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Retraites, argent magique: l’impossible sevrage

Notre « modèle social » conduit la France à la ruine. Et la réforme des retraites est une mesurette qui ne résout rien au problème abyssal de la dette publique. Quant à ceux qui prônent toujours plus de mesures sociales, ils nous mènent sur le chemin de la Grèce, forcée par les marchés financiers à suivre une véritable cure d’austérité.


Occupés à jucher leur sac poubelle sur un tas d’immondices ou à y mettre le feu, les Français nombrilistes peinent à réaliser le profond mépris qu’ils inspirent à l’étranger. Dans une zone euro solidaire par construction, les salariés du reste de l’Europe ont bien compris que les Gaulois entendaient les faire marner jusqu’à 67 ans pour permettre aux mangeurs de grenouilles de partir à 62.

Ces étrangers – dont la culture est pourtant révérée en d’autres circonstances – ne manquent pas d’arguments pour ridiculiser l’Hexagone. Partout en Europe (et ailleurs évidemment) on travaille, par an et sur une vie, plus que les Français. Les syndicats qui défilent contre la réforme des retraites ont par ailleurs appelé à voter pour le candidat qui proposait de repousser l’âge de départ à 65 ans, contre celle qui promettait de le ramener à 60 ans – tout en s’indignant désormais d’un report à 64 ans par leur président démocratiquement élu. Aucun manifestant ne semble non plus se soucier que la richesse par habitant ait dévissé de 16 % entre la France et l’Allemagne depuis 2005. S’appauvrir, mais continuer à dépenser toujours plus paraît pourtant impossible – mais impossible n’est pas Français. Quant au changement de paradigme induit par la remontée des taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation, autant leur expliquer la fin de l’argent magique en dialecte pachtoun. Vu de l’étranger, rien ne peut excuser notre peuple rétif à cette réformette – tellement bâclée qu’il faudra y revenir en 2030 (perspective enthousiasmante pour le futur président de la République). Aucune excuse donc, si ce n’est l’addiction à la gabegie publique. Les pensions versées aux retraités Français sont ainsi supérieures de 69 milliards par an à la moyenne européenne, un avantage, à leurs yeux, éternellement acquis. Mais un avantage financé à crédit, par les horribles marchés financiers auprès desquels nous faisons la manche depuis quarante ans – et qui nous ont dépannés de 206 milliards en 2022.

L’état du pays dressé par les élites fait douter les Français

Et pourtant, on peut trouver quelques circonstances atténuantes à ce peuple dont la comptabilité publique défie les lois de la gravitation universelle. Les Français se voient gouvernés depuis 1981 par des gens bien élevés qui mènent tous exactement la même politique – plus d’Europe, plus de dettes, plus d’allocs, plus d’immigration, plus d’impôts, moins de services publics. Avec les résultats que l’on sait en matière d’éducation, de santé ou de sécurité, un palmarès déjà consternant auquel il convient d’ajouter désormais le démantèlement de la filière nucléaire de Jospin (arrêt de Superphénix en 1997) à Macron (fermeture de Fessenheim en 2020). Quelles élites, dans l’histoire de France, laisseront une trace aussi infamante ?

Avec un tel bilan, entaché d’énormes mensonges sur l’état réel de ce pays, difficile de demander au simple citoyen de croire sur parole Emmanuel Macron lorsqu’il affirme que la réforme des retraites est indispensable. Ils les ont trompés depuis tellement longtemps – Valls vient par exemple de déclarer que la France ne pouvait plus accueillir d’immigrés, on n’a pas le souvenir que ce constat guidait la politique du gouvernement qu’il dirigeait.

Les Français concernés par l’allongement de la vie active sont par définition ceux qui ne vivent pas des allocations de l’État-providence le plus généreux de la planète – 33 % du PIB y est consacré à la « protection sociale  », 834 milliards d’Euros par an. Le salaire de ceux qui se lèvent tôt est amputé de charges et d’impôts destinés à financer un assistanat hors de tout contrôle. Ces rémunérations nettes, trop faibles de l’aveu général – mais qu’une réduction des prélèvements obligatoires revaloriserait instantanément – sont désormais grevées d’une inflation galopante, conséquence d’un « quoi qu’il en coûte » irresponsable. Pour peu que ces salariés habitent une ville moyenne désertée par les services publics, le sentiment que « c’est toujours aux mêmes que l’on demande des efforts » paraît en réalité légitime.

A lire aussi : Mélenchon/Le Pen, un match déjà plié?

Avec un sens du contretemps parfait, Emmanuel Macron, dans sa causerie du 22 mars dernier, disait vouloir s’attaquer, après les retraites, à l’épineux dossier des contreparties à demander aux allocataires du RSA. Sans doute aurait-il été mieux inspiré de commencer par là. Mettre un frein à la folle générosité du modèle social français semble effectivement une condition nécessaire à l’acceptabilité d’un report de l’âge de la retraite.

Nécessaire, mais pas suffisante. Tant que Mélenchon ou Le Pen feront miroiter aux Français qu’aucune réforme des retraites n’est justifiée, les macronistes ont peu de chances de convaincre. Ces héritiers du chiraco-hollandisme, au pouvoir depuis quatre décennies, n’ont pas été élus pour réformer quoi que ce soit, mais pour arracher à la BCE, à Berlin, à l’Europe les moyens du statu quo. Notre peuple de pleurnichards a délégué à des gouvernants geignards le soin de porter ce message urbi et orbi : les réformes – ouin ouin –, c’est trop dur ; et si vous ne nous donnez pas les sous, ce sera Le Pen au pouvoir – ouin ouin.

Comme en 1981, après trente-trois ans de pouvoir ininterrompu de la droite, la France aurait en réalité bien besoin d’une alternance, afin de confier les manettes à ceux qui prétendent gouverner autrement. Mais la Macronie, dernier avatar de l’UMPS, a fait en sorte que cette alternance ne puisse théoriquement survenir. C’est sans doute là son erreur et son ultime trahison : dans une démocratie, il ne peut pas y avoir qu’un seul parti dit de gouvernement – plus exactement, un autre est appelé tôt ou tard à le devenir, ce fut le cas du PS à partir de 1983. À l’instar d’Alexis Tsipras en Grèce, arrivé au pouvoir avec un programme économique d’extrême gauche, si le futur locataire de l’Élysée était issu de LFI ou du RN, nul doute qu’entre la banqueroute et les réformes « ultralibérales », il choisirait ces dernières. Dans une France sociétalement de droite et économiquement de gauche, somme toute, la mieux placée pour porter l’âge de la retraite à 70 ans, même si elle ne le sait pas encore, s’appelle… Marine Le Pen.

Macron: le tout à l’égo

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Revenu tout cabossé d’une humiliante tournée à l’étranger, Pif Poche est plus déterminé que jamais à se venger sur les Français coupables de ne pas l’aimer. Après avoir demandé à ses ministres de cultiver l’apaisement en semant l’humilité – on croit rêver – Pifounet un casque de chantier sur la truffe menace: “ne rien lâcher c’est ma devise”. Ça tombe bien. Le peuple souverain si longtemps moutonnier, retrouve son instinct sauvage pour le soumettre ou le démettre. Au terminus des prétentieux il va y avoir du sport. Le billet satirique de Denis Hatchondo…


Faites dodo vous aurez du Lolo. Plus sage que l’académie des neuf du Conseil Constitutionnel tu meurs à Honfleur. Lolo Fabius, la dent de sagesse incarnée, a été parfait. Avec l’aide de ses huit acolytes plus sages que des images, dont la sage-femme Jacqueline Gouraud ex-ministre de Macron, Lolo a servi sur un plateau au président le rapport qu’il voulait. Retoquant seulement les six articles cédés après d’âpres négociations aux LR. Les Républicains, Ciotti, Larcher et Retailleau en tête, se sont faits rouler dans la farine comme des cordons bleus du Père Dodu Cocu. Il faut dire que Lolo le godelureau, fut l’un des premiers freluquets de la 5ème. Avant d’être retoqué par un Chirac le qualifiant de roquet. Mais 40 ans après le Lolo est toujours là, plus fidèle qu’une arapède à son rocher. Magnifique République française qui fabrique des hommes politiques à vie ! Avec de super points de chute dorés pour leur retraite argentée. Peu importe que la bande des neuf n’ait aucune qualification pour faire du droit, à fortiori constitutionnel, ils sont là pour servir après avoir été si bien servis.

À lire ensuite Ivan Rioufol: Les grosses ficelles macroniennes ne fonctionnent plus, la rue ne se taira pas de sitôt

4 heures du mat Macron a des frissons. Pas à un enculage de mouche près, Freluquet 1er convoque ce mardi l’intersyndicale pour négocier le sexe des anges. Après avoir été méprisée pendant des mois, la représentation des salariés devrait se précipiter à l’appel du maitre. Le maitre de Nemo, le chien qui pisse à tort et à travers sur des murs chargés d’histoire. Le maitre que la communauté internationale invite à relire Pif le Chien avant d’émettre un ouah ouah aussi inutile que vain. Alors au nom des syndicats, Laurent Berger décline l’invitation tout en incitant le président à un délai de décence. Oh putain la leçon de savoir-vivre en politique! Alors qu’à l’extérieur du Château les manifs sauvages fleurissent comme les roses de Picardie au soleil d’Amiens, à l’intérieur du crâne du kid d’Amiens la vengeance arrive à ébullition. A 3h58 pendant que Berger dort comme un nouveau-né Macron promulgue sa loi avant d’aller se coucher. Je me répète en citant de nouveau un Luc Ferry éclairé, cuvée 2018: On a mis un gamin à l’Élysée et on n’a pas fini de le payer.

Féminicides, entre fait de société et faits divers

Que deviennent les hommes à l’heure où la révolution des mœurs – la révolution morale – souffle en tempête sur l’Occident?


L’assassinat de Cécile Hussherr-Poisson, enseignante-chercheuse poignardée le 20 mars dernier dans son hall d’immeuble à Paris par son ex-conjoint, a frappé les esprits. Normalien, comme elle, le meurtrier est président et cofondateur d’une start-up d’intelligence artificielle. Cet événement montre que les « féminicides » peuvent se produire même dans les milieux socialement favorisés, présumés préservés de la violence ailleurs omniprésente. C’est sans doute ce qui, dans la sauvagerie de ce meurtre, a sidéré le public. « Stupeur et effroi », titre le Point. Il y a autre chose. Qu’il s’agisse d’une mère de famille ajoute à l’horreur. Mais ce qui domine, c’est qu’il s’agisse d’une femme. Parmi les hommages rendus à la victime dans le hall de son immeuble, on peut lire cette affichette : « Encore un féminicide ! »

Un concept apparu en 1976

Bien que le Code pénal français ne consacre pas le mot « féminicide », tandis que l’ONU le reconnaît et que la typologie de l’OMS en retient quatre types (féminicide intime, féminicide commis au nom de l’honneur, féminicide lié à la dot, féminicide non intime), ce concept continue de questionner. En quoi le meurtre d’une femme par son conjoint, ex-conjoint, compagnon, ex-compagnon ou tout autre individu, est-il perçu comme plus dramatique que celui de n’importe quel homme ? Et pourquoi ce type d’événement sort-il du registre des faits divers pour entrer dans celui des faits de société ?

Il s’agit pourtant, traditionnellement, d’un fait divers, rubrique dans laquelle une partie de la presse continue de ranger les crimes passionnels, quitte à les qualifier en même temps de féminicides. À l’inverse, la presse progressiste les qualifie toujours, et uniquement, de féminicides, façon de souligner qu’ils « s’inscrivent dans des cadres de nature systémique et dans une logique de domination masculine » (définition de l’OMS). Cette double inscription laisse supposer que la situation en Occident s’apparente par essence à celle qui prévaut dans des sociétés de culture absolument différente (par exemple celle de la Norvège comparée à celle de l’Afghanistan).

L’apparition du concept est éclairante. Il a été utilisé pour la première fois au sein du Tribunal international des crimes contre les femmes, à Bruxelles, en 1976, pour exprimer le constat que, dans à peu près toutes les sociétés, des femmes sont tuées parce qu’elles sont des femmes. Le terme de « féminicide » sert à qualifier de fait de société ce type de meurtre. Ce qu’il est pour une part, et en même temps ce qu’il n’est pas. Le problème posé par le concept réside dans cette dualité, pour peu qu’on refuse de souscrire aux arguments du féminisme politique qui le fonde.

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On doit parler de fait divers dans la mesure où chacun de ces crimes relève d’une histoire singulière, irréductible à toute interprétation globalisante. Les motivations sont chaque fois spécifiques au drame – la femme n’est pas tuée parce qu’elle est « une » femme, mais parce qu’elle est cette femme particulière. Le problème n’est alors pas politique, mais psychiatrique. C’est d’ailleurs de ce côté qu’il faudrait aller en priorité pour prévenir ces crimes, plutôt que s’en remettre à une attitude accusatoire qui ne mène nulle part (malgré les lourdes condamnations, évidemment justifiées, la fréquence de ces drames ne diminue pas). Seulement, une prise en charge psychiatrique des hommes susceptibles de passer à l’acte exigerait un développement considérable de la psychiatrie, discipline médicale négligée depuis des lustres par les pouvoirs publics, alors même que sa nécessité ne cesse de croître.

Si l’on reste dans le registre des faits divers, la raison demande que les meurtres appelés indûment féminicides soient considérés comme des homicides intra-familiaux et répertoriés sous ce nom, pour les différencier des véritables féminicides, c’est-à-dire des crimes d’honneur et des crimes, généralement précédés de viols, commis par des psychopathes à l’encontre de femmes fortuitement croisées.

Criminaliser tous les hommes

De plus, et ce n’est pas le moindre de ses inconvénients, l’utilisation du mot féminicide tend, implicitement ou explicitement, à criminaliser l’ensemble des hommes. En dehors de situations hors norme comme les guerres, la quasi-totalité des hommes obéit au commandement « Tu ne tueras point ». Cette évidence, valable au moins pour la France, se traduit par ces chiffres de 2022 : d’après le collectif Féminicides par compagnons ou ex, le nombre de meurtres de femmes s’élève à 112, dont 58 en contexte de séparation et/ou de violences connues (ce qui, semble-t-il, ôte du total les « féminicides non intimes »).  Le nombre de meurtres, 112, un tous les trois jours, paraît émotionnellement énorme, mais statistiquement marginal au regard du nombre de couples en France (un meurtre tous les six jours si l’on décompte les « féminicides non intimes »).

En revanche, et c’est sans doute en quoi on peut parler de fait de société, ce total doit être rapporté au nombre de meurtres toutes catégories confondues : en 2022, toujours d’après le collectif Féminicides par compagnons ou ex, on a recensé 948 victimes. On comprend, à travers cette proportion, ce qu’a de partiellement pertinent le concept de féminicide, si on le caractérise par le refus de l’émancipation d’une femme au point d’aboutir à son assassinat. Un refus dont la dimension psycho-pathologique ne doit cependant jamais être mise sous le boisseau.

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Au fond, le grand apport du concept tient à ce qu’il a permis d’attirer l’attention de nombreux États sur un phénomène qui, pour marginal qu’il soit sous nos climats, n’en est pas moins représentatif d’une réalité spéciale, comme le montre le ratio homicides de femmes/homicides en général. Ainsi, l’accueil dans les commissariats des femmes menacées de violences meurtrières s’améliore sans cesse, outre toutes les structures vouées à leur protection.

Reste maintenant à espérer que cette remarquable attention portée à la condition féminine ne cache pas un phénomène inquiétant, les inégalités dont, en Occident, les hommes sont victimes. La question est abordée dans un article saisissant publié par Le Figaro du 25 mars 2023, qui rend compte de l’essai de Richard V. Reeves, Of Boys and Men (Swift Press, 2022), paru en septembre dernier au Royaume-Uni. La traduction en français de l’ouvrage ne saurait tarder. Elle s’inscrira dans la lente prise de conscience du fait, lui aussi politique, qu’on a tellement chargé la barque des hommes qu’elle finit par tanguer dangereusement, au risque de se retourner.

Trésors des racines wokistes

C’est officiel, « le guide de langue inclusive » d’Oxfam International vient de paraitre. Si son contenu est risible, la traque aux blancs est, elle, très sérieuse.


Bible de la novlangue de l’ultra-gauche ou chef-d’œuvre d’autoparodie ? Le lecteur reste désemparé devant le « Guide du langage inclusif » que vient de publier le géant du caritatif, Oxfam International. Cette structure chapeaute 19 organisations nationales dont la britannique à elle seule engrange 420 millions d’euros de revenu. Partant du principe que la langue possède le pouvoir de façonner la réalité, le document de 92 pages explique aux salariés quel est le vocabulaire le mieux adapté à leur mission. Le texte s’excuse d’abord d’être écrit en anglais, langue coloniale, avant de s’attaquer aux genres traditionnels et à l’hétéronormativité. Il est recommandé de préférer « parent » à « père » et « mère », ainsi que « personne enceinte » à « future maman », pour ne pas offenser les trans. Il faut éviter de dire « I stand with… » (« je suis solidaire de… ») – erreur validiste – pour ne pas offenser ceux qui ne peuvent pas se tenir debout (stand). Pourtant, le comique de tant d’absurdités cède la place à quelque chose de plus sinistre, un véritable programme marxiste de revanche tiers-mondiste. Le privilège et la suprématie blancs vont de soi et les non-Blancs, qu’il faut appeler les « personnes noires, indigènes et de couleur », en sont les victimes. Les mots « capitalisme » et « néolibéralisme » sont à utiliser, car il faut nommer ce système économique afin de le contester. La répartition actuelle des richesses est le résultat du colonialisme et de la traite des Noirs. Payer des « réparations » est donc un « devoir ». On apprend que ceux qui forment les minorités ethniques en Occident sont la majorité dans le monde. Pour renverser la vapeur, il faut appeler les Occidentaux la « minorité globale » et les autres la « majorité globale », bien que la situation de la Chine ait peu à voir avec celle des pays africains les plus pauvres. Le message est clair : non-Blancs de tous les pays, unissez-vous contre l’oppresseur minoritaire ! Certes, après des scandales de prostitution au Tchad et à Haïti, Oxfam a beaucoup à se faire pardonner, mais a-t-on envie d’être charitable ?

Mary Quant disparaît et emporte avec elle le “Swinging London”

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La styliste britannique, disparue cette semaine, faisait partie de ces créateurs ayant donné naissance à la minijupe. Surtout, elle était emblématique de la décennie 1960, dans la capitale britannique; une époque joyeuse et créative.


Le Royaume-Uni est en train de perdre toutes ses reines ! Sa Majesté Elizabeth II, bien sûr, qui nous a quittés en septembre dernier, et plus récemment, Vivienne Westwood, qui régna sur la mode british pendant quatre décennies, et qui popularisa l’aspect vestimentaire du mouvement punk. Enfin, le 13 avril dernier, Mary Quant, dite Dame Mary, a emporté avec elle, à 93 ans, ses mini jupes et les derniers vestiges du Swinging London. 

Excentriques Anglais !

Le fait que Vivienne Westwood soit assimilée au mouvement punk (elle n’a fait que commercialiser un mouvement qui venait de la rue) et que Mary Quant soit considérée comme l’inventeur (l’inventrice?) de la mini jupe – bien que certains l’attribuent au Français Courrèges – n’est finalement qu’anecdotique. Cela va me permettre d’aborder le phénomène du Swinging London, et plus largement la pop culture, que les Anglais (je ne cesse de le répéter) ont inventée. La France est le pays de l’intellectualisme et des révolutions, l’Angleterre est selon moi celui de l’excentricité et du pragmatisme politique. Paradoxalement, le fait que la Perfide Albion soit une société de classes a dynamisé et fait circuler la culture. Le « Working Class Hero » John Lennon ne dirait pas le contraire.

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Après guerre, le gouvernement travailliste décida de rendre les écoles d’Art gratuites, donc accessibles à la working class, qui, en Angleterre, à l’époque, avait une identité très forte. Cela a malheureusement beaucoup changé. Ce phénomène est expliqué dans le documentaire sur Brian Ferry, le chanteur du groupe Roxy Music, diffusé en ce moment sur Arte. Brian Ferry, ce prolétaire brillant, qui même lorsqu’il avait trois sous s’habillait déjà comme un prince, fréquenta une de ces écoles, et l’Art fut sa première passion. Il était fan de Ready Made et de Duchamp, et cela se sentait dans les premiers albums de Roxy Music, que je qualifierais de glam rock expérimental, notamment grâce au clavier de Brian Eno. Tous ces enfants de prolos, ou de la lower middle class, donnèrent donc naissance au Swinging London, qui fut, pendant quelques années, au centre du monde culturel. Que s’y passait-il au juste ? Tout d’abord, il y régnait un mélange détonnant; le rock’n’roll, la mode, l’art contemporain (qui, là-bas, n’était donc pas un phénomène élitiste) s’y mélangeaient joyeusement. Ensuite, évidemment, on y faisait la fête, on consommait des substances illicites, quelquefois, on s’y perdait. Mais, l’espace d’un moment de grâce, on y inventa un mode de vie.

Plutôt ne rien manger que de paraitre mal vêtu

La mode y joua un rôle primordial. En effet, tout le beau monde issu de la culture underground se réunissait dans la boutique de Mary Quant, sur King’s Road : Bazaar. On donna à ce mouvement l’appellation de Youthquake que l’on pourrait traduire par : jeunesse en transe. Dorénavant, c’est la jeunesse de la rue qui inspirerait la mode. La jeunesse française, quant à elle, discutait de la lutte des classes dans les universités, en attendant son heure. Bien sûr, vous pourriez rétorquer que tout cela n’était que du marketing, c’est évident, les Américains ayant déjà inventé le concept d’adolescence avec l’explosion du rock’n’roll à la fin des années 50. En Europe, nous avons dû attendre les Beatles. 

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Autre particularité so british : la mode y est, depuis toujours, une affaire d’hommes. D’ailleurs, le style british masculin reste une valeur sûre. 
Au commencement, au XVIIIème siècle, fut le Beau Brummel, qui inventa le dandysme, terme si galvaudé de nos jours, qu’on en a perdu la signification. Costumes admirablement coupés, cravates savamment nouées, Brummel prétendait qu’il mettait cinq heures à s’habiller. Mais le dandysme est aussi, et surtout, un mode de vie. Les dandys sont le contraire du bourgeois (en témoigne Baudelaire); ils font de leur vie de l’art. Brummel, qui perdit sa fortune au jeu, préférait ne pas manger que d’apparaître mal vêtu…
La notion de dandysme perdura, et devint, au XXème siècle, davantage synonyme d’une certaine excentricité maîtrisée. Brian Jones, le guitariste des Stones, en fut l’exemple ultime. D’ailleurs, dans les années 60, nombre de chanteurs pop britanniques étaient qualifiés de dandys. En témoigne cette chanson des Kinks – groupe qui représentait la quintessence de l’attitude rock’n’rollesque british – « Dedicated follower of fashion » (obsédé par la mode). Mais alors, où se situe le dandysme en France, le pays de Chanel et de l’élégance discrète ? Au risque d’en surprendre plus d’un, Sagan, avec son élégance désinvolte et son mode de vie scandaleux, est une figure que l’on pourrait qualifier de « dandyesque. » Mais, à mon sens, les derniers véritables dandys sont les sapeurs africains. Qui, à l’image de Brummel en son temps, sacrifient tout à la sape.

Christian Authier: lettre d’amour à La Poste

Entre plaidoyer nostalgique et colère argumentée, l’écrivain Christian Authier se souvient d’un service public qui faisait jadis l’identité de notre pays


Il fallait que ce soit un fils de postier devenu écrivain qui s’y colle. Défendre, se souvenir, rappeler les étapes d’une longue désagrégation, évoquer la poétique de la carte postale et la mystique du facteur, la performance du courrier à J+1 et la philatélie comme passion nocturne française. Et puis, il y eut l’ouverture à la concurrence, les directives européennes, le flou juridique sur le statut, la privatisation qui ne dit jamais son nom et cette technostructure qui abat les chênes en feignant d’œuvrer pour le bien commun. La réorganisation permanente et la pression managériale firent le reste, dénaturer, détricoter et défaire un « trésor » national.

La Poste: symbole du sacrifice de la France d’avant

Si bien qu’il est difficile de reconnaître notre Poste mythifiée, les 4L fourgonnettes jaune paille de nos campagnes, les merveilles du calendrier, une rigueur et une régularité qui firent dire à Gabin dans « Le Cave se rebiffe » que le monde nous enviait cette admirable administration nommée PTT. Donc, c’est un enfant de la Poste qui a travaillé au cœur de la bête durant ses vacances, du tri à la distribution, au contact direct de ses ex-agents publics et qui a suivi l’assèchement et la perte de sens d’une entreprise emblématique de notre paysage. Enlevez la Poste de notre décor, et c’est un peu de France qu’on sacrifie sur l’autel d’une modernité mortifère. Tout le monde y est allé un jour, a pesté dans la queue, a même maudit ces « fonctionnaires », quelques blagues circulaient sur leur peu d’entrain à travailler, mais globalement nous avons été satisfaits du service rendu. Un maillage extraordinaire du territoire, une présence humaine qui ne se monétise pas ; du liant, du lien, de l’entraide, le même traitement dans un village de Haute-Corse que boulevard Raspail, une forme de citoyenneté souterraine qui conditionnait ce fameux « vivre ensemble ».

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Kafka revu par les Monty Python

Alors, qu’elle ne fut pas notre surprise, de débarquer un jour, dans un bureau au milieu des automates et d’une marchandisation à outrance, sous les injonctions d’une novlangue digitalisée et la politique du chiffre, nous souhaitions seulement poster une lettre, envoyer un livre à nos parents en province ou répondre à une carte de vœux. La machine commerciale, harceleuse et déshumanisante, se mettait en place. Nous l’avions vue à l’œuvre ailleurs, dans la grande distribution, l’optique ou la téléphonie. Dans Poste restante aux éditions Flammarion, Christian Authier fait un état des lieux, son constat est implacable, il est parfaitement argumenté, sa plume oscille entre une douce mélancolie toulousaine et le vitriol quand il s’agit d’expliquer la mécanique du désenchantement. A propos des réorganisations incessantes, il écrit : « C’est Kafka revu par les Monty Python. Le monde réel et la raison s’évanouissent dans l’abstraction et dans des projections folles qui visent des objectifs irréalisables ». Il enfonce le clou : « La ruse ou le génie du capitalisme, selon le point de vue, consiste à faire basculer dans le domaine marchand des choses qui ont toujours été gratuites ». La mort du timbre rouge au 1er janvier 2023 a été le coup de grâce. Authier n’est pas un révolutionnaire à la petite semaine, plutôt un observateur attentif et triste du désastre en marche, doublé d’un écrivain sensible. Il l’aime sa Poste d’hier qui ne cherchait pas à gagner un petit sou de plus comme dans « Le Sucre » de Jacques Rouffio. Il s’appuie sur l’Histoire de cette grande maison, de Louis XIV à l’Aéropostale, pour nous alerter et nous interroger sur les dérives libérales à la manœuvre. Il replace la Poste au centre du village. Quand elle vient à disparaître, c’est toute l’architecture locale, économique et sociale, politique et presque métaphysique qui vacille et nous fait basculer dans une autre société, celle de l’errance numérique. Dans un pays qui voit son école et son hôpital péricliter, l’espacement des tournées du facteur est un nouveau signe de déclassement.

Une administration de la mémoire intime

Authier retrouve des couleurs lorsqu’il évoque les timbres illustrés et fustige leur « quasi-disparition ». « Les timbres et les flammes enjolivaient un objet quotidien, pouvaient susciter l’éveil et la curiosité. La valeur d’usage ne méprisait pas une forme d’éducation populaire, modeste et réelle » écrit-il. « L’enlaidissement du monde dans lequel nous vivons n’est pas anodin », conclut-il. Nous avons tous un rapport presque intime avec cette ex-administration, après avoir lu cet essai, je n’arrive pas à me défaire d’une image, celle d’une employée des Postes incarnée par l’actrice Margot Abascal (trop rare) dans « Promotion canapé » qui jouait l’érotisme chaste à l’écran avec une vérité qui m’émeut encore.

Poste restante de Christian Authier – Flammarion

Frédéric Bécourt ou le vent printanier

Dans Le vent les pousse, Bécourt, écrivain antimoderne, dénonce les dérives orwelliennes du politiquement correct. Brillant et sinistre à la fois.


Frédéric Bécourt publiait en 2021 Attrition dont je me faisais l’écho dans Causeur. L’auteur s’inscrivait dans le mouvement des antimodernes. Son héros n’en était pas un. Sa vie sentimentale était en ruine, la dépression le guettait. Depuis Michel Houellebecq, c’est un peu la tendance. On est dans le gris, on piétine, les aubes sont livrées dans des barquettes périmées. Bécourt récidive avec Un vent les pousse. Le héros n’est pas en meilleure forme que dans son premier roman.

Il se prénomme Gilles, c’est un romancier sur le déclin. Il est divorcé et partage la garde de sa fille Chloé avec son ex-épouse. C’est un ancien prof de français, longtemps encarté à l’UNEF. Ses parents sont morts alors qu’il avait quatre ans, à quelques mois d’intervalle, tous les deux emportés par une forme rare de cancer du sang. Ils l’ont prénommé Gilles en hommage à Gilles Vigneault, le poète québécois. Il y a des débuts plus dynamisants. On comprend le regard désabusé qu’il porte sur la société devenue hygiéniste depuis le confinement de mars 2020. Car l’histoire se déroule à Bordeaux en 2025, c’est-à-dire demain.

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Robbe-Grillet sous Prozac

Gilles a toujours voulu écrire, et vivre de ses droits d’auteur. Son premier ouvrage, qui était passé totalement inaperçu, s’intitulait Fais tes valises, on rentre à Paris !  C’était une biographie romancée de Liliane Marchais, l’épouse du tonitruant secrétaire national du Parti communiste français, que le rusé François Mitterrand avait, comme tant d’autres, roulé dans la farine. Une éditrice branchée et cynique, Anne Blanchet-Dugain, avait remarqué Gilles et en avait fait l’un de ses poulains. Elle n’hésitait pas à le tancer, lui disant: « Pour écrire il faut du temps et les profs n’en manquent pas. Le problème c’est qu’ils n’ont, la plupart du temps, rien à dire. » Anne, cependant, croyait en lui. Elle l’éditait, le poussait à « retrouver la légèreté et la sincérité de ses débuts. » Mais Gilles s’enfonçait dans la dépression depuis qu’il était redevenu célibataire. À part sa petite chloé, sa vie n’avait plus aucun sens. Son écriture ne sortait pas du bourbier. Anna, pas si finaude que ça, lui balance un jour: « Je viens de jeter un œil sur les deux chapitres que tu m’as envoyés hier. Eh ben, putain… On dirait du Robbe-Grillet sous Prozac, c’est chiant à mourir. » C’est méconnaitre la vie et l’œuvre de « Robbe »… Mais passons. Gilles se retrouve un matin convoqué à l’école maternelle pour des propos racistes que Chloé aurait tenus dans l’enceinte de la cour de récréation. Chloé aurait dit au petit Souleymane: « Laisse-moi, tu sens mauvais. »

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Mort sociale

L’Académie de Bordeaux déclenche une enquête administrative dans le cadre du protocole RSHT (Racisme Sexisme Homophobie Transphobie). La petite Chloé, présumée élevée par des parents racistes, doit être soumise à des tests psychologiques. Gilles refuse de donner son accord. Il se voit retirer la garde de sa fille. L’école doit, avant tout, traquer et « redresser » le mauvais citoyen, avec le concours de collabos zélés payés au lance-pierre. Apprendre à lire, écrire, compter, on verra plus tard ! Le vent printanier n’apporte pas que de bonnes nouvelles pour la liberté. La mort sociale guette l’écrivain Gilles.

Écrit dans un style épuré, servi par une dramaturgie efficace, Frédéric Bécourt souligne que des individus de bonne foi peuvent être pris dans un engrenage idéologique mortifère. À méditer avant que le camp du Bien ne finisse de nous broyer. Comme disait Péguy: « Le kantisme a les mains pures mais il n’a pas de mains. »

Frédéric Bécourt, Un vent les pousse, ACCRO éditions.

Musset, une paresse d’ange

Le poème du dimanche


Alfred de Musset (1810-1857) a réussi un exploit dans l’histoire littéraire française: le romantisme ne l’a jamais rendu niais. Il a continué à aimer Racine, Boileau, Molière, les vieilles chansons françaises. Son théâtre a porté à un point d’incandescence presque angoissant cet art si français de la conversation.

Dandy débauché et précoce, il a terminé son œuvre à trente ans. Ensuite, il s’est contenté de survivre à sa légende de surdoué de la génération 1830 sur les bancs de l’Académie française, ce qui est un peu triste.

Il sera d’ailleurs victime de la haine posthume de Rimbaud, une haine trop virulente pour être vraiment sincère: « Musset est quatorze fois exécrable pour nous, générations douloureuses et prises de visions que sa paresse d’ange a insultées. »

On goûtera, pour ce poème du dimanche, cette fantaisie dans le genre espagnol, qui fit fureur chez les romantiques. On en oubliera que les deux premiers vers, pour être bien balancés, n’en sont pas moins géographiquement approximatifs…


L’Andalouse

Avez-vous vu, dans Barcelone,
Une Andalouse au sein bruni ?
Pâle comme un beau soir d’automne !
C’est ma maîtresse, ma lionne !
La marquesa d’Amaëgui !

J’ai fait bien des chansons pour elle,
Je me suis battu bien souvent.
Bien souvent j’ai fait sentinelle,
Pour voir le coin de sa prunelle,
Quand son rideau tremblait au vent.

Elle est à moi, moi seul au monde.
Ses grands sourcils noirs sont à moi,
Son corps souple et sa jambe ronde,
Sa chevelure qui l’inonde,
Plus longue qu’un manteau de roi !

C’est à moi son beau corps qui penche
Quand elle dort dans son boudoir,
Et sa basquina sur sa hanche,
Son bras dans sa mitaine blanche,
Son pied dans son brodequin noir.

Vrai Dieu ! Lorsque son œil pétille
Sous la frange de ses réseaux,
Rien que pour toucher sa mantille,
De par tous les saints de Castille,
On se ferait rompre les os.

Qu’elle est superbe en son désordre,
Quand elle tombe, les seins nus,
Qu’on la voit, béante, se tordre
Dans un baiser de rage, et mordre
En criant des mots inconnus !

Et qu’elle est folle dans sa joie,
Lorsqu’elle chante le matin,
Lorsqu’en tirant son bas de soie,
Elle fait, sur son flanc qui ploie,
Craquer son corset de satin !

Allons, mon page, en embuscades !
Allons ! la belle nuit d’été !
Je veux ce soir des sérénades
À faire damner les alcades
De Tolose au Guadalété.

Alfred de Musset

Le bon élève est un crétin comme les autres…

Dernier volet des bonnes feuilles de notre chroniqueur sur l’École à deux vitesses. C’est le regard que nous posons sur les élèves qui doit changer. Cessons de nous conforter avec des bonnes notes qui ne signifient plus rien, et détectons les vrais talents. Sinon, nous aurons droit, pour les siècles des siècles, dit-il, à des clones d’Emmanuel Macron.


>> Relire : École des riches, École des pauvres <<

Le « bon » élève, tel que le conçoivent dans leur majorité mes collègues, n’est pas un vrai cador des disciplines scolaires : c’est une créature faite d’obéissance, de réflexes scolaires acquis très tôt, et d’un sens poussé de l’imitation et de la reproduction. Ce que nous appelons « bon élève » est un clone de nous-mêmes, enseignants, une resucée de ce que nous fûmes, et un reflet de ce qu’attendent les oligarques au pouvoir : les enseignants ont la plupart du temps été de « bons » élèves, dont le réflexe d’obéissance se perpétue tout au long de leur vie.

Un « bon » élève se reconnaît donc à sa capacité à se taire en dehors des moments où on lui adresse la parole (c’est une libre adaptation pédagogique du principe bourgeois, « à table, les enfants ne parlent pas », et du principe militaire, « silence dans les rangs ! »), à prendre des notes avec une frénésie ostentatoire et à poser sur le maître un regard émerveillé. On lui a appris à faire ses devoirs dans les temps, à les rendre sur une copie bien propre, à construire des paragraphes et des alinéas. Le bon élève joue au prof, et on le récompense pour cette capacité mimétique.

Si de surcroît il a une étincelle factice d’originalité, on le sacrera élève d’élite. Et même s’il échoue à Normale Sup, il se rattrapera à Sciences-Po et à l’ENA. C’est le parcours d’Emmanuel Macron, bon élève remarqué pour sa conformité aux codes et sa superficialité brillante. Sa capacité de surface à la flagornerie est le masque de sa profonde docilité à ses maîtres — avant-hier, les professeurs d’Henri-IV, qui n’aiment rien tant que les « bons » élèves qui ne leur causent ni problèmes ni suées excessives, hier le groupe de Bilderberg, qui en a fait l’un de ses poulains après l’avoir auditionné en 2014 (tout comme Edouard Philippe, reçu en 2016 dans cet aréopage de vrais décideurs), aujourd’hui les maîtres du monde, qui l’ont installé là pour servir leurs appétits — et, accessoirement détruire toutes les lois sociales issues des ordonnances de 1945.

A relire, notre numéro de février: Causeur: Rééducation nationale «Stop au grand endoctrinement!»

De là à le désigner comme « Mozart de la finance », il y a un gouffre que les thuriféraires de l’actuel président de la République des bons élèves n’hésitent pas à franchir. Pauvre Mozart !

La sélection des « élites » qu’opèrent les grands lycées napoléoniens trouve son pendant, dans l’enseignement privé, dans quelques établissements réservés aux enfants de la bourgeoisie — Stanislas ou l’Ecole alsacienne, à Paris, qui produisent à la chaîne les successeurs de leurs aînés. Pensez qu’une lumineuse intelligence comme Gabriel Attal sort de l’Alsacienne, où il chahutait à son gré, et s’est retrouvé membre du cabinet de la ministre de la Santé Marisol Touraine, à 23 ans, député à 28, secrétaire d’Etat à l’Education dans la foulée — ça a dû bien le faire rire — et ministre délégué chargé des comptes publics en 2022 — là aussi, il a dû s’esclaffer. Mais il ne s’est pas étonné, ce Mozart de la dissipation était promis à ce destin miraculeux.

Gabriel Attal à Bordeaux, janvier 2021 © UGO AMEZ/SIPA

Le bon élève est donc recruté dans des formations exigeantes, il réussit « naturellement » le concours d’entrée à telle ou telle grande école, et fait profiter la nation, ultérieurement, de son excellence…

On pourrait poser la question de l’utilité nationale de ces jeunes gens qui nous ont coûté si cher à chouchouter. Combien de Polytechniciens quittent la France qui les a formés pour s’encanailler avec les traders de la City ou de Wall Street ? Combien de Normaliens entrent dans des cabinets ministériels, où ils croiseront des énarques si dépourvus d’audace et d’imagination qu’on en fera peut-être des présidents de la République ? Si le système scolaire était réellement élitiste, assisterions-nous au spectacle pitoyable qu’offrent les éminences toutes passées par le même moule ? Nous ne sommes pas du tout dans l’élitisme, surtout pas dans l’élitisme républicain, mais dans la perpétuation des privilèges d’une caste arrogante et globalement dépourvue de talent.

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À noter que, comme le souligne l’historien Pierre Vermeren (in Marianne n°1360, 6-12 avril 2023), la réindustrialisation de la France « va être rude, en contexte de libre-échangisme idéologique, face aux résistances des marchands, des importateurs et des financiers, le tout avec une pénurie d’ingénieurs : la seule rénucléarisation d’EDF va assécher le marché des ingénieurs pour des années. Les dizaines de milliers d’étudiants brillants orientés de manière pavlovienne vers les métiers de la finance, de la communication et du droit vont cruellement faire défaut. » Enfants du peuple capables de faire des maths, vous voici prévenus !

C’est que le « bon » élève n’atteint pas cette distinction, comme disait Bourdieu, par son génie intrinsèque, mais par sa maîtrise précoce des codes.

Codes familiaux, codes pédagogiques. Code linguistique aussi : le bon élève s’exprime bien, il a appris ça tout petit en écoutant, à l’arrière de la voiture, les discussions de ses parents ou le flux de France Culture. Il est souvent bilingue, car on l’a envoyé en séjour linguistique dès cinq ans. Il a de jolies références historiques et géographiques, car on l’a baladé dans la France entière au gré de vacances « culturelles » destinées à enrichir le capital du petit ou de la petite. Et on lui a offert des livres à Noël… Il arrive en Maternelle avec un capital dormant inestimable, qui s’accroîtra dans les années à venir.

En même temps, le système scolaire de collège unique (appliqué aussi dans le privé sous contrat) nivèle nécessairement les niveaux. Ce qui différencie au final les déshérités de leurs camarades nantis, c’est le capital social. Les programmes qui depuis trente ans ont privilégié le savoir-vivre ou le savoir-être au détriment des savoirs tout court ont cristallisé cette différence : si l’on n’offre pas davantage aux enfants acculturés, on les relègue d’emblée en seconde division.

Mes collègues qui déplorent, dans les divers dispositifs destinés à faire entrer des élèves atypiques dans le saint des saints pédagogique, le mélange des genres et la mauvaise graine susceptible de contaminer leurs chers « bons » élèves, me rappellent ces procédures d’Ancien Régime qui réservaient, dans l’armée, les fonctions d’officiers aux enfants issus de l’aristocratie. Il a suffi d’un Bonaparte (de noblesse douteuse), nommé dans l’artillerie, corps peu prestigieux, pour que le système se renverse cul par-dessus tête. Se promener sur les boulevards des maréchaux, à Paris, c’est égrener la liste des enfants de rien et de personne, parvenus au faîte des honneurs par leurs qualités propres et leur audace. Murat, Ney, Lannes, Soult ou Masséna ont taillé en pièces les aristocrates passés à l’ennemi. Des cancres doués ! Des gens de rien qui osaient tout !

Nous avons rétabli, avec les « lycées d’élite », les prépas, les grandes écoles, la « voie royale » en pleine République. Mais justement, sommes-nous bien encore en République ?

À noter que Napoléon n’avait pas de préjugés. Quand il tombait sur un enfant de la noblesse pourvu des qualités idoines, il en faisait aussi un maréchal, Davout par exemple, ou Brune. Mais statistiquement, on comprend bien que le peuple, le peuple ignorant, les gens de peu, les gens de rien, produisent malgré eux la majorité des enfants aux capacités réelles, dont le non-emploi est aujourd’hui le cancer de la France.

A lire aussi: Thierry Lentz: “Nous avons tous quelque chose de Napoléon”

Peut-être vous rappelez-vous Billy Elliot, le très joli film de Stephen Daldry. Dans le dernier quart du film, le héros, fils de mineur (en grève, nous sommes sous l’ère Thatcher) est convoqué pour une audition devant le jury de la Royal Ballet School — le saint des saints de la danse outre-Manche, la grande école par excellence. Audition peu convaincante, à la limite du grotesque, tant les prérequis de la discipline ne sont pas maîtrisés. Mais interrogé par ces maîtres impitoyables sur ce qu’il ressent quand il danse, le jeune Billy explique laborieusement : « C’est comme si je disparaissais… Un changement dans mon corps… Comme si je prenais feu… Le feu… L’oiseau… Comme l’électricité… »

C’est sur cette déclaration qu’il est finalement pris dans l’une des écoles de danse les plus exigeantes au monde. Car, comme on lui fait remarquer, le reste, la technique, on lui apprendra. On est là pour ça. Mais il est essentiel qu’il ait le feu sacré.

En vérité je le dis à ceux de mes collègues qui ne souhaitent que de « bons » élèves : il est des cancres plus valeureux que bien des élèves admirablement formatés. Parce qu’ils ne sont pas bons, certes, ils n’existent pas encore, ils sont en projection vers le futur. Et ils seront meilleurs que les autres, pourvu que vous leur appreniez arabesques, assemblés, battements et sauts de chat. Ou, si vous préférez, pourvu que vous leur appreniez les bases qu’on ne leur a jamais enseignées, qu’ils n’avaient aucune chance d’acquérir à travers leur environnement familial, les bases sans lesquelles ils ne pourraient progresser, mais qu’ils assimileront, pourvu que vous preniez le temps de les leur enseigner. Il est des cancres qui sont de vraies élites en puissance — mieux parfois que ceux qui sont nés avec une cuillère en argent dans la bouche et une distinction « naturelle », c’est-à-dire héritée.

Parmi les enfants de l’oligarchie se glissent un certain nombre d’enfants d’enseignants, malgré le statut dévalué de cette fonction. S’ils n’ont pas tous les codes sociaux, ils ont les codes pédagogiques. Et puis c’est bien le moins que l’on doit à leurs géniteurs, qui font le sale boulot pour maintenir au pouvoir une caste à laquelle ils n’accèderont jamais.

Nous nous privons ainsi des forces vives qui pourraient ressusciter ce « vieux pays », comme disait De Gaulle. D’autant que les pseudo-élites sélectionnées ne planent pas bien haut : les « bons élèves » sont malheureusement des crétins comme les autres. Mais ils détiennent les clés du pouvoir. Il n’y a qu’à les observer pour saisir à quel point, en politique aussi, le niveau a baissé.

Les forces vives du peuple, confinées dans des lycées professionnels méprisées, dans des filières bouchées, dans des options pédagogiques dont suintent le mépris sous prétexte de sollicitude, sont riches de destins empêchés, comme autrefois on les empêchait en les jetant dans la mine à huit ans. La désindustrialisation de la France nous contraint à passer par la case du non-emploi, ou de l’emploi précaire, de l’ubérisation tous azimuts, pour contenir les ambitions déçues et la colère de ces classes non laborieuses et qui pourraient bien à nouveau devenir dangereuses. Nous sommes en 1788, avec une minorité crispée sur d’arrogants privilèges. Elle devrait se méfier : après la nuit du 4 août, qui vit l’abolition des privilèges, on dressa la guillotine sur la place de la révolution. Il est de l’intérêt des gouvernants de se remettre en cause. Quitte à redistribuer le pouvoir.

Loin de moi l’idée de prétendre que tous les cancres sont des Hauts Potentiels Intellectuels ignorés par des enseignants jaloux. Mais ils sont nombreux à frapper à la porte de l’ascenseur social — définitivement en panne. Aidons-les à prendre l’escalier.

La fabrique du crétin: Vers l'apocalypse scolaire

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Molinier, précurseur du troisième sexe

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Déterminé à mener sa croisade idéologique au nom des minorités, le Frac Méca bordelais met à l’honneur Pierre Molinier (1900-1976), désormais reconnu comme une figure emblématique de l’art en France et à l’étranger.


Jadis vieux tonton pervers infréquentable, aujourd’hui grand-père cool que les ados aimeraient présenter à leurs potes ! Pensez donc, Pierre Molinier était un précurseur de la fluidité des genres et des transidentités, une incarnation avant l’heure du pronom « iel », qui n’hésitait pas à déambuler en bas de soie dans le Bordeaux corseté des années 50, et dont la pente résolument transgressive l’amenait à utiliser du sperme dans ses peintures ainsi qu’à recevoir ses étudiants tout en continuant à se masturber…

Un esprit indépendant ? Sans doute. Un chantre de la tolérance ? Pas vraiment. Plutôt un esprit sectaire, à l’image du club érotique qu’il fonda, « la Secte des voluptueux ». A priori pourtant, les ambitions affichées, à savoir rassembler des personnes se donnant et recevant du plaisir « sans tabous ni jugements », peuvent apparaître comme un gage d’ouverture manifeste. Mais il faut lire les notes de bas de page qu’il a lui-même rédigées : « L’androgynie est de rigueur. Ne peut être admis dans la secte celui ou celle qui a la prétention d’être essentiellement femme ou homme. »

Odeur de soufre

Mais laissons là l’homme et allons voir du côté de l’artiste, puisque le Frac bordelais consacre à Molinier une importante exposition qui embrasse toutes les facettes de son œuvre. Attention néanmoins, odeur de soufre oblige : « La dimension érotique de certaines œuvres de l’exposition Molinier Rose Saumon “Nous sommes tous des menteurs” nous a conduits à interdire son accès à un public mineur », explique-t-on du côté de l’institution bordelaise. Pas de panique néanmoins : les moins de 18 ans pourront se frotter à l’univers de l’artiste dans une salle accessible à tous les publics en découvrant l’exposition à l’intitulé clairement ancré dans l’air du temps : « Pierre Molinier, questionner les corps et les genres ». « Ce sera l’occasion d’aborder différentes thématiques telles que les représentations des corps féminins et masculins, les notions de genres ou de travestissement », indique le Frac.

Alceste de la question transgenre

Quant au titre de l’exposition principale, il met l’accent sur une couleur généralement considérée comme féminine pour mieux brouiller les cartes et affirmer l’un des enjeux de cette exposition : la déconstruction. À moins qu’il ne se réfère au phénomène d’inversion de sexe observé chez le saumon chinook ? Le sous-titre, lui, « nous sommes tous des menteurs », place l’artiste comme le public dans le même sac de complaisance à l’égard d’une société qui étoufferait notre « moi » profond. Une réserve s’impose néanmoins : Molinier, sorte d’Alceste de la question transgenre, accuse plus volontiers les autres que lui-même, comme le montre sa réaction après le tollé provoqué par la présentation du Grand Combat au 30e Salon des Indépendants bordelais en 1951.

A lire, du même auteur : La cité Frugès, une utopie à valoriser?

Mi-abstrait, mi-figuratif, ce tableau représente « des corps entrelacés pris dans un tourbillon érotique », commente pudiquement le Frac. Molinier, cru et provocateur, dit clairement qu’il s’agit d’ « un couple qui baise ». Face à la rupture fracassante avec la « bonne société » bordelaise, l’artiste se sent trahi par tous, y compris par ses pairs, ses amis. D’où son amertume, qui prendra la forme d’une Lettre ouverte tonitruante, premier texte de lui à être rendu public : « Que me reprochez-vous dans mon œuvre ? D’être moi-même ? Allez donc, vous crevez de conformisme ! Vous n’êtes pas des artistes, vous êtes des esclaves ! Vous êtes des bornes à distribuer de l’essence ! Vous êtes le signal vert et rouge au coin de la rue… Et allez donc, enfoutrés ! » Première incarnation esthétique des passions de l’artiste, Le Grand Combat marque une étape décisive dans son parcours, à partir de laquelle il va défendre mordicus, d’une part ses pratiques fétichistes SM et son idéal androgyne d’autre part. Ou comment l’artistiquement incorrect d’hier est devenu la norme culturelle d’aujourd’hui.

Du narcissisme comme vertu créatrice

Dès lors, sa peinture aussi bien que ses photographies porteront le sceau du militantisme. Précurseur du Body Art, Molinier s’ingéniera sans relâche à déconstruire les catégories de l’identité en se prenant systématiquement pour modèle. De manière invariable et quelque peu lassante (André Breton se montrera critique à son endroit), il se photographie après s’être épilé et maquillé, masqué d’un loup et vêtu d’un corset, d’une guêpière en dentelles, de résille et de talons aiguilles, puis opère un travail de recomposition à base de découpage et de collage pour proposer une image idéale de lui-même, tel que le proclame l’un de ses tirages, « Comme je voudrais être » (1968-1969). À savoir multiple, protéiforme et indéfini.

Narcissisme posé en vertu créatrice, obsessions personnelles érigées en matériau universel, volonté transgressive affichée comme valeur esthétique suprême, goût pour la déconstruction et refus des normes, Pierre Molinier apparaît plus que jamais comme un artiste avec qui il faudra compter dans les années à venir…


« Molinier rose saumon », exposition anniversaire des 40 ans des Frac ; du 31 mars au 17 septembre.

Retraites, argent magique: l’impossible sevrage

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Manifestation contre la réforme des retraites, Paris, 23 mars 2023. © SEVGI/SIPA

Notre « modèle social » conduit la France à la ruine. Et la réforme des retraites est une mesurette qui ne résout rien au problème abyssal de la dette publique. Quant à ceux qui prônent toujours plus de mesures sociales, ils nous mènent sur le chemin de la Grèce, forcée par les marchés financiers à suivre une véritable cure d’austérité.


Occupés à jucher leur sac poubelle sur un tas d’immondices ou à y mettre le feu, les Français nombrilistes peinent à réaliser le profond mépris qu’ils inspirent à l’étranger. Dans une zone euro solidaire par construction, les salariés du reste de l’Europe ont bien compris que les Gaulois entendaient les faire marner jusqu’à 67 ans pour permettre aux mangeurs de grenouilles de partir à 62.

Ces étrangers – dont la culture est pourtant révérée en d’autres circonstances – ne manquent pas d’arguments pour ridiculiser l’Hexagone. Partout en Europe (et ailleurs évidemment) on travaille, par an et sur une vie, plus que les Français. Les syndicats qui défilent contre la réforme des retraites ont par ailleurs appelé à voter pour le candidat qui proposait de repousser l’âge de départ à 65 ans, contre celle qui promettait de le ramener à 60 ans – tout en s’indignant désormais d’un report à 64 ans par leur président démocratiquement élu. Aucun manifestant ne semble non plus se soucier que la richesse par habitant ait dévissé de 16 % entre la France et l’Allemagne depuis 2005. S’appauvrir, mais continuer à dépenser toujours plus paraît pourtant impossible – mais impossible n’est pas Français. Quant au changement de paradigme induit par la remontée des taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation, autant leur expliquer la fin de l’argent magique en dialecte pachtoun. Vu de l’étranger, rien ne peut excuser notre peuple rétif à cette réformette – tellement bâclée qu’il faudra y revenir en 2030 (perspective enthousiasmante pour le futur président de la République). Aucune excuse donc, si ce n’est l’addiction à la gabegie publique. Les pensions versées aux retraités Français sont ainsi supérieures de 69 milliards par an à la moyenne européenne, un avantage, à leurs yeux, éternellement acquis. Mais un avantage financé à crédit, par les horribles marchés financiers auprès desquels nous faisons la manche depuis quarante ans – et qui nous ont dépannés de 206 milliards en 2022.

L’état du pays dressé par les élites fait douter les Français

Et pourtant, on peut trouver quelques circonstances atténuantes à ce peuple dont la comptabilité publique défie les lois de la gravitation universelle. Les Français se voient gouvernés depuis 1981 par des gens bien élevés qui mènent tous exactement la même politique – plus d’Europe, plus de dettes, plus d’allocs, plus d’immigration, plus d’impôts, moins de services publics. Avec les résultats que l’on sait en matière d’éducation, de santé ou de sécurité, un palmarès déjà consternant auquel il convient d’ajouter désormais le démantèlement de la filière nucléaire de Jospin (arrêt de Superphénix en 1997) à Macron (fermeture de Fessenheim en 2020). Quelles élites, dans l’histoire de France, laisseront une trace aussi infamante ?

Avec un tel bilan, entaché d’énormes mensonges sur l’état réel de ce pays, difficile de demander au simple citoyen de croire sur parole Emmanuel Macron lorsqu’il affirme que la réforme des retraites est indispensable. Ils les ont trompés depuis tellement longtemps – Valls vient par exemple de déclarer que la France ne pouvait plus accueillir d’immigrés, on n’a pas le souvenir que ce constat guidait la politique du gouvernement qu’il dirigeait.

Les Français concernés par l’allongement de la vie active sont par définition ceux qui ne vivent pas des allocations de l’État-providence le plus généreux de la planète – 33 % du PIB y est consacré à la « protection sociale  », 834 milliards d’Euros par an. Le salaire de ceux qui se lèvent tôt est amputé de charges et d’impôts destinés à financer un assistanat hors de tout contrôle. Ces rémunérations nettes, trop faibles de l’aveu général – mais qu’une réduction des prélèvements obligatoires revaloriserait instantanément – sont désormais grevées d’une inflation galopante, conséquence d’un « quoi qu’il en coûte » irresponsable. Pour peu que ces salariés habitent une ville moyenne désertée par les services publics, le sentiment que « c’est toujours aux mêmes que l’on demande des efforts » paraît en réalité légitime.

A lire aussi : Mélenchon/Le Pen, un match déjà plié?

Avec un sens du contretemps parfait, Emmanuel Macron, dans sa causerie du 22 mars dernier, disait vouloir s’attaquer, après les retraites, à l’épineux dossier des contreparties à demander aux allocataires du RSA. Sans doute aurait-il été mieux inspiré de commencer par là. Mettre un frein à la folle générosité du modèle social français semble effectivement une condition nécessaire à l’acceptabilité d’un report de l’âge de la retraite.

Nécessaire, mais pas suffisante. Tant que Mélenchon ou Le Pen feront miroiter aux Français qu’aucune réforme des retraites n’est justifiée, les macronistes ont peu de chances de convaincre. Ces héritiers du chiraco-hollandisme, au pouvoir depuis quatre décennies, n’ont pas été élus pour réformer quoi que ce soit, mais pour arracher à la BCE, à Berlin, à l’Europe les moyens du statu quo. Notre peuple de pleurnichards a délégué à des gouvernants geignards le soin de porter ce message urbi et orbi : les réformes – ouin ouin –, c’est trop dur ; et si vous ne nous donnez pas les sous, ce sera Le Pen au pouvoir – ouin ouin.

Comme en 1981, après trente-trois ans de pouvoir ininterrompu de la droite, la France aurait en réalité bien besoin d’une alternance, afin de confier les manettes à ceux qui prétendent gouverner autrement. Mais la Macronie, dernier avatar de l’UMPS, a fait en sorte que cette alternance ne puisse théoriquement survenir. C’est sans doute là son erreur et son ultime trahison : dans une démocratie, il ne peut pas y avoir qu’un seul parti dit de gouvernement – plus exactement, un autre est appelé tôt ou tard à le devenir, ce fut le cas du PS à partir de 1983. À l’instar d’Alexis Tsipras en Grèce, arrivé au pouvoir avec un programme économique d’extrême gauche, si le futur locataire de l’Élysée était issu de LFI ou du RN, nul doute qu’entre la banqueroute et les réformes « ultralibérales », il choisirait ces dernières. Dans une France sociétalement de droite et économiquement de gauche, somme toute, la mieux placée pour porter l’âge de la retraite à 70 ans, même si elle ne le sait pas encore, s’appelle… Marine Le Pen.

Macron: le tout à l’égo

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Le président Macron et son épouse sur le chantier de Notre-Dame, Paris, 14 avril 2023 © SARAH MEYSSONNIER-POOL/SIPA

Revenu tout cabossé d’une humiliante tournée à l’étranger, Pif Poche est plus déterminé que jamais à se venger sur les Français coupables de ne pas l’aimer. Après avoir demandé à ses ministres de cultiver l’apaisement en semant l’humilité – on croit rêver – Pifounet un casque de chantier sur la truffe menace: “ne rien lâcher c’est ma devise”. Ça tombe bien. Le peuple souverain si longtemps moutonnier, retrouve son instinct sauvage pour le soumettre ou le démettre. Au terminus des prétentieux il va y avoir du sport. Le billet satirique de Denis Hatchondo…


Faites dodo vous aurez du Lolo. Plus sage que l’académie des neuf du Conseil Constitutionnel tu meurs à Honfleur. Lolo Fabius, la dent de sagesse incarnée, a été parfait. Avec l’aide de ses huit acolytes plus sages que des images, dont la sage-femme Jacqueline Gouraud ex-ministre de Macron, Lolo a servi sur un plateau au président le rapport qu’il voulait. Retoquant seulement les six articles cédés après d’âpres négociations aux LR. Les Républicains, Ciotti, Larcher et Retailleau en tête, se sont faits rouler dans la farine comme des cordons bleus du Père Dodu Cocu. Il faut dire que Lolo le godelureau, fut l’un des premiers freluquets de la 5ème. Avant d’être retoqué par un Chirac le qualifiant de roquet. Mais 40 ans après le Lolo est toujours là, plus fidèle qu’une arapède à son rocher. Magnifique République française qui fabrique des hommes politiques à vie ! Avec de super points de chute dorés pour leur retraite argentée. Peu importe que la bande des neuf n’ait aucune qualification pour faire du droit, à fortiori constitutionnel, ils sont là pour servir après avoir été si bien servis.

À lire ensuite Ivan Rioufol: Les grosses ficelles macroniennes ne fonctionnent plus, la rue ne se taira pas de sitôt

4 heures du mat Macron a des frissons. Pas à un enculage de mouche près, Freluquet 1er convoque ce mardi l’intersyndicale pour négocier le sexe des anges. Après avoir été méprisée pendant des mois, la représentation des salariés devrait se précipiter à l’appel du maitre. Le maitre de Nemo, le chien qui pisse à tort et à travers sur des murs chargés d’histoire. Le maitre que la communauté internationale invite à relire Pif le Chien avant d’émettre un ouah ouah aussi inutile que vain. Alors au nom des syndicats, Laurent Berger décline l’invitation tout en incitant le président à un délai de décence. Oh putain la leçon de savoir-vivre en politique! Alors qu’à l’extérieur du Château les manifs sauvages fleurissent comme les roses de Picardie au soleil d’Amiens, à l’intérieur du crâne du kid d’Amiens la vengeance arrive à ébullition. A 3h58 pendant que Berger dort comme un nouveau-né Macron promulgue sa loi avant d’aller se coucher. Je me répète en citant de nouveau un Luc Ferry éclairé, cuvée 2018: On a mis un gamin à l’Élysée et on n’a pas fini de le payer.

Féminicides, entre fait de société et faits divers

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© SCHEIBER/Sipa

Que deviennent les hommes à l’heure où la révolution des mœurs – la révolution morale – souffle en tempête sur l’Occident?


L’assassinat de Cécile Hussherr-Poisson, enseignante-chercheuse poignardée le 20 mars dernier dans son hall d’immeuble à Paris par son ex-conjoint, a frappé les esprits. Normalien, comme elle, le meurtrier est président et cofondateur d’une start-up d’intelligence artificielle. Cet événement montre que les « féminicides » peuvent se produire même dans les milieux socialement favorisés, présumés préservés de la violence ailleurs omniprésente. C’est sans doute ce qui, dans la sauvagerie de ce meurtre, a sidéré le public. « Stupeur et effroi », titre le Point. Il y a autre chose. Qu’il s’agisse d’une mère de famille ajoute à l’horreur. Mais ce qui domine, c’est qu’il s’agisse d’une femme. Parmi les hommages rendus à la victime dans le hall de son immeuble, on peut lire cette affichette : « Encore un féminicide ! »

Un concept apparu en 1976

Bien que le Code pénal français ne consacre pas le mot « féminicide », tandis que l’ONU le reconnaît et que la typologie de l’OMS en retient quatre types (féminicide intime, féminicide commis au nom de l’honneur, féminicide lié à la dot, féminicide non intime), ce concept continue de questionner. En quoi le meurtre d’une femme par son conjoint, ex-conjoint, compagnon, ex-compagnon ou tout autre individu, est-il perçu comme plus dramatique que celui de n’importe quel homme ? Et pourquoi ce type d’événement sort-il du registre des faits divers pour entrer dans celui des faits de société ?

Il s’agit pourtant, traditionnellement, d’un fait divers, rubrique dans laquelle une partie de la presse continue de ranger les crimes passionnels, quitte à les qualifier en même temps de féminicides. À l’inverse, la presse progressiste les qualifie toujours, et uniquement, de féminicides, façon de souligner qu’ils « s’inscrivent dans des cadres de nature systémique et dans une logique de domination masculine » (définition de l’OMS). Cette double inscription laisse supposer que la situation en Occident s’apparente par essence à celle qui prévaut dans des sociétés de culture absolument différente (par exemple celle de la Norvège comparée à celle de l’Afghanistan).

L’apparition du concept est éclairante. Il a été utilisé pour la première fois au sein du Tribunal international des crimes contre les femmes, à Bruxelles, en 1976, pour exprimer le constat que, dans à peu près toutes les sociétés, des femmes sont tuées parce qu’elles sont des femmes. Le terme de « féminicide » sert à qualifier de fait de société ce type de meurtre. Ce qu’il est pour une part, et en même temps ce qu’il n’est pas. Le problème posé par le concept réside dans cette dualité, pour peu qu’on refuse de souscrire aux arguments du féminisme politique qui le fonde.

À lire aussi : Le féminicide serait-il passé de mode?

On doit parler de fait divers dans la mesure où chacun de ces crimes relève d’une histoire singulière, irréductible à toute interprétation globalisante. Les motivations sont chaque fois spécifiques au drame – la femme n’est pas tuée parce qu’elle est « une » femme, mais parce qu’elle est cette femme particulière. Le problème n’est alors pas politique, mais psychiatrique. C’est d’ailleurs de ce côté qu’il faudrait aller en priorité pour prévenir ces crimes, plutôt que s’en remettre à une attitude accusatoire qui ne mène nulle part (malgré les lourdes condamnations, évidemment justifiées, la fréquence de ces drames ne diminue pas). Seulement, une prise en charge psychiatrique des hommes susceptibles de passer à l’acte exigerait un développement considérable de la psychiatrie, discipline médicale négligée depuis des lustres par les pouvoirs publics, alors même que sa nécessité ne cesse de croître.

Si l’on reste dans le registre des faits divers, la raison demande que les meurtres appelés indûment féminicides soient considérés comme des homicides intra-familiaux et répertoriés sous ce nom, pour les différencier des véritables féminicides, c’est-à-dire des crimes d’honneur et des crimes, généralement précédés de viols, commis par des psychopathes à l’encontre de femmes fortuitement croisées.

Criminaliser tous les hommes

De plus, et ce n’est pas le moindre de ses inconvénients, l’utilisation du mot féminicide tend, implicitement ou explicitement, à criminaliser l’ensemble des hommes. En dehors de situations hors norme comme les guerres, la quasi-totalité des hommes obéit au commandement « Tu ne tueras point ». Cette évidence, valable au moins pour la France, se traduit par ces chiffres de 2022 : d’après le collectif Féminicides par compagnons ou ex, le nombre de meurtres de femmes s’élève à 112, dont 58 en contexte de séparation et/ou de violences connues (ce qui, semble-t-il, ôte du total les « féminicides non intimes »).  Le nombre de meurtres, 112, un tous les trois jours, paraît émotionnellement énorme, mais statistiquement marginal au regard du nombre de couples en France (un meurtre tous les six jours si l’on décompte les « féminicides non intimes »).

En revanche, et c’est sans doute en quoi on peut parler de fait de société, ce total doit être rapporté au nombre de meurtres toutes catégories confondues : en 2022, toujours d’après le collectif Féminicides par compagnons ou ex, on a recensé 948 victimes. On comprend, à travers cette proportion, ce qu’a de partiellement pertinent le concept de féminicide, si on le caractérise par le refus de l’émancipation d’une femme au point d’aboutir à son assassinat. Un refus dont la dimension psycho-pathologique ne doit cependant jamais être mise sous le boisseau.

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Au fond, le grand apport du concept tient à ce qu’il a permis d’attirer l’attention de nombreux États sur un phénomène qui, pour marginal qu’il soit sous nos climats, n’en est pas moins représentatif d’une réalité spéciale, comme le montre le ratio homicides de femmes/homicides en général. Ainsi, l’accueil dans les commissariats des femmes menacées de violences meurtrières s’améliore sans cesse, outre toutes les structures vouées à leur protection.

Reste maintenant à espérer que cette remarquable attention portée à la condition féminine ne cache pas un phénomène inquiétant, les inégalités dont, en Occident, les hommes sont victimes. La question est abordée dans un article saisissant publié par Le Figaro du 25 mars 2023, qui rend compte de l’essai de Richard V. Reeves, Of Boys and Men (Swift Press, 2022), paru en septembre dernier au Royaume-Uni. La traduction en français de l’ouvrage ne saurait tarder. Elle s’inscrira dans la lente prise de conscience du fait, lui aussi politique, qu’on a tellement chargé la barque des hommes qu’elle finit par tanguer dangereusement, au risque de se retourner.

Trésors des racines wokistes

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C’est officiel, « le guide de langue inclusive » d’Oxfam International vient de paraitre. Si son contenu est risible, la traque aux blancs est, elle, très sérieuse.


Bible de la novlangue de l’ultra-gauche ou chef-d’œuvre d’autoparodie ? Le lecteur reste désemparé devant le « Guide du langage inclusif » que vient de publier le géant du caritatif, Oxfam International. Cette structure chapeaute 19 organisations nationales dont la britannique à elle seule engrange 420 millions d’euros de revenu. Partant du principe que la langue possède le pouvoir de façonner la réalité, le document de 92 pages explique aux salariés quel est le vocabulaire le mieux adapté à leur mission. Le texte s’excuse d’abord d’être écrit en anglais, langue coloniale, avant de s’attaquer aux genres traditionnels et à l’hétéronormativité. Il est recommandé de préférer « parent » à « père » et « mère », ainsi que « personne enceinte » à « future maman », pour ne pas offenser les trans. Il faut éviter de dire « I stand with… » (« je suis solidaire de… ») – erreur validiste – pour ne pas offenser ceux qui ne peuvent pas se tenir debout (stand). Pourtant, le comique de tant d’absurdités cède la place à quelque chose de plus sinistre, un véritable programme marxiste de revanche tiers-mondiste. Le privilège et la suprématie blancs vont de soi et les non-Blancs, qu’il faut appeler les « personnes noires, indigènes et de couleur », en sont les victimes. Les mots « capitalisme » et « néolibéralisme » sont à utiliser, car il faut nommer ce système économique afin de le contester. La répartition actuelle des richesses est le résultat du colonialisme et de la traite des Noirs. Payer des « réparations » est donc un « devoir ». On apprend que ceux qui forment les minorités ethniques en Occident sont la majorité dans le monde. Pour renverser la vapeur, il faut appeler les Occidentaux la « minorité globale » et les autres la « majorité globale », bien que la situation de la Chine ait peu à voir avec celle des pays africains les plus pauvres. Le message est clair : non-Blancs de tous les pays, unissez-vous contre l’oppresseur minoritaire ! Certes, après des scandales de prostitution au Tchad et à Haïti, Oxfam a beaucoup à se faire pardonner, mais a-t-on envie d’être charitable ?

Mary Quant disparaît et emporte avec elle le “Swinging London”

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La créatrice anglaise Mary Quant photographiée en 1961 © Steen/ANL/Shutterstock/SIPA

La styliste britannique, disparue cette semaine, faisait partie de ces créateurs ayant donné naissance à la minijupe. Surtout, elle était emblématique de la décennie 1960, dans la capitale britannique; une époque joyeuse et créative.


Le Royaume-Uni est en train de perdre toutes ses reines ! Sa Majesté Elizabeth II, bien sûr, qui nous a quittés en septembre dernier, et plus récemment, Vivienne Westwood, qui régna sur la mode british pendant quatre décennies, et qui popularisa l’aspect vestimentaire du mouvement punk. Enfin, le 13 avril dernier, Mary Quant, dite Dame Mary, a emporté avec elle, à 93 ans, ses mini jupes et les derniers vestiges du Swinging London. 

Excentriques Anglais !

Le fait que Vivienne Westwood soit assimilée au mouvement punk (elle n’a fait que commercialiser un mouvement qui venait de la rue) et que Mary Quant soit considérée comme l’inventeur (l’inventrice?) de la mini jupe – bien que certains l’attribuent au Français Courrèges – n’est finalement qu’anecdotique. Cela va me permettre d’aborder le phénomène du Swinging London, et plus largement la pop culture, que les Anglais (je ne cesse de le répéter) ont inventée. La France est le pays de l’intellectualisme et des révolutions, l’Angleterre est selon moi celui de l’excentricité et du pragmatisme politique. Paradoxalement, le fait que la Perfide Albion soit une société de classes a dynamisé et fait circuler la culture. Le « Working Class Hero » John Lennon ne dirait pas le contraire.

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Après guerre, le gouvernement travailliste décida de rendre les écoles d’Art gratuites, donc accessibles à la working class, qui, en Angleterre, à l’époque, avait une identité très forte. Cela a malheureusement beaucoup changé. Ce phénomène est expliqué dans le documentaire sur Brian Ferry, le chanteur du groupe Roxy Music, diffusé en ce moment sur Arte. Brian Ferry, ce prolétaire brillant, qui même lorsqu’il avait trois sous s’habillait déjà comme un prince, fréquenta une de ces écoles, et l’Art fut sa première passion. Il était fan de Ready Made et de Duchamp, et cela se sentait dans les premiers albums de Roxy Music, que je qualifierais de glam rock expérimental, notamment grâce au clavier de Brian Eno. Tous ces enfants de prolos, ou de la lower middle class, donnèrent donc naissance au Swinging London, qui fut, pendant quelques années, au centre du monde culturel. Que s’y passait-il au juste ? Tout d’abord, il y régnait un mélange détonnant; le rock’n’roll, la mode, l’art contemporain (qui, là-bas, n’était donc pas un phénomène élitiste) s’y mélangeaient joyeusement. Ensuite, évidemment, on y faisait la fête, on consommait des substances illicites, quelquefois, on s’y perdait. Mais, l’espace d’un moment de grâce, on y inventa un mode de vie.

Plutôt ne rien manger que de paraitre mal vêtu

La mode y joua un rôle primordial. En effet, tout le beau monde issu de la culture underground se réunissait dans la boutique de Mary Quant, sur King’s Road : Bazaar. On donna à ce mouvement l’appellation de Youthquake que l’on pourrait traduire par : jeunesse en transe. Dorénavant, c’est la jeunesse de la rue qui inspirerait la mode. La jeunesse française, quant à elle, discutait de la lutte des classes dans les universités, en attendant son heure. Bien sûr, vous pourriez rétorquer que tout cela n’était que du marketing, c’est évident, les Américains ayant déjà inventé le concept d’adolescence avec l’explosion du rock’n’roll à la fin des années 50. En Europe, nous avons dû attendre les Beatles. 

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Autre particularité so british : la mode y est, depuis toujours, une affaire d’hommes. D’ailleurs, le style british masculin reste une valeur sûre. 
Au commencement, au XVIIIème siècle, fut le Beau Brummel, qui inventa le dandysme, terme si galvaudé de nos jours, qu’on en a perdu la signification. Costumes admirablement coupés, cravates savamment nouées, Brummel prétendait qu’il mettait cinq heures à s’habiller. Mais le dandysme est aussi, et surtout, un mode de vie. Les dandys sont le contraire du bourgeois (en témoigne Baudelaire); ils font de leur vie de l’art. Brummel, qui perdit sa fortune au jeu, préférait ne pas manger que d’apparaître mal vêtu…
La notion de dandysme perdura, et devint, au XXème siècle, davantage synonyme d’une certaine excentricité maîtrisée. Brian Jones, le guitariste des Stones, en fut l’exemple ultime. D’ailleurs, dans les années 60, nombre de chanteurs pop britanniques étaient qualifiés de dandys. En témoigne cette chanson des Kinks – groupe qui représentait la quintessence de l’attitude rock’n’rollesque british – « Dedicated follower of fashion » (obsédé par la mode). Mais alors, où se situe le dandysme en France, le pays de Chanel et de l’élégance discrète ? Au risque d’en surprendre plus d’un, Sagan, avec son élégance désinvolte et son mode de vie scandaleux, est une figure que l’on pourrait qualifier de « dandyesque. » Mais, à mon sens, les derniers véritables dandys sont les sapeurs africains. Qui, à l’image de Brummel en son temps, sacrifient tout à la sape.

Christian Authier: lettre d’amour à La Poste

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Christian Authier © Johanna Cavel - Flammarion

Entre plaidoyer nostalgique et colère argumentée, l’écrivain Christian Authier se souvient d’un service public qui faisait jadis l’identité de notre pays


Il fallait que ce soit un fils de postier devenu écrivain qui s’y colle. Défendre, se souvenir, rappeler les étapes d’une longue désagrégation, évoquer la poétique de la carte postale et la mystique du facteur, la performance du courrier à J+1 et la philatélie comme passion nocturne française. Et puis, il y eut l’ouverture à la concurrence, les directives européennes, le flou juridique sur le statut, la privatisation qui ne dit jamais son nom et cette technostructure qui abat les chênes en feignant d’œuvrer pour le bien commun. La réorganisation permanente et la pression managériale firent le reste, dénaturer, détricoter et défaire un « trésor » national.

La Poste: symbole du sacrifice de la France d’avant

Si bien qu’il est difficile de reconnaître notre Poste mythifiée, les 4L fourgonnettes jaune paille de nos campagnes, les merveilles du calendrier, une rigueur et une régularité qui firent dire à Gabin dans « Le Cave se rebiffe » que le monde nous enviait cette admirable administration nommée PTT. Donc, c’est un enfant de la Poste qui a travaillé au cœur de la bête durant ses vacances, du tri à la distribution, au contact direct de ses ex-agents publics et qui a suivi l’assèchement et la perte de sens d’une entreprise emblématique de notre paysage. Enlevez la Poste de notre décor, et c’est un peu de France qu’on sacrifie sur l’autel d’une modernité mortifère. Tout le monde y est allé un jour, a pesté dans la queue, a même maudit ces « fonctionnaires », quelques blagues circulaient sur leur peu d’entrain à travailler, mais globalement nous avons été satisfaits du service rendu. Un maillage extraordinaire du territoire, une présence humaine qui ne se monétise pas ; du liant, du lien, de l’entraide, le même traitement dans un village de Haute-Corse que boulevard Raspail, une forme de citoyenneté souterraine qui conditionnait ce fameux « vivre ensemble ».

A lire aussi, du même auteur: L’esprit Hussard bouge encore!

Kafka revu par les Monty Python

Alors, qu’elle ne fut pas notre surprise, de débarquer un jour, dans un bureau au milieu des automates et d’une marchandisation à outrance, sous les injonctions d’une novlangue digitalisée et la politique du chiffre, nous souhaitions seulement poster une lettre, envoyer un livre à nos parents en province ou répondre à une carte de vœux. La machine commerciale, harceleuse et déshumanisante, se mettait en place. Nous l’avions vue à l’œuvre ailleurs, dans la grande distribution, l’optique ou la téléphonie. Dans Poste restante aux éditions Flammarion, Christian Authier fait un état des lieux, son constat est implacable, il est parfaitement argumenté, sa plume oscille entre une douce mélancolie toulousaine et le vitriol quand il s’agit d’expliquer la mécanique du désenchantement. A propos des réorganisations incessantes, il écrit : « C’est Kafka revu par les Monty Python. Le monde réel et la raison s’évanouissent dans l’abstraction et dans des projections folles qui visent des objectifs irréalisables ». Il enfonce le clou : « La ruse ou le génie du capitalisme, selon le point de vue, consiste à faire basculer dans le domaine marchand des choses qui ont toujours été gratuites ». La mort du timbre rouge au 1er janvier 2023 a été le coup de grâce. Authier n’est pas un révolutionnaire à la petite semaine, plutôt un observateur attentif et triste du désastre en marche, doublé d’un écrivain sensible. Il l’aime sa Poste d’hier qui ne cherchait pas à gagner un petit sou de plus comme dans « Le Sucre » de Jacques Rouffio. Il s’appuie sur l’Histoire de cette grande maison, de Louis XIV à l’Aéropostale, pour nous alerter et nous interroger sur les dérives libérales à la manœuvre. Il replace la Poste au centre du village. Quand elle vient à disparaître, c’est toute l’architecture locale, économique et sociale, politique et presque métaphysique qui vacille et nous fait basculer dans une autre société, celle de l’errance numérique. Dans un pays qui voit son école et son hôpital péricliter, l’espacement des tournées du facteur est un nouveau signe de déclassement.

Une administration de la mémoire intime

Authier retrouve des couleurs lorsqu’il évoque les timbres illustrés et fustige leur « quasi-disparition ». « Les timbres et les flammes enjolivaient un objet quotidien, pouvaient susciter l’éveil et la curiosité. La valeur d’usage ne méprisait pas une forme d’éducation populaire, modeste et réelle » écrit-il. « L’enlaidissement du monde dans lequel nous vivons n’est pas anodin », conclut-il. Nous avons tous un rapport presque intime avec cette ex-administration, après avoir lu cet essai, je n’arrive pas à me défaire d’une image, celle d’une employée des Postes incarnée par l’actrice Margot Abascal (trop rare) dans « Promotion canapé » qui jouait l’érotisme chaste à l’écran avec une vérité qui m’émeut encore.

Poste restante de Christian Authier – Flammarion

Frédéric Bécourt ou le vent printanier

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Le romancier bordelais Frédéric Bécourt. D.R.

Dans Le vent les pousse, Bécourt, écrivain antimoderne, dénonce les dérives orwelliennes du politiquement correct. Brillant et sinistre à la fois.


Frédéric Bécourt publiait en 2021 Attrition dont je me faisais l’écho dans Causeur. L’auteur s’inscrivait dans le mouvement des antimodernes. Son héros n’en était pas un. Sa vie sentimentale était en ruine, la dépression le guettait. Depuis Michel Houellebecq, c’est un peu la tendance. On est dans le gris, on piétine, les aubes sont livrées dans des barquettes périmées. Bécourt récidive avec Un vent les pousse. Le héros n’est pas en meilleure forme que dans son premier roman.

Il se prénomme Gilles, c’est un romancier sur le déclin. Il est divorcé et partage la garde de sa fille Chloé avec son ex-épouse. C’est un ancien prof de français, longtemps encarté à l’UNEF. Ses parents sont morts alors qu’il avait quatre ans, à quelques mois d’intervalle, tous les deux emportés par une forme rare de cancer du sang. Ils l’ont prénommé Gilles en hommage à Gilles Vigneault, le poète québécois. Il y a des débuts plus dynamisants. On comprend le regard désabusé qu’il porte sur la société devenue hygiéniste depuis le confinement de mars 2020. Car l’histoire se déroule à Bordeaux en 2025, c’est-à-dire demain.

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Robbe-Grillet sous Prozac

Gilles a toujours voulu écrire, et vivre de ses droits d’auteur. Son premier ouvrage, qui était passé totalement inaperçu, s’intitulait Fais tes valises, on rentre à Paris !  C’était une biographie romancée de Liliane Marchais, l’épouse du tonitruant secrétaire national du Parti communiste français, que le rusé François Mitterrand avait, comme tant d’autres, roulé dans la farine. Une éditrice branchée et cynique, Anne Blanchet-Dugain, avait remarqué Gilles et en avait fait l’un de ses poulains. Elle n’hésitait pas à le tancer, lui disant: « Pour écrire il faut du temps et les profs n’en manquent pas. Le problème c’est qu’ils n’ont, la plupart du temps, rien à dire. » Anne, cependant, croyait en lui. Elle l’éditait, le poussait à « retrouver la légèreté et la sincérité de ses débuts. » Mais Gilles s’enfonçait dans la dépression depuis qu’il était redevenu célibataire. À part sa petite chloé, sa vie n’avait plus aucun sens. Son écriture ne sortait pas du bourbier. Anna, pas si finaude que ça, lui balance un jour: « Je viens de jeter un œil sur les deux chapitres que tu m’as envoyés hier. Eh ben, putain… On dirait du Robbe-Grillet sous Prozac, c’est chiant à mourir. » C’est méconnaitre la vie et l’œuvre de « Robbe »… Mais passons. Gilles se retrouve un matin convoqué à l’école maternelle pour des propos racistes que Chloé aurait tenus dans l’enceinte de la cour de récréation. Chloé aurait dit au petit Souleymane: « Laisse-moi, tu sens mauvais. »

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Mort sociale

L’Académie de Bordeaux déclenche une enquête administrative dans le cadre du protocole RSHT (Racisme Sexisme Homophobie Transphobie). La petite Chloé, présumée élevée par des parents racistes, doit être soumise à des tests psychologiques. Gilles refuse de donner son accord. Il se voit retirer la garde de sa fille. L’école doit, avant tout, traquer et « redresser » le mauvais citoyen, avec le concours de collabos zélés payés au lance-pierre. Apprendre à lire, écrire, compter, on verra plus tard ! Le vent printanier n’apporte pas que de bonnes nouvelles pour la liberté. La mort sociale guette l’écrivain Gilles.

Écrit dans un style épuré, servi par une dramaturgie efficace, Frédéric Bécourt souligne que des individus de bonne foi peuvent être pris dans un engrenage idéologique mortifère. À méditer avant que le camp du Bien ne finisse de nous broyer. Comme disait Péguy: « Le kantisme a les mains pures mais il n’a pas de mains. »

Frédéric Bécourt, Un vent les pousse, ACCRO éditions.

Un vent les pousse

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Musset, une paresse d’ange

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Alfred de Musset (1810-1857) © ABECASIS/SIPA

Le poème du dimanche


Alfred de Musset (1810-1857) a réussi un exploit dans l’histoire littéraire française: le romantisme ne l’a jamais rendu niais. Il a continué à aimer Racine, Boileau, Molière, les vieilles chansons françaises. Son théâtre a porté à un point d’incandescence presque angoissant cet art si français de la conversation.

Dandy débauché et précoce, il a terminé son œuvre à trente ans. Ensuite, il s’est contenté de survivre à sa légende de surdoué de la génération 1830 sur les bancs de l’Académie française, ce qui est un peu triste.

Il sera d’ailleurs victime de la haine posthume de Rimbaud, une haine trop virulente pour être vraiment sincère: « Musset est quatorze fois exécrable pour nous, générations douloureuses et prises de visions que sa paresse d’ange a insultées. »

On goûtera, pour ce poème du dimanche, cette fantaisie dans le genre espagnol, qui fit fureur chez les romantiques. On en oubliera que les deux premiers vers, pour être bien balancés, n’en sont pas moins géographiquement approximatifs…


L’Andalouse

Avez-vous vu, dans Barcelone,
Une Andalouse au sein bruni ?
Pâle comme un beau soir d’automne !
C’est ma maîtresse, ma lionne !
La marquesa d’Amaëgui !

J’ai fait bien des chansons pour elle,
Je me suis battu bien souvent.
Bien souvent j’ai fait sentinelle,
Pour voir le coin de sa prunelle,
Quand son rideau tremblait au vent.

Elle est à moi, moi seul au monde.
Ses grands sourcils noirs sont à moi,
Son corps souple et sa jambe ronde,
Sa chevelure qui l’inonde,
Plus longue qu’un manteau de roi !

C’est à moi son beau corps qui penche
Quand elle dort dans son boudoir,
Et sa basquina sur sa hanche,
Son bras dans sa mitaine blanche,
Son pied dans son brodequin noir.

Vrai Dieu ! Lorsque son œil pétille
Sous la frange de ses réseaux,
Rien que pour toucher sa mantille,
De par tous les saints de Castille,
On se ferait rompre les os.

Qu’elle est superbe en son désordre,
Quand elle tombe, les seins nus,
Qu’on la voit, béante, se tordre
Dans un baiser de rage, et mordre
En criant des mots inconnus !

Et qu’elle est folle dans sa joie,
Lorsqu’elle chante le matin,
Lorsqu’en tirant son bas de soie,
Elle fait, sur son flanc qui ploie,
Craquer son corset de satin !

Allons, mon page, en embuscades !
Allons ! la belle nuit d’été !
Je veux ce soir des sérénades
À faire damner les alcades
De Tolose au Guadalété.

Alfred de Musset

Le bon élève est un crétin comme les autres…

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Juliette Chappey et Vincent Claude dans "L'élève Ducobu" de Philippe de Chauveron (2011) © SIPA

Dernier volet des bonnes feuilles de notre chroniqueur sur l’École à deux vitesses. C’est le regard que nous posons sur les élèves qui doit changer. Cessons de nous conforter avec des bonnes notes qui ne signifient plus rien, et détectons les vrais talents. Sinon, nous aurons droit, pour les siècles des siècles, dit-il, à des clones d’Emmanuel Macron.


>> Relire : École des riches, École des pauvres <<

Le « bon » élève, tel que le conçoivent dans leur majorité mes collègues, n’est pas un vrai cador des disciplines scolaires : c’est une créature faite d’obéissance, de réflexes scolaires acquis très tôt, et d’un sens poussé de l’imitation et de la reproduction. Ce que nous appelons « bon élève » est un clone de nous-mêmes, enseignants, une resucée de ce que nous fûmes, et un reflet de ce qu’attendent les oligarques au pouvoir : les enseignants ont la plupart du temps été de « bons » élèves, dont le réflexe d’obéissance se perpétue tout au long de leur vie.

Un « bon » élève se reconnaît donc à sa capacité à se taire en dehors des moments où on lui adresse la parole (c’est une libre adaptation pédagogique du principe bourgeois, « à table, les enfants ne parlent pas », et du principe militaire, « silence dans les rangs ! »), à prendre des notes avec une frénésie ostentatoire et à poser sur le maître un regard émerveillé. On lui a appris à faire ses devoirs dans les temps, à les rendre sur une copie bien propre, à construire des paragraphes et des alinéas. Le bon élève joue au prof, et on le récompense pour cette capacité mimétique.

Si de surcroît il a une étincelle factice d’originalité, on le sacrera élève d’élite. Et même s’il échoue à Normale Sup, il se rattrapera à Sciences-Po et à l’ENA. C’est le parcours d’Emmanuel Macron, bon élève remarqué pour sa conformité aux codes et sa superficialité brillante. Sa capacité de surface à la flagornerie est le masque de sa profonde docilité à ses maîtres — avant-hier, les professeurs d’Henri-IV, qui n’aiment rien tant que les « bons » élèves qui ne leur causent ni problèmes ni suées excessives, hier le groupe de Bilderberg, qui en a fait l’un de ses poulains après l’avoir auditionné en 2014 (tout comme Edouard Philippe, reçu en 2016 dans cet aréopage de vrais décideurs), aujourd’hui les maîtres du monde, qui l’ont installé là pour servir leurs appétits — et, accessoirement détruire toutes les lois sociales issues des ordonnances de 1945.

A relire, notre numéro de février: Causeur: Rééducation nationale «Stop au grand endoctrinement!»

De là à le désigner comme « Mozart de la finance », il y a un gouffre que les thuriféraires de l’actuel président de la République des bons élèves n’hésitent pas à franchir. Pauvre Mozart !

La sélection des « élites » qu’opèrent les grands lycées napoléoniens trouve son pendant, dans l’enseignement privé, dans quelques établissements réservés aux enfants de la bourgeoisie — Stanislas ou l’Ecole alsacienne, à Paris, qui produisent à la chaîne les successeurs de leurs aînés. Pensez qu’une lumineuse intelligence comme Gabriel Attal sort de l’Alsacienne, où il chahutait à son gré, et s’est retrouvé membre du cabinet de la ministre de la Santé Marisol Touraine, à 23 ans, député à 28, secrétaire d’Etat à l’Education dans la foulée — ça a dû bien le faire rire — et ministre délégué chargé des comptes publics en 2022 — là aussi, il a dû s’esclaffer. Mais il ne s’est pas étonné, ce Mozart de la dissipation était promis à ce destin miraculeux.

Gabriel Attal à Bordeaux, janvier 2021 © UGO AMEZ/SIPA

Le bon élève est donc recruté dans des formations exigeantes, il réussit « naturellement » le concours d’entrée à telle ou telle grande école, et fait profiter la nation, ultérieurement, de son excellence…

On pourrait poser la question de l’utilité nationale de ces jeunes gens qui nous ont coûté si cher à chouchouter. Combien de Polytechniciens quittent la France qui les a formés pour s’encanailler avec les traders de la City ou de Wall Street ? Combien de Normaliens entrent dans des cabinets ministériels, où ils croiseront des énarques si dépourvus d’audace et d’imagination qu’on en fera peut-être des présidents de la République ? Si le système scolaire était réellement élitiste, assisterions-nous au spectacle pitoyable qu’offrent les éminences toutes passées par le même moule ? Nous ne sommes pas du tout dans l’élitisme, surtout pas dans l’élitisme républicain, mais dans la perpétuation des privilèges d’une caste arrogante et globalement dépourvue de talent.

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À noter que, comme le souligne l’historien Pierre Vermeren (in Marianne n°1360, 6-12 avril 2023), la réindustrialisation de la France « va être rude, en contexte de libre-échangisme idéologique, face aux résistances des marchands, des importateurs et des financiers, le tout avec une pénurie d’ingénieurs : la seule rénucléarisation d’EDF va assécher le marché des ingénieurs pour des années. Les dizaines de milliers d’étudiants brillants orientés de manière pavlovienne vers les métiers de la finance, de la communication et du droit vont cruellement faire défaut. » Enfants du peuple capables de faire des maths, vous voici prévenus !

C’est que le « bon » élève n’atteint pas cette distinction, comme disait Bourdieu, par son génie intrinsèque, mais par sa maîtrise précoce des codes.

Codes familiaux, codes pédagogiques. Code linguistique aussi : le bon élève s’exprime bien, il a appris ça tout petit en écoutant, à l’arrière de la voiture, les discussions de ses parents ou le flux de France Culture. Il est souvent bilingue, car on l’a envoyé en séjour linguistique dès cinq ans. Il a de jolies références historiques et géographiques, car on l’a baladé dans la France entière au gré de vacances « culturelles » destinées à enrichir le capital du petit ou de la petite. Et on lui a offert des livres à Noël… Il arrive en Maternelle avec un capital dormant inestimable, qui s’accroîtra dans les années à venir.

En même temps, le système scolaire de collège unique (appliqué aussi dans le privé sous contrat) nivèle nécessairement les niveaux. Ce qui différencie au final les déshérités de leurs camarades nantis, c’est le capital social. Les programmes qui depuis trente ans ont privilégié le savoir-vivre ou le savoir-être au détriment des savoirs tout court ont cristallisé cette différence : si l’on n’offre pas davantage aux enfants acculturés, on les relègue d’emblée en seconde division.

Mes collègues qui déplorent, dans les divers dispositifs destinés à faire entrer des élèves atypiques dans le saint des saints pédagogique, le mélange des genres et la mauvaise graine susceptible de contaminer leurs chers « bons » élèves, me rappellent ces procédures d’Ancien Régime qui réservaient, dans l’armée, les fonctions d’officiers aux enfants issus de l’aristocratie. Il a suffi d’un Bonaparte (de noblesse douteuse), nommé dans l’artillerie, corps peu prestigieux, pour que le système se renverse cul par-dessus tête. Se promener sur les boulevards des maréchaux, à Paris, c’est égrener la liste des enfants de rien et de personne, parvenus au faîte des honneurs par leurs qualités propres et leur audace. Murat, Ney, Lannes, Soult ou Masséna ont taillé en pièces les aristocrates passés à l’ennemi. Des cancres doués ! Des gens de rien qui osaient tout !

Nous avons rétabli, avec les « lycées d’élite », les prépas, les grandes écoles, la « voie royale » en pleine République. Mais justement, sommes-nous bien encore en République ?

À noter que Napoléon n’avait pas de préjugés. Quand il tombait sur un enfant de la noblesse pourvu des qualités idoines, il en faisait aussi un maréchal, Davout par exemple, ou Brune. Mais statistiquement, on comprend bien que le peuple, le peuple ignorant, les gens de peu, les gens de rien, produisent malgré eux la majorité des enfants aux capacités réelles, dont le non-emploi est aujourd’hui le cancer de la France.

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Peut-être vous rappelez-vous Billy Elliot, le très joli film de Stephen Daldry. Dans le dernier quart du film, le héros, fils de mineur (en grève, nous sommes sous l’ère Thatcher) est convoqué pour une audition devant le jury de la Royal Ballet School — le saint des saints de la danse outre-Manche, la grande école par excellence. Audition peu convaincante, à la limite du grotesque, tant les prérequis de la discipline ne sont pas maîtrisés. Mais interrogé par ces maîtres impitoyables sur ce qu’il ressent quand il danse, le jeune Billy explique laborieusement : « C’est comme si je disparaissais… Un changement dans mon corps… Comme si je prenais feu… Le feu… L’oiseau… Comme l’électricité… »

C’est sur cette déclaration qu’il est finalement pris dans l’une des écoles de danse les plus exigeantes au monde. Car, comme on lui fait remarquer, le reste, la technique, on lui apprendra. On est là pour ça. Mais il est essentiel qu’il ait le feu sacré.

En vérité je le dis à ceux de mes collègues qui ne souhaitent que de « bons » élèves : il est des cancres plus valeureux que bien des élèves admirablement formatés. Parce qu’ils ne sont pas bons, certes, ils n’existent pas encore, ils sont en projection vers le futur. Et ils seront meilleurs que les autres, pourvu que vous leur appreniez arabesques, assemblés, battements et sauts de chat. Ou, si vous préférez, pourvu que vous leur appreniez les bases qu’on ne leur a jamais enseignées, qu’ils n’avaient aucune chance d’acquérir à travers leur environnement familial, les bases sans lesquelles ils ne pourraient progresser, mais qu’ils assimileront, pourvu que vous preniez le temps de les leur enseigner. Il est des cancres qui sont de vraies élites en puissance — mieux parfois que ceux qui sont nés avec une cuillère en argent dans la bouche et une distinction « naturelle », c’est-à-dire héritée.

Parmi les enfants de l’oligarchie se glissent un certain nombre d’enfants d’enseignants, malgré le statut dévalué de cette fonction. S’ils n’ont pas tous les codes sociaux, ils ont les codes pédagogiques. Et puis c’est bien le moins que l’on doit à leurs géniteurs, qui font le sale boulot pour maintenir au pouvoir une caste à laquelle ils n’accèderont jamais.

Nous nous privons ainsi des forces vives qui pourraient ressusciter ce « vieux pays », comme disait De Gaulle. D’autant que les pseudo-élites sélectionnées ne planent pas bien haut : les « bons élèves » sont malheureusement des crétins comme les autres. Mais ils détiennent les clés du pouvoir. Il n’y a qu’à les observer pour saisir à quel point, en politique aussi, le niveau a baissé.

Les forces vives du peuple, confinées dans des lycées professionnels méprisées, dans des filières bouchées, dans des options pédagogiques dont suintent le mépris sous prétexte de sollicitude, sont riches de destins empêchés, comme autrefois on les empêchait en les jetant dans la mine à huit ans. La désindustrialisation de la France nous contraint à passer par la case du non-emploi, ou de l’emploi précaire, de l’ubérisation tous azimuts, pour contenir les ambitions déçues et la colère de ces classes non laborieuses et qui pourraient bien à nouveau devenir dangereuses. Nous sommes en 1788, avec une minorité crispée sur d’arrogants privilèges. Elle devrait se méfier : après la nuit du 4 août, qui vit l’abolition des privilèges, on dressa la guillotine sur la place de la révolution. Il est de l’intérêt des gouvernants de se remettre en cause. Quitte à redistribuer le pouvoir.

Loin de moi l’idée de prétendre que tous les cancres sont des Hauts Potentiels Intellectuels ignorés par des enseignants jaloux. Mais ils sont nombreux à frapper à la porte de l’ascenseur social — définitivement en panne. Aidons-les à prendre l’escalier.

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Molinier, précurseur du troisième sexe

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Pierre Molinier, « Le Grand Combat » © Frac Aquitaine

Déterminé à mener sa croisade idéologique au nom des minorités, le Frac Méca bordelais met à l’honneur Pierre Molinier (1900-1976), désormais reconnu comme une figure emblématique de l’art en France et à l’étranger.


Jadis vieux tonton pervers infréquentable, aujourd’hui grand-père cool que les ados aimeraient présenter à leurs potes ! Pensez donc, Pierre Molinier était un précurseur de la fluidité des genres et des transidentités, une incarnation avant l’heure du pronom « iel », qui n’hésitait pas à déambuler en bas de soie dans le Bordeaux corseté des années 50, et dont la pente résolument transgressive l’amenait à utiliser du sperme dans ses peintures ainsi qu’à recevoir ses étudiants tout en continuant à se masturber…

Un esprit indépendant ? Sans doute. Un chantre de la tolérance ? Pas vraiment. Plutôt un esprit sectaire, à l’image du club érotique qu’il fonda, « la Secte des voluptueux ». A priori pourtant, les ambitions affichées, à savoir rassembler des personnes se donnant et recevant du plaisir « sans tabous ni jugements », peuvent apparaître comme un gage d’ouverture manifeste. Mais il faut lire les notes de bas de page qu’il a lui-même rédigées : « L’androgynie est de rigueur. Ne peut être admis dans la secte celui ou celle qui a la prétention d’être essentiellement femme ou homme. »

Odeur de soufre

Mais laissons là l’homme et allons voir du côté de l’artiste, puisque le Frac bordelais consacre à Molinier une importante exposition qui embrasse toutes les facettes de son œuvre. Attention néanmoins, odeur de soufre oblige : « La dimension érotique de certaines œuvres de l’exposition Molinier Rose Saumon “Nous sommes tous des menteurs” nous a conduits à interdire son accès à un public mineur », explique-t-on du côté de l’institution bordelaise. Pas de panique néanmoins : les moins de 18 ans pourront se frotter à l’univers de l’artiste dans une salle accessible à tous les publics en découvrant l’exposition à l’intitulé clairement ancré dans l’air du temps : « Pierre Molinier, questionner les corps et les genres ». « Ce sera l’occasion d’aborder différentes thématiques telles que les représentations des corps féminins et masculins, les notions de genres ou de travestissement », indique le Frac.

Alceste de la question transgenre

Quant au titre de l’exposition principale, il met l’accent sur une couleur généralement considérée comme féminine pour mieux brouiller les cartes et affirmer l’un des enjeux de cette exposition : la déconstruction. À moins qu’il ne se réfère au phénomène d’inversion de sexe observé chez le saumon chinook ? Le sous-titre, lui, « nous sommes tous des menteurs », place l’artiste comme le public dans le même sac de complaisance à l’égard d’une société qui étoufferait notre « moi » profond. Une réserve s’impose néanmoins : Molinier, sorte d’Alceste de la question transgenre, accuse plus volontiers les autres que lui-même, comme le montre sa réaction après le tollé provoqué par la présentation du Grand Combat au 30e Salon des Indépendants bordelais en 1951.

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Mi-abstrait, mi-figuratif, ce tableau représente « des corps entrelacés pris dans un tourbillon érotique », commente pudiquement le Frac. Molinier, cru et provocateur, dit clairement qu’il s’agit d’ « un couple qui baise ». Face à la rupture fracassante avec la « bonne société » bordelaise, l’artiste se sent trahi par tous, y compris par ses pairs, ses amis. D’où son amertume, qui prendra la forme d’une Lettre ouverte tonitruante, premier texte de lui à être rendu public : « Que me reprochez-vous dans mon œuvre ? D’être moi-même ? Allez donc, vous crevez de conformisme ! Vous n’êtes pas des artistes, vous êtes des esclaves ! Vous êtes des bornes à distribuer de l’essence ! Vous êtes le signal vert et rouge au coin de la rue… Et allez donc, enfoutrés ! » Première incarnation esthétique des passions de l’artiste, Le Grand Combat marque une étape décisive dans son parcours, à partir de laquelle il va défendre mordicus, d’une part ses pratiques fétichistes SM et son idéal androgyne d’autre part. Ou comment l’artistiquement incorrect d’hier est devenu la norme culturelle d’aujourd’hui.

Du narcissisme comme vertu créatrice

Dès lors, sa peinture aussi bien que ses photographies porteront le sceau du militantisme. Précurseur du Body Art, Molinier s’ingéniera sans relâche à déconstruire les catégories de l’identité en se prenant systématiquement pour modèle. De manière invariable et quelque peu lassante (André Breton se montrera critique à son endroit), il se photographie après s’être épilé et maquillé, masqué d’un loup et vêtu d’un corset, d’une guêpière en dentelles, de résille et de talons aiguilles, puis opère un travail de recomposition à base de découpage et de collage pour proposer une image idéale de lui-même, tel que le proclame l’un de ses tirages, « Comme je voudrais être » (1968-1969). À savoir multiple, protéiforme et indéfini.

Narcissisme posé en vertu créatrice, obsessions personnelles érigées en matériau universel, volonté transgressive affichée comme valeur esthétique suprême, goût pour la déconstruction et refus des normes, Pierre Molinier apparaît plus que jamais comme un artiste avec qui il faudra compter dans les années à venir…


« Molinier rose saumon », exposition anniversaire des 40 ans des Frac ; du 31 mars au 17 septembre.