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Lettre ouverte à Marguerite Stern

Chère Marguerite Stern, je ne pensais pas avoir un jour à vous adresser ces quelques lignes mais je m’y trouve encouragé depuis qu’au détour d’une lecture d’un ouvrage pourtant ancien, je vous ai reconnue parmi les personnages évoqués par l’auteur…


Pour être honnête, je ne vous connais que depuis quelques semaines, en l’occurrence depuis mon retour sur Twitter, réseau sur lequel vous officiez vous-même pour y mener un combat auquel je m’associe forcément : je veux parler du combat contre la folie woke de la « transidentité ». Nous ne partons pas tous les deux de la même ligne de départ mais l’important est que nos itinéraires respectifs finissent par se croiser là où il est nécessaire que toutes les forces lucides se retrouvent pour barrer la route aux fous.

J’ai parlé d’un livre dans lequel vous apparaissez malgré vous. Il s’agit de l’immense fresque historique et philosophique publiée à partir de 1875 par Hippolyte Taine, les Origines de la France contemporaine, monument indépassable qui, dans son premier volume consacré à l’Ancien régime, se propose d’expliquer aux lecteurs comment la France, fondée par un millénaire de monarchie et soudée à elle par la force des habitudes et des traditions, a pu, en quelques années seulement, laisser se répandre le feu qui devait bientôt provoquer son écroulement. La Révolution française n’est effectivement pas un accident de l’histoire mais la conséquence d’une succession invraisemblable d’erreurs, de fautes stratégiques et de goût dont le tout, mis bout à bout, devait finir par emporter tout l’édifice et en l’écroulant faire s’écrouler tous les équilibres, toutes les nuances et toute la stabilité de la société. Contrairement à ce que la République a fait de son souvenir, l’épisode révolutionnaire a été une catastrophe pour la France, et pis encore : une catastrophe inutile, suicidaire et démente puisque les quelques améliorations qu’elle a rendues possibles n’auraient pas manqué de se produire même si le régime était resté monarchique. Taine explique parfaitement, comme l’ont fait aussi Tocqueville et Gustave Le Bon, que les conséquences de la Révolution ont été, en quantité comme en qualité, immensément plus coûteuses pour tous que n’ont été bénéfiques les perfectionnements, certes absolument nécessaires mais qui ne justifiaient pas qu’en leur nom la troupe enragée dévaste tout le pays.

A relire: Marguerite Stern et Dora Moutot: «Le féminisme actuel a été parasité par l’idéologie transgenre et queer»

Parmi les erreurs en question, Taine en cite plusieurs, notamment la plus évidente : sous l’Ancien régime, beaucoup trop d’estomacs criaient famine, beaucoup trop de dignités humaines étaient piétinées, beaucoup trop d’injustices étaient érigées en système. Mais au-delà de ces motifs évidents et légitimes de colère s’en trouve une autre, moins flagrante en apparence et pourtant fondamentalement inscrite dans le processus suicidaire de l’aristocratie : au sein des élites de l’époque, principales et en réalité uniques bénéficiaires d’un système construit pour les servir, nombreux sont les hommes de cour et les femmes de salons à s’être laissés séduire à petit feu par les nouvelles thèses que faisaient circuler « les philosophes », notamment sur l’égalité, sur l’athéisme, sur l’émancipation des petites gens pour qui ces bonnes âmes s’étaient découvert une soudaine compassion depuis que Jean-Jacques avait introduit auprès d’eux sa conception du bon sauvage et son sentimentalisme abstrait mais efficace. Taine va jusqu’à expliquer pourquoi et comment ces aristocrates sont devenus les meilleurs avocats et les amis de ceux dont ils écrasaient pourtant l’existence par le fait seul qu’ils vivaient en aristocrates : et c’était principalement par ennui, parce qu’ils avaient épuisé tous les sujets de conversation au sein de leurs interminables salons et qu’il fallait bien renouveler le catalogue des nouveaux thèmes. Les philosophes, Encyclopédistes notamment, sont arrivés au meilleur moment, c’est-à-dire au moment où les oreilles étaient les mieux préparées à les écouter parce que les cœurs avaient été attendris par les récits utopistes, idéalistes et un peu niais des idéologues de l’époque. « Ce que craignaient le plus les hommes opulents, c’était de passer pour insensibles », nous dit Taine. Déjà, à l’époque, la crainte d’être vu comme le propriétaire d’un cœur dur et insensible : difficile de ne pas reconnaître, ici aussi, les premiers mouvements qui donneront plus tard ses outils de pression au culte woke, lui aussi habile à jouer sur les cordes sensibles des esprits qu’il veut ficeler. 

Les militantes Dora Moutot et Marguerite Stern sont conspuées sur les réseaux sociaux. Les transactivistes les accusent d’être des « TERF » (Acronyme de Trans-exclusionary radical feminist « Féministe excluant les personnes trans ») © Femelliste

Alors ces aristocrates ont lu les philosophes, ont fait connaître leurs textes autour d’eux, les ont promu autant qu’ils pouvaient et ce qui devait arriver arriva : à force de nourrir l’ogre qui rêvait de les dévorer, ils l’ont fait devenir assez gros pour qu’il passe à table. Peu d’années après, l’influence des idées nouvelles, passées par les salons puis descendues dans les différentes épaisseurs de la structure administrative et sociale (elles n’ont pu y descendre que parce qu’elles avaient d’abord passé par ces salons qui étaient l’endroit où mûrissaient et se décidaient les orientations du système), fut si grande que ces aristocrates, s’imaginant rendre service aux réprouvés, les ont en réalité armées contre eux. Nous pourrions croire que les couches inférieures de la société, conscientes pour la première fois d’une puissance nouvelle que les événements mettaient entre leurs mains, rendraient grâce à ces puissants qui les avaient aidées à s’élever, qui avaient écouté leurs doléances, qui les avaient prises en considération et accompagnées dans leur volonté d’émancipation. Grave erreur, terrible naïveté ! La réalité est qu’aussitôt ouvertes, les hostilités ont rendu la guerre entre les deux groupes immédiate, sanglante et sans pitié. Jugez avec cet extrait :

« En Dauphiné, les seigneurs, magistrats, prélats, dont on saccage les châteaux, ont été les premiers à prendre en main contre les ministres la cause du peuple et des libertés publiques » ; Taine nous donne cet exemple qu’il puise parmi des milliers d’autres et qui donnent le ton : désormais désinhibées, les nouvelles revendications voient tout en rouge et dévorent ceux qui les ignoraient comme ceux qui leur avaient fait la courte-échelle. C’est ici, Marguerite Stern, que j’ai repensé à votre combat après m’être souvenu de votre passé ; c’est là que vous êtes décrite dans le livre d’Hippolyte Taine. Car en effet, comment ne pas penser à vous lorsqu’il est question d’individus qui, ayant servi une cause, s’étant même mis à sa disposition, se retrouvent dévorés par elle sitôt qu’elle s’est émancipée de la tutelle qui l’a fait naître, qui l’a nourrie jusqu’à la faire sortir de son lit pour qu’une fois sur le sol, sur ses propres pieds, elle se mette à dévorer non seulement ceux qui l’avaient ignorée mais également ceux qui lui avaient fait la courte-échelle ? Sans le vouloir sans doute, chère madame, vous êtes de celles qui, convaincues de servir une noble cause, ont fait la courte-échelle à l’ogre qui s’est ensuite retourné contre vous lorsque vous n’avez pas voulu l’accompagner dans les différentes phases de sa mutation monstrueuse. Je ne vous dis pas ces choses pour vous accabler, au contraire je dois vous féliciter d’avoir vu, finalement assez vite, que le monstre était libéré et il est sain que vous vous soyez à votre tour rebellée contre lui.

Mais il faut bien qu’au moment de faire l’appel, chacun pèse ses propres responsabilités dans la survenue du désastre.

C’est aujourd’hui l’histoire tragique des féministes débordées par leur gauche, responsables d’avoir hier chéri les causes dont elles se plaignent aujourd’hui des conséquences. Vous êtes, Marguerite Stern, comme ces anciens aristocrates qui, « craignant de passer pour insensibles », sont allés jusqu’à scier la branche sur laquelle ils étaient assis. Et ce au nom de quelques sentiments, louables sans doute, sincères probablement, mais qui, n’étant que des sentiments, n’auraient pas dû devenir des combats politiques entre autres parce qu’un sentiment, aussi pur soit-il et même à cause de cette pureté, empêche le plus souvent de mesurer les conséquences de son application politique et interdit de jauger les suites pourtant prévisibles de l’effet domino. L’idéologie de la transidentité, le transgenrisme, le transexualisme, la déconstruction de tout, l’abolition des réalités biologiques, tout ceci, comme hier la Révolution, n’est pas tombé du ciel sans raisons mais parce qu’en amont une succession d’erreurs, au nombre desquelles le féminisme n’est pas la plus petite, a ouvert la boîte de Pandore d’où l’on sort maintenant les femmes à pénis, les hommes enceints, les cures de testostérone, l’écriture inclusive et les mutilations génitales. Sans l’étape du féminisme militant qui a abattu les digues, sans notamment le mariage homosexuel qui a accoutumé les populations à la transgression des normes historiques, sans les Femen qui ont repoussé les limites de la provocation et ainsi affaibli les défenses immunitaires de la civilisation, nous ne verrions pas aujourd’hui se déployer sous nos yeux la folie woke qui n’est jamais que la dernière mutation en date de l’idéologie moderniste-individualiste.  

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Bien entendu, il ne s’agit pas de vous comparer à une aristocrate, encore moins de prétendre que les wokes sont les misérables de l’Ancien régime. Ce que je veux mettre en évidence, c’est un processus plusieurs fois répété dans l’Histoire où des hommes et des femmes finissent dans le ventre de l’ogre qu’ils croyaient avoir dompté. Or on ne dompte jamais un ogre, car l’ogre est comme le scorpion de la fable qui après avoir été aidé par la grenouille à traverser la rivière, la pique mortellement en disant simplement : « c’est dans ma nature ». Pourtant la grenouille, d’abord effrayée par l’idée de se laisser approcher par le scorpion dont elle connaissait la dangerosité, aurait dû refuser de l’aider. Mais sans doute craignait-elle, comme nos aristocrates des salons de l’Ancien régime, de « passer pour insensible » ; elle a donc cédé à un sentiment, mauvais conseiller, au lieu d’envisager la situation avec la rationalité que sa connaissance des scorpions lui imposait.

Pouvait-on prévoir l’ogre ?

Pour répondre à cette question, il faut en passer préalablement par un succinct rappel de philosophie politique : historiquement, nous considérons qu’il y a deux camps, la gauche et la droite. Le premier incarne, revendique et même réclame toujours plus de progrès et dans cette matière il est insatiable. Chaque fois qu’il obtient une victoire, il en réclame une de plus pour consolider la précédente et préparer la suivante. Car la gauche, en tant qu’idéologie mouvante, ne peut jamais être rassasiée dans la mesure où son objectif n’est pas d’atteindre un certain point social mais de le repousser toujours plus au nom du progressisme. Or le progrès, dès lors que nous l’avons défini comme « l’idée que l’on peut toujours faire évoluer les choses », ne s’arrête jamais parce qu’en soi, mécaniquement, on peut toujours « faire évoluer les choses » : de l’union traditionnelle on peut aller vers le PACS, du PACS on peut aller vers le mariage homosexuel, du mariage homosexuel vers la PMA, de la PMA vers la GPA ; du français codifié on peut aller vers la féminisation des noms et des métiers, de cette féminisation on peut aller vers l’écriture inclusive ; et ainsi de suite, tout le temps, dans tous les domaines. Et lorsque cette nouvelle gauche aura obtenu satisfaction sur chacun de ces points, elle sortira de son chapeau de nouvelles revendications, ad vitam aeternam, jusqu’à la dislocation totale de la société, d’ailleurs déjà bien entamée. Elle veut déconstruire jusqu’à la dernière pierre de l’édifice.

En face, la droite. Selon les circonstances, on les appelle parfois « des conservateurs », un mot souvent utilisé à la manière d’une insulte mais qui dit pourtant les termes : conserver, c’est l’inverse de déconstruire. Contrairement à la gauche qui pratique le temps immédiat et dont l’objectif est de satisfaire les caprices au nom de l’individualisme quitte à défaire la société, la droite préfère le temps long qui fait le choix raisonnable de la survie du groupe quitte à frustrer certains caprices individualistes. Pourquoi ces différences ? J’imagine que nous pouvons dire que la droite a une meilleure conscience, une conscience plus claire des réalités sociales et sait qu’un édifice commun, terriblement difficile à bâtir et à stabiliser, est avant tout le fruit de l’expérience des siècles ; que le temps long a été nécessaire pour inscrire dans les faits, dans les mœurs et dans les coutumes l’habitus qui permet l’équilibre. Bien entendu, cet équilibre, s’il est fonctionnel dans l’ensemble, peut bien être perfectionné dans le détail, ce que la droite ne nie pas. Mais contrairement à la gauche qui veut satisfaire immédiatement et sans recul chaque nouvelle lubie dès qu’elle pointe le bout de son nez, la droite répond que c’est le temps long qui juge une idée, non une passion immédiate, et qu’avant d’inscrire une énième lubie dans le fonctionnement général il est préférable de mesurer d’abord quels effets boule de neige elle est susceptible de produire.

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Il se trouve justement qu’en matière d’individualisme, l’école de droite a mis en garde contre les effets d’une libération des pulsions individuelles, déjà avant la Révolution puis pendant et encore plus après. Il y a chez Louis de Bonald par exemple, chez Léon de Montesquiou, chez Taine aussi d’ailleurs et chez beaucoup d’autres des démonstrations intellectuelles qui anticipaient les effets délétères pour le groupe d’une libération trop brutale des passions personnelles. La République a fait le choix de n’en rien écouter et progressivement, puis de façon effrénée ces dernières décennies, elle a laissé croître au sein du corps culturel de la nation différents germes qui, ayant donnés leurs fruits pourris, dévastent aujourd’hui la paix civile en multipliant les causes de conflits. Il y avait pourtant une troisième voie entre l’État totalitaire qui régente jusqu’à l’intimité des individus et l’individualisme totalitaire qui convainc chacun qu’il est à la fois la victime d’un système et la solution qui le fera tomber : il ne fallait donner le primat ni à l’individu contre le groupe ni au groupe contre l’individu mais à l’individu dans le groupe. C’est-à-dire : un homme, une femme, conscients de leur valeur propre et reconnaissants de vivre harmonieusement avec les leurs. Or pour réussir cet équilibre il faut créer entre les individus des occasions de se comprendre : plus une population est homogène, mieux ses membres se comprennent et collaborent spontanément aux mêmes desseins sociaux et culturels. Dans ce cas, grâce à cette fraternité de mouvement, les lois deviennent presque inutiles, sauf quelques-unes nécessaires à l’organisation purement logistique de la société. Lorsqu’une population est hétérogène, c’est-à-dire que ses membres, loin de se comprendre, ne peuvent plus collaborer aux mêmes desseins puisqu’ils en ont tous des différents, les tensions naissent, s’accroissent et nécessitent finalement de plus en plus de lois pour les contenir. Une société hétérogène est condamnée à devenir une société de policiers qui doivent réprimer et de juges qui doivent condamner.

Le féminisme compte au nombre des sabotages : en convainquant les femmes que les hommes les exploitaient et qu’elles devaient s’en émanciper, il a contribué notablement à la dégradation de la paix en créant les conditions d’une lutte invraisemblable entre les hommes et les femmes. Pourtant, après quelques années de « déconstruction », il est possible de tirer un bilan des œuvres du féminisme, notamment en posant cette question simple mais directe : est-ce que les femmes sont réellement plus heureuses aujourd’hui que ne l’étaient nos grands-mères hier ? Elles ont une liberté de mouvement accrue, c’est certain ; elles peuvent assumer des indépendances (électorales, bancaires, professionnelles, etc.) qui leur étaient insupportablement interdites jadis, tout cela est vrai. Mais puisqu’elles ont été réclamées et obtenues grâce aux mauvaises méthodes du féminisme militant qui a politisé les relations entre les hommes et les femmes, ces conquêtes matérielles, au lieu de s’ajouter aux bonnes formes de la vie d’une femme, les ont remplacées. En somme, pour la faire salariée, le féminisme lui a fait renoncer à être mère, et pour l’étouffer de « progrès sociaux » il l’a détournée de l’époux, de la figure paternelle, du clocher et de la communauté locale. L’universalisme avait réussi à déraciner l’homme de son écosystème culturel et social pour en faire un consommateur interchangeable ne croyant plus qu’en l’impérative nécessité de jouir du confort matériel, le féminisme, sinistre acolyte de l’universalisme et sa continuation logique, l’a aidé à précipiter la femme dans la même cuve. Or c’est précisément parce qu’elle avait anticipé ce résultat que la pensée de droite mettait en garde contre l’action d’un féminisme mal senti ; mais la gauche, qui hébergeait le féminisme, a préféré pendant toutes ces années faire croire que cette opposition de la droite n’était que haine, frustration et misogynie, et elle a encouragé les féministes à lui répondre en repoussant toujours plus les revendications et les provocations. Nous mesurons aujourd’hui l’étendue des dégâts d’un tel procédé. C’est sur ce sol contaminé d’hostilités inutiles, de colères mal canalisées et de perceptions erronées qu’a poussé le wokisme qui a lui-même enfanté le transactivisme.

Et maintenant ?

Il est des maux qu’on ne pansera plus car il est trop tard. Comme dans une guerre, il y a ceux qui reviennent et ceux dont les corps sont laissés sur place, dans la boue des tranchées, sous la poussière des bombardements, et dont le souvenir est entretenu par les survivants qui se disent ensuite : plus jamais ça. Notre devoir est de travailler à l’affaiblissement des forces du venin woke. La chose ne sera possible que si le diagnostic est correctement posé ; or pour le poser bien, il faut bien nommer les choses, bien identifier les sources du problème pour les tarir, savoir correctement quelles fautes ont été commises pour ne plus les reproduire. Il faut donc pouvoir apostasier, rien de moins ! Renier ses erreurs passées et faire cette chose qui n’est pas la plus simple en politique : reconnaître que ses anciens adversaires avaient raison. Non pour s’humilier ou s’avilir, non plus pour flatter des egos et permettre à ces anciens adversaires de fanfaronner : mais parce que ces étapes sont nécessaires pour rétablir du sens, de l’ordre et de la direction là où des erreurs passées ont semé la dérive, le chaos et la subversion.

Chère Marguerite Stern, certains de mes propos peuvent sembler vous accuser et ainsi vous déplaire, ils ne vous blesseront pourtant jamais autant que les actions des Femen nous blessaient, nous les amis de la pudeur encore attachés au sacré et au calme d’une église. Ils ne feront jamais sur vous l’effet que faisaient sur nous les outrances de vos anciennes amies. Ce n’est pas notre colère que vous flattiez, c’est nos cœurs que vous brisiez, et nos cœurs, je vous le garantis, ne sont pas pleins des mauvaises pensées que nos adversaires nous attribuent. Nous voulons une société paisible où vivre est une aventure plaisante ; et une telle société a existé, perfectible bien sûr, mais à défaut d’avoir jamais atteint la perfection au moins avons-nous connu, il n’y a pas si longtemps, un équilibre où les bienfaits l’emportaient sur les désastres. Nous voulons en revenir à cet état de civilisation, ce qui nous impose en effet de combattre ceux qui en plus de chercher à nous en empêcher travaillent même à accélérer l’éboulement général. Toutes les bonnes volontés sont convoquées pour cette mission historique au-devant de laquelle les événements nous placent tragiquement : la mission de sauver nos enfants, de sauver la joie, de sauver la France du péril qui a commencé de les dévorer.

Sur cette barricade où il faudra tenir bon, nous aurons toujours une place pour vous, Marguerite Stern.

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Tant qu’il y aura des films

Comme chaque année, en mai, le barnum du Festival de Cannes vitrifie les sorties en salle des autres films. Circulez! Hors de la Croisette, il n’y a rien à voir. Pour combattre cet incroyable monopole, il suffit de se tourner vers des ressorties sur grand écran. Et là, au moins, avec Grémillon, Fellini et Blier on peut rester les yeux grand ouverts.


Grand maître

L’Étrange Monsieur Victor, de Jean Grémillon
Sortie le 3 mai

Un film avec Jules Auguste Muraire, dit Raimu, ne peut pas être foncièrement mauvais. C’est du moins ce dont on est persuadé ici. Et quand il s’agit d’un film réalisé par le décidément trop délaissé Jean Grémillon, tout va pour le mieux. Signé par les talentueux Charles Spaak et Marcel Achard, le scénario de L’Étrange Monsieur Victor déroule habilement la trame d’un drame psychologique mâtiné de polar qui évite tout pathos. Mari attentif d’une charmante épouse (Madeleine Renaud), père aimant d’un nouveau-né, Victor Agardanne (Raimu) est un commerçant honoré. Difficile de soupçonner que, dans son arrière-boutique, cet homme affable le jour devient, la nuit, le receleur d’une bande de cambrioleurs ; jusqu’à ce que, menacé de chantage par l’un d’eux, il le tue. Son voisin, Bastien, cordonnier de son état (Pierre Blanchar) est accusé du meurtre à sa place et condamné au bagne. Après sept ans de détention, Bastien parvient à s’évader, revient trouver Victor, lequel lui propose alors de subvenir à ses besoins… Le tout commence comme une comédie provençale à la Pagnol, Toulon et Raimu faisant la blague. Mais le récit bascule insensiblement vers le drame.

Un mot d’abord sur Grémillon qu’il faut à tout prix remettre en lumière, comme nous y incite Bertrand Tavernier dans son Voyage à travers le cinéma français. À son propos, le brillant scénariste Charles Spaak écrit : « Il était intelligent, cultivé, il savait écrire, peindre, composer de la musique. Il était beau, généreux, faisait très bien la cuisine, adorait la vie. Il avait tout pour réussir et il a eu une existence contrariée, sans arrêt marquée d’échecs. Cela venait de son caractère : il aimait travailler avec les scénaristes, avec les acteurs, il était passionné par le montage mais malheureusement, il n’aimait pas les producteurs et ils le lui ont toujours bien rendu. » Au-delà de cette malédiction, il reste donc ses 17 films, de Maldonne, en 1928, jusqu’à L’Amour d’une femme, en 1953, avec quelques chefs-d’œuvre, outre celui nous occupe ici : Gueule d’amour, Remorques, Lumière d’été, Le ciel est à vous.

A lire aussi, du même auteur : Dany Boon refait inlassablement le même film

L’Étrange Monsieur Victor n’est pas le plus abouti ni le plus admirable de ses films, mais il est indéniablement le plus noir, le plus en demi-teintes, à l’instar de ces persiennes de l’appartement toulonnais du personnage principal qui ne laissent en permanence passer qu’une demi-lumière, une demi-vérité, une demi-personnalité. Ou comment un simple élément de décor peut devenir la métaphore d’un propos presque moral. Et Raimu de prêter sa fausse bonhomie, sa feinte jovialité, sa désarmante nonchalance à ce demi-monde. On songe inévitablement au Michel Serrault du film de Claude Chabrol, Les Fantômes du chapelier : il a lui aussi son Bastien, son cordonnier, en la personne du tailleur joué par Charles Aznavour qui est également sa mauvaise conscience. Tourné en 1938, après Gueule d’amour et avant Remorques, L’Étrange Monsieur Victor est d’une maîtrise exceptionnelle avec, évidemment, Raimu au cœur de sa distribution. Il est plus que parfait en homme tourmenté et rongé par la culpabilité. Au début du film, il est comme chez Pagnol ou d’autres : provençal à souhait, aimable, souriant, le père de famille idéal. Mais Raimu a accepté de faire vaciller sa propre statue pour se transformer en être brutal et impatient parce qu’il ne supporte plus d’avoir fait condamner un innocent. Or, Raimu, star incontestable de l’époque, prend un vrai risque à jouer ainsi un personnage déplaisant. Il va jusqu’à surjouer la faconde marseillaise, véritable marque de fabrique de son succès. Du grand art que Grémillon sait capter en filmant son acteur dans la pénombre de l’ambiguïté. Ici, Raimu, le Roi-Soleil de la Canebière et autres lieux méridionaux, révèle sa part sombre de façon incomparable.

Grand art

Buffet froid, de Bertrand Blier
Sortie le 3 mai

Buffet Froid. © Studio canal

Il y a eu Drôle de drame, du tandem Carné-Prévert avec Jouvet, Simon et Barrault en 1937. Et il a fallu attendre 1979 pour qu’avec Buffet froid, écrit en solitaire, Bertrand Blier renoue avec l’esprit de la farce macabre assez peu pratiquée en France. Depardieu, Carmet et Blier père font ici des étincelles d’absurde absolu et de dérision assumée. Tout commence par un mort qui parle avec un couteau en plein ventre dans les couloirs du RER de La Défense. Tout finit en pleine nature, dans une barque sur un Styx moderne. Entretemps, les mots d’auteur et l’abracadabrantesque le disputent au trivial poétique cher à Blier. Le film ressort dans une version impeccablement restaurée. On croit le connaître, mais des surprises sont toujours au rendez-vous de ce bijou noir. Pour être complet dans le registre, on peut ajouter que deux ans plus tard, avec son réjouissant Coup de torchon, Bertrand Tavernier a donné à Carmet et à Blier une nouvelle postérité digne d’intérêt.

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Grande dérision

Il Bidone, de Federico Fellini
Sortie le 17 mai

« Pour pouvoir décrire l’univers d’Il Bidone, il me fallait descendre dans une sorte d’enfer où les hommes ont des consciences et des rapports de bêtes, c’est-à-dire que je devais réduire mon propre univers moral afin de créer les personnages de l’intérieur. Mes héros sont difficiles à aimer ; ils offrent aux spectateurs une image peu flatteuse d’eux-mêmes, que beaucoup devraient refuser. » Qui mieux que Fellini lui-même pour donner l’enjeu de son film ? Tout est dit ou presque à propos d’une œuvre que le public de l’époque a boudée, reprochant à Fellini de ne pas reproduire ce qu’il avait fait avec La Strada. Or, Il Bidone se rapproche beaucoup plus d’I Vitelloni, soit la description de personnages sans véritable profondeur, qui n’ont pas trouvé comment conduire leur vie et se comportent en parasites sociaux. Fellini signe ici l’un de ses plus beaux films méconnus. Une sorte de conte qui s’abstrait de toute morale.

Il Bidone. © France 2 cinéma.

Pourquoi Emmanuel Macron ne peut pas comprendre l’opposition à la réforme des retraites

Du travail et de la retraite. Une lettre ouverte au président, par Anne Mansouret…


Monsieur le président de la République, nous appartenons, vous et moi, à cette catégorie de chanceux qui ont pu suivre le conseil de Confucius : « Choisis un travail que tu aimes, et tu n’auras pas à travailler un seul jour de ta vie. » Cette citation, je l’ai répétée à l’envi dans mes interventions de vice-présidente, au cours de mes 15 ans de mandats départementaux et régionaux, lors des remises de diplômes ou d’inaugurations dans les collèges, les lycées et les formations en tous genres. J’ai fait mien ce principe tout au long de ma vie, refusant de poursuivre l’exercice d’une activité professionnelle dès lors que je n’avais plus passionnément envie de m’y consacrer. C’est ainsi qu’à 77 ans, après 10 ans dans les services aux particuliers et aux entreprises, 15 ans dans la communication et 20 ans de politique, je suis aujourd’hui taulière, propriétaire et gestionnaire de meublés de tourisme, c’est-à-dire au boulot 7/7 et 350 jours sur 365 par an ! J’ai programmé ma retraite à 85 ans.

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Vivre ou survivre

Seulement voilà : comme vous et une partie de la population que j’évalue aujourd’hui à plus ou moins 30% de nos compatriotes actifs, j’ai pu « choisir ». Choisir les études que j’aimais, choisir les propositions et l’environnement qui me convenaient, choisir de prioriser mes vies professionnelles successives plutôt que ma vie familiale. Mais choisir est un privilège.

Anne Mansouret D.R.

Les faits sont têtus, et les études concordantes : environ un tiers de la population active travaille dans des secteurs peu valorisants et mal rémunérés. Ils font partie des exécutants dans l’industrie, le bâtiment ou les services aux collectivités et à la personne. Ils travaillent pour survivre. Un second tiers se rend au travail sans plaisir ni rejet particulier. Mais leur vie professionnelle est un moyen, pas une fin. Leur salaire, seulement la possibilité de faire face financièrement à leur vie personnelle, aux crédits, à leurs besoins quotidiens et à leurs vacances. Enfin 30% des actifs, après avoir le plus souvent suivi un cursus d’études supérieures ou être sortis de grandes écoles, s’en va bosser avec enthousiasme. Ils ont souvent la trentaine, appartiennent aux catégories socioprofessionnelles très aisées et ont acquis un statut confortable dans une fonction d’encadrement, ou ont « créé leur boite » dans un secteur où « ils s’éclatent » Ces derniers, Monsieur le président, vous les connaissez. Ils vous entourent au quotidien dans l’exercice de vos responsabilités, et ce sont les mêmes futurs « premiers de cordée » que vous rencontrez dans vos déplacements, prétendument au cœur des « territoires ». Je vous ai beaucoup observé, au cours de ces plongées dans la France des villes moyennes : vous dites des mots, vous prononcez des discours, vous serrez des mains, vous touchez l’épaule ou la nuque de certains, mais vous n’avez pas l’intuition, ni surtout l’expérience des autres. Et ça se voit. Au steeple-chase politique, vous avez sauté les étapes, ingrates certes, mais indispensables, du quotidien d’un candidat et d’un élu. Cet agenda local qui vous amène à connaître des milliers de parcours humains, à travers des milliers de porte-à-porte, des centaines et des centaines de permanences, de réunions de quartiers, de fêtes populaires, de commémorations patriotiques et de repas d’anciens… Parce que la politique est une science fondamentalement humaine. C’est une vocation, et si ce n’est pas une profession, c’est un métier. Je dirais même un artisanat.

Un président pédagogue

A défaut d’avoir pratiqué ce contact humain, à défaut d’avoir écouté, des années durant, ces travailleurs ou ces demandeurs d’emploi modestes et ordinaires, vous n’avez pas pu comprendre leur opposition frontale à la réforme qui leur était imposée. Vous n’avez pas perçu la détresse de ces femmes et de ces hommes qui n’exercent pas un métier dangereux ou dont la pénibilité est reconnue, mais pour lesquels le travail est une contrainte. Ceux-là même qui défilent contre le report à 64 ans de l’âge de la retraite. Vous pensez qu’ils n’ont pas compris ; ou qu’on leur a mal expliqué ; ou qu’ils n’ont pas le bagage intellectuel et culturel, les compétences nécessaires pour admettre le caractère indispensable de cette mesure en termes économiques et financiers, en termes de déficit budgétaire ? Mais là n’est pas le problème. En tous cas, là n’est pas leur problème.

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De même que le travail n’est pas synonyme pour tous d’épanouissement, la retraite ne marque pas, pour presque deux tiers de nos compatriotes, la fin de leur vie professionnelle, mais au contraire, son aboutissement. Oui, cela peut paraître aberrant ; et j’avoue que si j’avais continué à vivre dans le 8ème arrondissement de Paris à conseiller des VIP, je ne l’aurais pas cru… Mais, à partir de 50 ans, le travailleur « français moyen » rêve de sa retraite, économise pour sa retraite, se projette à la retraite ! Se lever plus tard. Se consacrer (ou pas) à des loisirs associatifs. S’occuper (ou pas) de ses petit-enfants. Bricoler, entretenir son jardin ou promener son chien… Quelle que soit son espérance de vie, personne, voyez-vous, personne n’est prêt à renoncer à ces deux ans de liberté en bonne santé.

Alors, « quoi qu’il en coûte », Monsieur le président de la République, vous vous grandiriez en renonçant à cette réforme dont les Français ne veulent pas et dont vous subirez les effets pendant quatre ans dans un climat social accablant. Cessez de vous adresser aux privilégiés, à ces yuppies auxquels (comme vous) tout a réussi (ou presque). Qu’importe l’exemple des Allemands, des Espagnols, des Néerlandais, des Italiens, ou les ukases de Madame Von der Leyen… Vous finirez par faire prendre en grippe l’Europe à tous nos compatriotes, à force d’éradiquer les acquis sociaux pour nous imposer les critères financiers de l’Union ! Je vous prie de croire, Monsieur le président de la République, en l’expression de ma très haute considération.                                  

Évreux, le 1er mai 2023

Pif de la Mirandole

«Nous sommes hypnotisés par des dieux dérisoires et notre souffrance redouble de les savoir dérisoires» (René Girard)


« E lucevan le stelle, Ed olezzava la terra / Et les étoiles brillaient, et la terre embaumait » (Tosca). 29 avril 2023, Saint-Denis, finale de la Coupe de France. Cornériseur cornérisé, dans le tunnel, Emmanuel Macron, se lamente et repense au triomphe du 15 juillet 2018, à Moscou, 4-2 ! Il y a cinq ans, Jupiter marchait sur l’eau, renversait l’armoire, les vieux partis, le monde d’avant. Aujourd’hui, champion du Hic et Non, de la querelle des universaux, il emmerde les non-vaccinés, la turba qui veut lui crever la paillasse.

Fausses notes dans la symphonie du Nouveau Monde

En décembre 1486, Jean Pic de La Mirandole défrayait les dépenses de tout érudit acceptant de venir à Rome débattre de ses 900 Conclusions philosophiques, cabalistiques et théologiques. En mars 2019, Emmanuel Macron dialoguait sur France Culture avec 64 intellectuels dans tous les domaines du savoir, de la recherche et de la pensée contemporaine. À 02h31 du matin, le Prince philosophe concluait huit heures de débats non-stop, invitant « chacun dans sa condition » à cogiter pour rendre ce débat « régulier, fort et vivant ».

La symphonie du Nouveau Monde et les douze travaux d’Hercule se terminent par une interview dans Pif Gadget, des concerts de casseroles et vuvuzelas. Rahan, fils des âges farouches, de Ricoeur et Crao a perdu la baraka, son couteau en ivoire et collier aux cinq griffes. Emmanuel Popeye, premier de cordée, cherche la dent du guignol, la piste vers le refuge. Plus il s’angoisse, moins ça va mieux. Gare aux Goraks… Raaahaa ! Comme jadis Napoléon avec les songes de ses soldats, Emmanuel Gamelin et Elisabeth Weygand dressent leurs plans de batailles avec les sornettes des ministres endormis. Le maitre des horloges, prisonnier d’une feuille déroute intenable, 100 jours de symbolique poissarde, n’a plus la main… Le « vol de l’Aigle » avant les pigeons voyageurs annonçant Waterloo.

A lire aussi, Philippe Bilger: Finale de la Coupe de France: comme si de rien n’était…

En 2020 Emmanuel Macron voulait « enfourcher le tigre… sortir des sentiers battus, des idéologies, nous réinventer – et moi le premier ». Depuis six ans, Monsieur 100 000 volte-face, alias Shere Khan, Winnie l’ourson, Tigrou, Tigresse et Kung Fu Panda, n’a cessé de se confesser et réinventer : leader martial, Lucien Jeunesse ‘Réponses à tous’ des forums citoyens, Monsieur Champagne animateur d’ateliers Croq’ vacances-démocratie participative, Maréchal Joffre de la guerre bactériologique… La dernière posture présidentielle, c’est le martyr : Emmanuel Saint-Sébastien stoïque fait don de sa personne, de sa réforme des retraites et retraite des réformes, à la France. Trop de métamorphoses tue les Métamorphoses.

Ridicule

Petit télégraphiste naïf, Jupiter a pris son risque et des râteaux avec Europe, nos alliés, l’OTAN, des vents à Moscou, Pékin, Alger, sans oublier les Alertes rouges en Afrique noire. Pas de vécu, de boussole, de ligne d’horizon, un gouvernement sans envergure, Bibi Fricotin blablateurs, Falbala d’O.pérette : la politique du chat crevé au fil de l’eau.  Le buzz, les polysynodies, passements de jambes, cabotinages permanents, lassent. Hors-sol, le président n’a pas pris la mesure des maux qui minent le pays (Etat en cessation des paiements, démagogie, corporatismes, séparatismes, naufrage éducatif…). Il n’a pas plus de courage que ses prédécesseurs, ne dit pas la vérité aux Français. Il paie cash les malentendus et toute l’addition. C’était écrit.

Je me souviens de Ridicule (1996). L’abbé de Villecourt, arriviste, brillant causeur, prouve l’existence de Dieu : « …Celui qui est par lui-même ne peut changer. Or le temps est la mesure du changement. L’infiniment parfait ne change pas : Unité, Immutabilité, Éternité, c’est… (hurlant) C’est lui ! C’est Dieu ! Causa sui ! Sa propre cause ! Ah ah ah ! ». Grisé par son triomphe et les applaudissements, il s’enflamme dans sa péroraison : « Ce n’est rien. J’ai démontré ce soir l’existence de Dieu. Mais je pourrais tout aussi bien démontrer le contraire quand il plaira à sa Majesté ! Ah ah ah ! ». Stupéfaction, silence désapprobateur ; le roi et la cour se lèvent, abandonnent le bonimenteur. La phrase de trop… Aujourd’hui c’est la nation qui désapprouve et se lève. L’hubris et les sophismes ont perdu l’abbé de Villecourt et Emmanuel Macron ; ils chevauchaient le tigre.

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Je me souviens du documentaire de Barbet Schroeder, Général Idi Amin Dada : Autoportrait (1974). Le président ougandais commente une manœuvre d’invasion d’Israël et du plateau Golan : deux chars Sherman, un vieil hélicoptère, des fusées de détresse, une section d’élèves parachutistes qui s’entraînent sur un toboggan pour enfants… Le général hilare conclut la séquence : « Victoire sur les hauteurs du Golan ! ». Semper ad alta ! « Beaucoup de choses que nous pensions impossibles adviennent mais retenons ça. Le jour d’après, quand nous aurons gagné, nous ne reviendrons pas au jour d’avant » (Emmanuel Macron). Je rugis comme le tonnerre, je frappe comme la foudre ! (Devise du 67e régiment d’artillerie d’Afrique).

Pour cheffer, il n’est pas nécessaire d’être aimé, de se réinventer tous les trois mois, d’avoir le BAFA (Brevet d’Aptitude aux Fonctions d’Alexandre le Grand). Il faut des principes, du sang-froid, du charisme, un peu de bouteille. Nous sommes loin du compte. Le plus inquiétant, c’est que le président ne semble pas apprendre de ses erreurs.  Les Hibernatus de gauche, de droite, du centre, insoumis en peau de lapin, du monde d’avant et d’après, auraient-ils fait mieux, feront-ils mieux ?

Les Français élisent leur président, des représentants, pour les moquer, les conspuer, les haïr. En 2017, avec Emmanuel Macron, ils ont eu la main très sûre, ils ont trouvé un cador. En 2027 les mouches vont changer d’âne. Les candidat.e.s idoines ne manqueront pas. Une manière de diner (électoral) de cons. Cette Tragedia dell’arte pourrait mal finir. Le danger et l’angoisse font partie de l’ivresse. Mensonge politique et vérité carnavalesque. « La tendance mimétique fait du désir la copie d’un autre désir et débouche nécessairement sur la rivalité » (René Girard).

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Picollec le Breton

L’éditeur Jean Picollec est décédé à l’âge de 84 ans


Jusqu’au bout, il aura édité. Jean Picollec est mort à l’âge de 84 ans le 27 avril à Paris. Nous nous étions encore vu quelques semaines auparavant lors de la remise de la traditionnelle « Coupe du meilleur pot » par l’Académie Rabelais à la brasserie Le Sully, boulevard Henri IV. Il m’avait à l’occasion présenté son nouvel auteur, Jack Voukassovitch, dont il venait d’éditer le premier polar, Nettoyage par le vide. Éditeur, cet enfant de Concarneau (bien que né au Maroc), l’était devenu après ses études d’Histoire au temps de la guerre d’Algérie. D’abord de façon très classique chez Larousse, puis en cofondant en 1972 les éditions Alain Moreau avec son confrère éponyme. Il y restera jusqu’en 1978, privilégiant les documents à sensation, à l’instar de Dossier B… comme barbouzes du rocambolesque Patrice Chairoff mais aussi les premiers livres de Jean Montaldo (Dossier S… comme Sanguinetti) ou Pierre Péan (Bokassa 1er).

Un coup terrible

En 1978 donc, il fonde sa propre maison d’édition qu’il animera pendant près de 45 ans. Un de ses plus gros coup éditorial sera d’avoir programmé la parution de la biographie d’Oussama Ben Laden par Roland Jacquard le 12 septembre 2001. Une légère modification de couverture dans la soirée du 11 septembre lui suffira pour assurer un succès d’édition : 83 000 exemplaires en édition courante, 40 000 en poche, traduction en 26 langues. D’autre part, de 1987 à 1992, pour le compte de Vincent Bolloré puis d’Alain Lefebvre, il apporte son concours aux éditions de La Table Ronde.

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Feu sur le jacobinisme!

Le vrai combat de Jean Picollec, fils de marin-pêcheur, fut celui pour la renaissance culturelle de la Bretagne qui l’amena à se lier avec le poète anarchiste chrétien Xavier Grall et les écrivains Jean Bothorel et Jean-Edern Hallier. C’est d’ailleurs en Bretagne que nous nous sommes liés au début de ce siècle, à la grande époque des festivals « Étonnants voyageurs » ou Michel Le Bris conviait à Saint-Malo les romanciers A.D.G., Michel Déon et Jean Raspail. Entre le bar de l’Univers et le Fort national, un festival « off » s’improvisait où l’on pouvait croiser Sébastien Lapaque, Olivier Maulin, Grégoire Kauffmann et même Sylvain Tesson. Une bande de joyeux drilles cultivés que Jean Picollec observait d’un œil amusé et une bière à la main.

Jean Picollec photographié en 2011. D.R.

En 1979, avec Jean-Edern Hallier, il avait fomenté une liste « Régions-Europe » qui avait pour fonction de pourfendre le jacobinisme et de chouanner jusqu’à Bruxelles s’il en était besoin. Elle n’obtint que 337 voix dans l’ensemble du pays, faute de bulletins de vote présents dans les bureaux. Mais la liste des noms, à forte tonalité bretonne, demeure croustillante. En effet, outre Jean-Edern Hallier comme tête de liste, y figuraient par ordre d’apparition le chanteur Glenmor, Xavier Grall, le bretonnant Gweltaz Ar Fur, le maoïste Michel le Bris, l’historien Jean Markale, Jean Bothorel, Jean Picollec, l’écrivain Yannick Pelletier et Gwenn-Aël Bolloré, l’un des rares Français à avoir débarqué le 6 juin 1944 sur les plages normandes. Tel était le petit monde de Jean Picollec qui repose désormais selon sa volonté en terre bretonne.

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Finale de la Coupe de France: comme si de rien n’était…

Alors que la finale de la Coupe de France, le 29 avril, s’annonçait mouvementée pour Emmanuel Macron, à cause des contestations annoncées, le président a décidé de ne pas trop se montrer. L’analyse de Philippe Bilger.


On pouvait tout dénier au président de la République, mais pas le courage, la capacité d’affronter ses opposants, la volonté de les convaincre, l’audace de démontrer sans cesse que la France profonde ne lui était pas interdite, qu’il pouvait être partout « le roi en son royaume » et au fond qu’il n’avait peur de rien. Dans son premier mandat, il paraît que l’épisode le plus traumatisant avait été celui du Puy-en-Velay quand des gilets jaunes l’avaient contraint, sous protection, à une fuite rapide. Cette résistance, que même ses adversaires les plus résolus ne lui contestaient pas, ce courage, s’ils étaient permis et facilités par un service d’ordre qui veillait à ne pas offrir trop d’opportunités d’affrontements à ses contradicteurs tenaillés par l’envie d’en découdre, créditaient son image de quelque chose qui relevait presque du panache français.

Une double dérogation à la tradition sportive

Aussi, quelle déception, à la fois humaine et démocratique, que de savoir qu’après 1000 tergiversations, avant la finale de la Coupe de France, il avait validé une double dérogation à la tradition: il n’irait pas saluer les deux équipes de Nantes et de Toulouse sur le terrain avant le début du match, mais leur rendrait visite dans les couloirs et les vestiaires. Il ne remettrait pas la coupe sur le terrain, mais dans la tribune présidentielle. Je sais bien que pour ces deux entorses, d’excellents arguments sont formulés par les défenseurs de l’ordre, mais il n’en demeure pas moins qu’ils auraient été considérés nuls et non avenus si le président lui-même était demeuré fidèle à sa ligne de conduite habituelle: affronter, faire comme si de rien n’était, tenir son rang. Toutes les arguties sur les troubles politiques et sociaux ne dissimuleront pas ce constat: le président cède le pas. Et la place.

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D’autant plus que depuis la fin constitutionnelle, mais laissant un profond sentiment d’inachèvement républicain du débat parlementaire sur les retraites, il avait connu et subi bien pire dans le pays.

Et soudain, il se cache…

Je suis persuadé que cette double exception, avec un président « se planquant », contrairement à tout ce qu’on attendait, dans une compétition sportive qui ne pouvait pas, en cette période, ne pas faire surgir de la politisation, aussi intruse qu’on la considère, va aggraver le déficit dans l’opinion d’un président qui, depuis sa réélection et cette loi que beaucoup s’obstinent à récuser, se bat contre ce qui paraît un irrésistible courant hostile.

Sur un autre registre, sans la moindre comparaison évidemment, tant le présidentiel et ses craintes l’emportent sur le judiciaire et ses risques, je me souviens de certaines de mes sorties tardives de cour d’assises où, plutôt que de fuir par l’arrière, je passais par-devant, protégé précisément par cette démarche, respectée d’abord par ceux qui récusaient l’arrêt de condamnation. Ce soir-là, grande victoire pour Toulouse, sacré nouveau champion de France. Et dans tous les cas, une petite défaite, une déconvenue surprenante, une triste reculade s’ajouteront au passif présidentiel. On ne quitte pas impunément Cyrano pour Louis-Philippe.

Devoirs de vacances

Etienne Klein publie « Courts-Circuits » (Gallimard, 2023). Malheureusement, les démonstrations du physicien ne parviennent pas toujours à convaincre le béotien…


Un court-circuit est rarement de bon augure : il provoque la panne de courant, voire l’incendie. Pourtant, Etienne Klein, l’alpiniste – philosophe – physicien « vulgarisateur » bien connu – 26 ouvrages au compteur, sans compter les films, les articles, les interventions, les préfaces, les émissions, le site internet… – décide de multiplier l’étincelle électrique, sous les espèces d’une dizaine de petits chapitres numérotés de un à 10, mais qu’il nous invite à picorer selon notre caprice dans l’ordre ou dans le désordre. Sciemment sans queue ni tête, ce court « essai » intempestif se donne ainsi pour un vagabondage disparate, passant du coq à l’âne à bride abattue sans trop se soucier d’ordonnancement diégétique.

Etienne Klein a tout lu

A l’auteur, on imagine que l’exercice ne fut pas déplaisant. Le lecteur n’y trouve pas forcément son compte. Malicieux, voire étincelant – car Klein sait briller, et sait trop bien qu’il est brillant -, grevé de citations en épigraphe – car Klein a tout lu – , son petit volume tient plus du recueil que du missel. C’est avec philosophie, adossé à Paul Valéry que dans son texte liminaire, l’auteur surdoué célèbre « l’intelligence des mains » à travers la mémoire de Pascal, non pas celui du « pari » mais Pascal son frère aîné mécano, mort subitement un soir de réveillon, il y a un peu plus de deux ans.

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Hommage appuyé à Michel Serres (1930-2019), le second texte milite pour une pensée croisant sciences dures et sciences humaines, réconciliant poème et théorème… Quitte à risquer de mauvais calembours – Einstein, des Stones – le jeu des rapprochements incongrus rabat le père de la relativité sur le groupe de musique immarcescible, par le vecteur de la langue, au propre comme au figuré. Ainsi Etienne Klein nous brosse-t-il la saga du « logo le plus iconique de l’histoire du rock : une sorte d’écho graphique épuré de la bouche lippue de Mick Jagger. Symbole à la fois d’insolence et de provocation sexuelle, cette langue tirée entre deux grosses lèvres se démultipliera – exactement comme celle, plus pointue, d’Einstein en 1951 », soit la célèbre photo qui « lui collera ensuite à la peau tel un tatouage indélébile, autant que la pomme à celle de Newton » …

D.R.

S’ensuit, sous la plume de notre fringuant mémorialiste, des variations vertigineuses connectant le physicien Niels Bohr et son confrère sous l’angle de la mécanique quantique telle que revisitée dans les années 1980 par Alain Aspect, alchimie littéraire établissant, s’il faut l’en croire, « au sein même de l’espace-temps, par l’entremise de quelque trou de ver ou de riff rageur, une étrange connivence (…) entre Albert Einstein et les Rolling Stones ». Pourquoi pas ? La prose érudite et claironnante d’Etienne Klein se pose sur les concepts comme un pinson sur des branches au volume intimidant : « La raison rend-elle raison de la déraison ? » s’interroge un chapitre entier, sautant d’Ampère à Montaigne en passant par les mathématiciens grecs, le fondateur de la théorie des ensembles Georg Cantor, Michel Foucault et la conjecture de Poincaré…

Combinaisons mentales

Ces assauts d’intelligence donnent un peu le tournis, d’autant qu’ils coudoient, de l’aveu même de notre auteur, des « questions à la fois obligatoires et vaines » comme de savoir si l’on aurait été résistant ou collabo, prélude à développements virtuoses autour de Jean Cavaillès, philosophe mathématicien « finalement condamné à mort le 4 avril 1944 par un tribunal militaire allemand et fusillé le lendemain même, à Arras ». Survols hâtifs de l’histoire des sciences ? Réflexions impromptues sur des énoncés complexes, revisités à l’aune des ultimes découvertes de la science – par exemple la loi de la chute des corps ?

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Ces Courts-circuits de très haut voltage corroborent le constat dirimant émis par Etienne Klein, invoquant par la voix d’un proche de René Girard, Jean-Pierre Dupuy « l’incroyable inculture de nombreux intellectuels français en matière scientifique et technique, à commencer par leur rapport aux mathématiques ». Hé oui, il y a des cerveaux rétifs aux maths, c’est comme ça. Intellectuel ou pas, quel n’est pourvu d’un tel bagage peinera, avouons-le en toute modestie, à suivre Etienne Klein dans chacune de ses combinaisons mentales : si, par exemple, le récit de ses expériences personnelles d’« impesanteur » (chap. VIII) est probablement accessible au commun des mortels, les digressions autour des « chambres à bulle » et du « principe d’incertitude », ou encore les télescopages sur les heurs de la gravitation, d’Aristote à Einstein en passant par Galilée,  nous restent presque aussi hermétiques que leurs imprescriptibles formulations mathématiques. Bref, la résolution de cette « chimie nouvelle » n’est pas tout-à-fait gagnée : le livre refermé, n’en déplaise à Etienne Klein, on se sent encore plus bête qu’on ne croyait. Français, encore un effort si vous voulez être savants.         

Courts-Circuits. Essai d’Etienne Klein. NRF Gallimard, 210 pages.

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Causeur: «Schiappa la chipie», après « Playboy », elle répond aux puritains

Découvrez le sommaire de notre numéro de mai


Enfin une femme politique qui s’affranchit à la fois des diktats néo-féministes et de la langue de bois institutionnelle ! La secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale et de la Vie associative, se confiant à Elisabeth Lévy et à Jean-Baptiste Roques, explique que « ce n’est pas parce qu’on est ministre qu’on est obligé d’être sinistre », ajoutant que « les Français attendent qu’on règle leurs problèmes, pas qu’on fasse la gueule ». Pour la première fois, elle s’explique aussi sur le fonds Marianne.


Dans son édito du mois, Elisabeth Lévy commente la tentative d’Emmanuel Macron de faire oublier la réforme des retraites en annonçant une énième réforme de l’école. Comme toujours, il s’agit de lutter contre les inégalités sociales. « On demande donc tout à l’École, tout, sauf de transmettre des connaissances ». Il est probable que, dans un avenir proche, l’euthanasie sera légalisée en France. Cette maîtrise de sa propre mort, aboutissement ultime du contrôle de sa propre vie, est réclamée par une grande partie de la population. Mais l’analyse proposée par le philosophe, essayiste et romancier, Olivier Rey, suggère que cette mesure individualiste se double de tant de dérives et de paradoxes que c’est la société entière qui en paiera les conséquences. De son côté, Daniel Pendanx commente le récent suicide assisté d’une jeune Belge en « état de souffrance psychique ». Cet acte représente plus qu’une dérive de la légalisation de l’euthanasie, c’est un meurtre légal qui permet à notre société d’assumer son incapacité à sauver une génération totalement déconstruite. Les personnels des sociétés produisant des fictions pour la télé, le cinéma et les jeux vidéo doivent désormais se plier à un stage pour « prévenir et agir contre les violences sexistes et sexuelles dans l’art et la culture ». Pierre Berville dénonce une censure à peine déguisée dans un milieu déjà travaillé par la culture woke. Thierry Marignac se confie à Jérôme Leroy au sujet de son nouveau livre La Guerre avant la guerre : chronique ukrainienne. L’écrivain et traducteur y donne une vision de la genèse du conflit russo-ukrainien qui sort des sentiers battus et rebattus par les médias. Retrouvez aussi les chroniques de Jean-Michel Delacomptée, Emmanuelle Ménard, Olivier Dartigolles et Ivan Rioufol

Extrême-gauche, antifas: les idiots utiles de Macron

Présentant notre dossier, Elisabeth Lévy souligne le contraste entre la menace d’extrême-droite qui serait omniprésente selon la Nupes et la violence très réelle des antifas et autres black blocs. « Le plus inquiétant, c’est l’indulgence dont [ces derniers] bénéficient dans une partie non négligeable de l’opinion et des médias, qui partagent leur haine des forces de l’ordre et préfèrent passer leurs méfaits sous silence ». Qu’il s’agisse des notables de la gauche mélenchonienne ou des casseurs antifascistes dans la rue, « ils apparaissent largement comme les idiots inutiles du pouvoir ». Selon le philosophe Pierre-Henri Tavoillot, interviewé par Jean-Baptiste Roques et Jonathan Siksou, « à l’extrême gauche, la pensée s’est dissoute dans un geste de pure contestation ». Et c’est au détriment de la délibération et de l’intelligence politiques. Selon ma propre analyse des groupuscules antifas, ils ont une idéologie marxo-wokiste très nébuleuse mais un objectif très clair : délégitimer la police devant l’opinion publique. Dans cette guerre qui est une guerre psychologique et de communication, ils disposent de relais importants parmi les journalistes, juristes et universitaires. Le chercheur en histoire, Gilles Vergnon, se confiant à Maximilien Nagy, explique que les antifas actuels ignorent les motivations historiques de l’antifascisme – la lutte contre les régimes fascistes – et désignent comme « fachos » aussi bien l’État que le capitalisme ou le patriarcat. Enfin, Marsault nous montre jusqu’où vont la sincérité et l’authenticité d’un grand nombre de ces anticapitalistes. À l’instar de la municipalité, Sciences-Po Grenoble est un vivier de militants islamo-gauchistes. Les syndicats étudiants y exercent un régime de terreur sur les professeurs et la direction qui préfèrent ne pas moufeter, par opportunisme ou conviction. Céline Pina a recueilli les témoignages de deux enseignants qui en ont fait les frais, Vincent Tournier et Klaus Kinzler. Un autre chercheur, Jean Szlamowicz, linguiste et essayiste, raconte comment le monde universitaire, au nom du Bien et du Progrès, sait faire taire ceux qui, en son sein, ne pensent pas dans le sens de la doxa. Ce qui reste d’esprit libre, pour ne pas dire critique, est muselé, surveillé, dénoncé, traqué, accusé puis condamné.

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Notre rubrique « Culture & humeurs » commence dans le deuil : Henri Beaumont rend hommage à l’anthropologue et historien du droit, Pierre Legendre, qui nous a quittés le 2 mars. Son œuvre nous a laissé autant de pistes de réflexions que d’arguments à opposer à notre civilisation à la dérive. À l’occasion de l’exposition, « Louis XVI, Marie-Antoinette et la Révolution : la famille royale aux Tuileries (1789-1792) », aux Archives nationales, le chercheur Emmanuel de Waresquiel s’est entretenu avec Jonathan Siksou au sujet d’un épisode qui apparaît comme une tragédie humaine et historique. Julien San Frax nous invite à visiter une autre exposition, celle du Petit Palais consacrée à Sarah Bernhardt, et François Kasbi à lire une biographie d’Arthur Meyer, grande figure de la presse du XIXe siècle et fondateur du musée Grévin. Jérôme Leroy déplore le silence qui entoure le centenaire d’un des plus grands génies de la littérature américaine, Norman Mailer. Pierre Lamalattie se montre dubitatif devant la campagne, soutenue par les descendants de Gustave Eiffel et la Ville de Paris, pour faire entrer le « père » de la célèbre tour au Panthéon. En regardant de plus près comment l’ingénieur a bâti le monument et son héritage, on a de bonnes raisons d’émettre des réserves. En revanche, pour Patrick Mandon, celui qui a réussi l’exploit de relier la mer Méditerranée à la mer Rouge par le canal de Suez, Ferdinand de Lesseps, mérite largement sa réputation posthume de diplomate et entrepreneur hors du commun, ainsi que de faire l’objet de la biographie remarquable que Ghislain de Diesbach lui a consacrée. Sophie Bachat nous parle du savoir-faire séculaire de la confection des chapeaux et Jean Chauvet de trois grands films ressortis en salle au mois de mai qui nous permettent d’oublier le Festival de Cannes. Selon le dicton : « Mai sans rose / Rend l’âme morose ». À cet égard, on ne peut pas comparer le Festival de Cannes à une rose.

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Le wokisme est un fascisme

Des éditeurs français ont donc décidé de suivre les « corrections » politiquement correctes que les Anglo-Saxons imposent à des œuvres écrites il y a des décennies, celles de Ian Fleming, Roald Dahl ou Agatha Christie — avec la bénédiction des héritiers avides de se concilier les bonnes grâces des nouvelles générations. Notre chroniqueur n’a qu’un mot pour désigner cette censure préalable: fascisme. Un Point Godwin pour lui !


Fin juin 1940, juste après la visite d’Hitler au Panthéon, l’Académicien Abel Bonnard prononça à la Sorbonne une conférence sur l’Art classique. Paul Léautaud note dans son journal qu’il en profita pour « exprimer l’espoir que l’ère des « romans morbides et donjuanesques soit à jamais close ». » Et de commenter : « Ce sot, qui n’a jamais écrit que pour ne rien dire, en poussant plus avant son point de vue, censurerait sans doute aujourd’hui la déclaration de Phèdre à Hippolyte comme attentatoire à la saine morale. » C’était préparer la « liste Otto », qui répertoriait ce qui était publiable, et ce qui ne l’était pas.

Rappel pour ceux qui n’étaient pas là à cette époque. Bonnard était Académicien, et sera ministre de l’Education du gouvernement Laval. On le surnommait « gestapette », eu égard à des mœurs qu’il cachait mal. Léautaud note, en juin 1943, que Bonnard, en sa qualité de ministre « vient d’inviter les examinateurs à être indulgents pour les étudiants dans leurs examens. Excellente mesure. Il n’y a pas assez de cancres à diplômes. Il y en aura davantage. » Il faut savoir que la dérive des notes a commencé sous Vichy. Les profs qui s’y adonnent sous prétexte que l’Inspection Générale le leur demande sont, à la lettre, des collaborateurs.

Bonnard s’enfuit à Sigmaringen à la Libération, puis en Espagne, où il mourut en 1966. Les gouvernements gaulliste, giscardien et mitterrandien, tout en affirmant à juste titre que Vichy n’était pas la France, ont pieusement conservé sa photo dans le grand escalier de la rue de Grenelle, où s’affichent les binettes de tous les ministres depuis les débuts de la IIIème République. C’est François Bayrou qui le fit supprimer à son arrivée au ministère en 1993.

Léautaud note que « Abel Hermant a été solidement conspué par de jeunes étudiants lors de sa conférence à la Sorbonne ». Aujourd’hui, son homologie woke serait acclamée. Pour peu qu’il ait ajouté « écologiste » à sa caractérisation des œuvres espérées, il serait porté en triomphe.

A relire: Abel Bonnard, éternel «Gestapette»

Patrice Jean, qui dans L’Homme surnuméraire imaginait ce qui arriverait à Céline si on coupait dans ses œuvres tout ce qui peut offusquer tel ou tel segment du crétinisme national, a ici même analysé le rôle castrateur des « sensitivity readers » chargés d’éliminer tout ce qui défrise les uns et offense les autres. Il explore à fond les conséquences littéraires d’une telle censure préalable, et je n’y reviendrai pas.

Mais je voudrais dire deux mots de ses implications politiques.

Parce que les wokistes, les censeurs, les père-la-morale de 18 ans ne se contentent pas d’être de consternants imbéciles. Ce sont en fait des fascistes.
Fascistes, les organisations syndicales — SUD, pour ne pas le nommer — qui organisent des réunions organisées « en non-mixité raciale », en 2017.
Fascistes, les étudiants (les talibans aussi sont « étudiants ») qui ont empêché une représentation des Suppliantes d’Eschyle en 2019 sous prétexte de black face.
Fascistes, ceux qui ont empêché Sylviane Agacinski la même année de s’exprimer.
Fascistes, les étudiants de l’université américaine d’Evergreen qui en 2019 aussi ont harcelé un enseignant jusqu’à ce qu’il démissionne — et le cas est loin d’être unique…
Fascistes, les étudiants de Sciences-Po Grenoble qui ont poussé à la suspension de deux enseignants en les accusant d’islamophobie — en 2021.
Fascistes, les pseudo-transgenres, mauvais lecteurs de Beauvoir qui les aurait méprisés, tout glorieux d’une identité sexuelle floue, qui s’en prennent à J.K. Rowling parce qu’elle affirme qu’une femme a des ovaires et un utérus.
Fascistes, les hystériques qui ont couvert la librairie Mollard, à Bordeaux, de graffitis pré-vengeurs pour dénoncer une séance de signatures de Frédéric Beigbeder il y a deux jours, puis s’en sont prises directement à l’auteur. Pas des femmes libérées : des nervi, au même titre que les Chemises noires mussoliniennes obligeant les intellectuels à boire une bouteille d’huile de ricin. Je regrette fort que Beigbeder ne leur ait pas répliqué à grands coups de taloches. Comme l’expliquait Sartre dans Réflexions sur la question juive, la seule façon de convaincre un menhir, c’est de taper dessus. La seule façon d’expliquer à une Chienne de garde qu’elle dit des âneries, c’est de lui administrer une fessée.
Fascistes, les journaux et magazines qui approuvent ces débordements. J’ajouterai que les publications qui rajoutent un -e- à auteur ou professeur quand la personne susdite a un vagin sont aussi des fascistes. Parce que le fascisme, comme disait très bien Barthes, consiste aussi à « obliger à dire ». Et que ces collabos du wokisme veulent nous obliger à parler contre la langue. Un tyran de Syracuse, au IVe siècle, avait interdit le mot démocratie, espérant qu’à force la notion disparaîtrait. C’est de la même eau.
Et fascistes, les universitaires qui ne recrutent plus que de pseudo-chercheurs spécialistes de la « question du genre ». Et des imbéciles, car ils trouveront toujours plus convaincu et jusqu’auboutiste qu’eux. Face aux fascistes, ressortons la boîte à claques. En attendant de les envoyer faire un long, très long stage dans les rizières de Camargue, comme le suggérait déjà le président Mao dans un texte apocryphe…

A relire: Mort à la littérature!

Je ne sais pas si, selon les critères tordus de quelques atrophiés du bulbe, je suis « d’extrême-droite » juste parce que je suis républicain. Mais je sais très bien reconnaître un fasciste quand j’en vois un. Et aujourd’hui, sauf exception très marginale, ils ne sont pas à l’extrême-droite. Ils occupent la presse bien-pensante, celle qui trouve qu’Edouard Louis est un écrivain et qu’Annie Ernaux pense — ou l’inverse. La vraie extrême-droite n’est pas à Valeurs actuelles, ni sur Cnews, ni sur Causeur, vecteurs d’un pluralisme de bon aloi. Elle est à Libé, au Monde, à France-Inter, ou sur Médiapart, et dans tous les médias qui ont inversé les adjectifs, comme l’avait fait Big Brother avant eux, qui appelait ministère de l’Amour le haut-lieu de la répression. Des médias où l’on cultive l’entre-soi de façon systématique.

Ces titres (et quelques autres) modifient la langue pour plaire à leur clientèle de profs de gauche (il en reste, ils ont voté Macron deux fois, en 2017 et 2022 pour éviter l’hydre néo-nazie et maintenant ils manifestent, c’est vous dire s’ils sont idiots) selon les principes de la novlangue orwellienne. Ce qu’ils nomment « gauche » est objectivement fasciste — voir Mélenchon. Et ce qu’ils appellent « intersectionnalité des luttes » est un procédé visant à oublier les exactions commises par tel ou tel communautarisme, libre de ses agissements dès qu’il est bronzé, et qui maintient les femmes dans une servitude qui finit par passer pour volontaire — voir La Boétie sur le sujet.  

Les belles âmes devraient se soucier d’intégrer tous les immigrés qui le souhaitent dans la culture française, laïque et universelle — et virer ceux qui résistent. Mais cela supposerait qu’elles réfléchissent — et elles ne sont plus en état. Ou plus exactement, elles affichent leur souci de mixité scolaire tout en inscrivant leur progéniture dans de bons établissements préservés — et j’ai des preuves surabondantes des interventions de journalistes et d’enseignants pour que leurs rejetons s’épargnent les établissements difficiles : l’apartheid sociologique, c’est eux — et personne d’autre. Et ce serait moi le fasciste ? C’est cela, l’inversion des valeurs — et rien d’autre. Le cœur à gauche, mais le portefeuille et la carte scolaire à l’extrême-droite.

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De la dilatation des corps subtils

Au moment même où sa politique budgétaire fait Fitch, Monsieur le Grand Argentier de France s’illustre dans la gaillardise littéraire. 


Quelques lignes de son imposant roman Fugue Américaine font un tabac. Elles caracolent d’écran en écran, se murmurent de bouche à oreille jusque dans les endroits les mieux tenus de la République, si toutefois il y en a encore. 

Le succès est tel que je ne résiste pas au plaisir de vous en faire partager un tout petit morceau : « Elle me tournait le dos; elle se jetait sur le lit; elle me montrait le renflement de son anus. « Tu viens, Oskar ? Je suis dilatée comme jamais. » On en conviendra, voilà qui donne envie. On notera au passage que notre auteur se montre, par ailleurs, adepte du point virgule. À l’ancienne. Vieux style. La classe. L’agrégé ès lettres qu’il est se débusque dans ce genre de subtilité. La retrouve-t-on, cette classe, cette subtilité, dans le choix du terme «  dilatée » ? À voir. Est-ce qu’on écrirait, par exemple, qu’une rose à son meilleur de l’offrande – si sensuelle – de son parfum est dilatée? Sans doute non. Alors on s’émeut. Au secours Ronsard ! Au secours Jean Genet, lui si inventif dans la poétique des combats de l’arrière. Ici, dirait-on, la froideur technocratique de l’énarque investit jusqu’au traitement littéraire du déduit. Dommage. On aurait espéré mieux. Quelque chose de plus élevé, de plus vibrant et chaud. « Dilatée, dilatée ! Est-ce que j’ai une gueule de dilatée? » pourrait en effet s’offusquer une belle au bord de l’abandon. 

On nous dit que l’auteur serait du matin. Il trousserait sa prose entre cinq et sept, à l’heure où blanchit la campagne. Après quoi, plein d’entrain, parfaitement échauffé, au zénith de sa forme, il s’en irait à son ministère des Finances où, comme on sait, enculer le contribuable est de pratique constante. Tout un art, même. On saisit mieux dès lors pourquoi notre écrivain revendique avec une telle force d’entretenir, dans sa vie même, un lien des plus étroits entre ses fictions et sa réalité. 

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Lettre ouverte à Marguerite Stern

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Chère Marguerite Stern, je ne pensais pas avoir un jour à vous adresser ces quelques lignes mais je m’y trouve encouragé depuis qu’au détour d’une lecture d’un ouvrage pourtant ancien, je vous ai reconnue parmi les personnages évoqués par l’auteur…


Pour être honnête, je ne vous connais que depuis quelques semaines, en l’occurrence depuis mon retour sur Twitter, réseau sur lequel vous officiez vous-même pour y mener un combat auquel je m’associe forcément : je veux parler du combat contre la folie woke de la « transidentité ». Nous ne partons pas tous les deux de la même ligne de départ mais l’important est que nos itinéraires respectifs finissent par se croiser là où il est nécessaire que toutes les forces lucides se retrouvent pour barrer la route aux fous.

J’ai parlé d’un livre dans lequel vous apparaissez malgré vous. Il s’agit de l’immense fresque historique et philosophique publiée à partir de 1875 par Hippolyte Taine, les Origines de la France contemporaine, monument indépassable qui, dans son premier volume consacré à l’Ancien régime, se propose d’expliquer aux lecteurs comment la France, fondée par un millénaire de monarchie et soudée à elle par la force des habitudes et des traditions, a pu, en quelques années seulement, laisser se répandre le feu qui devait bientôt provoquer son écroulement. La Révolution française n’est effectivement pas un accident de l’histoire mais la conséquence d’une succession invraisemblable d’erreurs, de fautes stratégiques et de goût dont le tout, mis bout à bout, devait finir par emporter tout l’édifice et en l’écroulant faire s’écrouler tous les équilibres, toutes les nuances et toute la stabilité de la société. Contrairement à ce que la République a fait de son souvenir, l’épisode révolutionnaire a été une catastrophe pour la France, et pis encore : une catastrophe inutile, suicidaire et démente puisque les quelques améliorations qu’elle a rendues possibles n’auraient pas manqué de se produire même si le régime était resté monarchique. Taine explique parfaitement, comme l’ont fait aussi Tocqueville et Gustave Le Bon, que les conséquences de la Révolution ont été, en quantité comme en qualité, immensément plus coûteuses pour tous que n’ont été bénéfiques les perfectionnements, certes absolument nécessaires mais qui ne justifiaient pas qu’en leur nom la troupe enragée dévaste tout le pays.

A relire: Marguerite Stern et Dora Moutot: «Le féminisme actuel a été parasité par l’idéologie transgenre et queer»

Parmi les erreurs en question, Taine en cite plusieurs, notamment la plus évidente : sous l’Ancien régime, beaucoup trop d’estomacs criaient famine, beaucoup trop de dignités humaines étaient piétinées, beaucoup trop d’injustices étaient érigées en système. Mais au-delà de ces motifs évidents et légitimes de colère s’en trouve une autre, moins flagrante en apparence et pourtant fondamentalement inscrite dans le processus suicidaire de l’aristocratie : au sein des élites de l’époque, principales et en réalité uniques bénéficiaires d’un système construit pour les servir, nombreux sont les hommes de cour et les femmes de salons à s’être laissés séduire à petit feu par les nouvelles thèses que faisaient circuler « les philosophes », notamment sur l’égalité, sur l’athéisme, sur l’émancipation des petites gens pour qui ces bonnes âmes s’étaient découvert une soudaine compassion depuis que Jean-Jacques avait introduit auprès d’eux sa conception du bon sauvage et son sentimentalisme abstrait mais efficace. Taine va jusqu’à expliquer pourquoi et comment ces aristocrates sont devenus les meilleurs avocats et les amis de ceux dont ils écrasaient pourtant l’existence par le fait seul qu’ils vivaient en aristocrates : et c’était principalement par ennui, parce qu’ils avaient épuisé tous les sujets de conversation au sein de leurs interminables salons et qu’il fallait bien renouveler le catalogue des nouveaux thèmes. Les philosophes, Encyclopédistes notamment, sont arrivés au meilleur moment, c’est-à-dire au moment où les oreilles étaient les mieux préparées à les écouter parce que les cœurs avaient été attendris par les récits utopistes, idéalistes et un peu niais des idéologues de l’époque. « Ce que craignaient le plus les hommes opulents, c’était de passer pour insensibles », nous dit Taine. Déjà, à l’époque, la crainte d’être vu comme le propriétaire d’un cœur dur et insensible : difficile de ne pas reconnaître, ici aussi, les premiers mouvements qui donneront plus tard ses outils de pression au culte woke, lui aussi habile à jouer sur les cordes sensibles des esprits qu’il veut ficeler. 

Les militantes Dora Moutot et Marguerite Stern sont conspuées sur les réseaux sociaux. Les transactivistes les accusent d’être des « TERF » (Acronyme de Trans-exclusionary radical feminist « Féministe excluant les personnes trans ») © Femelliste

Alors ces aristocrates ont lu les philosophes, ont fait connaître leurs textes autour d’eux, les ont promu autant qu’ils pouvaient et ce qui devait arriver arriva : à force de nourrir l’ogre qui rêvait de les dévorer, ils l’ont fait devenir assez gros pour qu’il passe à table. Peu d’années après, l’influence des idées nouvelles, passées par les salons puis descendues dans les différentes épaisseurs de la structure administrative et sociale (elles n’ont pu y descendre que parce qu’elles avaient d’abord passé par ces salons qui étaient l’endroit où mûrissaient et se décidaient les orientations du système), fut si grande que ces aristocrates, s’imaginant rendre service aux réprouvés, les ont en réalité armées contre eux. Nous pourrions croire que les couches inférieures de la société, conscientes pour la première fois d’une puissance nouvelle que les événements mettaient entre leurs mains, rendraient grâce à ces puissants qui les avaient aidées à s’élever, qui avaient écouté leurs doléances, qui les avaient prises en considération et accompagnées dans leur volonté d’émancipation. Grave erreur, terrible naïveté ! La réalité est qu’aussitôt ouvertes, les hostilités ont rendu la guerre entre les deux groupes immédiate, sanglante et sans pitié. Jugez avec cet extrait :

« En Dauphiné, les seigneurs, magistrats, prélats, dont on saccage les châteaux, ont été les premiers à prendre en main contre les ministres la cause du peuple et des libertés publiques » ; Taine nous donne cet exemple qu’il puise parmi des milliers d’autres et qui donnent le ton : désormais désinhibées, les nouvelles revendications voient tout en rouge et dévorent ceux qui les ignoraient comme ceux qui leur avaient fait la courte-échelle. C’est ici, Marguerite Stern, que j’ai repensé à votre combat après m’être souvenu de votre passé ; c’est là que vous êtes décrite dans le livre d’Hippolyte Taine. Car en effet, comment ne pas penser à vous lorsqu’il est question d’individus qui, ayant servi une cause, s’étant même mis à sa disposition, se retrouvent dévorés par elle sitôt qu’elle s’est émancipée de la tutelle qui l’a fait naître, qui l’a nourrie jusqu’à la faire sortir de son lit pour qu’une fois sur le sol, sur ses propres pieds, elle se mette à dévorer non seulement ceux qui l’avaient ignorée mais également ceux qui lui avaient fait la courte-échelle ? Sans le vouloir sans doute, chère madame, vous êtes de celles qui, convaincues de servir une noble cause, ont fait la courte-échelle à l’ogre qui s’est ensuite retourné contre vous lorsque vous n’avez pas voulu l’accompagner dans les différentes phases de sa mutation monstrueuse. Je ne vous dis pas ces choses pour vous accabler, au contraire je dois vous féliciter d’avoir vu, finalement assez vite, que le monstre était libéré et il est sain que vous vous soyez à votre tour rebellée contre lui.

Mais il faut bien qu’au moment de faire l’appel, chacun pèse ses propres responsabilités dans la survenue du désastre.

C’est aujourd’hui l’histoire tragique des féministes débordées par leur gauche, responsables d’avoir hier chéri les causes dont elles se plaignent aujourd’hui des conséquences. Vous êtes, Marguerite Stern, comme ces anciens aristocrates qui, « craignant de passer pour insensibles », sont allés jusqu’à scier la branche sur laquelle ils étaient assis. Et ce au nom de quelques sentiments, louables sans doute, sincères probablement, mais qui, n’étant que des sentiments, n’auraient pas dû devenir des combats politiques entre autres parce qu’un sentiment, aussi pur soit-il et même à cause de cette pureté, empêche le plus souvent de mesurer les conséquences de son application politique et interdit de jauger les suites pourtant prévisibles de l’effet domino. L’idéologie de la transidentité, le transgenrisme, le transexualisme, la déconstruction de tout, l’abolition des réalités biologiques, tout ceci, comme hier la Révolution, n’est pas tombé du ciel sans raisons mais parce qu’en amont une succession d’erreurs, au nombre desquelles le féminisme n’est pas la plus petite, a ouvert la boîte de Pandore d’où l’on sort maintenant les femmes à pénis, les hommes enceints, les cures de testostérone, l’écriture inclusive et les mutilations génitales. Sans l’étape du féminisme militant qui a abattu les digues, sans notamment le mariage homosexuel qui a accoutumé les populations à la transgression des normes historiques, sans les Femen qui ont repoussé les limites de la provocation et ainsi affaibli les défenses immunitaires de la civilisation, nous ne verrions pas aujourd’hui se déployer sous nos yeux la folie woke qui n’est jamais que la dernière mutation en date de l’idéologie moderniste-individualiste.  

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Bien entendu, il ne s’agit pas de vous comparer à une aristocrate, encore moins de prétendre que les wokes sont les misérables de l’Ancien régime. Ce que je veux mettre en évidence, c’est un processus plusieurs fois répété dans l’Histoire où des hommes et des femmes finissent dans le ventre de l’ogre qu’ils croyaient avoir dompté. Or on ne dompte jamais un ogre, car l’ogre est comme le scorpion de la fable qui après avoir été aidé par la grenouille à traverser la rivière, la pique mortellement en disant simplement : « c’est dans ma nature ». Pourtant la grenouille, d’abord effrayée par l’idée de se laisser approcher par le scorpion dont elle connaissait la dangerosité, aurait dû refuser de l’aider. Mais sans doute craignait-elle, comme nos aristocrates des salons de l’Ancien régime, de « passer pour insensible » ; elle a donc cédé à un sentiment, mauvais conseiller, au lieu d’envisager la situation avec la rationalité que sa connaissance des scorpions lui imposait.

Pouvait-on prévoir l’ogre ?

Pour répondre à cette question, il faut en passer préalablement par un succinct rappel de philosophie politique : historiquement, nous considérons qu’il y a deux camps, la gauche et la droite. Le premier incarne, revendique et même réclame toujours plus de progrès et dans cette matière il est insatiable. Chaque fois qu’il obtient une victoire, il en réclame une de plus pour consolider la précédente et préparer la suivante. Car la gauche, en tant qu’idéologie mouvante, ne peut jamais être rassasiée dans la mesure où son objectif n’est pas d’atteindre un certain point social mais de le repousser toujours plus au nom du progressisme. Or le progrès, dès lors que nous l’avons défini comme « l’idée que l’on peut toujours faire évoluer les choses », ne s’arrête jamais parce qu’en soi, mécaniquement, on peut toujours « faire évoluer les choses » : de l’union traditionnelle on peut aller vers le PACS, du PACS on peut aller vers le mariage homosexuel, du mariage homosexuel vers la PMA, de la PMA vers la GPA ; du français codifié on peut aller vers la féminisation des noms et des métiers, de cette féminisation on peut aller vers l’écriture inclusive ; et ainsi de suite, tout le temps, dans tous les domaines. Et lorsque cette nouvelle gauche aura obtenu satisfaction sur chacun de ces points, elle sortira de son chapeau de nouvelles revendications, ad vitam aeternam, jusqu’à la dislocation totale de la société, d’ailleurs déjà bien entamée. Elle veut déconstruire jusqu’à la dernière pierre de l’édifice.

En face, la droite. Selon les circonstances, on les appelle parfois « des conservateurs », un mot souvent utilisé à la manière d’une insulte mais qui dit pourtant les termes : conserver, c’est l’inverse de déconstruire. Contrairement à la gauche qui pratique le temps immédiat et dont l’objectif est de satisfaire les caprices au nom de l’individualisme quitte à défaire la société, la droite préfère le temps long qui fait le choix raisonnable de la survie du groupe quitte à frustrer certains caprices individualistes. Pourquoi ces différences ? J’imagine que nous pouvons dire que la droite a une meilleure conscience, une conscience plus claire des réalités sociales et sait qu’un édifice commun, terriblement difficile à bâtir et à stabiliser, est avant tout le fruit de l’expérience des siècles ; que le temps long a été nécessaire pour inscrire dans les faits, dans les mœurs et dans les coutumes l’habitus qui permet l’équilibre. Bien entendu, cet équilibre, s’il est fonctionnel dans l’ensemble, peut bien être perfectionné dans le détail, ce que la droite ne nie pas. Mais contrairement à la gauche qui veut satisfaire immédiatement et sans recul chaque nouvelle lubie dès qu’elle pointe le bout de son nez, la droite répond que c’est le temps long qui juge une idée, non une passion immédiate, et qu’avant d’inscrire une énième lubie dans le fonctionnement général il est préférable de mesurer d’abord quels effets boule de neige elle est susceptible de produire.

A ne pas manquer, notre nouveau numéro en vente aujourd’hui: Causeur: «Schiappa la chipie», après “Playboy”, elle répond aux puritains

Il se trouve justement qu’en matière d’individualisme, l’école de droite a mis en garde contre les effets d’une libération des pulsions individuelles, déjà avant la Révolution puis pendant et encore plus après. Il y a chez Louis de Bonald par exemple, chez Léon de Montesquiou, chez Taine aussi d’ailleurs et chez beaucoup d’autres des démonstrations intellectuelles qui anticipaient les effets délétères pour le groupe d’une libération trop brutale des passions personnelles. La République a fait le choix de n’en rien écouter et progressivement, puis de façon effrénée ces dernières décennies, elle a laissé croître au sein du corps culturel de la nation différents germes qui, ayant donnés leurs fruits pourris, dévastent aujourd’hui la paix civile en multipliant les causes de conflits. Il y avait pourtant une troisième voie entre l’État totalitaire qui régente jusqu’à l’intimité des individus et l’individualisme totalitaire qui convainc chacun qu’il est à la fois la victime d’un système et la solution qui le fera tomber : il ne fallait donner le primat ni à l’individu contre le groupe ni au groupe contre l’individu mais à l’individu dans le groupe. C’est-à-dire : un homme, une femme, conscients de leur valeur propre et reconnaissants de vivre harmonieusement avec les leurs. Or pour réussir cet équilibre il faut créer entre les individus des occasions de se comprendre : plus une population est homogène, mieux ses membres se comprennent et collaborent spontanément aux mêmes desseins sociaux et culturels. Dans ce cas, grâce à cette fraternité de mouvement, les lois deviennent presque inutiles, sauf quelques-unes nécessaires à l’organisation purement logistique de la société. Lorsqu’une population est hétérogène, c’est-à-dire que ses membres, loin de se comprendre, ne peuvent plus collaborer aux mêmes desseins puisqu’ils en ont tous des différents, les tensions naissent, s’accroissent et nécessitent finalement de plus en plus de lois pour les contenir. Une société hétérogène est condamnée à devenir une société de policiers qui doivent réprimer et de juges qui doivent condamner.

Le féminisme compte au nombre des sabotages : en convainquant les femmes que les hommes les exploitaient et qu’elles devaient s’en émanciper, il a contribué notablement à la dégradation de la paix en créant les conditions d’une lutte invraisemblable entre les hommes et les femmes. Pourtant, après quelques années de « déconstruction », il est possible de tirer un bilan des œuvres du féminisme, notamment en posant cette question simple mais directe : est-ce que les femmes sont réellement plus heureuses aujourd’hui que ne l’étaient nos grands-mères hier ? Elles ont une liberté de mouvement accrue, c’est certain ; elles peuvent assumer des indépendances (électorales, bancaires, professionnelles, etc.) qui leur étaient insupportablement interdites jadis, tout cela est vrai. Mais puisqu’elles ont été réclamées et obtenues grâce aux mauvaises méthodes du féminisme militant qui a politisé les relations entre les hommes et les femmes, ces conquêtes matérielles, au lieu de s’ajouter aux bonnes formes de la vie d’une femme, les ont remplacées. En somme, pour la faire salariée, le féminisme lui a fait renoncer à être mère, et pour l’étouffer de « progrès sociaux » il l’a détournée de l’époux, de la figure paternelle, du clocher et de la communauté locale. L’universalisme avait réussi à déraciner l’homme de son écosystème culturel et social pour en faire un consommateur interchangeable ne croyant plus qu’en l’impérative nécessité de jouir du confort matériel, le féminisme, sinistre acolyte de l’universalisme et sa continuation logique, l’a aidé à précipiter la femme dans la même cuve. Or c’est précisément parce qu’elle avait anticipé ce résultat que la pensée de droite mettait en garde contre l’action d’un féminisme mal senti ; mais la gauche, qui hébergeait le féminisme, a préféré pendant toutes ces années faire croire que cette opposition de la droite n’était que haine, frustration et misogynie, et elle a encouragé les féministes à lui répondre en repoussant toujours plus les revendications et les provocations. Nous mesurons aujourd’hui l’étendue des dégâts d’un tel procédé. C’est sur ce sol contaminé d’hostilités inutiles, de colères mal canalisées et de perceptions erronées qu’a poussé le wokisme qui a lui-même enfanté le transactivisme.

Et maintenant ?

Il est des maux qu’on ne pansera plus car il est trop tard. Comme dans une guerre, il y a ceux qui reviennent et ceux dont les corps sont laissés sur place, dans la boue des tranchées, sous la poussière des bombardements, et dont le souvenir est entretenu par les survivants qui se disent ensuite : plus jamais ça. Notre devoir est de travailler à l’affaiblissement des forces du venin woke. La chose ne sera possible que si le diagnostic est correctement posé ; or pour le poser bien, il faut bien nommer les choses, bien identifier les sources du problème pour les tarir, savoir correctement quelles fautes ont été commises pour ne plus les reproduire. Il faut donc pouvoir apostasier, rien de moins ! Renier ses erreurs passées et faire cette chose qui n’est pas la plus simple en politique : reconnaître que ses anciens adversaires avaient raison. Non pour s’humilier ou s’avilir, non plus pour flatter des egos et permettre à ces anciens adversaires de fanfaronner : mais parce que ces étapes sont nécessaires pour rétablir du sens, de l’ordre et de la direction là où des erreurs passées ont semé la dérive, le chaos et la subversion.

Chère Marguerite Stern, certains de mes propos peuvent sembler vous accuser et ainsi vous déplaire, ils ne vous blesseront pourtant jamais autant que les actions des Femen nous blessaient, nous les amis de la pudeur encore attachés au sacré et au calme d’une église. Ils ne feront jamais sur vous l’effet que faisaient sur nous les outrances de vos anciennes amies. Ce n’est pas notre colère que vous flattiez, c’est nos cœurs que vous brisiez, et nos cœurs, je vous le garantis, ne sont pas pleins des mauvaises pensées que nos adversaires nous attribuent. Nous voulons une société paisible où vivre est une aventure plaisante ; et une telle société a existé, perfectible bien sûr, mais à défaut d’avoir jamais atteint la perfection au moins avons-nous connu, il n’y a pas si longtemps, un équilibre où les bienfaits l’emportaient sur les désastres. Nous voulons en revenir à cet état de civilisation, ce qui nous impose en effet de combattre ceux qui en plus de chercher à nous en empêcher travaillent même à accélérer l’éboulement général. Toutes les bonnes volontés sont convoquées pour cette mission historique au-devant de laquelle les événements nous placent tragiquement : la mission de sauver nos enfants, de sauver la joie, de sauver la France du péril qui a commencé de les dévorer.

Sur cette barricade où il faudra tenir bon, nous aurons toujours une place pour vous, Marguerite Stern.

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Tant qu’il y aura des films

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L'étrange Monsieur Victor. © Pathé

Comme chaque année, en mai, le barnum du Festival de Cannes vitrifie les sorties en salle des autres films. Circulez! Hors de la Croisette, il n’y a rien à voir. Pour combattre cet incroyable monopole, il suffit de se tourner vers des ressorties sur grand écran. Et là, au moins, avec Grémillon, Fellini et Blier on peut rester les yeux grand ouverts.


Grand maître

L’Étrange Monsieur Victor, de Jean Grémillon
Sortie le 3 mai

Un film avec Jules Auguste Muraire, dit Raimu, ne peut pas être foncièrement mauvais. C’est du moins ce dont on est persuadé ici. Et quand il s’agit d’un film réalisé par le décidément trop délaissé Jean Grémillon, tout va pour le mieux. Signé par les talentueux Charles Spaak et Marcel Achard, le scénario de L’Étrange Monsieur Victor déroule habilement la trame d’un drame psychologique mâtiné de polar qui évite tout pathos. Mari attentif d’une charmante épouse (Madeleine Renaud), père aimant d’un nouveau-né, Victor Agardanne (Raimu) est un commerçant honoré. Difficile de soupçonner que, dans son arrière-boutique, cet homme affable le jour devient, la nuit, le receleur d’une bande de cambrioleurs ; jusqu’à ce que, menacé de chantage par l’un d’eux, il le tue. Son voisin, Bastien, cordonnier de son état (Pierre Blanchar) est accusé du meurtre à sa place et condamné au bagne. Après sept ans de détention, Bastien parvient à s’évader, revient trouver Victor, lequel lui propose alors de subvenir à ses besoins… Le tout commence comme une comédie provençale à la Pagnol, Toulon et Raimu faisant la blague. Mais le récit bascule insensiblement vers le drame.

Un mot d’abord sur Grémillon qu’il faut à tout prix remettre en lumière, comme nous y incite Bertrand Tavernier dans son Voyage à travers le cinéma français. À son propos, le brillant scénariste Charles Spaak écrit : « Il était intelligent, cultivé, il savait écrire, peindre, composer de la musique. Il était beau, généreux, faisait très bien la cuisine, adorait la vie. Il avait tout pour réussir et il a eu une existence contrariée, sans arrêt marquée d’échecs. Cela venait de son caractère : il aimait travailler avec les scénaristes, avec les acteurs, il était passionné par le montage mais malheureusement, il n’aimait pas les producteurs et ils le lui ont toujours bien rendu. » Au-delà de cette malédiction, il reste donc ses 17 films, de Maldonne, en 1928, jusqu’à L’Amour d’une femme, en 1953, avec quelques chefs-d’œuvre, outre celui nous occupe ici : Gueule d’amour, Remorques, Lumière d’été, Le ciel est à vous.

A lire aussi, du même auteur : Dany Boon refait inlassablement le même film

L’Étrange Monsieur Victor n’est pas le plus abouti ni le plus admirable de ses films, mais il est indéniablement le plus noir, le plus en demi-teintes, à l’instar de ces persiennes de l’appartement toulonnais du personnage principal qui ne laissent en permanence passer qu’une demi-lumière, une demi-vérité, une demi-personnalité. Ou comment un simple élément de décor peut devenir la métaphore d’un propos presque moral. Et Raimu de prêter sa fausse bonhomie, sa feinte jovialité, sa désarmante nonchalance à ce demi-monde. On songe inévitablement au Michel Serrault du film de Claude Chabrol, Les Fantômes du chapelier : il a lui aussi son Bastien, son cordonnier, en la personne du tailleur joué par Charles Aznavour qui est également sa mauvaise conscience. Tourné en 1938, après Gueule d’amour et avant Remorques, L’Étrange Monsieur Victor est d’une maîtrise exceptionnelle avec, évidemment, Raimu au cœur de sa distribution. Il est plus que parfait en homme tourmenté et rongé par la culpabilité. Au début du film, il est comme chez Pagnol ou d’autres : provençal à souhait, aimable, souriant, le père de famille idéal. Mais Raimu a accepté de faire vaciller sa propre statue pour se transformer en être brutal et impatient parce qu’il ne supporte plus d’avoir fait condamner un innocent. Or, Raimu, star incontestable de l’époque, prend un vrai risque à jouer ainsi un personnage déplaisant. Il va jusqu’à surjouer la faconde marseillaise, véritable marque de fabrique de son succès. Du grand art que Grémillon sait capter en filmant son acteur dans la pénombre de l’ambiguïté. Ici, Raimu, le Roi-Soleil de la Canebière et autres lieux méridionaux, révèle sa part sombre de façon incomparable.

Grand art

Buffet froid, de Bertrand Blier
Sortie le 3 mai

Buffet Froid. © Studio canal

Il y a eu Drôle de drame, du tandem Carné-Prévert avec Jouvet, Simon et Barrault en 1937. Et il a fallu attendre 1979 pour qu’avec Buffet froid, écrit en solitaire, Bertrand Blier renoue avec l’esprit de la farce macabre assez peu pratiquée en France. Depardieu, Carmet et Blier père font ici des étincelles d’absurde absolu et de dérision assumée. Tout commence par un mort qui parle avec un couteau en plein ventre dans les couloirs du RER de La Défense. Tout finit en pleine nature, dans une barque sur un Styx moderne. Entretemps, les mots d’auteur et l’abracadabrantesque le disputent au trivial poétique cher à Blier. Le film ressort dans une version impeccablement restaurée. On croit le connaître, mais des surprises sont toujours au rendez-vous de ce bijou noir. Pour être complet dans le registre, on peut ajouter que deux ans plus tard, avec son réjouissant Coup de torchon, Bertrand Tavernier a donné à Carmet et à Blier une nouvelle postérité digne d’intérêt.

A lire aussi, du même auteur : Tous pour rien

Grande dérision

Il Bidone, de Federico Fellini
Sortie le 17 mai

« Pour pouvoir décrire l’univers d’Il Bidone, il me fallait descendre dans une sorte d’enfer où les hommes ont des consciences et des rapports de bêtes, c’est-à-dire que je devais réduire mon propre univers moral afin de créer les personnages de l’intérieur. Mes héros sont difficiles à aimer ; ils offrent aux spectateurs une image peu flatteuse d’eux-mêmes, que beaucoup devraient refuser. » Qui mieux que Fellini lui-même pour donner l’enjeu de son film ? Tout est dit ou presque à propos d’une œuvre que le public de l’époque a boudée, reprochant à Fellini de ne pas reproduire ce qu’il avait fait avec La Strada. Or, Il Bidone se rapproche beaucoup plus d’I Vitelloni, soit la description de personnages sans véritable profondeur, qui n’ont pas trouvé comment conduire leur vie et se comportent en parasites sociaux. Fellini signe ici l’un de ses plus beaux films méconnus. Une sorte de conte qui s’abstrait de toute morale.

Il Bidone. © France 2 cinéma.

Pourquoi Emmanuel Macron ne peut pas comprendre l’opposition à la réforme des retraites

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Manifestation contre la réforme des retraites, Paris, 19 janvier 2023. © OLIVIER CHASSIGNOLE/AFP

Du travail et de la retraite. Une lettre ouverte au président, par Anne Mansouret…


Monsieur le président de la République, nous appartenons, vous et moi, à cette catégorie de chanceux qui ont pu suivre le conseil de Confucius : « Choisis un travail que tu aimes, et tu n’auras pas à travailler un seul jour de ta vie. » Cette citation, je l’ai répétée à l’envi dans mes interventions de vice-présidente, au cours de mes 15 ans de mandats départementaux et régionaux, lors des remises de diplômes ou d’inaugurations dans les collèges, les lycées et les formations en tous genres. J’ai fait mien ce principe tout au long de ma vie, refusant de poursuivre l’exercice d’une activité professionnelle dès lors que je n’avais plus passionnément envie de m’y consacrer. C’est ainsi qu’à 77 ans, après 10 ans dans les services aux particuliers et aux entreprises, 15 ans dans la communication et 20 ans de politique, je suis aujourd’hui taulière, propriétaire et gestionnaire de meublés de tourisme, c’est-à-dire au boulot 7/7 et 350 jours sur 365 par an ! J’ai programmé ma retraite à 85 ans.

A relire, du même auteur: Un chef, c’est fait pour cheffer…

Vivre ou survivre

Seulement voilà : comme vous et une partie de la population que j’évalue aujourd’hui à plus ou moins 30% de nos compatriotes actifs, j’ai pu « choisir ». Choisir les études que j’aimais, choisir les propositions et l’environnement qui me convenaient, choisir de prioriser mes vies professionnelles successives plutôt que ma vie familiale. Mais choisir est un privilège.

Anne Mansouret D.R.

Les faits sont têtus, et les études concordantes : environ un tiers de la population active travaille dans des secteurs peu valorisants et mal rémunérés. Ils font partie des exécutants dans l’industrie, le bâtiment ou les services aux collectivités et à la personne. Ils travaillent pour survivre. Un second tiers se rend au travail sans plaisir ni rejet particulier. Mais leur vie professionnelle est un moyen, pas une fin. Leur salaire, seulement la possibilité de faire face financièrement à leur vie personnelle, aux crédits, à leurs besoins quotidiens et à leurs vacances. Enfin 30% des actifs, après avoir le plus souvent suivi un cursus d’études supérieures ou être sortis de grandes écoles, s’en va bosser avec enthousiasme. Ils ont souvent la trentaine, appartiennent aux catégories socioprofessionnelles très aisées et ont acquis un statut confortable dans une fonction d’encadrement, ou ont « créé leur boite » dans un secteur où « ils s’éclatent » Ces derniers, Monsieur le président, vous les connaissez. Ils vous entourent au quotidien dans l’exercice de vos responsabilités, et ce sont les mêmes futurs « premiers de cordée » que vous rencontrez dans vos déplacements, prétendument au cœur des « territoires ». Je vous ai beaucoup observé, au cours de ces plongées dans la France des villes moyennes : vous dites des mots, vous prononcez des discours, vous serrez des mains, vous touchez l’épaule ou la nuque de certains, mais vous n’avez pas l’intuition, ni surtout l’expérience des autres. Et ça se voit. Au steeple-chase politique, vous avez sauté les étapes, ingrates certes, mais indispensables, du quotidien d’un candidat et d’un élu. Cet agenda local qui vous amène à connaître des milliers de parcours humains, à travers des milliers de porte-à-porte, des centaines et des centaines de permanences, de réunions de quartiers, de fêtes populaires, de commémorations patriotiques et de repas d’anciens… Parce que la politique est une science fondamentalement humaine. C’est une vocation, et si ce n’est pas une profession, c’est un métier. Je dirais même un artisanat.

Un président pédagogue

A défaut d’avoir pratiqué ce contact humain, à défaut d’avoir écouté, des années durant, ces travailleurs ou ces demandeurs d’emploi modestes et ordinaires, vous n’avez pas pu comprendre leur opposition frontale à la réforme qui leur était imposée. Vous n’avez pas perçu la détresse de ces femmes et de ces hommes qui n’exercent pas un métier dangereux ou dont la pénibilité est reconnue, mais pour lesquels le travail est une contrainte. Ceux-là même qui défilent contre le report à 64 ans de l’âge de la retraite. Vous pensez qu’ils n’ont pas compris ; ou qu’on leur a mal expliqué ; ou qu’ils n’ont pas le bagage intellectuel et culturel, les compétences nécessaires pour admettre le caractère indispensable de cette mesure en termes économiques et financiers, en termes de déficit budgétaire ? Mais là n’est pas le problème. En tous cas, là n’est pas leur problème.

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Fahrenheit 49.3

De même que le travail n’est pas synonyme pour tous d’épanouissement, la retraite ne marque pas, pour presque deux tiers de nos compatriotes, la fin de leur vie professionnelle, mais au contraire, son aboutissement. Oui, cela peut paraître aberrant ; et j’avoue que si j’avais continué à vivre dans le 8ème arrondissement de Paris à conseiller des VIP, je ne l’aurais pas cru… Mais, à partir de 50 ans, le travailleur « français moyen » rêve de sa retraite, économise pour sa retraite, se projette à la retraite ! Se lever plus tard. Se consacrer (ou pas) à des loisirs associatifs. S’occuper (ou pas) de ses petit-enfants. Bricoler, entretenir son jardin ou promener son chien… Quelle que soit son espérance de vie, personne, voyez-vous, personne n’est prêt à renoncer à ces deux ans de liberté en bonne santé.

Alors, « quoi qu’il en coûte », Monsieur le président de la République, vous vous grandiriez en renonçant à cette réforme dont les Français ne veulent pas et dont vous subirez les effets pendant quatre ans dans un climat social accablant. Cessez de vous adresser aux privilégiés, à ces yuppies auxquels (comme vous) tout a réussi (ou presque). Qu’importe l’exemple des Allemands, des Espagnols, des Néerlandais, des Italiens, ou les ukases de Madame Von der Leyen… Vous finirez par faire prendre en grippe l’Europe à tous nos compatriotes, à force d’éradiquer les acquis sociaux pour nous imposer les critères financiers de l’Union ! Je vous prie de croire, Monsieur le président de la République, en l’expression de ma très haute considération.                                  

Évreux, le 1er mai 2023

Pif de la Mirandole

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Le président Macron lors du grand débat des idées avec 64 intellectuels, Paris, 18 mars 2019 © Jacques Witt/SIPA

«Nous sommes hypnotisés par des dieux dérisoires et notre souffrance redouble de les savoir dérisoires» (René Girard)


« E lucevan le stelle, Ed olezzava la terra / Et les étoiles brillaient, et la terre embaumait » (Tosca). 29 avril 2023, Saint-Denis, finale de la Coupe de France. Cornériseur cornérisé, dans le tunnel, Emmanuel Macron, se lamente et repense au triomphe du 15 juillet 2018, à Moscou, 4-2 ! Il y a cinq ans, Jupiter marchait sur l’eau, renversait l’armoire, les vieux partis, le monde d’avant. Aujourd’hui, champion du Hic et Non, de la querelle des universaux, il emmerde les non-vaccinés, la turba qui veut lui crever la paillasse.

Fausses notes dans la symphonie du Nouveau Monde

En décembre 1486, Jean Pic de La Mirandole défrayait les dépenses de tout érudit acceptant de venir à Rome débattre de ses 900 Conclusions philosophiques, cabalistiques et théologiques. En mars 2019, Emmanuel Macron dialoguait sur France Culture avec 64 intellectuels dans tous les domaines du savoir, de la recherche et de la pensée contemporaine. À 02h31 du matin, le Prince philosophe concluait huit heures de débats non-stop, invitant « chacun dans sa condition » à cogiter pour rendre ce débat « régulier, fort et vivant ».

La symphonie du Nouveau Monde et les douze travaux d’Hercule se terminent par une interview dans Pif Gadget, des concerts de casseroles et vuvuzelas. Rahan, fils des âges farouches, de Ricoeur et Crao a perdu la baraka, son couteau en ivoire et collier aux cinq griffes. Emmanuel Popeye, premier de cordée, cherche la dent du guignol, la piste vers le refuge. Plus il s’angoisse, moins ça va mieux. Gare aux Goraks… Raaahaa ! Comme jadis Napoléon avec les songes de ses soldats, Emmanuel Gamelin et Elisabeth Weygand dressent leurs plans de batailles avec les sornettes des ministres endormis. Le maitre des horloges, prisonnier d’une feuille déroute intenable, 100 jours de symbolique poissarde, n’a plus la main… Le « vol de l’Aigle » avant les pigeons voyageurs annonçant Waterloo.

A lire aussi, Philippe Bilger: Finale de la Coupe de France: comme si de rien n’était…

En 2020 Emmanuel Macron voulait « enfourcher le tigre… sortir des sentiers battus, des idéologies, nous réinventer – et moi le premier ». Depuis six ans, Monsieur 100 000 volte-face, alias Shere Khan, Winnie l’ourson, Tigrou, Tigresse et Kung Fu Panda, n’a cessé de se confesser et réinventer : leader martial, Lucien Jeunesse ‘Réponses à tous’ des forums citoyens, Monsieur Champagne animateur d’ateliers Croq’ vacances-démocratie participative, Maréchal Joffre de la guerre bactériologique… La dernière posture présidentielle, c’est le martyr : Emmanuel Saint-Sébastien stoïque fait don de sa personne, de sa réforme des retraites et retraite des réformes, à la France. Trop de métamorphoses tue les Métamorphoses.

Ridicule

Petit télégraphiste naïf, Jupiter a pris son risque et des râteaux avec Europe, nos alliés, l’OTAN, des vents à Moscou, Pékin, Alger, sans oublier les Alertes rouges en Afrique noire. Pas de vécu, de boussole, de ligne d’horizon, un gouvernement sans envergure, Bibi Fricotin blablateurs, Falbala d’O.pérette : la politique du chat crevé au fil de l’eau.  Le buzz, les polysynodies, passements de jambes, cabotinages permanents, lassent. Hors-sol, le président n’a pas pris la mesure des maux qui minent le pays (Etat en cessation des paiements, démagogie, corporatismes, séparatismes, naufrage éducatif…). Il n’a pas plus de courage que ses prédécesseurs, ne dit pas la vérité aux Français. Il paie cash les malentendus et toute l’addition. C’était écrit.

Je me souviens de Ridicule (1996). L’abbé de Villecourt, arriviste, brillant causeur, prouve l’existence de Dieu : « …Celui qui est par lui-même ne peut changer. Or le temps est la mesure du changement. L’infiniment parfait ne change pas : Unité, Immutabilité, Éternité, c’est… (hurlant) C’est lui ! C’est Dieu ! Causa sui ! Sa propre cause ! Ah ah ah ! ». Grisé par son triomphe et les applaudissements, il s’enflamme dans sa péroraison : « Ce n’est rien. J’ai démontré ce soir l’existence de Dieu. Mais je pourrais tout aussi bien démontrer le contraire quand il plaira à sa Majesté ! Ah ah ah ! ». Stupéfaction, silence désapprobateur ; le roi et la cour se lèvent, abandonnent le bonimenteur. La phrase de trop… Aujourd’hui c’est la nation qui désapprouve et se lève. L’hubris et les sophismes ont perdu l’abbé de Villecourt et Emmanuel Macron ; ils chevauchaient le tigre.

A lire aussi, Emmanuel De Waresquiel: La révolution, les urnes et la rue

Je me souviens du documentaire de Barbet Schroeder, Général Idi Amin Dada : Autoportrait (1974). Le président ougandais commente une manœuvre d’invasion d’Israël et du plateau Golan : deux chars Sherman, un vieil hélicoptère, des fusées de détresse, une section d’élèves parachutistes qui s’entraînent sur un toboggan pour enfants… Le général hilare conclut la séquence : « Victoire sur les hauteurs du Golan ! ». Semper ad alta ! « Beaucoup de choses que nous pensions impossibles adviennent mais retenons ça. Le jour d’après, quand nous aurons gagné, nous ne reviendrons pas au jour d’avant » (Emmanuel Macron). Je rugis comme le tonnerre, je frappe comme la foudre ! (Devise du 67e régiment d’artillerie d’Afrique).

Pour cheffer, il n’est pas nécessaire d’être aimé, de se réinventer tous les trois mois, d’avoir le BAFA (Brevet d’Aptitude aux Fonctions d’Alexandre le Grand). Il faut des principes, du sang-froid, du charisme, un peu de bouteille. Nous sommes loin du compte. Le plus inquiétant, c’est que le président ne semble pas apprendre de ses erreurs.  Les Hibernatus de gauche, de droite, du centre, insoumis en peau de lapin, du monde d’avant et d’après, auraient-ils fait mieux, feront-ils mieux ?

Les Français élisent leur président, des représentants, pour les moquer, les conspuer, les haïr. En 2017, avec Emmanuel Macron, ils ont eu la main très sûre, ils ont trouvé un cador. En 2027 les mouches vont changer d’âne. Les candidat.e.s idoines ne manqueront pas. Une manière de diner (électoral) de cons. Cette Tragedia dell’arte pourrait mal finir. Le danger et l’angoisse font partie de l’ivresse. Mensonge politique et vérité carnavalesque. « La tendance mimétique fait du désir la copie d’un autre désir et débouche nécessairement sur la rivalité » (René Girard).

900 conclusions philosophiques, cabalistiques et théologiques

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Picollec le Breton

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L'éditeur Jean Picollec. D.R.

L’éditeur Jean Picollec est décédé à l’âge de 84 ans


Jusqu’au bout, il aura édité. Jean Picollec est mort à l’âge de 84 ans le 27 avril à Paris. Nous nous étions encore vu quelques semaines auparavant lors de la remise de la traditionnelle « Coupe du meilleur pot » par l’Académie Rabelais à la brasserie Le Sully, boulevard Henri IV. Il m’avait à l’occasion présenté son nouvel auteur, Jack Voukassovitch, dont il venait d’éditer le premier polar, Nettoyage par le vide. Éditeur, cet enfant de Concarneau (bien que né au Maroc), l’était devenu après ses études d’Histoire au temps de la guerre d’Algérie. D’abord de façon très classique chez Larousse, puis en cofondant en 1972 les éditions Alain Moreau avec son confrère éponyme. Il y restera jusqu’en 1978, privilégiant les documents à sensation, à l’instar de Dossier B… comme barbouzes du rocambolesque Patrice Chairoff mais aussi les premiers livres de Jean Montaldo (Dossier S… comme Sanguinetti) ou Pierre Péan (Bokassa 1er).

Un coup terrible

En 1978 donc, il fonde sa propre maison d’édition qu’il animera pendant près de 45 ans. Un de ses plus gros coup éditorial sera d’avoir programmé la parution de la biographie d’Oussama Ben Laden par Roland Jacquard le 12 septembre 2001. Une légère modification de couverture dans la soirée du 11 septembre lui suffira pour assurer un succès d’édition : 83 000 exemplaires en édition courante, 40 000 en poche, traduction en 26 langues. D’autre part, de 1987 à 1992, pour le compte de Vincent Bolloré puis d’Alain Lefebvre, il apporte son concours aux éditions de La Table Ronde.

A lire aussi, Thomas Morales: L’esprit Hussard bouge encore!

Feu sur le jacobinisme!

Le vrai combat de Jean Picollec, fils de marin-pêcheur, fut celui pour la renaissance culturelle de la Bretagne qui l’amena à se lier avec le poète anarchiste chrétien Xavier Grall et les écrivains Jean Bothorel et Jean-Edern Hallier. C’est d’ailleurs en Bretagne que nous nous sommes liés au début de ce siècle, à la grande époque des festivals « Étonnants voyageurs » ou Michel Le Bris conviait à Saint-Malo les romanciers A.D.G., Michel Déon et Jean Raspail. Entre le bar de l’Univers et le Fort national, un festival « off » s’improvisait où l’on pouvait croiser Sébastien Lapaque, Olivier Maulin, Grégoire Kauffmann et même Sylvain Tesson. Une bande de joyeux drilles cultivés que Jean Picollec observait d’un œil amusé et une bière à la main.

Jean Picollec photographié en 2011. D.R.

En 1979, avec Jean-Edern Hallier, il avait fomenté une liste « Régions-Europe » qui avait pour fonction de pourfendre le jacobinisme et de chouanner jusqu’à Bruxelles s’il en était besoin. Elle n’obtint que 337 voix dans l’ensemble du pays, faute de bulletins de vote présents dans les bureaux. Mais la liste des noms, à forte tonalité bretonne, demeure croustillante. En effet, outre Jean-Edern Hallier comme tête de liste, y figuraient par ordre d’apparition le chanteur Glenmor, Xavier Grall, le bretonnant Gweltaz Ar Fur, le maoïste Michel le Bris, l’historien Jean Markale, Jean Bothorel, Jean Picollec, l’écrivain Yannick Pelletier et Gwenn-Aël Bolloré, l’un des rares Français à avoir débarqué le 6 juin 1944 sur les plages normandes. Tel était le petit monde de Jean Picollec qui repose désormais selon sa volonté en terre bretonne.

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Finale de la Coupe de France: comme si de rien n’était…

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Le Président de la République confiné discrètement en tribune pendant la finale de la Coupe de France, le 29 avril 2023 au Stade de France. © JP PARIENTE/SIPA

Alors que la finale de la Coupe de France, le 29 avril, s’annonçait mouvementée pour Emmanuel Macron, à cause des contestations annoncées, le président a décidé de ne pas trop se montrer. L’analyse de Philippe Bilger.


On pouvait tout dénier au président de la République, mais pas le courage, la capacité d’affronter ses opposants, la volonté de les convaincre, l’audace de démontrer sans cesse que la France profonde ne lui était pas interdite, qu’il pouvait être partout « le roi en son royaume » et au fond qu’il n’avait peur de rien. Dans son premier mandat, il paraît que l’épisode le plus traumatisant avait été celui du Puy-en-Velay quand des gilets jaunes l’avaient contraint, sous protection, à une fuite rapide. Cette résistance, que même ses adversaires les plus résolus ne lui contestaient pas, ce courage, s’ils étaient permis et facilités par un service d’ordre qui veillait à ne pas offrir trop d’opportunités d’affrontements à ses contradicteurs tenaillés par l’envie d’en découdre, créditaient son image de quelque chose qui relevait presque du panache français.

Une double dérogation à la tradition sportive

Aussi, quelle déception, à la fois humaine et démocratique, que de savoir qu’après 1000 tergiversations, avant la finale de la Coupe de France, il avait validé une double dérogation à la tradition: il n’irait pas saluer les deux équipes de Nantes et de Toulouse sur le terrain avant le début du match, mais leur rendrait visite dans les couloirs et les vestiaires. Il ne remettrait pas la coupe sur le terrain, mais dans la tribune présidentielle. Je sais bien que pour ces deux entorses, d’excellents arguments sont formulés par les défenseurs de l’ordre, mais il n’en demeure pas moins qu’ils auraient été considérés nuls et non avenus si le président lui-même était demeuré fidèle à sa ligne de conduite habituelle: affronter, faire comme si de rien n’était, tenir son rang. Toutes les arguties sur les troubles politiques et sociaux ne dissimuleront pas ce constat: le président cède le pas. Et la place.

A lire aussi : Macron, encore plus sourdingue que Quasimodo!

D’autant plus que depuis la fin constitutionnelle, mais laissant un profond sentiment d’inachèvement républicain du débat parlementaire sur les retraites, il avait connu et subi bien pire dans le pays.

Et soudain, il se cache…

Je suis persuadé que cette double exception, avec un président « se planquant », contrairement à tout ce qu’on attendait, dans une compétition sportive qui ne pouvait pas, en cette période, ne pas faire surgir de la politisation, aussi intruse qu’on la considère, va aggraver le déficit dans l’opinion d’un président qui, depuis sa réélection et cette loi que beaucoup s’obstinent à récuser, se bat contre ce qui paraît un irrésistible courant hostile.

Sur un autre registre, sans la moindre comparaison évidemment, tant le présidentiel et ses craintes l’emportent sur le judiciaire et ses risques, je me souviens de certaines de mes sorties tardives de cour d’assises où, plutôt que de fuir par l’arrière, je passais par-devant, protégé précisément par cette démarche, respectée d’abord par ceux qui récusaient l’arrêt de condamnation. Ce soir-là, grande victoire pour Toulouse, sacré nouveau champion de France. Et dans tous les cas, une petite défaite, une déconvenue surprenante, une triste reculade s’ajouteront au passif présidentiel. On ne quitte pas impunément Cyrano pour Louis-Philippe.

Devoirs de vacances

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Etienne Klein au Festival du livre, Paris, 22 avril 2023 © LAURENT BENHAMOU/SIPA

Etienne Klein publie « Courts-Circuits » (Gallimard, 2023). Malheureusement, les démonstrations du physicien ne parviennent pas toujours à convaincre le béotien…


Un court-circuit est rarement de bon augure : il provoque la panne de courant, voire l’incendie. Pourtant, Etienne Klein, l’alpiniste – philosophe – physicien « vulgarisateur » bien connu – 26 ouvrages au compteur, sans compter les films, les articles, les interventions, les préfaces, les émissions, le site internet… – décide de multiplier l’étincelle électrique, sous les espèces d’une dizaine de petits chapitres numérotés de un à 10, mais qu’il nous invite à picorer selon notre caprice dans l’ordre ou dans le désordre. Sciemment sans queue ni tête, ce court « essai » intempestif se donne ainsi pour un vagabondage disparate, passant du coq à l’âne à bride abattue sans trop se soucier d’ordonnancement diégétique.

Etienne Klein a tout lu

A l’auteur, on imagine que l’exercice ne fut pas déplaisant. Le lecteur n’y trouve pas forcément son compte. Malicieux, voire étincelant – car Klein sait briller, et sait trop bien qu’il est brillant -, grevé de citations en épigraphe – car Klein a tout lu – , son petit volume tient plus du recueil que du missel. C’est avec philosophie, adossé à Paul Valéry que dans son texte liminaire, l’auteur surdoué célèbre « l’intelligence des mains » à travers la mémoire de Pascal, non pas celui du « pari » mais Pascal son frère aîné mécano, mort subitement un soir de réveillon, il y a un peu plus de deux ans.

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Hommage appuyé à Michel Serres (1930-2019), le second texte milite pour une pensée croisant sciences dures et sciences humaines, réconciliant poème et théorème… Quitte à risquer de mauvais calembours – Einstein, des Stones – le jeu des rapprochements incongrus rabat le père de la relativité sur le groupe de musique immarcescible, par le vecteur de la langue, au propre comme au figuré. Ainsi Etienne Klein nous brosse-t-il la saga du « logo le plus iconique de l’histoire du rock : une sorte d’écho graphique épuré de la bouche lippue de Mick Jagger. Symbole à la fois d’insolence et de provocation sexuelle, cette langue tirée entre deux grosses lèvres se démultipliera – exactement comme celle, plus pointue, d’Einstein en 1951 », soit la célèbre photo qui « lui collera ensuite à la peau tel un tatouage indélébile, autant que la pomme à celle de Newton » …

D.R.

S’ensuit, sous la plume de notre fringuant mémorialiste, des variations vertigineuses connectant le physicien Niels Bohr et son confrère sous l’angle de la mécanique quantique telle que revisitée dans les années 1980 par Alain Aspect, alchimie littéraire établissant, s’il faut l’en croire, « au sein même de l’espace-temps, par l’entremise de quelque trou de ver ou de riff rageur, une étrange connivence (…) entre Albert Einstein et les Rolling Stones ». Pourquoi pas ? La prose érudite et claironnante d’Etienne Klein se pose sur les concepts comme un pinson sur des branches au volume intimidant : « La raison rend-elle raison de la déraison ? » s’interroge un chapitre entier, sautant d’Ampère à Montaigne en passant par les mathématiciens grecs, le fondateur de la théorie des ensembles Georg Cantor, Michel Foucault et la conjecture de Poincaré…

Combinaisons mentales

Ces assauts d’intelligence donnent un peu le tournis, d’autant qu’ils coudoient, de l’aveu même de notre auteur, des « questions à la fois obligatoires et vaines » comme de savoir si l’on aurait été résistant ou collabo, prélude à développements virtuoses autour de Jean Cavaillès, philosophe mathématicien « finalement condamné à mort le 4 avril 1944 par un tribunal militaire allemand et fusillé le lendemain même, à Arras ». Survols hâtifs de l’histoire des sciences ? Réflexions impromptues sur des énoncés complexes, revisités à l’aune des ultimes découvertes de la science – par exemple la loi de la chute des corps ?

A lire aussi: Le valet du tyran, la perfide Albion et ses cousins germains

Ces Courts-circuits de très haut voltage corroborent le constat dirimant émis par Etienne Klein, invoquant par la voix d’un proche de René Girard, Jean-Pierre Dupuy « l’incroyable inculture de nombreux intellectuels français en matière scientifique et technique, à commencer par leur rapport aux mathématiques ». Hé oui, il y a des cerveaux rétifs aux maths, c’est comme ça. Intellectuel ou pas, quel n’est pourvu d’un tel bagage peinera, avouons-le en toute modestie, à suivre Etienne Klein dans chacune de ses combinaisons mentales : si, par exemple, le récit de ses expériences personnelles d’« impesanteur » (chap. VIII) est probablement accessible au commun des mortels, les digressions autour des « chambres à bulle » et du « principe d’incertitude », ou encore les télescopages sur les heurs de la gravitation, d’Aristote à Einstein en passant par Galilée,  nous restent presque aussi hermétiques que leurs imprescriptibles formulations mathématiques. Bref, la résolution de cette « chimie nouvelle » n’est pas tout-à-fait gagnée : le livre refermé, n’en déplaise à Etienne Klein, on se sent encore plus bête qu’on ne croyait. Français, encore un effort si vous voulez être savants.         

Courts-Circuits. Essai d’Etienne Klein. NRF Gallimard, 210 pages.

Courts-circuits

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Causeur: «Schiappa la chipie», après « Playboy », elle répond aux puritains

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© Causeur

Découvrez le sommaire de notre numéro de mai


Enfin une femme politique qui s’affranchit à la fois des diktats néo-féministes et de la langue de bois institutionnelle ! La secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale et de la Vie associative, se confiant à Elisabeth Lévy et à Jean-Baptiste Roques, explique que « ce n’est pas parce qu’on est ministre qu’on est obligé d’être sinistre », ajoutant que « les Français attendent qu’on règle leurs problèmes, pas qu’on fasse la gueule ». Pour la première fois, elle s’explique aussi sur le fonds Marianne.


Dans son édito du mois, Elisabeth Lévy commente la tentative d’Emmanuel Macron de faire oublier la réforme des retraites en annonçant une énième réforme de l’école. Comme toujours, il s’agit de lutter contre les inégalités sociales. « On demande donc tout à l’École, tout, sauf de transmettre des connaissances ». Il est probable que, dans un avenir proche, l’euthanasie sera légalisée en France. Cette maîtrise de sa propre mort, aboutissement ultime du contrôle de sa propre vie, est réclamée par une grande partie de la population. Mais l’analyse proposée par le philosophe, essayiste et romancier, Olivier Rey, suggère que cette mesure individualiste se double de tant de dérives et de paradoxes que c’est la société entière qui en paiera les conséquences. De son côté, Daniel Pendanx commente le récent suicide assisté d’une jeune Belge en « état de souffrance psychique ». Cet acte représente plus qu’une dérive de la légalisation de l’euthanasie, c’est un meurtre légal qui permet à notre société d’assumer son incapacité à sauver une génération totalement déconstruite. Les personnels des sociétés produisant des fictions pour la télé, le cinéma et les jeux vidéo doivent désormais se plier à un stage pour « prévenir et agir contre les violences sexistes et sexuelles dans l’art et la culture ». Pierre Berville dénonce une censure à peine déguisée dans un milieu déjà travaillé par la culture woke. Thierry Marignac se confie à Jérôme Leroy au sujet de son nouveau livre La Guerre avant la guerre : chronique ukrainienne. L’écrivain et traducteur y donne une vision de la genèse du conflit russo-ukrainien qui sort des sentiers battus et rebattus par les médias. Retrouvez aussi les chroniques de Jean-Michel Delacomptée, Emmanuelle Ménard, Olivier Dartigolles et Ivan Rioufol

Extrême-gauche, antifas: les idiots utiles de Macron

Présentant notre dossier, Elisabeth Lévy souligne le contraste entre la menace d’extrême-droite qui serait omniprésente selon la Nupes et la violence très réelle des antifas et autres black blocs. « Le plus inquiétant, c’est l’indulgence dont [ces derniers] bénéficient dans une partie non négligeable de l’opinion et des médias, qui partagent leur haine des forces de l’ordre et préfèrent passer leurs méfaits sous silence ». Qu’il s’agisse des notables de la gauche mélenchonienne ou des casseurs antifascistes dans la rue, « ils apparaissent largement comme les idiots inutiles du pouvoir ». Selon le philosophe Pierre-Henri Tavoillot, interviewé par Jean-Baptiste Roques et Jonathan Siksou, « à l’extrême gauche, la pensée s’est dissoute dans un geste de pure contestation ». Et c’est au détriment de la délibération et de l’intelligence politiques. Selon ma propre analyse des groupuscules antifas, ils ont une idéologie marxo-wokiste très nébuleuse mais un objectif très clair : délégitimer la police devant l’opinion publique. Dans cette guerre qui est une guerre psychologique et de communication, ils disposent de relais importants parmi les journalistes, juristes et universitaires. Le chercheur en histoire, Gilles Vergnon, se confiant à Maximilien Nagy, explique que les antifas actuels ignorent les motivations historiques de l’antifascisme – la lutte contre les régimes fascistes – et désignent comme « fachos » aussi bien l’État que le capitalisme ou le patriarcat. Enfin, Marsault nous montre jusqu’où vont la sincérité et l’authenticité d’un grand nombre de ces anticapitalistes. À l’instar de la municipalité, Sciences-Po Grenoble est un vivier de militants islamo-gauchistes. Les syndicats étudiants y exercent un régime de terreur sur les professeurs et la direction qui préfèrent ne pas moufeter, par opportunisme ou conviction. Céline Pina a recueilli les témoignages de deux enseignants qui en ont fait les frais, Vincent Tournier et Klaus Kinzler. Un autre chercheur, Jean Szlamowicz, linguiste et essayiste, raconte comment le monde universitaire, au nom du Bien et du Progrès, sait faire taire ceux qui, en son sein, ne pensent pas dans le sens de la doxa. Ce qui reste d’esprit libre, pour ne pas dire critique, est muselé, surveillé, dénoncé, traqué, accusé puis condamné.

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Notre rubrique « Culture & humeurs » commence dans le deuil : Henri Beaumont rend hommage à l’anthropologue et historien du droit, Pierre Legendre, qui nous a quittés le 2 mars. Son œuvre nous a laissé autant de pistes de réflexions que d’arguments à opposer à notre civilisation à la dérive. À l’occasion de l’exposition, « Louis XVI, Marie-Antoinette et la Révolution : la famille royale aux Tuileries (1789-1792) », aux Archives nationales, le chercheur Emmanuel de Waresquiel s’est entretenu avec Jonathan Siksou au sujet d’un épisode qui apparaît comme une tragédie humaine et historique. Julien San Frax nous invite à visiter une autre exposition, celle du Petit Palais consacrée à Sarah Bernhardt, et François Kasbi à lire une biographie d’Arthur Meyer, grande figure de la presse du XIXe siècle et fondateur du musée Grévin. Jérôme Leroy déplore le silence qui entoure le centenaire d’un des plus grands génies de la littérature américaine, Norman Mailer. Pierre Lamalattie se montre dubitatif devant la campagne, soutenue par les descendants de Gustave Eiffel et la Ville de Paris, pour faire entrer le « père » de la célèbre tour au Panthéon. En regardant de plus près comment l’ingénieur a bâti le monument et son héritage, on a de bonnes raisons d’émettre des réserves. En revanche, pour Patrick Mandon, celui qui a réussi l’exploit de relier la mer Méditerranée à la mer Rouge par le canal de Suez, Ferdinand de Lesseps, mérite largement sa réputation posthume de diplomate et entrepreneur hors du commun, ainsi que de faire l’objet de la biographie remarquable que Ghislain de Diesbach lui a consacrée. Sophie Bachat nous parle du savoir-faire séculaire de la confection des chapeaux et Jean Chauvet de trois grands films ressortis en salle au mois de mai qui nous permettent d’oublier le Festival de Cannes. Selon le dicton : « Mai sans rose / Rend l’âme morose ». À cet égard, on ne peut pas comparer le Festival de Cannes à une rose.

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Le wokisme est un fascisme

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L'enseignant et essayiste Jean-Paul Brighelli © BALTEL/SIPA

Des éditeurs français ont donc décidé de suivre les « corrections » politiquement correctes que les Anglo-Saxons imposent à des œuvres écrites il y a des décennies, celles de Ian Fleming, Roald Dahl ou Agatha Christie — avec la bénédiction des héritiers avides de se concilier les bonnes grâces des nouvelles générations. Notre chroniqueur n’a qu’un mot pour désigner cette censure préalable: fascisme. Un Point Godwin pour lui !


Fin juin 1940, juste après la visite d’Hitler au Panthéon, l’Académicien Abel Bonnard prononça à la Sorbonne une conférence sur l’Art classique. Paul Léautaud note dans son journal qu’il en profita pour « exprimer l’espoir que l’ère des « romans morbides et donjuanesques soit à jamais close ». » Et de commenter : « Ce sot, qui n’a jamais écrit que pour ne rien dire, en poussant plus avant son point de vue, censurerait sans doute aujourd’hui la déclaration de Phèdre à Hippolyte comme attentatoire à la saine morale. » C’était préparer la « liste Otto », qui répertoriait ce qui était publiable, et ce qui ne l’était pas.

Rappel pour ceux qui n’étaient pas là à cette époque. Bonnard était Académicien, et sera ministre de l’Education du gouvernement Laval. On le surnommait « gestapette », eu égard à des mœurs qu’il cachait mal. Léautaud note, en juin 1943, que Bonnard, en sa qualité de ministre « vient d’inviter les examinateurs à être indulgents pour les étudiants dans leurs examens. Excellente mesure. Il n’y a pas assez de cancres à diplômes. Il y en aura davantage. » Il faut savoir que la dérive des notes a commencé sous Vichy. Les profs qui s’y adonnent sous prétexte que l’Inspection Générale le leur demande sont, à la lettre, des collaborateurs.

Bonnard s’enfuit à Sigmaringen à la Libération, puis en Espagne, où il mourut en 1966. Les gouvernements gaulliste, giscardien et mitterrandien, tout en affirmant à juste titre que Vichy n’était pas la France, ont pieusement conservé sa photo dans le grand escalier de la rue de Grenelle, où s’affichent les binettes de tous les ministres depuis les débuts de la IIIème République. C’est François Bayrou qui le fit supprimer à son arrivée au ministère en 1993.

Léautaud note que « Abel Hermant a été solidement conspué par de jeunes étudiants lors de sa conférence à la Sorbonne ». Aujourd’hui, son homologie woke serait acclamée. Pour peu qu’il ait ajouté « écologiste » à sa caractérisation des œuvres espérées, il serait porté en triomphe.

A relire: Abel Bonnard, éternel «Gestapette»

Patrice Jean, qui dans L’Homme surnuméraire imaginait ce qui arriverait à Céline si on coupait dans ses œuvres tout ce qui peut offusquer tel ou tel segment du crétinisme national, a ici même analysé le rôle castrateur des « sensitivity readers » chargés d’éliminer tout ce qui défrise les uns et offense les autres. Il explore à fond les conséquences littéraires d’une telle censure préalable, et je n’y reviendrai pas.

Mais je voudrais dire deux mots de ses implications politiques.

Parce que les wokistes, les censeurs, les père-la-morale de 18 ans ne se contentent pas d’être de consternants imbéciles. Ce sont en fait des fascistes.
Fascistes, les organisations syndicales — SUD, pour ne pas le nommer — qui organisent des réunions organisées « en non-mixité raciale », en 2017.
Fascistes, les étudiants (les talibans aussi sont « étudiants ») qui ont empêché une représentation des Suppliantes d’Eschyle en 2019 sous prétexte de black face.
Fascistes, ceux qui ont empêché Sylviane Agacinski la même année de s’exprimer.
Fascistes, les étudiants de l’université américaine d’Evergreen qui en 2019 aussi ont harcelé un enseignant jusqu’à ce qu’il démissionne — et le cas est loin d’être unique…
Fascistes, les étudiants de Sciences-Po Grenoble qui ont poussé à la suspension de deux enseignants en les accusant d’islamophobie — en 2021.
Fascistes, les pseudo-transgenres, mauvais lecteurs de Beauvoir qui les aurait méprisés, tout glorieux d’une identité sexuelle floue, qui s’en prennent à J.K. Rowling parce qu’elle affirme qu’une femme a des ovaires et un utérus.
Fascistes, les hystériques qui ont couvert la librairie Mollard, à Bordeaux, de graffitis pré-vengeurs pour dénoncer une séance de signatures de Frédéric Beigbeder il y a deux jours, puis s’en sont prises directement à l’auteur. Pas des femmes libérées : des nervi, au même titre que les Chemises noires mussoliniennes obligeant les intellectuels à boire une bouteille d’huile de ricin. Je regrette fort que Beigbeder ne leur ait pas répliqué à grands coups de taloches. Comme l’expliquait Sartre dans Réflexions sur la question juive, la seule façon de convaincre un menhir, c’est de taper dessus. La seule façon d’expliquer à une Chienne de garde qu’elle dit des âneries, c’est de lui administrer une fessée.
Fascistes, les journaux et magazines qui approuvent ces débordements. J’ajouterai que les publications qui rajoutent un -e- à auteur ou professeur quand la personne susdite a un vagin sont aussi des fascistes. Parce que le fascisme, comme disait très bien Barthes, consiste aussi à « obliger à dire ». Et que ces collabos du wokisme veulent nous obliger à parler contre la langue. Un tyran de Syracuse, au IVe siècle, avait interdit le mot démocratie, espérant qu’à force la notion disparaîtrait. C’est de la même eau.
Et fascistes, les universitaires qui ne recrutent plus que de pseudo-chercheurs spécialistes de la « question du genre ». Et des imbéciles, car ils trouveront toujours plus convaincu et jusqu’auboutiste qu’eux. Face aux fascistes, ressortons la boîte à claques. En attendant de les envoyer faire un long, très long stage dans les rizières de Camargue, comme le suggérait déjà le président Mao dans un texte apocryphe…

A relire: Mort à la littérature!

Je ne sais pas si, selon les critères tordus de quelques atrophiés du bulbe, je suis « d’extrême-droite » juste parce que je suis républicain. Mais je sais très bien reconnaître un fasciste quand j’en vois un. Et aujourd’hui, sauf exception très marginale, ils ne sont pas à l’extrême-droite. Ils occupent la presse bien-pensante, celle qui trouve qu’Edouard Louis est un écrivain et qu’Annie Ernaux pense — ou l’inverse. La vraie extrême-droite n’est pas à Valeurs actuelles, ni sur Cnews, ni sur Causeur, vecteurs d’un pluralisme de bon aloi. Elle est à Libé, au Monde, à France-Inter, ou sur Médiapart, et dans tous les médias qui ont inversé les adjectifs, comme l’avait fait Big Brother avant eux, qui appelait ministère de l’Amour le haut-lieu de la répression. Des médias où l’on cultive l’entre-soi de façon systématique.

Ces titres (et quelques autres) modifient la langue pour plaire à leur clientèle de profs de gauche (il en reste, ils ont voté Macron deux fois, en 2017 et 2022 pour éviter l’hydre néo-nazie et maintenant ils manifestent, c’est vous dire s’ils sont idiots) selon les principes de la novlangue orwellienne. Ce qu’ils nomment « gauche » est objectivement fasciste — voir Mélenchon. Et ce qu’ils appellent « intersectionnalité des luttes » est un procédé visant à oublier les exactions commises par tel ou tel communautarisme, libre de ses agissements dès qu’il est bronzé, et qui maintient les femmes dans une servitude qui finit par passer pour volontaire — voir La Boétie sur le sujet.  

Les belles âmes devraient se soucier d’intégrer tous les immigrés qui le souhaitent dans la culture française, laïque et universelle — et virer ceux qui résistent. Mais cela supposerait qu’elles réfléchissent — et elles ne sont plus en état. Ou plus exactement, elles affichent leur souci de mixité scolaire tout en inscrivant leur progéniture dans de bons établissements préservés — et j’ai des preuves surabondantes des interventions de journalistes et d’enseignants pour que leurs rejetons s’épargnent les établissements difficiles : l’apartheid sociologique, c’est eux — et personne d’autre. Et ce serait moi le fasciste ? C’est cela, l’inversion des valeurs — et rien d’autre. Le cœur à gauche, mais le portefeuille et la carte scolaire à l’extrême-droite.

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De la dilatation des corps subtils

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Bruno Le Maire prend la pose chez lui, Paris, 21 avril 2023 © Eric Dessons/JDD/SIPA

Au moment même où sa politique budgétaire fait Fitch, Monsieur le Grand Argentier de France s’illustre dans la gaillardise littéraire. 


Quelques lignes de son imposant roman Fugue Américaine font un tabac. Elles caracolent d’écran en écran, se murmurent de bouche à oreille jusque dans les endroits les mieux tenus de la République, si toutefois il y en a encore. 

Le succès est tel que je ne résiste pas au plaisir de vous en faire partager un tout petit morceau : « Elle me tournait le dos; elle se jetait sur le lit; elle me montrait le renflement de son anus. « Tu viens, Oskar ? Je suis dilatée comme jamais. » On en conviendra, voilà qui donne envie. On notera au passage que notre auteur se montre, par ailleurs, adepte du point virgule. À l’ancienne. Vieux style. La classe. L’agrégé ès lettres qu’il est se débusque dans ce genre de subtilité. La retrouve-t-on, cette classe, cette subtilité, dans le choix du terme «  dilatée » ? À voir. Est-ce qu’on écrirait, par exemple, qu’une rose à son meilleur de l’offrande – si sensuelle – de son parfum est dilatée? Sans doute non. Alors on s’émeut. Au secours Ronsard ! Au secours Jean Genet, lui si inventif dans la poétique des combats de l’arrière. Ici, dirait-on, la froideur technocratique de l’énarque investit jusqu’au traitement littéraire du déduit. Dommage. On aurait espéré mieux. Quelque chose de plus élevé, de plus vibrant et chaud. « Dilatée, dilatée ! Est-ce que j’ai une gueule de dilatée? » pourrait en effet s’offusquer une belle au bord de l’abandon. 

On nous dit que l’auteur serait du matin. Il trousserait sa prose entre cinq et sept, à l’heure où blanchit la campagne. Après quoi, plein d’entrain, parfaitement échauffé, au zénith de sa forme, il s’en irait à son ministère des Finances où, comme on sait, enculer le contribuable est de pratique constante. Tout un art, même. On saisit mieux dès lors pourquoi notre écrivain revendique avec une telle force d’entretenir, dans sa vie même, un lien des plus étroits entre ses fictions et sa réalité. 

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