Tous pour rien

Tant qu'il y aura des films...


Tous pour rien
©Pathé Films

Alexandre Dumas n’avait pas mérité ça: le massacre à la tronçonneuse qu’opère un film français sur ses Trois Mousquetaires laisse un goût amer dans la bouche.


« On peut violer l’histoire, à condition de lui faire de beaux enfants », écrivit un jour Alexandre Dumas qui parlait en orfèvre. Son génie lui permettait tout en la matière, y compris d’inventer un surnom à Marguerite de France que jamais personne avant lui n’appela « Margot ». C’est pourtant ainsi qu’on la désigne désormais. On pourrait multiplier les exemples des erreurs, raccourcis, inventions et autres réécritures pratiqués par Dumas et ses nègres pour faire de l’histoire de France un merveilleux réservoir d’histoires tout court. Montecristo est ainsi l’un des plus beaux enfants de la littérature française, tout comme la Nuit de la Saint-Barthelemy dans La Reine Margot déjà citée. Oui, les enfants inventés de toutes pièces par Dumas et son génie fécond méritent de figurer au panthéon de nos lectures d’enfant puis d’adulte. On y trouve tout ce qui nous manque tant et si souvent : du souffle, du panache, de l’humour et du tragique. Bref, du romanesque en veux-tu, en voilà. Élevés au lait maternel d’Alexandre Dumas, nous serons toujours à même de nous plonger dans un roman avec le secret espoir d’y trouver une vie meilleure. Alors, quand s’annonce l’adaptation des Trois Mousquetaires sur grand écran, que faire d’autre que de rêver et tout bonnement saliver à la perspective de retrouver les quatre cavaliers de cette machine à rêves flanqués de Richelieu, Planchet, Bonacieux et les autres ? On passe vite sur le nom du réalisateur Martin Bourboulon parce qu’il a récemment et littéralement massacré la vie de Gustave Eiffel avec une tour devenue infernale à cause de lui. On passe aussi vite en apprenant que c’est François Civil, au charisme de courgette, qui incarne d’Artagnan. On jette d’autres voiles plus pudiques sur telle actrice ou tel autre acteur. Bref, on est prêt à tout pour se laisser embarquer et plonger avec délice dans la course aux ferrets.

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Mais c’était hélas sans compter avec les deux scénaristes, Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte, à la tête d’une entreprise de démolition en tous genres. On songe alors à la phrase de Dumas et on se dit que ces deux-là lui ont fait des enfants bien laids… Tout dérape dès l’introduction. Chez Dumas, c’est un festival de malices et de bonheurs narratifs. D’Artagnan est sous sa plume alerte un « Don Quichotte de dix-huit ans » monté qui plus est sur un « bidet du Béarn, âgé de douze ou quatorze ans, jaune de robe ». S’ensuit le réjouissant récit d’une entrée dans la vie qui vire à la raillerie et au désastre. Mais nos deux scénaristes, eux, ont l’esprit de sérieux. Pas question de rire. Il faut du drame et pas qu’un peu. La scène se passera donc de nuit, sous la pluie battante, avec un Bruce Lee d’époque, version fier à bras. D’entrée de jeu, on se bat plus au pistolet qu’à l’épée, ce qui transforme la France de 1626 en une sorte d’annexe d’un western spaghetti des années 1970. C’est triste, sinistre et rigoureusement anachronique. Pour parachever l’ensemble, on donne D’Artagnan pour mort, mais pour bien montrer qu’on a lu tout Dumas (tu parles…), on le fait ressusciter de son cimetière comme Monte Cristo de son linceul. Et tout le reste sera à l’avenant, dans une sorte de frénésie indigeste. Il faudrait recenser toutes les trahisons et se demander la raison de chacune d’entre elles. Pourquoi imaginer un complot contre Louis XIII ? Pourquoi amoindrir la portée maléfique du personnage de Milady en lui inventant un passé de victime familiale (air du temps, je te hais !) ? Et que dire de la bisexualité de l’un des trois mousquetaires ? Envolés les valets de ces soldats qui apportaient leur lot de fantaisie, Planchet en tête. Disparu l’ombrageux Monsieur Bonacieux pour laisser la place à une amoureuse étrangement fade.

On sort de la projection l’âme nostalgique. On se désole à l’idée que certains croiront avoir ainsi découvert le roman de Dumas. Et on se promet surtout de ne pas aller voir la suite déjà tournée : il ne faut jamais encourager les délinquants multirécidivistes, au cinéma comme ailleurs.



Avril 2023 – Causeur #111

Article extrait du Magazine Causeur




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Critique de cinéma. Il propose la rubrique "Tant qu'il y aura des films" chaque mois, dans le magazine

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