Accueil Culture Plongée (hispanique) en eaux troubles : vertigineux

Plongée (hispanique) en eaux troubles : vertigineux

Alberto Rodriguez témoigne d’un talent irréprochable


Plongée (hispanique) en eaux troubles : vertigineux

Los tigres, le nouveau film du cinéaste espagnol Alberto Rodriguez, réussit à mélanger deux genres, à la fois un « film social » sur le milieu des plongeurs professionnels et un thriller non dépourvu de réflexions sur les rapports familiaux et le vieillissement. En salles, le 31 décembre.


Au début, on est un peu noyé : mais à quoi s’activent donc ces scaphandriers ? Et puis, de minute en minute, l’intrigue s’éclaire – et s’étoffe. « El gordo » (le gros), patron ventru et sémillant (Joaquin Nunez) protège et galvanise sa petite équipe de plongeurs qui, depuis son rafiot, descendent en eaux profondes pour assurer de menues réparations sur les câbles sous-marins ou sur la coque des pétroliers qui relâchent en rade d’un port espagnol riverain d’une énorme installation pétrochimique. Sur ce secteur de la maintenance, la concurrence étrangère se fait rude. Antonio (Antonio de la Torre), dit « El Tigre », a de la bouteille : il est le vétéran barbu de ces travailleurs risque-tout qui, tout comme lui, peinent à joindre les deux bouts. 

Après tant d’années en apnée, la santé d’Antonio commence à donner des signes d’inquiétude. D’autant que Cinta, sa femme, dont il est séparé – petit rôle antipathique assumé par Silvia Acesta – n’arrange pas la situation :  intraitable, sous la menace d’un juge s’il ne lui paye pas la pension qu’elle exige de lui, ce dragon-femelle le prive de son droit de visite auprès des deux gosses qu’ils ont eus ensemble. Au bout du rouleau, Antonio s’accroche, soutenu par sa petite sœur Estrella (Barbara Lennie), également plongeuse, avec qui il partage gîte et couvert. 

Or, voilà que, dissimulées dans les cales d’un pétrolier qui accoste ici toutes les trois semaines avec une régularité métronomique, il a par hasard identifié des cargaisons de « poudre ». Dans la cervelle de ce « Tigre » bien fatigué et de l’imaginative Estrella, sa sœur en meilleure forme que lui, germe une idée : profiter d’une plongée pour percer discrètement les colis, aspirer sous vide dans chacun d’entre eux une quantité négligeable de drogue, trop peu pour que le vol soit repérable par les trafiquants, et la revendre sur le marché local, où Estrella possède les bons contacts. Comme on s’en doute, les choses ne tarderont pas à se compliquer… 

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Alberto Rodriguez témoigne d’un talent irréprochable dans une combinaison habilement dosée : d’un côté de la balance,  un « film social » sur la condition précaire de ces « petites mains » qui, invisibles autant qu’indispensables, font tourner la puissante machine industrielle à leurs risques et périls ; de l’autre, la restitution quasi documentaire de ces « interventions » dangereuses en milieu aquatique ( tournage probablement coriace, d’autant que la prise de vue prend manifestement grand soin d’éviter le double écueil, et de la joliesse paysagiste, et du spectaculaire hollywoodien) ; et enfin, sous l’alibi du thriller (au suspense haletant parfaitement maîtrisé), un regard sensible porté sur le rapport à la famille et aux siens, au vieillissement, à la mémoire de l’enfance, au pressentiment de l’avenir… D’un bout à l’autre, Los Tigres est sous tension. 

Il est vrai qu’Alberto Rodriguez n’est pas né de la dernière pluie. Très attendu, Los Tigres appareille dans le sillage ouvert par Groupe d’élite (2012), La Isla minima (2014), L’homme aux mille visages (2016)… Votre serviteur vous invite toutes affaires cessantes à visionner sur Arte TV, en accès libre actuellement, un film plus ancien du cinéaste, Les 7 vierges (2004) : portrait acide, cru et tendre à la fois de la délinquance juvénile à la sauce espagnole. Le moins qu’on puisse en dire, c’est que le tableau, en 2025, n’a pas pris une ride. D’un vérisme sauvage, le film est aussi captivant, aussi novateur que purent l’être en leur temps quelques perles du néo-réalisme italien. 

A noter également qu’Alberto Rodriguez vient de réaliser cette année, sous forme de mini-série, l’adaptation éponyme du roman-essai de l’écrivain espagnol Javier Cercas paru en 2009, Anatomia de un instante : celle-ci revient sur la tentative de coup d’État perpétrée à Madrid, le 23 février 1981, par des officiers nostalgiques de Franco. Putsch que fit avorter, comme l’on sait, la détermination du roi Juan Carlos 1er.  Sachez enfin qu’on reverra bientôt sur grand écran Barbara Lennie, comédienne très convaincante : ce sera dans le prochain Almodovar, Amarga navidad – sortie prévue en 2026.            

Los Tigres. Film d’Alberto Rodriguez. Avec Antonio de La Torre, Barbara Lennie, Joaquim Nunez… 

Espagne, couleur, 2025. Durée : 1h49

En salles le 31 décembre 2025



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