que nous étions en colère. Il a dit qu’il avait compris qu’on voulait plus de sens au travail (en fait, on veut surtout des vacances !). La réforme, c’est dur mais c’est pour notre bien. D’ailleurs, l’avenir radieux c’est pour demain. Dans 100 jours, très précisément.

Nous avons ensuite eu droit à un catalogue de promesses usées. Les élèves apprendront à l’école, la Justice aura des moyens, mille usines s’épanouiront et la bureaucratie s’allègera. On en finira avec l’immigration clandestine et la fraude sociale, et on relancera l’intégration… Mieux, en prime, j’ai appris que nous allions inventer l’industrie écolo et l’intelligence artificielle qui rase gratis. Pourquoi ? Parce qu’on est champions du monde et qu’on a le meilleur Papa du monde !

À lire aussi, Elisabeth Lévy: Gauche côtelette contre gauche quinoa

Dommage, parce qu’au début de son intervention, Emmanuel Macron avait commencé par effleurer la vérité, en déclarant que l’indépendance cela ne se décrète pas, cela se conquiert. Pour les Français, toute réforme est une régression. Oui, parce qu’après 40 ans au-dessus de nos moyens, toute réforme est forcément une facture à payer. Sauf que ce n’est pas la réforme qui entraîne l’appauvrissement, c’est l’appauvrissement qui impose la réforme. Et c’est effectivement le prix du retour à l’indépendance. Emmanuel Macron devrait promettre du sang, de la sueur et des larmes, mais nous sommes au moins d’accord là-dessus: cette vérité, personne ne veut l’entendre.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy du lundi au jeudi dans la matinale, à 8 heures.

« La Françafrique appartient enfin à l’histoire »

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La visite d’Emmanuel Macron en Algérie prévue les 2 et 3 mai prochains a été reportée, en raison d’un « manque de préparation des dossiers », l’occasion pour nous de faire un point avec un spécialiste. Officier supérieur dans l’infanterie de marine et enseignant en intelligence stratégique à l’École de guerre économique, Raphaël Chauvancy a notamment obtenu le prix de la Plume et l’Epée 2022 pour son essai Les nouveaux visages de la guerre. Il s’exprime ici à titre personnel sur les enjeux sécuritaires du continent africain.


Causeur. Les questions de sécurité militaire en Méditerranée sont aussi saillantes que mises de côté médiatiquement du fait de la guerre à l’Est. Récemment, la France a montré des signes de faiblesse en Afrique. Dans une lettre adressée au Conseil de sécurité de l’ONU, Abdoulaye Diop a accusé la France de soutenir et d’armer les terroristes au Mali. Comment interprétez-vous cela ?

Raphaël Chauvancy. Alors qu’elle apparaissait plus que jamais comme le gendarme de l’Afrique et qu’aucune puissance militaire locale ou extérieure ne pouvait se targuer de succès tactiques comparables, la France a vu ses efforts réduits à néant par une offensive informationnelle orchestrée par la Russie. Successivement chassée de Centrafrique, du Mali et du Burkina Faso en l’espace de quelques mois, elle a découvert avec stupeur la fragilité de ses positions dans une région où elle les croyait intangibles.

La vérité est que le « pré-carré » n’était pas une expression de la puissance française mais un anachronisme rendu possible par l’indifférence de ses compétiteurs. Lorsque leur intérêt s’est éveillé, Paris s’est fait surprendre et battre sur tous les théâtres où elle a été défiée. Il a suffi que la Chine convoite certaines ressources africaines pour que les entreprises françaises s’effacent. Les Etats-Unis se sont penchés sur le Rwanda et ce pays a quitté l’Organisation Internationale de la Francophonie et remplacé l’enseignement du français par celui de l’anglais. Le Royaume-Uni s’est intéressée au Golfe de Guinée : le Togo et le Gabon ont rejoint le Commonwealth. La Russie a été la dernière à opérer son retour sur le continent ; elle n’a éprouvé aucune difficulté à supplanter la France où elle l’avait choisi, intoxiquant cyniquement des populations désespérées avec des élucubrations du type de celles que vous évoquez.

Au-delà de la blessure d’amour-propre et d’une évidente perte de prestige, le retrait forcé d’une poignée de pays déshérités du Sahel n’obère heureusement en rien la puissance française. Il apparaît même plutôt comme une opportunité. Les reliquats de la parenthèse coloniale sont liquidés. La Françafrique, qui n’en finissait plus de mourir, appartient enfin à l’histoire. Les Africains ont eux-mêmes relevé Paris de la charge d’assurer leur sécurité à leur place. Débarrassée de ce fardeau, la France peut enfin normaliser ses relations avec ses partenaires selon des relations contractuelles et non plus incestueuses.

Raphaël Chauvancy. D.R.

La menace terroriste au Sahel demeure particulièrement élevée, tant dans les pays de la zone que dans les pays limitrophes. L’autre sujet d’inquiétude, notamment du côté marocain est le Sahara. Que peut faire la France en la matière ?

Au Sahel, trop d’États faillis et corrompus sont malheureusement incapables d’assumer leurs charges sécuritaires et de combattre la misère hors de contrôle sur laquelle prospèrent groupes mafieux et terroristes. La France ne peut, ne veut ni ne doit plus pour autant se substituer aux autorités locales pour régler leurs problèmes systémiques. En revanche, l’expertise reconnue de ses forces armées et son expérience diplomatique lui donnent toute légitimité pour appuyer la mise en place de structures de sécurité collective régionale.

Le Maroc est un pôle de stabilité important et une puissance régionale avec laquelle il faudra compter de plus en plus. La solidité de ses structures étatiques et le prestige de son roi, qui est aussi commandeur des Croyants, le préservent a priori des affres du terrorisme à grande échelle. Même les séparatistes sahraouis ne sont pas en mesure de le menacer sérieusement par eux-mêmes, mais le soutien que leur apporte l’Algérie est lourd de menaces. L’hypothèse d’un affrontement militaire entre Rabat et Alger n’est pas à écarter, d’autant plus que les autorités d’Alger utilisent volontiers la surenchère nationaliste pour masquer leurs multiples échecs.

Cette hypothèse extrême fragiliserait toute la région en laissant le champ libre aux groupes armés transnationaux. Vaincu, le Maroc n’aurait de cesse de préparer sa revanche tant la marocanité du Sahara occidental est ancrée dans son récit national. Une défaite de l’Algérie sonnerait probablement pour sa part le glas d’un régime à bout de souffle, auquel il n’existe aujourd’hui pourtant pas d’alternative crédible. Le scénario le plus dramatique serait celui d’une plongée de l’Algérie dans le chaos qui provoquerait un déferlement migratoire vers l’Europe, incontrôlable dans les conditions et avec les règles actuelles. Les marges de manœuvre françaises sont malheureusement assez limitées.

Que peut faire la France contre les puissances néocoloniales qui menacent ses intérêts et ses relations en Afrique. La présence de la société militaire privée Wagner a notamment suscité de nombreux commentaires. Peut-on limiter l’influence de ces campagnes hostiles de désinformation ? 

Un officier sénégalais me disait récemment que les Africains n’ont pas cessé d’apprendre le mythe de nos ancêtres les Gaulois pour qu’on leur inflige celui des sexes interchangeables. Que les Français adoptent les névroses des classes privilégiées de la côte ouest américaine si bon leur chante, mais qu’ils cessent de vouloir faire la classe aux Africains s’ils veulent demeurer leurs amis. Ces derniers attendent un partenariat politique franc, pas des leçons de morale plus ou moins douteuses qui les exaspèrent et les disposent à prendre pour argent comptant les campagnes de désinformation tournées contre Paris.

Les Russes livrent à la France une guerre hybride décomplexée. Le seul moyen d’y mettre fin est d’adopter une posture offensive avec suffisamment de mordant pour les dissuader de poursuivre leurs intoxications. Les thèmes et les angles d’attaques contre la Russie sont d’ailleurs innombrables, en partant des plus simples, comme la démonstration de ses mensonges, aux plus dévastateurs, comme le maintien de son empire colonial en Asie centrale sur les autochtones musulmans.

Enfin, une approche intégrée est indispensable pour redresser l’image de la France. Bien que l’influence ait été élevée au rang de fonction stratégique, trop d’acteurs français interviennent en ordre dispersé ou conçoivent pas naïvement leur action comme une finalité en elle-même. La culture de la discrétion de l’Agence Française de Développement (AFD) fait ainsi passer les réalisations françaises sous les écrans radars ; il serait temps qu’elle s’inspire de l’USAID qui affiche sans complexe ses origines gouvernementales américaines.

Peut-être faudrait-il également faire tomber un tabou et développer des sociétés militaires privées françaises, non pour copier les porte-flingues de Wagner mais pour sous-traiter certaines actions d’influence et de formation, en étroite coordination avec nos forces armées.

Le pont entre notre continent et l’Afrique est la mer méditerranée. À votre avis, sur quel pays la France peut compter au Maghreb ? Comment se fait-il que les relations avec le Maroc, partenaire historique de la lutte contre le terrorisme islamiste, se soient à ce point dégradées ?

L’intérêt commun serait naturellement de voir la Méditerranée occidentale devenir un lieu d’échanges et de coprospérité euro-africaine. La montée de l’islamisme a malheureusement tué dans l’œuf les belles promesses tunisiennes. Le combat entre les forces laïques et la réaction islamiste est loin d’être terminé et la révolution de jasmin laisse finalement un parfum amer.

De l’autre côté du Maghreb, les relations entre les services de renseignement français et marocains sont bonnes, la qualité et la fiabilité de ces derniers sont un atout dans la lutte contre le terrorisme en France même et pour le maintien de la stabilité régionale. Mais le Maroc a moins besoin de la France depuis que les États-Unis et l’Espagne ont reconnu ses revendications sur le Sahara occidental. Le souhait de Paris de maintenir de bonnes relations avec Rabat et de renouer en même temps avec son rival algérien était peut-être ambitieux dans ce contexte. Le refus du royaume chérifien de récupérer ses ressortissants expulsés du territoire français, l’affaire Pégasus qui a vu le Maroc espionner un millier de dirigeants français dont Emmanuel Macron et le scandale de la corruption marocaine à Bruxelles ont naturellement laissé des traces. Au-delà des frictions conjoncturelles, l’attitude de Rabat ne signifie-t-elle pas simplement que, si la France y est toujours considérée comme un partenaire important, elle ne l’est plus comme une puissance incontournable ?

Quid de l’Algérie ?

Nous l’avons vu, l’Algérie est une bombe amorcée dont la France craint à juste titre les retombées si elle venait à éclater. Les autorités d’Alger en jouent d’ailleurs en pratiquant avec efficacité un chantage induit auprès de Paris.

Le président Macron et le président algérien Abdelmadjid Tebboune, Alger, 27 août 2022 © Jacques WITT/SIPA

Pour conclure, pouvez-vous nous dire quels sont les atouts tactiques et stratégiques dont la France bénéficie encore dans cette région du monde si importante pour notre avenir ?

Il faut d’abord rappeler en quoi l’Afrique est si importante pour nos intérêts fondamentaux. La légende du pillage néocolonial français en Afrique est à peu près aussi sérieuse que les leçons d’histoire de Maître Gims. Les pays de la zone Franc ne pèsent rien dans l’économie française et l’objectif français n’est plus une domination coûteuse et inutile mais, au contraire, de favoriser l’émergence de puissances régionales pour éviter le Grand Effondrement du continent.

Avec une démographie hors de contrôle, des Etats faillis et des élites corrompues, l’Afrique sub-saharienne concentrait un quart des très pauvres du globe en 1990. Le chiffre est monté à 60% aujourd’hui et les projections sont de 90 % pour 2030. Pour commencer à résorber la pauvreté, la Banque Mondiale estime qu’il lui faudrait une croissance de 9 % au moins pendant une décennie. Elle devrait être de 3% à peine en 2023.

La France est probablement la puissance extérieure la plus à même d’aider les Africains à surmonter les immenses défis qui les attendent. Sa connaissance inégalée de la région et de ses problématiques (à condition de daigner en faire usage et de ne pas livrer sa politique africaine aux inspirations contradictoires du moment) ; l’existence de diasporas françaises en Afrique et africaines en France ; la proximité linguistique avec de nombreux États et le maintien d’une présence militaire, même allégée, constituent autant d’atouts pour tenter d’empêcher un naufrage dont l’Europe subirait les conséquences de plein fouet.

Emmanuel Macron: «une espèce de vide»?

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L’allocution du président, hier soir, à 20 heures, ne nous a pas transportés. Selon Sophie Binet, à la CGT, le chef de l’État « s’enferme dans la crise ». Marine Le Pen évoque un « quinquennat de mépris et de brutalité » et Jean-Luc Mélenchon une « allocution irréelle ». Analyse.


Il est venu, on l’a entendu. Sommes-nous convaincus ? Laurent Berger, dans une réaction immédiate, a évoqué, sur BFMTV, « une espèce de vide… avec rien de concret, peu d’empathie, du verbe… et tout ça pour cela ». Je ne parlerai pas de « vide » mais dans cette allocution heureusement courte pour ce président (13 minutes), il m’a semblé entendre des éléments et des annonces qui avaient déjà été présentés lors du dernier entretien télévisé et même lors de ses vœux à la nation le 31 décembre 2022.

Un discours convenu…

À l’exception d’un bref préambule où l’obligation d’une loi sur les retraites était à nouveau expliquée sans la moindre allusion aux péripéties parlementaires depuis le mois de janvier ni une compréhension qui aurait été bienvenue pour le rôle positif de l’Intersyndicale, le président de la République n’a pas apposé sur un pays en fièvre un remède d’apaisement et d’espérance. Mais au contraire un discours convenu, tout de promesses ou de réalisations déjà amorcées, mais placide, aussi ordinaire dans le registre élyséen qu’il aurait dû être extraordinaire sur le plan démocratique.

On se doutait – Emmanuel Macron avait écarté ces solutions – qu’il n’y aurait ni remaniement ni dissolution ni référendum et que, contrairement à ce que Marine Le Pen avait déclaré le 16 avril au Grand Jury sur RTL, il sortait l’hypothèse de son départ du champ de sa réflexion. Pourtant, même avec ces exclusions, le président aurait dû montrer à quel point il n’avait pas été insensible au bouillonnement parfois frénétique de la France, non seulement en en prenant acte mais en proposant de quoi le calmer.

… et impassible

J’ai eu l’impression qu’à l’impatience, voire à l’angoisse d’une nation déboussolée, il opposait au contraire, délibérément, une impassibilité du propos, une relation banale des projets et des séquences prévues. Cette manière de ne jamais répondre à l’attente majoritaire d’un pays – comme pour montrer à quel point le pouvoir se situait plus haut que toutes ces exaspérations citoyennes liées à la loi sur les retraites mais pas que – a été traditionnelle dans la Ve République. Mais Emmanuel Macron me paraît la cultiver avec encore plus de dilection que ses prédécesseurs.

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Certes il n’était pas inintéressant de l’entendre décliner trois chapitres – le travail, l’ordre républicain et la justice et enfin le progrès. Il est clair que si on avait su mettre le premier chapitre avant la discussion sur le report de l’âge, le gouvernement aurait trouvé une écoute syndicale favorable. Le deuxième n’aurait pas non plus été mal accueilli. Quant au dernier, bien trop flou, il aurait laissé place à toutes les imaginations professionnelles, syndicales et politiques.

Je crains, à considérer le désordre dans certains quartiers à Paris et ailleurs, que le discours du président non seulement n’ait rien pacifié mais ait même aggravé le ressentiment. Parce qu’il faut bien se l’avouer : derrière la façade de la loi sur les retraites, on sent comme un vent mauvais qui n’est pas loin de déplorer qu’on ne puisse pas recommencer l’élection tout de suite, que le référendum ne soit pas mis en place pour que, clone admiratif de de Gaulle, Emmanuel Macron, battu, s’en aille.

Veni, vidi…

Mais il est là et le demeurera jusqu’en 2027. Le pacte entre lui et les citoyens est rompu. Nous ne sommes plus dans le registre politique, même avec toutes ses outrances partisanes, mais dans une sorte d’injustice tellement ancrée que, le président aurait-il même tenu le 17 avril à 20 heures un discours de courage, de vérité et d’habileté, que l’opinion négative majoritaire n’en aurait pas été modifiée. Il y a quelque chose de plus fort que l’aptitude à gouverner et l’orgueil de présider : la désaffection d’un pays qui vous prive de vos moyens et de votre envie d’agir et de réformer.

Le président n’a pas réussi avec son verbe, avec son apparence de maîtrise et de sérénité défiant les colères et les revendications, à retrouver une confiance suffisante de ses compatriotes pour mener encore à bien, avec les aléas parlementaires et la rue qui gronde en permanence, les années qui lui restent. On peut lui reprocher cette faiblesse fondamentale : le souci exclusif de son image, avec la hantise de rien céder, l’a gravement handicapé, il n’a pas donné les gages qui l’auraient sauvé à ses opposants politiques et syndicaux, adeptes nombreux d’une démocratie non-violente, respectables autant qu’ils auraient été prêts à respecter un président les traitant avec la politesse républicaine requise. Et le dialogue qu’elle implique. Faute d’avoir su écouter cette majorité intelligemment critique, il a laissé libre cours à l’extrémisme délirant de gauche et d’extrême gauche et à l’attente de plus en plus sûre d’elle du Rassemblement national. Un discours n’aurait pas pu tout faire mais il n’était pas fatal qu’il aggravât les choses.

Il est venu, on l’a entendu, il n’a pas convaincu.

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Un hymne à l’héroïsme d’antan

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Il fut un temps où point n’était besoin de mangas pour faire voyager les jeunes lecteurs. Accroître leurs connaissances et stimuler leur imagination. Leur faire aimer leur pays et ses valeurs, sans complexe ni fausse honte…


Il est vrai que, sous la Troisième République, la littérature jouait encore pleinement son rôle. L’école aussi, encore épargnée par la théorie du genre, et dont la mission première était de transmettre un savoir.

Las, cette époque est bien révolue. Comme celle où les mots conservaient tout leur sens. Ainsi le Tour de France. La course cycliste, célèbre dans le monde entier, ne débordait pas, comme aujourd’hui, les frontières de l’Hexagone pour associer d’autres pays – sans doute une manière de faire allégeance à l’Europe dont l’union, tant prônée, est loin de rallier tous les suffrages.

Un manuel scolaire d’envergure

Le Tour de France… Comment n’évoquerait-il pas « Le Tour de la France par deux enfants », le best-seller d’Augustine Tuillerie publié en 1877 ? Ce manuel de lecture à l’usage des écoliers du cours moyen connut, dès sa sortie, une faveur foudroyante et durable. Les écoles, tant laïques que religieuses, se l’arrachent. Succès durable : quelque sept millions d’exemplaires vendus en 1914, en dépit de quelques modifications imposées par la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Autant dire que des générations ont appris à lire dans ses pages dont les deux-cents illustrations préfigurent les bandes dessinées. Ont acquis des notions d’histoire et de géographie et aussi de civisme, de sciences, de morale et d’art. Sans compter la fierté d’être Français. Ce qui, convenons-en, a, par les temps qui courent, de quoi le rendre suspect.

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Or voici que ce récit du périple de deux orphelins à travers les provinces françaises et leur fructueux particularisme, récit souvent copié, interprété, adapté avec plus ou moins de bonheur, revient au goût du jour. Une nasarde à la vogue de la déstructuration actuelle. La raison ? une passionnante biographie de son auteur (ma plume renâcle à écrire auteure) due à Michèle Dassas, Augustine Tuillerie, sous-titrée L’Histoire extraordinaire de l’institutrice aux millions d’élèves. Une plongée fascinante dans la vie et l’œuvre d’une femme hors du commun. Une existence contrastée, faite d’épisodes tragiques et de moments de bonheur intense, jusqu’à la reconnaissance publique d’un talent qui excède le seul domaine littéraire.


Rien ne prédisposait Augustine Tuillerie à un destin aussi contrasté.  Née en 1833 à Laval, elle eût pu couler les jours sans histoire d’une petite bourgeoise provinciale traversant les soubresauts de l’Histoire, dont deux conflits sanglants, celui de 1870 et celui de 1914. Il n’en fut rien. On se gardera de dévoiler les méandres d’une intrigue passionnante de bout en bout, Le récit de sa vie tient, en effet, du roman policier, avec tentatives de meurtre, ses fausses identités et ses fausses pistes déroutantes. Il relève du roman d’aventures, dans tous les sens du terme. Mais il revêt aussi les aspects du traité de morale, du roman psychologique, de l’évocation historique, du roman sentimental, de l’apologue, du conte philosophique. L’exaltation d’une héroïne que son amour des enfants, de sa patrie et de la littérature conduisit, en dépit de tous les aléas, au faîte de la renommée, en fait une manière de roman initiatique. Autant de facettes conférant à ce livre sa densité et ses multiples centres d’intérêt.

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Une biographie digne de son sujet

Si cette biographie se révèle aussi captivante, empoignant dès ses premières pages le lecteur pour maintenir jusqu’au bout son intérêt, c’est grâce au talent de Michèle Dassas. Un talent reconnu qui lui valut, en 2021, pour l’ensemble de son œuvre, la médaille d’or du Mérite littéraire décernée par l’Association Arts et Lettres de France. Comptant à son actif une bonne quinzaine d’ouvrages, dont neuf romans, elle a fait ses preuves dans le domaine de la biographie : deux de ses ouvrages consacrés l’un à Jeanne Chauvin, la première des avocates, l’autre au peintre Auguste Renoir ont été tour à tour récompensés. Outre la fluidité et l’aisance d’un style séduisant, l’art de camper les personnages, et de conduire le récit avec alacrité, ce qui retient et attache, ici, c’est le sérieux de la démarche. Michèle Dassas apporte la preuve qu’il est possible de chanter le los d’une héroïne sans verser dans un féminisme devenu aussi outrancier que banal. Elle s’appuie sur une documentation des plus fournies. Excelle à brosser le tableau d’une époque, d’un milieu, de tout l’entourage d’une héroïne qui s’inscrit à contre-courant de notre époque exaltante : Augustine Tuillerie, alias G. Bruno, discrète allusion à Giordano Bruno, n’écrivait-elle pas, en 1916, « la grande force d’une nation réside dans l’union de tous » ? Un beau sujet de méditation pour certain monarque infatué trônant à l’Élysée.

Michèle Dassas, Augustine Tuillerie. Préface de Jean-Pierre Rioux. Ramsay, 326 p.

Contre le peuple, tout contre

En bon gaulliste « canal historique », Henri Guaino rappelle qu’on ne peut gouverner sans le consentement du peuple. Même s’il est difficile à définir, même s’il n’a pas toujours raison, le peuple doit toujours avoir le dernier mot. L’ancien conseiller spécial du président Sarkozy ajoute qu’il n’y a pas pire gouvernant que celui qui fait passer son orgueil personnel avant l’intérêt du pays.


On ne gouverne pas contre le peuple. Ce n’est pas la première fois que l’on essaie. Cela ne marche jamais. Et ça peut même mal finir. Mais c’est tellement tentant. Le peuple, ce n’est pas accommodant, c’est imprévisible, c’est inconstant, ça ne fait pas toujours ce que l’on veut, tantôt ça veut aller à gauche, tantôt ça veut aller à droite, tantôt ça ne veut aller nulle part, ça veut se mêler de tout, c’est rempli de contradictions, ça s’emporte pour un rien, ça se cabre, ça rue dans les brancards et ça empêche de gouverner tranquillement, surtout un peuple comme le nôtre, comment dit-on déjà ? Ah oui, un peuple de Gaulois réfractaires. Comme si les autres peuples étaient tellement plus faciles à gouverner. Un regard sur leur histoire suffirait à se convaincre que ce n’est pas vraiment le cas. Encore faudrait-il que ceux qui nous gouvernent pensent que l’histoire peut leur apprendre quelque chose au moins sur la nature humaine et ce qu’elle nous réserve, qui ne change pas beaucoup à travers les âges, ni d’un pays à l’autre.

Manifestation contre la réforme des retraites, 23 mars 2023. « La foule n’a besoin d’aucune légitimité pour prendre la parole. » © Yann Slama/sipa

Le peuple n’a pas toujours raison, mais il a toujours le dernier mot

Bon, c’est vrai que, de nos jours, le peuple n’est pas très à la mode. Populaire, ce n’est pas très flatteur, ça a un petit parfum de laisser-aller et de vulgarité. Il fut un temps où être un parti populaire, c’était valorisant, comme quand Malraux déclarait avec fierté que le RPF du Général de Gaulle c’était le métro à six heures du soir. De nos jours, quand on entend ça, on se pince un peu le nez : un parti digne de gouverner, c’est un parti de notables. C’est pourquoi le Parti socialiste a fini par devenir ce qu’il est devenu et qu’on a liquidé le RPR pour faire l’UMP et ce qu’il en reste. Populiste, c’est encore plus mal vu que populaire. C’est carrément synonyme de démagogie. Pas digne de gouverner. D’un côté, il y a les instruits, les raisonnables, les responsables et, de l’autre, les incultes, les irresponsables. Il m’arrive pourtant de penser que les irresponsables sont dans les palais nationaux et que les plus responsables, les plus lucides sont dans la rue. Mais comme le peuple est là de toutes les façons, il faut bien faire avec. Ah, si au moins il ne votait pas, ce serait quand même mieux, on se répartirait les postes entre soi dans le cercle de la raison. Finalement, le suffrage censitaire, ce n’était pas si mal. On pourrait même ajouter un critère de diplôme. Évidemment, quand on voit comment certains surdiplômés pensent et agissent quand ils sont au pouvoir, on hésite quand même un peu à souhaiter cette République platonicienne gouvernée par les plus intelligents. Quand on voit comment ils comptent, ce qu’ils font avec des chiffres dont ils finissent par avouer qu’ils ne savent même pas d’où ils sortent, quand on constate le mal qu’ils ont à calculer à combien de retraités leur réforme donnera une pension minimum de 1 200 euros, on en arrive à la conclusion que, non, le critère des diplômes n’est pas une bonne idée. Et si encore, ils ne faisaient que des erreurs de calcul. Mais il y a aussi l’hubris, cet orgueil démesuré qui est le ressort des tragédies d’Eschyle et de Sophocle et qui fait commettre bien des erreurs de jugement aux conséquences beaucoup plus lourdes que celles des erreurs de calcul. Et la pire des erreurs de jugement, c’est de croire que l’on peut se passer du peuple pour gouverner, voire que l’on peut gouverner contre lui parce que l’on croit savoir mieux que lui ce qu’il faut faire. Il est vrai que le peuple n’a pas toujours raison. Mais voilà, qu’il ait tort ou raison, il a toujours le dernier mot.

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À ce point de la discussion, il y a toujours quelqu’un qui se croit plus malin que les autres en faisant remarquer que le peuple, c’est un bien grand mot mais qu’à part la majorité qui sort des urnes, on ne sait pas très bien ce que ce mot désigne. On sait compter les bulletins de vote, mais on ne sait pas décrire le peuple qui reste une idée abstraite indéfinie, un concept sans portée opérationnelle, une image qui relève de l’imaginaire romantique. Ce n’est pas faux, mais s’en tenir là, c’est rester à la surface des choses et se condamner à commettre bien des erreurs qui conduiront à des drames. C’est exactement ce qu’exprime une phrase du genre de celle qu’a prononcée le président de la République à propos des manifestations contre la réforme des retraites : « La foule n’a pas de légitimité face aux élus. » Comme si la foule des manifestants qui protestent n’avait rien à dire sur les lois qui les concernent et sur la façon dont ceux qui s’expriment en son nom exercent leur mandat. Le seul résultat d’une telle phrase est de rendre la foule furieuse et de contribuer non à la déligitimation de la foule, qui n’a besoin d’aucune légitimité pour prendre la parole, mais à la déligitimation des institutions aux yeux au moins d’une partie de ceux qui sont la source de toute légitimité politique.

Au bord de la rupture

Parce qu’on peut le nommer mais non le définir concrètement, le peuple n’existerait donc pas. Mais si le peuple n’existe pas, la nation n’existe pas, la cité n’existe pas, la politique n’existe pas, la démocratie n’existe pas. Au demeurant, nous vivons avec beaucoup de mots qui désignent des choses que nous avons bien du mal à définir, mais dont nous avons tous l’intuition, telles que le Temps, la Beauté, la Justice, l’Amour, la Légitimité, l’Autorité ou encore l’État ou la Nation. Qu’est-ce que le peuple ? C’est une population qui a conscience d’être un peuple, qui se sent soudée par un ciment invisible, un sentiment d’appartenance, le sentiment de partager une destinée commune, qui est plus fort que tout ce qui peut la diviser. Quand ce qui la divise est plus fort que ce qui l’unit vient la guerre civile, la guerre de sécession. Un peuple peut la surmonter, comme le peuple américain après la guerre de Sécession, ou pas et se disloquer comme le peuple yougoslave. C’est le temps long qui fait les peuples et leur imaginaire commun. Comme le disait Braudel à propos des civilisations qui sont des personnages de l’histoire qui durent très longtemps, les peuples aussi sont des personnages de l’histoire, des êtres collectifs qui durent très longtemps. Et pour gouverner, il faut compter avec eux, il faut les respecter, les amadouer, les séduire, les convaincre, et les aimer. C’est l’essence même de l’art de gouverner. Même une tyrannie, si elle veut exercer son pouvoir absolu et durer, a besoin de convaincre son peuple, par l’endoctrinement, par la propagande, en flattant les instincts, en désignant des boucs émissaires, mais elle a besoin de convaincre, quels que soient les moyens qu’elle emploie parce que même le gouvernement par la terreur a ses limites, parce qu’il n’est possible de se faire obéir par la terreur que jusqu’à un certain point. Gouverner n’exige pas forcément l’adhésion, ni le consensus, ni l’unanimité mais exige au moins le consentement de presque tous. La nécessité du consentement, c’est bien ce qui semble oublié à l’heure actuelle. Dès lors, peut-on prendre quand même des décisions impopulaires parce qu’on les juge nécessaires pour le bien du pays ? La réponse est oui mais, encore et toujours, jusqu’à un certain point. Un point qu’il faut découvrir à chaque fois, dans chaque circonstance, pour chaque projet, surtout dans une société fracturée, au bord de la rupture. Encore faut-il se poser la question, encore faut-il être conscient que, pour gouverner, il faut se fixer à soi-même des limites qui ne sont inscrites nulle part. Il n’y a pas de livres de recettes de l’art de gouverner ou de commander. La guerre des Gaules n’est pas un livre de recettes. Le Mémorial de Sainte-Hélène et les Mémoires de guerre ou les Mémoires d’espoir non plus : ce sont des expériences exemplaires, des histoires dont chacun peut tirer pour lui-même des leçons de politique ou de commandement. Le Prince de Machiavel n’est pas autre chose qu’une réflexion, à partir d’une expérience, sur la nature de la politique et sur la nécessité de la conduire à partir de ce que de Gaulle appelait « les réalités ».

Machiavel met le peuple au centre de ces réalités qui s’imposent à la politique. C’est dire que s’il faut beaucoup d’orgueil pour se penser capable de gouverner les autres, il faut au moins autant d’humilité pour écouter, entendre et répondre au peuple qui gronde, et autant de courage pour ne pas tenter de le violer et pour reculer quand le refus est trop fort, parce que seuls les faibles font passer leur amour-propre avant l’amour de leur pays et seuls les tyrans font la guerre à leur peuple. C’est le choix gaullien, le seul au fond qui permet de sortir du genre d’impasse où la France s’enferme aujourd’hui.

« Ne rien céder », un aveu de faiblesse

C’est prendre un grand risque pour soi-même et pour les institutions que de faire de l’exercice du pouvoir une question personnelle et de dissoudre la fonction dans son moi au lieu de dissoudre son moi dans la fonction. Pour celui qui est censé incarner la souveraineté, ne jamais céder parce qu’il ne veut pas perdre la face, c’est manquer à ses devoirs et prendre le risque de tout perdre. Quand la résistance populaire est trop forte, et la démocratie représentative trop contestée, il n’y a que deux issues raisonnables : se retirer ou s’en remettre au référendum pour trancher. À charge pour le pouvoir de poser ou non par le référendum la question de confiance au peuple, comme le faisait le général de Gaulle lorsqu’il considérait que l’essentiel, à ses yeux, était en jeu ou que sa légitimité était en cause. Mais, à tout dramatiser, pour justifier son intransigeance, le gouvernement se condamne à une remise en jeu permanente de sa légitimité qui, si elle ne peut pas passer par les urnes ou par la protestation pacifique, finira par se frayer un autre chemin par la violence. Sous-estimer le risque, pour n’importe quelle société, de basculer dans l’engrenage de la violence, revient à méconnaître la nature du peuple et la nature humaine avec lesquelles, partout et toujours, la politique doit composer. C’est la raison pour laquelle tout pouvoir qui parie sur l’usure d’un mouvement social de grande ampleur et déterminé en usant les forces de l’ordre et l’autorité de l’État, qui mise sur la stratégie de la tension pour rallier autour de lui le parti de l’ordre face à la montée du désordre, joue dangereusement avec le feu.

Il n’y a rien de pire pour la politique qui a pour premier devoir de garantir la paix civile que de devenir une question d’orgueil face à cette réalité qui s’appelle le peuple et qui, répétons-le, n’a pas toujours raison, mais a toujours le dernier mot. Et ce dernier mot, c’est celui de la souveraineté, ce pouvoir inaliénable de dire « non », d’opposer un refus obstiné qui peut transformer le peuple en foule et la foule en meute dévorant tout sur son passage.

Vers une infantilisation généralisée

Un phénomène curieux gagne les Français… Ils régressent! Pas seulement en termes de niveau d’éducation. Non! ils sont gagnés par une curieuse nostalgie de l’enfance.


Est-ce le résultat pernicieux de la prise en charge croissante de l’État-nounou, lequel s’occupe de notre régime alimentaire, de nos co-voiturages ou du nombre de pas qu’il faut effectuer quotidiennement ? Est-ce la conséquence de notre abandon à cet Etat maternant qui gère la façon dont nous travaillons, l’éducation sexuelle de nos enfants (lesquels nous donnerons bientôt des leçons en la matière) ou notre microbiote et les cinq fruits et légumes qui vont avec ?

Bonne fête des mamans !

Tout un vocabulaire régressif accompagne le phénomène. N’est-ce pas un peu inquiétant d’entendre un ministre de la République important s’exprimer en disant « ma maman… », d’autres évoquer « mon papa » ?[1] Des termes mignons qui renvoient à la petite enfance et au domaine de l’affectif pur. Rappelons quand même que papa et maman sont les premiers mots de bébé lorsqu’il apprend à parler, et que l’adjectif possessif que certains y accolent systématiquement parachève son aspect enfantin  – au-delà de la sympathie sous-jacente, bien sûr, que ces termes provoquent. Même à la radio, les journalistes oublient le mot mère, utilisant « sa maman » pour parler de la mère d’un joueur de foot ! Une dilution sémantique qui nous fait vivre sous le règne de l’émotion bienveillante permanente. C’est tous les jours la fête des mères. Pardon, la fête des « mamans » !

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Dans le même ordre de constats, j’observe en entreprise depuis quelque temps l’apparition des bonbons en salle de réunion ; les cadres sont shootés à l’Haribo ! C’est tout juste si la DRH ne distribue pas des doudous en cas de menaces de burnout. Et puis, on fait joujou ; il y a désormais l’heure de la récré dans l’entreprise ; le babyfoot est à côté de la machine à café, et une table de billard installée en salle de réunion. Terminé le temps jadis où les adolescents et les jeunes rêvaient d’atteindre l’âge adulte, l’époque où la valeur, certes, « n’attendait pas le nombre des années », mais où l’on rêvait de faire ses preuves. On empruntait alors en cachette les vêtements des parents et l’impatience de vieillir était l’impatience de la vie. C’est fini : nos ados ne veulent plus vieillir, ils ne souhaitent pas follement entrer dans la vie active et prolongent indéfiniment leurs études. Ils revendiquent avec insolence le fait d’être jeunes… On a honte des boomers. Ce serait une qualité d’être jeune, au pire une excuse. C’est la démarche inverse qui a pris le pas, le jeunisme rôde: les parents s’habillent comme les « d’jeunes » ; à eux jeans troués, baskets et tee-shirts. On copie jusqu’au langage de sa progéniture pour être aussi jeunes qu’eux, soyons « cool ». Nous observons une sorte de refus de la maturité à tous les niveaux. Plus grave, le refus d’éduquer ses propres enfants, à qui on demande ce qu’il convient de faire, est à la mode. C’est un conformisme ambiant ; on a peur de ne pas être aimé de ses enfants, et l’autorité a changé de camp.

Big Bisou

En cas de vrai problème, quand on en a les moyens, on préfère faire appel à des psys. « Il voit quelqu’un », c’est la formule consacrée. Cela permet en tout cas de se disculper et de ne pas prendre ses responsabilités. Quant à l’Education nationale, chargée d’éduquer autant que d’enseigner, elle ne sait plus à quel prof se vouer, entre le prof à piercing vachement sympa parce qu’on ne le distingue plus des élèves, et celui qui tente d’imposer une discipline et qui sait que les parents lui tomberont dessus dès qu’il en punira un.

Mais, au pays des Bisounours, tout le monde s’aime, ou du moins donne des signes extérieurs d’affection… Le tutoiement est de rigueur, les fautes de syntaxes également. C’est chaleureux la faute de syntaxe ; la grammaire avait un côté censure rigide quand la faute de français apporte un côté plus humain à la phrase… « Bisous » remplace « au revoir », et tout le monde s’embrasse. Là aussi, c’est encore la mode ado qui nous a contaminés et on regretterait presque le Covid qui nous avait fourni l’occasion de rependre quelques distances sous un prétexte médical ! Tout le monde il est beau, tout le monde il est sympa, c’est devenu un véritable programme politique.

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On aime les jeunes au point d’en faire des idoles. On envisage de les faire voter de plus en plus tôt (alors qu’ils votent de moins en moins). On les fait s’exprimer, à 15 ans, sur les retraites à la télé, sans qu’ils comprennent d’ailleurs que c’est leur propre retraite qui va sauter si on les écoute, car en tout état de cause on ne pourra pas la leur payer… De toute façon, sous l’œil admiratif de nos élus de gauche et de leurs parents esbaudis, ils déclarent « qu’ils ne veulent pas perdre leur vie à la gagner » ; ça c’est dit ! Ces petits chéris sont nos sages d’antan. Le monde n’a-t-il pas pris conscience de l’urgence écologique grâce à Greta Thunberg, alors âgée de 14 ans, et à qui on n’a jamais osé demander quand elle allait à l’école ?

Le péril jeune

Quant aux manifs actuelles en France, on les scrute à la loupe. Le drame serait que les étudiants sortent en masse dans la rue, car on ne sait vraiment pas comment les faire rentrer ensuite. C’est comme si on avait des cohortes d’orphelins à gérer, et la culture de l’excuse a remplacé tout jugement objectif : ni responsables, ni coupables. Ce sont des jeunes, ils ont le droit de savoir mieux que tout le monde. D’ailleurs ils l’ont lu sur internet !

Quoi qu’il en soit, l’assistanat croissant est une façon, volontaire ou pas, d’infantiliser tous les adultes que nous sommes, de même que la politique des chèques cadeaux se révèle très efficace pour avoir la main sur nos dépenses et nos gains.

Demande à l’État, papa et maman n’ont plus les moyens…

La France sens dessus dessous !: Les caprices de Marianne

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[1] https://www.gala.fr/l_actu/news_de_stars/video-ma-maman-gerald-darmanin-ses-arguments-personnels-pour-convaincre-sur-la-reforme-des-retraites_512575

Oui, que Macron parle!

Macron va parler ce soir. Et alors? Il n’y aucune surprise à attendre d’une allocution où le président continuera à vivre dans un monde parallèle, persifle Jérôme Leroy.


Jérôme Leroy, un justicier qui surgit hors de la nuit…

Macron va parler et finalement, tout le monde s’en moque un peu. Ce qu’il lui reste de partisans ou d’obligés sait qu’il ne changera rien, qu’il « assumera ». Comme ce verbe aura plu à la macronie ! Assumer, c’est-à-dire, refuser tout examen critique. Et non, comme ce serait le cas pour un bandit de grand-chemin qui ferait un hold-up sur deux ans de la vie des Français, reconnaître sa faute et en assumer les conséquences, c’est-à-dire le châtiment qui va avec. Si l’image du bandit de grand chemin m’est venue, c’est à cause de l’heure à laquelle Macron a promulgué sa loi inique: en pleine nuit, à la manière des tire-laine et autre monte-en l’air.

Pour les partisans de Macron donc, notamment s’ils sont députés, les retours en circonscription sont de plus en plus douloureux. Tel député du centre de la France, et de l’échiquier politique Macron-compatible, rencontré dans un salon littéraire, me racontait sa divine surprise de 2017 quand il avait été élu contre un sortant socialiste ; et sa tristesse en 2022 quand il avait été élu plus largement… mais face à un candidat RN qui n’avait aucun poids jusque-là !

La gauche disparait du jeu politique, la colère apparait dans les rues

Ce que cela signifiait, c’est que si la gauche avait disparu de cette circonscription rurale, elle avait été remplacée par ceux qui avaient su capitaliser la colère : celle des gilets jaunes, celle d’une population lassée par l’arrogance constante de Macron, par l’incroyable mépris de classe dont il n’a jamais su se départir face à « ceux qui ne sont rien ». Si mon député en question tient le choc pour l’instant, c’est parce que contrairement à beaucoup d’autres Renaissance et assimilés, il est un enfant du pays, que les gens le connaissent, qu’ils l’engueulent mais l’aiment bien au fond. Est-ce que cela suffira la prochaine fois ? Il a, quand on lui pose la question, un sourire mélancolique et il lève les yeux au ciel…

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M’est alors venu à l’idée, après cette conversation, que nous expérimentions à quel point la Vème République, surtout depuis la coïncidence de la présidentielle et des législatives et l’impossibilité de faire plus de deux mandats consécutifs, était devenue une arme dangereuse quand une personnalité comme celle de l’actuel président se retrouvait au pouvoir, avec une mission bien précise: mater l’exception française, c’est-à-dire, parlons clair, mater le peuple français qui est l’un des derniers à n’être pas convaincu que la vie doive se résumer à une soumission totale au libéralisme. Il y aurait, au moins depuis 1995, une histoire à écrire de ces refus successifs qui font l’honneur d’un pays.

C’est pour cela que les opposants – que ce soit l’Intersyndicale ou les parlementaires, y compris ceux du groupe Liot avec Charles de Courson et une fraction des LR – , eux non plus, n’attendent rien de leur côté. L’onction du Conseil Constitutionnel a dopé Emmanuel Macron. Un Conseil, qui a jugé « en droit » comme on dit, mais qui a, de fait, pris une position politique et montré son mépris pour le RIP – lequel ressemble, pour les neuf sages, à ces jouets, ces pistolets factices que l’on donne aux enfants pour faire panpan avec la bouche mais qui ne pourront jamais tirer à balle réelle.

Quand est-ce qu’on arrive?

C’est amusant, d’ailleurs, quand on entend Elisabeth Borne dire « qu’on est allé au bout du processus démocratique ». Se rend-elle compte que sa phrase est à double sens ? Que l’on peut comprendre que finalement, les moyens démocratiques n’ont pas suffi à faire reculer une loi dont, on ne se lassera jamais de le dire, neuf Français actifs sur 10 sont contre; et que même la possibilité d’un referendum ne leur sera pas donnée ?

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Alors, oui, que Macron parle ! Sa parole est complètement dépassée, démonétisée. Son aveuglement, réel ou feint, montrera juste à quel point il est dans un autre monde. Les clefs du pouvoir sont dans la boite à gants : c’est le titre qu’avait donné Frédéric Dard, alias San Antonio, à un excellent roman politique. Désormais, les clefs du pouvoir sont dans la poche du costume fité de Macron et il n’a pas l’intention de les lâcher. Il dira qu’il faudra passer à autre chose, et Borne, en écho, parle déjà « d’accélérer les réformes ». Vraiment ? Après quatre mois de mobilisation populaire ? Après les blessures infligées par un mépris sans faille ? Avec un parlement à la majorité introuvable, auquel on a tordu le bras ? Le président parlera d’écologie, d’éducation, de santé mais il sera inaudible sauf pour les commentateurs qui feront des émissions spéciales. Sans doute mise-t-il sur le précédent Sarkozy lors du mouvement de 2010, aussi ample que celui-ci. Il oublie juste que Sarkozy, en 2010, disposait d’une majorité confortable au parlement et d’une partie non négligeable de l’opinion derrière lui. Et même comme cela, deux ans après, il se faisait battre par le plus mauvais candidat possible, François Hollande.

On souhaite bien de la chance à ceux qui se présenteront après Macron en « assumant » cette réforme des retraites parce que n’importe quel manche à balai qui se présentera en promettant un retour au « statu quo ante » des 62 ans lui passera devant. Mais Macron, lui, sera loin. Il donna des conférences à Davos ou à Dubaï, et comme il sera encore jeune, il pourra faire ça jusqu’à 64 ans. Au moins.

Les clés du pouvoir sont dans la boîte à gants

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C’est l’hallu finale!

Le « 10 améliorable », note plancher


Tous ensemble, toutes ensemble : grève générale ! « En plein mouvement contre la réforme des retraites, nous considérons que chacun doit pouvoir se mobiliser pour son avenir sans être inquiété.e de redoubler. En conséquence, nous exigeons que soit mise en place à Paris 1 la note plancher du « 10 améliorable » pour les examens de fin de semestre, et que tous les enseignements soient banalisés pour mettre fin aux politiques d’assiduité qui pénalisent celles et ceux qui combattent les politiques du gouvernement » (Assemblée générale, centre Tolbiac, 4 avril). Ni Dieu ni Masters ! C’est l’hallucination finale !

Le partiel est au bout du fusil

Les assemblées générales inter-facs, apprentis insoumis néo-maos-trotskystes, champions du tri non sélectif et des incendies de poubelles, manquent d’imagination et d’ambition…Tout ça pour un 10/20 ! Le partiel est au bout du fusil, camarades ! Soyez réalistes, exigez des « 18 améliorables », le vin et l’agreg pour tous ! Il y a deux générations, Jacques Martin avait inventé une école citoyenne, inclusive, bienveillante, démocratique et participative, L’école des fans, 10/10 pour tous ! 

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Terreur pipole de Saint Germain-des-près, génération Bob L’éponge, l’activiste Juan Branco, avocat sanguinaire et sans examen d’accès à l’Ecole d’Avocats (qu’il intègre par équivalence), lâche une bombe dans Coup d’Etat, son dernier brûlot : « La fin des rois approche, et la lame sanglante, sur leur nuque fraîche et préservée, s’apprête à tomber ». Billy the Kid ne met pas la barre très haut : son ennemi mortel, c’est Emmanuel Macron. N’est pas Robespierre, Thiers ou Vergès qui veut. Attention Juan : la Révolution dévore ses enfants et les bébés requins de l’eau du bain ! Avant la Révolution, Marat, 1er de Corday, intrigua en vain pour faire reconnaître une fausse noblesse espagnole et enregistrer un blason. L’appétit vient en mentant, 1789 rend lyrique : « La grandeur du crime est la seule différence qu’il y ait entre un conquérant et un brigand… C’est par la violence que l’on doit établir la liberté ». Touche pas à mon Pol Pot ! Adolescent, Tourgueniev avait accroché un portrait de Fouquier-Tinville dans sa chambre. On ne la fait pas à Arletty : « Les terreurs j’en suis revenu, elles ont surtout la terreur du boulot ». Jean Yanne est raccord : « Les hommes naissent libres et égaux en droit. Après ils se démerdent ».

L’UNEF a été braquée par L’Alternative, nouvelle fédération étudiante téléguidée par LFI. Louis Boyard, Blague Bock Bambino-Bambino de la Nupes, a trouvé un slogan de Mai 68 à sa pointure : « J’ai quelque chose à dire, mais je ne sais pas quoi ». Annie Ernaux -Comtesse de c’est dur et des malheurs de sophismes- fulmine : « Penser que des gens mourront avant d’être à la retraite est quelque chose de très violent ». Good bye Staline… La véritable héritière du joli Moi de Mais, de la Société du spectacle, Mille Plateaux télé, c’est Marlène Schiappa. Sur BFMTV, dans Playboy, ses romans libertins, elle vit sans temps mort et jouit sans entraves. La Cause des femmes est plus rentable que celle du peuple. Deux générations plus tard, les soixante-huitards oligophrènes, greluchons diversocrates, Racaille le Rouge ont gagné la partie. Comme la République, la bêtise est une et indivisible. « Ne dites plus : Monsieur le Professeur, dites: crève salope ! Penser ensemble, non. Pousser ensemble, oui ! Prenons nos désirs pour des réalités ! ». Le niveau baisse dans tous les coins.

Identification d’une flemme

Conçue entre deux hashtags et trois textos, ardente, pâle, nerveuse, coupée de ses racines, vampirisée par les écrans et réseaux sociaux, la jeunesse peine à se projeter en dehors de TikTok et des incendies de scooters électriques. « Les Trissotin lui ont appris (à l’élève) l’art d’écraser un texte littéraire entre l’enclume des pseudo-concepts linguistiques et le marteau des bonnes intentions civico-humanitaires (…) Reste que l’enseignement du français ne peut être considéré comme un champ de ruines parmi d’autres, parce qu’en s’effondrant, la maîtrise de la langue et la compréhension des textes écrits ont emporté avec elles la capacité d’argumenter et l’intelligence critique » (Pierre Mari).

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Les programmes extra-light, discours creux faisant parler les orphelins et les esprits enfantins, la fausse monnaie de l’évolution des connaissances, rien n’y fait, tout va de mal en PISA, la glissade continue : le roman de l’aboulie nationale. Les politiques démagos, syndicats corporatistes, cacographes héraults des marqueurs d’énonciation, ont coulé l’école de la République et la méritocratie. Parcoursup et les algorithmes ont achevé le mammouth. La modernité pédagogique ne date pas d’hier. En 1804, Stéphanie de Warhouf publiait un opus iconoclaste : Vélocifère grammatical ou la langue française et l’orthographe apprises en chantant (ouvrage très élémentaire, unique en son genre, mis en vaudevilles et dédié aux Demoiselles, suivie De l’arithmétique des dames, ouvrage simplifié et à la portée des personnes les moins intelligentes).

Dans le 8e arrondissement, les émigrés factieux soucieux de blés flamands et de coton anglais, multicultu.râlent et slaloment pour échapper à Parcoursup… Un LLB à McGill (Montréal) ? Une école d’archi en Italie ? Les parents de L’Auberge espagnole doivent financer la Salade Grecque des enfants. À l’heure où blêmit l’hypokhâgne – les yeux fixés sur leurs pensées, tristes, le dos courbé – les grands-parents regrettent Rosemonde Gérard, Marcel Pagnol, l’odeur de l’encre, la craie, le calcul, les dictées.

Pas facile de sortir de l’ornière ; le terrain est miné. Pas de vagues. Des pistes sont étudiées en haut lieu depuis cinquante ans… Depuis cinquante ans, en haut lieu… Cinquante ans depuis, en haut des pistes… : Remplacer les divisions de profs démissionnaires par des ‘droit commun’, contre une remise de peine ? Abandonner les méthodes transversalo-globalo-visuelles de lecture et les Enseignements Pratiques Interdisciplinaires ? Oublier les adaptations d’Iphigénie en rap(t) et les châteaux-forts en pot de yaourt ? Imperturbable dans la tourmente, Pap N’Diaye garde son flegme (la marque des grands serviteurs de l’État) et occupe le terrain : le harcèlement dans les Maternelles Moyenne section, la mixité sociale à l’École Alsacienne… « Je suis sûrement plus complexe que l’on a pu le penser. Je gagne à être connu ! ».

Les premières victimes de l’effondrement culturel et pédagogique, ce sont les classes populaires. « Ce qui rend notre culture si difficile à communiquer au peuple, ce n’est pas qu’elle soit trop haute, c’est qu’elle est trop basse. On prend un singulier remède en l’abaissant encore davantage avant de la lui débiter par morceaux » (Simone Weil).

Pourquoi le buste en bronze de Samuel Paty est remisé dans un entrepôt plutôt qu’au Collège du Bois d’Aulne ? De qui, de quoi, a-t-on peur ? Qui fait la loi ?

Qu’est-ce que le président va bien pouvoir raconter aux Français ce soir?

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Un président trop pressé et des Sages bien trop sages. L’analyse politique de Philippe Bilger.


Je l’aurais parié : le président de la République a promulgué la loi sur les retraites dans la soirée du 14 avril et elle a été publiée dans la nuit du 14 au 15 avril, à 3 heures 28 du matin. Quand la démocratie se repose, lui a veillé pour lui faire, non pas un mauvais coup mais une provocation de plus. Etait-il absolument nécessaire de précipiter ainsi le mouvement pour désigner de manière ostentatoire le vainqueur de la partie ? Après avoir lu attentivement le 14 la décision du Conseil constitutionnel pour une émission spéciale de Sud Radio, je voudrais à toute force me garder de pensées suspicieuses sur l’indépendance des neuf Sages et sur leurs possibles liens officieux avec le pouvoir avant que la décision soit officiellement rendue. En effet j’avoue avoir été surpris quelques jours en amont par l’annonce de certains médias indiquant que le gouvernement aurait laissé volontairement quelques « cavaliers » sociaux dans la loi pour que le Conseil constitutionnel ait un peu de grain à moudre. Et de fait ils ont été censurés, notamment l’index senior.

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Le Conseil constitutionnel fait preuve d’un juridisme étroit dans son argumentation

Je n’ai pu m’empêcher non plus d’analyser la démarche du président, au cours de la semaine précédant la décision, comme révélatrice d’une forte intuition sur le caractère favorable de celle-ci, de sorte que par exemple il pouvait proposer, bien avant l’heure, une rencontre aux syndicats le 18 avril. Ils l’ont d’ailleurs refusée dans l’attente du 1er mai. Ce sont des indices qui ne signifient peut-être rien ou sont sans doute, de la part d’une juridiction suprême, tellement évidents – cette relation en amont avec le pouvoir exécutif, au moins pour l’information de ce dernier – qu’il ne faudrait pas en tirer des conclusions délétères.

D’autant plus que je ne crois pas que le problème central du Conseil constitutionnel soit l’indépendance des neuf Sages au sens strict. J’espère ne pas être naïf mais je n’imagine pas que ses membres, et encore moins son président, aient été si peu soucieux de leur mission capitale à la fois juridique et démocratique pour la brader de manière vulgaire en s’assujettissant au pouvoir.

Il n’empêche qu’en écartant ce grief injurieux, on peut en revanche s’étonner du juridisme étroit et de l’éclatante tonalité conservatrice de l’argumentation développée par le Conseil constitutionnel. Pour ce qui se rapporte à l’essentiel des recours portant sur la procédure suivie pour l’adoption de la loi, en gros, ce qui est formellement constitutionnel doit être forcément validé, comme si seule comptait la lettre et non l’esprit. Cette logique a été suivie au sujet de « la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour procéder à une réforme des retraites ».

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Pas de préjudice « substantiel », dites-vous ?

Et encore davantage pour la discussion sur « la clarté et la sincérité des débats parlementaires », et sur un mode à mon sens sinon choquant du moins désincarné – le regard juridique se dépouillant délibérément de toute intelligence politique. De sorte que chacune des pistes qui aurait pu conduire à une censure était systématiquement écartée. Pourtant le Conseil constitutionnel, pour les procédures mises en œuvre, évoquait leur « application cumulative », récusait « toute atteinte substantielle » et en concluait que « leur cumul(…)n’était pas à lui seul de nature à rendre inconstitutionnel l’ensemble de la procédure ayant conduit à l’adoption de cette loi ». Il me semble que cette approche révèle le souci du Conseil constitutionnel de s’arrêter à mi-chemin, de ne pas tirer toutes les conséquences d’un état parlementaire des lieux pourtant incontestable, en décidant pas exemple l’absence de toute atteinte « substantielle ». Qu’aurait-il donc fallu pour que cette « application cumulative » de procédures exceptionnelles au sens commun fût considérée comme créatrice « d’une atteinte substantielle » ? Il est en effet difficile de concevoir que dans la vie parlementaire un tel abus de procédures dérogatoires à la normalité d’un vote puisse être demain à nouveau imposé aux députés et aux sénateurs, ce qui conduit à s’interroger : quand donc un préjudice « substantiel » pourrait-il donc être relevé ?

Le fait que les députés de LFI aient par leur comportement collectif dévoyé mis du leur dans ces péripéties parlementaires tronquées ne rend pas moins insupportable l’atteinte qui a été causée à tous les droits des députés, toutes tendances confondues, d’avoir un débat à la fois durable et non contraint. Loin de moi l’idée de dénoncer une quelconque partialité du Conseil constitutionnel : plutôt, une crainte tellement obsessionnelle de tomber dans la politisation qu’il en a oublié qu’au nom du droit et de l’apaisement démocratique, une perception lucidement politique venant enrichir le premier et susciter le second pouvait être attendue de lui…

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Le paradoxe est qu’on pourrait imputer à cette assemblée de neuf Sages prétendus souvent partisans, non pas un déficit juridique mais une carence utilement politique. Je comprends qu’on puisse éprouver au mieux comme un sentiment d’inachèvement face à cette décision qui a permis une promulgation à toute bride abattue nocturne. Le référendum d’initiative partagée a été rejeté pour une raison sans équivoque. Le second, le 3 mai, aura-t-il la bonne fortune d’être admis ? Le président nous parlera ce soir à 20 heures. À moins d’un miracle politique, la France est loin d’être sortie de ses affres.


Attendre quelque chose ce soir : un devoir…
Le plus triste, sur le plan politique, pour notre démocratie, est qu’apparemment les Français n’attendent plus rien de l’allocution du président de la République à 20 heures ce soir. Si j’en juge par les réactions de ceux qui ont été questionnés dans le journal télévisé de la 6 le 16 avril. Ils ne se disent même pas qu’elle ne pourra qu’être meilleure, plus utile, plus respectueuse et empathique, que le dernier entretien qu’Emmanuel Macron nous avait offert avec la complicité bienveillante de deux journalistes. Ils ne sont même pas sûrs d’avoir envie d’écouter le président ce soir et certains, d’ailleurs, s’en passeront. Parce que la politique ne les intéresse plus, parce que ce président décidément n’est pas le leur, qu’il les ait déçus dès le début ou au fil du temps, ou qu’ils n’éprouvent que l’unique besoin de fuir les rites et les processus de la France traditionnelle, classique pour créer du désordre et de la révolution. Pourtant – et c’est une obligation républicaine – il conviendra d’attendre, d’espérer quelque chose ce soir. Je ne parle pas du socle stable des inconditionnels, des fidèles du président mais de tous ceux qui, critiques comme moi, pourraient être tentés de jeter l’éponge citoyenne. Il ne faut surtout pas. Pratiquer le contraire du « #BoycottMacron20heures » qui est une stupidité à tous points de vue. Un miracle est toujours possible et même si ce soir le président ne nous présentera que la face discutable de son être politique, qu’importe. On doit composer avec lui comme lui n’a pas d’autre choix que de s’accommoder de nous.
La seule manière de briser son autarcie si peu accordée à l’esprit profond du pays – dont la protestation constante est le rappel désespéré ou furieux qu’il existe et qu’on doit l’écouter – est de nous acharner à ne pas lui laisser le champ libre. Rendez-vous ce soir. P. Bilger.

Agatha Christie encore victime des censeurs!

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La romancière britannique Agatha Christie (1890-1976) © RONALDGRANT/MARY EVANS/SIPA

Être offensé par une œuvre écrite il y a cinquante, cent ou deux mille ans, et justifier une censure au nom de cette offense, c’est partir du principe qu’un auteur devrait écrire pour un lectorat invariable.


Au risque de faire réagir certains lecteurs, j’oserai dire que les partisans de l’idéologie woke, celle des « sensitivity readers » et de la « cancel culture », n’analysent pas toujours à tort les ressorts complexes, et profonds, de nos civilisations occidentales : c’est même ce qui les rend, parfois, si difficiles à contredire – les conclusions qu’ils tirent de leurs observations, en revanche, et, surtout, les solutions qu’ils préconisent pour mettre celles-ci à exécution, laissent invariablement pantois.

Sensitivity readers: les censeurs du wokisme

Ainsi se heurtent-ils l’esprit à intervalles réguliers, sans d’ailleurs qu’on ne leur ait rien demandé, en lisant ou relisant les œuvres de celle que l’on surnomma en son temps la « Duchesse de la Mort », Agatha Christie. En 2020, déjà, ils obtenaient que le roman les Dix petits nègres fût renommé en Ils étaient dix. Et voilà que, coup de tonnerre prévisible d’un ciel de plus en plus nègre, (« un ciel si noir ne s’éclaircit pas sans orage », écrivait Shakespeare), l’éditeur français – Le Masque – de l’auteur du Crime de l’Orient Express, de Mort sur le Nil, et de ce petit chef-d’œuvre méconnu qu’est La Nuit qui ne finit pas, annonce ce 17 avril, avec fracas (mais peut-être cherche-t-il la polémique pour vendre ?) qu’après Roald Dahl et Ian Fleming, Christie va passer à son tour – encore ! – à la moulinette de la « révision », c’est-à-dire de la censure.

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Si je disais en préambule que les wokistes n’ont pas toujours tort, c’est parce que le lecteur sinon passionné, du moins régulier, que j’ai toujours été des aventures de Marple et de Poirot, a souvent sursauté, tel un « sensible » (toute proportion gardée…), en découvrant, par-ci, par-là, des termes, des expressions, des tournures de phrases, qui aujourd’hui (aujourd’hui seulement, la nuance a son importance !) paraissent en effet d’un racisme décomplexé, d’une misogynie crasse, voire d’un antisémitisme parfaitement assumé – c’est dire que l’esprit d’Agatha Christie a pu être façonné par un ensemble de facteurs qui, de nos jours, la rendraient assurément persona non grata des plateaux de télévision. Il serait, bien entendu, plutôt malvenu d’utiliser en 2023 le terme de nègre pour parler d’un noir, ou de se livrer à une caricature de juif.

Et alors ? – c’est offensant ! diront les plus candides, qui n’auront pas voulu comprendre qu’il existe bel et bien, derrière l’argumentation superbement rodée de toute la cohorte des brillants universitaires qui justifient ces censures, une probable lutte de races (la haine, triste, de l’homme blanc occidental) comme on eût, pourtant, aimé ne pas en voir de sitôt.

La bienveillance, atroce idée

Et alors ? dis-je à nouveau – et moi dont l’œil, comme celui des censeurs, a été titillé par un langage libre dans son expression, celle-ci fût-elle offensante, et dont l’atroce idée de bienveillance, toute moderne, a depuis longtemps cessé de nous habituer, je ne réponds rien à cette question rhétorique, et ainsi je ne verse pas dans l’anachronisme, qui est l’une des plus grandes fautes de la pensée rationnelle. Car l’anachronisme est dangereux, à maints égards. Être offensé par une œuvre écrite il y a cinquante, cent, cinq cents, ou deux mille ans, et justifier une censure au nom de cette offense, c’est confondre en un seul bloc tous les horizons d’attente : c’est partir du principe qu’un auteur, quand il écrit – étant entendu qu’il devrait lui-même être une sorte d’être supérieur jamais soumis aux déterminismes de son époque –, devrait écrire pour un lectorat invariable, qui aurait en tout temps les mêmes sensibilités. On voit le vice : aujourd’hui, l’on corrige au nom de l’idéologie woke, qui n’est qu’une idéologie d’époque, et dont il ne restera peut-être rien ; mais les œuvres, elles, auront été réécrites, et ne seront, peut-être, plus connues de nos descendants que sous ces nouvelles formes aseptisées ; alors, à n’en pas douter, une nouvelle idéologie totalitaire, aussi vaine, haineuse, et véhémente que le wokisme, prendra le pouvoir à l’Université, et au nom de nouvelles sensibleries ridicules, censurera l’œuvre censurée. Au bout du bout, il n’en restera rien : l’on aura oublié l’histoire (celle racontée par le livre, mais aussi celle du livre lui-même, et finalement l’Histoire avec un grand H), à force de vouloir en gommer les imperfections.

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Océan de ratures

La littérature est comme un manuscrit continué de main en main, pendant des siècles et des siècles, par des milliers et des milliers de mains. Si, à chaque nouvelle génération, des intellectuels, qui se croient plus intelligents que leurs prédécesseurs, reprennent les travaux de leurs pères, alors le bel ouvrage disparaît sous un océan de ratures. Ceux qui se livrent aujourd’hui sans vergogne à la censure ne devraient pas se croire si malins : car eux aussi se retourneront dans leurs tombes, quand leurs fils les auront censurés ! Une subjectivité d’époque, à l’échelle du temps long, est fugace comme la vie d’un papillon : la sensibilité change avec les ans qui passent – et c’est pourquoi s’en prendre aux œuvres dont le caractère est immuable, avec des sentiments changeants, c’est brouiller le passé, et c’est se rendre aveugle.

Et puis, enfin, au nom de quoi certaines minorités auraient droit d’être outrées, et pas d’autres ? Bientôt, l’on ira censurer La Terre de Zola, roman particulièrement insultant à l’encontre des paysans ; et l’on aura qu’à s’en prendre, dans la foulée, au Bourgeois gentilhomme, de Molière – les bourgeois, après tout, sont l’objet de tant de haine, qu’à coup sûr, on leur ouvrira bientôt les droits à la « minorité persécutée ». C’est déjà la course à la victimisation : l’on s’interrogera, par exemple, sur l’opportunité de changer les termes « oriental », « nubien », ou « indigène » (les juger offensants, ne serait-ce pas un peu raciste ?) – à coup sûr, « personne de couleur », ou « de petite taille », qui remplacent déjà « noir » et « nain », deviendront à leur tour offensants… et l’on frémit, en imaginant ce que les sensibles feraient à des œuvres comme Salammbô ! Bref, la censure est sans fin.

Papa Macron

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Rennes, 17 avril 2023 © PICAUD JUSTIN/SIPA

Les citoyens français continuent de trépigner, sur le mode « s’il ne retire pas son texte, j’arrête de respirer ! » s’amuse Elisabeth Lévy. Pendant que le président parlait, hier soir à 20 heures, les casseroles ont tintinnabulé…


D’après l’ONG altermondialiste ATTAC, alors que le président prononçait son allocution télévisée, les manifestants ont agité leurs gamelles dans pas moins de 300 villes en France. Selon moi, ces casseroles, c’est un peu le stade infantile de la politique. Il nous écoute pas, alors nous non plus on l’écoute pas, nananère ! Que l’on soit contre la réforme des retraites ou toute autre décision de l’exécutif est bien évidemment légitime. Mais tout ce discours sur le « mépris » que l’on entend actuellement est vraiment hors sujet.

Passions françaises

On s’en fiche que le président nous aime ou nous considère ! La seule chose qui compte –et qui personnellement m’inquiète d’ailleurs – c’est son projet pour la France. Chirac nous aimait, il était éminemment sympathique, et pourtant il n’a rien fait. Et maintenant, nous trépignons sur le mode « s’il ne retire pas son texte, j’arrête de respirer ! » Nous ne voulons pas de l’acclimatation à la mondialisation via l’Union européenne, présentée comme la seule politique possible ? Nous ne sommes pas de vulgaires Hollandais pour travailler jusqu’à 67 ans ? Fort bien. Inventons une voie française, mais elle ne naîtra pas du merveilleux mouvement social actuel me semble-t-il. En attendant, on joue à la Révolution, mais en réalité la vraie passion française, c’est le statu quo.

A relire, Elisabeth Lévy: Fahrenheit 49.3

Elisabeth Lévy, crypto-macroniste?

Ai-je pour autant trouvé le président convaincant ? Non, mais il a fait tout ce qu’on attendait de lui. Il nous a rassurés. Il nous a dit qu’il nous aimait. Qu’il nous avait compris. Ses conseillers lui avaient dit : « pas d’arrogance » ! Et il n’a donc pas employé de mots bizarres comme « croquignolet ». Il a dit qu’il savait que les Français ne voulaient pas de sa réforme, qu’il savait que nous étions en colère. Il a dit qu’il avait compris qu’on voulait plus de sens au travail (en fait, on veut surtout des vacances !). La réforme, c’est dur mais c’est pour notre bien. D’ailleurs, l’avenir radieux c’est pour demain. Dans 100 jours, très précisément.

Nous avons ensuite eu droit à un catalogue de promesses usées. Les élèves apprendront à l’école, la Justice aura des moyens, mille usines s’épanouiront et la bureaucratie s’allègera. On en finira avec l’immigration clandestine et la fraude sociale, et on relancera l’intégration… Mieux, en prime, j’ai appris que nous allions inventer l’industrie écolo et l’intelligence artificielle qui rase gratis. Pourquoi ? Parce qu’on est champions du monde et qu’on a le meilleur Papa du monde !

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Dommage, parce qu’au début de son intervention, Emmanuel Macron avait commencé par effleurer la vérité, en déclarant que l’indépendance cela ne se décrète pas, cela se conquiert. Pour les Français, toute réforme est une régression. Oui, parce qu’après 40 ans au-dessus de nos moyens, toute réforme est forcément une facture à payer. Sauf que ce n’est pas la réforme qui entraîne l’appauvrissement, c’est l’appauvrissement qui impose la réforme. Et c’est effectivement le prix du retour à l’indépendance. Emmanuel Macron devrait promettre du sang, de la sueur et des larmes, mais nous sommes au moins d’accord là-dessus: cette vérité, personne ne veut l’entendre.

Les rien-pensants

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Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy du lundi au jeudi dans la matinale, à 8 heures.

« La Françafrique appartient enfin à l’histoire »

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En août 2017, visite de Florence Parly, ministre des Armées, auprès des militaires de la force Barkhane a Gao, Mali © ECPAD/SIPA

La visite d’Emmanuel Macron en Algérie prévue les 2 et 3 mai prochains a été reportée, en raison d’un « manque de préparation des dossiers », l’occasion pour nous de faire un point avec un spécialiste. Officier supérieur dans l’infanterie de marine et enseignant en intelligence stratégique à l’École de guerre économique, Raphaël Chauvancy a notamment obtenu le prix de la Plume et l’Epée 2022 pour son essai Les nouveaux visages de la guerre. Il s’exprime ici à titre personnel sur les enjeux sécuritaires du continent africain.


Causeur. Les questions de sécurité militaire en Méditerranée sont aussi saillantes que mises de côté médiatiquement du fait de la guerre à l’Est. Récemment, la France a montré des signes de faiblesse en Afrique. Dans une lettre adressée au Conseil de sécurité de l’ONU, Abdoulaye Diop a accusé la France de soutenir et d’armer les terroristes au Mali. Comment interprétez-vous cela ?

Raphaël Chauvancy. Alors qu’elle apparaissait plus que jamais comme le gendarme de l’Afrique et qu’aucune puissance militaire locale ou extérieure ne pouvait se targuer de succès tactiques comparables, la France a vu ses efforts réduits à néant par une offensive informationnelle orchestrée par la Russie. Successivement chassée de Centrafrique, du Mali et du Burkina Faso en l’espace de quelques mois, elle a découvert avec stupeur la fragilité de ses positions dans une région où elle les croyait intangibles.

La vérité est que le « pré-carré » n’était pas une expression de la puissance française mais un anachronisme rendu possible par l’indifférence de ses compétiteurs. Lorsque leur intérêt s’est éveillé, Paris s’est fait surprendre et battre sur tous les théâtres où elle a été défiée. Il a suffi que la Chine convoite certaines ressources africaines pour que les entreprises françaises s’effacent. Les Etats-Unis se sont penchés sur le Rwanda et ce pays a quitté l’Organisation Internationale de la Francophonie et remplacé l’enseignement du français par celui de l’anglais. Le Royaume-Uni s’est intéressée au Golfe de Guinée : le Togo et le Gabon ont rejoint le Commonwealth. La Russie a été la dernière à opérer son retour sur le continent ; elle n’a éprouvé aucune difficulté à supplanter la France où elle l’avait choisi, intoxiquant cyniquement des populations désespérées avec des élucubrations du type de celles que vous évoquez.

Au-delà de la blessure d’amour-propre et d’une évidente perte de prestige, le retrait forcé d’une poignée de pays déshérités du Sahel n’obère heureusement en rien la puissance française. Il apparaît même plutôt comme une opportunité. Les reliquats de la parenthèse coloniale sont liquidés. La Françafrique, qui n’en finissait plus de mourir, appartient enfin à l’histoire. Les Africains ont eux-mêmes relevé Paris de la charge d’assurer leur sécurité à leur place. Débarrassée de ce fardeau, la France peut enfin normaliser ses relations avec ses partenaires selon des relations contractuelles et non plus incestueuses.

Raphaël Chauvancy. D.R.

La menace terroriste au Sahel demeure particulièrement élevée, tant dans les pays de la zone que dans les pays limitrophes. L’autre sujet d’inquiétude, notamment du côté marocain est le Sahara. Que peut faire la France en la matière ?

Au Sahel, trop d’États faillis et corrompus sont malheureusement incapables d’assumer leurs charges sécuritaires et de combattre la misère hors de contrôle sur laquelle prospèrent groupes mafieux et terroristes. La France ne peut, ne veut ni ne doit plus pour autant se substituer aux autorités locales pour régler leurs problèmes systémiques. En revanche, l’expertise reconnue de ses forces armées et son expérience diplomatique lui donnent toute légitimité pour appuyer la mise en place de structures de sécurité collective régionale.

Le Maroc est un pôle de stabilité important et une puissance régionale avec laquelle il faudra compter de plus en plus. La solidité de ses structures étatiques et le prestige de son roi, qui est aussi commandeur des Croyants, le préservent a priori des affres du terrorisme à grande échelle. Même les séparatistes sahraouis ne sont pas en mesure de le menacer sérieusement par eux-mêmes, mais le soutien que leur apporte l’Algérie est lourd de menaces. L’hypothèse d’un affrontement militaire entre Rabat et Alger n’est pas à écarter, d’autant plus que les autorités d’Alger utilisent volontiers la surenchère nationaliste pour masquer leurs multiples échecs.

Cette hypothèse extrême fragiliserait toute la région en laissant le champ libre aux groupes armés transnationaux. Vaincu, le Maroc n’aurait de cesse de préparer sa revanche tant la marocanité du Sahara occidental est ancrée dans son récit national. Une défaite de l’Algérie sonnerait probablement pour sa part le glas d’un régime à bout de souffle, auquel il n’existe aujourd’hui pourtant pas d’alternative crédible. Le scénario le plus dramatique serait celui d’une plongée de l’Algérie dans le chaos qui provoquerait un déferlement migratoire vers l’Europe, incontrôlable dans les conditions et avec les règles actuelles. Les marges de manœuvre françaises sont malheureusement assez limitées.

Que peut faire la France contre les puissances néocoloniales qui menacent ses intérêts et ses relations en Afrique. La présence de la société militaire privée Wagner a notamment suscité de nombreux commentaires. Peut-on limiter l’influence de ces campagnes hostiles de désinformation ? 

Un officier sénégalais me disait récemment que les Africains n’ont pas cessé d’apprendre le mythe de nos ancêtres les Gaulois pour qu’on leur inflige celui des sexes interchangeables. Que les Français adoptent les névroses des classes privilégiées de la côte ouest américaine si bon leur chante, mais qu’ils cessent de vouloir faire la classe aux Africains s’ils veulent demeurer leurs amis. Ces derniers attendent un partenariat politique franc, pas des leçons de morale plus ou moins douteuses qui les exaspèrent et les disposent à prendre pour argent comptant les campagnes de désinformation tournées contre Paris.

Les Russes livrent à la France une guerre hybride décomplexée. Le seul moyen d’y mettre fin est d’adopter une posture offensive avec suffisamment de mordant pour les dissuader de poursuivre leurs intoxications. Les thèmes et les angles d’attaques contre la Russie sont d’ailleurs innombrables, en partant des plus simples, comme la démonstration de ses mensonges, aux plus dévastateurs, comme le maintien de son empire colonial en Asie centrale sur les autochtones musulmans.

Enfin, une approche intégrée est indispensable pour redresser l’image de la France. Bien que l’influence ait été élevée au rang de fonction stratégique, trop d’acteurs français interviennent en ordre dispersé ou conçoivent pas naïvement leur action comme une finalité en elle-même. La culture de la discrétion de l’Agence Française de Développement (AFD) fait ainsi passer les réalisations françaises sous les écrans radars ; il serait temps qu’elle s’inspire de l’USAID qui affiche sans complexe ses origines gouvernementales américaines.

Peut-être faudrait-il également faire tomber un tabou et développer des sociétés militaires privées françaises, non pour copier les porte-flingues de Wagner mais pour sous-traiter certaines actions d’influence et de formation, en étroite coordination avec nos forces armées.

Le pont entre notre continent et l’Afrique est la mer méditerranée. À votre avis, sur quel pays la France peut compter au Maghreb ? Comment se fait-il que les relations avec le Maroc, partenaire historique de la lutte contre le terrorisme islamiste, se soient à ce point dégradées ?

L’intérêt commun serait naturellement de voir la Méditerranée occidentale devenir un lieu d’échanges et de coprospérité euro-africaine. La montée de l’islamisme a malheureusement tué dans l’œuf les belles promesses tunisiennes. Le combat entre les forces laïques et la réaction islamiste est loin d’être terminé et la révolution de jasmin laisse finalement un parfum amer.

De l’autre côté du Maghreb, les relations entre les services de renseignement français et marocains sont bonnes, la qualité et la fiabilité de ces derniers sont un atout dans la lutte contre le terrorisme en France même et pour le maintien de la stabilité régionale. Mais le Maroc a moins besoin de la France depuis que les États-Unis et l’Espagne ont reconnu ses revendications sur le Sahara occidental. Le souhait de Paris de maintenir de bonnes relations avec Rabat et de renouer en même temps avec son rival algérien était peut-être ambitieux dans ce contexte. Le refus du royaume chérifien de récupérer ses ressortissants expulsés du territoire français, l’affaire Pégasus qui a vu le Maroc espionner un millier de dirigeants français dont Emmanuel Macron et le scandale de la corruption marocaine à Bruxelles ont naturellement laissé des traces. Au-delà des frictions conjoncturelles, l’attitude de Rabat ne signifie-t-elle pas simplement que, si la France y est toujours considérée comme un partenaire important, elle ne l’est plus comme une puissance incontournable ?

Quid de l’Algérie ?

Nous l’avons vu, l’Algérie est une bombe amorcée dont la France craint à juste titre les retombées si elle venait à éclater. Les autorités d’Alger en jouent d’ailleurs en pratiquant avec efficacité un chantage induit auprès de Paris.

Le président Macron et le président algérien Abdelmadjid Tebboune, Alger, 27 août 2022 © Jacques WITT/SIPA

Pour conclure, pouvez-vous nous dire quels sont les atouts tactiques et stratégiques dont la France bénéficie encore dans cette région du monde si importante pour notre avenir ?

Il faut d’abord rappeler en quoi l’Afrique est si importante pour nos intérêts fondamentaux. La légende du pillage néocolonial français en Afrique est à peu près aussi sérieuse que les leçons d’histoire de Maître Gims. Les pays de la zone Franc ne pèsent rien dans l’économie française et l’objectif français n’est plus une domination coûteuse et inutile mais, au contraire, de favoriser l’émergence de puissances régionales pour éviter le Grand Effondrement du continent.

Avec une démographie hors de contrôle, des Etats faillis et des élites corrompues, l’Afrique sub-saharienne concentrait un quart des très pauvres du globe en 1990. Le chiffre est monté à 60% aujourd’hui et les projections sont de 90 % pour 2030. Pour commencer à résorber la pauvreté, la Banque Mondiale estime qu’il lui faudrait une croissance de 9 % au moins pendant une décennie. Elle devrait être de 3% à peine en 2023.

La France est probablement la puissance extérieure la plus à même d’aider les Africains à surmonter les immenses défis qui les attendent. Sa connaissance inégalée de la région et de ses problématiques (à condition de daigner en faire usage et de ne pas livrer sa politique africaine aux inspirations contradictoires du moment) ; l’existence de diasporas françaises en Afrique et africaines en France ; la proximité linguistique avec de nombreux États et le maintien d’une présence militaire, même allégée, constituent autant d’atouts pour tenter d’empêcher un naufrage dont l’Europe subirait les conséquences de plein fouet.

Emmanuel Macron: «une espèce de vide»?

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© Lewis Joly/AP/SIPA

L’allocution du président, hier soir, à 20 heures, ne nous a pas transportés. Selon Sophie Binet, à la CGT, le chef de l’État « s’enferme dans la crise ». Marine Le Pen évoque un « quinquennat de mépris et de brutalité » et Jean-Luc Mélenchon une « allocution irréelle ». Analyse.


Il est venu, on l’a entendu. Sommes-nous convaincus ? Laurent Berger, dans une réaction immédiate, a évoqué, sur BFMTV, « une espèce de vide… avec rien de concret, peu d’empathie, du verbe… et tout ça pour cela ». Je ne parlerai pas de « vide » mais dans cette allocution heureusement courte pour ce président (13 minutes), il m’a semblé entendre des éléments et des annonces qui avaient déjà été présentés lors du dernier entretien télévisé et même lors de ses vœux à la nation le 31 décembre 2022.

Un discours convenu…

À l’exception d’un bref préambule où l’obligation d’une loi sur les retraites était à nouveau expliquée sans la moindre allusion aux péripéties parlementaires depuis le mois de janvier ni une compréhension qui aurait été bienvenue pour le rôle positif de l’Intersyndicale, le président de la République n’a pas apposé sur un pays en fièvre un remède d’apaisement et d’espérance. Mais au contraire un discours convenu, tout de promesses ou de réalisations déjà amorcées, mais placide, aussi ordinaire dans le registre élyséen qu’il aurait dû être extraordinaire sur le plan démocratique.

On se doutait – Emmanuel Macron avait écarté ces solutions – qu’il n’y aurait ni remaniement ni dissolution ni référendum et que, contrairement à ce que Marine Le Pen avait déclaré le 16 avril au Grand Jury sur RTL, il sortait l’hypothèse de son départ du champ de sa réflexion. Pourtant, même avec ces exclusions, le président aurait dû montrer à quel point il n’avait pas été insensible au bouillonnement parfois frénétique de la France, non seulement en en prenant acte mais en proposant de quoi le calmer.

… et impassible

J’ai eu l’impression qu’à l’impatience, voire à l’angoisse d’une nation déboussolée, il opposait au contraire, délibérément, une impassibilité du propos, une relation banale des projets et des séquences prévues. Cette manière de ne jamais répondre à l’attente majoritaire d’un pays – comme pour montrer à quel point le pouvoir se situait plus haut que toutes ces exaspérations citoyennes liées à la loi sur les retraites mais pas que – a été traditionnelle dans la Ve République. Mais Emmanuel Macron me paraît la cultiver avec encore plus de dilection que ses prédécesseurs.

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Certes il n’était pas inintéressant de l’entendre décliner trois chapitres – le travail, l’ordre républicain et la justice et enfin le progrès. Il est clair que si on avait su mettre le premier chapitre avant la discussion sur le report de l’âge, le gouvernement aurait trouvé une écoute syndicale favorable. Le deuxième n’aurait pas non plus été mal accueilli. Quant au dernier, bien trop flou, il aurait laissé place à toutes les imaginations professionnelles, syndicales et politiques.

Je crains, à considérer le désordre dans certains quartiers à Paris et ailleurs, que le discours du président non seulement n’ait rien pacifié mais ait même aggravé le ressentiment. Parce qu’il faut bien se l’avouer : derrière la façade de la loi sur les retraites, on sent comme un vent mauvais qui n’est pas loin de déplorer qu’on ne puisse pas recommencer l’élection tout de suite, que le référendum ne soit pas mis en place pour que, clone admiratif de de Gaulle, Emmanuel Macron, battu, s’en aille.

Veni, vidi…

Mais il est là et le demeurera jusqu’en 2027. Le pacte entre lui et les citoyens est rompu. Nous ne sommes plus dans le registre politique, même avec toutes ses outrances partisanes, mais dans une sorte d’injustice tellement ancrée que, le président aurait-il même tenu le 17 avril à 20 heures un discours de courage, de vérité et d’habileté, que l’opinion négative majoritaire n’en aurait pas été modifiée. Il y a quelque chose de plus fort que l’aptitude à gouverner et l’orgueil de présider : la désaffection d’un pays qui vous prive de vos moyens et de votre envie d’agir et de réformer.

Le président n’a pas réussi avec son verbe, avec son apparence de maîtrise et de sérénité défiant les colères et les revendications, à retrouver une confiance suffisante de ses compatriotes pour mener encore à bien, avec les aléas parlementaires et la rue qui gronde en permanence, les années qui lui restent. On peut lui reprocher cette faiblesse fondamentale : le souci exclusif de son image, avec la hantise de rien céder, l’a gravement handicapé, il n’a pas donné les gages qui l’auraient sauvé à ses opposants politiques et syndicaux, adeptes nombreux d’une démocratie non-violente, respectables autant qu’ils auraient été prêts à respecter un président les traitant avec la politesse républicaine requise. Et le dialogue qu’elle implique. Faute d’avoir su écouter cette majorité intelligemment critique, il a laissé libre cours à l’extrémisme délirant de gauche et d’extrême gauche et à l’attente de plus en plus sûre d’elle du Rassemblement national. Un discours n’aurait pas pu tout faire mais il n’était pas fatal qu’il aggravât les choses.

Il est venu, on l’a entendu, il n’a pas convaincu.

Libres propos d'un inclassable

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Un hymne à l’héroïsme d’antan

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D.R.

Il fut un temps où point n’était besoin de mangas pour faire voyager les jeunes lecteurs. Accroître leurs connaissances et stimuler leur imagination. Leur faire aimer leur pays et ses valeurs, sans complexe ni fausse honte…


Il est vrai que, sous la Troisième République, la littérature jouait encore pleinement son rôle. L’école aussi, encore épargnée par la théorie du genre, et dont la mission première était de transmettre un savoir.

Las, cette époque est bien révolue. Comme celle où les mots conservaient tout leur sens. Ainsi le Tour de France. La course cycliste, célèbre dans le monde entier, ne débordait pas, comme aujourd’hui, les frontières de l’Hexagone pour associer d’autres pays – sans doute une manière de faire allégeance à l’Europe dont l’union, tant prônée, est loin de rallier tous les suffrages.

Un manuel scolaire d’envergure

Le Tour de France… Comment n’évoquerait-il pas « Le Tour de la France par deux enfants », le best-seller d’Augustine Tuillerie publié en 1877 ? Ce manuel de lecture à l’usage des écoliers du cours moyen connut, dès sa sortie, une faveur foudroyante et durable. Les écoles, tant laïques que religieuses, se l’arrachent. Succès durable : quelque sept millions d’exemplaires vendus en 1914, en dépit de quelques modifications imposées par la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Autant dire que des générations ont appris à lire dans ses pages dont les deux-cents illustrations préfigurent les bandes dessinées. Ont acquis des notions d’histoire et de géographie et aussi de civisme, de sciences, de morale et d’art. Sans compter la fierté d’être Français. Ce qui, convenons-en, a, par les temps qui courent, de quoi le rendre suspect.

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Or voici que ce récit du périple de deux orphelins à travers les provinces françaises et leur fructueux particularisme, récit souvent copié, interprété, adapté avec plus ou moins de bonheur, revient au goût du jour. Une nasarde à la vogue de la déstructuration actuelle. La raison ? une passionnante biographie de son auteur (ma plume renâcle à écrire auteure) due à Michèle Dassas, Augustine Tuillerie, sous-titrée L’Histoire extraordinaire de l’institutrice aux millions d’élèves. Une plongée fascinante dans la vie et l’œuvre d’une femme hors du commun. Une existence contrastée, faite d’épisodes tragiques et de moments de bonheur intense, jusqu’à la reconnaissance publique d’un talent qui excède le seul domaine littéraire.


Rien ne prédisposait Augustine Tuillerie à un destin aussi contrasté.  Née en 1833 à Laval, elle eût pu couler les jours sans histoire d’une petite bourgeoise provinciale traversant les soubresauts de l’Histoire, dont deux conflits sanglants, celui de 1870 et celui de 1914. Il n’en fut rien. On se gardera de dévoiler les méandres d’une intrigue passionnante de bout en bout, Le récit de sa vie tient, en effet, du roman policier, avec tentatives de meurtre, ses fausses identités et ses fausses pistes déroutantes. Il relève du roman d’aventures, dans tous les sens du terme. Mais il revêt aussi les aspects du traité de morale, du roman psychologique, de l’évocation historique, du roman sentimental, de l’apologue, du conte philosophique. L’exaltation d’une héroïne que son amour des enfants, de sa patrie et de la littérature conduisit, en dépit de tous les aléas, au faîte de la renommée, en fait une manière de roman initiatique. Autant de facettes conférant à ce livre sa densité et ses multiples centres d’intérêt.

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Une biographie digne de son sujet

Si cette biographie se révèle aussi captivante, empoignant dès ses premières pages le lecteur pour maintenir jusqu’au bout son intérêt, c’est grâce au talent de Michèle Dassas. Un talent reconnu qui lui valut, en 2021, pour l’ensemble de son œuvre, la médaille d’or du Mérite littéraire décernée par l’Association Arts et Lettres de France. Comptant à son actif une bonne quinzaine d’ouvrages, dont neuf romans, elle a fait ses preuves dans le domaine de la biographie : deux de ses ouvrages consacrés l’un à Jeanne Chauvin, la première des avocates, l’autre au peintre Auguste Renoir ont été tour à tour récompensés. Outre la fluidité et l’aisance d’un style séduisant, l’art de camper les personnages, et de conduire le récit avec alacrité, ce qui retient et attache, ici, c’est le sérieux de la démarche. Michèle Dassas apporte la preuve qu’il est possible de chanter le los d’une héroïne sans verser dans un féminisme devenu aussi outrancier que banal. Elle s’appuie sur une documentation des plus fournies. Excelle à brosser le tableau d’une époque, d’un milieu, de tout l’entourage d’une héroïne qui s’inscrit à contre-courant de notre époque exaltante : Augustine Tuillerie, alias G. Bruno, discrète allusion à Giordano Bruno, n’écrivait-elle pas, en 1916, « la grande force d’une nation réside dans l’union de tous » ? Un beau sujet de méditation pour certain monarque infatué trônant à l’Élysée.

Michèle Dassas, Augustine Tuillerie. Préface de Jean-Pierre Rioux. Ramsay, 326 p.

Contre le peuple, tout contre

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Henri Guaino © Photo: Hannah Assouline

En bon gaulliste « canal historique », Henri Guaino rappelle qu’on ne peut gouverner sans le consentement du peuple. Même s’il est difficile à définir, même s’il n’a pas toujours raison, le peuple doit toujours avoir le dernier mot. L’ancien conseiller spécial du président Sarkozy ajoute qu’il n’y a pas pire gouvernant que celui qui fait passer son orgueil personnel avant l’intérêt du pays.


On ne gouverne pas contre le peuple. Ce n’est pas la première fois que l’on essaie. Cela ne marche jamais. Et ça peut même mal finir. Mais c’est tellement tentant. Le peuple, ce n’est pas accommodant, c’est imprévisible, c’est inconstant, ça ne fait pas toujours ce que l’on veut, tantôt ça veut aller à gauche, tantôt ça veut aller à droite, tantôt ça ne veut aller nulle part, ça veut se mêler de tout, c’est rempli de contradictions, ça s’emporte pour un rien, ça se cabre, ça rue dans les brancards et ça empêche de gouverner tranquillement, surtout un peuple comme le nôtre, comment dit-on déjà ? Ah oui, un peuple de Gaulois réfractaires. Comme si les autres peuples étaient tellement plus faciles à gouverner. Un regard sur leur histoire suffirait à se convaincre que ce n’est pas vraiment le cas. Encore faudrait-il que ceux qui nous gouvernent pensent que l’histoire peut leur apprendre quelque chose au moins sur la nature humaine et ce qu’elle nous réserve, qui ne change pas beaucoup à travers les âges, ni d’un pays à l’autre.

Manifestation contre la réforme des retraites, 23 mars 2023. « La foule n’a besoin d’aucune légitimité pour prendre la parole. » © Yann Slama/sipa

Le peuple n’a pas toujours raison, mais il a toujours le dernier mot

Bon, c’est vrai que, de nos jours, le peuple n’est pas très à la mode. Populaire, ce n’est pas très flatteur, ça a un petit parfum de laisser-aller et de vulgarité. Il fut un temps où être un parti populaire, c’était valorisant, comme quand Malraux déclarait avec fierté que le RPF du Général de Gaulle c’était le métro à six heures du soir. De nos jours, quand on entend ça, on se pince un peu le nez : un parti digne de gouverner, c’est un parti de notables. C’est pourquoi le Parti socialiste a fini par devenir ce qu’il est devenu et qu’on a liquidé le RPR pour faire l’UMP et ce qu’il en reste. Populiste, c’est encore plus mal vu que populaire. C’est carrément synonyme de démagogie. Pas digne de gouverner. D’un côté, il y a les instruits, les raisonnables, les responsables et, de l’autre, les incultes, les irresponsables. Il m’arrive pourtant de penser que les irresponsables sont dans les palais nationaux et que les plus responsables, les plus lucides sont dans la rue. Mais comme le peuple est là de toutes les façons, il faut bien faire avec. Ah, si au moins il ne votait pas, ce serait quand même mieux, on se répartirait les postes entre soi dans le cercle de la raison. Finalement, le suffrage censitaire, ce n’était pas si mal. On pourrait même ajouter un critère de diplôme. Évidemment, quand on voit comment certains surdiplômés pensent et agissent quand ils sont au pouvoir, on hésite quand même un peu à souhaiter cette République platonicienne gouvernée par les plus intelligents. Quand on voit comment ils comptent, ce qu’ils font avec des chiffres dont ils finissent par avouer qu’ils ne savent même pas d’où ils sortent, quand on constate le mal qu’ils ont à calculer à combien de retraités leur réforme donnera une pension minimum de 1 200 euros, on en arrive à la conclusion que, non, le critère des diplômes n’est pas une bonne idée. Et si encore, ils ne faisaient que des erreurs de calcul. Mais il y a aussi l’hubris, cet orgueil démesuré qui est le ressort des tragédies d’Eschyle et de Sophocle et qui fait commettre bien des erreurs de jugement aux conséquences beaucoup plus lourdes que celles des erreurs de calcul. Et la pire des erreurs de jugement, c’est de croire que l’on peut se passer du peuple pour gouverner, voire que l’on peut gouverner contre lui parce que l’on croit savoir mieux que lui ce qu’il faut faire. Il est vrai que le peuple n’a pas toujours raison. Mais voilà, qu’il ait tort ou raison, il a toujours le dernier mot.

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À ce point de la discussion, il y a toujours quelqu’un qui se croit plus malin que les autres en faisant remarquer que le peuple, c’est un bien grand mot mais qu’à part la majorité qui sort des urnes, on ne sait pas très bien ce que ce mot désigne. On sait compter les bulletins de vote, mais on ne sait pas décrire le peuple qui reste une idée abstraite indéfinie, un concept sans portée opérationnelle, une image qui relève de l’imaginaire romantique. Ce n’est pas faux, mais s’en tenir là, c’est rester à la surface des choses et se condamner à commettre bien des erreurs qui conduiront à des drames. C’est exactement ce qu’exprime une phrase du genre de celle qu’a prononcée le président de la République à propos des manifestations contre la réforme des retraites : « La foule n’a pas de légitimité face aux élus. » Comme si la foule des manifestants qui protestent n’avait rien à dire sur les lois qui les concernent et sur la façon dont ceux qui s’expriment en son nom exercent leur mandat. Le seul résultat d’une telle phrase est de rendre la foule furieuse et de contribuer non à la déligitimation de la foule, qui n’a besoin d’aucune légitimité pour prendre la parole, mais à la déligitimation des institutions aux yeux au moins d’une partie de ceux qui sont la source de toute légitimité politique.

Au bord de la rupture

Parce qu’on peut le nommer mais non le définir concrètement, le peuple n’existerait donc pas. Mais si le peuple n’existe pas, la nation n’existe pas, la cité n’existe pas, la politique n’existe pas, la démocratie n’existe pas. Au demeurant, nous vivons avec beaucoup de mots qui désignent des choses que nous avons bien du mal à définir, mais dont nous avons tous l’intuition, telles que le Temps, la Beauté, la Justice, l’Amour, la Légitimité, l’Autorité ou encore l’État ou la Nation. Qu’est-ce que le peuple ? C’est une population qui a conscience d’être un peuple, qui se sent soudée par un ciment invisible, un sentiment d’appartenance, le sentiment de partager une destinée commune, qui est plus fort que tout ce qui peut la diviser. Quand ce qui la divise est plus fort que ce qui l’unit vient la guerre civile, la guerre de sécession. Un peuple peut la surmonter, comme le peuple américain après la guerre de Sécession, ou pas et se disloquer comme le peuple yougoslave. C’est le temps long qui fait les peuples et leur imaginaire commun. Comme le disait Braudel à propos des civilisations qui sont des personnages de l’histoire qui durent très longtemps, les peuples aussi sont des personnages de l’histoire, des êtres collectifs qui durent très longtemps. Et pour gouverner, il faut compter avec eux, il faut les respecter, les amadouer, les séduire, les convaincre, et les aimer. C’est l’essence même de l’art de gouverner. Même une tyrannie, si elle veut exercer son pouvoir absolu et durer, a besoin de convaincre son peuple, par l’endoctrinement, par la propagande, en flattant les instincts, en désignant des boucs émissaires, mais elle a besoin de convaincre, quels que soient les moyens qu’elle emploie parce que même le gouvernement par la terreur a ses limites, parce qu’il n’est possible de se faire obéir par la terreur que jusqu’à un certain point. Gouverner n’exige pas forcément l’adhésion, ni le consensus, ni l’unanimité mais exige au moins le consentement de presque tous. La nécessité du consentement, c’est bien ce qui semble oublié à l’heure actuelle. Dès lors, peut-on prendre quand même des décisions impopulaires parce qu’on les juge nécessaires pour le bien du pays ? La réponse est oui mais, encore et toujours, jusqu’à un certain point. Un point qu’il faut découvrir à chaque fois, dans chaque circonstance, pour chaque projet, surtout dans une société fracturée, au bord de la rupture. Encore faut-il se poser la question, encore faut-il être conscient que, pour gouverner, il faut se fixer à soi-même des limites qui ne sont inscrites nulle part. Il n’y a pas de livres de recettes de l’art de gouverner ou de commander. La guerre des Gaules n’est pas un livre de recettes. Le Mémorial de Sainte-Hélène et les Mémoires de guerre ou les Mémoires d’espoir non plus : ce sont des expériences exemplaires, des histoires dont chacun peut tirer pour lui-même des leçons de politique ou de commandement. Le Prince de Machiavel n’est pas autre chose qu’une réflexion, à partir d’une expérience, sur la nature de la politique et sur la nécessité de la conduire à partir de ce que de Gaulle appelait « les réalités ».

Machiavel met le peuple au centre de ces réalités qui s’imposent à la politique. C’est dire que s’il faut beaucoup d’orgueil pour se penser capable de gouverner les autres, il faut au moins autant d’humilité pour écouter, entendre et répondre au peuple qui gronde, et autant de courage pour ne pas tenter de le violer et pour reculer quand le refus est trop fort, parce que seuls les faibles font passer leur amour-propre avant l’amour de leur pays et seuls les tyrans font la guerre à leur peuple. C’est le choix gaullien, le seul au fond qui permet de sortir du genre d’impasse où la France s’enferme aujourd’hui.

« Ne rien céder », un aveu de faiblesse

C’est prendre un grand risque pour soi-même et pour les institutions que de faire de l’exercice du pouvoir une question personnelle et de dissoudre la fonction dans son moi au lieu de dissoudre son moi dans la fonction. Pour celui qui est censé incarner la souveraineté, ne jamais céder parce qu’il ne veut pas perdre la face, c’est manquer à ses devoirs et prendre le risque de tout perdre. Quand la résistance populaire est trop forte, et la démocratie représentative trop contestée, il n’y a que deux issues raisonnables : se retirer ou s’en remettre au référendum pour trancher. À charge pour le pouvoir de poser ou non par le référendum la question de confiance au peuple, comme le faisait le général de Gaulle lorsqu’il considérait que l’essentiel, à ses yeux, était en jeu ou que sa légitimité était en cause. Mais, à tout dramatiser, pour justifier son intransigeance, le gouvernement se condamne à une remise en jeu permanente de sa légitimité qui, si elle ne peut pas passer par les urnes ou par la protestation pacifique, finira par se frayer un autre chemin par la violence. Sous-estimer le risque, pour n’importe quelle société, de basculer dans l’engrenage de la violence, revient à méconnaître la nature du peuple et la nature humaine avec lesquelles, partout et toujours, la politique doit composer. C’est la raison pour laquelle tout pouvoir qui parie sur l’usure d’un mouvement social de grande ampleur et déterminé en usant les forces de l’ordre et l’autorité de l’État, qui mise sur la stratégie de la tension pour rallier autour de lui le parti de l’ordre face à la montée du désordre, joue dangereusement avec le feu.

Il n’y a rien de pire pour la politique qui a pour premier devoir de garantir la paix civile que de devenir une question d’orgueil face à cette réalité qui s’appelle le peuple et qui, répétons-le, n’a pas toujours raison, mais a toujours le dernier mot. Et ce dernier mot, c’est celui de la souveraineté, ce pouvoir inaliénable de dire « non », d’opposer un refus obstiné qui peut transformer le peuple en foule et la foule en meute dévorant tout sur son passage.

Vers une infantilisation généralisée

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Un phénomène curieux gagne les Français… Ils régressent! Pas seulement en termes de niveau d’éducation. Non! ils sont gagnés par une curieuse nostalgie de l’enfance.


Est-ce le résultat pernicieux de la prise en charge croissante de l’État-nounou, lequel s’occupe de notre régime alimentaire, de nos co-voiturages ou du nombre de pas qu’il faut effectuer quotidiennement ? Est-ce la conséquence de notre abandon à cet Etat maternant qui gère la façon dont nous travaillons, l’éducation sexuelle de nos enfants (lesquels nous donnerons bientôt des leçons en la matière) ou notre microbiote et les cinq fruits et légumes qui vont avec ?

Bonne fête des mamans !

Tout un vocabulaire régressif accompagne le phénomène. N’est-ce pas un peu inquiétant d’entendre un ministre de la République important s’exprimer en disant « ma maman… », d’autres évoquer « mon papa » ?[1] Des termes mignons qui renvoient à la petite enfance et au domaine de l’affectif pur. Rappelons quand même que papa et maman sont les premiers mots de bébé lorsqu’il apprend à parler, et que l’adjectif possessif que certains y accolent systématiquement parachève son aspect enfantin  – au-delà de la sympathie sous-jacente, bien sûr, que ces termes provoquent. Même à la radio, les journalistes oublient le mot mère, utilisant « sa maman » pour parler de la mère d’un joueur de foot ! Une dilution sémantique qui nous fait vivre sous le règne de l’émotion bienveillante permanente. C’est tous les jours la fête des mères. Pardon, la fête des « mamans » !

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Dans le même ordre de constats, j’observe en entreprise depuis quelque temps l’apparition des bonbons en salle de réunion ; les cadres sont shootés à l’Haribo ! C’est tout juste si la DRH ne distribue pas des doudous en cas de menaces de burnout. Et puis, on fait joujou ; il y a désormais l’heure de la récré dans l’entreprise ; le babyfoot est à côté de la machine à café, et une table de billard installée en salle de réunion. Terminé le temps jadis où les adolescents et les jeunes rêvaient d’atteindre l’âge adulte, l’époque où la valeur, certes, « n’attendait pas le nombre des années », mais où l’on rêvait de faire ses preuves. On empruntait alors en cachette les vêtements des parents et l’impatience de vieillir était l’impatience de la vie. C’est fini : nos ados ne veulent plus vieillir, ils ne souhaitent pas follement entrer dans la vie active et prolongent indéfiniment leurs études. Ils revendiquent avec insolence le fait d’être jeunes… On a honte des boomers. Ce serait une qualité d’être jeune, au pire une excuse. C’est la démarche inverse qui a pris le pas, le jeunisme rôde: les parents s’habillent comme les « d’jeunes » ; à eux jeans troués, baskets et tee-shirts. On copie jusqu’au langage de sa progéniture pour être aussi jeunes qu’eux, soyons « cool ». Nous observons une sorte de refus de la maturité à tous les niveaux. Plus grave, le refus d’éduquer ses propres enfants, à qui on demande ce qu’il convient de faire, est à la mode. C’est un conformisme ambiant ; on a peur de ne pas être aimé de ses enfants, et l’autorité a changé de camp.

Big Bisou

En cas de vrai problème, quand on en a les moyens, on préfère faire appel à des psys. « Il voit quelqu’un », c’est la formule consacrée. Cela permet en tout cas de se disculper et de ne pas prendre ses responsabilités. Quant à l’Education nationale, chargée d’éduquer autant que d’enseigner, elle ne sait plus à quel prof se vouer, entre le prof à piercing vachement sympa parce qu’on ne le distingue plus des élèves, et celui qui tente d’imposer une discipline et qui sait que les parents lui tomberont dessus dès qu’il en punira un.

Mais, au pays des Bisounours, tout le monde s’aime, ou du moins donne des signes extérieurs d’affection… Le tutoiement est de rigueur, les fautes de syntaxes également. C’est chaleureux la faute de syntaxe ; la grammaire avait un côté censure rigide quand la faute de français apporte un côté plus humain à la phrase… « Bisous » remplace « au revoir », et tout le monde s’embrasse. Là aussi, c’est encore la mode ado qui nous a contaminés et on regretterait presque le Covid qui nous avait fourni l’occasion de rependre quelques distances sous un prétexte médical ! Tout le monde il est beau, tout le monde il est sympa, c’est devenu un véritable programme politique.

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On aime les jeunes au point d’en faire des idoles. On envisage de les faire voter de plus en plus tôt (alors qu’ils votent de moins en moins). On les fait s’exprimer, à 15 ans, sur les retraites à la télé, sans qu’ils comprennent d’ailleurs que c’est leur propre retraite qui va sauter si on les écoute, car en tout état de cause on ne pourra pas la leur payer… De toute façon, sous l’œil admiratif de nos élus de gauche et de leurs parents esbaudis, ils déclarent « qu’ils ne veulent pas perdre leur vie à la gagner » ; ça c’est dit ! Ces petits chéris sont nos sages d’antan. Le monde n’a-t-il pas pris conscience de l’urgence écologique grâce à Greta Thunberg, alors âgée de 14 ans, et à qui on n’a jamais osé demander quand elle allait à l’école ?

Le péril jeune

Quant aux manifs actuelles en France, on les scrute à la loupe. Le drame serait que les étudiants sortent en masse dans la rue, car on ne sait vraiment pas comment les faire rentrer ensuite. C’est comme si on avait des cohortes d’orphelins à gérer, et la culture de l’excuse a remplacé tout jugement objectif : ni responsables, ni coupables. Ce sont des jeunes, ils ont le droit de savoir mieux que tout le monde. D’ailleurs ils l’ont lu sur internet !

Quoi qu’il en soit, l’assistanat croissant est une façon, volontaire ou pas, d’infantiliser tous les adultes que nous sommes, de même que la politique des chèques cadeaux se révèle très efficace pour avoir la main sur nos dépenses et nos gains.

Demande à l’État, papa et maman n’ont plus les moyens…

La France sens dessus dessous !: Les caprices de Marianne

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[1] https://www.gala.fr/l_actu/news_de_stars/video-ma-maman-gerald-darmanin-ses-arguments-personnels-pour-convaincre-sur-la-reforme-des-retraites_512575

Oui, que Macron parle!

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Macron va parler ce soir. Et alors? Il n’y aucune surprise à attendre d’une allocution où le président continuera à vivre dans un monde parallèle, persifle Jérôme Leroy.


Jérôme Leroy, un justicier qui surgit hors de la nuit…

Macron va parler et finalement, tout le monde s’en moque un peu. Ce qu’il lui reste de partisans ou d’obligés sait qu’il ne changera rien, qu’il « assumera ». Comme ce verbe aura plu à la macronie ! Assumer, c’est-à-dire, refuser tout examen critique. Et non, comme ce serait le cas pour un bandit de grand-chemin qui ferait un hold-up sur deux ans de la vie des Français, reconnaître sa faute et en assumer les conséquences, c’est-à-dire le châtiment qui va avec. Si l’image du bandit de grand chemin m’est venue, c’est à cause de l’heure à laquelle Macron a promulgué sa loi inique: en pleine nuit, à la manière des tire-laine et autre monte-en l’air.

Pour les partisans de Macron donc, notamment s’ils sont députés, les retours en circonscription sont de plus en plus douloureux. Tel député du centre de la France, et de l’échiquier politique Macron-compatible, rencontré dans un salon littéraire, me racontait sa divine surprise de 2017 quand il avait été élu contre un sortant socialiste ; et sa tristesse en 2022 quand il avait été élu plus largement… mais face à un candidat RN qui n’avait aucun poids jusque-là !

La gauche disparait du jeu politique, la colère apparait dans les rues

Ce que cela signifiait, c’est que si la gauche avait disparu de cette circonscription rurale, elle avait été remplacée par ceux qui avaient su capitaliser la colère : celle des gilets jaunes, celle d’une population lassée par l’arrogance constante de Macron, par l’incroyable mépris de classe dont il n’a jamais su se départir face à « ceux qui ne sont rien ». Si mon député en question tient le choc pour l’instant, c’est parce que contrairement à beaucoup d’autres Renaissance et assimilés, il est un enfant du pays, que les gens le connaissent, qu’ils l’engueulent mais l’aiment bien au fond. Est-ce que cela suffira la prochaine fois ? Il a, quand on lui pose la question, un sourire mélancolique et il lève les yeux au ciel…

À lire aussi, un autre son de cloche: Qu’est-ce que le président va bien pouvoir raconter aux Français ce soir?

M’est alors venu à l’idée, après cette conversation, que nous expérimentions à quel point la Vème République, surtout depuis la coïncidence de la présidentielle et des législatives et l’impossibilité de faire plus de deux mandats consécutifs, était devenue une arme dangereuse quand une personnalité comme celle de l’actuel président se retrouvait au pouvoir, avec une mission bien précise: mater l’exception française, c’est-à-dire, parlons clair, mater le peuple français qui est l’un des derniers à n’être pas convaincu que la vie doive se résumer à une soumission totale au libéralisme. Il y aurait, au moins depuis 1995, une histoire à écrire de ces refus successifs qui font l’honneur d’un pays.

C’est pour cela que les opposants – que ce soit l’Intersyndicale ou les parlementaires, y compris ceux du groupe Liot avec Charles de Courson et une fraction des LR – , eux non plus, n’attendent rien de leur côté. L’onction du Conseil Constitutionnel a dopé Emmanuel Macron. Un Conseil, qui a jugé « en droit » comme on dit, mais qui a, de fait, pris une position politique et montré son mépris pour le RIP – lequel ressemble, pour les neuf sages, à ces jouets, ces pistolets factices que l’on donne aux enfants pour faire panpan avec la bouche mais qui ne pourront jamais tirer à balle réelle.

Quand est-ce qu’on arrive?

C’est amusant, d’ailleurs, quand on entend Elisabeth Borne dire « qu’on est allé au bout du processus démocratique ». Se rend-elle compte que sa phrase est à double sens ? Que l’on peut comprendre que finalement, les moyens démocratiques n’ont pas suffi à faire reculer une loi dont, on ne se lassera jamais de le dire, neuf Français actifs sur 10 sont contre; et que même la possibilité d’un referendum ne leur sera pas donnée ?

À lire aussi, Henri Guaino: Contre le peuple, tout contre

Alors, oui, que Macron parle ! Sa parole est complètement dépassée, démonétisée. Son aveuglement, réel ou feint, montrera juste à quel point il est dans un autre monde. Les clefs du pouvoir sont dans la boite à gants : c’est le titre qu’avait donné Frédéric Dard, alias San Antonio, à un excellent roman politique. Désormais, les clefs du pouvoir sont dans la poche du costume fité de Macron et il n’a pas l’intention de les lâcher. Il dira qu’il faudra passer à autre chose, et Borne, en écho, parle déjà « d’accélérer les réformes ». Vraiment ? Après quatre mois de mobilisation populaire ? Après les blessures infligées par un mépris sans faille ? Avec un parlement à la majorité introuvable, auquel on a tordu le bras ? Le président parlera d’écologie, d’éducation, de santé mais il sera inaudible sauf pour les commentateurs qui feront des émissions spéciales. Sans doute mise-t-il sur le précédent Sarkozy lors du mouvement de 2010, aussi ample que celui-ci. Il oublie juste que Sarkozy, en 2010, disposait d’une majorité confortable au parlement et d’une partie non négligeable de l’opinion derrière lui. Et même comme cela, deux ans après, il se faisait battre par le plus mauvais candidat possible, François Hollande.

On souhaite bien de la chance à ceux qui se présenteront après Macron en « assumant » cette réforme des retraites parce que n’importe quel manche à balai qui se présentera en promettant un retour au « statu quo ante » des 62 ans lui passera devant. Mais Macron, lui, sera loin. Il donna des conférences à Davos ou à Dubaï, et comme il sera encore jeune, il pourra faire ça jusqu’à 64 ans. Au moins.

Les clés du pouvoir sont dans la boîte à gants

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C’est l’hallu finale!

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"Auto-conférence de la Commune libre de Tolbiac", 4 avril 2018. © Yannick Coupannec/Leemage

Le « 10 améliorable », note plancher


Tous ensemble, toutes ensemble : grève générale ! « En plein mouvement contre la réforme des retraites, nous considérons que chacun doit pouvoir se mobiliser pour son avenir sans être inquiété.e de redoubler. En conséquence, nous exigeons que soit mise en place à Paris 1 la note plancher du « 10 améliorable » pour les examens de fin de semestre, et que tous les enseignements soient banalisés pour mettre fin aux politiques d’assiduité qui pénalisent celles et ceux qui combattent les politiques du gouvernement » (Assemblée générale, centre Tolbiac, 4 avril). Ni Dieu ni Masters ! C’est l’hallucination finale !

Le partiel est au bout du fusil

Les assemblées générales inter-facs, apprentis insoumis néo-maos-trotskystes, champions du tri non sélectif et des incendies de poubelles, manquent d’imagination et d’ambition…Tout ça pour un 10/20 ! Le partiel est au bout du fusil, camarades ! Soyez réalistes, exigez des « 18 améliorables », le vin et l’agreg pour tous ! Il y a deux générations, Jacques Martin avait inventé une école citoyenne, inclusive, bienveillante, démocratique et participative, L’école des fans, 10/10 pour tous ! 

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Terreur pipole de Saint Germain-des-près, génération Bob L’éponge, l’activiste Juan Branco, avocat sanguinaire et sans examen d’accès à l’Ecole d’Avocats (qu’il intègre par équivalence), lâche une bombe dans Coup d’Etat, son dernier brûlot : « La fin des rois approche, et la lame sanglante, sur leur nuque fraîche et préservée, s’apprête à tomber ». Billy the Kid ne met pas la barre très haut : son ennemi mortel, c’est Emmanuel Macron. N’est pas Robespierre, Thiers ou Vergès qui veut. Attention Juan : la Révolution dévore ses enfants et les bébés requins de l’eau du bain ! Avant la Révolution, Marat, 1er de Corday, intrigua en vain pour faire reconnaître une fausse noblesse espagnole et enregistrer un blason. L’appétit vient en mentant, 1789 rend lyrique : « La grandeur du crime est la seule différence qu’il y ait entre un conquérant et un brigand… C’est par la violence que l’on doit établir la liberté ». Touche pas à mon Pol Pot ! Adolescent, Tourgueniev avait accroché un portrait de Fouquier-Tinville dans sa chambre. On ne la fait pas à Arletty : « Les terreurs j’en suis revenu, elles ont surtout la terreur du boulot ». Jean Yanne est raccord : « Les hommes naissent libres et égaux en droit. Après ils se démerdent ».

L’UNEF a été braquée par L’Alternative, nouvelle fédération étudiante téléguidée par LFI. Louis Boyard, Blague Bock Bambino-Bambino de la Nupes, a trouvé un slogan de Mai 68 à sa pointure : « J’ai quelque chose à dire, mais je ne sais pas quoi ». Annie Ernaux -Comtesse de c’est dur et des malheurs de sophismes- fulmine : « Penser que des gens mourront avant d’être à la retraite est quelque chose de très violent ». Good bye Staline… La véritable héritière du joli Moi de Mais, de la Société du spectacle, Mille Plateaux télé, c’est Marlène Schiappa. Sur BFMTV, dans Playboy, ses romans libertins, elle vit sans temps mort et jouit sans entraves. La Cause des femmes est plus rentable que celle du peuple. Deux générations plus tard, les soixante-huitards oligophrènes, greluchons diversocrates, Racaille le Rouge ont gagné la partie. Comme la République, la bêtise est une et indivisible. « Ne dites plus : Monsieur le Professeur, dites: crève salope ! Penser ensemble, non. Pousser ensemble, oui ! Prenons nos désirs pour des réalités ! ». Le niveau baisse dans tous les coins.

Identification d’une flemme

Conçue entre deux hashtags et trois textos, ardente, pâle, nerveuse, coupée de ses racines, vampirisée par les écrans et réseaux sociaux, la jeunesse peine à se projeter en dehors de TikTok et des incendies de scooters électriques. « Les Trissotin lui ont appris (à l’élève) l’art d’écraser un texte littéraire entre l’enclume des pseudo-concepts linguistiques et le marteau des bonnes intentions civico-humanitaires (…) Reste que l’enseignement du français ne peut être considéré comme un champ de ruines parmi d’autres, parce qu’en s’effondrant, la maîtrise de la langue et la compréhension des textes écrits ont emporté avec elles la capacité d’argumenter et l’intelligence critique » (Pierre Mari).

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Les programmes extra-light, discours creux faisant parler les orphelins et les esprits enfantins, la fausse monnaie de l’évolution des connaissances, rien n’y fait, tout va de mal en PISA, la glissade continue : le roman de l’aboulie nationale. Les politiques démagos, syndicats corporatistes, cacographes héraults des marqueurs d’énonciation, ont coulé l’école de la République et la méritocratie. Parcoursup et les algorithmes ont achevé le mammouth. La modernité pédagogique ne date pas d’hier. En 1804, Stéphanie de Warhouf publiait un opus iconoclaste : Vélocifère grammatical ou la langue française et l’orthographe apprises en chantant (ouvrage très élémentaire, unique en son genre, mis en vaudevilles et dédié aux Demoiselles, suivie De l’arithmétique des dames, ouvrage simplifié et à la portée des personnes les moins intelligentes).

Dans le 8e arrondissement, les émigrés factieux soucieux de blés flamands et de coton anglais, multicultu.râlent et slaloment pour échapper à Parcoursup… Un LLB à McGill (Montréal) ? Une école d’archi en Italie ? Les parents de L’Auberge espagnole doivent financer la Salade Grecque des enfants. À l’heure où blêmit l’hypokhâgne – les yeux fixés sur leurs pensées, tristes, le dos courbé – les grands-parents regrettent Rosemonde Gérard, Marcel Pagnol, l’odeur de l’encre, la craie, le calcul, les dictées.

Pas facile de sortir de l’ornière ; le terrain est miné. Pas de vagues. Des pistes sont étudiées en haut lieu depuis cinquante ans… Depuis cinquante ans, en haut lieu… Cinquante ans depuis, en haut des pistes… : Remplacer les divisions de profs démissionnaires par des ‘droit commun’, contre une remise de peine ? Abandonner les méthodes transversalo-globalo-visuelles de lecture et les Enseignements Pratiques Interdisciplinaires ? Oublier les adaptations d’Iphigénie en rap(t) et les châteaux-forts en pot de yaourt ? Imperturbable dans la tourmente, Pap N’Diaye garde son flegme (la marque des grands serviteurs de l’État) et occupe le terrain : le harcèlement dans les Maternelles Moyenne section, la mixité sociale à l’École Alsacienne… « Je suis sûrement plus complexe que l’on a pu le penser. Je gagne à être connu ! ».

Les premières victimes de l’effondrement culturel et pédagogique, ce sont les classes populaires. « Ce qui rend notre culture si difficile à communiquer au peuple, ce n’est pas qu’elle soit trop haute, c’est qu’elle est trop basse. On prend un singulier remède en l’abaissant encore davantage avant de la lui débiter par morceaux » (Simone Weil).

Pourquoi le buste en bronze de Samuel Paty est remisé dans un entrepôt plutôt qu’au Collège du Bois d’Aulne ? De qui, de quoi, a-t-on peur ? Qui fait la loi ?

Qu’est-ce que le président va bien pouvoir raconter aux Français ce soir?

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Un président trop pressé et des Sages bien trop sages. L’analyse politique de Philippe Bilger.


Je l’aurais parié : le président de la République a promulgué la loi sur les retraites dans la soirée du 14 avril et elle a été publiée dans la nuit du 14 au 15 avril, à 3 heures 28 du matin. Quand la démocratie se repose, lui a veillé pour lui faire, non pas un mauvais coup mais une provocation de plus. Etait-il absolument nécessaire de précipiter ainsi le mouvement pour désigner de manière ostentatoire le vainqueur de la partie ? Après avoir lu attentivement le 14 la décision du Conseil constitutionnel pour une émission spéciale de Sud Radio, je voudrais à toute force me garder de pensées suspicieuses sur l’indépendance des neuf Sages et sur leurs possibles liens officieux avec le pouvoir avant que la décision soit officiellement rendue. En effet j’avoue avoir été surpris quelques jours en amont par l’annonce de certains médias indiquant que le gouvernement aurait laissé volontairement quelques « cavaliers » sociaux dans la loi pour que le Conseil constitutionnel ait un peu de grain à moudre. Et de fait ils ont été censurés, notamment l’index senior.

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Le Conseil constitutionnel fait preuve d’un juridisme étroit dans son argumentation

Je n’ai pu m’empêcher non plus d’analyser la démarche du président, au cours de la semaine précédant la décision, comme révélatrice d’une forte intuition sur le caractère favorable de celle-ci, de sorte que par exemple il pouvait proposer, bien avant l’heure, une rencontre aux syndicats le 18 avril. Ils l’ont d’ailleurs refusée dans l’attente du 1er mai. Ce sont des indices qui ne signifient peut-être rien ou sont sans doute, de la part d’une juridiction suprême, tellement évidents – cette relation en amont avec le pouvoir exécutif, au moins pour l’information de ce dernier – qu’il ne faudrait pas en tirer des conclusions délétères.

D’autant plus que je ne crois pas que le problème central du Conseil constitutionnel soit l’indépendance des neuf Sages au sens strict. J’espère ne pas être naïf mais je n’imagine pas que ses membres, et encore moins son président, aient été si peu soucieux de leur mission capitale à la fois juridique et démocratique pour la brader de manière vulgaire en s’assujettissant au pouvoir.

Il n’empêche qu’en écartant ce grief injurieux, on peut en revanche s’étonner du juridisme étroit et de l’éclatante tonalité conservatrice de l’argumentation développée par le Conseil constitutionnel. Pour ce qui se rapporte à l’essentiel des recours portant sur la procédure suivie pour l’adoption de la loi, en gros, ce qui est formellement constitutionnel doit être forcément validé, comme si seule comptait la lettre et non l’esprit. Cette logique a été suivie au sujet de « la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour procéder à une réforme des retraites ».

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Pas de préjudice « substantiel », dites-vous ?

Et encore davantage pour la discussion sur « la clarté et la sincérité des débats parlementaires », et sur un mode à mon sens sinon choquant du moins désincarné – le regard juridique se dépouillant délibérément de toute intelligence politique. De sorte que chacune des pistes qui aurait pu conduire à une censure était systématiquement écartée. Pourtant le Conseil constitutionnel, pour les procédures mises en œuvre, évoquait leur « application cumulative », récusait « toute atteinte substantielle » et en concluait que « leur cumul(…)n’était pas à lui seul de nature à rendre inconstitutionnel l’ensemble de la procédure ayant conduit à l’adoption de cette loi ». Il me semble que cette approche révèle le souci du Conseil constitutionnel de s’arrêter à mi-chemin, de ne pas tirer toutes les conséquences d’un état parlementaire des lieux pourtant incontestable, en décidant pas exemple l’absence de toute atteinte « substantielle ». Qu’aurait-il donc fallu pour que cette « application cumulative » de procédures exceptionnelles au sens commun fût considérée comme créatrice « d’une atteinte substantielle » ? Il est en effet difficile de concevoir que dans la vie parlementaire un tel abus de procédures dérogatoires à la normalité d’un vote puisse être demain à nouveau imposé aux députés et aux sénateurs, ce qui conduit à s’interroger : quand donc un préjudice « substantiel » pourrait-il donc être relevé ?

Le fait que les députés de LFI aient par leur comportement collectif dévoyé mis du leur dans ces péripéties parlementaires tronquées ne rend pas moins insupportable l’atteinte qui a été causée à tous les droits des députés, toutes tendances confondues, d’avoir un débat à la fois durable et non contraint. Loin de moi l’idée de dénoncer une quelconque partialité du Conseil constitutionnel : plutôt, une crainte tellement obsessionnelle de tomber dans la politisation qu’il en a oublié qu’au nom du droit et de l’apaisement démocratique, une perception lucidement politique venant enrichir le premier et susciter le second pouvait être attendue de lui…

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Le paradoxe est qu’on pourrait imputer à cette assemblée de neuf Sages prétendus souvent partisans, non pas un déficit juridique mais une carence utilement politique. Je comprends qu’on puisse éprouver au mieux comme un sentiment d’inachèvement face à cette décision qui a permis une promulgation à toute bride abattue nocturne. Le référendum d’initiative partagée a été rejeté pour une raison sans équivoque. Le second, le 3 mai, aura-t-il la bonne fortune d’être admis ? Le président nous parlera ce soir à 20 heures. À moins d’un miracle politique, la France est loin d’être sortie de ses affres.


Attendre quelque chose ce soir : un devoir…
Le plus triste, sur le plan politique, pour notre démocratie, est qu’apparemment les Français n’attendent plus rien de l’allocution du président de la République à 20 heures ce soir. Si j’en juge par les réactions de ceux qui ont été questionnés dans le journal télévisé de la 6 le 16 avril. Ils ne se disent même pas qu’elle ne pourra qu’être meilleure, plus utile, plus respectueuse et empathique, que le dernier entretien qu’Emmanuel Macron nous avait offert avec la complicité bienveillante de deux journalistes. Ils ne sont même pas sûrs d’avoir envie d’écouter le président ce soir et certains, d’ailleurs, s’en passeront. Parce que la politique ne les intéresse plus, parce que ce président décidément n’est pas le leur, qu’il les ait déçus dès le début ou au fil du temps, ou qu’ils n’éprouvent que l’unique besoin de fuir les rites et les processus de la France traditionnelle, classique pour créer du désordre et de la révolution. Pourtant – et c’est une obligation républicaine – il conviendra d’attendre, d’espérer quelque chose ce soir. Je ne parle pas du socle stable des inconditionnels, des fidèles du président mais de tous ceux qui, critiques comme moi, pourraient être tentés de jeter l’éponge citoyenne. Il ne faut surtout pas. Pratiquer le contraire du « #BoycottMacron20heures » qui est une stupidité à tous points de vue. Un miracle est toujours possible et même si ce soir le président ne nous présentera que la face discutable de son être politique, qu’importe. On doit composer avec lui comme lui n’a pas d’autre choix que de s’accommoder de nous.
La seule manière de briser son autarcie si peu accordée à l’esprit profond du pays – dont la protestation constante est le rappel désespéré ou furieux qu’il existe et qu’on doit l’écouter – est de nous acharner à ne pas lui laisser le champ libre. Rendez-vous ce soir. P. Bilger.