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Serge Gainsbourg et la mystérieuse Mademoiselle Le Pen

Le 7 juin 1985 Serge Gainsbourg est l’invité-vedette de l’émission Le jeu de la vérité de l’irritant Patrick Sabatier, sur TF1. C’est un immense succès d’audience, et Gainsbourg – d’une sobriété éclatante – crève l’écran. Il est à deux doigts – de bourbon – d’être le gendre idéal. Le poète racontera plus tard, par hasard et pas rasé, cette croustillante péripétie à son biographe Gilles Verlant : « Je sors dans les boîtes. Arrive une jeune fille assez jolie qui se met à ma table et se colle à moi en m’accablant de compliments. Elle me raconte que son père a adoré l’émission, en particulier l’histoire du petit immigré que j’ai raconté à la première personne : ‘Je vais voir Mitterrand et je lui demande Combien vous me donnez pour que je me casse ? Il me répond 10 briques, je vais voir Raymond Barre, même question, il me propose 50 briques, puis je vais voir Le Pen, même question Combien vous m’donnez pour que je m’tire ? – Cinq minutes !’. La fille me dit ‘Mon père était plié en deux’. Je finis par lui demander : ‘Mais qui c’est votre père ?’ Eh bien c’était la fille de Le Pen… Je l’ai sortie toute la nuit, jusqu’aux aurores… » .

Difficile de savoir si cette savoureuse histoire est véridique, ou relève du sens éprouvé de la provocation de l’homme à la tête de chou. Délicat aussi de savoir si l’éruptif Serge songeait ici à Marie-Caroline Le Pen, qui avait alors 25 ans, à sa sœur cadette Yann, 21 ans en 1988, ou bien alors à Marine, qui n’avait alors que 17 printemps… Reste qu’au-delà de l’anecdote plaisante – celle de la fille du leader d’extrême droite provoc tombant sous le charme anar-chic du trublion subversif, bien que commercial, de la chanson française – se dégage une forme d’allégorie de la séduction insidieuse… Un vertige qui s’exprime en ces termes : devons-nous laisser, Mlle. Le Pen s’asseoir à notre table et se « coller à nous » ?

François Hollande, l’homme qui n’aime pas les passions

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A un journaliste qui l’interrogeait sur le peu de ferveur suscitée dans les foules par sa candidature, François Hollande a répondu « Je préfère être élu sans ferveur que battu avec !». Certains ont vu dans cette boutade une pique adressée à son ex-compagne qui avait, elle, mobilisé les affects des militants et sympathisants de gauche lors de son duel avec Nicolas Sarkozy en 2007, avec le résultat que l’on connaît. Cette interprétation est un peu réductrice, car la flèche visait également Nicolas Sarkozy, qui ne manque pas une occasion de faire de sa personne le réceptacle des sentiments, positifs ou négatifs, qui animent les électrices et les électeurs.

Lorsque l’on est pas le meilleur dans un registre, on se trouve face à une alternative : soit l’on s’efforce de se hisser au niveau de ses concurrents, soit l’on décide d’abandonner ce terrain pour jouer une partition qui vous convient mieux. C’est cette dernière solution que François Hollande a choisie, avec l’aide, sans doute, de communicants moins faisandés que Jacques Séguéla. Fade je suis, fade je resterai, car l’époque n’est plus à la flamboyance baroque de dirigeants se conduisant comme de vulgaires pipoles, brisant tous les tabous de la bienséance bourgeoise, comme Silvio Berlusconi ou, dans une moindre mesure, Nicolas Sarkozy. Mario Monti ou Mariano Rajoy ont le charisme d’une huître, ce qui ne les empêche pas de bénéficier, pour l’instant, du soutien de la majorité de leurs concitoyens. Voilà pour le message. Pour la tactique, François Hollande se sert des inévitables passions émergeant à l’occasion de la « mère de toutes les élections » comme un judoka du poids de son adversaire, qui peut être fatal à ce dernier s’il n’est pas utilisé à bon escient. En dramatisant les enjeux, Nicolas Sarkozy galvanise ses partisans, mais aussi ses adversaires, dont l’antisarkozysme viscéral défie toutes les lois de la raison. Durant la campagne du premier tour, Mélenchon, Joly[1. La candidate écologiste, véritable Rantanplan de la campagne du premier tour, en a même fait un peu trop dans ce registre, avec l’effet inverse de celui escompté.] et Marine Le Pen se sont livrés au Sarko-bashing sans retenue, dispensant ainsi le candidat socialiste de se vautrer dans la basse polémique.

Jean-François Copé accusait, au lendemain du premier tour, François Hollande de se comporter comme une anguille, un poisson qui, comme chacun sait, vous file entre les doigts dès qu’on cherche à le saisir. C’est une forme d’aveu : on a beau le chercher, le pousser à la faute, il est quasi impossible de transformer ce quinquagénaire sympathique pour les deux tiers des Français en épouvantail à bourgeois. Son implantation en Corrèze l’a instruit de l’expérience des deux grands hommes politiques du terroir : Henri Queuille, pour qui « il n’est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout » et Jacques Chirac, qui avait l’art de susciter la sympathie pour sa personne, sinon pour ses idées… Qui va se lever pour faire barrage à une anguille ? D’autant plus que le bonhomme a l’air franc du collier, ne promet pas la lune et le reste, et cultive une discrétion de bon aloi sur sa vie privée[2. La médiatisation familiale antérieure était le fait de Ségolène Royal. Il est à craindre que Valérie Trierweiler, qui n’a pas peur de la lumière, assure le rond de serviette du couple présidentiel dans les magazines people. Mais il n’est pas indifférent de choisir ce genre de compagne…].
Ce candidat « antipassionnel » pourra-t-il, en cas de victoire, exercer le pouvoir comme il fit campagne, sans bruit ni fureur, avec juste ce qu’il faut de fougue rhétorique pour éviter aux auditoires de s’ennuyer ?

Constatons d’abord qu’au seuil de la soixantaine, il est très rare que les traits de caractère fondamentaux d’un individu se modifient radicalement. Le « J’ai changé ! » de Sarkozy ne convainc personne, ni ses amis qui l’aiment comme il est, ni ses adversaires qui adorent le détester comme tel. Le pouvoir ne transfigure pas ceux qui sont amenés à l’exercer, sinon tous les présidents de la République finiraient par se ressembler, ce qui est loin d’être le cas. Les sobriquets dont on a affublé Hollande (Flanby, Culbuto) sont, certes, désobligeants et pour une part injuste, mais ils pointent des traits de caractère qui ont émergé de sa longue carrière politique. Son aversion pour les conflits a fait de lui l’homme de la synthèse qui surgit au bout de la longue nuit de la commission des résolutions du congrès du PS. Qui peut imaginer qu’il se comportera d’une manière totalement différente une fois installé à l’Elysée ? Il rassemblera autour de lui les ducs, comtes et barons du PS, primus inter pares d’une aristocratie des féodaux des pouvoirs locaux et régionaux. Il veillera, à l’inverse de Lionel Jospin, à ce que la possession des leviers du pouvoir central ne mette pas en danger la solidité des fiefs électoraux de ses plus fermes soutiens. Il sera l’arbitre de leurs différends et de leurs querelles de préséance, ce qui n’est pas une mince affaire. En bon disciple de Mitterrand, il enverra son premier ministre au feu de l’impopularité en lui faisant porter le poids des inévitables décisions douloureuses exigées par la situation économique. Il sera l’artisan des motions de synthèse bruxelloises qui remettront au surlendemain ce qu’il était urgent de faire l’avant-veille, s’attirant ainsi les bonnes grâces d’Angela Merkel qui va apprécier en lui l’homme prévisible, qui n’aime ni les « coups », ni les tables renversées.

Cela fera-t-il un bon président ? Rien n’est moins sûr, mais rien n’est exclu non plus, car l’Histoire est rusée. On n’est pas un bon, ou un grand homme d’Etat du fait de ses seules qualités personnelles. Il faut que celles-ci soient adaptées aux situations qui se présentent. Churchill, on s’en souvient, fut un calamiteux ministre des finances en temps de paix…
Denis Jeambar, l’ancien directeur de L’Express, qui vient de passer plusieurs mois dans la proximité de François Hollande pour les besoins d’un documentaire, le compare à un galet « lisse à l’extérieur, mais dur à l’intérieur ». Fort bien. Mais n’oublions pas que le destin des galets est d’être emportés par le courant.

Pourquoi je vote Sarkozy

Le 6 mai prochains, je glisserai dans l’urne un bulletin au nom de Nicolas Sarkozy. C’est ce que j’aurais fait il y a cinq ans si j’avais eu l’âge requis. Je n’ai jamais eu l’occasion de m’en expliquer ailleurs que dans des débats houleux avec mon entourage bobo, qui a toujours vu là au mieux une provocation, au pire la manifestation d’une sombre profondeur fasciste.

Je vote Sarkozy parce que la République des arts, des lettres et des médias le déteste, le conspue, l’insulte et, c’est un comble, le méprise. Un comble, car il me semble que le chef de l’État tient en général des propos plus intelligents, plus construits et plus sportifs que la plupart de ces alcooliques illettrés qui ne tiendraient pas un quart d’heure face à lui, si l’occasion leur était donnée de débattre (mais ils n’aiment pas tellement le débat, parce qu’ils n’en ont pas l’habitude).

Je vote Sarkozy, c’est parce que je n’ai pas envie de voter comme Le Monde, comme les dealers, comme Gérard Miller, comme les fonctionnaires territoriaux ; parce que je préfère soutenir le candidat de Nadine Morano, qui a au moins un peu de courage, que celui de Yannick Noah.[access capability= »lire_inedits »]

Je vote Sarkozy parce qu’il a du punch. Je vote Sarkozy parce qu’il est positif, parce qu’il promet et promeut l’effort, parce qu’il angoisse tout le monde quand il entre dans une salle de réunion, parce qu’il gravit des côtes, parce qu’il sait négocier avec ses homologues en préservant l’intérêt de la France.

Tant pis si j’aggrave mon cas, car ce n’est pas tout. Je vote Sarkozy parce que le seul pays européen où le pouvoir d’achat des ménages ait augmenté depuis cinq ans, c’est la France (statistiques de l’Insee, de l’OCDE et du FMI) ; parce que le chômage a explosé au Portugal, en Espagne, en Italie, en Grèce, au Royaume-Uni et aux États-Unis dans des proportions sans commune mesure avec la hausse française ; parce que la « question prioritaire de constitutionnalité[1. La question prioritaire de constitutionnalité (QPC) est le droit reconnu à toute personne qui est partie à un procès ou une instance de soutenir qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Si les conditions de recevabilité de la question sont réunies, il appartient au Conseil constitutionnel, saisi sur renvoi par le Conseil d’État et la Cour de cassation de se prononcer et, le cas échéant, d’abroger la disposition législative. La question prioritaire de constitutionnalité a été instaurée par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008.] » est une avancée majeure pour notre droit ; parce que le statut d’auto-entrepreneur est une avancée majeure pour notre économie ; parce que l’autonomie des universités est une avancée majeure pour notre enseignement ; parce que les internats d’excellence sont une avancée majeure pour nos banlieues.

Je vote Sarkozy parce que son premier Garde des Sceaux s’appelait Rachida, et qu’une Rachida à la chancellerie, c’était un missile d’espoir pour toutes les Rachida de France. Parce que, contrairement à ce que prétendent Joseph Macé-Scaron et tous les autres, le débat sur l’identité nationale n’était nullement indigne et que, sans la mauvaise foi abyssale qu’on lui a opposée, il aurait permis de soulever une question fondamentale. Parce que demander à des citoyens de siéger dans les tribunaux correctionnels, c’est humaniser la répression, regarder la misère ou l’horreur en face, et faire progresser la justice. Parce que défiscaliser les heures supplémentaires, c’est réhabiliter la sueur et tordre le cou à la flemme. Parce que ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux, c’est avoir le courage de s’ouvrir sur le reste de la planète.

Je vote Sarkozy parce que le pouvoir de l’argent, qui est le pouvoir tout court, passe aux mains du Brésil, de l’Inde et de la Chine, qui n’auront que faire de nos vieilles lunes égalitaristes. Parce qu’il faudra opposer une réponse ferme à l’islamisme qui se répand, corrompant les âmes fragiles. Parce que les classes moyennes ne résisteront pas aux hausses d’impôts des socialistes. Parce que les entreprises, surtout les petites, qui n’ont pas de conseillers fiscaux mais créent des emplois, se noient déjà dans les taxes et les règles et que la gauche ne sait inventer que des taxes et des règles. Parce que les banlieues ont trop souffert du discours victimaire et que Sarkozy les invite à retrousser leurs manches quand Hollande les écrase de sa sociologie muchiello-wieviorkienne.

Je vote Sarkozy parce qu’il faut arrêter de faire croire aux étudiants qu’ils trouveront du travail avec un bac + 5 en anthropologie ; aux sexagénaires que l’heure de la retraite a sonné ; à toute la misère du monde que la France l’attend les poches pleines ; aux millionnaires qu’ils peuvent s’installer en Belgique ou en Suisse sans devenir apatrides ; aux descendants des peuples colonisés qu’ils sont à jamais esclaves de l’esclavage qui déshumanisa leurs pères ; aux collectivités locales qu’elles peuvent recruter autant d’agents que les groupes du CAC 40 ; aux fonctionnaires qu’on peut aller au bureau vingt heures par semaine ; aux fumeurs d’herbe qu’ils sont sur la bonne voie ; à Audrey Pulvar qu’elle est une résistante ; et aux socialistes qu’ils peuvent échapper à un travail sur eux-mêmes.

Je vote Sarkozy parce que les Français sont un grand peuple, héritier d’une histoire encore plus grande que lui, et qu’il faudra être à la hauteur de cette histoire ; à la hauteur de nos rois, de nos généraux, de nos empereurs, de nos peintres, de nos musiciens et de nos poètes ; à la hauteur des soldats tombés pour la France, de nos veuves, de nos orphelins, de nos pupilles.

Sarkozy a de la gueule. Il se tient mal, prend des libertés avec la syntaxe (« Si y’en a que ça démange de licencier… »), a épousé Marie-Antoinette et nommé Frédéric Lefebvre ministre, mais il a de la gueule. De plus, il porte des mocassins à glands, preuve s’il en faut encore une, de son goût pour la transgression.

Je préfère voter comme Fabrice Luchini que comme Pascale Clark. Je préfère voter pour un ancien avocat que pour un homme qui n’a jamais mis les pieds dans une SARL. Je préfère voter pour celui qui cite Péguy que pour celui qui ne cesse d’invoquer cette vieille canaille de Mitterrand, lequel était beaucoup plus à droite que Chirac. Je préfère voter pour celui qui veut moins de pauvres que pour celui qui fera tout pour qu’il y ait moins de riches. Je ne veux pas voir Harlem Désir au gouvernement, ni Olivier Poivre d’Arvor rue de Valois[2. Il se dit qu’Olivier Poivre d’Arvor, actuel directeur de France Culture, se verrait bien au ministère de la Culture, sis rue de Valois à Paris.]. Je ne veux pas que la dame des 35 heures récidive.

J’aimerais bien qu’on laisse les gens qui ont sué toute leur vie transmettre quelque chose à leurs enfants. J’aimerais bien que les familles de vieille noblesse désargentée conservent leurs anciennes bâtisses, même si c’est pour y avoir froid l’hiver et devoir y passer tous leurs étés. J’aimerais bien qu’on continue à fabriquer des voitures, des avions, des trains et des services en porcelaine. J’aimerais bien qu’on puisse encore rêver de devenir milliardaire, capitaine d’industrie, richissime patron de presse ou rock-star défoncée de chagrin. J’aimerais bien qu’on n’oublie pas que la France est la fille aînée de l’Église, qu’elle n’a pas commencé à la Révolution et que Versailles est autre chose qu’un musée où on peut impunément accrocher des homards en plastique.

Je vote Sarkozy parce que j’aime la France ; parce que je veux qu’elle garde son âme et reste cette patrie conquérante et fière qui met les pieds dans le plat, la « République une et indivisible, notre royaume de France » ; je veux la France forte, je vote Sarkozy et toutes les larmes de tous les inrockuptibles réunis n’y pourront rien changer.[/access]

« Peuple de droite » : l’UMP se mord la queue

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Jusqu’à ces derniers jours, je pensais que l’expression « peuple de gauche », attachée à « la France qu’on aime » de Martine Aubry, n’avait pas son pareil pour m’agacer. C’était sans compter sur l’UMP, cette machine à broyer les conservatismes au nom de l’adaptation à la modernité. De la place de la Concorde à la Mutualité, voilà que fleurissent non pas mille colombes avec Mireille Mathieu mais bien les exhortations à réveiller le « peuple de droite ». Ce dernier serait endormi depuis les manifs pour l’école libre de 1984 comme l’Empereur Frédéric II enfoui dans sa caverne.

« Peuple de droite » : le mot et l’idée sont lâchés ! Le concept fait florès chez les tenants de la « France forte » une et indivisible, qui traquent le communautarisme partout et se rêvent en avant-garde futuriste de la nation. Seulement, en découpant en tranches l’unanimisme cocardier qui lui tient lieu de socle électoral, l’UMP se mord la queue : défend-elle une classe, un camp ou la nation entière ? Je veux bien que le mythe ait une fonction d’idée galvanisante depuis Georges Sorel, mais la mythologie sied décidément mal à un courant politique en quête de « réalisme », de « pragmatisme » et d’unité nationale-libérale.

Réveillez-vous braves gens : un communautarisme monte, monte, monte. Il ne sort ni des minarets ni des synagogues ni d’églises occupés par je-ne-sais-quelle fraternité intégriste. Cette vague de fond est tantôt matérialiste, tantôt laïque, tantôt catholique quand ça l’arrange. Ses promoteurs l’appellent « peuple de droite » ou « majorité silencieuse » suivant leur humeur du moment.

Le 6 mai, nous saurons enfin si son champion Nicolas Sarkomonti aura triomphé du rouge François Hollandreou pour appliquer les sages recommandations budgétaires de Bruxelles. Quel suspense insoutenable !

Mélenchon, pas si mal…

Je tiens à rassurer mes lecteurs et amis de droite : je suis plutôt déçu par le score du Front de Gauche. J’ai raconté dans Causeur Magazine la genèse depuis le non de 2005 au TCE de ce mouvement beaucoup plus atypique qu’on ne veut bien le dire quand on le présente, de manière contradictoire d’ailleurs, comme un rassemblement de néo-bolchéviques, ou alors de bobos, ou encore de petits fonctionnaires et ouvriers du publics effrayés par la fin de diverses protection statutaires. C’est une longue histoire et apparemment la route va encore être longue.

Je suis plutôt déçu par le score du Front de gauche et bien entendu, je ne devrais pas. Mais je suis comme vous tous un enfant du spectacle et tout ce que j’ai directement vécu de cette campagne (les meetings géants en plein air, les tractages, les « boitages », les rencontres thématiques dans les quartiers) s’est éloigné dans une représentation (les sondages qui grimpent, l’affolement de plus en plus hargneux de certains médias et de certains politique, y compris chez les socialistes et chez les Verts.) Alors j’ai rêvé de 14, 15% et de passer devant Marine Le Pen. Pour l’honneur, pour valider le sens du combat, celui de ramener le peuple vers des colères qui le grandissent et non qui l’abaissent. Et que l’on ne vienne pas me parler de mépris pour les électeurs du FN, c’est ici tout le contraire. C’est une question d’émancipation et vous le prendrez par le bout que vous voudrez, au moins sur un plan politique, les références à Jaurès sont tout de même plus émancipatrices que celles à Brasillach.

Non, je ne devrais pas être déçu si je constate d’où nous sommes partis et où nous sommes arrivés. Les observateurs ont remarqué justement que cette fois-ci, le FN dont la création remonte à 1972, a enfin un vote nationalisé et qu’il a même fait des scores imposants dans les régions de l’Ouest où semble-t-il, cette fois-ci, les vieilles défenses immunitaires catholiques sont tombées. Eh bien je voudrais juste faire remarquer que le Front de Gauche qui lui n’existe que depuis 2008, est aussi présent sur tout le territoire dans une fourchette allant de 8 à 17% selon les départements. Ce qui invalide au passage la thèse d’un vote bobo à moins d’avoir une vision extensive du terme et de penser que la Seine Saint-Denis, la Pas de Calais ou la Seine-Maritime sont des départements bobos.

Si, si, 11% pour la gauche, ce n’est pas mal. Et disons 12-13 si j’ajoute les miettes trotskistes. Car vous aurez bien compris qu’il est hors de question que je m’amuse à faire un total gauche en comptant le score de François Hollande ou d’Eva Joly. Ou alors c’est que les mots n’ont plus de sens. François Hollande est un social libéral, européen qui sent bien que le système est sur le point d’imploser si l’on continue à penser la nation sur une logique purement financière alors que les inégalités se creusent et que la grande pauvreté, quand elle se met à voter, vote Front National. Je devrais en être chagriné, de voir que lorsque les classes populaires sortent de leur auto-exclusion électorale, elles votent Front national. Figurez-vous que non. Cela veut juste dire qu’il y a encore du travail pour le Front de gauche.

Que l’air de rien, les observateurs et les gens de droite s’amusent à faire un total droite en additionnant l’UMP plus le FN, c’est leur affaire. C’est évidemment faux et ça en dit surtout long sur leur fameuse droitisation si évidente aujourd’hui.
Une gauche à 11% donc : ce n’est pas si mal dans un monde de droite, dans un monde où le « réel », construction idéologique de droite pour faire oublier la réalité, s’impose faussement aux consciences. Elisabeth Levy vient d’écrire La Gauche contre le réel, que nous recommandons chaudement au passage.
Je vais reprendre son titre et en inverser les terme : le réel contre la gauche. Cela résume assez bien, à mon avis ce que signifie être de gauche. C’est refuser la soumission au réel, précisément. C’est penser pouvoir agir sur lui. Bref, c’est faire de la politique. 11% de gens ont refusé le réel et vont continuer à le refuser, cela fait tout de même quatre millions de personnes…

Le premier ministre idéal de Hollande

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A une question d’un journaliste sur l’identité de son futur premier ministre, François Hollande a démontré qu’il avait fort bien compris les institutions de la Ve République : « C’est la campagne qui décidera, et notamment celle du second tour ». Depuis 1958, la nomination des hôtes de Matignon répond à cette règle non écrite : le premier premier ministre du mandat est celui qui s’impose au Président alors que le second est celui que le Président impose lui-même.

En 1959, le Général de Gaulle ayant fait adopter la constitution du 4 octobre 1958, il nomme à Matignon l’homme qui l’a rédigée, Michel Debré. Trois ans plus tard, il nomme un inconnu des Français, qui avait été son directeur de cabinet, Georges Pompidou. En 1965, le Président fait campagne sur la continuité et gagne sur la continuité. Il nomme donc Pompidou. Après les événements de 1968, ceux-ci ayant eu raison de sa relation avec le Premier Ministre, il nomme Maurice Couve de Murville pour mettre en place la Participation. En 1969, Georges Pompidou est élu au second tour face au centriste Poher. Il a dû, pour réussir, rassembler une UDR (le parti gaulliste) qui lui en veut pour son « appel de Rome »[1. Pendant la campagne référendaire de 1969, Pompidou indique, en déplacement dans la Ville éternelle, qu’il serait candidat si le non l’emportait. Ce fut interprété comme un véritable coup de poignard du côté des barons du gaullisme.], et doit donc nommer le baron du gaullisme le plus populaire, Jacques Chaban-Delmas. En 1972, il démissionne ce dernier et nomme Pierre Messmer, qui a été son ministre obéissant pendant des années. En 1974, Valéry Giscard d’Estaing est présent au second tour parce qu’il a réussi, grâce au ralliement de députés gaullistes -le fameux appel des 43- à passer devant Chaban. Il gagne ensuite pour avoir néanmoins fait le plein des voix chabanistes. C’est donc le chef de ces ralliés, Jacques Chirac qui entre à Matignon, lequel prend très rapidement la direction du parti gaulliste doté du groupe le plus important à l’Assemblée Nationale. En 1976, après le divorce entre les deux hommes, Giscard nomme un inconnu du grand public, Raymond Barre.

En 1981, la situation impose à François Mitterrand de nommer un Premier ministre qui saura gérer la présence du PCF au gouvernement et parler au fameux « peuple de gauche ». La situation impose donc Pierre Mauroy qui gère quotidiennement cette situation dans le Nord. En outre, les équilibres au sein du PS comptent : le courant Mauroy-Rocard est puissant au sein du PS, il faut le neutraliser. En 1984, c’est un autre « homme du président » qui est nommé à Matignon, le jeune Laurent Fabius. En 1988, ayant fait campagne sur la France unie et été élu au second tour avec un apport important des suffrages de Raymond Barre, Mitterrand nomme Rocard.

En 1992, il imite Pompidou en se débarrassant d’un chef de gouvernement plus populaire que lui et impose Edith Cresson, à la surprise générale. Si le second tour de 1995 avait vu s’opposer Jacques Chirac et Edouard Balladur, le premier aurait nommé Philippe Séguin à Matignon. Mais Chirac a affronté Jospin. Il a eu besoin des voix de Balladur et non celles de gauche pour être élu. C’est Juppé qui devient Premier ministre. On assiste en 1997 à une petite variante de la règle. Chirac impose la dissolution, et en obtient le résultat cash : un socialiste à Matignon. Cette situation ne déroge que très peu à la règle. Le Président voulait éviter de se faire imposer Séguin. Il voulait imposer le maintien de son fidèle Juppé. A tout prendre, il préférait cohabiter avec Jospin qu’avec Séguin. En 2002, élu par 82 % des Français dans la situation qu’on connaît, et alors que Nicolas Sarkozy rue dans les brancards, Jacques Chirac préfère nommer un centriste, Jean-Pierre Raffarin, tout en rondeurs. Le Président n’a pas nommé le gouvernement d’union nationale qui s’imposait. Il ne veut pas non plus faire de la provocation en désignant un chef de gouvernement trop marqué à droite. Raffarin est un compromis.
En 2005, il nomme son fidèle Dominique de Villepin. En 2007, on assiste à une autre variante : Nicolas Sarkozy a fait campagne sur un changement de type de présidence. Le Premier ministre ne sera plus un véritable Premier ministre mais un simple collaborateur. Elu en tenant ce discours, il désigne donc Nicolas Sarkozy chef de gouvernement, Fillon occupant Matignon par pure forme. Après les élections régionales de 2010, convaincu que cette pratique ne convient pas aux Français, il impose un fidèle, François Fillon. Cela tombe bien, il occupe déjà Matignon.

Ce long dégagement historique effectué, si le lecteur n’a pas compris le fonctionnement des institutions en matière de choix de Premier ministre, c’est qu’il y a mis une certaine mauvaise volonté. Examinons donc la situation de 2012. Si Jean-Luc Mélenchon avait réalisé le score qu’on lui prêtait, tutoyant les 15 %, Martine Aubry était assurée d’entrer à Matignon. Il n’a fait que 11. Pour assurer sa victoire, et aussi pour tenir compte de l’état politique et sociologique du pays, François Hollande doit donc mettre en avant puis nommer premier ministre un homme en phase avec cet état-là. Comme Nicolas Sarkozy, il doit aussi tenir compte de la France qui a voté non en 2005 et en particulier de celle qui voté Marine Le Pen le 22 avril. L’idéal est donc de trouver une personnalité qui aurait voté non au TCE, qui aurait une image sécuritaire, n’aurait pas peur d’affronter les débats identitaires et qui soit aussi adhérent au Parti Socialiste.

Impossible, me rétorquerez-vous, et pourtant cet homme existe. Manuel Valls était en effet défavorable à la constitution européenne[2. Certes timidement, puisqu’il avait milité pour le non au sein du PS, puis lors du débat référendaire avant de se plier à la discipline du parti au moment où les sondages commencèrent à donner le non gagnant, d’une manière assez inexplicable… Peur de gagner ?], possède une image d’ordre à tel point qu’on l’imagine aussi très bien Place Beauvau, et fut l’un des seuls députés PS à voter l’interdiction du port de la burqa. Arrivé à 10 ans en France de sa Catalogne natale, il est aussi un exemple d’assimilation réussie. En outre, il a aussi l’avantage, grâce à ses positions économiques -sur la dette, notamment- de ne pas trop déplaire à l’électorat centriste.

François Hollande élu, s’il est conséquent, nommera donc son actuel directeur de la communication à Matignon dans trois semaines. Il n’est évidemment pas exclu que les équilibres solférinesques aient raison de cette prévision, peut-être un peu trop portée sur l’état sociologique du pays. Dans ce cas, c’est plutôt Jean-Marc Ayrault qui sera choisi. On le saura assez vite : les passages télé et radio devraient nous donner des indices. Mais pour moi, Valls s’impose !

Copé ne brille pas à Meaux

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Avec plus de 33% pour Hollande et cinq points de moins pour Sarkozy, on ne peut pas dire que le secrétaire général de l’UMP, et maire de la ville depuis 1995, ait obtenu des résultats particulièrement brillants. Son équation personnelle n’a pas pesé bien lourd.
Il est vrai que Jean-François Copé a préféré la jouer, au cours de cette campagne, profil très bas en espérant sans trop le dire qu’une défaite de Sarkozy lui ouvrirait les portes de 2017. C’est pour cela qu’il s’est beaucoup plus occupé de fliquer plus ou moins ses petits camarades qui désireraient lui ravir le parti.

Petits camarades qui au demeurant n’ont guère mieux fait que lui à domicile. Son principal rival, Xavier Bertrand, ministre de la Santé a vu les « courbes s’inverser » selon l’expression à la mode en cette élection présidentielle. Le problème, c’est que les courbes se sont inversées dans le mauvais sens par rapport à 2007 et que François Hollande met cinq points dans la vue au sortant.

Quant à Nathalie Kosciusko-Morizet quand elle ne passe pas son temps à être réprimandée par Patrick Buisson pour gaucho-gaullisme, elle a juste le temps de rentrer dans sa mairie de Longjumeau le soir du 22 avril pour constater que chez elle aussi, Hollande faisait sept points de mieux que Sarkozy.

On pourrait également vous parler de Juppé à Bordeaux, mais lui, les volées de bois vert reçues sur son terrain bordelais, ça a toujours été une de ses spécialités.

Le peuple à la table des élites ?

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L’Europe a joué le rôle du méchant et le monde celui de l’absent dans cette campagne. Pour coller au peuple qui a la nation qui le démange à sa frontière, chacun y est allé de son couplet protectionniste. Marine ayant misé la première, elle a ramassé le pactole. Alors Mélenchon boude. Il s’est pourtant ménagé une rente de situation inespérée.

Une fois n’est pas coutume, la surprise du chef fut cette année Marine Le Pen, grand vainqueur du premier tour de l’élection présidentielle. Elle s’est taillée la part du lion dans « l’électorat populaire », cette réserve d’indiens pour journalistes. Un vote essentiellement rural, périphérique et carrément prolo quand le peuple des villes, qui existe encore en dépit des efforts de gentrification des politiques urbaines, lui a préféré Hollande. Et oui, les pauvres se cachent à la campagne. La misère y est moins rude dit-on mais plus tenace car il y est plus difficile de s’en extraire. Ce peuple-là ne va pas prendre la Bastille avec Mélenchon, ou si peu, et a répondu à l’appel d’une Marine qui a porté le sens du peuple en bandoulière tout au long de la campagne. Tout autre constat serait malhonnête. Elle est désormais prête à vitrioler les orléanistes de la droite libérale et européiste pour mieux tenter de reconstituer autour de sa pomme un grand courant bonapartiste, national et populaire. Ça travaille la droite en profondeur depuis des années…

Marine y est prête mais rien ne dit qu’elle y arrivera. Cependant, son premier objectif est atteint. Moins diabolisée que papa, elle a réuni 6,4 millions d’électeurs dimanche soir quand son père en réunissait 5,5 millions au second tour de 2002. En valeur réelle et relative, c’est bien son courant qui a le plus progressé à l’occasion de ce suffrage. Arrivera-t-elle à sauter l’obstacle des législatives, qui nuit toujours gravement à la santé de son parti ? Rien n’est moins certain à l’heure actuelle. La vague qui la porte est certes forte, mais les institutions ont placé des digues qui le sont plus encore. Les élections législatives au suffrage uninominal à deux tours ont toujours éjecté le FN de l’Assemblée nationale. Si elle a dépassé les 12,5% d’inscrits dans 353 circonscriptions sur 577, qui permettent potentiellement un maintien des candidats y portant sa flamme, les triangulaires ne favoriseront que le Parti socialiste et ses alliés.

Elle le sait. Elle a besoin d’une victoire de la gauche pour tester la capacité de l’actuelle majorité à maintenir ses rangs serrés ou à se disloquer, quelle que soit l’ampleur de la déculottée qui s’annonce pour l’UMP. Tant que Le Pen père était aux commandes, bien à l’aise dans son bastion, la droite dite républicaine ne pouvait envisager de gondoler avec le Front. Chirac s’y était toujours opposé et le 21 avril 2002 en fit le béni des dieux de l’antifascisme. Sarkozy a construit sa victoire de 2007 en incarnant la droite populaire, au grand dam d’un Le Pen détroussé de son fond de commerce. Exploit impossible à rééditer, l’histoire n’a même pas daigné bégayer. Au contraire, ce quinquennat sécuritaire et identitaire n’a fait que renforcer la légitimité de l’égérie de la droite nationale, qui, quoiqu’en disent les esprits chagrins toujours ravis de ne pas voir ce qui saute aux yeux, a ravalé en profondeur la façade de la boutique familiale. En faisant siens, et la première, les thèmes du protectionnisme et de la laïcité, en tenant aux prolos le langage qu’ils voulaient entendre sur les délocalisations, elle n’a eu qu’à se baisser pour ramasser les drapeaux que d’autres avaient laissés à terre. Sincère ou pas, là n’est pas la question, son discours a porté loin pour finalement la porter très haut.

Évidemment, elle ne fut pas la seule. D’autres ont senti depuis longtemps que les mythes d’hier sur l’Éden européen et la douceur d’un libéralisme accepté par le plus grand nombre ne pouvaient éternellement berner la majorité. De Mélenchon à Dupont-Aignan en passant par Montebourg, beaucoup ont mené campagne sur la réhabilitation de la frontière dont il n’est plus aujourd’hui douteux de faire l’éloge, quand hier encore tous ceux qui y touchaient se voyaient rhabillés des charmants oripeaux du populisme. Souvenons-nous que Bayrou n’a eu qu’à jeter aux vents son « produire français » pour faire un bond spectaculaire dans les sondages comme il a suffi aux hérauts du marché libre que furent Hollande et Sarkozy de mêler – mollement – leurs voix à la chorale nouvelle des protectionnistes pour ne pas paraître trop à l’ouest. Tout ceci est un trompe l’œil électoral et Berlin saura bien ramener Paris aux réalités de ses « engagements européens » d’ici peu.

Jean-Luc Mélenchon peut s’égosiller à appeler à voter Hollande pour briser « l’axe Merkozy », cause de tous nos maux, on imagine mal François tordant le bras à Angela sous la pression de « l’homme qui venait du Non ». Ça ferait très mauvais genre.

Propulsé « révélation de la campagne » sous les hourras de foules assemblées religieusement pour entendre ce -trop ?- généreux discours réhabilitant les mythes fondateurs de l’égalitarisme républicain et de l’universalisme français, il n’aura finalement pas réussi à projeter sa candidature au-delà de l’étiage de la gauche radicale en 2002. Il a réuni cet électorat sous une seule bannière et atteint ses deux objectifs initiaux. Un score à deux chiffres et dépasser Bayrou, condition sine qua non (croit-il) pour éviter que la gauche ne lorgne trop à droite dans ses alliances futures. Ce sont les vieux qui ont le moins voté pour lui, réticence logique au regard de la disqualification de l’hypothèse communiste et révolutionnaire au sein de cette génération. Le rassemblement opéré autour du sans-culotte de la Bastille (quatre millions de suffrages sont loin d’être anecdotiques) apparaît donc comme une force d’avenir sociologique. Mais le sera-t-elle politiquement ?

Le Front de gauche aura autant de députés que le Parti socialiste en décidera. Une vingtaine, au plus une trentaine. Ce n’est donc pas de ce côté qu’il peut espérer approfondir son enracinement. Par ailleurs, on voit mal les communistes, si dociles avec leurs grands alliés historiques, pratiquer la politique de la terre brûlée dans leur camp comme Le Pen s’apprête à le faire à droite. La réalité de l’appareil communiste perfusionné par le PS va vite reprendre le dessus. Ça va être coton pour le candidat d’hier de maintenir le cap -si indépendant- de sa campagne en étant désormais « indépendant mais pas trop » de la majorité socialiste qui se dessine. On ne voit pas vraiment quelle porte peut encore s’ouvrir devant lui à moins de parier sur un échec cuisant des socialistes aux affaires. Qu’il souhaite secrètement cette issue ou n’ose l’avancer ouvertement, seule cette perspective pourra lui permettre d’atteindre son prochain objectif : passer devant ses anciens camarades aux élections européennes pour mieux « foncer sur l’Élysée en 2017 ».

On verra bien quelle sera la situation, catastrophique ou pas, de la France et de l’Europe d’ici là. Mais s’il décide une fois de plus « d’aller au peuple », comme c’est la mode désormais, on conseillera cette fois à Mélenchon d’éviter cette fois de proclamer sur une plage « qu’il n’y a qu’un seul peuple sur les deux rives de la Méditerranée »… Comment lui dire ? Le peuple de notre rive n’est peut-être pas assez mûr pour accéder à de tels concepts ? À moins que ce ne soit tout simplement une grosse connerie. Et si Marine en raconte beaucoup, des conneries, elle a au moins su éviter celle-là. Ce qui explique sans doute leur ordre d’arrivée. Troisième et quatrième, leurs places ne sont pas plus enviables l’une que l’autre. Les voilà bordant l’espace politique d’un extrême à l’autre, au nom du peuple, invité une fois de plus à rester bien au bord.

Marine Le Pen a séduit la France invisible

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Les Essards-Taignevaux, dimanche 18h27. Je n’ai encore aucune estimation, ni sondage sorti des urnes. Et pourtant, en sortant de la mairie de cette commune du Jura, située à la limite de la Saône-et-Loire, j’ai déjà une idée précise de l’excellent score que fera Marine Le Pen une heure trente plus tard. Sur les 190 bulletins dépouillés, elle est arrivée largement en tête avec 61 voix. François Hollande suit avec 45 et Nicolas Sarkozy n’en obtient que 32. Alors que j’assiste à une fête familiale en face du bureau de vote, je vois arriver l’un des convives, assesseur au dépouillement de la seconde commune du canton. Il m’annonce que Marine Le Pen est en tête avec plus de 30 % des voix. Quelques heures après, je découvre qu’elle domine dans 10 des 17 communes des cantons ; elle obtient d’ailleurs 29 % des suffrages sur ce canton de 5216 inscrits, devançant Nicolas Sarkozy (24,5) et François Hollande (22,0).

Ce canton, je le connais. C’est celui où j’ai passé une partie de ma jeunesse. C’est là, aussi, que j’ai mené la campagne du non au Traité de Maastricht en 1992, lorsque je tapissais la moindre porte de transformateur électrique de l’affiche « Liberté, je chéris ton non ». Intéressante, cette campagne référendaire dans le canton de Chaussin. Alors que ses résultats étaient auparavant un copié-collé des projections données sur le plan national à 20h00, j’avais cru dur comme fer que le traité de Maastricht était rejeté par les Français constatant vers 19h00 que 55 % des électeurs de mon canton avaient voté non. Cruelle déception une heure plus tard : c’est le oui qui l’emportait avec 51 % des suffrages. Jamais une telle coupure n’avait existé entre France des villes et France des champs.

En vingt ans, cette fracture française, si bien décrite par Christophe Guilluy, s’est encore aggravée. La population a évolué. De nombreux pavillons ont été construits, et abritent souvent des classes populaires qui travaillent dans les agglomérations de Dole, Lons-le-Saunier et parfois Dijon[1. A Dole et Lons-le Saunier, les deux communes les plus importantes du département situées à 25 kilomètres du canton, Marine Le Pen a obtenu beaucoup moins que dans les campagnes environnantes, respectivement 18% et 14 %.]. Y vivent aussi beaucoup de retraités et quelques agriculteurs, lesquels ont vu, comme ailleurs, leur nombre diminuer considérablement depuis 1992. En 2005, le TCE y était rejeté à plus de 60%. Le canton de Chaussin constitue un exemple parfait de la France du Non, draguée par les candidats favoris depuis quelques semaines et qui le sera encore davantage lors des deux prochaines. Cette France rurale, c’est Marine Le Pen qu’elle a choisi comme porte-drapeau. Mélenchon avait lui aussi parlé de ces « oubliés », de ces « invisibles », touchés de plein fouet par les insécurités économiques, sociales, physiques et identitaires. Comme Guilluy, Brustier et Huelin avaient fort bien décrit la sociologie politique de cette France-là. La gauche avait perdu ce peuple[2. Recherche le Peuple désespérément, Bourin Editeur.] au profit d’une droite désormais culturellement majoritaire[3. Voyage au bout de la droite, Mille et une nuits.]. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Gaël Brustier travaille aujourd’hui avec Arnaud Montebourg, député de la circonscription voisine et qui dès 1997, accusait le libre-échange déloyal dans sa profession de foi de candidat. En Bresse, il suffisait d’observer pour constater l’étendue des dégâts d’une mondialisation prétendument heureuse.

Patrick Buisson a lu Guilluy, Brustier et Huelin. Il a fait les mêmes constats qu’eux et a pensé en faire profiter Nicolas Sarkozy. C’était négliger deux éléments importants. D’une part, la personnalité de Nicolas Sarkozy et le fait qu’il avait déjà mené une campagne du même type cinq ans plus tôt. On a beau dire, on a beau faire, il est quand même difficile de faire passer les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages, ou l’inverse en l’occurrence. Les électeurs, ainsi que le note Philippe Cohen, ne sont pas dotés d’une mémoire de poisson rouge et se souviennent que le Président actuel est aussi celui qui a signé le Traité de Lisbonne mais aussi le Pacte budgétaire, qu’il reproche même à François Hollande de vouloir renégocier. D’autre part, cette France-là refuse l’austérité. Cette dernière s’est traduite par des postes en moins à la gendarmerie et au collège de Chaussin, comme ailleurs. Cette France rurale du non est la première à en souffrir. Voilà pourquoi, bien que le pays penche à droite, une bonne part des électeurs de Marine Le Pen, dans cette France rurale des pavillons, ne suivra pas Nicolas Sarkozy le 6 mai, et pas seulement parce que la patronne du FN le leur aura conseillé.

Trois débats ? Mais pour quoi faire ?

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Premier débat

Il faut sauver le modèle social que le monde nous envie (™) et en particulier notre système de retraites. François « Flamby » Hollande, fossoyeur des comptes publics de Corrèze, propose un système de retraire géré par l’État, obligatoire et par répartition avec un âge de départ à la retraite à 60 ans tandis que S.A.I. Nicolas Ier, empereur de Neuilly-sur-Seine, propose un système de retraite géré par l’État, obligatoire et par répartition avec un âge de départ à la retraite à 62 ans. On imagine déjà la violence des échanges…

Deuxième round.

Tout ça, c’est à cause de la vilaine spéculation financière, de la mondialisation ultralibérale (copyright MLP/JLM), des traders, des paradis fiscaux et des banquiers (liste non-exhaustive et provisoire). Il faut donc instaurer un taxe sur les transactions financières pour leur montrer qui est le chef; non mais ! François Hollande, capitaine de pédalo, propose de taxer les transactions financières pour mettre fin à la spéculation tandis que Nicolas Sarkozy, Bonaparte de faible envergure, pense taxer les transactions financières pour obliger les marchés à réparer leurs bêtises. Il va y avoir du sang sur les murs.

Troisième débat

C’est le sujet le plus important de la décennie – que dis-je de la décennie, de l’Histoire de France ! – et c’est là qu’on va voir les lignes de fractures les plus profondes entre ces deux projets de société totalement antagonistes : doit-on accepter, oui ou non, que de la viande halal soit vendue sur le territoire de la République et, si oui, faut-il prévoir un étiquetage spécifique ? François Hollande, ex de Ségolène Royal et accessoirement candidat au second tour de la présidentielle, pense que non, que ça reviendrait à stigmatiser les musulmans tandis que Nicolas Sarkozy, ex de Madame Ciganer-Albéniz et par ailleurs président sortant, pense que c’est un sujet très grave et que l’État doit intervenir pour faire quelque chose.

Bon, on ne pourrait pas avoir trois bons films à la place ?

Serge Gainsbourg et la mystérieuse Mademoiselle Le Pen

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Le 7 juin 1985 Serge Gainsbourg est l’invité-vedette de l’émission Le jeu de la vérité de l’irritant Patrick Sabatier, sur TF1. C’est un immense succès d’audience, et Gainsbourg – d’une sobriété éclatante – crève l’écran. Il est à deux doigts – de bourbon – d’être le gendre idéal. Le poète racontera plus tard, par hasard et pas rasé, cette croustillante péripétie à son biographe Gilles Verlant : « Je sors dans les boîtes. Arrive une jeune fille assez jolie qui se met à ma table et se colle à moi en m’accablant de compliments. Elle me raconte que son père a adoré l’émission, en particulier l’histoire du petit immigré que j’ai raconté à la première personne : ‘Je vais voir Mitterrand et je lui demande Combien vous me donnez pour que je me casse ? Il me répond 10 briques, je vais voir Raymond Barre, même question, il me propose 50 briques, puis je vais voir Le Pen, même question Combien vous m’donnez pour que je m’tire ? – Cinq minutes !’. La fille me dit ‘Mon père était plié en deux’. Je finis par lui demander : ‘Mais qui c’est votre père ?’ Eh bien c’était la fille de Le Pen… Je l’ai sortie toute la nuit, jusqu’aux aurores… » .

Difficile de savoir si cette savoureuse histoire est véridique, ou relève du sens éprouvé de la provocation de l’homme à la tête de chou. Délicat aussi de savoir si l’éruptif Serge songeait ici à Marie-Caroline Le Pen, qui avait alors 25 ans, à sa sœur cadette Yann, 21 ans en 1988, ou bien alors à Marine, qui n’avait alors que 17 printemps… Reste qu’au-delà de l’anecdote plaisante – celle de la fille du leader d’extrême droite provoc tombant sous le charme anar-chic du trublion subversif, bien que commercial, de la chanson française – se dégage une forme d’allégorie de la séduction insidieuse… Un vertige qui s’exprime en ces termes : devons-nous laisser, Mlle. Le Pen s’asseoir à notre table et se « coller à nous » ?

François Hollande, l’homme qui n’aime pas les passions

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A un journaliste qui l’interrogeait sur le peu de ferveur suscitée dans les foules par sa candidature, François Hollande a répondu « Je préfère être élu sans ferveur que battu avec !». Certains ont vu dans cette boutade une pique adressée à son ex-compagne qui avait, elle, mobilisé les affects des militants et sympathisants de gauche lors de son duel avec Nicolas Sarkozy en 2007, avec le résultat que l’on connaît. Cette interprétation est un peu réductrice, car la flèche visait également Nicolas Sarkozy, qui ne manque pas une occasion de faire de sa personne le réceptacle des sentiments, positifs ou négatifs, qui animent les électrices et les électeurs.

Lorsque l’on est pas le meilleur dans un registre, on se trouve face à une alternative : soit l’on s’efforce de se hisser au niveau de ses concurrents, soit l’on décide d’abandonner ce terrain pour jouer une partition qui vous convient mieux. C’est cette dernière solution que François Hollande a choisie, avec l’aide, sans doute, de communicants moins faisandés que Jacques Séguéla. Fade je suis, fade je resterai, car l’époque n’est plus à la flamboyance baroque de dirigeants se conduisant comme de vulgaires pipoles, brisant tous les tabous de la bienséance bourgeoise, comme Silvio Berlusconi ou, dans une moindre mesure, Nicolas Sarkozy. Mario Monti ou Mariano Rajoy ont le charisme d’une huître, ce qui ne les empêche pas de bénéficier, pour l’instant, du soutien de la majorité de leurs concitoyens. Voilà pour le message. Pour la tactique, François Hollande se sert des inévitables passions émergeant à l’occasion de la « mère de toutes les élections » comme un judoka du poids de son adversaire, qui peut être fatal à ce dernier s’il n’est pas utilisé à bon escient. En dramatisant les enjeux, Nicolas Sarkozy galvanise ses partisans, mais aussi ses adversaires, dont l’antisarkozysme viscéral défie toutes les lois de la raison. Durant la campagne du premier tour, Mélenchon, Joly[1. La candidate écologiste, véritable Rantanplan de la campagne du premier tour, en a même fait un peu trop dans ce registre, avec l’effet inverse de celui escompté.] et Marine Le Pen se sont livrés au Sarko-bashing sans retenue, dispensant ainsi le candidat socialiste de se vautrer dans la basse polémique.

Jean-François Copé accusait, au lendemain du premier tour, François Hollande de se comporter comme une anguille, un poisson qui, comme chacun sait, vous file entre les doigts dès qu’on cherche à le saisir. C’est une forme d’aveu : on a beau le chercher, le pousser à la faute, il est quasi impossible de transformer ce quinquagénaire sympathique pour les deux tiers des Français en épouvantail à bourgeois. Son implantation en Corrèze l’a instruit de l’expérience des deux grands hommes politiques du terroir : Henri Queuille, pour qui « il n’est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout » et Jacques Chirac, qui avait l’art de susciter la sympathie pour sa personne, sinon pour ses idées… Qui va se lever pour faire barrage à une anguille ? D’autant plus que le bonhomme a l’air franc du collier, ne promet pas la lune et le reste, et cultive une discrétion de bon aloi sur sa vie privée[2. La médiatisation familiale antérieure était le fait de Ségolène Royal. Il est à craindre que Valérie Trierweiler, qui n’a pas peur de la lumière, assure le rond de serviette du couple présidentiel dans les magazines people. Mais il n’est pas indifférent de choisir ce genre de compagne…].
Ce candidat « antipassionnel » pourra-t-il, en cas de victoire, exercer le pouvoir comme il fit campagne, sans bruit ni fureur, avec juste ce qu’il faut de fougue rhétorique pour éviter aux auditoires de s’ennuyer ?

Constatons d’abord qu’au seuil de la soixantaine, il est très rare que les traits de caractère fondamentaux d’un individu se modifient radicalement. Le « J’ai changé ! » de Sarkozy ne convainc personne, ni ses amis qui l’aiment comme il est, ni ses adversaires qui adorent le détester comme tel. Le pouvoir ne transfigure pas ceux qui sont amenés à l’exercer, sinon tous les présidents de la République finiraient par se ressembler, ce qui est loin d’être le cas. Les sobriquets dont on a affublé Hollande (Flanby, Culbuto) sont, certes, désobligeants et pour une part injuste, mais ils pointent des traits de caractère qui ont émergé de sa longue carrière politique. Son aversion pour les conflits a fait de lui l’homme de la synthèse qui surgit au bout de la longue nuit de la commission des résolutions du congrès du PS. Qui peut imaginer qu’il se comportera d’une manière totalement différente une fois installé à l’Elysée ? Il rassemblera autour de lui les ducs, comtes et barons du PS, primus inter pares d’une aristocratie des féodaux des pouvoirs locaux et régionaux. Il veillera, à l’inverse de Lionel Jospin, à ce que la possession des leviers du pouvoir central ne mette pas en danger la solidité des fiefs électoraux de ses plus fermes soutiens. Il sera l’arbitre de leurs différends et de leurs querelles de préséance, ce qui n’est pas une mince affaire. En bon disciple de Mitterrand, il enverra son premier ministre au feu de l’impopularité en lui faisant porter le poids des inévitables décisions douloureuses exigées par la situation économique. Il sera l’artisan des motions de synthèse bruxelloises qui remettront au surlendemain ce qu’il était urgent de faire l’avant-veille, s’attirant ainsi les bonnes grâces d’Angela Merkel qui va apprécier en lui l’homme prévisible, qui n’aime ni les « coups », ni les tables renversées.

Cela fera-t-il un bon président ? Rien n’est moins sûr, mais rien n’est exclu non plus, car l’Histoire est rusée. On n’est pas un bon, ou un grand homme d’Etat du fait de ses seules qualités personnelles. Il faut que celles-ci soient adaptées aux situations qui se présentent. Churchill, on s’en souvient, fut un calamiteux ministre des finances en temps de paix…
Denis Jeambar, l’ancien directeur de L’Express, qui vient de passer plusieurs mois dans la proximité de François Hollande pour les besoins d’un documentaire, le compare à un galet « lisse à l’extérieur, mais dur à l’intérieur ». Fort bien. Mais n’oublions pas que le destin des galets est d’être emportés par le courant.

Pourquoi je vote Sarkozy

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Le 6 mai prochains, je glisserai dans l’urne un bulletin au nom de Nicolas Sarkozy. C’est ce que j’aurais fait il y a cinq ans si j’avais eu l’âge requis. Je n’ai jamais eu l’occasion de m’en expliquer ailleurs que dans des débats houleux avec mon entourage bobo, qui a toujours vu là au mieux une provocation, au pire la manifestation d’une sombre profondeur fasciste.

Je vote Sarkozy parce que la République des arts, des lettres et des médias le déteste, le conspue, l’insulte et, c’est un comble, le méprise. Un comble, car il me semble que le chef de l’État tient en général des propos plus intelligents, plus construits et plus sportifs que la plupart de ces alcooliques illettrés qui ne tiendraient pas un quart d’heure face à lui, si l’occasion leur était donnée de débattre (mais ils n’aiment pas tellement le débat, parce qu’ils n’en ont pas l’habitude).

Je vote Sarkozy, c’est parce que je n’ai pas envie de voter comme Le Monde, comme les dealers, comme Gérard Miller, comme les fonctionnaires territoriaux ; parce que je préfère soutenir le candidat de Nadine Morano, qui a au moins un peu de courage, que celui de Yannick Noah.[access capability= »lire_inedits »]

Je vote Sarkozy parce qu’il a du punch. Je vote Sarkozy parce qu’il est positif, parce qu’il promet et promeut l’effort, parce qu’il angoisse tout le monde quand il entre dans une salle de réunion, parce qu’il gravit des côtes, parce qu’il sait négocier avec ses homologues en préservant l’intérêt de la France.

Tant pis si j’aggrave mon cas, car ce n’est pas tout. Je vote Sarkozy parce que le seul pays européen où le pouvoir d’achat des ménages ait augmenté depuis cinq ans, c’est la France (statistiques de l’Insee, de l’OCDE et du FMI) ; parce que le chômage a explosé au Portugal, en Espagne, en Italie, en Grèce, au Royaume-Uni et aux États-Unis dans des proportions sans commune mesure avec la hausse française ; parce que la « question prioritaire de constitutionnalité[1. La question prioritaire de constitutionnalité (QPC) est le droit reconnu à toute personne qui est partie à un procès ou une instance de soutenir qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Si les conditions de recevabilité de la question sont réunies, il appartient au Conseil constitutionnel, saisi sur renvoi par le Conseil d’État et la Cour de cassation de se prononcer et, le cas échéant, d’abroger la disposition législative. La question prioritaire de constitutionnalité a été instaurée par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008.] » est une avancée majeure pour notre droit ; parce que le statut d’auto-entrepreneur est une avancée majeure pour notre économie ; parce que l’autonomie des universités est une avancée majeure pour notre enseignement ; parce que les internats d’excellence sont une avancée majeure pour nos banlieues.

Je vote Sarkozy parce que son premier Garde des Sceaux s’appelait Rachida, et qu’une Rachida à la chancellerie, c’était un missile d’espoir pour toutes les Rachida de France. Parce que, contrairement à ce que prétendent Joseph Macé-Scaron et tous les autres, le débat sur l’identité nationale n’était nullement indigne et que, sans la mauvaise foi abyssale qu’on lui a opposée, il aurait permis de soulever une question fondamentale. Parce que demander à des citoyens de siéger dans les tribunaux correctionnels, c’est humaniser la répression, regarder la misère ou l’horreur en face, et faire progresser la justice. Parce que défiscaliser les heures supplémentaires, c’est réhabiliter la sueur et tordre le cou à la flemme. Parce que ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux, c’est avoir le courage de s’ouvrir sur le reste de la planète.

Je vote Sarkozy parce que le pouvoir de l’argent, qui est le pouvoir tout court, passe aux mains du Brésil, de l’Inde et de la Chine, qui n’auront que faire de nos vieilles lunes égalitaristes. Parce qu’il faudra opposer une réponse ferme à l’islamisme qui se répand, corrompant les âmes fragiles. Parce que les classes moyennes ne résisteront pas aux hausses d’impôts des socialistes. Parce que les entreprises, surtout les petites, qui n’ont pas de conseillers fiscaux mais créent des emplois, se noient déjà dans les taxes et les règles et que la gauche ne sait inventer que des taxes et des règles. Parce que les banlieues ont trop souffert du discours victimaire et que Sarkozy les invite à retrousser leurs manches quand Hollande les écrase de sa sociologie muchiello-wieviorkienne.

Je vote Sarkozy parce qu’il faut arrêter de faire croire aux étudiants qu’ils trouveront du travail avec un bac + 5 en anthropologie ; aux sexagénaires que l’heure de la retraite a sonné ; à toute la misère du monde que la France l’attend les poches pleines ; aux millionnaires qu’ils peuvent s’installer en Belgique ou en Suisse sans devenir apatrides ; aux descendants des peuples colonisés qu’ils sont à jamais esclaves de l’esclavage qui déshumanisa leurs pères ; aux collectivités locales qu’elles peuvent recruter autant d’agents que les groupes du CAC 40 ; aux fonctionnaires qu’on peut aller au bureau vingt heures par semaine ; aux fumeurs d’herbe qu’ils sont sur la bonne voie ; à Audrey Pulvar qu’elle est une résistante ; et aux socialistes qu’ils peuvent échapper à un travail sur eux-mêmes.

Je vote Sarkozy parce que les Français sont un grand peuple, héritier d’une histoire encore plus grande que lui, et qu’il faudra être à la hauteur de cette histoire ; à la hauteur de nos rois, de nos généraux, de nos empereurs, de nos peintres, de nos musiciens et de nos poètes ; à la hauteur des soldats tombés pour la France, de nos veuves, de nos orphelins, de nos pupilles.

Sarkozy a de la gueule. Il se tient mal, prend des libertés avec la syntaxe (« Si y’en a que ça démange de licencier… »), a épousé Marie-Antoinette et nommé Frédéric Lefebvre ministre, mais il a de la gueule. De plus, il porte des mocassins à glands, preuve s’il en faut encore une, de son goût pour la transgression.

Je préfère voter comme Fabrice Luchini que comme Pascale Clark. Je préfère voter pour un ancien avocat que pour un homme qui n’a jamais mis les pieds dans une SARL. Je préfère voter pour celui qui cite Péguy que pour celui qui ne cesse d’invoquer cette vieille canaille de Mitterrand, lequel était beaucoup plus à droite que Chirac. Je préfère voter pour celui qui veut moins de pauvres que pour celui qui fera tout pour qu’il y ait moins de riches. Je ne veux pas voir Harlem Désir au gouvernement, ni Olivier Poivre d’Arvor rue de Valois[2. Il se dit qu’Olivier Poivre d’Arvor, actuel directeur de France Culture, se verrait bien au ministère de la Culture, sis rue de Valois à Paris.]. Je ne veux pas que la dame des 35 heures récidive.

J’aimerais bien qu’on laisse les gens qui ont sué toute leur vie transmettre quelque chose à leurs enfants. J’aimerais bien que les familles de vieille noblesse désargentée conservent leurs anciennes bâtisses, même si c’est pour y avoir froid l’hiver et devoir y passer tous leurs étés. J’aimerais bien qu’on continue à fabriquer des voitures, des avions, des trains et des services en porcelaine. J’aimerais bien qu’on puisse encore rêver de devenir milliardaire, capitaine d’industrie, richissime patron de presse ou rock-star défoncée de chagrin. J’aimerais bien qu’on n’oublie pas que la France est la fille aînée de l’Église, qu’elle n’a pas commencé à la Révolution et que Versailles est autre chose qu’un musée où on peut impunément accrocher des homards en plastique.

Je vote Sarkozy parce que j’aime la France ; parce que je veux qu’elle garde son âme et reste cette patrie conquérante et fière qui met les pieds dans le plat, la « République une et indivisible, notre royaume de France » ; je veux la France forte, je vote Sarkozy et toutes les larmes de tous les inrockuptibles réunis n’y pourront rien changer.[/access]

« Peuple de droite » : l’UMP se mord la queue

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Jusqu’à ces derniers jours, je pensais que l’expression « peuple de gauche », attachée à « la France qu’on aime » de Martine Aubry, n’avait pas son pareil pour m’agacer. C’était sans compter sur l’UMP, cette machine à broyer les conservatismes au nom de l’adaptation à la modernité. De la place de la Concorde à la Mutualité, voilà que fleurissent non pas mille colombes avec Mireille Mathieu mais bien les exhortations à réveiller le « peuple de droite ». Ce dernier serait endormi depuis les manifs pour l’école libre de 1984 comme l’Empereur Frédéric II enfoui dans sa caverne.

« Peuple de droite » : le mot et l’idée sont lâchés ! Le concept fait florès chez les tenants de la « France forte » une et indivisible, qui traquent le communautarisme partout et se rêvent en avant-garde futuriste de la nation. Seulement, en découpant en tranches l’unanimisme cocardier qui lui tient lieu de socle électoral, l’UMP se mord la queue : défend-elle une classe, un camp ou la nation entière ? Je veux bien que le mythe ait une fonction d’idée galvanisante depuis Georges Sorel, mais la mythologie sied décidément mal à un courant politique en quête de « réalisme », de « pragmatisme » et d’unité nationale-libérale.

Réveillez-vous braves gens : un communautarisme monte, monte, monte. Il ne sort ni des minarets ni des synagogues ni d’églises occupés par je-ne-sais-quelle fraternité intégriste. Cette vague de fond est tantôt matérialiste, tantôt laïque, tantôt catholique quand ça l’arrange. Ses promoteurs l’appellent « peuple de droite » ou « majorité silencieuse » suivant leur humeur du moment.

Le 6 mai, nous saurons enfin si son champion Nicolas Sarkomonti aura triomphé du rouge François Hollandreou pour appliquer les sages recommandations budgétaires de Bruxelles. Quel suspense insoutenable !

Mélenchon, pas si mal…

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Je tiens à rassurer mes lecteurs et amis de droite : je suis plutôt déçu par le score du Front de Gauche. J’ai raconté dans Causeur Magazine la genèse depuis le non de 2005 au TCE de ce mouvement beaucoup plus atypique qu’on ne veut bien le dire quand on le présente, de manière contradictoire d’ailleurs, comme un rassemblement de néo-bolchéviques, ou alors de bobos, ou encore de petits fonctionnaires et ouvriers du publics effrayés par la fin de diverses protection statutaires. C’est une longue histoire et apparemment la route va encore être longue.

Je suis plutôt déçu par le score du Front de gauche et bien entendu, je ne devrais pas. Mais je suis comme vous tous un enfant du spectacle et tout ce que j’ai directement vécu de cette campagne (les meetings géants en plein air, les tractages, les « boitages », les rencontres thématiques dans les quartiers) s’est éloigné dans une représentation (les sondages qui grimpent, l’affolement de plus en plus hargneux de certains médias et de certains politique, y compris chez les socialistes et chez les Verts.) Alors j’ai rêvé de 14, 15% et de passer devant Marine Le Pen. Pour l’honneur, pour valider le sens du combat, celui de ramener le peuple vers des colères qui le grandissent et non qui l’abaissent. Et que l’on ne vienne pas me parler de mépris pour les électeurs du FN, c’est ici tout le contraire. C’est une question d’émancipation et vous le prendrez par le bout que vous voudrez, au moins sur un plan politique, les références à Jaurès sont tout de même plus émancipatrices que celles à Brasillach.

Non, je ne devrais pas être déçu si je constate d’où nous sommes partis et où nous sommes arrivés. Les observateurs ont remarqué justement que cette fois-ci, le FN dont la création remonte à 1972, a enfin un vote nationalisé et qu’il a même fait des scores imposants dans les régions de l’Ouest où semble-t-il, cette fois-ci, les vieilles défenses immunitaires catholiques sont tombées. Eh bien je voudrais juste faire remarquer que le Front de Gauche qui lui n’existe que depuis 2008, est aussi présent sur tout le territoire dans une fourchette allant de 8 à 17% selon les départements. Ce qui invalide au passage la thèse d’un vote bobo à moins d’avoir une vision extensive du terme et de penser que la Seine Saint-Denis, la Pas de Calais ou la Seine-Maritime sont des départements bobos.

Si, si, 11% pour la gauche, ce n’est pas mal. Et disons 12-13 si j’ajoute les miettes trotskistes. Car vous aurez bien compris qu’il est hors de question que je m’amuse à faire un total gauche en comptant le score de François Hollande ou d’Eva Joly. Ou alors c’est que les mots n’ont plus de sens. François Hollande est un social libéral, européen qui sent bien que le système est sur le point d’imploser si l’on continue à penser la nation sur une logique purement financière alors que les inégalités se creusent et que la grande pauvreté, quand elle se met à voter, vote Front National. Je devrais en être chagriné, de voir que lorsque les classes populaires sortent de leur auto-exclusion électorale, elles votent Front national. Figurez-vous que non. Cela veut juste dire qu’il y a encore du travail pour le Front de gauche.

Que l’air de rien, les observateurs et les gens de droite s’amusent à faire un total droite en additionnant l’UMP plus le FN, c’est leur affaire. C’est évidemment faux et ça en dit surtout long sur leur fameuse droitisation si évidente aujourd’hui.
Une gauche à 11% donc : ce n’est pas si mal dans un monde de droite, dans un monde où le « réel », construction idéologique de droite pour faire oublier la réalité, s’impose faussement aux consciences. Elisabeth Levy vient d’écrire La Gauche contre le réel, que nous recommandons chaudement au passage.
Je vais reprendre son titre et en inverser les terme : le réel contre la gauche. Cela résume assez bien, à mon avis ce que signifie être de gauche. C’est refuser la soumission au réel, précisément. C’est penser pouvoir agir sur lui. Bref, c’est faire de la politique. 11% de gens ont refusé le réel et vont continuer à le refuser, cela fait tout de même quatre millions de personnes…

Le premier ministre idéal de Hollande

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A une question d’un journaliste sur l’identité de son futur premier ministre, François Hollande a démontré qu’il avait fort bien compris les institutions de la Ve République : « C’est la campagne qui décidera, et notamment celle du second tour ». Depuis 1958, la nomination des hôtes de Matignon répond à cette règle non écrite : le premier premier ministre du mandat est celui qui s’impose au Président alors que le second est celui que le Président impose lui-même.

En 1959, le Général de Gaulle ayant fait adopter la constitution du 4 octobre 1958, il nomme à Matignon l’homme qui l’a rédigée, Michel Debré. Trois ans plus tard, il nomme un inconnu des Français, qui avait été son directeur de cabinet, Georges Pompidou. En 1965, le Président fait campagne sur la continuité et gagne sur la continuité. Il nomme donc Pompidou. Après les événements de 1968, ceux-ci ayant eu raison de sa relation avec le Premier Ministre, il nomme Maurice Couve de Murville pour mettre en place la Participation. En 1969, Georges Pompidou est élu au second tour face au centriste Poher. Il a dû, pour réussir, rassembler une UDR (le parti gaulliste) qui lui en veut pour son « appel de Rome »[1. Pendant la campagne référendaire de 1969, Pompidou indique, en déplacement dans la Ville éternelle, qu’il serait candidat si le non l’emportait. Ce fut interprété comme un véritable coup de poignard du côté des barons du gaullisme.], et doit donc nommer le baron du gaullisme le plus populaire, Jacques Chaban-Delmas. En 1972, il démissionne ce dernier et nomme Pierre Messmer, qui a été son ministre obéissant pendant des années. En 1974, Valéry Giscard d’Estaing est présent au second tour parce qu’il a réussi, grâce au ralliement de députés gaullistes -le fameux appel des 43- à passer devant Chaban. Il gagne ensuite pour avoir néanmoins fait le plein des voix chabanistes. C’est donc le chef de ces ralliés, Jacques Chirac qui entre à Matignon, lequel prend très rapidement la direction du parti gaulliste doté du groupe le plus important à l’Assemblée Nationale. En 1976, après le divorce entre les deux hommes, Giscard nomme un inconnu du grand public, Raymond Barre.

En 1981, la situation impose à François Mitterrand de nommer un Premier ministre qui saura gérer la présence du PCF au gouvernement et parler au fameux « peuple de gauche ». La situation impose donc Pierre Mauroy qui gère quotidiennement cette situation dans le Nord. En outre, les équilibres au sein du PS comptent : le courant Mauroy-Rocard est puissant au sein du PS, il faut le neutraliser. En 1984, c’est un autre « homme du président » qui est nommé à Matignon, le jeune Laurent Fabius. En 1988, ayant fait campagne sur la France unie et été élu au second tour avec un apport important des suffrages de Raymond Barre, Mitterrand nomme Rocard.

En 1992, il imite Pompidou en se débarrassant d’un chef de gouvernement plus populaire que lui et impose Edith Cresson, à la surprise générale. Si le second tour de 1995 avait vu s’opposer Jacques Chirac et Edouard Balladur, le premier aurait nommé Philippe Séguin à Matignon. Mais Chirac a affronté Jospin. Il a eu besoin des voix de Balladur et non celles de gauche pour être élu. C’est Juppé qui devient Premier ministre. On assiste en 1997 à une petite variante de la règle. Chirac impose la dissolution, et en obtient le résultat cash : un socialiste à Matignon. Cette situation ne déroge que très peu à la règle. Le Président voulait éviter de se faire imposer Séguin. Il voulait imposer le maintien de son fidèle Juppé. A tout prendre, il préférait cohabiter avec Jospin qu’avec Séguin. En 2002, élu par 82 % des Français dans la situation qu’on connaît, et alors que Nicolas Sarkozy rue dans les brancards, Jacques Chirac préfère nommer un centriste, Jean-Pierre Raffarin, tout en rondeurs. Le Président n’a pas nommé le gouvernement d’union nationale qui s’imposait. Il ne veut pas non plus faire de la provocation en désignant un chef de gouvernement trop marqué à droite. Raffarin est un compromis.
En 2005, il nomme son fidèle Dominique de Villepin. En 2007, on assiste à une autre variante : Nicolas Sarkozy a fait campagne sur un changement de type de présidence. Le Premier ministre ne sera plus un véritable Premier ministre mais un simple collaborateur. Elu en tenant ce discours, il désigne donc Nicolas Sarkozy chef de gouvernement, Fillon occupant Matignon par pure forme. Après les élections régionales de 2010, convaincu que cette pratique ne convient pas aux Français, il impose un fidèle, François Fillon. Cela tombe bien, il occupe déjà Matignon.

Ce long dégagement historique effectué, si le lecteur n’a pas compris le fonctionnement des institutions en matière de choix de Premier ministre, c’est qu’il y a mis une certaine mauvaise volonté. Examinons donc la situation de 2012. Si Jean-Luc Mélenchon avait réalisé le score qu’on lui prêtait, tutoyant les 15 %, Martine Aubry était assurée d’entrer à Matignon. Il n’a fait que 11. Pour assurer sa victoire, et aussi pour tenir compte de l’état politique et sociologique du pays, François Hollande doit donc mettre en avant puis nommer premier ministre un homme en phase avec cet état-là. Comme Nicolas Sarkozy, il doit aussi tenir compte de la France qui a voté non en 2005 et en particulier de celle qui voté Marine Le Pen le 22 avril. L’idéal est donc de trouver une personnalité qui aurait voté non au TCE, qui aurait une image sécuritaire, n’aurait pas peur d’affronter les débats identitaires et qui soit aussi adhérent au Parti Socialiste.

Impossible, me rétorquerez-vous, et pourtant cet homme existe. Manuel Valls était en effet défavorable à la constitution européenne[2. Certes timidement, puisqu’il avait milité pour le non au sein du PS, puis lors du débat référendaire avant de se plier à la discipline du parti au moment où les sondages commencèrent à donner le non gagnant, d’une manière assez inexplicable… Peur de gagner ?], possède une image d’ordre à tel point qu’on l’imagine aussi très bien Place Beauvau, et fut l’un des seuls députés PS à voter l’interdiction du port de la burqa. Arrivé à 10 ans en France de sa Catalogne natale, il est aussi un exemple d’assimilation réussie. En outre, il a aussi l’avantage, grâce à ses positions économiques -sur la dette, notamment- de ne pas trop déplaire à l’électorat centriste.

François Hollande élu, s’il est conséquent, nommera donc son actuel directeur de la communication à Matignon dans trois semaines. Il n’est évidemment pas exclu que les équilibres solférinesques aient raison de cette prévision, peut-être un peu trop portée sur l’état sociologique du pays. Dans ce cas, c’est plutôt Jean-Marc Ayrault qui sera choisi. On le saura assez vite : les passages télé et radio devraient nous donner des indices. Mais pour moi, Valls s’impose !

Copé ne brille pas à Meaux

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Avec plus de 33% pour Hollande et cinq points de moins pour Sarkozy, on ne peut pas dire que le secrétaire général de l’UMP, et maire de la ville depuis 1995, ait obtenu des résultats particulièrement brillants. Son équation personnelle n’a pas pesé bien lourd.
Il est vrai que Jean-François Copé a préféré la jouer, au cours de cette campagne, profil très bas en espérant sans trop le dire qu’une défaite de Sarkozy lui ouvrirait les portes de 2017. C’est pour cela qu’il s’est beaucoup plus occupé de fliquer plus ou moins ses petits camarades qui désireraient lui ravir le parti.

Petits camarades qui au demeurant n’ont guère mieux fait que lui à domicile. Son principal rival, Xavier Bertrand, ministre de la Santé a vu les « courbes s’inverser » selon l’expression à la mode en cette élection présidentielle. Le problème, c’est que les courbes se sont inversées dans le mauvais sens par rapport à 2007 et que François Hollande met cinq points dans la vue au sortant.

Quant à Nathalie Kosciusko-Morizet quand elle ne passe pas son temps à être réprimandée par Patrick Buisson pour gaucho-gaullisme, elle a juste le temps de rentrer dans sa mairie de Longjumeau le soir du 22 avril pour constater que chez elle aussi, Hollande faisait sept points de mieux que Sarkozy.

On pourrait également vous parler de Juppé à Bordeaux, mais lui, les volées de bois vert reçues sur son terrain bordelais, ça a toujours été une de ses spécialités.

Le peuple à la table des élites ?

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L’Europe a joué le rôle du méchant et le monde celui de l’absent dans cette campagne. Pour coller au peuple qui a la nation qui le démange à sa frontière, chacun y est allé de son couplet protectionniste. Marine ayant misé la première, elle a ramassé le pactole. Alors Mélenchon boude. Il s’est pourtant ménagé une rente de situation inespérée.

Une fois n’est pas coutume, la surprise du chef fut cette année Marine Le Pen, grand vainqueur du premier tour de l’élection présidentielle. Elle s’est taillée la part du lion dans « l’électorat populaire », cette réserve d’indiens pour journalistes. Un vote essentiellement rural, périphérique et carrément prolo quand le peuple des villes, qui existe encore en dépit des efforts de gentrification des politiques urbaines, lui a préféré Hollande. Et oui, les pauvres se cachent à la campagne. La misère y est moins rude dit-on mais plus tenace car il y est plus difficile de s’en extraire. Ce peuple-là ne va pas prendre la Bastille avec Mélenchon, ou si peu, et a répondu à l’appel d’une Marine qui a porté le sens du peuple en bandoulière tout au long de la campagne. Tout autre constat serait malhonnête. Elle est désormais prête à vitrioler les orléanistes de la droite libérale et européiste pour mieux tenter de reconstituer autour de sa pomme un grand courant bonapartiste, national et populaire. Ça travaille la droite en profondeur depuis des années…

Marine y est prête mais rien ne dit qu’elle y arrivera. Cependant, son premier objectif est atteint. Moins diabolisée que papa, elle a réuni 6,4 millions d’électeurs dimanche soir quand son père en réunissait 5,5 millions au second tour de 2002. En valeur réelle et relative, c’est bien son courant qui a le plus progressé à l’occasion de ce suffrage. Arrivera-t-elle à sauter l’obstacle des législatives, qui nuit toujours gravement à la santé de son parti ? Rien n’est moins certain à l’heure actuelle. La vague qui la porte est certes forte, mais les institutions ont placé des digues qui le sont plus encore. Les élections législatives au suffrage uninominal à deux tours ont toujours éjecté le FN de l’Assemblée nationale. Si elle a dépassé les 12,5% d’inscrits dans 353 circonscriptions sur 577, qui permettent potentiellement un maintien des candidats y portant sa flamme, les triangulaires ne favoriseront que le Parti socialiste et ses alliés.

Elle le sait. Elle a besoin d’une victoire de la gauche pour tester la capacité de l’actuelle majorité à maintenir ses rangs serrés ou à se disloquer, quelle que soit l’ampleur de la déculottée qui s’annonce pour l’UMP. Tant que Le Pen père était aux commandes, bien à l’aise dans son bastion, la droite dite républicaine ne pouvait envisager de gondoler avec le Front. Chirac s’y était toujours opposé et le 21 avril 2002 en fit le béni des dieux de l’antifascisme. Sarkozy a construit sa victoire de 2007 en incarnant la droite populaire, au grand dam d’un Le Pen détroussé de son fond de commerce. Exploit impossible à rééditer, l’histoire n’a même pas daigné bégayer. Au contraire, ce quinquennat sécuritaire et identitaire n’a fait que renforcer la légitimité de l’égérie de la droite nationale, qui, quoiqu’en disent les esprits chagrins toujours ravis de ne pas voir ce qui saute aux yeux, a ravalé en profondeur la façade de la boutique familiale. En faisant siens, et la première, les thèmes du protectionnisme et de la laïcité, en tenant aux prolos le langage qu’ils voulaient entendre sur les délocalisations, elle n’a eu qu’à se baisser pour ramasser les drapeaux que d’autres avaient laissés à terre. Sincère ou pas, là n’est pas la question, son discours a porté loin pour finalement la porter très haut.

Évidemment, elle ne fut pas la seule. D’autres ont senti depuis longtemps que les mythes d’hier sur l’Éden européen et la douceur d’un libéralisme accepté par le plus grand nombre ne pouvaient éternellement berner la majorité. De Mélenchon à Dupont-Aignan en passant par Montebourg, beaucoup ont mené campagne sur la réhabilitation de la frontière dont il n’est plus aujourd’hui douteux de faire l’éloge, quand hier encore tous ceux qui y touchaient se voyaient rhabillés des charmants oripeaux du populisme. Souvenons-nous que Bayrou n’a eu qu’à jeter aux vents son « produire français » pour faire un bond spectaculaire dans les sondages comme il a suffi aux hérauts du marché libre que furent Hollande et Sarkozy de mêler – mollement – leurs voix à la chorale nouvelle des protectionnistes pour ne pas paraître trop à l’ouest. Tout ceci est un trompe l’œil électoral et Berlin saura bien ramener Paris aux réalités de ses « engagements européens » d’ici peu.

Jean-Luc Mélenchon peut s’égosiller à appeler à voter Hollande pour briser « l’axe Merkozy », cause de tous nos maux, on imagine mal François tordant le bras à Angela sous la pression de « l’homme qui venait du Non ». Ça ferait très mauvais genre.

Propulsé « révélation de la campagne » sous les hourras de foules assemblées religieusement pour entendre ce -trop ?- généreux discours réhabilitant les mythes fondateurs de l’égalitarisme républicain et de l’universalisme français, il n’aura finalement pas réussi à projeter sa candidature au-delà de l’étiage de la gauche radicale en 2002. Il a réuni cet électorat sous une seule bannière et atteint ses deux objectifs initiaux. Un score à deux chiffres et dépasser Bayrou, condition sine qua non (croit-il) pour éviter que la gauche ne lorgne trop à droite dans ses alliances futures. Ce sont les vieux qui ont le moins voté pour lui, réticence logique au regard de la disqualification de l’hypothèse communiste et révolutionnaire au sein de cette génération. Le rassemblement opéré autour du sans-culotte de la Bastille (quatre millions de suffrages sont loin d’être anecdotiques) apparaît donc comme une force d’avenir sociologique. Mais le sera-t-elle politiquement ?

Le Front de gauche aura autant de députés que le Parti socialiste en décidera. Une vingtaine, au plus une trentaine. Ce n’est donc pas de ce côté qu’il peut espérer approfondir son enracinement. Par ailleurs, on voit mal les communistes, si dociles avec leurs grands alliés historiques, pratiquer la politique de la terre brûlée dans leur camp comme Le Pen s’apprête à le faire à droite. La réalité de l’appareil communiste perfusionné par le PS va vite reprendre le dessus. Ça va être coton pour le candidat d’hier de maintenir le cap -si indépendant- de sa campagne en étant désormais « indépendant mais pas trop » de la majorité socialiste qui se dessine. On ne voit pas vraiment quelle porte peut encore s’ouvrir devant lui à moins de parier sur un échec cuisant des socialistes aux affaires. Qu’il souhaite secrètement cette issue ou n’ose l’avancer ouvertement, seule cette perspective pourra lui permettre d’atteindre son prochain objectif : passer devant ses anciens camarades aux élections européennes pour mieux « foncer sur l’Élysée en 2017 ».

On verra bien quelle sera la situation, catastrophique ou pas, de la France et de l’Europe d’ici là. Mais s’il décide une fois de plus « d’aller au peuple », comme c’est la mode désormais, on conseillera cette fois à Mélenchon d’éviter cette fois de proclamer sur une plage « qu’il n’y a qu’un seul peuple sur les deux rives de la Méditerranée »… Comment lui dire ? Le peuple de notre rive n’est peut-être pas assez mûr pour accéder à de tels concepts ? À moins que ce ne soit tout simplement une grosse connerie. Et si Marine en raconte beaucoup, des conneries, elle a au moins su éviter celle-là. Ce qui explique sans doute leur ordre d’arrivée. Troisième et quatrième, leurs places ne sont pas plus enviables l’une que l’autre. Les voilà bordant l’espace politique d’un extrême à l’autre, au nom du peuple, invité une fois de plus à rester bien au bord.

Marine Le Pen a séduit la France invisible

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Les Essards-Taignevaux, dimanche 18h27. Je n’ai encore aucune estimation, ni sondage sorti des urnes. Et pourtant, en sortant de la mairie de cette commune du Jura, située à la limite de la Saône-et-Loire, j’ai déjà une idée précise de l’excellent score que fera Marine Le Pen une heure trente plus tard. Sur les 190 bulletins dépouillés, elle est arrivée largement en tête avec 61 voix. François Hollande suit avec 45 et Nicolas Sarkozy n’en obtient que 32. Alors que j’assiste à une fête familiale en face du bureau de vote, je vois arriver l’un des convives, assesseur au dépouillement de la seconde commune du canton. Il m’annonce que Marine Le Pen est en tête avec plus de 30 % des voix. Quelques heures après, je découvre qu’elle domine dans 10 des 17 communes des cantons ; elle obtient d’ailleurs 29 % des suffrages sur ce canton de 5216 inscrits, devançant Nicolas Sarkozy (24,5) et François Hollande (22,0).

Ce canton, je le connais. C’est celui où j’ai passé une partie de ma jeunesse. C’est là, aussi, que j’ai mené la campagne du non au Traité de Maastricht en 1992, lorsque je tapissais la moindre porte de transformateur électrique de l’affiche « Liberté, je chéris ton non ». Intéressante, cette campagne référendaire dans le canton de Chaussin. Alors que ses résultats étaient auparavant un copié-collé des projections données sur le plan national à 20h00, j’avais cru dur comme fer que le traité de Maastricht était rejeté par les Français constatant vers 19h00 que 55 % des électeurs de mon canton avaient voté non. Cruelle déception une heure plus tard : c’est le oui qui l’emportait avec 51 % des suffrages. Jamais une telle coupure n’avait existé entre France des villes et France des champs.

En vingt ans, cette fracture française, si bien décrite par Christophe Guilluy, s’est encore aggravée. La population a évolué. De nombreux pavillons ont été construits, et abritent souvent des classes populaires qui travaillent dans les agglomérations de Dole, Lons-le-Saunier et parfois Dijon[1. A Dole et Lons-le Saunier, les deux communes les plus importantes du département situées à 25 kilomètres du canton, Marine Le Pen a obtenu beaucoup moins que dans les campagnes environnantes, respectivement 18% et 14 %.]. Y vivent aussi beaucoup de retraités et quelques agriculteurs, lesquels ont vu, comme ailleurs, leur nombre diminuer considérablement depuis 1992. En 2005, le TCE y était rejeté à plus de 60%. Le canton de Chaussin constitue un exemple parfait de la France du Non, draguée par les candidats favoris depuis quelques semaines et qui le sera encore davantage lors des deux prochaines. Cette France rurale, c’est Marine Le Pen qu’elle a choisi comme porte-drapeau. Mélenchon avait lui aussi parlé de ces « oubliés », de ces « invisibles », touchés de plein fouet par les insécurités économiques, sociales, physiques et identitaires. Comme Guilluy, Brustier et Huelin avaient fort bien décrit la sociologie politique de cette France-là. La gauche avait perdu ce peuple[2. Recherche le Peuple désespérément, Bourin Editeur.] au profit d’une droite désormais culturellement majoritaire[3. Voyage au bout de la droite, Mille et une nuits.]. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Gaël Brustier travaille aujourd’hui avec Arnaud Montebourg, député de la circonscription voisine et qui dès 1997, accusait le libre-échange déloyal dans sa profession de foi de candidat. En Bresse, il suffisait d’observer pour constater l’étendue des dégâts d’une mondialisation prétendument heureuse.

Patrick Buisson a lu Guilluy, Brustier et Huelin. Il a fait les mêmes constats qu’eux et a pensé en faire profiter Nicolas Sarkozy. C’était négliger deux éléments importants. D’une part, la personnalité de Nicolas Sarkozy et le fait qu’il avait déjà mené une campagne du même type cinq ans plus tôt. On a beau dire, on a beau faire, il est quand même difficile de faire passer les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages, ou l’inverse en l’occurrence. Les électeurs, ainsi que le note Philippe Cohen, ne sont pas dotés d’une mémoire de poisson rouge et se souviennent que le Président actuel est aussi celui qui a signé le Traité de Lisbonne mais aussi le Pacte budgétaire, qu’il reproche même à François Hollande de vouloir renégocier. D’autre part, cette France-là refuse l’austérité. Cette dernière s’est traduite par des postes en moins à la gendarmerie et au collège de Chaussin, comme ailleurs. Cette France rurale du non est la première à en souffrir. Voilà pourquoi, bien que le pays penche à droite, une bonne part des électeurs de Marine Le Pen, dans cette France rurale des pavillons, ne suivra pas Nicolas Sarkozy le 6 mai, et pas seulement parce que la patronne du FN le leur aura conseillé.

Trois débats ? Mais pour quoi faire ?

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Premier débat

Il faut sauver le modèle social que le monde nous envie (™) et en particulier notre système de retraites. François « Flamby » Hollande, fossoyeur des comptes publics de Corrèze, propose un système de retraire géré par l’État, obligatoire et par répartition avec un âge de départ à la retraite à 60 ans tandis que S.A.I. Nicolas Ier, empereur de Neuilly-sur-Seine, propose un système de retraite géré par l’État, obligatoire et par répartition avec un âge de départ à la retraite à 62 ans. On imagine déjà la violence des échanges…

Deuxième round.

Tout ça, c’est à cause de la vilaine spéculation financière, de la mondialisation ultralibérale (copyright MLP/JLM), des traders, des paradis fiscaux et des banquiers (liste non-exhaustive et provisoire). Il faut donc instaurer un taxe sur les transactions financières pour leur montrer qui est le chef; non mais ! François Hollande, capitaine de pédalo, propose de taxer les transactions financières pour mettre fin à la spéculation tandis que Nicolas Sarkozy, Bonaparte de faible envergure, pense taxer les transactions financières pour obliger les marchés à réparer leurs bêtises. Il va y avoir du sang sur les murs.

Troisième débat

C’est le sujet le plus important de la décennie – que dis-je de la décennie, de l’Histoire de France ! – et c’est là qu’on va voir les lignes de fractures les plus profondes entre ces deux projets de société totalement antagonistes : doit-on accepter, oui ou non, que de la viande halal soit vendue sur le territoire de la République et, si oui, faut-il prévoir un étiquetage spécifique ? François Hollande, ex de Ségolène Royal et accessoirement candidat au second tour de la présidentielle, pense que non, que ça reviendrait à stigmatiser les musulmans tandis que Nicolas Sarkozy, ex de Madame Ciganer-Albéniz et par ailleurs président sortant, pense que c’est un sujet très grave et que l’État doit intervenir pour faire quelque chose.

Bon, on ne pourrait pas avoir trois bons films à la place ?