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Cynthia, de Stéphanie des Horts: une héroïne de notre temps

C’est un fait, notre chroniqueur aime les femmes longilignes aux jambes fuselées et aux yeux verts. D’aimables potiches? Pas même: Amy Elisabeth Thorpe, dite Betty Pack, dite Cynthia (son nom de code au SOE, Special Operation Executive) est peut-être une gourgandine spectaculaire, mais c’est surtout une héroïne grâce à laquelle les Alliés ont remporté la guerre. Rien de moins.


Après Doris Delevingne, qui fut maîtresse de Churchill et dont j’ai relaté les exploits horizontaux, Stéphanie des Horts s’est intéressée à une femme qui fut la quintessence de l’espionnage avant et pendant la guerre, et grâce à laquelle les Alliés déchiffrèrent Enigma, le code ultra-secret allemand, permettant le lancement de l’opération Torch en 1942, en sus du code italien, ce qui conduisit à l’élimination de la flotte du Duce. Et comme James Bond — Betty Pack fut la collègue de Ian Fleming au sein du SOE —, elle met son physique de séductrice au service de Sa Majesté.

Plutôt que de vous raconter une biographie écrite avec vivacité et que vous lirez de même, chauds lapins que vous êtes, j’ai préféré interviewer la romancière sur la femme singulière que fut Betty (1910-1963, elle est morte avant d’être vieille), un modèle pour toutes celles qui se veulent libres et qui n’ont devant les yeux que les harpies débraillées des chiennes de garde…


Causeur. Tentons de définir le féminisme véritable à travers votre héroïne. Elle n’est pas inféodée aux hommes, pas plus à son mari — à une époque où le mariage était plus sacré qu’aujourd’hui — qu’à ses amants…

Stéphanie des Horts. Elle est libre et c’est ainsi que je conçois le féminisme. Elle n’est pas dans le rôle que l’époque, ou bien les hommes, auraient souhaité lui donner. Epouse, mère, infirmière, secrétaire ou je ne sais quoi … Betty a choisi le sien, son rôle, sa liberté. Et c’est faire ce qui lui plait, agir à sa convenance. Certes elle est bien obligée de se marier, elle est enceinte (c’est bien typiquement féminin cela) mais elle n’épouse pas l’homme que sa chère mère aurait choisi pour elle. Elle épouse celui qui va lui permettre de réaliser ses desseins, celui qui va la laisser libre.

Et c’est quoi la liberté selon Betty Pack ? C’est vivre à cent à l’heure, toucher du doigt le danger, aimer passionnément les hommes, se laisser aimer car la féminité lui sied si bien. La liberté selon Betty Pack, c’est balancer les conventions mais en user quand bon lui semble. La liberté selon Betty Pack c’est faire grandir les hommes de sa vie, les pousser à se dépasser, les transformer en héros malgré eux. Regardez-les tous autant qu’ils sont, Carlos Sartorius, John Leche, Michel Lubienski, Charles Brousse… Sans Betty seraient-ils sortis aussi grandis de la guerre ? Certainement pas.

Féministe Betty ? Plutôt féminine, ce n’est pas l’égalité entre les sexes qu’elle recherche, ce sont les différences pour en abuser à loisir. Et c’est bien ce que je souhaite à toutes les femmes d’aujourd’hui, cette triste époque terne et sale où l’on est tout gris à force de vouloir tous se ressembler.

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Elle n’est pas une mère très attentionnée, c’est le moins que l’on puisse dire…

On ne peut pas tout faire. L’instinct maternel porte bien son nom. C’est un instinct. Elle ne l’a pas. Point barre. L’enfant à venir est une difficulté à gérer. L’enfant bien arrivé est un autre genre de difficulté, mais toujours une difficulté. Et Betty n’a pas le temps pour cela. Les difficultés, elle les aplanit. Et donc les enfants aussi. Et puis, elle fait partie de ce genre de femmes qui aime trop les hommes pour les partager avec une ribambelle de gamins.

Betty est une séductrice, pas une mère. Betty est piquante, elle ne s’attendrit guère. Elle éprouve d’ailleurs beaucoup de mépris pour tout ce qui touche à l’attendrissement. Elle doit tenir cela de son père. Betty est dure, Betty est dans l’instant partagé avec un homme.

Que vouliez-vous donc qu’elle fasse d’un enfant ? Après tout l’époque aussi voulait cela. Les enfants étaient confiés aux gouvernantes, leur éducation à leurs professeurs, les enfants ne servaient qu’à assurer la descendance. Ceux des milieux modestes se mettaient au travail pour aider leurs parents. Betty se fiche bien de la descendance. Tout ce qu’elle veut, c’est vivre sa vie auprès de l’homme aimé, dans le danger si possible et pour une bonne cause, la victoire contre l’Axe.

Stephanie des Horts © BALTEL/SIPA

Elle aime les falbalas de qualité, elle néglige de s’habiller en souillon garagiste…

C’est certain. Le côté souillon garagiste (va-t-on se faire trucider si l’on emploie ce mot, doit-on se méfier du syndicat CGT des garagistes ?), le côté souillon, mocheté (comme on voit dans le cinéma français actuel — ai-je le droit de dire cela encore ?) donc ce côté-là, non merci. Betty déteste et moi aussi. Et comme je deviens toutes mes héroïnes, en fait je vis leur vie pendant six mois, je les choisis en fonction de leur féminité.

J’aime mettre en valeur la beauté, l’esthétisme, le chic avant tout, l’élégance. Je suis passionnée par l’élégance. Et sa perte. Je regarde les films du début du siècle, ou bien des vidéos qui montrent comment les gens vivaient, amusez-vous à les regarder, l’élégance était partout en 1920, 1930, 1950, chez les bourgeoises comme chez leurs soubrettes. Il y avait de la tenue. Les soubrettes voulaient ressembler à leur patronne. Il existait alors une pyramide sociale qui tirait les gens vers le haut. Aujourd’hui les filles choisissent leurs modèles chez les rappeurs des banlieues. La recherche égalitaire a aplani la pyramide sociale. Evidemment Betty n’est pas de cette engeance.

En même temps, elle a des convictions patriotiques. Agent anglais, elle est en butte aux tracasseries de J. Edgar Hoover, qui manque de peu de l’arrêter. Et elle prend des risques insensés…

Bien sûr qu’elle a des convictions patriotiques ! Qui n’en aurait pas dans cette guerre ? Hitler, Mussolini ne laissaient personne indifférent. Ah si, les Américains, au début. Betty a des convictions et surtout Betty aime le danger. Cela la fait vibrer, elle adore cela.

Elle vit une passion à chaque fois en recherchant des renseignements pour les alliés. Elle vit son amour dans le danger. L’adrénaline la transporte. Chaque mission est liée à une liaison et se termine en un orgasme. La passion s’éteint quand la mission est terminée. Elle ne peut se satisfaire d’une vie simple. Et c’est pourtant ce qui lui arrive à la fin. Alors, elle quitte l’homme de sa vie pour une nouvelle aventure en sachant pertinemment qu’elle se trompe. Sans adrénaline, sans danger, Betty sommeille et cela ne lui ressemble pas. C’est là où je la définis féministe, Betty est celle qui combat toujours, tout le temps, pour des bonnes raisons.

Albin Michel

Elle reste, après-guerre, d’une discrétion exemplaire, dans son château de Castelnou, dans les Pyrénées-Orientales. Elle n’est pas du genre à hanter les gazettes pour s’y faire mousser…

Non, ce n’est pas son genre les gazettes, c’est plutôt celui de sa mère et Betty ne ressemble pas à sa mère qu’elle méprise profondément. Betty s’ennuie à Castelnou, elle s’ennuie terriblement. Je pense que si elle avait vécu, Betty aurait rempilé et aurait été parfaite en pleine guerre froide. C’est peut-être la retraite forcée qui l’a tuée, je ne sais pas. Ce dont je suis certaine c’est qu’elle aurait continué à espionner pour le MI6 en pleine guerre froide. Alors, elle serait tombée amoureuse de Philby et elle aurait mis à jour le réseau des Cinq de Cambridge ! D’ailleurs, ceux-là, j’ai une vraie fascination pour eux. J’ai failli traiter de la femme de Philby, mais enfin, c’est une acharnée du communisme, je n’ai pas pu. Et puis, très mal habillée !

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Elle nous montre ce qu’est une vraie héroïne : pas une Pucelle de Domrémy, ni une pétroleuse. Ni Sand, ni Simone de Beauvoir. Ne serait-elle pas un archétype elle-même ? Au fond, un exemple ?

C’est la littérature qui définit les archétypes. Bon la pucelle, impossible. Sand, pas assez féminine, même si c’est une grande amoureuse, Beauvoir trop fausse, une pétroleuse, non, pas assez sérieuse. Betty est en fait toutes les femmes, elle est d’abord une femme amoureuse. En cela elle traverse toutes les époques. Betty est vraie avec elle-même, elle ne se ment jamais, elle définit sa propre vérité qui passe par les hommes. Elle se donne, aux hommes, aux Anglais, à l’Amérique, à l’Espagne. Elle se donne et ça la fait vivre. Non elle n’est pas un archétype. Elle est la femme dans toute sa splendeur, celle qui est prête à aller au bout pour un homme. Betty est Eve et puis Phèdre, Betty est Bardot, Betty est Pamela Harriman, Betty est une séductrice avec des convictions, cela existe encore aujourd’hui ?

Au moment où Betty Pack subtilise les codes qui permettront l’Opération TORCH (entre autres), Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, bien à l’abri de tout projet de résistance, définissent l’être comme la somme de ses actes. Betty n’est-elle pas, de ce point de vue, bien plus réelle que Simone ? Et à ce titre, n’est-elle pas pleinement « devenue femme » ?

Non, pas du tout, Betty est née femme. Elle est à l’opposé de Beauvoir, ce couple m’a toujours profondément ennuyée. Betty a la séduction dans le sang. Toute petite déjà et ce n’est pas une invention de ma part ! Betty petite fille tente de séduire son père qui ne la regarde pas. Alors elle écrit un livre pour lui. Et c’est un amiral italien qui tombe fou d’elle, puis un joueur de tennis espagnol. C’est une petite fille, non c’est déjà une femme et elle n’a que dix ans. Elle a la séduction dans le sang et c’est cela le féminisme tel que je l’entends. La différence et pour tout dire, la supériorité. La femme est supérieure à l’homme dans bien des domaines, ne me parlez surtout pas d’égalité.


Stéphanie des Horts est membre du jury du prix des Hussards, fondé par Christian Millau, avec Jérôme Leroy, estimé chroniqueur de Causeur, Eric Naulleau, Jean Tulard et Philibert Humm. Ils remettront le prochain prix ce soir. Je n’en dirai pas plus — mais je sais qu’ils donneront le « coup du shako » à Nicolas d’Estienne d’Orves pour son Dictionnaire amoureux du mauvais goût, célébré ici-même.

Stéphanie des Horts, Cynthia, Albin Michel, avril 2023, 320 pages.

Cynthia

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Double je

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Le Monde et Le Canard Enchaîné rapportent d’étonnants propos tenus, en petit comité, par Emmanuel Macron. Le président semble affectionner un langage de charretier quand les citoyens ne sont pas là pour l’entendre…


Lors des Vraies Voix (Sud Radio) du 18 avril, animées par Philippe David et Stéphanie de Muru – émission que j’ai la faiblesse de juger excellente par son mélange de sérieux et de drôlerie -, à nouveau confronté à la critique virulente de Françoise Degois, socialiste assumée, sur Emmanuel Macron, je me suis trouvé dans l’obligation de rappeler qu’il avait aussi des qualités, de l’intelligence et qu’on ne pouvait pas faire comme s’il était tellement médiocre que rien de positif ne pouvait être dit à son sujet. J’ai été immédiatement traité de « macroniste », ce qui est une absurdité pour qui, par exemple, lit certains de mes billets. Ceux-ci permettent, il faut le dire, de ne pas s’abandonner à une réactivité immédiate conduisant à forcer le trait…

Avoir écrit le 18 avril : « Emmanuel Macron : « une espèce de vide » ?« , m’a conduit à me pencher sur le contraste entre l’allocution présidentielle et les propos qui l’ont précédée. Entre l’apparente sérénité et équanimité de la première et la vulgarité des seconds, comme si Emmanuel Macron était un adepte du double Je. Ce que d’ailleurs j’ai toujours cru, avec cette propension qu’il a à se couler dans la conviction de son interlocuteur, sur le plan national comme – et c’est plus grave – dans le registre international.

Arrêter de faire des “turluttes” aux maires du Sud

Je ne suis pas naïf au point de m’imaginer que les chefs d’État, dans leur entre-soi de conseillers et d’affidés, n’usent que de la langue de Bossuet. C’était vrai pour le général de Gaulle, pour Georges Pompidou, pour Nicolas Sarkozy et pour Jacques Chirac. C’est vrai pour Emmanuel Macron.On peut aussi se rappeler les vulgarités de Richard Nixon, lors du Watergate, quand il se croyait seul avec ses collaborateurs.

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Pour notre président, s’il n’y a rien de choquant dans sa volonté « de faire passer en première lecture avant l’été les textes travail et immigration » et que l’expression imagée dont il use : « Il faut se mettre en danseuse et repartir. Relever le museau«  n’est pas honteuse, on peut en revanche s’étonner – euphémisme ! – de la suite : « Il faut être dur avec ceux qui veulent nous crever la paillasse. Faire payer l’hypocrisie et les jeux de dupes ». Sans oublier, à l’intention de quelques maires socialistes du Sud, « il faut arrêter de leur faire des turluttes«  (Ce que rapporte Le Canard enchaîné). Sans doute cela a-t-il fait rire son cercle inconditionnel mais de la part d’un président, c’est affligeant. Au risque de passer pour un rabat-joie démocratique, cette période ne prête pas vraiment à la réjouissance ! Il est vrai que tous ceux qui travaillent de près avec Emmanuel Macron ont confirmé qu’il affectionne un langage sinon de charretier, du moins plus que familier. Sans doute la libération d’un esprit trop plein… Pour être aimable !

C’est loin, 2027

Cette manière, après son intervention où il invoque l’exigence de « l’apaisement » en considérant ce dernier quasiment comme acquis, de montrer qu’il n’est prêt qu’à en découdre et à jeter encore plus d’huile sur le feu, ne laisse pas d’inquiéter sur la sincérité de celui qui a été réélu pour tenter de mener la France à bon port au moins jusqu’en 2027. C’est probablement l’une des causes fondamentales de la désaffection citoyenne que cette pluralité de langages sur le plan politique et ce que l’on pourrait appeler la comédie institutionnalisée, l’hypocrisie consacrée. Que peut bien penser un citoyen de bonne foi, même s’il n’y a pas à surestimer la délicatesse des oppositions (celle de LFI en tout cas dans le verbe et les attitudes hostiles au président), de ce clivage entre un Emmanuel Macron qui feint officiellement la douceur et l’urbanité républicaines et, dans ses coulisses authentiques, montre la dérision et le peu de crédit qu’il attache à ces dispositions affichées pour la frime démocratique ?

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Ce qui serait acceptable dans une nation à peu près en paix civile est intolérable dans un pays qui depuis plusieurs mois, est bousculé, bouleversé, fracturé, sans gouvernail véritable, sans un pouvoir respecté bien au-delà des contestations politiques. La parole publique n’est plus crue. On ne l’imprime plus comme digne d’intérêt et de confiance.

Avec un président qui joue un double Je avec les citoyens et les corps intermédiaires, elle se perdra dans les oubliettes républicaines.

Je veux conclure, selon moi de manière honnête. J’ai le droit d’avoir cette vision critique du président et de l’essentiel de sa politique mais il n’empêche que j’ai honte pour cette démocratie qui traite et insulte ainsi un chef de l’Etat réélu. J’ai peur pour lui et le silence assourdissant de toute la classe politique est lamentable.

S’opposer au président, soit, mais dégrader à ce point la fonction, non!

Le complot, ça rapporte gros!

Les gogos qui adhèrent aux théories conspirationnistes sont les vaches à lait des « entrepreneurs en complot ». Humoristes ou anciens journalistes, ce sont de véritables hommes d’affaires qui déclinent leur discours haineux en livres, DVD, objets dérivés, voire en cryptomonnaie. Un business anti-élite des plus juteux.


Les chercheurs se sont beaucoup penchés sur les motivations – psychologiques, sociales ou pathologiques – de ceux qui croient aux théories du complot. Mais pour ceux qui leur fourguent ces « théories », l’explication est plus simple : il y a un fric fou à faire. Le modèle économique de ces « entrepreneurs en complots », selon le terme spécialisé, est en évolution constante grâce surtout à la technologie numérique. Leurs multiples sources de revenus comprennent livres, films et DVD, spectacles payants, émissions télé ou radiodiffusées sur internet, la publicité, la vente de marchandises et de services, et finalement des cryptomonnaies.

Opérations sous fausse bannière

Pourquoi ces élucubrations sont-elles si vendables ? À la différence de vrais complots, par exemple celui du 11-Septembre ourdi par Al-Qaida, les conspirations échafaudées par les entrepreneurs sont essentiellement infalsifiables car, selon ces derniers, tout n’est que faux-semblants dans la version « officielle » des événements. Au fond, il y a un seul super-complot mondial organisé par une petite élite où les juifs, les banquiers, différents États et certains organismes supranationaux peuvent jouer un rôle. Cette élite est responsable de presque tout ce qui va mal dans le monde et manipule les citoyens ordinaires. Elle est archicompétente puisqu’elle arrive toujours à ses fins. Pourtant, il reste des anomalies (comme le nombre de coups de feu entendus lors de l’assassinat de JFK) permettant aux chercheurs de vérité de détecter l’influence de cette main cachée. Le complot est toujours en train d’évoluer vers quelque étape finale où notre asservissement sera total, mais cela nous laisse encore le temps de le stopper. Une place importante est accordée aux « opérations sous fausse bannière » : la plupart des attentats terroristes et autres seraient des mises en scène coordonnées par l’élite pour hystériser la population. Cette vision du monde procure au croyant des bienfaits qui valent de l’or : le frisson engendré par un récit dramatique ; le réconfort d’une explication simple pour le chaos apparent du monde ; une consolation pour ses propres échecs, car tout est la faute de l’élite ; le refus des orthodoxies et des expertises reconnues ; la fierté d’être de ceux qui ont compris la vérité ; le contact social avec d’autres croyants ; et enfin le plaisir de la recherche des anomalies – un sudoku intellectualisé.

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Par sa version personnelle du complot, l’entrepreneur crée son branding et peut procéder au merchandising. Le père, ou le grand-père, de ce modèle, c’est l’Anglais David Icke, 71 ans, ancien animateur sportif de la BBC et porte-parole du Parti vert. En 1991, il se proclame le fils de Dieu et commence à exposer sa théorie, sans doute la plus délirante de toutes. Très influencé par Les Protocoles des sages de Sion, il considère que l’élite, qui cherche à instaurer un « nouvel ordre mondial », c’est-à-dire un État fasciste planétaire, est surtout composée de « sionistes Rothschild ». Il se défend d’être antisémite, car il s’agirait d’un petit nombre de juifs en apparence qui seraient en réalité des hybrides entre des hommes et des entités interdimensionnelles reptiliennes, comme d’ailleurs tous les présidents américains et la famille royale britannique. La Shoah a eu lieu, mais aurait été financée par cette élite, tandis que le 11-Septembre a été une mise en scène.

Il développe sa vision d’abord dans une série de best-sellers traduits dans de nombreuses langues. Rien qu’avec ses livres, il est multimillionnaire. Les conférences qu’il donne autour du monde se déroulent à guichet fermé. Un seul événement à Melbourne en 2011 lui rapporte 94 000 euros. À Londres, en 2012, il régale un public de 6 000 personnes pendant onze heures. Son site web vend billets, livres, DVD, vêtements et compléments alimentaires. Sa chaîne YouTube, avant sa suppression en 2020, aurait rapporté 180 000 euros par an en publicités. Le délire, ça paie…

Un délire rémunérateur, qui a ses limites

Celui qui a le mieux exploité ce modèle, c’est l’Américain Alex Jones. Débutant comme animateur radio, il crée son site, InfoWars, en 1999. Le 11 septembre 2001, il met déjà en doute la version « officielle » de l’événement. Spécialiste des opérations sous fausse bannière, Jones maintient que la tuerie de l’école primaire de Sandy Hook, en 2012, est une mise en scène n’impliquant que des acteurs payés. Ses fans persécutent les familles des victimes qu’ils accusent d’être au service de l’élite. L’émission radio de Jones, très largement diffusée à travers les États-Unis, a des millions d’auditeurs. À partir de 2013, les deux tiers de ses bénéfices proviennent de la vente en ligne de produits de santé. Antivax, il propose des remèdes contre le Covid-19 jusqu’à ce que les autorités interviennent. L’évaluation de sa fortune reste difficile, mais elle pèserait entre 135 et 270 millions de dollars. En 2022, reconnu coupable de diffamation contre les familles de Sandy Hook, il est condamné à payer 1,38 milliard d’euros. Les bénéfices du délire ont des limites…

La carrière de Dieudonné suit la même trajectoire à partir de 2002. Chacun son truc : c’est sous couvert d’humour qu’il échafaude sa version du complot. Un « lobby sioniste », prolongement de la cabale juive qui aurait été derrière la traite des Noirs, dirige un nouvel ordre mondial. La réalité du 11-Septembre est mise en doute, ainsi que celle de la Shoah. Si ses spectacles constituent la première brique de son modèle économique, l’humoriste regroupe la vente de billets, livres, DVD et vêtements sur son site, la « Dieudosphère », et propose un abonnement à ses vidéos sur Quenelle+. Voulant diversifier sa marque, il a proposé d’autres produits pour exploiter ses fans : Ananassurance, Ananacrédit, des cercueils, des masques chinois à un prix faramineux en pleine pandémie et deux projets très louches de création de cryptomonnaie. Ses démêlés avec le fisc et la justice montrent qu’il a fait – et caché – des bénéfices considérables. À la fin, Dieudo a beau se prétendre antisystème : son système à lui marche très bien.

Macron, encore plus sourdingue que Quasimodo!

Treize minutes, douche froide comprise ! Tant qu’à n’avoir rien à annoncer, autant faire court…


C’est bien la seule chose de marquante de cette intervention. Encore qu’écouter quelqu’un gloser plus de 10 minutes sur du vide, vous parler d’un monde idyllique où lui seul paraît vivre, pour finir sur un numéro puéril d’autosatisfaction sur Notre-Dame où le caprice du Prince tient lieu de feuille de route, peut paraître assez long, finalement !

L’instrumentalisation de Notre-Dame est la pire chose qui pouvait arriver au chantier. Maintenant, si un quelconque retard apparaît, il faudra bâcler, car pour les courtisans, la reconstruction devra être achevée pour complaire au Prince et non en ayant pour souci la qualité du travail effectué. Il faut satisfaire le petit lord, c’est la seule chose qui compte.

Pour le reste, l’hôpital est en train de se casser la figure, les pénuries de médicaments et de matières premières se multiplient, l’école est en train de s’effondrer et les annonces du ministre lui maintiennent bien la tête sous l’eau, la réindustrialisation reste marginale et le pouvoir d’achat est en berne. La France dont Macron parle et qu’il se glorifie d’avoir redressée a autant de consistance que le rêve de Poutine de devenir maître de l’Ukraine en 15 jours. Cet homme se paye de mots et s’enivre de lui-même. Mais plus il se met en scène, moins il touche le public.

Tout comme il est difficile de donner une consistance au néant, il devient de plus en plus compliqué de commenter une parole présidentielle aussi creuse que démonétisée. Le verbe de Macron est devenu contre-performatif. Plus il glose, plus il détruit. Plus il est optimiste, plus il apparaît faux. Plus cet homme occupe l’espace, plus il étouffe le réel. La chute continue et l’infatuation du verbe ne réussit même plus à masquer l’absence de perspectives.

Les promesses du président ne sont plus que le rappel de ses échecs passés et de ses turpitudes présentes. Son verbe n’est pas créateur d’avenir ou d’espoir d’en retrouver un. Tout ce qu’il annonce a déjà été annoncé précédemment sans pour autant accoucher d’aucune amélioration. Cette allocution n’est que son énième « qui m’aime me suive ». Il devrait rester seul sur la route.

Opéra pouffe

Au programme du spectacle «No(s) dames»: déconstruction des classiques opératiques et drag-queeneries en tout genre.


Le 11 avril, le contre-ténor Théophile Alexandre et le quatuor féminin Zaïde donnaient un spectacle intitulé « No(s) dames » au Trianon de Paris.

Ces artistes prétendent revisiter les figures d’« héroïnes d’opéra aux destins tragiques ». Les rôles de Carmen, Manon ou Juliette y sont incarnés par des hommes afin de « déconstruire les codes » et d’aller au-delà des « fatalités de genre ». Selon Emmanuel Greze-Masurel, le directeur artistique du Volcan, le centre culturel du Havre où eurent lieu les premières représentations en 2022 : « D’un certain point de vue, l’opéra est l’un des fleurons du patrimoine patriarcal. » Lui et Théophile Alexandre ont donc choisi de privilégier un quatuor de musiciennes plutôt qu’un « orchestre rugissant – encore aujourd’hui majoritairement masculin – et un chef, avec une grande baguette », nous apprend la revue Causette qui, enthousiaste, décrit les folies vestimentaires et drag-queenesques du contre-ténor jouant « avec des bustiers corsetés, des robes entravées et des talons vertigineux ».

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De Diapason à Têtu et France Musique, la presse applaudit à ce spectacle qui « réhumanise les grandes arias de divas composées par des hommes » – Bizet, Grieg, Verdi, Mozart, Rossini, Massenet, des monstres masculinistes qui n’accablèrent leurs héroïnes que pour assouvir leur appétit de domination sur « ces femmes, condamnées depuis des siècles aux rôles d’éternelles victimes ». Le passé coupable, le présent vertueux, l’avenir radieux – adossés à ce triptyque totalitaire, le spectacle propose « un point de vue renouvelé sur ces œuvres, musical et sociétal, pour démuséifier cette musique et la projeter vers l’avenir en incarnant de nouveaux modèles (1) » – c’est-à-dire, aurait dit Mao, pour faire advenir un monde nouveau dans lequel Carmen pourra être indistinctement incarnée par un contre-ténor non binaire, une mezzo-soprano transgenre ou un baryton « avec un utérus ».

Tout ce qu’on voudra, du moment que ce n’est pas… une femme.

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(1): Entretien donné à La Terrasse, 22 novembre 2022

La littérature française peut nous faire «gracquer»

La littérature française actuelle se repaît des petits bobos de la vie, des accidents des uns et des maladies des autres lorsqu’elle n’est pas donneuse de leçons… Dans ce paysage navrant, 30 pages, humbles et percutantes, viennent stimuler le lecteur exigeant: La Maison, un inédit de Julien Gracq.


En ce début de printemps, les éditions José Corti publient un court récit inédit de Julien Gracq (1910-2007), La Maison. Cette trentaine de pages, probablement rédigées entre 1946 et 1950 et accompagnées des deux manuscrits de l’auteur, feront le bonheur des amoureux d’un style reconnaissable entre tous : la plénitude d’une écriture descriptive capable de donner à une action toujours ténue le charme décisif de l’événement, et de combler l’attente par une abondance de détails envoûtants susceptibles de changer l’ordonnance du monde. Julien Gracq se définissait lui-même comme un écrivain descriptif presbyte, contrairement à ceux qu’il appelait les descriptifs myopes, son goût pour les lointains plutôt que pour les choses toutes proches lui venant peut-être de son enfance au bord de la Loire, avec ses eaux sauvages qui portaient loin la lumière et les bruits. C’est à cette presbytie descriptive que nous invite La Maison – récit, à la première personne, de la fascination exercée par une demeure d’abord aperçue au loin lors d’un trajet quotidien en autocar. Ceux à qui Julien Gracq, notamment avec Le Rivage des Syrtes (1951), rappelle d’ennuyeux moments de lecture, ne seront pas déçus par ce livre au format atypique et à la couverture printanière. Peut-être cet ouvrage, resté si longtemps silencieux à l’abri de l’érosion que les lectures successives font généralement subir aux textes, à l’abri aussi des changements de notre regard porté sur le monde, leur donnera-t-il le plaisir de renouer avec ce qui, aujourd’hui, relève vraiment de l’inédit : une première personne du singulier qui ne soit pas la voix nue de l’auteur, mais la voix d’un narrateur nous invitant toujours à le suivre lorsqu’il dit « je ».

Une lecture antidote

La Maison de Julien Gracq est, à ce titre, une lecture salutaire, antidote à ce qui se publie à la pelle depuis quelques années, à savoir tout un fatras de récits à la première personne dont les embarrassantes confessions font l’effet d’une expression écrite scolaire (« raconte un événement qui t’a beaucoup marqué ») rédigée à la hâte dans la salle d’attente d’un psychologue. Portraits de soi en majesté, petits moi plaintifs inadaptés au temps présent, nostalgiques sépias des avant-hier qui chantaient encore et, surtout, inlassables sagas du deuil, de la mort du mari à moto à celle du frère atteint d’une maladie génétique, en passant forcément par celle du père adoré et de la petite maman aux seins plats partie de la clinique dans la nuit. L’époque n’est décidément plus à « la rareté de tout, des objets, des images, des explications de soi et du monde » (Annie Ernaux, Les Années), mais au grand déballage de ses petits chagrins narcissiques et de ses grandes peines humaines, étalés avec toute l’immodestie et l’impudeur requises sur les innocentes tables de nos librairies. À mi-chemin entre la rubrique des faits divers et le compte Instagram des états d’âme, cette littérature récente nous inflige l’indigente autobiographie de ses auteurs et décline en exempla latins à usage collectif tout un petit bazar de souvenirs intimes dont le lecteur ne sait que faire. Mais « je » est un hôte : il faut le recevoir et l’écouter parler avec émotion et bienveillance.

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Vivre vite (Brigitte Giraud, 2022), Mes fragiles (Jérôme Garcin, 2023), Le Monde d’avant (Marc Lambron, 2023), L’Envers des ombres (Céline Navarre, 2023), L’Exil à domicile (Régis Debray 2022), Inconsolable (Adèle Van Reeth, 2023)… À la lecture – bienveillante, mais sans émotion – de ces ouvrages, une certaine gêne nous prend : autant les petits médaillons tout confits d’orgueil auront probablement la joie furtive de nourrir quelque conversation salonarde (« 1965. À l’âge de 8 ans, je suis déjà un lecteur gourmand, comme si je sentais que les livres abritent tous les secrets du monde », Marc Lambron, Le monde d’avant), autant le récit d’un deuil a quelque chose de bien déroutant. Les deux ne sont d’ailleurs pas exclusifs l’un de l’autre, la fin de vie de maman sous perfusion pouvant garder « une grâce mozartienne » et la mort du frère convoquer de belles ombres tutélaires : « avant de m’effondrer, j’ai pensé à notre mère, dont il était le beau, l’irrésistible souci, et je me suis rappelé alors le mot du général de Gaulle, lorsque sa fille trisomique, Anne, mourut à 20 ans dans ses bras : maintenant elle est comme les autres » (Jérôme Garcin, Mes fragiles). Pas sûr que Mozart ou le général de Gaulle ait été enchanté de figurer dans ce genre de récit. Pensons, de notre côté, au mot de Raymond Aron lequel, coupant court à toute possibilité de confidence trop intime sur l’un de ses drames familiaux, déclarait avec cette pudeur qui n’est au fond que la maîtrise sans gloire des émotions trop vives : « Cela n’intéresse personne. »À l’heure où même le porno devient éthique, ces irrépressibles épanchements gagneraient à rester au creux des âmes plutôt que de venir noircir des pages blanches et ternir le sens que nous donnons, en silence, à nos propres malheurs. À moins que la littérature n’ait trouvé dans le bulletin de santé physique et mentale de ses auteurs et de leurs proches de quoi pallier durablement ses carences en imaginaire. Ce qui serait regrettable, car la vie est, espérons-le du moins, autre chose qu’un « tambour de machine à laver » et la mort peut-être assez étrangère à« 300 F oubliés dans le distributeur de la Société Générale » (Brigitte Giraud, Vivre vite, Prix Goncourt 2022).

Sevrage de la myopie égotique

La littérature peut-elle encore être autre chose que ces miscellanées ego-morbo-pornographiques ? Repus du « je » incontinent d’un bon nombre d’auteurs, le lecteur se réfugiera sans doute dans Avers de J.M.G Le Clézio (2023), ou Histoire d’un ogre d’Erik Orsenna, publiés en ce début d’année. Mais parler d’autres que soi est-il davantage une garantie de qualité littéraire ? Dans ses « Nouvelles des indésirables », généreux sous-titre qu’il donne à Avers, Le Clézio se fixe comme objectif « de faire naître [chez le lecteur] un sentiment de révolte face à l’injustice » de ce qui arrive à ses personnages. Pour une fois que nous avons des personnages, ne boudons pas notre plaisir. Pourtant, « pourquoi inventer des personnages, des histoires ? Est-ce que la vie n’y suffit pas ? » se demande soudain l’auteur. Pensons à poser la question à Victor Hugo, Honoré de Balzac, Émile Zola, Marcel Proust. Et aussi à Michel Houellebecq. En attendant, Maureez, Aminata, Hanné, Renault et les autres sont là pour jouer leur rôle de grands oubliés des joies quotidiennes : tous des damnés de la terre, violés, battus, méprisés, insultés, abandonnés à leur triste sort, des « bon[s] à rien juste à nourrir les cochons et aboyer comme les chiens » ou à « rester assis sur [leur] morceau de rue ». À eux « les choses tristes, douces-amères, la dame employée de bureau assise sur le quai, son mari qui l’a battue, qui l’a trompée, ses enfants qui l’ont abandonnée, ses amis qui se sont détournés ». Quant à Erik Orsenna, ce ne sont pas les pauvres, mais les misérables riches qui font sa raison d’écrire : son ogre, Vincent Bolloré, dont il fait un curieux portrait à la limite de la démence, lui donne l’occasion de montrer, dans un style pseudo-voltairien, et entre deux petites jouissances d’autosatisfaction bien sonore (« votre narrateur, un temps conseiller culturel de François Mitterrand, avait participé activement à la création de cette oasis [Canal+] ») qu’avec le temps, la grammaire a cessé d’être une chanson douce. Quel gâchis, Orsenna était un nom si… gracquien.

Revenons donc à La Maison, de Julien Gracq, et comparons : « Tout était léger, ouvert, cristallin, facile – d’un autre monde – comme si le rideau de pluie brusquement levé m’eût été ce fondu enchaîné des films qui soude en une seconde les rues aux forêts et les minutes aux années. Quelques pas plus loin, la maison soudain fut là. Je la touchai presque de la main, gainée qu’elle était presque jusqu’au rebord du toit d’un treillissage de branches sèches, ses volets déboîtés enchevêtrés déjà dans les ronces, son balcon de fer tordu sombré dans le feuillage comme la passerelle d’un bateau coulé. » Ce que l’on trouvera dans ces quelques pages sauvées de l’oubli sera le plaisir, si rare aujourd’hui, de voir décrit le monde. À l’heure où certains sont intarissables sur la solastalgie –pompeux néologisme désignant la nostalgie devant un paysage disparu sous l’effet de l’activité humaine–sans être pour autant capables de dépeindre, par l’écriture, un visage aimé, un coin de nature ou un morceau de ciel, Julien Gracq nous lave les yeux et nous fait voir ce que décrire veut dire. Il nous montre aussi qu’un livre publié en 2023 grâce aux ruses du temps peut ne parler ni des petites misères ni des grands malheurs de son auteur. Rendons un discret hommage, en le lisant, à celui qui, en écrivant, nous sèvre d’un coup des mesquineries de la myopie égotique et nous rappelle les charmes de la presbytie en littérature.

On veut l’électricité, pas des feux de poubelle

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Un président souffleur de braises

La dernière allocution de notre Impuissant de la République qui vient de promulguer sa Réforme des retraites est, on en a pris l’habitude, aussi incantatoire que nébuleuse. Elle ne manquera pas, on s’en doute, d’attiser l’incendie qui couve sous toute poubelle en France. Notre thaumaturge sollicite 100 jours pour redresser, à coups de projets improbables pilotés par des comités Théodule, un pays qui vacille. 100 jours, puis, l’exil à Sainte-Hélène pour un président stendhalien, épigone de Julien Sorel, qui rejouerait son Waterloo personnel ? Voilà de quoi conforter dans leur volonté d’allumer le feu, blacks blocs et autres illuminés adeptes du désordre comme ultime finalité ou activistes au service d’une écologie sectaire.

C’est le Grand Soir? Non, Madame, juste le crépuscule!

Les manifestations réitérées contre la réforme des retraites, la joyeuse réunion de Sainte-Soline et, peut-être même le printemps, avaient déjà ragaillardi les blacks blocs et les faibles d’esprit de tout poil, séduits par le chaos. Après la dernière sortie présidentielle, on en est à peu près sûr, nos jeunes sots, produits d’une école en faillite et d’une autorité en crise, dûment remobilisés, sont regonflés à…bloc. Encapuchonnés et tout de noir vêtus, ces révolutionnaires d’opérette, aussi décérébrés que nuisibles, vont pouvoir perpétuer leurs ravages dans les centres de nos villes et continuer à attaquer nos policiers. Ces fantoches, confortés dans leurs exactions par certains politiques qui ont pour eux les yeux de Chimène, sont à la contestation citoyenne ce qu’est la grêle aux vignes.

A lire aussi, Henri Guaino: Contre le peuple, tout contre

Jeunes sots infatués, ils s’imaginent préparer un nouveau Grand Soir. Las, ce n’est que la tombée du crépuscule qu’ils hâtent. L’histoire, on le savait, se répète, bégayant, de la tragédie à la farce. Mais voilà maintenant qu’elle éructe ; on a perdu jusqu’aux mots que l’école a cessé d’enseigner. Des vocables frustes et grossiers qui confinent à l’onomatopée, badigeonnés à la hâte sur les murs de nos villes par ces Huns modernes, attestent de cette inquiétante volatilisation du langage. La violence tend à se substituer à toute possibilité de verbalisation.

Image d’illustration Unsplash

Au XIXè siècle, déjà, une génération s’égare…

Au début du XIXe siècle, dans une situation de perte de repères semblable à la nôtre, le tout jeune Musset pouvait encore formuler l’absence de perspectives et l’inaction qui corrodent lentement la vie d’une jeunesse rendue veule par l’inertie. Ainsi, dans La Confession d’un enfant du siècle, après la succession des révolutions et la fin des Guerres napoléoniennes, Alfred écrivait, commentant son époque : «Trois éléments partageaient (…) la vie qui s’offrait alors aux jeunes gens : derrière eux un passé à jamais détruit, s’agitant encore sur ses ruines, avec tous les fossiles des siècles de l’absolutisme ; devant eux l’aurore d’un immense horizon, les premières clartés de l’avenir ; et entre ces deux mondes… quelque chose de semblable à l’Océan qui sépare le vieux continent de la jeune Amérique (…) Un sentiment de malaise inexprimable commença donc à fermenter dans tous les cœurs jeunes. Condamnés au repos par les souverains du monde, livrés aux cuistres de toutes espèces, à l’oisiveté et à l’ennui, les jeunes gens voyaient se retirer d’eux les vagues écumantes contre lesquelles ils avaient préparé leurs bras. Tous ces gladiateurs frottés d’huile se sentaient au fond de l’âme une misère insupportable. (…) »

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Des gars et des dégâts

Les mots qui tenaient la nuit en respect ont disparu au profit des comportements décadents et violents. J’ai pu le constater lors de la manifestation lyonnaise du 13 avril. Voyez plutôt: la préfecture, modifiant le parcours de la procession a permis à la médiocrité intellectuelle d’une partie de la jeunesse, biberonnée à la haine de l’effort comme à celle de la réussite et au mépris la culture de s’afficher sans complexe. Ce jour-là, on avait eu, en haut lieu, la géniale idée de faire passer le cortège par le vénérable boulevard des Belges, bordé d’hôtels particuliers qui jouxtent le Parc de la Tête d’Or. Bien sûr, les précédentes journées avaient été, elles aussi, chaotiques : destruction systématique des abris bus, des vitrines des banques, assurances et agences immobilières, sans oublier la pause- café chez Nespresso. Le tout sur fond de feu de poubelles et de provocation des forces de l’ordre. Maintenant, il s’agissait de faire trembler ces salauds de nantis, totale réussite : intrusions dans les propriétés, jets de projectiles sur les façades des bâtiments, slogans anti-riches et tags qui, tels des crachats, souillaient les murs.

Misère des slogans

Voici un florilège de cette expression rupestre d’un genre nouveau, assez inquiétante pour l’avenir de la jeunesse et par voie de conséquence pour les moins jeunes : « Macron pendaison », « Mangez les bourgeois », « Tout le monde déteste les bourgeois », « Vengeance pour Sainte-Soline : vengeance SS (sic) », « On est né pour la retraite », « On veut des cunis pas des képis » et bien sûr, les inévitables « ACAB », ou autre « Tout le monde déteste la police. » Le seul hôtel particulier épargné lors de cet après-midi festif, l’aurait été, selon ce qu’on m’a rapporté, parce que ses propriétaires qui montaient la garde sur le pas de la porte auraient précisé aux jeunes vandales soutenir la cause palestinienne !

Quand l’école préfère s’occuper du sexe des anges et du bien-être de ses usagers plutôt que de nourrir des esprits qui ne tournent plus qu’à vide, craignons que cette minorité facétieuse ne devienne rapidement majorité. La nuit est peut-être sur le point de tomber.

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Net Zéro Emission: l’Europe peut-elle gagner son indépendance énergétique?

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L’actualité nationale masque en ce moment certains grands enjeux internationaux, à commencer par l’interdiction de facto de la vente de voitures à moteurs thermiques au profit de véhicules électriques à partir de 2035 dans l’ensemble des pays de l’Union européenne. L’enjeu écologique s’est toutefois doublé d’un enjeu de souveraineté européenne qui, sur son volet énergétique, a pris une nouvelle dimension avec la guerre en Ukraine qui a démontré la grande dépendance d’une partie des pays membres de l’Union au gaz russe à bas coût.

Un duel franco-allemand

L’Allemagne fait ainsi l’objet de nombreuses critiques pour sa politique en la matière, obstinée et incomprise par ses voisins. Samedi 15 avril, Berlin a fermé ses trois derniers réacteurs nucléaires. Isar 2, Neckarwestheim et Emsland ont été déconnectées du réseau électrique alors que l’Allemagne est aujourd’hui le pays qui émet le plus de Co2 de l’Union. Une hausse de 8% de ces émissions a d’ailleurs été enregistrée l’an passé, l’Allemagne ayant relancé plus encore l’exploitation des énergies fossiles du fait de la crise gazière.

Lors du dernier sommet européen de mars de cette année, l’Elysée a demandé aux Etats membres de se prononcer sur le nucléaire. Le texte Net Zero Industry Act vise à ce que d’ici 2030, 40% des besoins de l’Union pour développer des technologies non émettrices soient couverts par des capacités industrielles européennes. Bien évidemment, il y a un hic. Le nucléaire n’est ici traité que comme une technologie à « émission nette », et encore ne s’agit-il que de nouvelles centrales nucléaires prévoyant un minimum de déchets et de petits réacteurs modulaires. Cette énergie n’est pas considérée comme stratégique par l’Europe.

De l’autre côté de l’Atlantique, Joe Biden semble avoir moins de pudeurs de gazelle à l’égard de l’énergie nucléaire. L’IRA (Inflation Reduction Act) de Joe Biden qui inquiète à juste titre les Européens, notamment Emmanuel Macron qui n’a pourtant pas nommé la chose lors de son déplacement chinois, est une initiative offensive de soutien à l’industrie américaine, beaucoup plus ambitieuse que les politiques européennes. Du reste, les Américains ont prévu des crédits d’impôts et des incitations pour acheter l’électricité des centrales déjà existantes, ainsi que des subventions directes pour le financement des prochaines générations de réacteurs…

A lire aussi, François-Joseph Schichan: On attend toujours la réponse à l’Inflation Reduction Act américain

Electrifier le parc automobile européen est une ambition qui va pourtant demander d’importantes sources de production d’énergie, mais aussi des infrastructures adéquates. Dans la guerre économique induite par la mondialisation, les Etats-Unis semblent prêts à mieux s’armer que nous autres. Pour commencer, ils sont de gros producteurs de gaz et de pétrole. Nous n’en avons que peu, hors les Pays-Bas, et les Îles Britanniques et la Scandinavie qui n’appartiennent pas à l’Union mais en sont proches. Nous devons donc remplacer le gaz russe.

Energie : nucléaire et GNL

Pour l’instant, l’hiver n’est pas venu et nous y sommes assez bien parvenus, mais il va falloir diversifier nos sources d’approvisionnement. Le gaz naturel liquéfié est une bonne ressource qui dépend aussi d’acteurs auxquels nous ne pouvons toutefois pas pleinement accorder notre confiance, à commencer par l’Algérie. Il importe donc de trouver de nouvelles sources d’approvisionnement afin de parer à toutes les éventualités d’un monde instable.

L’Afrique pourrait s’avérer être un « eldorado » gazier aux richesses encore inexploitées. Malin, Olaf Scholz avait entamé l’an passé sa tournée sur le continent par une étape au Sénégal, pays aux réserves gazières encore intactes qui fonde de grands espoirs dans ses champs de gaz et de pétrole au large de l’Atlantique. La production devrait commencer en 2023 avec 2,5 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié les cinq premières années et 10 millions à partir de 2030. Par ailleurs, ce pays présente l’avantage d’un environnement politique stable et offre un acheminement moins polluant que via le Qatar ou les Etats-Unis.

Olaf Scholz avait d’ailleurs, à l’occasion de sa visite, su habilement se positionner vis-à-vis de son homologue Macky Sall, ingénieur géologue de formation et ancien ministre de l’Energie de son pays, en s’insurgeant contre l’arrêt des financements de l’exploitation des énergies fossiles au nom de la lutte contre le réchauffement climatique. Les États-Unis et la France s’étaient en effet engagés lors de la COP26 en 2021, à cesser les financements à l’étranger de projets d’exploitation d’énergies fossiles sans techniques de capture du carbone.

La lutte contre le réchauffement climatique ne va donc pas sans heurts et l’Allemagne sait y tirer son épingle du jeu – elle a d’ailleurs réussi avec sa puissante industrie automobile à prévoir une exception pour le e-fuel dans le pack d’électrification du parc automobile, chose à laquelle s’opposaient les constructeurs français qui n’en font pas -. Etonnant d’ailleurs, car comme l’indiquait un certain Antoine Testu sur LinkedIn : « Il faut ainsi cinq fois plus d’électricité pour produire assez de carburant synthétique pour parcourir 100km qu’il n’en faut pour alimenter une batterie de VEB pour la même distance ».

L’électrification du parc automobile : une opportunité pour la France ?

Ce même expert se montre d’ailleurs optimiste quant au devenir du marché du véhicule électrique, à l’image de certains professionnels du secteur ; bien qu’il soit opposé à la réglementation interdisant la production des moteurs thermiques à partir de 2035 : « Cette réglementation est en réalité inutile, car les moteurs thermiques et le VT seront obsolètes en Europe bien avant 2035 et sont déjà condamnés à une extinction rapide. Le marché a déjà choisi la meilleure solution, tant d’un point de vue technologique qu’économique : la voiture électrique à batterie. A quoi bon adopter une règlementation complexe, non dénuée d’effets indésirables pour tenter de hâter une évolution déjà en marche ? Les Etats-Unis et la Chine n’ont d’ailleurs adopté aucune mesure coercitive de ce type. Tout en agissant ambitieusement pour faire de leurs pays le champion du VEB. »

De fait, il est surtout à craindre que notre macroéconomie et notre industrie ne soient tout simplement pas capables d’accompagner cette évolution du secteur automobile. Rien n’a été fait pour nous protéger des deux mastodontes chinois et américain. Quand Emmanuel Macron a maladroitement parlé en Chine, il a d’ailleurs tapé à côté plutôt que de tancer directement nos partenaires européens en les invitant à se mettre autour d’une table pour riposter face au protectionnisme de nos rivaux. Grande gueule et petit bras, notre président n’agit pas concrètement, ou du moins, n’obtient pas les résultats escomptés alors que s’opère une transformation majeure du parc industriel mondial. Nous pourrions exploiter les minerais (lithium, nickel), nous ne le faisons pas. Idem pour le raffinage et la transformation des métaux, la prospection à l’étranger, la fabrication de batteries, l’installation des bornes ou encore les chaînes d’assemblages.

Il est temps de passer à la vitesse supérieure et d’arrêter de subir les décisions des autres.

Dany Boon refait inlassablement le même film

La vie pour de vrai (sortie le 19 avril), le nouvel opus de Danny Boon, est niaiseux à souhait…


Il n’y a pas de mystère Dany Boon. Hélas. La martingale du petit gars du Nord sympa fonctionne à plein régime de film en film. Surfant sur l’éternelle vague de l’idiot du village, il refait à chaque fois le même film sur des scénarios que Paul Guth aurait pu signer en son temps. À l’époque, on l’aurait appelé « le Naïf ». Mais, dans un registre proche, n’est pas Bourvil qui veut. Ici, tout se concentre sur l’extrême gentillesse du personnage principal qui évidemment se heurte à la méchanceté du monde, mais parvient à l’enchanter parfois. C’est donc niaiseux à souhait. On devrait rire sans cesse et on se surprend à regarder sa montre. Kad Merad et Charlotte Gainsbourg semblent se demander ce qu’ils font là, à jouer les faire-valoir d’un clown pas drôle. Il n’y a pas de mystère Dany Boon, mais il y a des recettes sonnantes et trébuchantes à la clé : grosse comédie, gros sabots, gros profits. Rendez-nous De Broca et Rappeneau, s’il vous plaît.


Le Macron Casse-Rock-and-Roll Show

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Si l’allocution du président n’a pas cassé des briques, elle a eu le mérite de se trouver un son d’ambiance identifiable dès la première note. C’est pas du Gershwin, pas besoin d’avoir l’oreille absolue pour en apprécier sa finesse harmonique mais cela sent le tube de l’été à plein nez. Notre Top Chef de président et son concert de casseroles part pour 100 jours en tournée.


Borne à la plonge. Sans traverser la rue Macron lui a trouvé le job saisonnier de l’année. 100 jours pour apaiser les Français. Entre des citoyens tendus comme des arbalètes et son talent pour le stand-up qui détend les lombaires, c’est pas gagné. Flanquée par les Hells Angels Veran, Dussopt et les autres 3 roues du gouvernement et de l’Assemblée, c’est vraiment pas gagné. Comme tout ce beau monde sera attendu partout par des batteries de casseroles, les 100 jours vont leur paraitre plus longs que l’ascension du GR20 en tongs. Oui mais voilà, Macron n’avait rien à annoncer. Ni remaniement, ni dissolution, ni référendum. Rien. Si ce n’est une nouvelle feuille de route pour une Borne à la rue. 

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Berger au piano. Et si l’orgueil de Macron lui ouvrait un boulevard pour passer de la street-food sociale à la gastronomie politique ? Dans quatre ans tous ceux que l’on pourra associer de près ou de loin à Macron seront carbos. De la droite à la gauche ils sont tous cramés. Mélenchon fera plus peur que l’hologramme d’un pangolin salafiste. Le Pen, c’est la Sylvie Vartan du sketch de Coluche. Elle aura encore fait des progrès, juste ce qu’il faut pour faire deuxième. Donc, dans la quête de l’homme ou la femme providentiel(le), ce Berger a un bon profil. Il est suffisamment ouvert pour plaire des deux côtes de l’échiquier, compétent pour réformer sans brutalité et il a en plus la bobine d’un honnête homme.

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Macron à l’acouphène. Macron, ce fort en métaphore, a remis son casque de chantier sur les oreilles. En prenant la restauration de Notre-Dame pour illustrer sa vision de l’avenir. Nouvelle hallu mystique ou pas, Notre-Flèche d’Amiens est toujours aussi perché. Il dit et répète ne pas être sourd aux colères et évacue le dossier retraite en deux minutes. On a déjà vu des sourds entendre mieux que lui. Pour ceux qui espèrent du concret sur le pouvoir d’achat, la dette, la pression fiscale, la casserole est vide. Pour ceux qui croient encore au Père Emmanuel, il nous invente un nouveau gadget. Le pacte social. Attention, sans aucun tabou. Tout peut être mis sur la table. Tout. La réforme des retraites aussi? Oh mon gars, faut pas déconner non plus! Pour les promesses sur la sécurité, le contrôle de l’immigration, l’éducation et la santé on est comblé. C’est prévu. Mais toujours rien de concret dans la marmite. Bref, sans un mea culpa il nous a encore fumé le jambon avec le bois dont on fait du pipeau.

Cynthia, de Stéphanie des Horts: une héroïne de notre temps

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L'espionne Amy Elizabeth Thorpe, connue aussi sous les noms de Betty Thorpe et Betty Pack (1910-1963). D.R.

C’est un fait, notre chroniqueur aime les femmes longilignes aux jambes fuselées et aux yeux verts. D’aimables potiches? Pas même: Amy Elisabeth Thorpe, dite Betty Pack, dite Cynthia (son nom de code au SOE, Special Operation Executive) est peut-être une gourgandine spectaculaire, mais c’est surtout une héroïne grâce à laquelle les Alliés ont remporté la guerre. Rien de moins.


Après Doris Delevingne, qui fut maîtresse de Churchill et dont j’ai relaté les exploits horizontaux, Stéphanie des Horts s’est intéressée à une femme qui fut la quintessence de l’espionnage avant et pendant la guerre, et grâce à laquelle les Alliés déchiffrèrent Enigma, le code ultra-secret allemand, permettant le lancement de l’opération Torch en 1942, en sus du code italien, ce qui conduisit à l’élimination de la flotte du Duce. Et comme James Bond — Betty Pack fut la collègue de Ian Fleming au sein du SOE —, elle met son physique de séductrice au service de Sa Majesté.

Plutôt que de vous raconter une biographie écrite avec vivacité et que vous lirez de même, chauds lapins que vous êtes, j’ai préféré interviewer la romancière sur la femme singulière que fut Betty (1910-1963, elle est morte avant d’être vieille), un modèle pour toutes celles qui se veulent libres et qui n’ont devant les yeux que les harpies débraillées des chiennes de garde…


Causeur. Tentons de définir le féminisme véritable à travers votre héroïne. Elle n’est pas inféodée aux hommes, pas plus à son mari — à une époque où le mariage était plus sacré qu’aujourd’hui — qu’à ses amants…

Stéphanie des Horts. Elle est libre et c’est ainsi que je conçois le féminisme. Elle n’est pas dans le rôle que l’époque, ou bien les hommes, auraient souhaité lui donner. Epouse, mère, infirmière, secrétaire ou je ne sais quoi … Betty a choisi le sien, son rôle, sa liberté. Et c’est faire ce qui lui plait, agir à sa convenance. Certes elle est bien obligée de se marier, elle est enceinte (c’est bien typiquement féminin cela) mais elle n’épouse pas l’homme que sa chère mère aurait choisi pour elle. Elle épouse celui qui va lui permettre de réaliser ses desseins, celui qui va la laisser libre.

Et c’est quoi la liberté selon Betty Pack ? C’est vivre à cent à l’heure, toucher du doigt le danger, aimer passionnément les hommes, se laisser aimer car la féminité lui sied si bien. La liberté selon Betty Pack, c’est balancer les conventions mais en user quand bon lui semble. La liberté selon Betty Pack c’est faire grandir les hommes de sa vie, les pousser à se dépasser, les transformer en héros malgré eux. Regardez-les tous autant qu’ils sont, Carlos Sartorius, John Leche, Michel Lubienski, Charles Brousse… Sans Betty seraient-ils sortis aussi grandis de la guerre ? Certainement pas.

Féministe Betty ? Plutôt féminine, ce n’est pas l’égalité entre les sexes qu’elle recherche, ce sont les différences pour en abuser à loisir. Et c’est bien ce que je souhaite à toutes les femmes d’aujourd’hui, cette triste époque terne et sale où l’on est tout gris à force de vouloir tous se ressembler.

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Elle n’est pas une mère très attentionnée, c’est le moins que l’on puisse dire…

On ne peut pas tout faire. L’instinct maternel porte bien son nom. C’est un instinct. Elle ne l’a pas. Point barre. L’enfant à venir est une difficulté à gérer. L’enfant bien arrivé est un autre genre de difficulté, mais toujours une difficulté. Et Betty n’a pas le temps pour cela. Les difficultés, elle les aplanit. Et donc les enfants aussi. Et puis, elle fait partie de ce genre de femmes qui aime trop les hommes pour les partager avec une ribambelle de gamins.

Betty est une séductrice, pas une mère. Betty est piquante, elle ne s’attendrit guère. Elle éprouve d’ailleurs beaucoup de mépris pour tout ce qui touche à l’attendrissement. Elle doit tenir cela de son père. Betty est dure, Betty est dans l’instant partagé avec un homme.

Que vouliez-vous donc qu’elle fasse d’un enfant ? Après tout l’époque aussi voulait cela. Les enfants étaient confiés aux gouvernantes, leur éducation à leurs professeurs, les enfants ne servaient qu’à assurer la descendance. Ceux des milieux modestes se mettaient au travail pour aider leurs parents. Betty se fiche bien de la descendance. Tout ce qu’elle veut, c’est vivre sa vie auprès de l’homme aimé, dans le danger si possible et pour une bonne cause, la victoire contre l’Axe.

Stephanie des Horts © BALTEL/SIPA

Elle aime les falbalas de qualité, elle néglige de s’habiller en souillon garagiste…

C’est certain. Le côté souillon garagiste (va-t-on se faire trucider si l’on emploie ce mot, doit-on se méfier du syndicat CGT des garagistes ?), le côté souillon, mocheté (comme on voit dans le cinéma français actuel — ai-je le droit de dire cela encore ?) donc ce côté-là, non merci. Betty déteste et moi aussi. Et comme je deviens toutes mes héroïnes, en fait je vis leur vie pendant six mois, je les choisis en fonction de leur féminité.

J’aime mettre en valeur la beauté, l’esthétisme, le chic avant tout, l’élégance. Je suis passionnée par l’élégance. Et sa perte. Je regarde les films du début du siècle, ou bien des vidéos qui montrent comment les gens vivaient, amusez-vous à les regarder, l’élégance était partout en 1920, 1930, 1950, chez les bourgeoises comme chez leurs soubrettes. Il y avait de la tenue. Les soubrettes voulaient ressembler à leur patronne. Il existait alors une pyramide sociale qui tirait les gens vers le haut. Aujourd’hui les filles choisissent leurs modèles chez les rappeurs des banlieues. La recherche égalitaire a aplani la pyramide sociale. Evidemment Betty n’est pas de cette engeance.

En même temps, elle a des convictions patriotiques. Agent anglais, elle est en butte aux tracasseries de J. Edgar Hoover, qui manque de peu de l’arrêter. Et elle prend des risques insensés…

Bien sûr qu’elle a des convictions patriotiques ! Qui n’en aurait pas dans cette guerre ? Hitler, Mussolini ne laissaient personne indifférent. Ah si, les Américains, au début. Betty a des convictions et surtout Betty aime le danger. Cela la fait vibrer, elle adore cela.

Elle vit une passion à chaque fois en recherchant des renseignements pour les alliés. Elle vit son amour dans le danger. L’adrénaline la transporte. Chaque mission est liée à une liaison et se termine en un orgasme. La passion s’éteint quand la mission est terminée. Elle ne peut se satisfaire d’une vie simple. Et c’est pourtant ce qui lui arrive à la fin. Alors, elle quitte l’homme de sa vie pour une nouvelle aventure en sachant pertinemment qu’elle se trompe. Sans adrénaline, sans danger, Betty sommeille et cela ne lui ressemble pas. C’est là où je la définis féministe, Betty est celle qui combat toujours, tout le temps, pour des bonnes raisons.

Albin Michel

Elle reste, après-guerre, d’une discrétion exemplaire, dans son château de Castelnou, dans les Pyrénées-Orientales. Elle n’est pas du genre à hanter les gazettes pour s’y faire mousser…

Non, ce n’est pas son genre les gazettes, c’est plutôt celui de sa mère et Betty ne ressemble pas à sa mère qu’elle méprise profondément. Betty s’ennuie à Castelnou, elle s’ennuie terriblement. Je pense que si elle avait vécu, Betty aurait rempilé et aurait été parfaite en pleine guerre froide. C’est peut-être la retraite forcée qui l’a tuée, je ne sais pas. Ce dont je suis certaine c’est qu’elle aurait continué à espionner pour le MI6 en pleine guerre froide. Alors, elle serait tombée amoureuse de Philby et elle aurait mis à jour le réseau des Cinq de Cambridge ! D’ailleurs, ceux-là, j’ai une vraie fascination pour eux. J’ai failli traiter de la femme de Philby, mais enfin, c’est une acharnée du communisme, je n’ai pas pu. Et puis, très mal habillée !

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Elle nous montre ce qu’est une vraie héroïne : pas une Pucelle de Domrémy, ni une pétroleuse. Ni Sand, ni Simone de Beauvoir. Ne serait-elle pas un archétype elle-même ? Au fond, un exemple ?

C’est la littérature qui définit les archétypes. Bon la pucelle, impossible. Sand, pas assez féminine, même si c’est une grande amoureuse, Beauvoir trop fausse, une pétroleuse, non, pas assez sérieuse. Betty est en fait toutes les femmes, elle est d’abord une femme amoureuse. En cela elle traverse toutes les époques. Betty est vraie avec elle-même, elle ne se ment jamais, elle définit sa propre vérité qui passe par les hommes. Elle se donne, aux hommes, aux Anglais, à l’Amérique, à l’Espagne. Elle se donne et ça la fait vivre. Non elle n’est pas un archétype. Elle est la femme dans toute sa splendeur, celle qui est prête à aller au bout pour un homme. Betty est Eve et puis Phèdre, Betty est Bardot, Betty est Pamela Harriman, Betty est une séductrice avec des convictions, cela existe encore aujourd’hui ?

Au moment où Betty Pack subtilise les codes qui permettront l’Opération TORCH (entre autres), Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, bien à l’abri de tout projet de résistance, définissent l’être comme la somme de ses actes. Betty n’est-elle pas, de ce point de vue, bien plus réelle que Simone ? Et à ce titre, n’est-elle pas pleinement « devenue femme » ?

Non, pas du tout, Betty est née femme. Elle est à l’opposé de Beauvoir, ce couple m’a toujours profondément ennuyée. Betty a la séduction dans le sang. Toute petite déjà et ce n’est pas une invention de ma part ! Betty petite fille tente de séduire son père qui ne la regarde pas. Alors elle écrit un livre pour lui. Et c’est un amiral italien qui tombe fou d’elle, puis un joueur de tennis espagnol. C’est une petite fille, non c’est déjà une femme et elle n’a que dix ans. Elle a la séduction dans le sang et c’est cela le féminisme tel que je l’entends. La différence et pour tout dire, la supériorité. La femme est supérieure à l’homme dans bien des domaines, ne me parlez surtout pas d’égalité.


Stéphanie des Horts est membre du jury du prix des Hussards, fondé par Christian Millau, avec Jérôme Leroy, estimé chroniqueur de Causeur, Eric Naulleau, Jean Tulard et Philibert Humm. Ils remettront le prochain prix ce soir. Je n’en dirai pas plus — mais je sais qu’ils donneront le « coup du shako » à Nicolas d’Estienne d’Orves pour son Dictionnaire amoureux du mauvais goût, célébré ici-même.

Stéphanie des Horts, Cynthia, Albin Michel, avril 2023, 320 pages.

Cynthia

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Double je

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Image d'archive, 2019 © SEBASTIEN SALOM GOMIS/SIPA

Le Monde et Le Canard Enchaîné rapportent d’étonnants propos tenus, en petit comité, par Emmanuel Macron. Le président semble affectionner un langage de charretier quand les citoyens ne sont pas là pour l’entendre…


Lors des Vraies Voix (Sud Radio) du 18 avril, animées par Philippe David et Stéphanie de Muru – émission que j’ai la faiblesse de juger excellente par son mélange de sérieux et de drôlerie -, à nouveau confronté à la critique virulente de Françoise Degois, socialiste assumée, sur Emmanuel Macron, je me suis trouvé dans l’obligation de rappeler qu’il avait aussi des qualités, de l’intelligence et qu’on ne pouvait pas faire comme s’il était tellement médiocre que rien de positif ne pouvait être dit à son sujet. J’ai été immédiatement traité de « macroniste », ce qui est une absurdité pour qui, par exemple, lit certains de mes billets. Ceux-ci permettent, il faut le dire, de ne pas s’abandonner à une réactivité immédiate conduisant à forcer le trait…

Avoir écrit le 18 avril : « Emmanuel Macron : « une espèce de vide » ?« , m’a conduit à me pencher sur le contraste entre l’allocution présidentielle et les propos qui l’ont précédée. Entre l’apparente sérénité et équanimité de la première et la vulgarité des seconds, comme si Emmanuel Macron était un adepte du double Je. Ce que d’ailleurs j’ai toujours cru, avec cette propension qu’il a à se couler dans la conviction de son interlocuteur, sur le plan national comme – et c’est plus grave – dans le registre international.

Arrêter de faire des “turluttes” aux maires du Sud

Je ne suis pas naïf au point de m’imaginer que les chefs d’État, dans leur entre-soi de conseillers et d’affidés, n’usent que de la langue de Bossuet. C’était vrai pour le général de Gaulle, pour Georges Pompidou, pour Nicolas Sarkozy et pour Jacques Chirac. C’est vrai pour Emmanuel Macron.On peut aussi se rappeler les vulgarités de Richard Nixon, lors du Watergate, quand il se croyait seul avec ses collaborateurs.

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Pour notre président, s’il n’y a rien de choquant dans sa volonté « de faire passer en première lecture avant l’été les textes travail et immigration » et que l’expression imagée dont il use : « Il faut se mettre en danseuse et repartir. Relever le museau«  n’est pas honteuse, on peut en revanche s’étonner – euphémisme ! – de la suite : « Il faut être dur avec ceux qui veulent nous crever la paillasse. Faire payer l’hypocrisie et les jeux de dupes ». Sans oublier, à l’intention de quelques maires socialistes du Sud, « il faut arrêter de leur faire des turluttes«  (Ce que rapporte Le Canard enchaîné). Sans doute cela a-t-il fait rire son cercle inconditionnel mais de la part d’un président, c’est affligeant. Au risque de passer pour un rabat-joie démocratique, cette période ne prête pas vraiment à la réjouissance ! Il est vrai que tous ceux qui travaillent de près avec Emmanuel Macron ont confirmé qu’il affectionne un langage sinon de charretier, du moins plus que familier. Sans doute la libération d’un esprit trop plein… Pour être aimable !

C’est loin, 2027

Cette manière, après son intervention où il invoque l’exigence de « l’apaisement » en considérant ce dernier quasiment comme acquis, de montrer qu’il n’est prêt qu’à en découdre et à jeter encore plus d’huile sur le feu, ne laisse pas d’inquiéter sur la sincérité de celui qui a été réélu pour tenter de mener la France à bon port au moins jusqu’en 2027. C’est probablement l’une des causes fondamentales de la désaffection citoyenne que cette pluralité de langages sur le plan politique et ce que l’on pourrait appeler la comédie institutionnalisée, l’hypocrisie consacrée. Que peut bien penser un citoyen de bonne foi, même s’il n’y a pas à surestimer la délicatesse des oppositions (celle de LFI en tout cas dans le verbe et les attitudes hostiles au président), de ce clivage entre un Emmanuel Macron qui feint officiellement la douceur et l’urbanité républicaines et, dans ses coulisses authentiques, montre la dérision et le peu de crédit qu’il attache à ces dispositions affichées pour la frime démocratique ?

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Ce qui serait acceptable dans une nation à peu près en paix civile est intolérable dans un pays qui depuis plusieurs mois, est bousculé, bouleversé, fracturé, sans gouvernail véritable, sans un pouvoir respecté bien au-delà des contestations politiques. La parole publique n’est plus crue. On ne l’imprime plus comme digne d’intérêt et de confiance.

Avec un président qui joue un double Je avec les citoyens et les corps intermédiaires, elle se perdra dans les oubliettes républicaines.

Je veux conclure, selon moi de manière honnête. J’ai le droit d’avoir cette vision critique du président et de l’essentiel de sa politique mais il n’empêche que j’ai honte pour cette démocratie qui traite et insulte ainsi un chef de l’Etat réélu. J’ai peur pour lui et le silence assourdissant de toute la classe politique est lamentable.

S’opposer au président, soit, mais dégrader à ce point la fonction, non!

Le complot, ça rapporte gros!

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Alex Jones fait la promotion sur sa chaîne Youtube de compléments alimentaires censés renforcer la virilité, juillet 2018 © D.R.

Les gogos qui adhèrent aux théories conspirationnistes sont les vaches à lait des « entrepreneurs en complot ». Humoristes ou anciens journalistes, ce sont de véritables hommes d’affaires qui déclinent leur discours haineux en livres, DVD, objets dérivés, voire en cryptomonnaie. Un business anti-élite des plus juteux.


Les chercheurs se sont beaucoup penchés sur les motivations – psychologiques, sociales ou pathologiques – de ceux qui croient aux théories du complot. Mais pour ceux qui leur fourguent ces « théories », l’explication est plus simple : il y a un fric fou à faire. Le modèle économique de ces « entrepreneurs en complots », selon le terme spécialisé, est en évolution constante grâce surtout à la technologie numérique. Leurs multiples sources de revenus comprennent livres, films et DVD, spectacles payants, émissions télé ou radiodiffusées sur internet, la publicité, la vente de marchandises et de services, et finalement des cryptomonnaies.

Opérations sous fausse bannière

Pourquoi ces élucubrations sont-elles si vendables ? À la différence de vrais complots, par exemple celui du 11-Septembre ourdi par Al-Qaida, les conspirations échafaudées par les entrepreneurs sont essentiellement infalsifiables car, selon ces derniers, tout n’est que faux-semblants dans la version « officielle » des événements. Au fond, il y a un seul super-complot mondial organisé par une petite élite où les juifs, les banquiers, différents États et certains organismes supranationaux peuvent jouer un rôle. Cette élite est responsable de presque tout ce qui va mal dans le monde et manipule les citoyens ordinaires. Elle est archicompétente puisqu’elle arrive toujours à ses fins. Pourtant, il reste des anomalies (comme le nombre de coups de feu entendus lors de l’assassinat de JFK) permettant aux chercheurs de vérité de détecter l’influence de cette main cachée. Le complot est toujours en train d’évoluer vers quelque étape finale où notre asservissement sera total, mais cela nous laisse encore le temps de le stopper. Une place importante est accordée aux « opérations sous fausse bannière » : la plupart des attentats terroristes et autres seraient des mises en scène coordonnées par l’élite pour hystériser la population. Cette vision du monde procure au croyant des bienfaits qui valent de l’or : le frisson engendré par un récit dramatique ; le réconfort d’une explication simple pour le chaos apparent du monde ; une consolation pour ses propres échecs, car tout est la faute de l’élite ; le refus des orthodoxies et des expertises reconnues ; la fierté d’être de ceux qui ont compris la vérité ; le contact social avec d’autres croyants ; et enfin le plaisir de la recherche des anomalies – un sudoku intellectualisé.

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Par sa version personnelle du complot, l’entrepreneur crée son branding et peut procéder au merchandising. Le père, ou le grand-père, de ce modèle, c’est l’Anglais David Icke, 71 ans, ancien animateur sportif de la BBC et porte-parole du Parti vert. En 1991, il se proclame le fils de Dieu et commence à exposer sa théorie, sans doute la plus délirante de toutes. Très influencé par Les Protocoles des sages de Sion, il considère que l’élite, qui cherche à instaurer un « nouvel ordre mondial », c’est-à-dire un État fasciste planétaire, est surtout composée de « sionistes Rothschild ». Il se défend d’être antisémite, car il s’agirait d’un petit nombre de juifs en apparence qui seraient en réalité des hybrides entre des hommes et des entités interdimensionnelles reptiliennes, comme d’ailleurs tous les présidents américains et la famille royale britannique. La Shoah a eu lieu, mais aurait été financée par cette élite, tandis que le 11-Septembre a été une mise en scène.

Il développe sa vision d’abord dans une série de best-sellers traduits dans de nombreuses langues. Rien qu’avec ses livres, il est multimillionnaire. Les conférences qu’il donne autour du monde se déroulent à guichet fermé. Un seul événement à Melbourne en 2011 lui rapporte 94 000 euros. À Londres, en 2012, il régale un public de 6 000 personnes pendant onze heures. Son site web vend billets, livres, DVD, vêtements et compléments alimentaires. Sa chaîne YouTube, avant sa suppression en 2020, aurait rapporté 180 000 euros par an en publicités. Le délire, ça paie…

Un délire rémunérateur, qui a ses limites

Celui qui a le mieux exploité ce modèle, c’est l’Américain Alex Jones. Débutant comme animateur radio, il crée son site, InfoWars, en 1999. Le 11 septembre 2001, il met déjà en doute la version « officielle » de l’événement. Spécialiste des opérations sous fausse bannière, Jones maintient que la tuerie de l’école primaire de Sandy Hook, en 2012, est une mise en scène n’impliquant que des acteurs payés. Ses fans persécutent les familles des victimes qu’ils accusent d’être au service de l’élite. L’émission radio de Jones, très largement diffusée à travers les États-Unis, a des millions d’auditeurs. À partir de 2013, les deux tiers de ses bénéfices proviennent de la vente en ligne de produits de santé. Antivax, il propose des remèdes contre le Covid-19 jusqu’à ce que les autorités interviennent. L’évaluation de sa fortune reste difficile, mais elle pèserait entre 135 et 270 millions de dollars. En 2022, reconnu coupable de diffamation contre les familles de Sandy Hook, il est condamné à payer 1,38 milliard d’euros. Les bénéfices du délire ont des limites…

La carrière de Dieudonné suit la même trajectoire à partir de 2002. Chacun son truc : c’est sous couvert d’humour qu’il échafaude sa version du complot. Un « lobby sioniste », prolongement de la cabale juive qui aurait été derrière la traite des Noirs, dirige un nouvel ordre mondial. La réalité du 11-Septembre est mise en doute, ainsi que celle de la Shoah. Si ses spectacles constituent la première brique de son modèle économique, l’humoriste regroupe la vente de billets, livres, DVD et vêtements sur son site, la « Dieudosphère », et propose un abonnement à ses vidéos sur Quenelle+. Voulant diversifier sa marque, il a proposé d’autres produits pour exploiter ses fans : Ananassurance, Ananacrédit, des cercueils, des masques chinois à un prix faramineux en pleine pandémie et deux projets très louches de création de cryptomonnaie. Ses démêlés avec le fisc et la justice montrent qu’il a fait – et caché – des bénéfices considérables. À la fin, Dieudo a beau se prétendre antisystème : son système à lui marche très bien.

Macron, encore plus sourdingue que Quasimodo!

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D.R.

Treize minutes, douche froide comprise ! Tant qu’à n’avoir rien à annoncer, autant faire court…


C’est bien la seule chose de marquante de cette intervention. Encore qu’écouter quelqu’un gloser plus de 10 minutes sur du vide, vous parler d’un monde idyllique où lui seul paraît vivre, pour finir sur un numéro puéril d’autosatisfaction sur Notre-Dame où le caprice du Prince tient lieu de feuille de route, peut paraître assez long, finalement !

L’instrumentalisation de Notre-Dame est la pire chose qui pouvait arriver au chantier. Maintenant, si un quelconque retard apparaît, il faudra bâcler, car pour les courtisans, la reconstruction devra être achevée pour complaire au Prince et non en ayant pour souci la qualité du travail effectué. Il faut satisfaire le petit lord, c’est la seule chose qui compte.

Pour le reste, l’hôpital est en train de se casser la figure, les pénuries de médicaments et de matières premières se multiplient, l’école est en train de s’effondrer et les annonces du ministre lui maintiennent bien la tête sous l’eau, la réindustrialisation reste marginale et le pouvoir d’achat est en berne. La France dont Macron parle et qu’il se glorifie d’avoir redressée a autant de consistance que le rêve de Poutine de devenir maître de l’Ukraine en 15 jours. Cet homme se paye de mots et s’enivre de lui-même. Mais plus il se met en scène, moins il touche le public.

Tout comme il est difficile de donner une consistance au néant, il devient de plus en plus compliqué de commenter une parole présidentielle aussi creuse que démonétisée. Le verbe de Macron est devenu contre-performatif. Plus il glose, plus il détruit. Plus il est optimiste, plus il apparaît faux. Plus cet homme occupe l’espace, plus il étouffe le réel. La chute continue et l’infatuation du verbe ne réussit même plus à masquer l’absence de perspectives.

Les promesses du président ne sont plus que le rappel de ses échecs passés et de ses turpitudes présentes. Son verbe n’est pas créateur d’avenir ou d’espoir d’en retrouver un. Tout ce qu’il annonce a déjà été annoncé précédemment sans pour autant accoucher d’aucune amélioration. Cette allocution n’est que son énième « qui m’aime me suive ». Il devrait rester seul sur la route.

Opéra pouffe

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Affiche du spectacle "No(s) Dames" au Trianon le 11 avril à Paris © D.R.

Au programme du spectacle «No(s) dames»: déconstruction des classiques opératiques et drag-queeneries en tout genre.


Le 11 avril, le contre-ténor Théophile Alexandre et le quatuor féminin Zaïde donnaient un spectacle intitulé « No(s) dames » au Trianon de Paris.

Ces artistes prétendent revisiter les figures d’« héroïnes d’opéra aux destins tragiques ». Les rôles de Carmen, Manon ou Juliette y sont incarnés par des hommes afin de « déconstruire les codes » et d’aller au-delà des « fatalités de genre ». Selon Emmanuel Greze-Masurel, le directeur artistique du Volcan, le centre culturel du Havre où eurent lieu les premières représentations en 2022 : « D’un certain point de vue, l’opéra est l’un des fleurons du patrimoine patriarcal. » Lui et Théophile Alexandre ont donc choisi de privilégier un quatuor de musiciennes plutôt qu’un « orchestre rugissant – encore aujourd’hui majoritairement masculin – et un chef, avec une grande baguette », nous apprend la revue Causette qui, enthousiaste, décrit les folies vestimentaires et drag-queenesques du contre-ténor jouant « avec des bustiers corsetés, des robes entravées et des talons vertigineux ».

A lire aussi, Jérôme Blanchet-Gravel: Drag queens: elles sont partout!

De Diapason à Têtu et France Musique, la presse applaudit à ce spectacle qui « réhumanise les grandes arias de divas composées par des hommes » – Bizet, Grieg, Verdi, Mozart, Rossini, Massenet, des monstres masculinistes qui n’accablèrent leurs héroïnes que pour assouvir leur appétit de domination sur « ces femmes, condamnées depuis des siècles aux rôles d’éternelles victimes ». Le passé coupable, le présent vertueux, l’avenir radieux – adossés à ce triptyque totalitaire, le spectacle propose « un point de vue renouvelé sur ces œuvres, musical et sociétal, pour démuséifier cette musique et la projeter vers l’avenir en incarnant de nouveaux modèles (1) » – c’est-à-dire, aurait dit Mao, pour faire advenir un monde nouveau dans lequel Carmen pourra être indistinctement incarnée par un contre-ténor non binaire, une mezzo-soprano transgenre ou un baryton « avec un utérus ».

Tout ce qu’on voudra, du moment que ce n’est pas… une femme.

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(1): Entretien donné à La Terrasse, 22 novembre 2022

La littérature française peut nous faire «gracquer»

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L'écrivain français Julien Gracq (1910-2007) © René Saint-Paul/Bridgeman

La littérature française actuelle se repaît des petits bobos de la vie, des accidents des uns et des maladies des autres lorsqu’elle n’est pas donneuse de leçons… Dans ce paysage navrant, 30 pages, humbles et percutantes, viennent stimuler le lecteur exigeant: La Maison, un inédit de Julien Gracq.


En ce début de printemps, les éditions José Corti publient un court récit inédit de Julien Gracq (1910-2007), La Maison. Cette trentaine de pages, probablement rédigées entre 1946 et 1950 et accompagnées des deux manuscrits de l’auteur, feront le bonheur des amoureux d’un style reconnaissable entre tous : la plénitude d’une écriture descriptive capable de donner à une action toujours ténue le charme décisif de l’événement, et de combler l’attente par une abondance de détails envoûtants susceptibles de changer l’ordonnance du monde. Julien Gracq se définissait lui-même comme un écrivain descriptif presbyte, contrairement à ceux qu’il appelait les descriptifs myopes, son goût pour les lointains plutôt que pour les choses toutes proches lui venant peut-être de son enfance au bord de la Loire, avec ses eaux sauvages qui portaient loin la lumière et les bruits. C’est à cette presbytie descriptive que nous invite La Maison – récit, à la première personne, de la fascination exercée par une demeure d’abord aperçue au loin lors d’un trajet quotidien en autocar. Ceux à qui Julien Gracq, notamment avec Le Rivage des Syrtes (1951), rappelle d’ennuyeux moments de lecture, ne seront pas déçus par ce livre au format atypique et à la couverture printanière. Peut-être cet ouvrage, resté si longtemps silencieux à l’abri de l’érosion que les lectures successives font généralement subir aux textes, à l’abri aussi des changements de notre regard porté sur le monde, leur donnera-t-il le plaisir de renouer avec ce qui, aujourd’hui, relève vraiment de l’inédit : une première personne du singulier qui ne soit pas la voix nue de l’auteur, mais la voix d’un narrateur nous invitant toujours à le suivre lorsqu’il dit « je ».

Une lecture antidote

La Maison de Julien Gracq est, à ce titre, une lecture salutaire, antidote à ce qui se publie à la pelle depuis quelques années, à savoir tout un fatras de récits à la première personne dont les embarrassantes confessions font l’effet d’une expression écrite scolaire (« raconte un événement qui t’a beaucoup marqué ») rédigée à la hâte dans la salle d’attente d’un psychologue. Portraits de soi en majesté, petits moi plaintifs inadaptés au temps présent, nostalgiques sépias des avant-hier qui chantaient encore et, surtout, inlassables sagas du deuil, de la mort du mari à moto à celle du frère atteint d’une maladie génétique, en passant forcément par celle du père adoré et de la petite maman aux seins plats partie de la clinique dans la nuit. L’époque n’est décidément plus à « la rareté de tout, des objets, des images, des explications de soi et du monde » (Annie Ernaux, Les Années), mais au grand déballage de ses petits chagrins narcissiques et de ses grandes peines humaines, étalés avec toute l’immodestie et l’impudeur requises sur les innocentes tables de nos librairies. À mi-chemin entre la rubrique des faits divers et le compte Instagram des états d’âme, cette littérature récente nous inflige l’indigente autobiographie de ses auteurs et décline en exempla latins à usage collectif tout un petit bazar de souvenirs intimes dont le lecteur ne sait que faire. Mais « je » est un hôte : il faut le recevoir et l’écouter parler avec émotion et bienveillance.

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Vivre vite (Brigitte Giraud, 2022), Mes fragiles (Jérôme Garcin, 2023), Le Monde d’avant (Marc Lambron, 2023), L’Envers des ombres (Céline Navarre, 2023), L’Exil à domicile (Régis Debray 2022), Inconsolable (Adèle Van Reeth, 2023)… À la lecture – bienveillante, mais sans émotion – de ces ouvrages, une certaine gêne nous prend : autant les petits médaillons tout confits d’orgueil auront probablement la joie furtive de nourrir quelque conversation salonarde (« 1965. À l’âge de 8 ans, je suis déjà un lecteur gourmand, comme si je sentais que les livres abritent tous les secrets du monde », Marc Lambron, Le monde d’avant), autant le récit d’un deuil a quelque chose de bien déroutant. Les deux ne sont d’ailleurs pas exclusifs l’un de l’autre, la fin de vie de maman sous perfusion pouvant garder « une grâce mozartienne » et la mort du frère convoquer de belles ombres tutélaires : « avant de m’effondrer, j’ai pensé à notre mère, dont il était le beau, l’irrésistible souci, et je me suis rappelé alors le mot du général de Gaulle, lorsque sa fille trisomique, Anne, mourut à 20 ans dans ses bras : maintenant elle est comme les autres » (Jérôme Garcin, Mes fragiles). Pas sûr que Mozart ou le général de Gaulle ait été enchanté de figurer dans ce genre de récit. Pensons, de notre côté, au mot de Raymond Aron lequel, coupant court à toute possibilité de confidence trop intime sur l’un de ses drames familiaux, déclarait avec cette pudeur qui n’est au fond que la maîtrise sans gloire des émotions trop vives : « Cela n’intéresse personne. »À l’heure où même le porno devient éthique, ces irrépressibles épanchements gagneraient à rester au creux des âmes plutôt que de venir noircir des pages blanches et ternir le sens que nous donnons, en silence, à nos propres malheurs. À moins que la littérature n’ait trouvé dans le bulletin de santé physique et mentale de ses auteurs et de leurs proches de quoi pallier durablement ses carences en imaginaire. Ce qui serait regrettable, car la vie est, espérons-le du moins, autre chose qu’un « tambour de machine à laver » et la mort peut-être assez étrangère à« 300 F oubliés dans le distributeur de la Société Générale » (Brigitte Giraud, Vivre vite, Prix Goncourt 2022).

Sevrage de la myopie égotique

La littérature peut-elle encore être autre chose que ces miscellanées ego-morbo-pornographiques ? Repus du « je » incontinent d’un bon nombre d’auteurs, le lecteur se réfugiera sans doute dans Avers de J.M.G Le Clézio (2023), ou Histoire d’un ogre d’Erik Orsenna, publiés en ce début d’année. Mais parler d’autres que soi est-il davantage une garantie de qualité littéraire ? Dans ses « Nouvelles des indésirables », généreux sous-titre qu’il donne à Avers, Le Clézio se fixe comme objectif « de faire naître [chez le lecteur] un sentiment de révolte face à l’injustice » de ce qui arrive à ses personnages. Pour une fois que nous avons des personnages, ne boudons pas notre plaisir. Pourtant, « pourquoi inventer des personnages, des histoires ? Est-ce que la vie n’y suffit pas ? » se demande soudain l’auteur. Pensons à poser la question à Victor Hugo, Honoré de Balzac, Émile Zola, Marcel Proust. Et aussi à Michel Houellebecq. En attendant, Maureez, Aminata, Hanné, Renault et les autres sont là pour jouer leur rôle de grands oubliés des joies quotidiennes : tous des damnés de la terre, violés, battus, méprisés, insultés, abandonnés à leur triste sort, des « bon[s] à rien juste à nourrir les cochons et aboyer comme les chiens » ou à « rester assis sur [leur] morceau de rue ». À eux « les choses tristes, douces-amères, la dame employée de bureau assise sur le quai, son mari qui l’a battue, qui l’a trompée, ses enfants qui l’ont abandonnée, ses amis qui se sont détournés ». Quant à Erik Orsenna, ce ne sont pas les pauvres, mais les misérables riches qui font sa raison d’écrire : son ogre, Vincent Bolloré, dont il fait un curieux portrait à la limite de la démence, lui donne l’occasion de montrer, dans un style pseudo-voltairien, et entre deux petites jouissances d’autosatisfaction bien sonore (« votre narrateur, un temps conseiller culturel de François Mitterrand, avait participé activement à la création de cette oasis [Canal+] ») qu’avec le temps, la grammaire a cessé d’être une chanson douce. Quel gâchis, Orsenna était un nom si… gracquien.

Revenons donc à La Maison, de Julien Gracq, et comparons : « Tout était léger, ouvert, cristallin, facile – d’un autre monde – comme si le rideau de pluie brusquement levé m’eût été ce fondu enchaîné des films qui soude en une seconde les rues aux forêts et les minutes aux années. Quelques pas plus loin, la maison soudain fut là. Je la touchai presque de la main, gainée qu’elle était presque jusqu’au rebord du toit d’un treillissage de branches sèches, ses volets déboîtés enchevêtrés déjà dans les ronces, son balcon de fer tordu sombré dans le feuillage comme la passerelle d’un bateau coulé. » Ce que l’on trouvera dans ces quelques pages sauvées de l’oubli sera le plaisir, si rare aujourd’hui, de voir décrit le monde. À l’heure où certains sont intarissables sur la solastalgie –pompeux néologisme désignant la nostalgie devant un paysage disparu sous l’effet de l’activité humaine–sans être pour autant capables de dépeindre, par l’écriture, un visage aimé, un coin de nature ou un morceau de ciel, Julien Gracq nous lave les yeux et nous fait voir ce que décrire veut dire. Il nous montre aussi qu’un livre publié en 2023 grâce aux ruses du temps peut ne parler ni des petites misères ni des grands malheurs de son auteur. Rendons un discret hommage, en le lisant, à celui qui, en écrivant, nous sèvre d’un coup des mesquineries de la myopie égotique et nous rappelle les charmes de la presbytie en littérature.

On veut l’électricité, pas des feux de poubelle

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Lyon, 14 avril 2023 © Laurent Cipriani/AP/SIPA

Un président souffleur de braises

La dernière allocution de notre Impuissant de la République qui vient de promulguer sa Réforme des retraites est, on en a pris l’habitude, aussi incantatoire que nébuleuse. Elle ne manquera pas, on s’en doute, d’attiser l’incendie qui couve sous toute poubelle en France. Notre thaumaturge sollicite 100 jours pour redresser, à coups de projets improbables pilotés par des comités Théodule, un pays qui vacille. 100 jours, puis, l’exil à Sainte-Hélène pour un président stendhalien, épigone de Julien Sorel, qui rejouerait son Waterloo personnel ? Voilà de quoi conforter dans leur volonté d’allumer le feu, blacks blocs et autres illuminés adeptes du désordre comme ultime finalité ou activistes au service d’une écologie sectaire.

C’est le Grand Soir? Non, Madame, juste le crépuscule!

Les manifestations réitérées contre la réforme des retraites, la joyeuse réunion de Sainte-Soline et, peut-être même le printemps, avaient déjà ragaillardi les blacks blocs et les faibles d’esprit de tout poil, séduits par le chaos. Après la dernière sortie présidentielle, on en est à peu près sûr, nos jeunes sots, produits d’une école en faillite et d’une autorité en crise, dûment remobilisés, sont regonflés à…bloc. Encapuchonnés et tout de noir vêtus, ces révolutionnaires d’opérette, aussi décérébrés que nuisibles, vont pouvoir perpétuer leurs ravages dans les centres de nos villes et continuer à attaquer nos policiers. Ces fantoches, confortés dans leurs exactions par certains politiques qui ont pour eux les yeux de Chimène, sont à la contestation citoyenne ce qu’est la grêle aux vignes.

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Jeunes sots infatués, ils s’imaginent préparer un nouveau Grand Soir. Las, ce n’est que la tombée du crépuscule qu’ils hâtent. L’histoire, on le savait, se répète, bégayant, de la tragédie à la farce. Mais voilà maintenant qu’elle éructe ; on a perdu jusqu’aux mots que l’école a cessé d’enseigner. Des vocables frustes et grossiers qui confinent à l’onomatopée, badigeonnés à la hâte sur les murs de nos villes par ces Huns modernes, attestent de cette inquiétante volatilisation du langage. La violence tend à se substituer à toute possibilité de verbalisation.

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Au XIXè siècle, déjà, une génération s’égare…

Au début du XIXe siècle, dans une situation de perte de repères semblable à la nôtre, le tout jeune Musset pouvait encore formuler l’absence de perspectives et l’inaction qui corrodent lentement la vie d’une jeunesse rendue veule par l’inertie. Ainsi, dans La Confession d’un enfant du siècle, après la succession des révolutions et la fin des Guerres napoléoniennes, Alfred écrivait, commentant son époque : «Trois éléments partageaient (…) la vie qui s’offrait alors aux jeunes gens : derrière eux un passé à jamais détruit, s’agitant encore sur ses ruines, avec tous les fossiles des siècles de l’absolutisme ; devant eux l’aurore d’un immense horizon, les premières clartés de l’avenir ; et entre ces deux mondes… quelque chose de semblable à l’Océan qui sépare le vieux continent de la jeune Amérique (…) Un sentiment de malaise inexprimable commença donc à fermenter dans tous les cœurs jeunes. Condamnés au repos par les souverains du monde, livrés aux cuistres de toutes espèces, à l’oisiveté et à l’ennui, les jeunes gens voyaient se retirer d’eux les vagues écumantes contre lesquelles ils avaient préparé leurs bras. Tous ces gladiateurs frottés d’huile se sentaient au fond de l’âme une misère insupportable. (…) »

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Des gars et des dégâts

Les mots qui tenaient la nuit en respect ont disparu au profit des comportements décadents et violents. J’ai pu le constater lors de la manifestation lyonnaise du 13 avril. Voyez plutôt: la préfecture, modifiant le parcours de la procession a permis à la médiocrité intellectuelle d’une partie de la jeunesse, biberonnée à la haine de l’effort comme à celle de la réussite et au mépris la culture de s’afficher sans complexe. Ce jour-là, on avait eu, en haut lieu, la géniale idée de faire passer le cortège par le vénérable boulevard des Belges, bordé d’hôtels particuliers qui jouxtent le Parc de la Tête d’Or. Bien sûr, les précédentes journées avaient été, elles aussi, chaotiques : destruction systématique des abris bus, des vitrines des banques, assurances et agences immobilières, sans oublier la pause- café chez Nespresso. Le tout sur fond de feu de poubelles et de provocation des forces de l’ordre. Maintenant, il s’agissait de faire trembler ces salauds de nantis, totale réussite : intrusions dans les propriétés, jets de projectiles sur les façades des bâtiments, slogans anti-riches et tags qui, tels des crachats, souillaient les murs.

Misère des slogans

Voici un florilège de cette expression rupestre d’un genre nouveau, assez inquiétante pour l’avenir de la jeunesse et par voie de conséquence pour les moins jeunes : « Macron pendaison », « Mangez les bourgeois », « Tout le monde déteste les bourgeois », « Vengeance pour Sainte-Soline : vengeance SS (sic) », « On est né pour la retraite », « On veut des cunis pas des képis » et bien sûr, les inévitables « ACAB », ou autre « Tout le monde déteste la police. » Le seul hôtel particulier épargné lors de cet après-midi festif, l’aurait été, selon ce qu’on m’a rapporté, parce que ses propriétaires qui montaient la garde sur le pas de la porte auraient précisé aux jeunes vandales soutenir la cause palestinienne !

Quand l’école préfère s’occuper du sexe des anges et du bien-être de ses usagers plutôt que de nourrir des esprits qui ne tournent plus qu’à vide, craignons que cette minorité facétieuse ne devienne rapidement majorité. La nuit est peut-être sur le point de tomber.

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Net Zéro Emission: l’Europe peut-elle gagner son indépendance énergétique?

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Le président Emmanuel Macron, le président du Sénégal Macky Sall et le chancelier allemand Olaf Scholz, à Kron en Allemagne, le 27 juin 2022 © Lemouton / POOL/SIPA

L’actualité nationale masque en ce moment certains grands enjeux internationaux, à commencer par l’interdiction de facto de la vente de voitures à moteurs thermiques au profit de véhicules électriques à partir de 2035 dans l’ensemble des pays de l’Union européenne. L’enjeu écologique s’est toutefois doublé d’un enjeu de souveraineté européenne qui, sur son volet énergétique, a pris une nouvelle dimension avec la guerre en Ukraine qui a démontré la grande dépendance d’une partie des pays membres de l’Union au gaz russe à bas coût.

Un duel franco-allemand

L’Allemagne fait ainsi l’objet de nombreuses critiques pour sa politique en la matière, obstinée et incomprise par ses voisins. Samedi 15 avril, Berlin a fermé ses trois derniers réacteurs nucléaires. Isar 2, Neckarwestheim et Emsland ont été déconnectées du réseau électrique alors que l’Allemagne est aujourd’hui le pays qui émet le plus de Co2 de l’Union. Une hausse de 8% de ces émissions a d’ailleurs été enregistrée l’an passé, l’Allemagne ayant relancé plus encore l’exploitation des énergies fossiles du fait de la crise gazière.

Lors du dernier sommet européen de mars de cette année, l’Elysée a demandé aux Etats membres de se prononcer sur le nucléaire. Le texte Net Zero Industry Act vise à ce que d’ici 2030, 40% des besoins de l’Union pour développer des technologies non émettrices soient couverts par des capacités industrielles européennes. Bien évidemment, il y a un hic. Le nucléaire n’est ici traité que comme une technologie à « émission nette », et encore ne s’agit-il que de nouvelles centrales nucléaires prévoyant un minimum de déchets et de petits réacteurs modulaires. Cette énergie n’est pas considérée comme stratégique par l’Europe.

De l’autre côté de l’Atlantique, Joe Biden semble avoir moins de pudeurs de gazelle à l’égard de l’énergie nucléaire. L’IRA (Inflation Reduction Act) de Joe Biden qui inquiète à juste titre les Européens, notamment Emmanuel Macron qui n’a pourtant pas nommé la chose lors de son déplacement chinois, est une initiative offensive de soutien à l’industrie américaine, beaucoup plus ambitieuse que les politiques européennes. Du reste, les Américains ont prévu des crédits d’impôts et des incitations pour acheter l’électricité des centrales déjà existantes, ainsi que des subventions directes pour le financement des prochaines générations de réacteurs…

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Electrifier le parc automobile européen est une ambition qui va pourtant demander d’importantes sources de production d’énergie, mais aussi des infrastructures adéquates. Dans la guerre économique induite par la mondialisation, les Etats-Unis semblent prêts à mieux s’armer que nous autres. Pour commencer, ils sont de gros producteurs de gaz et de pétrole. Nous n’en avons que peu, hors les Pays-Bas, et les Îles Britanniques et la Scandinavie qui n’appartiennent pas à l’Union mais en sont proches. Nous devons donc remplacer le gaz russe.

Energie : nucléaire et GNL

Pour l’instant, l’hiver n’est pas venu et nous y sommes assez bien parvenus, mais il va falloir diversifier nos sources d’approvisionnement. Le gaz naturel liquéfié est une bonne ressource qui dépend aussi d’acteurs auxquels nous ne pouvons toutefois pas pleinement accorder notre confiance, à commencer par l’Algérie. Il importe donc de trouver de nouvelles sources d’approvisionnement afin de parer à toutes les éventualités d’un monde instable.

L’Afrique pourrait s’avérer être un « eldorado » gazier aux richesses encore inexploitées. Malin, Olaf Scholz avait entamé l’an passé sa tournée sur le continent par une étape au Sénégal, pays aux réserves gazières encore intactes qui fonde de grands espoirs dans ses champs de gaz et de pétrole au large de l’Atlantique. La production devrait commencer en 2023 avec 2,5 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié les cinq premières années et 10 millions à partir de 2030. Par ailleurs, ce pays présente l’avantage d’un environnement politique stable et offre un acheminement moins polluant que via le Qatar ou les Etats-Unis.

Olaf Scholz avait d’ailleurs, à l’occasion de sa visite, su habilement se positionner vis-à-vis de son homologue Macky Sall, ingénieur géologue de formation et ancien ministre de l’Energie de son pays, en s’insurgeant contre l’arrêt des financements de l’exploitation des énergies fossiles au nom de la lutte contre le réchauffement climatique. Les États-Unis et la France s’étaient en effet engagés lors de la COP26 en 2021, à cesser les financements à l’étranger de projets d’exploitation d’énergies fossiles sans techniques de capture du carbone.

La lutte contre le réchauffement climatique ne va donc pas sans heurts et l’Allemagne sait y tirer son épingle du jeu – elle a d’ailleurs réussi avec sa puissante industrie automobile à prévoir une exception pour le e-fuel dans le pack d’électrification du parc automobile, chose à laquelle s’opposaient les constructeurs français qui n’en font pas -. Etonnant d’ailleurs, car comme l’indiquait un certain Antoine Testu sur LinkedIn : « Il faut ainsi cinq fois plus d’électricité pour produire assez de carburant synthétique pour parcourir 100km qu’il n’en faut pour alimenter une batterie de VEB pour la même distance ».

L’électrification du parc automobile : une opportunité pour la France ?

Ce même expert se montre d’ailleurs optimiste quant au devenir du marché du véhicule électrique, à l’image de certains professionnels du secteur ; bien qu’il soit opposé à la réglementation interdisant la production des moteurs thermiques à partir de 2035 : « Cette réglementation est en réalité inutile, car les moteurs thermiques et le VT seront obsolètes en Europe bien avant 2035 et sont déjà condamnés à une extinction rapide. Le marché a déjà choisi la meilleure solution, tant d’un point de vue technologique qu’économique : la voiture électrique à batterie. A quoi bon adopter une règlementation complexe, non dénuée d’effets indésirables pour tenter de hâter une évolution déjà en marche ? Les Etats-Unis et la Chine n’ont d’ailleurs adopté aucune mesure coercitive de ce type. Tout en agissant ambitieusement pour faire de leurs pays le champion du VEB. »

De fait, il est surtout à craindre que notre macroéconomie et notre industrie ne soient tout simplement pas capables d’accompagner cette évolution du secteur automobile. Rien n’a été fait pour nous protéger des deux mastodontes chinois et américain. Quand Emmanuel Macron a maladroitement parlé en Chine, il a d’ailleurs tapé à côté plutôt que de tancer directement nos partenaires européens en les invitant à se mettre autour d’une table pour riposter face au protectionnisme de nos rivaux. Grande gueule et petit bras, notre président n’agit pas concrètement, ou du moins, n’obtient pas les résultats escomptés alors que s’opère une transformation majeure du parc industriel mondial. Nous pourrions exploiter les minerais (lithium, nickel), nous ne le faisons pas. Idem pour le raffinage et la transformation des métaux, la prospection à l’étranger, la fabrication de batteries, l’installation des bornes ou encore les chaînes d’assemblages.

Il est temps de passer à la vitesse supérieure et d’arrêter de subir les décisions des autres.

Dany Boon refait inlassablement le même film

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© Denis Tribhou

La vie pour de vrai (sortie le 19 avril), le nouvel opus de Danny Boon, est niaiseux à souhait…


Il n’y a pas de mystère Dany Boon. Hélas. La martingale du petit gars du Nord sympa fonctionne à plein régime de film en film. Surfant sur l’éternelle vague de l’idiot du village, il refait à chaque fois le même film sur des scénarios que Paul Guth aurait pu signer en son temps. À l’époque, on l’aurait appelé « le Naïf ». Mais, dans un registre proche, n’est pas Bourvil qui veut. Ici, tout se concentre sur l’extrême gentillesse du personnage principal qui évidemment se heurte à la méchanceté du monde, mais parvient à l’enchanter parfois. C’est donc niaiseux à souhait. On devrait rire sans cesse et on se surprend à regarder sa montre. Kad Merad et Charlotte Gainsbourg semblent se demander ce qu’ils font là, à jouer les faire-valoir d’un clown pas drôle. Il n’y a pas de mystère Dany Boon, mais il y a des recettes sonnantes et trébuchantes à la clé : grosse comédie, gros sabots, gros profits. Rendez-nous De Broca et Rappeneau, s’il vous plaît.


Le Macron Casse-Rock-and-Roll Show

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Le député d'extrème gauche Ugo Bernalicis, Lille, 17 avril 2023 © FRANCOIS GREUEZ/SIPA

Si l’allocution du président n’a pas cassé des briques, elle a eu le mérite de se trouver un son d’ambiance identifiable dès la première note. C’est pas du Gershwin, pas besoin d’avoir l’oreille absolue pour en apprécier sa finesse harmonique mais cela sent le tube de l’été à plein nez. Notre Top Chef de président et son concert de casseroles part pour 100 jours en tournée.


Borne à la plonge. Sans traverser la rue Macron lui a trouvé le job saisonnier de l’année. 100 jours pour apaiser les Français. Entre des citoyens tendus comme des arbalètes et son talent pour le stand-up qui détend les lombaires, c’est pas gagné. Flanquée par les Hells Angels Veran, Dussopt et les autres 3 roues du gouvernement et de l’Assemblée, c’est vraiment pas gagné. Comme tout ce beau monde sera attendu partout par des batteries de casseroles, les 100 jours vont leur paraitre plus longs que l’ascension du GR20 en tongs. Oui mais voilà, Macron n’avait rien à annoncer. Ni remaniement, ni dissolution, ni référendum. Rien. Si ce n’est une nouvelle feuille de route pour une Borne à la rue. 

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Berger au piano. Et si l’orgueil de Macron lui ouvrait un boulevard pour passer de la street-food sociale à la gastronomie politique ? Dans quatre ans tous ceux que l’on pourra associer de près ou de loin à Macron seront carbos. De la droite à la gauche ils sont tous cramés. Mélenchon fera plus peur que l’hologramme d’un pangolin salafiste. Le Pen, c’est la Sylvie Vartan du sketch de Coluche. Elle aura encore fait des progrès, juste ce qu’il faut pour faire deuxième. Donc, dans la quête de l’homme ou la femme providentiel(le), ce Berger a un bon profil. Il est suffisamment ouvert pour plaire des deux côtes de l’échiquier, compétent pour réformer sans brutalité et il a en plus la bobine d’un honnête homme.

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Macron à l’acouphène. Macron, ce fort en métaphore, a remis son casque de chantier sur les oreilles. En prenant la restauration de Notre-Dame pour illustrer sa vision de l’avenir. Nouvelle hallu mystique ou pas, Notre-Flèche d’Amiens est toujours aussi perché. Il dit et répète ne pas être sourd aux colères et évacue le dossier retraite en deux minutes. On a déjà vu des sourds entendre mieux que lui. Pour ceux qui espèrent du concret sur le pouvoir d’achat, la dette, la pression fiscale, la casserole est vide. Pour ceux qui croient encore au Père Emmanuel, il nous invente un nouveau gadget. Le pacte social. Attention, sans aucun tabou. Tout peut être mis sur la table. Tout. La réforme des retraites aussi? Oh mon gars, faut pas déconner non plus! Pour les promesses sur la sécurité, le contrôle de l’immigration, l’éducation et la santé on est comblé. C’est prévu. Mais toujours rien de concret dans la marmite. Bref, sans un mea culpa il nous a encore fumé le jambon avec le bois dont on fait du pipeau.