Pap Ndiaye est-il woke ? Une question à nuancer car le ministre de l’Éducation nationale est un virtuose du «en même temps», capable de défendre un jour l’universalisme républicain et le lendemain le racialisme américain.
Pap Ndiaye a au moins un point commun avec Jean-Michel Blanquer, son prédécesseur Rue de Grenelle : il n’a pas peur de prononcer le mot « woke », pourtant considéré par Libération comme le « nouveau point Godwin de la conversation publique » et par France Info comme une « arme de disqualification massive utilisée contre le discours de gauche ». Mais voilà, le nouveau ministre de l’Éducation nationale est un intellectuel honnête qui ne craint pas d’appeler un woke un woke.
Un terme qui est un marqueur réac
C’est même sous sa plume que ce vocable – pris dans son acception politique – a fait l’une de ses premières apparitions en France. Dans une tribune publiée par Le Monde en juin 2020 pour être précis. À l’époque, peu de monde avait entendu parler de Pap Ndiaye et du wokisme. Mais le quotidien vespéral cherchait un « spécialiste de l’histoire sociale des États-Unis » pour décrypter les émeutes qui venaient de se produire outre-Atlantique sous l’effet du mouvement Black Lives Matter. L’auteur de Noirs américains : en marche pour l’égalité (Gallimard, 2009) était tout indiqué pour pontifier sur le sujet. « Woke vient du verbe to wake, “se réveiller”, et signifie être conscient des injustices qui pèsent sur les minorités », expliqua-t-il alors sans ambages, tordant le cou à ceux qui feignent de voir dans l’emploi de ce terme un infâme marqueur réac.
Mais alors, le ministre serait donc un woke assumé ? Pas si vite ! Ndiaye connaît trop bien la bêtise du nouvel antiracisme américain pour revendiquer une adhésion pleine et entière au mouvement. « Le woke prend parfois la forme d’un discours moralisateur, sentencieux et poseur », reconnaît-il toujours dans Le Monde. « Le woke refuse d’envisager que son point de vue puisse être transformé par autrui », déplore-t-il, lucide. Résultat, l’ex-directeur de la Cité de l’immigration se déclare « plus cool que woke ». Comprenez : simple compagnon de route.
Une route qu’il emprunte hélas plus souvent qu’à son tour. En juin 2020, par exemple, interrogé sur France Inter au sujet des « violences policières » supposées pourrir la vie des jeunes Français « racialisés » (concept que Ndiaye préfère à « racisés »), le frère de Marie Ndiaye condamne le « déni des autorités », qui « se raidissent » selon lui dans leur refus de comparer les affaires George Floyd et Adama Traoré. Et d’ajouter : « On attend de la part du gouvernement que la question du maintien de l’ordre soit un enjeu démocratique au lieu d’être simplement réservée au ministère de l’Intérieur et à des postures un peu martiales depuis toujours. » On ignore si, désormais ministre de l’Éducation, il tient toujours ce genre de propos quand il s’assied chaque mercredi matin non loin de Gérald Darmanin dans le salon Murat de l’Élysée.
Il rêve d’importer les « blacks studies » en France
Autre sujet sur lequel Ndiaye est souvent tenté de plaquer la consternante grille d’analyse woke : la culture. On a pu le voir notamment dans le « Rapport sur la diversité à l’Opéra national de Paris », qu’il a cosigné il y a environ deux ans avec Constance Rivière, secrétaire générale du Défenseur des droits. Un texte où tout n’est pas à jeter bien sûr. Les auteurs, qui récusent sans ambiguïté la « cancel culture » et reconnaissent le besoin de préserver notre patrimoine culturel, y sont convaincants quand ils plaident pour que le corps de ballet s’ouvre davantage aux danseurs « non blancs », qui ont sans doute été longtemps ostracisés par l’institution à cause d’inavouables critères physiques. Mais pourquoi prôner la même politique de discrimination positive pour les musiciens ? À l’Opéra de Paris, les auditions se font à l’aveugle ! Comme dans tous les grands orchestres du monde, les candidats jouent derrière des paravents. Qui peut croire que la forte présence d’instrumentistes blancs dans les formations classiques françaises serait une conséquence du « racisme systémique » censé sévir dans notre pays d’après Ndiaye ?
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Même biais woke quand il parle de son métier d’historien. Depuis son retour des États-Unis, il y a vingt-cinq ans, Ndiaye ne cache pas son désir de « poser les fondations d’un nouveau champ d’études en France, les black studies ». Un projet affiché dès 2006 dans une contribution à l’ouvrage collectif De la question sociale à la question raciale ?, dirigé par Éric et Didier Fassin (La Découverte) : « Nous voulons être visibles du point de vue de nos identités culturelles noires, de nos rapports précieux et uniques à la société et à la culture française. » Drôle d’ambition quand on sait que celui qui la proclame écrit dans le même article, quelques lignes plus tôt : « Être noir n’est ni une essence ni une culture, mais le produit d’un rapport social : il y a des Noirs parce qu’on les considère comme tels. » Ainsi donc la culture noire n’existe pas, mais… la visibilité du point de vue de l’identité culturelle noire, elle, doit être affirmée. Zéro pointé pour la rigueur scientifique, élève Ndiaye ! Mais vous ferez un excellent homme politique.
Lors d’un voyage officiel à Washington il y a six mois, le ministre de l’Éducation a prononcé un discours remarqué à l’université Howard, la « Harvard noire », dont la vice-présidente des États-Unis, Kamala Harris, est notamment diplômée. Lui-même ancien étudiant d’un prestigieux établissement américain (l’université de Virginie, où enseigna William Faulkner), Ndiaye sait ce jour-là que se trouveront dans la salle de belles âmes progressistes à même de le comprendre : « Le concept de race reste très sensible en France, se désole-t-il devant son auditoire dans un anglais parfait. […] Je peux attester du prix à payer quand on ose en parler. » Pas sûr que le public ait été convaincu par ce numéro de victimisation. Difficile en effet de passer pour un dissident quand on est ministre en son propre pays. À moins que Ndiaye ait essayé de nous envoyer un message subliminal. De nous dire que travailler avec Emmanuel Macron s’apparente à une pénitence, à un « prix à payer ». Il n’est peut-être pas évident tous les jours de jouer le rôle de « woke de service ».
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