Le 7 octobre dernier nous avons, encore une fois, assisté à l’inqualifiable retour du mal radical. Après le 11 septembre, la Bataclan, l’attentat de Charlie Hebdo et de l’Hypercasher, après la reprise en main de l’Afghanistan par les Talibans et la répression du régime des mollah sur leur propre peuple, après les exactions des Shebbabs somaliens, les massacres de l’État Islamique en Syrie et en Irak et tant d’autres, c’est Israël qui a été frappé à l’aurore par la barbarie du Hamas.
Des enfants, des femmes, des vieillards ont été massacrés, brûlés vifs, mutilés, violés. Des jeunes, venant fêter la vie et le rêve d’un futur qu’ils voulaient lumineux, ont été assassinés par le Hamas, la branche armée de ces Frères Musulmans qui s’infiltrent ici en toute liberté. Les barbares de Harakat al Moukawama al islamiya ont jeté l’effroi et l’obscurité en ce jour devant les yeux sidérés du monde. L’anonymat des cadavres, les visages écrabouillés, les organes mutilés, l’odeur fétide de la mort nous renvoient inéluctablement aux pires périodes de l’humanité.
Nous attendions depuis près de trois longues semaines que les gens de culture musulmane brisent le silence face à cette nouvelle offensive du totalitarisme musulman, nous attendions désespérément un ralliement massif sous un « NOT IN MY NAME » ! Ce slogan, que l’on a vu apparaître en diverses occasions, a soudain disparu.
Cette fois-ci, il s’agit d’Israël, murmure-t-on. C’est compliqué, c’est trop risqué, c’est trop clivant, Israël, le point aveugle. Israël, l’aphrodisiaque du monde arabe, serait donc si difficile à soutenir dans son existence ? On convoque le conflit israélo-palestinien, on glose sur la colonisation et les territoires alors qu’en vérité il s’agit simplement de condamner sans appel la barbarie, la haine et la destruction programmée du peuple juif.
Il s’agit de prendre parti dans la guerre mondiale diffuse que mène l’islam pour imposer le règne d’Allah et l’éradication ou la soumission de l’altérité partout sur la planète. C’est d’elle que se réclament tous les islamistes, patients ou agissants, qui se réclament de tous les djihads, guerriers ou civils, que les horreurs du 7 octobre ont galvanisés : ici, encore un professeur exécuté, là ce sont des Suédois abattus, partout des propos et des actes antisémites quotidiens, le tout sous le cri d’« Allah Akbar ! ».
Nous, issus de la culture musulmane, refusons que ses aspects les plus sanguinaires, obscurantistes et antisémites y enferment tous ceux qui en proviennent. Il y a, d’abord, à reconnaître la légitimité de tous ceux, de plus en plus nombreux, qui vont jusqu’à l’apostasie. Le massacre génocidaire du 7 octobre est une atteinte à notre humanité, notre silence nous condamne à en être complices. NOT IN MY NAME
Signataires :
Boualem Sansal, écrivain
Fadila Maaroufi, anthropologue, fondatrice de l’observatoire des Fondamentalismes
Sonya Zadig, linguiste, psychanalyste
Houda Belkadi El Haloui, journaliste
Naïma Belalouz, citoyenne engagée au sein de l’association Les racines de demain et l’institut d’éthique contemporaine
Faycal Jellil, fonctionnaire
Fadila Oulebsir-Agoyer, contrôleur de gestion et retraitée
David Duquesne, infirmier libéral et écrivain,
Hassan Chalghoumi, imam de Drancy, président de la conférence des imams de France
Samia Dussart, recherche d’emploi
M. Chahrazed, enseignant-chercheur
Sandrine Ait Aider, artisan
Khadija Korchi, sociologue
Goudane Smaïn, chauffeur de direction, apostat du sunisme
Michael Shurkin est Américain, expert auprès du think tank Atlantic Council. Il est spécialisé dans les questions militaires et diplomatiques, notamment en Afrique et au Proche-Orient. Il répond ici à nos questions sur l’arc global de crise auquel le monde fait face avec le conflit ukraino-russe et, bien sûr, la guerre en cours au Levant entre Israël et le Hamas.
Causeur. Commençons par le commencement : comment regardez-vous les relations euro-américaines, singulièrement avec la France, à la lumière de l’arc de crise majeur qui s’est mis en place, de notre point de vue, à partir de l’invasion de l’Ukraine, et s’est accéléré à la défaveur de l’attaque du Hamas contre Israël ?
Michael Shurkin. Les relations sont bonnes. Les deux pays ont su s’unir autour de l’Ukraine et, plus récemment, après l’attaque du Hamas contre Israël. La manière dont la France, la Grande Bretagne, et l’Allemagne ont serré les rangs derrière Israël m’a semblé remarquable. Je crois que, de l’autre côté, les Européens apprécient plus qu’avant le leadership américain, bien qu’ils désirent s’en émanciper.
Ceci dit, j’aperçois une certaine frustration des Européens vis-à-vis l’Ukraine en raison de leur capacité limitée à fournir des armes aux Ukrainiens. La lenteur avec laquelle les Allemands agissent est notamment en cause. Les stocks européens sont faibles et les capacités de l’industrie de la défense trop limitées. On constate aussi que la rhétorique d’Olaf Scholz au sujet de la « Zeitenwende »[1] ne s’est pas traduite par des actions concrètes. Une Allemagne plus active et réactive apporterait beaucoup.
Bien sûr, j’accepte que l’on accuse l’Amérique d’une grande hypocrisie sur la question de notre politique industrielle, et le fait que nous agissons souvent d’une façon qui tend à freiner l’industrie européenne de défense… quand par ailleurs nous nous plaignons de sa faiblesse. Les critiques concernant notre position sur le sujet ne sont pas infondées.
Comment avez-vous jugé le déplacement d’Emmanuel Macron à Tel Aviv, puis en Cisjordanie auprès de Mahmoud Abbas, et enfin en Jordanie ? Quel rôle peut selon vous jouer la France dans les tensions au Proche et Moyen Orient ? Notre voix résonne-t-elle encore suffisamment auprès des pays de la Ligue Arabe, essentiels à la résolution du conflit ?
Le déplacement d’Emmanuel Macron était important pour Israël, soulagée par son geste de solidarité et la reconnaissance du fait que les trois membres occidentaux permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies la soutiennent. Il est aussi important qu’il soit allé voir Mahmoud Abbas, afin de souligner que la France et l’Occident ne négligent pas le sort des Palestiniens de la Cisjordanie. Il était aussi essentiel de montrer qu’après-guerre, il va falloir ressusciter le « processus de paix » trop longtemps négligé.
Quant à l’influence de la France au Moyen Orient, et sa capacité à jouer un rôle dans la gestion de ses crises multiples, je ne sais pas. J’estime que l’influence française est moins grande que les Français aiment le penser.
Croyez-vous que ce qui se joue présentement excède le cadre des guerres d’Ukraine, d’Israël, du Sahel et d’ailleurs ? Je m’explique : il semblerait tout de même que ce soit l’Ordre international classique hérité des deux Guerres mondiales du siècle dernier, forgé dans le cœur des idées de la civilisation européenne depuis Grotius, qui soit aujourd’hui attaqué par un axe de pays « non alignés » désirant instaurer une ère dite de multipolarité destinée – selon eux – à mettre un terme à l’hégémonie occidental incarnée par l’Amérique. Que peut faire l’Occident pour éviter que des pays neutres du « Sud global » ne basculent dans l’escarcelle russo-irano-chinoise ?
Il est clair que nous assistons maintenant à un effondrement de l’Ordre international, et de cette « Pax Americana » qui a pu profiter aux États-Unis et à l’Europe. La Russie et la Chine en profitent, bien sûr, mais ce qui est plus troublant, à mes yeux, est l’irrédentisme de pouvoirs moyens, et une politique qui semble fondée sur le ressentiment envers l’Occident et envers ceux qui lui sont associés dans l’inconscient collectif, comme Israël, que par des objectifs constructifs et positifs. Je pense à l’Iran, pays dont toute la politique me parait guidée par le ressentiment et la rancœur. L’Iran, après tout, est derrière la crise actuelle avec Israël, Gaza, et le Liban. Mais je pense aussi à la Turquie, et peut-être même la Hongrie. Les autres pays qui s’associent aux BRICS ou au « Sud global » sont moins malveillants mais cherchent à profiter des bouleversements en cours du monde. Les effets peuvent être malheureux. On voit ça au Sahel, où la politique populiste a pris le dessus et inspire des nouveaux régimes à poursuivre des politiques autodestructives.
Pour y faire face, il faut que l’Occident serre les rangs autant que possible. Il ne s’agit pas de suivre la direction américaine, mais d’essayer plus que jamais de se parler, de se coordonner, et d’agir ensemble. Si Donald Trump gagne la prochaine présidentielle, il faudra que les Européens soient forts et qu’ils retrouvent une volonté d’agir comme ils ne l’ont plus eue depuis longtemps, ni n’ont dû d’ailleurs le faire.
Nous devons aussi rester fermement aux côtés de l’Ukraine. L’Ukraine doit gagner sa guerre. De la même manière, il faut rester au côté d’Israël eu égard au jeu que joue l’Iran dans cette affaire. Le conflit entre les Israéliens et les Palestiniens ne concerne en soi pas directement les Européens, mais la menace de l’Iran est réelle. Même si la politique menée par les Israéliens ne parle pas à beaucoup d’Européens, qui ont leurs raisons parfois légitimes, et que leur affect sincère penche du côté des Palestiniens, l’enjeu pour l’Occident entier est l’Iran. Si on ne parvient pas à neutraliser le Hamas et le Hezbollah, l’Iran va devenir plus fort, et plus dangereux.
Risque-t-on dans pareil contexte que ces conflits régionaux se résorbent finalement par une Guerre mondiale ?
La dissuasion nucléaire reste encore en vigueur, et elle nous sauvera d’une guerre mondiale à l’échelle de celles que nous avons connues au siècle précédent. Cela dit, la dissuasion n’empêche pas des guerres limitées, et nos adversaires sont plus à l’aise que nous dans les « zones grises ». Ils savent comment nous faire du mal sans aller trop loin.
Mais, la possibilité d’une guerre d’une grande ampleur au Moyen Orient est réelle, surtout si l’Iran décide de déclencher un conflit majeur à travers ses supplétifs libanais. Cela peut faire exploser tout le monde arabo-musulman. Cette guerre s’étendrait alors jusqu’aux rues de Paris. Une opération terrestre israélienne dans la bande de Gaza pourrait échauffer les esprits et les consciences… L’Opération Sentinelle aura du travail…
Une fois cela posé, il reste bien évidemment la Chine. Néanmoins, Taïwan ne m’inquiète pas beaucoup. En revanche, l’agressivité de la Chine vis-à-vis des Philippines me préoccupe. Taïwan n’est pas un allié des Etats-Unis, mais les Philippines, si. D’ailleurs, les liens entre les Américains et les Philippins sont forts. La probabilité d’une intervention américaine dans ce conflit est beaucoup plus élevée et immédiate.
De fait, nous assistons en Ukraine au premier conflit de très haute intensité depuis 1945, et partout ailleurs à la renaissance d’enjeux irrédentistes. La tension militaire actuelle se double d’une tension économique et d’accès aux ressources. L’Europe est très fragilisée. Ses accès aux routes énergétiques russes sont en grande partie coupés, et il ne faudrait pas que celles passant par les pays arabes le soient aussi. Dans ce contexte, la politique énergétique française affiche une plus grande résilience, contrairement à l’Allemagne. La France peut-elle jouer un rôle moteur en Europe ?
La guerre ukrainienne sonne l’alarme. Les tensions sont revenues en Europe. Les Européens, qui ont vécu confortablement dans l’après-Guerre Froide, ont perdu l’habitude de réfléchir sur les questions de défense. Il faut que cela change. Surtout au vu de la possibilité d’un retour de Donald Trump et de la montée du sentiment isolationniste chez les Américains. L’Europe risque de se trouver abandonnée par les Américains comme ce fut le cas dans les années 1920 et 1930.
La France peut clairement jouer un rôle moteur, surtout en ce qui concerne le nucléaire. Il va falloir que l’Europe diversifie ses sources énergiques, et s’occupe plus de la concurrence pour les métaux dits « stratégiques. ». Les États-Unis ont moins de soucis en ce qui concerne l’énergie, puisque c’est un pays producteur. Les Américains ont toutefois du mal à se libérer de l’emprise chinoise en ce qui concerne les métaux stratégiques. À mon avis, il faut que les pays occidentaux travaillent ensemble pour bloquer les Chinois et s’assurer de l’accès aux minéraux critiques.
Qui dit multipolarité peut aussi dire multiculturalité. On le constate dans le monde occidental si on fait fi du politiquement correct qui entoure la question : les diasporas et les communautés issues de l’immigration peuvent faire peser une pression constante sur les gouvernements, allant jusqu’à entraver leur souveraineté diplomatique, notamment par peur de la contagion terroriste. La question palestinienne, ainsi que les divers conflits africains pour la France, le démontrent aisément. Quid ?
Sujet compliqué. En règle générale, les Américains portent un regard différent sur l’immigration. Nous sommes un pays d’immigration, et en plus, nous n’avons pas la même notion d’identité nationale. Qu’est-ce que c’est qu’être Américain ? Je ne sais pas. Nous aimons le baseball. Mais après avoir dit ça ? Je ne parle pas des nativistes américains qui sont xénophobes et racistes, ou des chrétiens intégristes qui ont une grande influence politique. En revanche, pour les Européens, être « Français » ou « Italien » a un sens plus clair.
Ceci étant posé, j’observe que la marée des réfugiés continue de monter, et que la situation pour les Américains et les Européens va grandement se complexifier. On ne peut pas accueillir tout le monde. Il faut trouver un juste milieu. Même aux États-Unis, les très grandes vagues d’immigration du XIXème siècle et du début du XXème ont provoqué des problèmes. Nous avons eu des difficultés pour digérer ces masses humaines énormes. Heureusement, avec le temps, et grâce à notre système éducatif, nous avons réussi. C’est pour cela que je prêche un juste milieu. Laissez-les entrer, mais pas trop à la fois. Soyez gentils, mais soyez réalistes.
Il faut aussi admettre que certaines populations immigrées sont plus problématiques que d’autres. Les vagues d’immigrants latino-américains qui traversent la frontière américaine ne posent pas de problème. Pas vraiment, du moins. Je n’aime pas leur influence sur la musique populaire (mes enfants écoutent de la musique Trap et Reggaeton, que je déteste), mais tant pis pour moi ! En balance, les immigrants nous enrichissent. Ce sont, aussi, des gens qui ne cherchent pas de problèmes avec les autorités. Ils ne font pas d’émeutes. Ils travaillent. Mais, certaines populations musulmanes sont plus problématiques. Il ne faut absolument pas généraliser, mais on voit dans les manifestations récentes en Europe et en Amérique contre Israël, et dans la violence contre les communautés juives – laquelle fait partie du quotidien pour les juifs français et allemands depuis longtemps – un manque de valeurs chez certains que les Français appelleraient « républicaines. » La réponse, pour moi, n’est pas la discrimination, ou les lois contre le port du voile, par exemple. Que les gens s’habillent comme ils veulent et profitent de la liberté à leur manière. La réponse est l’école. C’est là où il faut défendre et propager les valeurs républicaines. Et c’est là où je suis devenu sensible aux argumentations « anti-woke, » grâce à l’expérience de mes enfants qui sont scolarisés dans les écoles publiques de Washington, DC. La diversité époustouflante de leurs écoles est magnifique. Elle est bénéfique pour mes enfants, qui ont des amis de toute sorte. Mais la diversité est vendue comme une valeur en soi, et on ne s’intéresse plus à promouvoir une culture commune. Je crains qu’on divise au lieu d’unir. Je vous donne un exemple clair : on n’enseigne plus la littérature anglaise qui était la base de ma formation ; le canon littéraire, après tout, serait raciste. Qui le définit ? Et quand j’ai demandé pourquoi on n’enseigne pas les classiques de la littérature anglaise (Chausser, Milton, Shakespeare, Keats, Conrad, etc.), on m’a répondu que de tels livres n’étaient pas « pertinents » pour les étudiants, qui sont majoritairement noirs et latino-américains. Je sais que tous les auteurs que j’ai lus à l’école étaient blancs, et il fallait corriger ces lacunes dans ma formation, mais, comme toujours, il s’agit de trouver un juste milieu, et de ne pas déposséder les enfants de Washington de l’opportunité d’agrandir leurs horizons et de partager une culture plus grande que leurs milieux immédiats.
En ce qui concerne le terrorisme. On a vu récemment à Arras que le sujet reste sensible. Mais je ne sais pas quoi dire au sujet de la manière avec laquelle la France gère ce dossier. Sauf qu’il ne faut pas être trop indulgent vis-à-vis des milieux islamistes.
L’Occident joue en défense depuis 2022, si ce n’est avant. Les aventures irakiennes, libyennes et syriennes ont montré nos failles. Reste qu’il s’agit toujours du bloc le plus cohérent sur le plan idéologique, mais aussi du plus soudé par des intérêts communs. Comment sortir par le haut de cette crise majeure ?
Encore une fois, il faut serrer les rangs, et il ne faut pas avoir peur d’affirmer notre vision.
Le post-modernisme prétend que la vérité n’existe pas, ou plutôt que les vérités sont variables et dépendent toujours de la subjectivité de chacun. Nous qui nous pensons les héritiers des Lumières et de la culture libérale devons savoir contrer cette perspective.
En ce qui concerne le Moyen Orient, une ligne à tracer dans le sable est le rejet complet de Hamas et tout ce qu’il représente. Le pire serait de chercher à plaire à la foule. A mon avis, cela faisait partie de la motivation de De Gaulle quand il a décidé de laisser tomber Israël. Ou de trahir les valeurs libérales au nom de la solidarité avec des gens dont les valeurs sont loin d’être positives pour notre société, de qui est le projet de Monsieur Mélenchon.
[1] Changement d’ère, changement de focus géostratégique
Le ministère de l’Enseignement supérieur demande aux présidents d’université de «ne tolérer aucune manifestation de haine». Quelques sanctions ont été prononcées, histoire de montrer que la directive a été entendue, mais les slogans anti-israéliens et pro-Hamas fleurissent dans les facs de France.
« Nous, associations étudiantes soussignées, tenons le régime politique israélien pour directement responsable de toute violence en cours. » Ces quelques lignes, datées du 7 octobre, débutent un communiqué signé par 33 associations étudiantes de l’université d’Harvard, menées par le « Palestine Solidarity Committee ». Au moment où l’armée israélienne peinait à repousser les troupes terroristes et où de la confusion émergeaient progressivement les détails des atrocités commises, les membres de ces associations influentes s’agitaient pour justifier les actes du Hamas, s’inquiétant du sort des Palestiniens, sans un mot pour les civils israéliens massacrés et pris en otage. Circonstance aggravante : les instances dirigeantes d’Harvard ont initialement fait preuve d’une troublante ambiguïté, n’offrant que des propos lénifiants sur la « compassion » et le « dialogue ». Harvard n’est pas la seule prestigieuse université américaine où de telles voix se sont exprimées : c’est le cas aussi à Columbia ou à Stanford. Au point de déclencher une polémique nationale. L’indécence des propos tenus a suscité l’émoi, provoquant un déferlement d’hostilité en retour ; face aux pressions, les deux tiers des associations signataires d’Harvard ont désavoué le communiqué. Les tensions ne sont pas près de retomber entre les deux camps qui se font désormais face.
Quand je me regarde je me désole, quand je me compare je me console
On pourrait presque se dire qu’en France, en comparaison, on n’est pas si mal lotis. Presque. Pour une fois, les autorités universitaires semblent décidées à faire preuve de fermeté. Dans la ligne du gouvernement, la ministre de l’Enseignement supérieur a incité le 9 octobre les chefs d’établissement à « ne tolérer aucune manifestation de haine ». France Universités, ex-conférence des présidents d’universités, a déclaré le 11 octobre que « les présidentes et présidents d’université ne laisseront pas prospérer dans leur établissement des initiatives visant, sous couvert de débattre de la situation au Proche-Orient, à faire circuler des propos chargés d’antisémitisme ». Et effectivement, des sanctions ont été prises : un maître de conférences de l’université Panthéon-Assas a été suspendu après des blagues jugées antisémites, des associations ont été signalées à la justice. Le sujet paraît avoir été globalement pris au sérieux.
D.R
Las, de modestes mesures de circonstance n’ont aucune chance de régler le problème, ancien et profond. D’autant que tous les dirigeants d’universités ne sont pas sur la ligne majoritaire. Sans surprise, un bon nombre d’universités françaises abritent des groupes d’extrême-gauche défendant le Hamas en toute impunité, bien au-delà de la tristesse et de l’inquiétude hautement légitimes pour les Gazaouis, assiégés et abondamment bombardés. Paradoxalement, il s’agit de donner un blanc-seing à l’islamisme conquérant, en refusant d’admettre la dimension religieuse du conflit israélo-arabe.
C’est un cas d’école : l’université Toulouse-II Jean-Jaurès, dite du Mirail, incontestablement sur le podium des « facs les plus à gauche de France ». Le 11 octobre, des tags sont retrouvés un peu partout dans le campus : « Vive l’offensive palestinienne ! Vive le Hamas ! Vive Gaza libre ! » ; « Gaza s’étend, la décolonisation a commencé ! »… Ils sont signés de la Ligue de la jeunesse révolutionnaire, un collectif qui estime que « l’Héroïque peuple de Palestine condense la question du Front anti-imperialiste mondial ». Le même jour, une grande banderole est accrochée à un bâtiment : « Le Mirail soutient la résistance palestinienne ! » La Ligue de la jeunesse révolutionnaire ayant posté les photos de ses œuvres, un membre de la Licra a saisi la présidence de l’université et le préfet de la région Occitanie, leur demandant d’agir contre l’apologie du terrorisme.
Pression idéologique écrasante de l’extrême-gauche
Or, la présidence refuse d’abord de condamner, rapporte La Dépêche le 11 octobre : « La direction de l’université ne souhaite alimenter aucune polémique et réaffirme son attachement profond à la paix. » Le lendemain, un deuxième communiqué rectifie le tir : « La direction de l’université Toulouse 2 Jean Jaurès condamne avec force les actes de terrorisme perpétrés contre le peuple israélien. […] Elle maintient une vigilance extrême contre tout agissement relevant de l’antisémitisme, de l’apologie du terrorisme et de l’incitation à la haine. » L’hésitation s’explique aisément par la pression idéologique écrasante de l’extrême-gauche, qui diffuse toutes les « luttes » du gloubi-boulga woke sur le campus. Le 14 mars dernier, l’université a accueilli une conférence du collectif « Palestine vaincra », qui soutient la « résistance palestinienne sous toutes les formes qu’elle juge nécessaire et légitime, y compris armée ».
Malgré la « vigilance extrême » revendiquée, un rassemblement pro-palestinien, le premier organisé à Toulouse, a été organisé sur le campus le 18 octobre. Révolution permanente, groupe dissident du NPA, s’est réjoui de cet événement où 400 personnes ont crié « Palestine vivra, Palestine vaincra ».
On aurait tout aussi bien pu prendre les exemples de Lyon-II, Poitiers ou Sciences-Po. Partout, ce sont les mêmes mots-clés : les Palestiniens sont victimes de « génocide » de la part d’Israël, pays « colonisateur » ayant institué un « régime d’apartheid ». L’union syndicale Solidaires a publié le 8 octobre un communiqué soutenant « le droit imprescriptible que le peuple palestinien a de se défendre pour se libérer du joug colonial ». On aimerait savoir si ce droit imprescriptible suppose de réaliser l’objectif affiché par le Hamas dans sa charte de 1998, « le jihad contre Israël jusqu’à sa destruction ».
La propagation de ces schémas vétustes issus de l’imaginaire outrancier de l’extrême gauche est certainement le plus grand méfait que puissent accomplir les groupes militants des universités. S’agissant des événements en France, la palme d’or du grotesque morbide revient peut-être à Solidaires 64, qui parlait sur Twitter le 14 octobre de Dominique Bernard comme de l’enseignant « tué au travail »à Arras. L’expression qualifierait correctement un maçon écrasé par une poutre, mais paraît pour le moins déplacée pour un attentat perpétré par un islamiste tchétchène. Espérons que cet aveuglement retentissant ne soit pas en train de s’aggraver dans la jeunesse étudiante.
À Tel Aviv, dans un pays en guerre, notre journaliste Ivan Rioufol a rencontré des Israéliens profondément amers. L’angélique naïveté d’une cohabitation possible avec les Palestiniens semble loin derrière eux.
Aéroport de Tel Aviv quasi-désert. Seule la compagnie israélienne El Al dessert le pays, en guerre depuis le 7 octobre. Les hôtels, vidés de leurs touristes, ont été pour la plupart réquisitionnés pour y héberger les familles israéliennes évacuées des zones proches de Gaza. C’est le cas de l’hôtel où je me trouve ce lundi matin, face à la mer : joggeurs, baigneurs. Mais la ville habituellement électrique vit au ralenti. Telles sont les premières impressions du voyageur qui débarque, pour y découvrir une nation profondément traumatisée par l’attaque surprise du Hamas et par l’humiliation subie par Tsahal (1400 morts, 230 otages). « On s’est endormis », reconnait Yossi Kuperwasser, ancien chef de la division de recherche du renseignement militaire, rencontré dimanche à l’initiative de la branche française du KKL, ONG israélienne.
Des premiers témoignages recueillis, il ressort une profonde amertume sur l’angélique naïveté d’une cohabitation possible avec les Palestiniens. L’expérience de l’autonomie accordée à Gaza il y a 18 ans pousse les interlocuteurs à reconnaître que ce statut a été malheureusement mis à profit pour propager la haine des juifs au lieu de développer le territoire. « Dès qu’on se sépare des Palestiniens, ils veulent nous chasser », constate Kuperwasser. Daniel Saada, ancien chargé d’affaires de l’Ambassade d’Israël en France, rappelle pour sa part avoir alerté depuis des lustres sur le vrai visage du Hamas, tel qu’il s’est révélé le 7 octobre dans sa diabolique barbarie.
Chacun ici veut croire que le peuple israélien, qui se déchirait il y a encore peu sur la politique et la Justice, s’est durablement ressoudé et renforcé dans l’adversité. Force est d’ailleurs de remarquer que les Arabes Israéliens, qui ont été aussi victimes des égorgeurs du Hamas (le chiffre de 20 morts parmi eux est avancé), se gardent pour l’instant de rejoindre les foules pro-Hamas de la « rue arabe » à travers le monde.
Reste l’incertitude sur l’avenir de Gaza. Israël est certes déterminé à éradiquer le mouvement terroriste islamiste. Une déroute du Hamas serait vue par l’État hébreu comme celle des parrains de l’organisation djihadiste que sont l’Iran, le Qatar, les Frères musulmans, Daesh. Les Gazaouis, qui pour certains travaillaient en Israël, sont désormais durablement indésirables. Cependant, aucune solution de rechange au Hamas n’existe à ce stade d’une guerre non programmée, sinon d’envisager dans la durée un contrôle militaire du territoire. Faut-il s’attendre à ce qu’Israël reprenne pied sur ces terres évacuées naguère par Ariel Sharon, dans la douleur des familles juives expulsées ? La question est dans l’air, même si cette éventualité d’un retour d’Israël n’emballe a priori personne. Une chose est sûre dans l’immédiat : la perspective souhaitable de deux États n’est toujours pas l’issue la plus proche. « Il faut d’abord dénazifier la société palestinienne », explique Kuperwasser.
Dominique Barbéris vient d’être récompensée par le Grand Prix du roman de l’Académie française pour Une façon d’aimer. Patrick Grainville, dès La Ville, (1996), premier ouvrage de la romancière, avait été enthousiasmé par son écriture aussi élégante que subtile : « Tout l’art delaromancière est dans l’acuité de son regard. Précis, cernant détails, matières et nuances. Les variations du ciel captées à fleur de peau, les petites pluies poudreuses comme autant d’avatars de l’âme. » Dans ses récits, Dominique Barbéris, normalienne et agrégée de Lettres modernes, fait affleurer les âmes et les vies de personnages dont elle préserve l’intimité. Photographe, elle fixe l’infime, l’impalpable et le labile et immortalise le trait de lumière, quand il déchire le clair-obscur ; nez, elle recompose des fragrances oubliées, autrefois respirées. Si, dans Une façon d’aimer, Dominique Barbéris matérialise, bien sûr, l’écume d’une vie et peint le passage sur terre, elle les arrime aussi solidement à l’Histoire. C’est ce qui rend ce roman dédiéà la mémoire d’un père, parti en Afrique en 1950, si touchant. « Je retourne à Douala », dit la mère très âgée de l’auteur, en lisant Une façon d’aimer. Dominique Barbéris a écrit ce très beau roman en cherchant à retourner au Cameroun où elle est née.
C’est le « livre sur rien » rêvé par Flaubert qu’écrit, avec Une façon d’aimer, celle qui fut reçue à l’agrégation « l’année de L’Éducation sentimentale » : la narratrice, alter ego de l’écrivain et nièce du personnage principal reconstitue à partir de photos couleur sépia et de courriers jaunis le parcours sans éclat d’une femme française dans les Trente Glorieuses et la décolonisation. Madeleine, une jeune provinciale timide qui a « quelque chose de Michèle Morgan » quitte Nantes pour suivre à Douala un mari qu’elle connaît à peine. Ce Charles Bovary intelligent y travaille, employé à la Société des bois du Cameroun. Ils y resteront quatre ans, jusqu’à l’indépendance. Dans une ville chatoyante aux odeurs fortes, l’héroïne, petite sœur de la Princesse de Clèves comme de Madame Arnoux et d’Emma Bovary, s’ennuie dans sa maison à colonnades, souvent seule avec son boy et sa petite fille. Elle n’aime pas se mêler au microcosme des expatriés et fuit ses mondanités, ses médisances et ses intrigues. Effacée, elle redoute les femmes de ce milieu confiné : frivoles, coquettes et délurées. Pourtant, lors d’une soirée à la Délégation alors qu’elle fait tapisserie, elle croise un homme aux manières d’aventurier, ce séducteur brun exsude la force et la virilité : un Monsieur de Nemours mâtiné de Rodolphe Boulanger : « Ce fut comme uneapparition », « Leurs yeux serencontrèrent ». Flaubert, toujours, mais aussi Madame de La Fayette et puis, une variation sur l’inépuisable scène de la première rencontre, très réussie. Commencent de chastes promenades dans une Douala moite où couve l’indépendance prochaine. Madeleine, troublée par l’administrateur colonial, parle à peine, tenant sa petite fille par la main. Et voilà que l’homme à femmes se met à aimer l’épouse fidèle et réservée. Un soir, alors que la pluie équatoriale s’abat sur la ville halitueuse où gronde la révolte, Madeleine saura-t-elle braver un couvre-feu fraîchement imposé pour se rendre à ce qui s’annonce comme un dernier rendez-vous ?
Une façon d’aimer est un tableau impressionniste exécuté sur un solide fond d’histoire contemporaine qui donne la possibilité de se souvenir, non sans nostalgie, des belles choses. Quand la narratrice éclaire sobrement, avec délicatesse, la vie de Madeleine, femme libre et moderne, elle donne à voir l’histoire d’une famille au vingtième siècle : de son entrée dans la modernité sociale à nos jours. Sous les apparences on devine, cachées, les intermittences des cœurs qui battent. Le roman égraine, comme le Petit Poucet ses cailloux, les chansons populaires d’une époque révolue, celles de Guy Béart ou Brel, André Claveau et Patachou, de Mouloudji ou Dalida, alors, tout chose, on médite sur ce « fait mystérieux et obscur d’avoir vécu. » Tempus fugit : nostalgique, on rend hommage à nos parents, nos grands-parents, qui comme Madeleine, sont passés « de l’autre côtédu temps ». Ils sont là, avec nous, un instant, dans la pulvérulence qu’éclaire un rayon de soleil subreptice.
Et puis, c’est toute notre littérature qui innerve le roman, Madeleine lit les auteurs qu’on a lu, enfant : Mauriac, Troyat, Cesbron. L’écriture de Dominique Barbéris, dans sa facture, ses références implicites ou ses allusions plus franches nous fait côtoyer Madame de La Fayette, Hugo, Flaubert, Proust, Gracq ou Robbe-Grillet et… force m’est de le reconnaître, Annie Ernaux, que je ne goûte plus, dans ce qui fit la force de ses premiers écrits.
On est bien loin ici d’une certaine littérature contemporaine qui expose et explose dans l’impudeur et l’exhibition, c’est avec retenue qu’on célèbre ici une époque révolue et le passage du temps sur des hommes mus par le désir mais lestés par le devoir. La vie passe lentement et délite les êtres : Madeleine et son mari, vont mourir, vieux. « Ils étaient devenus un vieux couple, effacé, poli et discret. Ils traversaient prudemment aux carrefours en se tenant par le bras ; mon oncle avait une canne. Elle se tenait toujours très droite. C’était la génération de la guerre. Ils disaient qu’ils avaient tiré leur épingle du jeu. Ils avaient vu leur petite partie du monde. Ils ne réclamaient rien à personne. Ils n’intéressaient plus personne non plus. » Dominique Barbéris dit les élans, le désir et les renoncements des êtres ordinaires, emportés par l’Histoire. Elle dit la mélancolie que donne le temps qui passe et la douleur du deuil, expérience aussi intime qu’universelle. Une Façond’aimer sonne à nos oreilles comme la chanson d’Yves Montant : Trois petites notes demusique.
Trois petites notes de musique
Qui vous font la nique du fond des souvenirs
Lèvent un cruel rideau de scène
Sur mille et une peines qui ne veulent pas mourir.
Le président de la République a inauguré le 30 octobre, à Villers-Cotterêts, la Cité internationale de la langue française. Il s’agissait de son grand projet culturel et il a été mené à bien. Était-il vraiment utile ? Un « ciment » de la nation ?
Si on perçoit bien l’importance historique de Villers-Cotterêts pour la langue française, on peut s’interroger sur l’impact positif de la construction de cette Cité en ce qui concerne la qualité du français au quotidien. Comme s’il convenait, grâce au magnifique écrin d’un château du XVIe siècle, de rendre hommage à la langue française avant même d’avoir veillé à sa préservation et à son amélioration. Jean-Marie Rouart, dans une charge qui ne manquait ni de vigueur ni de talent, a dénoncé cette entreprise qui, selon lui, oubliait l’essentiel : le français en péril et l’obligation de la mise en œuvre d’une politique le sauvegardant et le défendant partout où il était attaqué. 300 millions de personnes dans le monde parlent le français et si ce chiffre est en déclin, ce n’est pas seulement à cause de la perte d’influence politique et culturelle de la France. Mais aussi, voire surtout, par le fait qu’au fil du temps les pouvoirs se sont contentés de prendre acte de ce délitement, en acceptant la domination de plus en plus nette d’autres langues sur la nôtre, pourtant si belle et tellement adaptée à tous les genres de l’esprit et de la sensibilité. Dans l’évolution du lien que la France a entretenu avec sa langue, une forme de résignation s’est emparée du pays qui a fini par juger naturelle l’appropriation du bon français par les élites et par s’accommoder de la médiocrité qui aurait été le lot de la majorité des citoyens. Il faudrait d’ailleurs, sur le premier point, être beaucoup plus vigilant et exigeant qu’on ne l’est. Il est en effet effarant de constater qu’au sein des classes qualifiées de supérieures, quel que soit leur champ d’activité dès lors qu’une expression publique est requise, une dégradation insensible s’est produite qui décourage les amoureux du français. Les politiques, les journalistes, les professeurs, les intellectuels, les chroniqueurs, les animateurs ou les artistes – personne n’est plus à l’abri, même dans ces catégories, d’une sorte de négligence, de paresse, de familiarité convenue. On choisit toujours, contre le mot juste, le verbe faussement décontracté, si ce n’est fâché par exemple avec les accords essentiels. Ce n’est pas dérisoire que cette accoutumance à une parole qui se flatte de n’être plus exemplaire. Quand le peuple, lui, n’aspire qu’au contraire. Cette dérive par le haut est très directement responsable de cette médiocrité par le bas. Médiocrité révélée paradoxalement par l’hommage rendu à ceux qui « déclarent leur flamme à la langue française » et qui sont la plupart du temps des étrangers. Et également par le fait qu’on demande pourquoi « les mots fascinent » seulement à des intellectuels, essayistes et Académiciens. Comme si le français n’était pas pour tout le monde. Comme si notre obsession ne devrait pas être prioritairement de nous pencher sur la multitude des amateurs qui sont conduits par leur fonction, leurs activités sportives, leurs prestations médiatiques et artistiques, à intervenir dans l’espace public en usant d’un verbe pas trop déshonorant.
Il y a dans l’indifférence à l’égard de ceux qui maltraitent sans le savoir la pureté de la langue, une touche de mépris, comme si l’apanage d’un français de qualité était le dernier luxe restant aux privilégiés. Pourtant, rien n’est plus exaltant que d’offrir cette démocratie d’un verbe correct, d’une oralité estimable, à la multitude de ces citoyens émerveillés de découvrir qu’ils peuvent eux aussi faire d’une langue banalement morte une langue vivante. Le français ne doit plus être un privilège mais une chance pour tous. À chacun sa Cité.
Depuis les massacres perpétrés par le Hamas, le 7 octobre dernier, et la réponse israélienne à ce terrorisme de masse, le terme de « piège » s’est imposé chez les commentateurs, non sans mimétisme par facilité de langage. Pourtant, la thèse d’un « piège gazaoui » mérite réflexion…
Certains parlent ainsi pour faire comprendre que les Israéliens devraient prendre sur eux et laisser impuni le terrorisme de masse, afin de se consacrer à l’élaboration d’une « solution à deux États ». Cette approche techno-pacifiste repose sur l’idée que les conflits découleraient d’un « échange raté » ; elle nie la profondeur psychologique des conflits et ce qu’est le politique, saisi dans son essence.
De fait, piège il y a, moins pour l’État hébreu, habitué à mener des guerres et des opérations dans un milieu international hostile, que pour ses alliés et partenaires occidentaux, placés en porte-à-faux. Encore faut-il s’interroger sur ceux qui ont monté ce piège. A maints égards, le Hamas apparaît comme l’exécutant d’une manœuvre d’ensemble, cela n’excluant par une certaine autonomie tactique et opérationnelle. Toujours est-il que ces « islamikazes » ont engagé une entreprise suicidaire, la réaction d’Israël, frappé dans ses intérêts vitaux, ne pouvant qu’être terrible. Ses chefs sont-ils conscients d’être instrumentalisés ?
De prime abord, on pense au régime iranien qui, patiemment, a mis en place au Moyen-Orient un dispositif militaro-terroriste, dont l’envergure panislamique dépasse les limites du « croissant chiite ». Au sein de ce dispositif, le Hamas, branche palestinienne des Frères musulmans, constitue une sorte de Hezbollah gazaouite. Selon ce schéma, le Hamas a déclenché une réaction en chaîne. Protégé par son statut de quasi-État nucléaire, l’Iran fait planer la menace d’ouvrir d’autres fronts contre Israël et ses alliés, en Irak, au Liban-Sud, à la frontière syro-israélienne, avec des répercussions dans les détroits d’Ormuz et de Bab-el-Mandeb. Ainsi Téhéran prendrait-il la direction de la région et du monde islamique.
Nul doute que la guerre ne bénéficie également à la Russie, appuyée par la Chine. Outre le fait que la guerre accapare les ressources des États-Unis, possiblement aux dépens de l’Ukraine et du détroit de Taïwan, l’axe Moscou-Pékin veut chasser les Occidentaux du Moyen-Orient, vu comme morceau d’une « Grande Asie » sino-russe. Au-delà, l’enjeu est de rallier le « Sud global » contre l’Occident, en dénonçant le « deux poids, deux mesures ». Nul besoin d’une démonstration rigoureuse : la mobilisation des haines et des ressentiments est aisée.
Il serait erroné de voir dans les jeux pervers de la Russie au Moyen-Orient un simple effet d’aubaine. D’une part, il y a longtemps que le Kremlin entretient des liens suivis avec le Hamas, le Hezbollah et d’autres organisations de ce type, avec en toile de fond un axe régional Moscou-Damas-Téhéran. Ce dispositif n’était pas destiné à remporter un concours de beauté. D’autre part, le niveau de renseignement dont bénéficiait le Hamas soulève bien des questions. La sphère politique et la société civile israéliennes seraient-elles perméables aux opérations de renseignement d’une puissance extérieure ? Une telle puissance serait-elle simultanément capable d’exciter des groupes de colons en Cisjordanie et d’inciter le Hamas à passer aux actes ? En somme, tiendrait-elle les deux bouts de la chaîne ?
Les implications du « piège » gazaoui vont au-delà, avec des répercussions sur l’unité de l’Occident, plus encore celle de l’Europe. On songe aux foules qui défilent dans les capitales occidentales, derrière le slogan « La Palestine, du Jourdain à la mer », en écho à la volonté du Hamas de détruire l’Etat hébreu, avec ses conséquences pour les Juifs du Proche-Orient. En Europe occidentale, le poids des minorités de religion musulmane pèse sur les gouvernements et les élus.
D’ores et déjà, les membres de l’Union européenne peinent à s’accorder sur les termes d’un discours diplomatique commun, certains exigeant un cessez-le-feu qui priverait Israël de son droit de légitime défense, et donc de sa souveraineté effective. A l’Assemble générale des Nations unies, ces États ont dispersé leurs voix, les uns réaffirmant leur position en faveur d’Israël, d’autres se ralliant à la « trêve humanitaire » exigée par Pékin, Moscou et plusieurs capitales de l’ex-tiers monde. Le plus navrant fut de voir Paris passer de la proposition d’une « coalition anti-Hamas » à la « trêve humanitaire », et ce sous l’enseigne d’une Initiative pour la paix et la sécurité pour tous. Déjà, certains partisans du gaullo-mitterrandisme rêvent d’un axe euro-arabe qui ferait de la France un tiers pacificateur.
Bref, il faudrait perpétuer la longue suite d’erreurs commises sur la Russie poutinienne, puis sur la Chine néo-maoïste, qui menace Taïwan. Dans le cas présent, la sécurité d’Israël et sa profondeur stratégique seraient des variables d’ajustement, avec la « solution des deux États » comme martingale. Si la diplomatie macronienne persistait en ce sens, elle diviserait l’Occident. Voyant que la France et quelques-uns des Européens considèrent la sécurité d’Israël comme le problème des États-Unis, une partie de la classe politique et de l’opinion américaines rétorqueraient que l’Ukraine est celui de l’Europe. Alors, le piège gazaouite se refermerait sur une Europe divisée, privée de son grand arrière nord-atlantique : un « petit cap de l’Asie » sous pression militaire russe, bousculé dans ses œuvres vives par les logiques moyen-orientales. Gageons que des « réseaux caucasiens » assureraient la synergie des menaces.
Aussi importe-t-il que la claire conscience des périls et de ce qui lie les nations occidentales l’emporte sur le verbe, la grandiloquence et les faux-semblants. La conservation de l’être et l’équilibre du monde sont en jeu.
Le corps de Shani Louk, la jeune festivalière exhibée par l’organisation terroriste Hamas à l’arrière d’un pick-up, a bien été retrouvé par les Israëliens
Pourtant, de « Je suis Charlie » à « Je suis Shani », il n’y a guère. Et pas seulement phonétiquement. Les barbares qui ont assassiné les uns – ceux de Charlie Hebdo – sont frères de haine – comme on est frères de lait – de ceux qui l’ont enlevée, séquestrée, et au bout de son martyr, immolée, elle, Shani, la jeune et pétillante juive allemande qui aimait la fête, qui aimait la vie. Une vie qu’elle avait devant elle.
Les monstres se sont emparés d’elle à cette rave party où ils firent quelque deux cents morts en tirant comme on tire à la foire et en hurlant leur cri de fureur, ce cri que, malgré l’horreur extrême de ces faits et de tant d’autres commis au cours de ces quelques deux ou trois jours et nuits d’apocalypse, on entend brailler lors de manifestations ici, en France, mais aussi en Angleterre, en Australie, et ailleurs dans le monde. Cris qui, parmi d’autres, montent de ces foules s’écoulant en un long et terrifiant fleuve de ressentiment et de haine à travers les villes. Nos villes. Nous voyons les images, nous assistons à cela, qui se déroule tout près, sous nos yeux, à notre porte. Dans une espèce d’anesthésie aussi lâche que commode, nous nous ingéniions à considérer que s’il y avait bien ici ou là quelques ruisselets charriant cette vase immonde, ou même quelques rivières d’identique infection, il était impensable qu’il y eût de si grands et si puissants fleuves. On a vu Londres submergée comme jamais sans doute elle ne le fut lors des grandes folies de la Tamise. Dorénavant, nous ne pourrons plus feindre d’ignorer. Ils sont le nombre et le nombre est leur force. L’ignorance et le fanatisme religieux, eux, sont leur drogue. Qui parmi leurs guides se lèvera pour poser à haute et forte voix la question qu’exigerait le plus élémentaire des courages, la plus ténue lueur de lucidité, la seule question qui vaille en vérité : « Quel dieu peut vouloir cela ? » Aucun, espère-t-on croire encore. À voir ces scènes de rue, comment ne pas réaliser clairement que la peste des temps nouveaux est en mouvement, sursaturée d’une hystérie infâme que ceux qui la propagent feignent de croire sainte, sage et vitale pour eux.
Or, assistant à cela, et malgré les massacres qui nous sautent au visage, découvrant cet holocauste auquel il n’aura manqué que les moyens en matériels et en tueurs pour l’être véritablement, grandeur nature, que faisons-nous ? Pas grand-chose. Nous sommes émus, indéniablement. Mais l’émotion n’a jamais suffi à triompher de l’indifférence. Jamais. Pire, elle en est fort souvent l’un des alibis les plus courus. Elle est en fait l’élixir de la bonne conscience. Or, je crois bien que l’indifférence chemine parmi nous, sournoise, rampante. J’entends la petite musique, la répugnante petite musique de la vieille, très vieille antienne qui court encore dans nos tréfonds mémoriaux, dans notre inconscient dûment aseptisé, cette ritournelle dont le refrain évoquerait, mezzo voce, quelque chose de lénifiant et confortable comme une nébuleuse et éternelle « fatalité du destin juif ». Fatalité contre laquelle, au fond, on ne pourrait rien.
Oui, où sont les « Je suis Shani » ? Naguère, il y avait des « Je suis Charlie » partout, sur les balcons, sur les bagnoles, au revers des habits et jusqu’à la devanture des bistrots. Et cela faisait du bien. On pouvait se dire que nous étions une force en marche. Un peu comme un fleuve puissant, charriant un fort courant de refus, un flux de résistance. Or, rien de comparable aujourd’hui. Pourtant, demain, ou après-demain, nous ne pourrons pas nous abriter derrière le très éculé « on ne savait pas, on ne pouvait pas savoir » qui a été tellement d’usage dans les années d’après-guerre, lorsque c’était la barbarie, l’inhumanité absolue des camps qui nous sautaient à la figure. Nous, aujourd’hui, depuis trois semaines, on sait. On ne peut pas se voiler la face plus longtemps. Et il faut que, là où elle est, Shani sache qu’on sait. Qu’elle sache que nous avons désormais les yeux ouverts. Et il faut surtout qu’elle ait, et avec elle tous les autres, dont nos Français assassinés – une autre sépulture que le mausolée glacial de la résignation.
⚠️ Les images peuvent choquer.
Parmi les personnes prises en otage par le Hamas, il y a Shani Louk, une jeune germano-israélienne kidnappée lors d’une rave party dans le désert dans le sud d’Israël.
Pendant la guerre des civilisations, Festivus[1] continue ses saccages. Tant mieux, car sans eux et sans France Inter qui se fait un devoir de les célébrer bruyamment, on n’aurait pas beaucoup d’occasions de rire…
Le 15 octobre, ma chaîne publique recevait Paul Rondin, directeur de la Cité internationale de la langue française, sise à Villers-Cotterêts[2]. Je m’attendais naïvement à ce qu’il lance le combat contre l’écriture inclusive ou la dégradation de l’orthographe et m’amusais à l’avance de la stupéfaction du journaliste face à des propos aussi réactionnaires. Que nenni. Ce pur produit de la technostructure gaucho-culturelle a tenu à rappeler qu’il n’était pas là « pour protéger ou défendre la langue française, au contraire » – on avait mal compris –, mais « pour la faire vivre dans sa vitalité hospitalière, car les mots sont migrateurs ». Autrement dit, la vitalité de la langue française se mesure à l’aune des apports extérieurs qu’elle intègre. Paul Rondin aime le français à condition qu’il consente à se créoliser, comme dirait Mélenchon, et surtout, qu’il n’ait rien à voir avec la France, sa culture et son histoire.
Paul Rondin devrait faire équipe avec Thomas Jolly. Tous deux, issus des mêmes couveuses, ont été biberonnés à l’argent public : Rondin a été directeur adjoint du Festival d’Avignon, tandis que Jolly, 41 ans, est présenté sur le site de Radio France comme « le prodige du théâtre public », bien que son grand fait de gloire soit d’avoir ressuscité la comédie musicale « Starmania ».
Mais si Léa Salamé le reçoit le 24 octobre, c’est parce qu’il a été choisi « pour mettre en scène le Graal, les cérémonies d’ouverture et de fermeture des Jeux olympiques et paralympiques ». Pour Salamé, qui serait moins exaltée si elle interviewait la Vierge Marie, le Graal, c’est le milliard et demi d’êtres humains qui sera, paraît-il, derrière son écran pour l’ouverture de Paris 2024. Répétant d’une voix rêveuse « un milliard et demi », elle décoche au prodige des œillades admiratives, peut-être un brin envieuses. Lui, modestement, entend profiter de cette occasion unique d’adresser un message à un quart de l’humanité, qui n’attend certainement que ça. Entre autres perles de sagesse, il lâche que « chaque culture de chaque personne doit être considérée et respectée » et qu’en conséquence « on n’a pas à faire de hiérarchie », avant de décréter, face à une Salamé en lévitation, que Shakespeare vaut Britney Spears. On rêve de l’entendre prêcher ainsi devant des skinheads ou des djihadistes, ou même devant des Indiens ou des Chinois. Il n’y a qu’en Europe que la politesse impose de faire semblant de croire à ce genre de fadaises. « Vous, vous n’êtes pas culturellement correct », glousse la consœur. Non, pas du tout. Dans le genre transgressif, on apprendra aussi que « la pensée doit être sans cesse en mouvement, sans cesse en crise ». « Sans cesse penser contre soi-même », réplique la journaliste, la voix légèrement altérée par la solennité de ses propres propos.
« Tout ce que je fais est politique », assène le metteur en scène. Pour les cérémonies olympiques, qui se dérouleront sur six kilomètres de Seine, on peut donc s’attendre à un festival de poncifs concoctés par « les auteurs et les autrices » qu’il a rassemblés. Il est question des têtes de nos rois sortant de la Seine (on s’étonne qu’il n’ait pas plutôt pensé à les noyer), d’une tour Eiffel inversée. Las, Jolly voulait les Daft Punk parce que, dit-il en substance, quand on pense rayonnement mondial de la France, on ne peut pas ne pas penser aux Daft Punk. Ça ne va pas se faire. Qu’il ne désespère pas, il y a une chance pour que Médine soit disponible.
[1] Pour ceux qui l’ignorent, Festivus est le nom donné par Philippe Muray au spécimen humain de l’âge post-historique. Et comme son nom l’indique, Festivus transforme la boue de l’existence humaine en fête permanente.
[2] Elle est ouverte au public depuis quelques jours, mais son inauguration par le président de la République, prévue le 19 octobre, a été reportée en raison des événements en Israël.
La ministre sud-africaine des Affaires étrangères, Grace Naledi Pandor, est au cœur d’une petite tempête après avoir révélé dans un communiqué qu’elle avait eu une conversation téléphonique avec le chef du Hamas. L’objectif de cet appel, effectué à la demande d’Ismail Haniyeh, était d’évoquer l’acheminement de l’aide humanitaire en Palestine.
Le conflit israélo-palestinien s’est invité une nouvelle fois dans la politique sud-africaine. Un dossier pour lequel la nation arc-en-ciel est fortement impliquée et qui reste un enjeu majeur pour l’Afrique du Sud. Pour le meilleur et pour le pire. Depuis quelques jours, la ministre sud-africaine des Affaires étrangères, Grace Naledi Pandor, est au cœur d’une tempête après avoir révélé dans un communiqué qu’elle avait eu une conversation téléphonique avec le chef du Hamas le 17 octobre. L’objectif de cet appel, effectué à la demande d’Ismail Haniyeh, était d’évoquer l’acheminement de l’aide humanitaire en Palestine.
Chemin dangereux
Bien que le gouvernement sud-africain ne cache pas sa proximité avec le peuple palestinien, le Conseil des députés juifs sud-africains et la communauté juive sud-africaine se sont dit horrifiés par cette discussion ouverte avec le Hamas, surtout dans les circonstances actuelles. Karen Milner, présidente de cet organisme politique, a expliqué que cela constituait une preuve du soutien public de la ministre au Hamas. Selon elle, le fait que la ministre des Affaires étrangères ait désigné le Hamas comme un partenaire crédible, au moment même où tous les autres pays du monde libre condamnaient les attaques du Hamas contre Israël, montre clairement que Grace Naledi Pando a pris parti et entraîné l’Afrique du Sud sur un chemin très dangereux. Face à la polémique, le Département des relations internationales et de la coopération (DIRCO) a répondu que contrairement à de fausses informations, la ministre n’avait en revanche pas exprimé le moindre soutien au mouvement armé palestinien.
Si, le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, a présenté ses condoléances au peuple israélien, il a également exprimé sa solidarité avec les Palestiniens, affirmant que ces derniers menaient « une lutte juste ». Une position qui n’est pas surprenante, car l’African National Congres (ANC) a toujours établi des parallèles entre la lutte menée par son mouvement contre le régime de ségrégation raciale et la situation au Moyen-Orient, désignant Israël comme un « État d’apartheid » qui a collaboré avec le régime afrikaner. Interrogé à ce sujet, Bob Wekesa a expliqué que si le gouvernement traite habituellement avec l’Autorité palestinienne du président Mahmoud Abbas, il est évident qu’il a également pris position en faveur du Hamas. Ce maître de conférences à l’Université de Witswatersrand, a souligné qu’il était étrange sur le plan diplomatique que le ministère ait répondu à un appel du Hamas, étant donné que cette organisation n’est pas reconnue mais plutôt étiquetée comme un groupe terroriste.
Jouez plutôt au rugby!
L’Afrique du Sud compte une population musulmane et une population juive importantes. Depuis le début des affrontements entre Palestiniens et Israéliens, des manifestations pro-palestiniennes ont eu lieu dans tout le pays. L’ANC a également organisé vendredi 20 octobre, une marche de solidarité avec la Palestine devant l’ambassade israélienne à Pretoria, après le bombardement d’un hôpital de Gaza qui a fait de nombreuses victimes.
Si le pays de Nelson Mandela a proposé de jouer un rôle de médiateur dans le conflit en cours (cette proposition n’a cependant pas été retenue par la communauté internationale), et bien qu’elle vienne de remporter la Coupe du monde de Rugby, il est peu probable que cette victoire des Springboks arrive à fédérer les Sud-Africains autour d’un soutien à Israël et faire de l’Afrique du Sud un partenaire crédible sur la scène internationale.
Le 7 octobre dernier nous avons, encore une fois, assisté à l’inqualifiable retour du mal radical. Après le 11 septembre, la Bataclan, l’attentat de Charlie Hebdo et de l’Hypercasher, après la reprise en main de l’Afghanistan par les Talibans et la répression du régime des mollah sur leur propre peuple, après les exactions des Shebbabs somaliens, les massacres de l’État Islamique en Syrie et en Irak et tant d’autres, c’est Israël qui a été frappé à l’aurore par la barbarie du Hamas.
Des enfants, des femmes, des vieillards ont été massacrés, brûlés vifs, mutilés, violés. Des jeunes, venant fêter la vie et le rêve d’un futur qu’ils voulaient lumineux, ont été assassinés par le Hamas, la branche armée de ces Frères Musulmans qui s’infiltrent ici en toute liberté. Les barbares de Harakat al Moukawama al islamiya ont jeté l’effroi et l’obscurité en ce jour devant les yeux sidérés du monde. L’anonymat des cadavres, les visages écrabouillés, les organes mutilés, l’odeur fétide de la mort nous renvoient inéluctablement aux pires périodes de l’humanité.
Nous attendions depuis près de trois longues semaines que les gens de culture musulmane brisent le silence face à cette nouvelle offensive du totalitarisme musulman, nous attendions désespérément un ralliement massif sous un « NOT IN MY NAME » ! Ce slogan, que l’on a vu apparaître en diverses occasions, a soudain disparu.
Cette fois-ci, il s’agit d’Israël, murmure-t-on. C’est compliqué, c’est trop risqué, c’est trop clivant, Israël, le point aveugle. Israël, l’aphrodisiaque du monde arabe, serait donc si difficile à soutenir dans son existence ? On convoque le conflit israélo-palestinien, on glose sur la colonisation et les territoires alors qu’en vérité il s’agit simplement de condamner sans appel la barbarie, la haine et la destruction programmée du peuple juif.
Il s’agit de prendre parti dans la guerre mondiale diffuse que mène l’islam pour imposer le règne d’Allah et l’éradication ou la soumission de l’altérité partout sur la planète. C’est d’elle que se réclament tous les islamistes, patients ou agissants, qui se réclament de tous les djihads, guerriers ou civils, que les horreurs du 7 octobre ont galvanisés : ici, encore un professeur exécuté, là ce sont des Suédois abattus, partout des propos et des actes antisémites quotidiens, le tout sous le cri d’« Allah Akbar ! ».
Nous, issus de la culture musulmane, refusons que ses aspects les plus sanguinaires, obscurantistes et antisémites y enferment tous ceux qui en proviennent. Il y a, d’abord, à reconnaître la légitimité de tous ceux, de plus en plus nombreux, qui vont jusqu’à l’apostasie. Le massacre génocidaire du 7 octobre est une atteinte à notre humanité, notre silence nous condamne à en être complices. NOT IN MY NAME
Signataires :
Boualem Sansal, écrivain
Fadila Maaroufi, anthropologue, fondatrice de l’observatoire des Fondamentalismes
Sonya Zadig, linguiste, psychanalyste
Houda Belkadi El Haloui, journaliste
Naïma Belalouz, citoyenne engagée au sein de l’association Les racines de demain et l’institut d’éthique contemporaine
Faycal Jellil, fonctionnaire
Fadila Oulebsir-Agoyer, contrôleur de gestion et retraitée
David Duquesne, infirmier libéral et écrivain,
Hassan Chalghoumi, imam de Drancy, président de la conférence des imams de France
Samia Dussart, recherche d’emploi
M. Chahrazed, enseignant-chercheur
Sandrine Ait Aider, artisan
Khadija Korchi, sociologue
Goudane Smaïn, chauffeur de direction, apostat du sunisme
Michael Shurkin est Américain, expert auprès du think tank Atlantic Council. Il est spécialisé dans les questions militaires et diplomatiques, notamment en Afrique et au Proche-Orient. Il répond ici à nos questions sur l’arc global de crise auquel le monde fait face avec le conflit ukraino-russe et, bien sûr, la guerre en cours au Levant entre Israël et le Hamas.
Causeur. Commençons par le commencement : comment regardez-vous les relations euro-américaines, singulièrement avec la France, à la lumière de l’arc de crise majeur qui s’est mis en place, de notre point de vue, à partir de l’invasion de l’Ukraine, et s’est accéléré à la défaveur de l’attaque du Hamas contre Israël ?
Michael Shurkin. Les relations sont bonnes. Les deux pays ont su s’unir autour de l’Ukraine et, plus récemment, après l’attaque du Hamas contre Israël. La manière dont la France, la Grande Bretagne, et l’Allemagne ont serré les rangs derrière Israël m’a semblé remarquable. Je crois que, de l’autre côté, les Européens apprécient plus qu’avant le leadership américain, bien qu’ils désirent s’en émanciper.
Ceci dit, j’aperçois une certaine frustration des Européens vis-à-vis l’Ukraine en raison de leur capacité limitée à fournir des armes aux Ukrainiens. La lenteur avec laquelle les Allemands agissent est notamment en cause. Les stocks européens sont faibles et les capacités de l’industrie de la défense trop limitées. On constate aussi que la rhétorique d’Olaf Scholz au sujet de la « Zeitenwende »[1] ne s’est pas traduite par des actions concrètes. Une Allemagne plus active et réactive apporterait beaucoup.
Bien sûr, j’accepte que l’on accuse l’Amérique d’une grande hypocrisie sur la question de notre politique industrielle, et le fait que nous agissons souvent d’une façon qui tend à freiner l’industrie européenne de défense… quand par ailleurs nous nous plaignons de sa faiblesse. Les critiques concernant notre position sur le sujet ne sont pas infondées.
Comment avez-vous jugé le déplacement d’Emmanuel Macron à Tel Aviv, puis en Cisjordanie auprès de Mahmoud Abbas, et enfin en Jordanie ? Quel rôle peut selon vous jouer la France dans les tensions au Proche et Moyen Orient ? Notre voix résonne-t-elle encore suffisamment auprès des pays de la Ligue Arabe, essentiels à la résolution du conflit ?
Le déplacement d’Emmanuel Macron était important pour Israël, soulagée par son geste de solidarité et la reconnaissance du fait que les trois membres occidentaux permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies la soutiennent. Il est aussi important qu’il soit allé voir Mahmoud Abbas, afin de souligner que la France et l’Occident ne négligent pas le sort des Palestiniens de la Cisjordanie. Il était aussi essentiel de montrer qu’après-guerre, il va falloir ressusciter le « processus de paix » trop longtemps négligé.
Quant à l’influence de la France au Moyen Orient, et sa capacité à jouer un rôle dans la gestion de ses crises multiples, je ne sais pas. J’estime que l’influence française est moins grande que les Français aiment le penser.
Croyez-vous que ce qui se joue présentement excède le cadre des guerres d’Ukraine, d’Israël, du Sahel et d’ailleurs ? Je m’explique : il semblerait tout de même que ce soit l’Ordre international classique hérité des deux Guerres mondiales du siècle dernier, forgé dans le cœur des idées de la civilisation européenne depuis Grotius, qui soit aujourd’hui attaqué par un axe de pays « non alignés » désirant instaurer une ère dite de multipolarité destinée – selon eux – à mettre un terme à l’hégémonie occidental incarnée par l’Amérique. Que peut faire l’Occident pour éviter que des pays neutres du « Sud global » ne basculent dans l’escarcelle russo-irano-chinoise ?
Il est clair que nous assistons maintenant à un effondrement de l’Ordre international, et de cette « Pax Americana » qui a pu profiter aux États-Unis et à l’Europe. La Russie et la Chine en profitent, bien sûr, mais ce qui est plus troublant, à mes yeux, est l’irrédentisme de pouvoirs moyens, et une politique qui semble fondée sur le ressentiment envers l’Occident et envers ceux qui lui sont associés dans l’inconscient collectif, comme Israël, que par des objectifs constructifs et positifs. Je pense à l’Iran, pays dont toute la politique me parait guidée par le ressentiment et la rancœur. L’Iran, après tout, est derrière la crise actuelle avec Israël, Gaza, et le Liban. Mais je pense aussi à la Turquie, et peut-être même la Hongrie. Les autres pays qui s’associent aux BRICS ou au « Sud global » sont moins malveillants mais cherchent à profiter des bouleversements en cours du monde. Les effets peuvent être malheureux. On voit ça au Sahel, où la politique populiste a pris le dessus et inspire des nouveaux régimes à poursuivre des politiques autodestructives.
Pour y faire face, il faut que l’Occident serre les rangs autant que possible. Il ne s’agit pas de suivre la direction américaine, mais d’essayer plus que jamais de se parler, de se coordonner, et d’agir ensemble. Si Donald Trump gagne la prochaine présidentielle, il faudra que les Européens soient forts et qu’ils retrouvent une volonté d’agir comme ils ne l’ont plus eue depuis longtemps, ni n’ont dû d’ailleurs le faire.
Nous devons aussi rester fermement aux côtés de l’Ukraine. L’Ukraine doit gagner sa guerre. De la même manière, il faut rester au côté d’Israël eu égard au jeu que joue l’Iran dans cette affaire. Le conflit entre les Israéliens et les Palestiniens ne concerne en soi pas directement les Européens, mais la menace de l’Iran est réelle. Même si la politique menée par les Israéliens ne parle pas à beaucoup d’Européens, qui ont leurs raisons parfois légitimes, et que leur affect sincère penche du côté des Palestiniens, l’enjeu pour l’Occident entier est l’Iran. Si on ne parvient pas à neutraliser le Hamas et le Hezbollah, l’Iran va devenir plus fort, et plus dangereux.
Risque-t-on dans pareil contexte que ces conflits régionaux se résorbent finalement par une Guerre mondiale ?
La dissuasion nucléaire reste encore en vigueur, et elle nous sauvera d’une guerre mondiale à l’échelle de celles que nous avons connues au siècle précédent. Cela dit, la dissuasion n’empêche pas des guerres limitées, et nos adversaires sont plus à l’aise que nous dans les « zones grises ». Ils savent comment nous faire du mal sans aller trop loin.
Mais, la possibilité d’une guerre d’une grande ampleur au Moyen Orient est réelle, surtout si l’Iran décide de déclencher un conflit majeur à travers ses supplétifs libanais. Cela peut faire exploser tout le monde arabo-musulman. Cette guerre s’étendrait alors jusqu’aux rues de Paris. Une opération terrestre israélienne dans la bande de Gaza pourrait échauffer les esprits et les consciences… L’Opération Sentinelle aura du travail…
Une fois cela posé, il reste bien évidemment la Chine. Néanmoins, Taïwan ne m’inquiète pas beaucoup. En revanche, l’agressivité de la Chine vis-à-vis des Philippines me préoccupe. Taïwan n’est pas un allié des Etats-Unis, mais les Philippines, si. D’ailleurs, les liens entre les Américains et les Philippins sont forts. La probabilité d’une intervention américaine dans ce conflit est beaucoup plus élevée et immédiate.
De fait, nous assistons en Ukraine au premier conflit de très haute intensité depuis 1945, et partout ailleurs à la renaissance d’enjeux irrédentistes. La tension militaire actuelle se double d’une tension économique et d’accès aux ressources. L’Europe est très fragilisée. Ses accès aux routes énergétiques russes sont en grande partie coupés, et il ne faudrait pas que celles passant par les pays arabes le soient aussi. Dans ce contexte, la politique énergétique française affiche une plus grande résilience, contrairement à l’Allemagne. La France peut-elle jouer un rôle moteur en Europe ?
La guerre ukrainienne sonne l’alarme. Les tensions sont revenues en Europe. Les Européens, qui ont vécu confortablement dans l’après-Guerre Froide, ont perdu l’habitude de réfléchir sur les questions de défense. Il faut que cela change. Surtout au vu de la possibilité d’un retour de Donald Trump et de la montée du sentiment isolationniste chez les Américains. L’Europe risque de se trouver abandonnée par les Américains comme ce fut le cas dans les années 1920 et 1930.
La France peut clairement jouer un rôle moteur, surtout en ce qui concerne le nucléaire. Il va falloir que l’Europe diversifie ses sources énergiques, et s’occupe plus de la concurrence pour les métaux dits « stratégiques. ». Les États-Unis ont moins de soucis en ce qui concerne l’énergie, puisque c’est un pays producteur. Les Américains ont toutefois du mal à se libérer de l’emprise chinoise en ce qui concerne les métaux stratégiques. À mon avis, il faut que les pays occidentaux travaillent ensemble pour bloquer les Chinois et s’assurer de l’accès aux minéraux critiques.
Qui dit multipolarité peut aussi dire multiculturalité. On le constate dans le monde occidental si on fait fi du politiquement correct qui entoure la question : les diasporas et les communautés issues de l’immigration peuvent faire peser une pression constante sur les gouvernements, allant jusqu’à entraver leur souveraineté diplomatique, notamment par peur de la contagion terroriste. La question palestinienne, ainsi que les divers conflits africains pour la France, le démontrent aisément. Quid ?
Sujet compliqué. En règle générale, les Américains portent un regard différent sur l’immigration. Nous sommes un pays d’immigration, et en plus, nous n’avons pas la même notion d’identité nationale. Qu’est-ce que c’est qu’être Américain ? Je ne sais pas. Nous aimons le baseball. Mais après avoir dit ça ? Je ne parle pas des nativistes américains qui sont xénophobes et racistes, ou des chrétiens intégristes qui ont une grande influence politique. En revanche, pour les Européens, être « Français » ou « Italien » a un sens plus clair.
Ceci étant posé, j’observe que la marée des réfugiés continue de monter, et que la situation pour les Américains et les Européens va grandement se complexifier. On ne peut pas accueillir tout le monde. Il faut trouver un juste milieu. Même aux États-Unis, les très grandes vagues d’immigration du XIXème siècle et du début du XXème ont provoqué des problèmes. Nous avons eu des difficultés pour digérer ces masses humaines énormes. Heureusement, avec le temps, et grâce à notre système éducatif, nous avons réussi. C’est pour cela que je prêche un juste milieu. Laissez-les entrer, mais pas trop à la fois. Soyez gentils, mais soyez réalistes.
Il faut aussi admettre que certaines populations immigrées sont plus problématiques que d’autres. Les vagues d’immigrants latino-américains qui traversent la frontière américaine ne posent pas de problème. Pas vraiment, du moins. Je n’aime pas leur influence sur la musique populaire (mes enfants écoutent de la musique Trap et Reggaeton, que je déteste), mais tant pis pour moi ! En balance, les immigrants nous enrichissent. Ce sont, aussi, des gens qui ne cherchent pas de problèmes avec les autorités. Ils ne font pas d’émeutes. Ils travaillent. Mais, certaines populations musulmanes sont plus problématiques. Il ne faut absolument pas généraliser, mais on voit dans les manifestations récentes en Europe et en Amérique contre Israël, et dans la violence contre les communautés juives – laquelle fait partie du quotidien pour les juifs français et allemands depuis longtemps – un manque de valeurs chez certains que les Français appelleraient « républicaines. » La réponse, pour moi, n’est pas la discrimination, ou les lois contre le port du voile, par exemple. Que les gens s’habillent comme ils veulent et profitent de la liberté à leur manière. La réponse est l’école. C’est là où il faut défendre et propager les valeurs républicaines. Et c’est là où je suis devenu sensible aux argumentations « anti-woke, » grâce à l’expérience de mes enfants qui sont scolarisés dans les écoles publiques de Washington, DC. La diversité époustouflante de leurs écoles est magnifique. Elle est bénéfique pour mes enfants, qui ont des amis de toute sorte. Mais la diversité est vendue comme une valeur en soi, et on ne s’intéresse plus à promouvoir une culture commune. Je crains qu’on divise au lieu d’unir. Je vous donne un exemple clair : on n’enseigne plus la littérature anglaise qui était la base de ma formation ; le canon littéraire, après tout, serait raciste. Qui le définit ? Et quand j’ai demandé pourquoi on n’enseigne pas les classiques de la littérature anglaise (Chausser, Milton, Shakespeare, Keats, Conrad, etc.), on m’a répondu que de tels livres n’étaient pas « pertinents » pour les étudiants, qui sont majoritairement noirs et latino-américains. Je sais que tous les auteurs que j’ai lus à l’école étaient blancs, et il fallait corriger ces lacunes dans ma formation, mais, comme toujours, il s’agit de trouver un juste milieu, et de ne pas déposséder les enfants de Washington de l’opportunité d’agrandir leurs horizons et de partager une culture plus grande que leurs milieux immédiats.
En ce qui concerne le terrorisme. On a vu récemment à Arras que le sujet reste sensible. Mais je ne sais pas quoi dire au sujet de la manière avec laquelle la France gère ce dossier. Sauf qu’il ne faut pas être trop indulgent vis-à-vis des milieux islamistes.
L’Occident joue en défense depuis 2022, si ce n’est avant. Les aventures irakiennes, libyennes et syriennes ont montré nos failles. Reste qu’il s’agit toujours du bloc le plus cohérent sur le plan idéologique, mais aussi du plus soudé par des intérêts communs. Comment sortir par le haut de cette crise majeure ?
Encore une fois, il faut serrer les rangs, et il ne faut pas avoir peur d’affirmer notre vision.
Le post-modernisme prétend que la vérité n’existe pas, ou plutôt que les vérités sont variables et dépendent toujours de la subjectivité de chacun. Nous qui nous pensons les héritiers des Lumières et de la culture libérale devons savoir contrer cette perspective.
En ce qui concerne le Moyen Orient, une ligne à tracer dans le sable est le rejet complet de Hamas et tout ce qu’il représente. Le pire serait de chercher à plaire à la foule. A mon avis, cela faisait partie de la motivation de De Gaulle quand il a décidé de laisser tomber Israël. Ou de trahir les valeurs libérales au nom de la solidarité avec des gens dont les valeurs sont loin d’être positives pour notre société, de qui est le projet de Monsieur Mélenchon.
[1] Changement d’ère, changement de focus géostratégique
Le ministère de l’Enseignement supérieur demande aux présidents d’université de «ne tolérer aucune manifestation de haine». Quelques sanctions ont été prononcées, histoire de montrer que la directive a été entendue, mais les slogans anti-israéliens et pro-Hamas fleurissent dans les facs de France.
« Nous, associations étudiantes soussignées, tenons le régime politique israélien pour directement responsable de toute violence en cours. » Ces quelques lignes, datées du 7 octobre, débutent un communiqué signé par 33 associations étudiantes de l’université d’Harvard, menées par le « Palestine Solidarity Committee ». Au moment où l’armée israélienne peinait à repousser les troupes terroristes et où de la confusion émergeaient progressivement les détails des atrocités commises, les membres de ces associations influentes s’agitaient pour justifier les actes du Hamas, s’inquiétant du sort des Palestiniens, sans un mot pour les civils israéliens massacrés et pris en otage. Circonstance aggravante : les instances dirigeantes d’Harvard ont initialement fait preuve d’une troublante ambiguïté, n’offrant que des propos lénifiants sur la « compassion » et le « dialogue ». Harvard n’est pas la seule prestigieuse université américaine où de telles voix se sont exprimées : c’est le cas aussi à Columbia ou à Stanford. Au point de déclencher une polémique nationale. L’indécence des propos tenus a suscité l’émoi, provoquant un déferlement d’hostilité en retour ; face aux pressions, les deux tiers des associations signataires d’Harvard ont désavoué le communiqué. Les tensions ne sont pas près de retomber entre les deux camps qui se font désormais face.
Quand je me regarde je me désole, quand je me compare je me console
On pourrait presque se dire qu’en France, en comparaison, on n’est pas si mal lotis. Presque. Pour une fois, les autorités universitaires semblent décidées à faire preuve de fermeté. Dans la ligne du gouvernement, la ministre de l’Enseignement supérieur a incité le 9 octobre les chefs d’établissement à « ne tolérer aucune manifestation de haine ». France Universités, ex-conférence des présidents d’universités, a déclaré le 11 octobre que « les présidentes et présidents d’université ne laisseront pas prospérer dans leur établissement des initiatives visant, sous couvert de débattre de la situation au Proche-Orient, à faire circuler des propos chargés d’antisémitisme ». Et effectivement, des sanctions ont été prises : un maître de conférences de l’université Panthéon-Assas a été suspendu après des blagues jugées antisémites, des associations ont été signalées à la justice. Le sujet paraît avoir été globalement pris au sérieux.
D.R
Las, de modestes mesures de circonstance n’ont aucune chance de régler le problème, ancien et profond. D’autant que tous les dirigeants d’universités ne sont pas sur la ligne majoritaire. Sans surprise, un bon nombre d’universités françaises abritent des groupes d’extrême-gauche défendant le Hamas en toute impunité, bien au-delà de la tristesse et de l’inquiétude hautement légitimes pour les Gazaouis, assiégés et abondamment bombardés. Paradoxalement, il s’agit de donner un blanc-seing à l’islamisme conquérant, en refusant d’admettre la dimension religieuse du conflit israélo-arabe.
C’est un cas d’école : l’université Toulouse-II Jean-Jaurès, dite du Mirail, incontestablement sur le podium des « facs les plus à gauche de France ». Le 11 octobre, des tags sont retrouvés un peu partout dans le campus : « Vive l’offensive palestinienne ! Vive le Hamas ! Vive Gaza libre ! » ; « Gaza s’étend, la décolonisation a commencé ! »… Ils sont signés de la Ligue de la jeunesse révolutionnaire, un collectif qui estime que « l’Héroïque peuple de Palestine condense la question du Front anti-imperialiste mondial ». Le même jour, une grande banderole est accrochée à un bâtiment : « Le Mirail soutient la résistance palestinienne ! » La Ligue de la jeunesse révolutionnaire ayant posté les photos de ses œuvres, un membre de la Licra a saisi la présidence de l’université et le préfet de la région Occitanie, leur demandant d’agir contre l’apologie du terrorisme.
Pression idéologique écrasante de l’extrême-gauche
Or, la présidence refuse d’abord de condamner, rapporte La Dépêche le 11 octobre : « La direction de l’université ne souhaite alimenter aucune polémique et réaffirme son attachement profond à la paix. » Le lendemain, un deuxième communiqué rectifie le tir : « La direction de l’université Toulouse 2 Jean Jaurès condamne avec force les actes de terrorisme perpétrés contre le peuple israélien. […] Elle maintient une vigilance extrême contre tout agissement relevant de l’antisémitisme, de l’apologie du terrorisme et de l’incitation à la haine. » L’hésitation s’explique aisément par la pression idéologique écrasante de l’extrême-gauche, qui diffuse toutes les « luttes » du gloubi-boulga woke sur le campus. Le 14 mars dernier, l’université a accueilli une conférence du collectif « Palestine vaincra », qui soutient la « résistance palestinienne sous toutes les formes qu’elle juge nécessaire et légitime, y compris armée ».
Malgré la « vigilance extrême » revendiquée, un rassemblement pro-palestinien, le premier organisé à Toulouse, a été organisé sur le campus le 18 octobre. Révolution permanente, groupe dissident du NPA, s’est réjoui de cet événement où 400 personnes ont crié « Palestine vivra, Palestine vaincra ».
On aurait tout aussi bien pu prendre les exemples de Lyon-II, Poitiers ou Sciences-Po. Partout, ce sont les mêmes mots-clés : les Palestiniens sont victimes de « génocide » de la part d’Israël, pays « colonisateur » ayant institué un « régime d’apartheid ». L’union syndicale Solidaires a publié le 8 octobre un communiqué soutenant « le droit imprescriptible que le peuple palestinien a de se défendre pour se libérer du joug colonial ». On aimerait savoir si ce droit imprescriptible suppose de réaliser l’objectif affiché par le Hamas dans sa charte de 1998, « le jihad contre Israël jusqu’à sa destruction ».
La propagation de ces schémas vétustes issus de l’imaginaire outrancier de l’extrême gauche est certainement le plus grand méfait que puissent accomplir les groupes militants des universités. S’agissant des événements en France, la palme d’or du grotesque morbide revient peut-être à Solidaires 64, qui parlait sur Twitter le 14 octobre de Dominique Bernard comme de l’enseignant « tué au travail »à Arras. L’expression qualifierait correctement un maçon écrasé par une poutre, mais paraît pour le moins déplacée pour un attentat perpétré par un islamiste tchétchène. Espérons que cet aveuglement retentissant ne soit pas en train de s’aggraver dans la jeunesse étudiante.
À Tel Aviv, dans un pays en guerre, notre journaliste Ivan Rioufol a rencontré des Israéliens profondément amers. L’angélique naïveté d’une cohabitation possible avec les Palestiniens semble loin derrière eux.
Aéroport de Tel Aviv quasi-désert. Seule la compagnie israélienne El Al dessert le pays, en guerre depuis le 7 octobre. Les hôtels, vidés de leurs touristes, ont été pour la plupart réquisitionnés pour y héberger les familles israéliennes évacuées des zones proches de Gaza. C’est le cas de l’hôtel où je me trouve ce lundi matin, face à la mer : joggeurs, baigneurs. Mais la ville habituellement électrique vit au ralenti. Telles sont les premières impressions du voyageur qui débarque, pour y découvrir une nation profondément traumatisée par l’attaque surprise du Hamas et par l’humiliation subie par Tsahal (1400 morts, 230 otages). « On s’est endormis », reconnait Yossi Kuperwasser, ancien chef de la division de recherche du renseignement militaire, rencontré dimanche à l’initiative de la branche française du KKL, ONG israélienne.
Des premiers témoignages recueillis, il ressort une profonde amertume sur l’angélique naïveté d’une cohabitation possible avec les Palestiniens. L’expérience de l’autonomie accordée à Gaza il y a 18 ans pousse les interlocuteurs à reconnaître que ce statut a été malheureusement mis à profit pour propager la haine des juifs au lieu de développer le territoire. « Dès qu’on se sépare des Palestiniens, ils veulent nous chasser », constate Kuperwasser. Daniel Saada, ancien chargé d’affaires de l’Ambassade d’Israël en France, rappelle pour sa part avoir alerté depuis des lustres sur le vrai visage du Hamas, tel qu’il s’est révélé le 7 octobre dans sa diabolique barbarie.
Chacun ici veut croire que le peuple israélien, qui se déchirait il y a encore peu sur la politique et la Justice, s’est durablement ressoudé et renforcé dans l’adversité. Force est d’ailleurs de remarquer que les Arabes Israéliens, qui ont été aussi victimes des égorgeurs du Hamas (le chiffre de 20 morts parmi eux est avancé), se gardent pour l’instant de rejoindre les foules pro-Hamas de la « rue arabe » à travers le monde.
Reste l’incertitude sur l’avenir de Gaza. Israël est certes déterminé à éradiquer le mouvement terroriste islamiste. Une déroute du Hamas serait vue par l’État hébreu comme celle des parrains de l’organisation djihadiste que sont l’Iran, le Qatar, les Frères musulmans, Daesh. Les Gazaouis, qui pour certains travaillaient en Israël, sont désormais durablement indésirables. Cependant, aucune solution de rechange au Hamas n’existe à ce stade d’une guerre non programmée, sinon d’envisager dans la durée un contrôle militaire du territoire. Faut-il s’attendre à ce qu’Israël reprenne pied sur ces terres évacuées naguère par Ariel Sharon, dans la douleur des familles juives expulsées ? La question est dans l’air, même si cette éventualité d’un retour d’Israël n’emballe a priori personne. Une chose est sûre dans l’immédiat : la perspective souhaitable de deux États n’est toujours pas l’issue la plus proche. « Il faut d’abord dénazifier la société palestinienne », explique Kuperwasser.
Dominique Barbéris vient d’être récompensée par le Grand Prix du roman de l’Académie française pour Une façon d’aimer. Patrick Grainville, dès La Ville, (1996), premier ouvrage de la romancière, avait été enthousiasmé par son écriture aussi élégante que subtile : « Tout l’art delaromancière est dans l’acuité de son regard. Précis, cernant détails, matières et nuances. Les variations du ciel captées à fleur de peau, les petites pluies poudreuses comme autant d’avatars de l’âme. » Dans ses récits, Dominique Barbéris, normalienne et agrégée de Lettres modernes, fait affleurer les âmes et les vies de personnages dont elle préserve l’intimité. Photographe, elle fixe l’infime, l’impalpable et le labile et immortalise le trait de lumière, quand il déchire le clair-obscur ; nez, elle recompose des fragrances oubliées, autrefois respirées. Si, dans Une façon d’aimer, Dominique Barbéris matérialise, bien sûr, l’écume d’une vie et peint le passage sur terre, elle les arrime aussi solidement à l’Histoire. C’est ce qui rend ce roman dédiéà la mémoire d’un père, parti en Afrique en 1950, si touchant. « Je retourne à Douala », dit la mère très âgée de l’auteur, en lisant Une façon d’aimer. Dominique Barbéris a écrit ce très beau roman en cherchant à retourner au Cameroun où elle est née.
C’est le « livre sur rien » rêvé par Flaubert qu’écrit, avec Une façon d’aimer, celle qui fut reçue à l’agrégation « l’année de L’Éducation sentimentale » : la narratrice, alter ego de l’écrivain et nièce du personnage principal reconstitue à partir de photos couleur sépia et de courriers jaunis le parcours sans éclat d’une femme française dans les Trente Glorieuses et la décolonisation. Madeleine, une jeune provinciale timide qui a « quelque chose de Michèle Morgan » quitte Nantes pour suivre à Douala un mari qu’elle connaît à peine. Ce Charles Bovary intelligent y travaille, employé à la Société des bois du Cameroun. Ils y resteront quatre ans, jusqu’à l’indépendance. Dans une ville chatoyante aux odeurs fortes, l’héroïne, petite sœur de la Princesse de Clèves comme de Madame Arnoux et d’Emma Bovary, s’ennuie dans sa maison à colonnades, souvent seule avec son boy et sa petite fille. Elle n’aime pas se mêler au microcosme des expatriés et fuit ses mondanités, ses médisances et ses intrigues. Effacée, elle redoute les femmes de ce milieu confiné : frivoles, coquettes et délurées. Pourtant, lors d’une soirée à la Délégation alors qu’elle fait tapisserie, elle croise un homme aux manières d’aventurier, ce séducteur brun exsude la force et la virilité : un Monsieur de Nemours mâtiné de Rodolphe Boulanger : « Ce fut comme uneapparition », « Leurs yeux serencontrèrent ». Flaubert, toujours, mais aussi Madame de La Fayette et puis, une variation sur l’inépuisable scène de la première rencontre, très réussie. Commencent de chastes promenades dans une Douala moite où couve l’indépendance prochaine. Madeleine, troublée par l’administrateur colonial, parle à peine, tenant sa petite fille par la main. Et voilà que l’homme à femmes se met à aimer l’épouse fidèle et réservée. Un soir, alors que la pluie équatoriale s’abat sur la ville halitueuse où gronde la révolte, Madeleine saura-t-elle braver un couvre-feu fraîchement imposé pour se rendre à ce qui s’annonce comme un dernier rendez-vous ?
Une façon d’aimer est un tableau impressionniste exécuté sur un solide fond d’histoire contemporaine qui donne la possibilité de se souvenir, non sans nostalgie, des belles choses. Quand la narratrice éclaire sobrement, avec délicatesse, la vie de Madeleine, femme libre et moderne, elle donne à voir l’histoire d’une famille au vingtième siècle : de son entrée dans la modernité sociale à nos jours. Sous les apparences on devine, cachées, les intermittences des cœurs qui battent. Le roman égraine, comme le Petit Poucet ses cailloux, les chansons populaires d’une époque révolue, celles de Guy Béart ou Brel, André Claveau et Patachou, de Mouloudji ou Dalida, alors, tout chose, on médite sur ce « fait mystérieux et obscur d’avoir vécu. » Tempus fugit : nostalgique, on rend hommage à nos parents, nos grands-parents, qui comme Madeleine, sont passés « de l’autre côtédu temps ». Ils sont là, avec nous, un instant, dans la pulvérulence qu’éclaire un rayon de soleil subreptice.
Et puis, c’est toute notre littérature qui innerve le roman, Madeleine lit les auteurs qu’on a lu, enfant : Mauriac, Troyat, Cesbron. L’écriture de Dominique Barbéris, dans sa facture, ses références implicites ou ses allusions plus franches nous fait côtoyer Madame de La Fayette, Hugo, Flaubert, Proust, Gracq ou Robbe-Grillet et… force m’est de le reconnaître, Annie Ernaux, que je ne goûte plus, dans ce qui fit la force de ses premiers écrits.
On est bien loin ici d’une certaine littérature contemporaine qui expose et explose dans l’impudeur et l’exhibition, c’est avec retenue qu’on célèbre ici une époque révolue et le passage du temps sur des hommes mus par le désir mais lestés par le devoir. La vie passe lentement et délite les êtres : Madeleine et son mari, vont mourir, vieux. « Ils étaient devenus un vieux couple, effacé, poli et discret. Ils traversaient prudemment aux carrefours en se tenant par le bras ; mon oncle avait une canne. Elle se tenait toujours très droite. C’était la génération de la guerre. Ils disaient qu’ils avaient tiré leur épingle du jeu. Ils avaient vu leur petite partie du monde. Ils ne réclamaient rien à personne. Ils n’intéressaient plus personne non plus. » Dominique Barbéris dit les élans, le désir et les renoncements des êtres ordinaires, emportés par l’Histoire. Elle dit la mélancolie que donne le temps qui passe et la douleur du deuil, expérience aussi intime qu’universelle. Une Façond’aimer sonne à nos oreilles comme la chanson d’Yves Montant : Trois petites notes demusique.
Trois petites notes de musique
Qui vous font la nique du fond des souvenirs
Lèvent un cruel rideau de scène
Sur mille et une peines qui ne veulent pas mourir.
Le président de la République a inauguré le 30 octobre, à Villers-Cotterêts, la Cité internationale de la langue française. Il s’agissait de son grand projet culturel et il a été mené à bien. Était-il vraiment utile ? Un « ciment » de la nation ?
Si on perçoit bien l’importance historique de Villers-Cotterêts pour la langue française, on peut s’interroger sur l’impact positif de la construction de cette Cité en ce qui concerne la qualité du français au quotidien. Comme s’il convenait, grâce au magnifique écrin d’un château du XVIe siècle, de rendre hommage à la langue française avant même d’avoir veillé à sa préservation et à son amélioration. Jean-Marie Rouart, dans une charge qui ne manquait ni de vigueur ni de talent, a dénoncé cette entreprise qui, selon lui, oubliait l’essentiel : le français en péril et l’obligation de la mise en œuvre d’une politique le sauvegardant et le défendant partout où il était attaqué. 300 millions de personnes dans le monde parlent le français et si ce chiffre est en déclin, ce n’est pas seulement à cause de la perte d’influence politique et culturelle de la France. Mais aussi, voire surtout, par le fait qu’au fil du temps les pouvoirs se sont contentés de prendre acte de ce délitement, en acceptant la domination de plus en plus nette d’autres langues sur la nôtre, pourtant si belle et tellement adaptée à tous les genres de l’esprit et de la sensibilité. Dans l’évolution du lien que la France a entretenu avec sa langue, une forme de résignation s’est emparée du pays qui a fini par juger naturelle l’appropriation du bon français par les élites et par s’accommoder de la médiocrité qui aurait été le lot de la majorité des citoyens. Il faudrait d’ailleurs, sur le premier point, être beaucoup plus vigilant et exigeant qu’on ne l’est. Il est en effet effarant de constater qu’au sein des classes qualifiées de supérieures, quel que soit leur champ d’activité dès lors qu’une expression publique est requise, une dégradation insensible s’est produite qui décourage les amoureux du français. Les politiques, les journalistes, les professeurs, les intellectuels, les chroniqueurs, les animateurs ou les artistes – personne n’est plus à l’abri, même dans ces catégories, d’une sorte de négligence, de paresse, de familiarité convenue. On choisit toujours, contre le mot juste, le verbe faussement décontracté, si ce n’est fâché par exemple avec les accords essentiels. Ce n’est pas dérisoire que cette accoutumance à une parole qui se flatte de n’être plus exemplaire. Quand le peuple, lui, n’aspire qu’au contraire. Cette dérive par le haut est très directement responsable de cette médiocrité par le bas. Médiocrité révélée paradoxalement par l’hommage rendu à ceux qui « déclarent leur flamme à la langue française » et qui sont la plupart du temps des étrangers. Et également par le fait qu’on demande pourquoi « les mots fascinent » seulement à des intellectuels, essayistes et Académiciens. Comme si le français n’était pas pour tout le monde. Comme si notre obsession ne devrait pas être prioritairement de nous pencher sur la multitude des amateurs qui sont conduits par leur fonction, leurs activités sportives, leurs prestations médiatiques et artistiques, à intervenir dans l’espace public en usant d’un verbe pas trop déshonorant.
Il y a dans l’indifférence à l’égard de ceux qui maltraitent sans le savoir la pureté de la langue, une touche de mépris, comme si l’apanage d’un français de qualité était le dernier luxe restant aux privilégiés. Pourtant, rien n’est plus exaltant que d’offrir cette démocratie d’un verbe correct, d’une oralité estimable, à la multitude de ces citoyens émerveillés de découvrir qu’ils peuvent eux aussi faire d’une langue banalement morte une langue vivante. Le français ne doit plus être un privilège mais une chance pour tous. À chacun sa Cité.
Depuis les massacres perpétrés par le Hamas, le 7 octobre dernier, et la réponse israélienne à ce terrorisme de masse, le terme de « piège » s’est imposé chez les commentateurs, non sans mimétisme par facilité de langage. Pourtant, la thèse d’un « piège gazaoui » mérite réflexion…
Certains parlent ainsi pour faire comprendre que les Israéliens devraient prendre sur eux et laisser impuni le terrorisme de masse, afin de se consacrer à l’élaboration d’une « solution à deux États ». Cette approche techno-pacifiste repose sur l’idée que les conflits découleraient d’un « échange raté » ; elle nie la profondeur psychologique des conflits et ce qu’est le politique, saisi dans son essence.
De fait, piège il y a, moins pour l’État hébreu, habitué à mener des guerres et des opérations dans un milieu international hostile, que pour ses alliés et partenaires occidentaux, placés en porte-à-faux. Encore faut-il s’interroger sur ceux qui ont monté ce piège. A maints égards, le Hamas apparaît comme l’exécutant d’une manœuvre d’ensemble, cela n’excluant par une certaine autonomie tactique et opérationnelle. Toujours est-il que ces « islamikazes » ont engagé une entreprise suicidaire, la réaction d’Israël, frappé dans ses intérêts vitaux, ne pouvant qu’être terrible. Ses chefs sont-ils conscients d’être instrumentalisés ?
De prime abord, on pense au régime iranien qui, patiemment, a mis en place au Moyen-Orient un dispositif militaro-terroriste, dont l’envergure panislamique dépasse les limites du « croissant chiite ». Au sein de ce dispositif, le Hamas, branche palestinienne des Frères musulmans, constitue une sorte de Hezbollah gazaouite. Selon ce schéma, le Hamas a déclenché une réaction en chaîne. Protégé par son statut de quasi-État nucléaire, l’Iran fait planer la menace d’ouvrir d’autres fronts contre Israël et ses alliés, en Irak, au Liban-Sud, à la frontière syro-israélienne, avec des répercussions dans les détroits d’Ormuz et de Bab-el-Mandeb. Ainsi Téhéran prendrait-il la direction de la région et du monde islamique.
Nul doute que la guerre ne bénéficie également à la Russie, appuyée par la Chine. Outre le fait que la guerre accapare les ressources des États-Unis, possiblement aux dépens de l’Ukraine et du détroit de Taïwan, l’axe Moscou-Pékin veut chasser les Occidentaux du Moyen-Orient, vu comme morceau d’une « Grande Asie » sino-russe. Au-delà, l’enjeu est de rallier le « Sud global » contre l’Occident, en dénonçant le « deux poids, deux mesures ». Nul besoin d’une démonstration rigoureuse : la mobilisation des haines et des ressentiments est aisée.
Il serait erroné de voir dans les jeux pervers de la Russie au Moyen-Orient un simple effet d’aubaine. D’une part, il y a longtemps que le Kremlin entretient des liens suivis avec le Hamas, le Hezbollah et d’autres organisations de ce type, avec en toile de fond un axe régional Moscou-Damas-Téhéran. Ce dispositif n’était pas destiné à remporter un concours de beauté. D’autre part, le niveau de renseignement dont bénéficiait le Hamas soulève bien des questions. La sphère politique et la société civile israéliennes seraient-elles perméables aux opérations de renseignement d’une puissance extérieure ? Une telle puissance serait-elle simultanément capable d’exciter des groupes de colons en Cisjordanie et d’inciter le Hamas à passer aux actes ? En somme, tiendrait-elle les deux bouts de la chaîne ?
Les implications du « piège » gazaoui vont au-delà, avec des répercussions sur l’unité de l’Occident, plus encore celle de l’Europe. On songe aux foules qui défilent dans les capitales occidentales, derrière le slogan « La Palestine, du Jourdain à la mer », en écho à la volonté du Hamas de détruire l’Etat hébreu, avec ses conséquences pour les Juifs du Proche-Orient. En Europe occidentale, le poids des minorités de religion musulmane pèse sur les gouvernements et les élus.
D’ores et déjà, les membres de l’Union européenne peinent à s’accorder sur les termes d’un discours diplomatique commun, certains exigeant un cessez-le-feu qui priverait Israël de son droit de légitime défense, et donc de sa souveraineté effective. A l’Assemble générale des Nations unies, ces États ont dispersé leurs voix, les uns réaffirmant leur position en faveur d’Israël, d’autres se ralliant à la « trêve humanitaire » exigée par Pékin, Moscou et plusieurs capitales de l’ex-tiers monde. Le plus navrant fut de voir Paris passer de la proposition d’une « coalition anti-Hamas » à la « trêve humanitaire », et ce sous l’enseigne d’une Initiative pour la paix et la sécurité pour tous. Déjà, certains partisans du gaullo-mitterrandisme rêvent d’un axe euro-arabe qui ferait de la France un tiers pacificateur.
Bref, il faudrait perpétuer la longue suite d’erreurs commises sur la Russie poutinienne, puis sur la Chine néo-maoïste, qui menace Taïwan. Dans le cas présent, la sécurité d’Israël et sa profondeur stratégique seraient des variables d’ajustement, avec la « solution des deux États » comme martingale. Si la diplomatie macronienne persistait en ce sens, elle diviserait l’Occident. Voyant que la France et quelques-uns des Européens considèrent la sécurité d’Israël comme le problème des États-Unis, une partie de la classe politique et de l’opinion américaines rétorqueraient que l’Ukraine est celui de l’Europe. Alors, le piège gazaouite se refermerait sur une Europe divisée, privée de son grand arrière nord-atlantique : un « petit cap de l’Asie » sous pression militaire russe, bousculé dans ses œuvres vives par les logiques moyen-orientales. Gageons que des « réseaux caucasiens » assureraient la synergie des menaces.
Aussi importe-t-il que la claire conscience des périls et de ce qui lie les nations occidentales l’emporte sur le verbe, la grandiloquence et les faux-semblants. La conservation de l’être et l’équilibre du monde sont en jeu.
Le corps de Shani Louk, la jeune festivalière exhibée par l’organisation terroriste Hamas à l’arrière d’un pick-up, a bien été retrouvé par les Israëliens
Pourtant, de « Je suis Charlie » à « Je suis Shani », il n’y a guère. Et pas seulement phonétiquement. Les barbares qui ont assassiné les uns – ceux de Charlie Hebdo – sont frères de haine – comme on est frères de lait – de ceux qui l’ont enlevée, séquestrée, et au bout de son martyr, immolée, elle, Shani, la jeune et pétillante juive allemande qui aimait la fête, qui aimait la vie. Une vie qu’elle avait devant elle.
Les monstres se sont emparés d’elle à cette rave party où ils firent quelque deux cents morts en tirant comme on tire à la foire et en hurlant leur cri de fureur, ce cri que, malgré l’horreur extrême de ces faits et de tant d’autres commis au cours de ces quelques deux ou trois jours et nuits d’apocalypse, on entend brailler lors de manifestations ici, en France, mais aussi en Angleterre, en Australie, et ailleurs dans le monde. Cris qui, parmi d’autres, montent de ces foules s’écoulant en un long et terrifiant fleuve de ressentiment et de haine à travers les villes. Nos villes. Nous voyons les images, nous assistons à cela, qui se déroule tout près, sous nos yeux, à notre porte. Dans une espèce d’anesthésie aussi lâche que commode, nous nous ingéniions à considérer que s’il y avait bien ici ou là quelques ruisselets charriant cette vase immonde, ou même quelques rivières d’identique infection, il était impensable qu’il y eût de si grands et si puissants fleuves. On a vu Londres submergée comme jamais sans doute elle ne le fut lors des grandes folies de la Tamise. Dorénavant, nous ne pourrons plus feindre d’ignorer. Ils sont le nombre et le nombre est leur force. L’ignorance et le fanatisme religieux, eux, sont leur drogue. Qui parmi leurs guides se lèvera pour poser à haute et forte voix la question qu’exigerait le plus élémentaire des courages, la plus ténue lueur de lucidité, la seule question qui vaille en vérité : « Quel dieu peut vouloir cela ? » Aucun, espère-t-on croire encore. À voir ces scènes de rue, comment ne pas réaliser clairement que la peste des temps nouveaux est en mouvement, sursaturée d’une hystérie infâme que ceux qui la propagent feignent de croire sainte, sage et vitale pour eux.
Or, assistant à cela, et malgré les massacres qui nous sautent au visage, découvrant cet holocauste auquel il n’aura manqué que les moyens en matériels et en tueurs pour l’être véritablement, grandeur nature, que faisons-nous ? Pas grand-chose. Nous sommes émus, indéniablement. Mais l’émotion n’a jamais suffi à triompher de l’indifférence. Jamais. Pire, elle en est fort souvent l’un des alibis les plus courus. Elle est en fait l’élixir de la bonne conscience. Or, je crois bien que l’indifférence chemine parmi nous, sournoise, rampante. J’entends la petite musique, la répugnante petite musique de la vieille, très vieille antienne qui court encore dans nos tréfonds mémoriaux, dans notre inconscient dûment aseptisé, cette ritournelle dont le refrain évoquerait, mezzo voce, quelque chose de lénifiant et confortable comme une nébuleuse et éternelle « fatalité du destin juif ». Fatalité contre laquelle, au fond, on ne pourrait rien.
Oui, où sont les « Je suis Shani » ? Naguère, il y avait des « Je suis Charlie » partout, sur les balcons, sur les bagnoles, au revers des habits et jusqu’à la devanture des bistrots. Et cela faisait du bien. On pouvait se dire que nous étions une force en marche. Un peu comme un fleuve puissant, charriant un fort courant de refus, un flux de résistance. Or, rien de comparable aujourd’hui. Pourtant, demain, ou après-demain, nous ne pourrons pas nous abriter derrière le très éculé « on ne savait pas, on ne pouvait pas savoir » qui a été tellement d’usage dans les années d’après-guerre, lorsque c’était la barbarie, l’inhumanité absolue des camps qui nous sautaient à la figure. Nous, aujourd’hui, depuis trois semaines, on sait. On ne peut pas se voiler la face plus longtemps. Et il faut que, là où elle est, Shani sache qu’on sait. Qu’elle sache que nous avons désormais les yeux ouverts. Et il faut surtout qu’elle ait, et avec elle tous les autres, dont nos Français assassinés – une autre sépulture que le mausolée glacial de la résignation.
⚠️ Les images peuvent choquer.
Parmi les personnes prises en otage par le Hamas, il y a Shani Louk, une jeune germano-israélienne kidnappée lors d’une rave party dans le désert dans le sud d’Israël.
Pendant la guerre des civilisations, Festivus[1] continue ses saccages. Tant mieux, car sans eux et sans France Inter qui se fait un devoir de les célébrer bruyamment, on n’aurait pas beaucoup d’occasions de rire…
Le 15 octobre, ma chaîne publique recevait Paul Rondin, directeur de la Cité internationale de la langue française, sise à Villers-Cotterêts[2]. Je m’attendais naïvement à ce qu’il lance le combat contre l’écriture inclusive ou la dégradation de l’orthographe et m’amusais à l’avance de la stupéfaction du journaliste face à des propos aussi réactionnaires. Que nenni. Ce pur produit de la technostructure gaucho-culturelle a tenu à rappeler qu’il n’était pas là « pour protéger ou défendre la langue française, au contraire » – on avait mal compris –, mais « pour la faire vivre dans sa vitalité hospitalière, car les mots sont migrateurs ». Autrement dit, la vitalité de la langue française se mesure à l’aune des apports extérieurs qu’elle intègre. Paul Rondin aime le français à condition qu’il consente à se créoliser, comme dirait Mélenchon, et surtout, qu’il n’ait rien à voir avec la France, sa culture et son histoire.
Paul Rondin devrait faire équipe avec Thomas Jolly. Tous deux, issus des mêmes couveuses, ont été biberonnés à l’argent public : Rondin a été directeur adjoint du Festival d’Avignon, tandis que Jolly, 41 ans, est présenté sur le site de Radio France comme « le prodige du théâtre public », bien que son grand fait de gloire soit d’avoir ressuscité la comédie musicale « Starmania ».
Mais si Léa Salamé le reçoit le 24 octobre, c’est parce qu’il a été choisi « pour mettre en scène le Graal, les cérémonies d’ouverture et de fermeture des Jeux olympiques et paralympiques ». Pour Salamé, qui serait moins exaltée si elle interviewait la Vierge Marie, le Graal, c’est le milliard et demi d’êtres humains qui sera, paraît-il, derrière son écran pour l’ouverture de Paris 2024. Répétant d’une voix rêveuse « un milliard et demi », elle décoche au prodige des œillades admiratives, peut-être un brin envieuses. Lui, modestement, entend profiter de cette occasion unique d’adresser un message à un quart de l’humanité, qui n’attend certainement que ça. Entre autres perles de sagesse, il lâche que « chaque culture de chaque personne doit être considérée et respectée » et qu’en conséquence « on n’a pas à faire de hiérarchie », avant de décréter, face à une Salamé en lévitation, que Shakespeare vaut Britney Spears. On rêve de l’entendre prêcher ainsi devant des skinheads ou des djihadistes, ou même devant des Indiens ou des Chinois. Il n’y a qu’en Europe que la politesse impose de faire semblant de croire à ce genre de fadaises. « Vous, vous n’êtes pas culturellement correct », glousse la consœur. Non, pas du tout. Dans le genre transgressif, on apprendra aussi que « la pensée doit être sans cesse en mouvement, sans cesse en crise ». « Sans cesse penser contre soi-même », réplique la journaliste, la voix légèrement altérée par la solennité de ses propres propos.
« Tout ce que je fais est politique », assène le metteur en scène. Pour les cérémonies olympiques, qui se dérouleront sur six kilomètres de Seine, on peut donc s’attendre à un festival de poncifs concoctés par « les auteurs et les autrices » qu’il a rassemblés. Il est question des têtes de nos rois sortant de la Seine (on s’étonne qu’il n’ait pas plutôt pensé à les noyer), d’une tour Eiffel inversée. Las, Jolly voulait les Daft Punk parce que, dit-il en substance, quand on pense rayonnement mondial de la France, on ne peut pas ne pas penser aux Daft Punk. Ça ne va pas se faire. Qu’il ne désespère pas, il y a une chance pour que Médine soit disponible.
[1] Pour ceux qui l’ignorent, Festivus est le nom donné par Philippe Muray au spécimen humain de l’âge post-historique. Et comme son nom l’indique, Festivus transforme la boue de l’existence humaine en fête permanente.
[2] Elle est ouverte au public depuis quelques jours, mais son inauguration par le président de la République, prévue le 19 octobre, a été reportée en raison des événements en Israël.
La ministre sud-africaine des Affaires étrangères, Grace Naledi Pandor, est au cœur d’une petite tempête après avoir révélé dans un communiqué qu’elle avait eu une conversation téléphonique avec le chef du Hamas. L’objectif de cet appel, effectué à la demande d’Ismail Haniyeh, était d’évoquer l’acheminement de l’aide humanitaire en Palestine.
Le conflit israélo-palestinien s’est invité une nouvelle fois dans la politique sud-africaine. Un dossier pour lequel la nation arc-en-ciel est fortement impliquée et qui reste un enjeu majeur pour l’Afrique du Sud. Pour le meilleur et pour le pire. Depuis quelques jours, la ministre sud-africaine des Affaires étrangères, Grace Naledi Pandor, est au cœur d’une tempête après avoir révélé dans un communiqué qu’elle avait eu une conversation téléphonique avec le chef du Hamas le 17 octobre. L’objectif de cet appel, effectué à la demande d’Ismail Haniyeh, était d’évoquer l’acheminement de l’aide humanitaire en Palestine.
Chemin dangereux
Bien que le gouvernement sud-africain ne cache pas sa proximité avec le peuple palestinien, le Conseil des députés juifs sud-africains et la communauté juive sud-africaine se sont dit horrifiés par cette discussion ouverte avec le Hamas, surtout dans les circonstances actuelles. Karen Milner, présidente de cet organisme politique, a expliqué que cela constituait une preuve du soutien public de la ministre au Hamas. Selon elle, le fait que la ministre des Affaires étrangères ait désigné le Hamas comme un partenaire crédible, au moment même où tous les autres pays du monde libre condamnaient les attaques du Hamas contre Israël, montre clairement que Grace Naledi Pando a pris parti et entraîné l’Afrique du Sud sur un chemin très dangereux. Face à la polémique, le Département des relations internationales et de la coopération (DIRCO) a répondu que contrairement à de fausses informations, la ministre n’avait en revanche pas exprimé le moindre soutien au mouvement armé palestinien.
Si, le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, a présenté ses condoléances au peuple israélien, il a également exprimé sa solidarité avec les Palestiniens, affirmant que ces derniers menaient « une lutte juste ». Une position qui n’est pas surprenante, car l’African National Congres (ANC) a toujours établi des parallèles entre la lutte menée par son mouvement contre le régime de ségrégation raciale et la situation au Moyen-Orient, désignant Israël comme un « État d’apartheid » qui a collaboré avec le régime afrikaner. Interrogé à ce sujet, Bob Wekesa a expliqué que si le gouvernement traite habituellement avec l’Autorité palestinienne du président Mahmoud Abbas, il est évident qu’il a également pris position en faveur du Hamas. Ce maître de conférences à l’Université de Witswatersrand, a souligné qu’il était étrange sur le plan diplomatique que le ministère ait répondu à un appel du Hamas, étant donné que cette organisation n’est pas reconnue mais plutôt étiquetée comme un groupe terroriste.
Jouez plutôt au rugby!
L’Afrique du Sud compte une population musulmane et une population juive importantes. Depuis le début des affrontements entre Palestiniens et Israéliens, des manifestations pro-palestiniennes ont eu lieu dans tout le pays. L’ANC a également organisé vendredi 20 octobre, une marche de solidarité avec la Palestine devant l’ambassade israélienne à Pretoria, après le bombardement d’un hôpital de Gaza qui a fait de nombreuses victimes.
Si le pays de Nelson Mandela a proposé de jouer un rôle de médiateur dans le conflit en cours (cette proposition n’a cependant pas été retenue par la communauté internationale), et bien qu’elle vienne de remporter la Coupe du monde de Rugby, il est peu probable que cette victoire des Springboks arrive à fédérer les Sud-Africains autour d’un soutien à Israël et faire de l’Afrique du Sud un partenaire crédible sur la scène internationale.