Noël est en train d’être effacé au profit de quelque vague « fête d’hiver » qui n’a rien de traditionnel. Car nous avons peur de la tradition, peur de tout ce qui fonde notre identité sur le plan historique et culturel. Notre religion aujourd’hui, c’est celle du rien offensant. Tribune.
La France est un bien beau pays, Noël y a lieu. Il figure encore dans les agendas, sur les relevés bancaires, dans les conversations prudentes. Mais Noël y a changé de nature. C’est maintenant une fête qui s’excuse d’exister, un marqueur politique.
Alors on ne dit plus “Noël”, on dit “les fêtes”. C’est plus doux, plus flou, plus conforme à l’époque, une époque qui préfère les périphrases aux racines et les intentions aux héritages. On allume les sapins comme on poserait un disclaimer. Surtout, ne rien affirmer.
La société multiculti a inventé un Noël sans origine, dégraissé de son histoire, désinfecté de son sens, recyclable à l’envi. On garde le décor (l’économie y tient), mais on enlève la crèche – trop connotée – car la conscience susceptible de nos contemporains s’en méfie. On célèbre, oui, mais à condition de ne surtout pas savoir quoi.
Le bon Philippe Muray aurait esquissé ce sourire fatigué de ceux qui ont vu venir la chose. “Homo festivus” décrivait déjà cette humanité joyeuse par obligation, festive par principe, incapable de supporter ce qui fonde et oblige. Une société qui fête tout, tout le temps, précisément pour n’avoir plus rien à transmettre.
Bienvenue donc dans notre société délicieusement postmoderne qui confond l’inclusion avec l’effacement, qui croit accueillir en se retirant, qui pense être universelle en devenant vague. Recevoir un héritage est désormais suspect, transmettre presque indécent. Alors on remplace la mémoire par l’émotion, la culture par le ressenti, la continuité par une ambiance de flonflons. On se réunit, on sourit, on consomme, et l’on évite soigneusement toute idée qui pourrait ressembler à une identité.
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Ce Noël chichiteux n’est ni modeste ni généreux. Il est inquiet, il a peur d’être accusé, peur d’être mal compris, peur surtout d’assumer une existence sans mode d’emploi validé par avance. Pourtant Noël n’a jamais obligé personne à croire. Il oblige seulement à reconnaître d’où l’on vient, où l’on vit. Visiblement, cela est devenu trop lourd à porter dans la France molle du “en même temps”.
Noël n’est pas menacé par les autres. Il est miné de l’intérieur, par une fatigue civilisationnelle avancée, par cette religion du rien offensant, par cette idée très “fashion” selon laquelle toute affirmation serait déjà une violence.
Nous ne vivons plus dans une société qui doute. Nous vivons dans une société qui s’excuse de son histoire, de ses fêtes, de sa continuité, de son existence même.
À force de neutraliser, de désinfecter, de déminer symboliquement chaque mot, chaque rite, chaque héritage, on ne pacifie rien, on stérilise. On ne rassemble pas, on vide. On ne protège pas, on abdique. Ce n’est pas l’Autre qui nous efface, c’est nous qui avons pris goût à disparaître proprement, poliment, en musique, sous les guirlandes.
Quand un pays en arrive à rougir de Noël, ce n’est pas Noël qui est en trop, c’est le pays qui commence à manquer de lui-même.
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