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Etudiants québécois en grève : Indignés mais pas seulement…

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Depuis février, la plus longue grève étudiante de l’histoire du Québec paralyse les universités de la province francophone du Canada. La raison principale de cette crise est la hausse des frais de scolarité. Le gouvernement québécois Charest a en effet instauré une augmentation de 75% s’étalant sur 5 années, les frais passant donc de 2 168 $CAN à 3 793 $CAN. Or, le mouvement étudiant s’inscrit dans un contexte local (opposition au gouvernement) et international (mouvement des Indignés) plus complexe qu’il n’y paraît. Pour mieux en cerner les enjeux, Rachel Binhas a interrogé Pascale Dufour, professeur agrégée au Département de science politique de l’Université de Montréal, par ailleurs spécialiste de l’action collective et de la représentation politique.

Pourquoi cette crise, longue et aiguë, arrive-t-elle maintenant ? S’agit-il de la fin de ce que certains qualifient de « contrat moral tacite » entre le gouvernement, l’administration et les étudiants qui prévalait jusqu’au siècle dernier ?

Je ne serais pas aussi catégorique sur la transformation du dialogue social. Mais il est certain que la communication entre le gouvernement et les associations étudiantes s’est très largement détériorée depuis l’arrivée au pouvoir du premier gouvernement libéral en 2003. Le premier grand conflit a eu lieu en 2005. Il s’était soldé par l’exclusion d’une des associations de la table des négociations. Aujourd’hui nous assistons au second gros conflit. Si l’on observe une rupture de communication, par le passé, il y avait déjà eu des périodes d’affrontements assez violents entre gouvernements et mouvements étudiants.

Ce conflit a donc un arrière-plan politique…

Oui. Il ne faut peut oublier que le mouvement étudiant a joué un rôle fondamental dans la construction du Québec moderne parce qu’il était très proche du mouvement souverainiste et donc du parti québécois. A cette époque, bien entendu la communication se faisait plus facilement !
Aujourd’hui, le gouvernement libéral en place n’a aucun intérêt électoral à négocier avec les étudiants : les jeunes ne votent pas en général et ceux qui se déplacent pour aller aux urnes ne votent majoritairement pas pour lui .

Et du côté des étudiants, comme le mouvement a-t-il évolué ces dernières années ?
Il faut préciser que le mouvement étudiant a subi de très larges transformations au Québec depuis le milieu des années 1990 avec la multiplication des fédérations étudiantes. Aujourd’hui, le mouvement est divisé, mais pas nécessairement affaibli. Il est néanmoins plus difficile de discuter en face de quatre interlocuteurs au lieu de deux. De plus, le rapport de force entre ces institutions s’est modifié. Par exemple la Classe[1. La Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante se définit comme une organisation temporaire de type syndical luttant contre la hausse des frais de scolarité et cherchant à coordonner une grève générale illimitée.] qui était très minoritaire il y a 10 ans, représente aujourd‘hui près de la moitié des étudiants. Les dynamiques ont donc changé.

Peut-on établir un lien entre le contexte international de crise, les vagues d’indignation successives et ce mouvement étudiant ?

C’est une question difficile. A un certain niveau de généralité, il y a bien un lien. Les militants étudiants eux-mêmes vont faire ce lien, on peut les entendre dire parfois « nous faisons partie des Indignés de ce monde » ou « nous sommes solidaires de nos collègues étudiants du Chili » puisqu’il y a eu des mouvements étudiants dans ce pays, en Inde également. Je pense effectivement qu’une connivence transnationale existe entre les mouvements étudiants.
Une construction de lien se fait aussi avec les Indignés de l’automne de Montréal. Avec le temps, les étudiants redéfinissent leur discours en tenant compte de ces luttes-là. Ils mettent en avant les points communs entre la commercialisation de l’éducation et la commercialisation du monde. Cette généréalisation leur permet d’expliquer que la commercialisation de l’éducation est la conséquence du « néolibéralisme » mondial. Ils soulignent alors l’opposition entre le droit individuel du consommateur et le droit collectif.
Ceci dit, si vous interrogez un manifestant dans la rue qui se positionne contre la hausse des frais de scolarité, il n’est pas certain qu’il fasse immédiatement le rapport avec les Indignés ! On note enfin l’envie de se sentir appartenir à un mouvement de révolte global, de sortir de sa lutte sectorielle.

Cette contestation étudiante serait donc l’expression d’un mouvement de gauche antilibéral ?

Pas pour tous ! Pour une partie il est de gauche, comme la Classe par exemple, très clairement positionnée à gauche de l’échiquier politique. Ses militants exigent la gratuité scolaire depuis le début des années 2000 .
Mais ils ne représentent pas l’ensemble des étudiants. Certains prônent le gel des frais de scolarité, d’autres demandent un moratoire sur la question des droits de scolarité… Des associations étudiantes qui ne sont pas particulièrement à gauche proposent aussi l’indexation des frais de scolarité sur le niveau de revenu. Notons en même temps que les étudiants favorables à cette hausse ont tenté de s’organiser collectivement mais sans succès. Pour le moment, aucune association étudiante ne les représente. Leur discours anticontestataire est donc porté à titre individuel.

Dans quelle mesure peut-on comparer le conflit québécois aux mouvements étudiants français ?

Une comparaison est toujours possible mais les enjeux sont différents. Les dernières grandes mobilisations étudiantes en France concernaient surtout la question de l’emploi. Au Québec, l’enjeu est celui de l’accessibilité aux études puisque toutes les études en Occident montrent qu’une hausse des frais de scolarité diminue mécaniquement cette accessibilité, même si des systèmes de prêts et de bourses sont mis en place.

Pauvres footballeurs !

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« Non les footballeurs ne sont pas trop payés » : c’est par cette proclamation, publiée dans Le Figaro du 22 mars, que Frédéric Thiriez a réagi à la proposition de François Hollande de créer une tranche d’impôt à 75 % pour les revenus annuels supérieurs à 1 million d’euros ; le président de la Ligue professionnelle de football se désolait aussi du fait que Nicolas Sarkozy se désintéressait de la cause des footballeurs, préférant se soucier du sort des entrepreneurs[1. Le président de la République avait jugé « choquants » les revenus des footballeurs professionnels, en janvier 2010 au cours de l’émission « Paroles de Français ».].

Thiriez a pris sa plume de Calimero : c’est trop inzuste de s’en prendre à ses pauvres footballeurs moins bien payés que les golfeurs et basketteurs américains ou que les pilotes automobiles allemands – justifier un culot monstre par un toupet d’acier, la ficelle est un peu grosse. Il rappelle donc que les footballeurs français affrontent en Coupe d’Europe des Anglais, Espagnols et Allemands encore mieux payés qu’eux­. Ce qui est parfaitement exact, mais Thiriez veut-il dire que plus on gagne d’argent mieux on joue ?[access capability= »lire_inedits »] Cela doit être ce qu’on appelle les « valeurs du sport ». Du reste, nos pauvres footballeurs injustement traités d’enfants gâtés jouent aussi contre d’encore plus à plaindre qu’eux. Des Chypriotes, par exemple. L’APOEL Nicosie, qui a éliminé l’Olympique lyonnais de la Ligue des champions, est doté d’un budget annuel de 10 millions d’euros, équivalent à celui d’une équipe de Ligue 2 française – et somme qui représente à peine le double du revenu annuel du seul Yoann Gourcuff, remplaçant à Lyon. Alors que Thiriez nous pardonne de ne pas sortir les mouchoirs quand, évoquant la « tragi-comédie de Knysna », il brandit le « deux poids-deux mesures ». Rappelons que, durant la Coupe du monde de football, des milliardaires en short refusèrent de s’entraîner devant les caméras du monde entier. Et pourtant, il ose : « Mais y a-t-il une éthique à géométrie variable entre le football, où la moindre faute suscite un tsunami médiatique, et les autres secteurs de la société où l’erreur est tolérée voire masquée ? » D’une part, il nous a échappé que les footballeurs étaient les seules victimes de tsunamis médiatiques. D’autre part, les protégés de Frédéric Thiriez tirent toute leur légitimité de leur hyper-médiatisation et il ne faudrait les montrer que quand ils marquent – ce qui a été fort rare en Afrique du Sud ?

Pour conclure en beauté, Thiriez traite ses contradicteurs de quasi-racistes. Si on en veut à l’argent des footeux, c’est par jalousie. On ne supporte pas que le sport de haut niveau, dernier refuge de l’ascenseur social, catapulte au sommet des jeunes des quartiers, souvent « blacks » et « beurs[2. Les guillemets sont de Thiriez et non de votre serviteur.] ». Les pauvres sont de très bons contribuables ne demandant pas le moindre régime dérogatoire – on l’a vu quand le milieu du football s’est bruyamment lamenté après l’annonce de la suppression du DIC (droit à l’image collective[3. Le droit à l’image collective (DIC) permettait aux clubs de reverser à certains joueurs une partie des retombées financières des ventes de maillots, droits télé, sponsoring, dans des conditions fiscales très avantageuses. Ce régime a été supprimé par l’Assemblée nationale en 2010.]) par Roselyne Bachelot, conformément aux préconisations de la Cour des comptes qui avait dénoncé l’inefficacité de cette coûteuse niche fiscale. Enfin, si on cessait de raconter aux enfants des quartiers populaires que le foot et le basket sont les seules voies de la réussite qui leur sont ouvertes, on ne s’en porterait pas plus mal.

Il y a vingt ans, nos footballeurs gagnaient moins et jouaient mieux. L’Union européenne n’avait pas encore dérégulé le sport professionnel en interdisant toute limitation du nombre de joueurs étrangers par club. La possibilité offerte aux joueurs d’aller jouer partout sans aucune restriction a généré une concurrence effrénée qui s’est traduite par l’explosion des salaires et des montants des transferts – mais aussi par les déficits croissants des clubs : 130 millions d’euros de déficit cumulé pour le football français, beaucoup plus en Espagne et en Angleterre où les clubs s’endettent pour verser des sommes pharaoniques à des joueurs. Jean-Luc Gréau, qui a expliqué dans ces colonnes que les banques et les groupes du BTP espagnols étaient intimement liés aux clubs de foot, annonçait une rapide explosion de la bulle footballistique.

Thiriez croit s’en tirer avec des âneries du genre : « Ce ne sont pas les footballeurs qui ne sont pas assez payés, ce sont les Français qui ne le sont pas assez. » Il ferait mieux d’anticiper la crise qui frappera inéluctablement le football professionnel à brève échéance. Au lieu de flatter l’instinct mercenaire des joueurs, il devrait leur tenir un langage de vérité et les préparer à des temps moins généreux en matière sonnante et trébuchante. Et plutôt qu’encourager les clubs à s’endetter, il devrait réclamer le retour à la régulation qui prévalait avant les funestes décisions européennes. L’amoureux du foot que je suis retrouvera peut-être des raisons d’admirer les joueurs quand il ne les soupçonnera plus de rêver à un autre club – et à un autre salaire ­– alors qu’ils viennent tout juste d’intégrer son équipe favorite.[/access]

La Quinzaine du Blanc

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La première à réagir – et à lancer le mouvement – aura été Ségolène Royal : dès l’après-midi du 22 avril, avant même les estimations de 20h, elle exhortait la gauche à “mieux écouter” les électeurs du Front National, ces braves beaufs électoralement un peu désorientés.

Une fois les résultats proclamés et le score de Marine Le Pen acté, tous s’y sont mis : Peillon, Fillon, Valls, Hollande, Dati et, naturellement, Sarkozy. Avec près de 18% des voix, le gisement lepéniste ne pouvait plus être ignoré par aucun des deux camps : les uns ont dit comprendre la “colère” de ces électeurs franchouillards, les autres leur “souffrance”, et tout en s’insultant ce faisant – petainiste ! laxiste ! – chacun espère les rallier à son candidat le 6 mai. Avec ou sans pince à linge sur le nez, il faudra bien les récupérer, ces bulletins “de souche” …

Quand on y pense, c’est assez amusant : en 2002, la qualification de Jean-Marie Le Pen pour le second tour avait suscité une indignation (presque) unanime – ce furent alors les grandes parades et autres “shame pride” de ce que Philippe Muray baptisa la Quinzaine anti-Le Pen. Autres temps, autres mœurs : en 2012, il semble bien que nous aurons droit a la Quinzaine du Blanc…

Six millions et demi d’ennemis ?

Chaque semaine jusqu’à l’élection présidentielle, la « battle » sur Yahoo ! Actualités confronte les éditos de Rue89 et Causeur sur un même thème. Cette semaine, Elisabeth Lévy et Pascal Riché s’interrogent sur l’ancrage républicain du FN.

« Marine Le Pen est compatible avec la République ». Que cette phrase prononcée par Nicolas Sarkozy ait été affichée en « une » de Libération sans le moindre commentaire, comme si elle devait à elle seule provoquer effroi et dégoût[1. Notons au passage que Libé, pour accentuer l’effet recherché, a préféré taire le prénom du Le Pen dont il est question, en l’occurrence la fille.], puis qu’elle ait donné lieu à un festival de démentis, de postures et d’invectives, montre qu’il est temps que cette campagne s’achève: tous ces gens doivent être très fatigués pour qu’une telle banalité leur échauffe à ce point les sangs. Car enfin, si Marine Le Pen est incompatible avec la République, après son score de dimanche, une conclusion s’impose: la République est morte ou, à tout le moins, gravement menacée. Or, aussi criants soient ses échecs et insuffisances, nul ne s’est risqué à prononcer l’avis de décès. À l’instar du Président, on peut aussi se demander pourquoi la République tolèrerait en son sein un parti anti-républicain — qui aurait, de surcroît, été mis en selle par le seul chef de l’État dont le Parti socialiste ait jusque-là fait don à la France. En tout cas, si ses statuts comportaient la moindre ambigüité sur la question, il se serait assurément trouvé quelques associations pour saisir la justice.

Convenons cependant que cette démonstration par l’absurde n’est pas entièrement satisfaisante. Que le FN soit compatible avec la République ne signifie pas qu’il soit républicain. Certes, il n’est jamais sorti de la légalité républicaine — par exemple en tentant de remettre en cause dans la rue le résultat des urnes. Mais si la droite que l’on qualifiera de classique a accepté de participer à la mise en place d’un « cordon sanitaire » qui lui a valu pas mal de défaites électorales, ce n’est pas seulement, comme le soutient l’excellent Frédéric Rouvillois, parce qu’elle a lâchement cédé au chantage moral de la gauche, mais parce que les sorties de Le Pen père, sans parler de ses fréquentations déplorables et des traditions historiques dans lesquelles il s’inscrit, invitaient pour le moins à douter de son attachement aux valeurs de la République. De ce point de vue, le discours prononcé au congrès de Tours, en janvier 2011, par Bruno Gollnisch, fut sans équivoque. Il enflamma la salle (qui lui était largement acquise) en évoquant « nos morts du 6 février 1934 » et fit un tabac avec toutes les vieilles lunes de l’antiparlementarisme — il n’y manquait que la dénonciation de « la Gueuse ».

On comprend que la gauche se soit entichée d’un si précieux ennemi, du moins tant qu’il ne chassait pas trop sur ses propres terres électorales. Placer au centre du jeu un parti décrété hors-jeu revenait tout simplement à priver la droite de 10 à 15 % de ses électeurs dont les suffrages étaient en quelque sorte désactivés. Le tout en se payant le luxe d’apparaître comme le camp des valeurs contre celui du cynisme. Nul n’aurait eu le mauvais goût d’interroger le PS sur sa propre alliance avec un PCF dirigé par Georges Marchais qui resta jusqu’au bout l’homme de l’alignement sur l’URSS — qui aurait osé comparer le glorieux Parti des Fusillés à la nauséabonde extrême droite ? Le 21 avril 2002 et la défection de classes populaires peu sensibles aux oukases des sermonneurs révélèrent les limites de la manœuvre : eh les gars, ce n’est pas à nous que vous deviez piquer des électeurs !
Seulement, quoi qu’en disent les plus indécrottables des antifascistes de bazar, la victoire de Marine Le Pen change la donne. Certes, elle n’a pas changé son parti d’un coup de baguette magique. Mais en politique les discours engagent. Celui qu’elle prononça à Tours quelques heures après son rival défait était émaillé de références parfaitement républicaines, de Jaurès à la Résistance en passant par Valmy — où elle avait traîné son père il y a quelques années. On me dira qu’elle n’en pense pas moins : peut-être, mais à trop sonder les reins et les cœurs, on risque de faire des découvertes peu ragoûtantes. Et pas seulement dans les organes lepénisés.

Bien sûr, on ne se contentera pas de cette proclamation. Il faut donc examiner son programme, en tout cas ses points les plus contestés. Elle veut réduire, voire interrompre l’immigration, légale et illégale : on peut lui reprocher, au choix, son manque de générosité ou son irréalisme, mais est-il bien républicain d’ignorer que nombre de Français, y compris ceux qui ne votent pas pour elle, adhèrent à cette proposition, tout simplement parce que, dans la vraie vie, l’immigration n’est pas toujours une chance pour la France, en particulier pour les populations arrivées récemment dont l’intégration n’est pas précisément une réussite ? La préférence nationale qu’elle propose me semble personnellement de très mauvais aloi, mais il faut être crétin ou de mauvaise foi pour dire qu’elle établit une distinction entre Français. Tous les pays accordent certains droits à leurs seuls ressortissants, par exemple, celui de se présenter à la présidence de la République. Le principe n’est donc pas scandaleux en soi — rappelons qu’il donne la priorité à un Français d’origine étrangère récente sur un Américain.

On me parlera de son discours de haine, sans jamais dire à quels termes se rapporte cette qualification. J’ai détesté sa phrase sur les « Mohamed Merah déferlant sur nos côtes ». Reste que des phrases détestables, on en a entendu quelques-uns au cours de cette campagne. Alors oui, on peut désapprouver la façon dont Marine Le Pen pose la question de l’islam et de son acculturation en France. On me permettra de désapprouver tout autant le silence vertueux que tant d’autres préfèrent observer sur ce sujet. La laïcité mérite peut-être d’être défendue en termes plus choisis qu’elle ne le fait, mais la gauche qui ne la défend pas du tout est mal placée pour donner des leçons sur ce terrain.

Il serait temps de comprendre que les millions de Français qui votent pour le FN ne veulent pas moins mais plus de République. Ils ont tort ? Admettons. Mais était-ce républicain de construire une Europe dans laquelle les décisions échappent largement aux élus du peuple ? Était-ce républicain d’inventer, au nom d’une conception mécanique de l’égalité, le collège unique dont la grande œuvre aura été de tirer les bons élèves vers le bas plutôt que les mauvais vers le haut ? Était-ce républicain de tergiverser pendant vingt ans avant d’interdire les signes religieux à l’école ? Était-ce républicain d’encourager l’idéologie de la repentance qui légitime la détestation de la France ? Était-ce républicain de prôner l’ouverture à tous les vents de la mondialisation, qu’elle fût économique ou culturelle ? Était-ce républicain de décréter que dans les écoles de Strasbourg on servirait « de la viande halal par respect pour la diversité, mais pas de poisson le vendredi par respect pour la laïcité » — impayable logique du maire socialiste de la ville ? Était-ce républicain de minimiser l’antisémitisme et le sexisme qui sévissaient et sévissent encore dans les « territoires perdus de la République » au motif que ceux qui les propageaient étaient victimes de l’exclusion sociale ? Était-ce républicain de traiter de salauds, de cons ou de fachos les électeurs qui, lassés d’être les cocus de la mondialisation, se sont tournés vers le FN ? Ou étaient-ils, durant toutes ces années, tous ces Républicains sourcilleux qui affichent aujourd’hui leurs âmes pures et leurs mains blanches ? Peut-être serait-il naïf ou imprudent de décerner à Marine Le Pen un brevet de vertu républicaine. En attendant, si la République semble aujourd’hui si mal en point, elle n’en est pas, loin s’en faut, la première responsable.

CRIF : les imprécations de Claude Askolovitch

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Claude Askolovitch est un journaliste en vue dans le microcosme. Grand reporter au Point après avoir éditorialisé au Journal du dimanche et fait ses classes au Nouvel Obs, il ne manque pas d’espace pour s’exprimer, d’autant plus qu’il est fréquemment invité dans divers talk-shows à la radio ou à la télé. Cette notoriété, qu’il doit à son talent et son entregent, devrait l’inciter à mesurer ses propos, et à ne manier l’insulte qu’avec d’infinies précautions et surtout lorsqu’il y a vraiment matière à s’indigner.

La charge au bazooka contre le président du CRIF Richard Prasquier publiée par Marianne2.fr se veut inspirée par la bonne conscience d’un antifascisme de bon aloi, mais s’exprime dans une forme que n’aurait pas reniée les polémistes antisémites du Gringoire des années 30. Le titre d’abord : « La morale du Crif s’arrête aux portes du ghetto ». On peut tout à fait, en tant que juif, être en désaccord avec les prises de positions du CRIF, ne pas se sentir représenté par lui et le clamer haut et fort. Nombreux sont ceux qui font un usage immodéré cette possibilité, et trouvent sans difficulté des médias complaisants pour les relayer, en dépit de leur statut ultra-minoritaire parmi les juifs de France. Mais ramener au « ghetto » et à toutes les images dévalorisantes attachées à ce concept l’organisation de représentation politique du judaïsme français, pluraliste et diverse dans toutes ses instances, est une insulte à la raison et au bon sens. Qu’aurait pensé Askolovitch de quelqu’un qui aurait écrit que « la morale de l’UOIF s’arrête aux portes de la casbah » ?

Le ghetto obsède tellement notre imprécateur qu’il y revient en conclusion pour affirmer qu’il abrite aujourd’hui des « salauds », dont Richard Prasquier serait le chef de file. Rien de moins. Cette fureur est d’autant moins admissible que, de l’aveu même d’Askolovitch, elle ne dénonce pas le président du CRIF sur ce qu’il dit, mais sur ce qu’il ne dit pas. L’imprécateur aurait souhaité que Richard Prasquier sonne, pour le public israélien, le tocsin antifasciste et partage son diagnostic sur une « France malade » accordant 18% des voix à Marine Le Pen. Ne pas obéir à l’injonction d’Askolovitch fait de vous ipso facto un complice du FN, donc un salaud, sartrien peut-être, c’est plus chic, mais cela revient au même.

L’objet de la tribune sollicitée par le quotidien de gauche israélien Haaretz se limitait à demander au président du CRIF les conséquences de la victoire au second tour de l’un ou de l’autre candidat sur les relations du pouvoir avec le judaïsme français et sur la politique de la France vis-à-vis du conflit du Proche orient. On pourra vérifier, en lisant cet article qu’il n’est en rien un brevet d’honorabilité accordé à Marine Le Pen.

Claude Askolovitch, présenté par Marianne2.fr comme un « bon connaisseur des institutions juives » ne peut donc ignorer que, depuis son accession à la tête du CRIF, Prasquier a fermement maintenu l’ostracisme que cette institution fait peser sur le FN, alors que quelques voix, dans les instances dirigeantes de la communauté, s’étaient élevées pour y mettre fin à la suite de la reconnaissance, par Marine Le Pen, de la Shoah comme « le summum de la barbarie ». Il n’a pu également lui échapper qu’au lendemain du drame de Toulouse, c’est lui qui, sur le perron de L’Elysée en compagnie du Grand Rabbin Gilles Bernheim et du recteur de la mosquée de Paris Dalil Boubakeur, lançait un appel exhortant les Français de toutes confessions à ne pas faire d’amalgame entre Mohamed Merah et l’ensemble des musulmans de France. Et c’est cet homme que l’on voudrait clouer au pilori comme fourrier du discours lepéniste dans la communauté juive ! Askolovitch se pare au détriment d’un homme d’honneur, et au mépris de la vérité, d’une vertu antifasciste de pacotille aussi intempestive que dérisoire.

Après le Sarkozy-Pétain du PC, voilà le Sarkozy-Breivik du PS

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Vous avez aimé la Une de l’Huma assimilant Nicolas Sarkozy à l’ex-maréchal Pétain ? Alors vous allez adorer ce tweet publié hier soir par Paul Meyer, élu socialiste de Strasbourg et ancien secrétaire national du MJS :  » Combien de Anders Breivik dans les voitures, les bus, les cars, les trains qui arrivent aux meeting de Sarkozy ? »

On s’en doute, ce trait d’humour délicat n’a pas fait l’unanimité, même chez les initiés qui passent leur vie sur Twitter, en pensant que le victoire à la présidentielle se jouera sur des banalités en 140 signes, a tel point que l’auteur a du retirer prestement son tweet du circuit.

Pour sa défense, le camarade Meyer a bien sûr expliqué qu’il faisait là référence à la fameuse petite phrase nantaise de Marine Le Pen : lors de son discours du 25 mars, juste après la mort du tueur de Toulouse et Montauban, elle avait déclaré : « Combien de Mohamed Merah dans les bateaux, les avions, qui chaque jour arrivent en France remplis d’immigrés? »

La formule lepeniste, si vous voulez mon avis , était consternante, ne serait-ce parce qu’elle conforte tous ceux qui veulent criminaliser toute régulation de l’immigration.

N’empêche, il s’est trouvé un responsable socialiste pour penser qu’on pouvait, à froid, un mois après Marine, faire encore pire qu’elle, sûr qu’on est d’appartenir au Parti du Bien.

J’attends avec impatience la Une indignée de Libé demain matin…

L’islam belge peine à exister

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Photo : L’Organisation de la jeunesse islamique de Belgique et la Commission européenne des affaires islamiques vous présentent les conférences du cheikh Mahmoud al-Masri à Bruxelles

L’épineuse question des relations entre l’Etat et la religion a été réglée en Belgique par un arrangement plus proche de celui de nos voisins allemands que du nôtre. Au lieu d’une rupture claire et nette reléguant les cultes dans la sphère privée, l’Etat les prend en charge au nom de l’intérêt général. Selon la loi sur « le temporel du culte » votée en 1870, l’Etat belge paie les salaires des clercs, assure l’entretien des lieux de culte – d’ailleurs exonérés d’impôts-, finance les écoles du réseau d’enseignement libre confessionnel ainsi que l’enseignement des différentes confessions officiellement reconnues. Ce régime concerne aujourd’hui le catholicisme, le protestantisme, l’anglicanisme, le judaïsme, le christianisme orthodoxe, l’islam, le bouddhisme et même la laïcité, qui a le statut de mouvement philosophique.

Chaque religion reconnue dispose d’un organe représentatif, interlocuteur officiel de l’Etat, chargé de gérer l’argent public alloué au fonctionnement de la communauté. Depuis sa reconnaissance en 1974, l’islam – deuxième religion de Belgique par le nombre de ses croyants – bénéficie d’un financement public au même titre que les autres cultes, mais peine pourtant à se fondre dans le moule institutionnel de la loi de 1870.

A sa création il y a presque quarante ans, l’organe communautaire musulman officiel fut d’abord confié au Centre islamique et culturel de Belgique, la Grande Mosquée du Cinquantenaire, institution financée et dirigée par l’Arabie Saoudite. Cette décision politique peut sembler maladroite, sachant que les musulmans de Belgique, disséminés dans 295 mosquées, sont majoritairement d’origine marocaine et turque. Effectivement, ces derniers ont mal vécu la tutelle saoudienne sur leur organe représentatif, véhiculant par ailleurs une interprétation wahhabite plutôt radicale de l’islam. De surcroît, en confiant l’organisation institutionnelle des Musulmans à un pays tiers, la Belgique a fait entrer en son sein un véritable cheval de Troie. Avec l’émergence, depuis une vingtaine d’années, de l’islamisme politique sur la scène internationale, phénomène nourri essentiellement par le wahhabisme saoudien, l’Etat belge a pris conscience de son singulier manque de prévoyance. Pour résoudre le problème, le gouvernement belge a décidé en 1996 de créer une nouvelle institution, « l’Exécutif des Musulmans de Belgique » (EMB), avec l’idée de confier des responsabilités aux Musulmans nés et éduqués en Belgique. Quelques décennies après l’arrivée de vagues migratoires massives, il était tout à fait raisonnable de construire une communauté musulmane enracinée en Belgique afin d’imposer un nouveau rapport de forces au sein des institutions religieuses. Il aurait ainsi été judicieux de briser la gangue des « pays d’origine » pour que les fils et petits-fils d’immigrés s’émancipent de leurs racines familiales. Ce n’est pourtant pas ce qui s’est passé.

Quoique rappelant le « Conseil français du culte musulman », l’EMB dispose de compétences plus larges que son homologue français. On imagine aisément l’étendue du pouvoir des responsables de la reconnaissance des mosquées, de la création et la gestion des parcelles islamiques dans les cimetières ainsi que des budgets – et surtout des postes – liés à la nomination des imams, à l’inspection des enseignants de religion islamique, à l’aumônerie dans les prisons et hôpitaux, sans parler de la mine d’or de la gestion de l’abattage rituel. Le contrôle de tels leviers ont été l’enjeu d’âpres luttes qui ont déchiré la nouvelle instance. A ces problèmes d’ordre temporel, s’ajoutent d’autres difficultés comme le débat sur le port du voile islamique dans les écoles. Paralysées par des luttes intestines, les institutions musulmanes n’ont pas été en mesure de relever ces défis et de plus en plus de croyants, notamment les plus jeunes, se sont tournés vers d’autres sources d’inspiration.

En Flandre par exemple, le manque de maîtrise du flamand par les imams a incité de plus en plus de jeunes coupés de la langue de leurs ancêtres à se tourner vers Internet et les programmes TV islamiques, lesquels constituent de réels vecteurs de radicalisation. Et pour compléter le tableau, les ingérences permanentes du Maroc et de la Turquie par le biais de leurs ambassades respectives n’ont fait qu’empêcher la stabilisation de l’Exécutif communautaire. La situation s’est tellement dégradée au sein de l’EMB qu’en 2005, Laurette Onkelinx, ministre socialiste de la Justice, a dû organiser de nouvelles élections communautaires. Celles-ci ont été remportées par Coskun Beyazgül, un fonctionnaire du ministère turc des affaires religieuses. Au lieu d’accepter le résultat du scrutin, les responsables sortants, d’origine marocaine, ont savamment organisé le boycott de l’institution. Désormais, la communauté musulmane belge se scindait en deux parties adverses : « Marocains » contre « Turcs »[1. Communautés qui représentent à elles deux près de 85 % des 400 000 Musulmans belges]. Pour ne rien arranger, le quotidien de l’Exécutif Coskun a été émaillé de scandales : perquisitions, inculpations pour mauvaise gestion, démissions en bloc qui ont délégitimé et discrédité l’institution. Confronté à une gestion aussi calamiteuse, le gouvernement belge a décidé en 2008 de réduire au strict minimum sa coopération avec le nouvel Exécutif jusqu’à ce qu’un nouveau président, également d’origine turque[2. Notons que le nouveau président Ugurlu Semsettin, est un opposant actif à la reconnaissance du génocide arménien, sans doute très lié à Ankara.], ne présente un projet cohérent permettant aux autorités de lui confier provisoirement la responsabilité des affaires courantes, en attendant l’élection d’un nouvel exécutif.
Dans ces conditions, rien de surprenant à ce qu’un rapport de la sûreté dénonce la prise de contrôle de l’Exécutif musulman par des
individus au service d’Etats étrangers et pointe l’émergence d’un certain radicalisme islamique.

Et si le seul remède à cet « islam des ambassades » était justement un islam « à la belge » ? Selon différentes sources, les équilibres traditionnels de la communauté musulmane belge se trouveraient bouleversés par le nombre de belges convertis à l’islam (entre 15 000 et 40 000, soit presque 10% des Musulmans du pays). Certains, au sein de l’Exécutif musulman, ont tenté de promouvoir un islam couleur local, libre de toute influence extérieure, incluant également une forte présence féminine. Dès 2010, la vice-présidente de l’Exécutif, Isabelle Soumaya-Praile, ainsi que Zehra Gunaydin et Mohamed Fatha-Allah créent ainsi un nouveau courant réformiste : l’« Alternative démocratique des musulmans de Belgique » (ADMB). Ce nouveau courant n’a pas hésité à mettre le doigt sur des problèmes sensibles. Ainsi, dans un communiqué de presse diffusé le 15 janvier dernier, l’ADMB constate sans tourner autour du pot que « Les instances musulmanes belges sont définitivement sous le contrôle des Etats étrangers (…). L’Exécutif des Musulmans de Belgique » (EMB) n’est désormais plus dirigé que par des individus qui feront primer les intérêts de leur Etat d’origine sur ceux des musulmans de Belgique ». Aux dires même de cette association islamique, il y aurait donc des états (musulmans) dans l’Etat (belge).

Expiré le 31 décembre 2011, le mandat de l’Exécutif musulman n’a pu être renouvelé, faute d’accord entre les courants musulmans représentés. Ainsi, pour ceux qui espéraient voir l’« Alternative démocratique des musulmans de Belgique » jouer un rôle plus important, la déception a été grande, car l’assemblée générale, avec seulement 11 membres présents en séance sur 44, a inopinément éjecté les trois trublions rénovateurs ! Isabelle Soumaya-Praile et ses camarades peuvent donc s’égosiller à promouvoir « un islam de transparence, citoyen, démocratique et surtout débarrassé de toute ingérence étatique », cela n’empêche pas les institutions musulmanes belges de se retrouver dans l’impasse. Cette situation devient de plus en plus intenable face à la forte poussée démographique de la communauté musulmane belge, notamment à Bruxelles, et à la montée de revendications communautaires de plus en plus radicales.

Pour le moment, on constate un triste paradoxe : les dirigeants de l’Exécutif s’acharnent à prôner un islam de tradition alors que dans leurs pays d’origine, certains risquent leur vie pour défendre une lecture du Coran plus moderne. L’Exécutif « turco-marocain » a par exemple refusé la nomination d’une femme « imame », dans la ville de Verviers (sud de la Belgique) alors que les instances locales y étaient favorables. Au lieu de servir de laboratoire pour un islam européen adapté à la laïcité et aux cadres de la démocratie libérale, les institutions musulmanes belges sembles engagées sur une voie rétrograde fort populaire parmi des populations mal intégrées, peu instruites et en quête d’identité.

Au-delà des différences de situation, l’institutionnalisation des musulmans belges et français pose des difficultés semblables : on observe les mêmes tendances à la parcellisation, au service d’intérêts claniques, des pays d’origine et de certains courants religieux. Des difficultés similaires à celles qu’éprouvent certaines sociétés maghrébines et moyen-orientales pour construire une nation. Ici comme là-bas on attend toujours un printemps, un vrai.

Monsieur le Président

Monsieur le Président,

Vous ne me connaissez pas mais moi, je vous connais très bien. J’étais là lorsque vous fîtes vos débuts en politique – il y a 38 ans déjà ! – et j’ai suivi pas à pas votre longue carrière sous les ors de la République. J’ai été témoin de votre ascension au sein du parti qui a fait de vous son candidat. J’ai écouté vos discours publics comme vos conversations privées. J’ai observé chacun de vos actes, patiemment, sans rien dire. Mais maintenant que votre élection et la date de notre première rencontre approche, je crois utile de vous écrire quelques mots.

On a décrit cette campagne présidentielle comme l’affrontement de Hobbes et de Rousseau. Vous et moi savons pertinemment qu’il n’en est rien ; vous et moi savons que nous assistons au duel de Machiavel contre Machiavel. Comme votre adversaire, votre carrière toute entière, vos prises de positions et chacun de vos actes n’ont été guidées que par un seul et unique impératif : accéder au pouvoir et vous y maintenir. Au-delà des postures et des faux-semblants, c’est l’exercice du pouvoir qui vous a toujours motivé et qui reste, encore aujourd’hui, votre seul véritable moteur. Pour y parvenir, vous vous êtes compromis mille fois, vous avez renié vos idées, trahi vos amis et êtes même allé jusqu’à accepter de faire de votre vie privée un mensonge – comme lors de cette séparation d’avec votre épouse d’alors, intervenue comme par hasard au lendemain des élections présidentielles de 2007.

J’étais là, lorsque sous prétexte d’améliorer la vie de vos concitoyens, vous avez ruiné les comptes publics de la collectivité dont vous aviez la charge. Vous et moi savons précisément pourquoi vous l’avez fait. Il n’y avait là ni urgence, ni « justice sociale », ni théorie économique mais seulement du clientélisme politique. D’une main, vous avez distribué des subsides publics pour mieux acheter le soutien de vos électeurs tandis que de l’autre, vous preniez soin de les taxer le plus discrètement possible tout en épargnant vos amis, vos bailleurs de fonds et – bien sûr – vous-même. Vous vous êtes toujours montré si généreux avec l’argent des autres ! Le résultat, vous le saviez comme moi, ne pouvait être qu’un endettement intenable et toutes les conséquences économiques et politiques que cela implique. Mais après tout, pensiez-vous en votre for intérieur, « après moi, le déluge. »
C’est lorsque les conséquences de votre incurie son devenue trop visibles et que l’état des finances est devenu un sujet d’inquiétude que vous m’avez ignorée une première fois. Jusque là, vous aviez toujours vécu dans le monde rassurant et confortable qui vous avait été décrit lors de votre bref passage à Sciences Po. Un monde déterminé et bien rangé où le droit positif, la parole politique et l’appareil des partis se suffisent à eux-mêmes. Un monde où un homme tel que vous, qui n’a jamais mis les pieds dans une entreprise autrement qu’accompagné d’une nuée de journaliste, peut se permettre de donner des leçons de bonne gestion et se faire passer pour un investisseur visionnaire. Mais cette fois-ci, je me suis manifesté.

Vous avez accusé les banquiers, les traders, les paradis fiscaux, les marchés financiers – qui d’autre encore ? – des conséquences de votre gestion calamiteuse. Mais vous le savez très bien, tous n’étaient que des boucs émissaires qui, comme tout bon bouc émissaire, présentaient le triple avantage de n’avoir aucun poids électoral, de ne pas avoir de visage et de ne pas susciter la sympathie de ceux à qui on les jette en pâture. Vous m’avez appelé « mondialisation ultralibérale » et « capitalisme financier » ; vous m’avez accusé d’attaquer la France, de vouloir nuire à son peuple, de vouloir détruire ce fameux modèle social que vous défendez avec acharnement alors que vous le savez condamné. Vous avez poussé le vice jusqu’à prétendre me « moraliser » alors même que la corruption de vos amis politiques s’étalait sur la place publique. À mal me nommer, en ne sachant pas me reconnaître, vous m’avez ignorée.

Vous avez préféré continuer à mentir et à faire semblant. Comme votre adversaire, vous avez donné dans la surenchère démagogique et avez tenté de séduire les électeurs les plus radicaux de votre famille politique ; ceux qui ont cédé aux sirènes des idéologies totalitaires, ceux qui cherchent un maître, ceux qui ont déjà oublié la leçon sanglante que notre humanité s’est infligée à elle-même au XXème siècle. Taxation des transactions financières, créations de banques publiques, augmentation ex nihilo des bas salaires, encadrement des loyers, réglementations et subsides publics comme s’il en pleuvait et voilà maintenant que, sans le dire, vous nous promettez du protectionnisme… Peu importe que chacune de vos propositions, sous une forme ou une autre, ait déjà été tentée mille fois et ait été mille fois un échec ; votre objectif, nous l’avons déjà dit plus haut, c’est le pouvoir : après le 6 mai, croyez-vous, vous trouverez bien un moyen de vous en sortir.

Vous avez cru, comme votre concurrent, que votre salut résidait dans la récupération des votes extrêmes. Là encore, vous avez eu recours à vos boucs émissaires habituels ; l’un accusant les étrangers de nous « submerger » et de menacer notre modèle social – oubliant, par la même occasion, d’où vient sa propre famille – et l’autre déclarant sa haine des « riches » et son intention de mieux les tondre – commettant ainsi la même faute que son adversaire. Et voilà que les extrêmes que vous avez si bien flattés renaissent de leurs cendres. Voilà qu’à force de mensonge et de lâcheté vous avez réveillé les plus bas instincts de ceux qui ne demandent qu’à vous croire. Voilà que votre stratégie se retourne contre vous. Vous n’avez désormais plus le choix : vous dédire ou tenir vos promesses jusqu’à la catastrophe.

Encore une fois, vous m’avez ignorée. Vous avez balayé mes avertissements d’un revers de la main et avez préféré écouter vos stratèges, vos conseillers et vos communicants. Mais je suis de ceux, Monsieur le Président, que l’on n’ignore pas sans avoir un jour à en subir les conséquences. Vous crierez au complot, à l’ennemi intérieur et au danger extérieur mais vous savez que tout cela n’est que le nuage de fumée derrière lequel vous essayez de vous cacher. Je n’ai rien à faire, pas un geste, pas une parole : il me suffit d’exister. Il est inutile de me chercher : je suis déjà là, partout autour de vous et depuis toujours. Il est vain d’essayer de me faire disparaitre, je suis ce qui, quand on cesse d’y croire, ne disparait pas.

Monsieur le Président, mon nom est Réalité. Vous allez bientôt être élu et nous allons enfin nous rencontrer. Je dois vous prévenir : je crois que vous n’allez pas apprécier.

Sarkozy et le « vrai » travail ? Vrai ou faux ?

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Mercredi soir, Nicolas Sarkozy a donc nié avoir prononcé l’expression « vrai travail ». Cette dernière avait semé le trouble y compris dans son premier cercle. Un rétropédalage de choc a donc été effectué en direct live sur TF1 au plus grand étonnement de ses interlocuteurs François Bachy et Laurence Ferrari, qui auraient pourtant juré d’avoir entendu le candidat évoquer ce concept. Effectivement, lundi, Nicolas Sarkozy avait bien inauguré la formule, devant son siège de campagne :

Jusque là, on pourrait plaider un mot qui lui échappe et auquel il ne fait pas lui-même attention, ce qui pourrait se comprendre dans le stress d’une campagne électorale. Sauf que le même jour à Saint-Cyr-sur-Loire, il a prononcé un long discours. Le lecteur peut se rendre directement à la 57e minute et pourra écouter Nicolas Sarkozy expliquer en détail, pour ne pas dire théoriser le concept de vrai travail.

Nos confrères des chaînes d’info, malheureusement, ont davantage utilisé la première vidéo que la seconde, afin de pointer l’incohérence du président-sortant. Dommage… Eux qui ont l’air si heureux à chaque fois qu’ils peuvent coincer le président sortant, ils y seraient arrivés bien plus efficacement si au lieu de rediffuser les images pas si parlantes déjà vues partout, ils avaient « vraiment » travaillé…

L’énigme de l’euro fort dans une Europe faible

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Pour tenter de comprendre quelque chose à la force de l’euro sur le marché des changes, il nous faut abandonner ce qui nous reste de cartésianisme.

Cette anomalie saute aux yeux quand on rapproche deux chiffres : lors de son lancement, le 1er janvier 1999, la monnaie unique cotait 1,18 dollar dans un contexte économique des plus favorables qui voyait toutes les économies concernées enregistrer une croissance supérieure à 3 % assortie de la création de plus d’un million et demi d’emplois par an sur l’ensemble de la zone ; aujourd’hui, après deux années de crises violentes des dettes publiques, dans une conjoncture de marasme général qui entraîne une contraction incessante du nombre global des emplois, l’euro continue de caracoler au-dessus de 1,30 dollar.

La comparaison avec la situation britannique fournit une première piste. Le Royaume-Uni, qui reste frappé par la récession (moins 4 % en 2011 par rapport à 2008) et la destruction d’emplois (un gros million depuis le début de la crise), a vu sa monnaie se déprécier de plus de 20 % vis-à-vis de la moyenne de ses partenaires commerciaux. Tout se passe donc comme si le marché des changes entérinait le déclin anglais par une dépréciation monétaire mais se refusait à sanctionner la crise européenne par une dévaluation. Vérité au-delà de la Manche, erreur en deçà ?[access capability= »lire_inedits »]

Autant dire en effet que ce ne sont pas les perspectives favorables, pour les économies de la zone ou les budgets des États membres, qui expliquent la force de l’euro. En ce printemps 2012, nous savons que les trompettes de la reprise ont résonné trop tôt. Après le rebond de l’activité de 2009 et 2010, soit les économies ont rechuté, et pas seulement en Grèce, mais aussi en Espagne, en Italie, aux Pays-Bas et au Portugal, soit elles connaissent une croissance insignifiante, comme en France, ou faible, comme en Allemagne – seul pays qui ne détruise pas d’emplois. Et la réduction des déficits publics engagée en conjuguant réductions de dépenses et nouvelles taxations ne laisse pas augurer un retour à l’équilibre. Le marasme économique mine les efforts des gouvernements et rend inutiles les sacrifices des populations.

L’énigme s’obscurcit encore quand on projette son regard vers les États-Unis. La reprise économique, décevante dans un premier temps, s’y est affirmée au point qu’ils recréent des emplois, environ 200 000 par mois. De surcroît, l’économie américaine jouit d’une confiance, méritée ou non, peu importe, qui confère au Trésor la faculté d’émettre ses emprunts aux taux les plus bas de l’après-guerre, malgré un déficit des comptes publics qui surpasse la moyenne des déficits européens. Pourtant, le crédit accordé à l’emprunteur public américain ne s’accompagne pas, ainsi qu’on pourrait l’imaginer, d’un renforcement du dollar sur le marché des changes. Les États-Unis bénéficient d’une monnaie relativement faible comparativement à celle de trois de leurs partenaires majeurs : le Japon, la zone euro et le Canada.

Deux séries d’explications restent à la disposition du malheureux qui s’obstinerait à percer l’énigme de l’euro fort dans une Europe faible.

La première réside dans les politiques menées par les gouvernements, autrement dit à la volonté et à l’action forcenées des autorités publiques de la zone pour prolonger l’agonie de la monnaie unique. Les deux années écoulées depuis le surgissement de la crise grecque ont vu se multiplier, au rythme des sommets européens, les décisions tendant à empêcher une contagion mortelle de la défiance à partir des pays de la périphérie. Si on cumule les remises de dettes des banques, les prêts et garanties accordés par les autres gouvernements, la Commission européenne, la BCE et le FMI, les sommes dépensées pour éviter la faillite de la Grèce se montent à 350 milliards d’euros. Remarquant « qu’une telle solidarité financière est sans précédent dans l’histoire financière mondiale », Jean-Pierre Robin, chroniqueur du Figaro, porte un jugement qui laisse perplexe : « Le sauvetage de la Grèce est exorbitant, mais il en va de la survie de l’euro. » Raisonnement hautement performatif qu’il souligne du propos suivant : « La facture financière des Européens pourrait être aussi lourde que la guerre d’Irak pour les Américains. Le jeu en vaut la chandelle ». Le lecteur appréciera.

À cet effort inouï consenti pour maintenir dans l’euro un pays de 11 millions d’habitants, s’ajoutent deux innovations majeures qui font encore valser les chiffres devant les observateurs médusés.

Premièrement, un mécanisme de solidarité financière doté de quelque 500 milliards d’euros a été mis en place pour parer à de nouvelles difficultés de financement des États. Ce mécanisme prend en anglais le nom de « firewall » que chacun peut traduire. Mais qu’on ne croie pas que ce sont des réserves, par exemple les réserves de changes colossales de l’Allemagne, qui ont été déclarées disponibles pour éteindre les incendies à venir. Il repose sur une capacité d’emprunt présumée. Conception révélatrice de l’option choisie depuis mai 2010 pour traiter la crise des dettes publiques européennes : une fuite en avant ajoutant de la dette à la dette. Le dernier plan de sauvetage de la Grèce a pourtant démontré, conformément à tout ce qu’enseigne l’histoire financière, qu’il n’existe pas de remède à une dette excessive sans réduction préalable de la dette.

Deuxièmement, la BCE a, en deux adjudications historiques, fin décembre 2011 et fin février 2012, injecté plus de 1000 milliards d’euros de liquidités, sur une période de trois ans, au bénéfice de quelque 800 banques de la zone. Qu’il s’agisse des montants prêtés, de la durée de remboursement, du nombre des adjudicataires, ces opérations sont sans précédent. En privé, les destinataires de ces fonds en reconnaissent la signification ultime : la BCE et les banquiers se sont rendus complices d’une action de « cavalerie » qui permet de faire apparaître dans les comptes des banques des valeurs artificielles, leur permettant de faire face à leurs échéances des trois prochaines années. Le système bancaire de la zone euro a ainsi « acheté du temps ».

Le plus grave est que ces actions conjuguées, aussi aventureuses soient-elles, empêchent la chute de l’euro sur le marché des changes. Ceci est fort bien illustré par le fait que chaque décision engageant l’Europe sur la voie d’une solidarité financière forcée ou d’une création monétaire nouvelle est immédiatement suivie d’une hausse de sa monnaie. Mais, et c’est la deuxième explication, pour résoudre l’énigme, il faut faire intervenir un postulat discret qui n’est jamais formulé explicitement. En effet, l’action désespérée des autorités publiques européennes serait largement dénuée d’effet si l’euro ne reposait pas en dernier ressort sur la capacité économique de l’Allemagne. Grâce au test imposé par la crise, l’industrie germanique a montré toute sa force durant ces quatre dernières années. Le gage ultime de la monnaie se dissimule dans les centres de recherche et les usines qui maintiennent l’Allemagne à flot pendant que beaucoup de ses voisins s’enfoncent peu à peu.

Il faut encore attendre quelque temps pour connaître le verdict de l’Histoire sur le destin final d’une monnaie qui, après avoir tant promis, a exigé des sacrifices et provoqué le désenchantement afférent. Quand sera-t-il rendu ? Nous l’ignorons bien sûr. Il suffit de garder à l’esprit que deux facteurs seront décisifs dans la chute définitive de l’euro ou son improbable survie. Le premier tient à la récession qui mine les budgets et gonfle les stocks de chômeurs : la récession s’est installée, elle devrait s’accentuer encore, faisant apparaître les gouvernements qui répondent par l’austérité comme les lévriers qui poursuivent sans le rejoindre jamais le lapin mécanique. Le deuxième dépend de la force exportatrice de l’industrie allemande. Se maintiendra-t-elle alors que les pays émergents, après une période historique de croissance, connaissent un ralentissement qui pourrait se traduire par une réduction de leurs investissements ? Que mes bienveillants lecteurs m’autorisent un conseil : suivez les chiffres, fastidieux mais significatifs, des déficits et des dettes en Europe, et intéressez-vous aux carnets de commande de l’industrie allemande. Si les premiers se maintiennent ou s’accroissent, d’une part, ou si les seconds baissent, d’autre part, il n’y aura plus d’espoir pour l’euro.[/access]

Etudiants québécois en grève : Indignés mais pas seulement…

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Depuis février, la plus longue grève étudiante de l’histoire du Québec paralyse les universités de la province francophone du Canada. La raison principale de cette crise est la hausse des frais de scolarité. Le gouvernement québécois Charest a en effet instauré une augmentation de 75% s’étalant sur 5 années, les frais passant donc de 2 168 $CAN à 3 793 $CAN. Or, le mouvement étudiant s’inscrit dans un contexte local (opposition au gouvernement) et international (mouvement des Indignés) plus complexe qu’il n’y paraît. Pour mieux en cerner les enjeux, Rachel Binhas a interrogé Pascale Dufour, professeur agrégée au Département de science politique de l’Université de Montréal, par ailleurs spécialiste de l’action collective et de la représentation politique.

Pourquoi cette crise, longue et aiguë, arrive-t-elle maintenant ? S’agit-il de la fin de ce que certains qualifient de « contrat moral tacite » entre le gouvernement, l’administration et les étudiants qui prévalait jusqu’au siècle dernier ?

Je ne serais pas aussi catégorique sur la transformation du dialogue social. Mais il est certain que la communication entre le gouvernement et les associations étudiantes s’est très largement détériorée depuis l’arrivée au pouvoir du premier gouvernement libéral en 2003. Le premier grand conflit a eu lieu en 2005. Il s’était soldé par l’exclusion d’une des associations de la table des négociations. Aujourd’hui nous assistons au second gros conflit. Si l’on observe une rupture de communication, par le passé, il y avait déjà eu des périodes d’affrontements assez violents entre gouvernements et mouvements étudiants.

Ce conflit a donc un arrière-plan politique…

Oui. Il ne faut peut oublier que le mouvement étudiant a joué un rôle fondamental dans la construction du Québec moderne parce qu’il était très proche du mouvement souverainiste et donc du parti québécois. A cette époque, bien entendu la communication se faisait plus facilement !
Aujourd’hui, le gouvernement libéral en place n’a aucun intérêt électoral à négocier avec les étudiants : les jeunes ne votent pas en général et ceux qui se déplacent pour aller aux urnes ne votent majoritairement pas pour lui .

Et du côté des étudiants, comme le mouvement a-t-il évolué ces dernières années ?
Il faut préciser que le mouvement étudiant a subi de très larges transformations au Québec depuis le milieu des années 1990 avec la multiplication des fédérations étudiantes. Aujourd’hui, le mouvement est divisé, mais pas nécessairement affaibli. Il est néanmoins plus difficile de discuter en face de quatre interlocuteurs au lieu de deux. De plus, le rapport de force entre ces institutions s’est modifié. Par exemple la Classe[1. La Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante se définit comme une organisation temporaire de type syndical luttant contre la hausse des frais de scolarité et cherchant à coordonner une grève générale illimitée.] qui était très minoritaire il y a 10 ans, représente aujourd‘hui près de la moitié des étudiants. Les dynamiques ont donc changé.

Peut-on établir un lien entre le contexte international de crise, les vagues d’indignation successives et ce mouvement étudiant ?

C’est une question difficile. A un certain niveau de généralité, il y a bien un lien. Les militants étudiants eux-mêmes vont faire ce lien, on peut les entendre dire parfois « nous faisons partie des Indignés de ce monde » ou « nous sommes solidaires de nos collègues étudiants du Chili » puisqu’il y a eu des mouvements étudiants dans ce pays, en Inde également. Je pense effectivement qu’une connivence transnationale existe entre les mouvements étudiants.
Une construction de lien se fait aussi avec les Indignés de l’automne de Montréal. Avec le temps, les étudiants redéfinissent leur discours en tenant compte de ces luttes-là. Ils mettent en avant les points communs entre la commercialisation de l’éducation et la commercialisation du monde. Cette généréalisation leur permet d’expliquer que la commercialisation de l’éducation est la conséquence du « néolibéralisme » mondial. Ils soulignent alors l’opposition entre le droit individuel du consommateur et le droit collectif.
Ceci dit, si vous interrogez un manifestant dans la rue qui se positionne contre la hausse des frais de scolarité, il n’est pas certain qu’il fasse immédiatement le rapport avec les Indignés ! On note enfin l’envie de se sentir appartenir à un mouvement de révolte global, de sortir de sa lutte sectorielle.

Cette contestation étudiante serait donc l’expression d’un mouvement de gauche antilibéral ?

Pas pour tous ! Pour une partie il est de gauche, comme la Classe par exemple, très clairement positionnée à gauche de l’échiquier politique. Ses militants exigent la gratuité scolaire depuis le début des années 2000 .
Mais ils ne représentent pas l’ensemble des étudiants. Certains prônent le gel des frais de scolarité, d’autres demandent un moratoire sur la question des droits de scolarité… Des associations étudiantes qui ne sont pas particulièrement à gauche proposent aussi l’indexation des frais de scolarité sur le niveau de revenu. Notons en même temps que les étudiants favorables à cette hausse ont tenté de s’organiser collectivement mais sans succès. Pour le moment, aucune association étudiante ne les représente. Leur discours anticontestataire est donc porté à titre individuel.

Dans quelle mesure peut-on comparer le conflit québécois aux mouvements étudiants français ?

Une comparaison est toujours possible mais les enjeux sont différents. Les dernières grandes mobilisations étudiantes en France concernaient surtout la question de l’emploi. Au Québec, l’enjeu est celui de l’accessibilité aux études puisque toutes les études en Occident montrent qu’une hausse des frais de scolarité diminue mécaniquement cette accessibilité, même si des systèmes de prêts et de bourses sont mis en place.

Pauvres footballeurs !

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« Non les footballeurs ne sont pas trop payés » : c’est par cette proclamation, publiée dans Le Figaro du 22 mars, que Frédéric Thiriez a réagi à la proposition de François Hollande de créer une tranche d’impôt à 75 % pour les revenus annuels supérieurs à 1 million d’euros ; le président de la Ligue professionnelle de football se désolait aussi du fait que Nicolas Sarkozy se désintéressait de la cause des footballeurs, préférant se soucier du sort des entrepreneurs[1. Le président de la République avait jugé « choquants » les revenus des footballeurs professionnels, en janvier 2010 au cours de l’émission « Paroles de Français ».].

Thiriez a pris sa plume de Calimero : c’est trop inzuste de s’en prendre à ses pauvres footballeurs moins bien payés que les golfeurs et basketteurs américains ou que les pilotes automobiles allemands – justifier un culot monstre par un toupet d’acier, la ficelle est un peu grosse. Il rappelle donc que les footballeurs français affrontent en Coupe d’Europe des Anglais, Espagnols et Allemands encore mieux payés qu’eux­. Ce qui est parfaitement exact, mais Thiriez veut-il dire que plus on gagne d’argent mieux on joue ?[access capability= »lire_inedits »] Cela doit être ce qu’on appelle les « valeurs du sport ». Du reste, nos pauvres footballeurs injustement traités d’enfants gâtés jouent aussi contre d’encore plus à plaindre qu’eux. Des Chypriotes, par exemple. L’APOEL Nicosie, qui a éliminé l’Olympique lyonnais de la Ligue des champions, est doté d’un budget annuel de 10 millions d’euros, équivalent à celui d’une équipe de Ligue 2 française – et somme qui représente à peine le double du revenu annuel du seul Yoann Gourcuff, remplaçant à Lyon. Alors que Thiriez nous pardonne de ne pas sortir les mouchoirs quand, évoquant la « tragi-comédie de Knysna », il brandit le « deux poids-deux mesures ». Rappelons que, durant la Coupe du monde de football, des milliardaires en short refusèrent de s’entraîner devant les caméras du monde entier. Et pourtant, il ose : « Mais y a-t-il une éthique à géométrie variable entre le football, où la moindre faute suscite un tsunami médiatique, et les autres secteurs de la société où l’erreur est tolérée voire masquée ? » D’une part, il nous a échappé que les footballeurs étaient les seules victimes de tsunamis médiatiques. D’autre part, les protégés de Frédéric Thiriez tirent toute leur légitimité de leur hyper-médiatisation et il ne faudrait les montrer que quand ils marquent – ce qui a été fort rare en Afrique du Sud ?

Pour conclure en beauté, Thiriez traite ses contradicteurs de quasi-racistes. Si on en veut à l’argent des footeux, c’est par jalousie. On ne supporte pas que le sport de haut niveau, dernier refuge de l’ascenseur social, catapulte au sommet des jeunes des quartiers, souvent « blacks » et « beurs[2. Les guillemets sont de Thiriez et non de votre serviteur.] ». Les pauvres sont de très bons contribuables ne demandant pas le moindre régime dérogatoire – on l’a vu quand le milieu du football s’est bruyamment lamenté après l’annonce de la suppression du DIC (droit à l’image collective[3. Le droit à l’image collective (DIC) permettait aux clubs de reverser à certains joueurs une partie des retombées financières des ventes de maillots, droits télé, sponsoring, dans des conditions fiscales très avantageuses. Ce régime a été supprimé par l’Assemblée nationale en 2010.]) par Roselyne Bachelot, conformément aux préconisations de la Cour des comptes qui avait dénoncé l’inefficacité de cette coûteuse niche fiscale. Enfin, si on cessait de raconter aux enfants des quartiers populaires que le foot et le basket sont les seules voies de la réussite qui leur sont ouvertes, on ne s’en porterait pas plus mal.

Il y a vingt ans, nos footballeurs gagnaient moins et jouaient mieux. L’Union européenne n’avait pas encore dérégulé le sport professionnel en interdisant toute limitation du nombre de joueurs étrangers par club. La possibilité offerte aux joueurs d’aller jouer partout sans aucune restriction a généré une concurrence effrénée qui s’est traduite par l’explosion des salaires et des montants des transferts – mais aussi par les déficits croissants des clubs : 130 millions d’euros de déficit cumulé pour le football français, beaucoup plus en Espagne et en Angleterre où les clubs s’endettent pour verser des sommes pharaoniques à des joueurs. Jean-Luc Gréau, qui a expliqué dans ces colonnes que les banques et les groupes du BTP espagnols étaient intimement liés aux clubs de foot, annonçait une rapide explosion de la bulle footballistique.

Thiriez croit s’en tirer avec des âneries du genre : « Ce ne sont pas les footballeurs qui ne sont pas assez payés, ce sont les Français qui ne le sont pas assez. » Il ferait mieux d’anticiper la crise qui frappera inéluctablement le football professionnel à brève échéance. Au lieu de flatter l’instinct mercenaire des joueurs, il devrait leur tenir un langage de vérité et les préparer à des temps moins généreux en matière sonnante et trébuchante. Et plutôt qu’encourager les clubs à s’endetter, il devrait réclamer le retour à la régulation qui prévalait avant les funestes décisions européennes. L’amoureux du foot que je suis retrouvera peut-être des raisons d’admirer les joueurs quand il ne les soupçonnera plus de rêver à un autre club – et à un autre salaire ­– alors qu’ils viennent tout juste d’intégrer son équipe favorite.[/access]

La Quinzaine du Blanc

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La première à réagir – et à lancer le mouvement – aura été Ségolène Royal : dès l’après-midi du 22 avril, avant même les estimations de 20h, elle exhortait la gauche à “mieux écouter” les électeurs du Front National, ces braves beaufs électoralement un peu désorientés.

Une fois les résultats proclamés et le score de Marine Le Pen acté, tous s’y sont mis : Peillon, Fillon, Valls, Hollande, Dati et, naturellement, Sarkozy. Avec près de 18% des voix, le gisement lepéniste ne pouvait plus être ignoré par aucun des deux camps : les uns ont dit comprendre la “colère” de ces électeurs franchouillards, les autres leur “souffrance”, et tout en s’insultant ce faisant – petainiste ! laxiste ! – chacun espère les rallier à son candidat le 6 mai. Avec ou sans pince à linge sur le nez, il faudra bien les récupérer, ces bulletins “de souche” …

Quand on y pense, c’est assez amusant : en 2002, la qualification de Jean-Marie Le Pen pour le second tour avait suscité une indignation (presque) unanime – ce furent alors les grandes parades et autres “shame pride” de ce que Philippe Muray baptisa la Quinzaine anti-Le Pen. Autres temps, autres mœurs : en 2012, il semble bien que nous aurons droit a la Quinzaine du Blanc…

Six millions et demi d’ennemis ?

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Chaque semaine jusqu’à l’élection présidentielle, la « battle » sur Yahoo ! Actualités confronte les éditos de Rue89 et Causeur sur un même thème. Cette semaine, Elisabeth Lévy et Pascal Riché s’interrogent sur l’ancrage républicain du FN.

« Marine Le Pen est compatible avec la République ». Que cette phrase prononcée par Nicolas Sarkozy ait été affichée en « une » de Libération sans le moindre commentaire, comme si elle devait à elle seule provoquer effroi et dégoût[1. Notons au passage que Libé, pour accentuer l’effet recherché, a préféré taire le prénom du Le Pen dont il est question, en l’occurrence la fille.], puis qu’elle ait donné lieu à un festival de démentis, de postures et d’invectives, montre qu’il est temps que cette campagne s’achève: tous ces gens doivent être très fatigués pour qu’une telle banalité leur échauffe à ce point les sangs. Car enfin, si Marine Le Pen est incompatible avec la République, après son score de dimanche, une conclusion s’impose: la République est morte ou, à tout le moins, gravement menacée. Or, aussi criants soient ses échecs et insuffisances, nul ne s’est risqué à prononcer l’avis de décès. À l’instar du Président, on peut aussi se demander pourquoi la République tolèrerait en son sein un parti anti-républicain — qui aurait, de surcroît, été mis en selle par le seul chef de l’État dont le Parti socialiste ait jusque-là fait don à la France. En tout cas, si ses statuts comportaient la moindre ambigüité sur la question, il se serait assurément trouvé quelques associations pour saisir la justice.

Convenons cependant que cette démonstration par l’absurde n’est pas entièrement satisfaisante. Que le FN soit compatible avec la République ne signifie pas qu’il soit républicain. Certes, il n’est jamais sorti de la légalité républicaine — par exemple en tentant de remettre en cause dans la rue le résultat des urnes. Mais si la droite que l’on qualifiera de classique a accepté de participer à la mise en place d’un « cordon sanitaire » qui lui a valu pas mal de défaites électorales, ce n’est pas seulement, comme le soutient l’excellent Frédéric Rouvillois, parce qu’elle a lâchement cédé au chantage moral de la gauche, mais parce que les sorties de Le Pen père, sans parler de ses fréquentations déplorables et des traditions historiques dans lesquelles il s’inscrit, invitaient pour le moins à douter de son attachement aux valeurs de la République. De ce point de vue, le discours prononcé au congrès de Tours, en janvier 2011, par Bruno Gollnisch, fut sans équivoque. Il enflamma la salle (qui lui était largement acquise) en évoquant « nos morts du 6 février 1934 » et fit un tabac avec toutes les vieilles lunes de l’antiparlementarisme — il n’y manquait que la dénonciation de « la Gueuse ».

On comprend que la gauche se soit entichée d’un si précieux ennemi, du moins tant qu’il ne chassait pas trop sur ses propres terres électorales. Placer au centre du jeu un parti décrété hors-jeu revenait tout simplement à priver la droite de 10 à 15 % de ses électeurs dont les suffrages étaient en quelque sorte désactivés. Le tout en se payant le luxe d’apparaître comme le camp des valeurs contre celui du cynisme. Nul n’aurait eu le mauvais goût d’interroger le PS sur sa propre alliance avec un PCF dirigé par Georges Marchais qui resta jusqu’au bout l’homme de l’alignement sur l’URSS — qui aurait osé comparer le glorieux Parti des Fusillés à la nauséabonde extrême droite ? Le 21 avril 2002 et la défection de classes populaires peu sensibles aux oukases des sermonneurs révélèrent les limites de la manœuvre : eh les gars, ce n’est pas à nous que vous deviez piquer des électeurs !
Seulement, quoi qu’en disent les plus indécrottables des antifascistes de bazar, la victoire de Marine Le Pen change la donne. Certes, elle n’a pas changé son parti d’un coup de baguette magique. Mais en politique les discours engagent. Celui qu’elle prononça à Tours quelques heures après son rival défait était émaillé de références parfaitement républicaines, de Jaurès à la Résistance en passant par Valmy — où elle avait traîné son père il y a quelques années. On me dira qu’elle n’en pense pas moins : peut-être, mais à trop sonder les reins et les cœurs, on risque de faire des découvertes peu ragoûtantes. Et pas seulement dans les organes lepénisés.

Bien sûr, on ne se contentera pas de cette proclamation. Il faut donc examiner son programme, en tout cas ses points les plus contestés. Elle veut réduire, voire interrompre l’immigration, légale et illégale : on peut lui reprocher, au choix, son manque de générosité ou son irréalisme, mais est-il bien républicain d’ignorer que nombre de Français, y compris ceux qui ne votent pas pour elle, adhèrent à cette proposition, tout simplement parce que, dans la vraie vie, l’immigration n’est pas toujours une chance pour la France, en particulier pour les populations arrivées récemment dont l’intégration n’est pas précisément une réussite ? La préférence nationale qu’elle propose me semble personnellement de très mauvais aloi, mais il faut être crétin ou de mauvaise foi pour dire qu’elle établit une distinction entre Français. Tous les pays accordent certains droits à leurs seuls ressortissants, par exemple, celui de se présenter à la présidence de la République. Le principe n’est donc pas scandaleux en soi — rappelons qu’il donne la priorité à un Français d’origine étrangère récente sur un Américain.

On me parlera de son discours de haine, sans jamais dire à quels termes se rapporte cette qualification. J’ai détesté sa phrase sur les « Mohamed Merah déferlant sur nos côtes ». Reste que des phrases détestables, on en a entendu quelques-uns au cours de cette campagne. Alors oui, on peut désapprouver la façon dont Marine Le Pen pose la question de l’islam et de son acculturation en France. On me permettra de désapprouver tout autant le silence vertueux que tant d’autres préfèrent observer sur ce sujet. La laïcité mérite peut-être d’être défendue en termes plus choisis qu’elle ne le fait, mais la gauche qui ne la défend pas du tout est mal placée pour donner des leçons sur ce terrain.

Il serait temps de comprendre que les millions de Français qui votent pour le FN ne veulent pas moins mais plus de République. Ils ont tort ? Admettons. Mais était-ce républicain de construire une Europe dans laquelle les décisions échappent largement aux élus du peuple ? Était-ce républicain d’inventer, au nom d’une conception mécanique de l’égalité, le collège unique dont la grande œuvre aura été de tirer les bons élèves vers le bas plutôt que les mauvais vers le haut ? Était-ce républicain de tergiverser pendant vingt ans avant d’interdire les signes religieux à l’école ? Était-ce républicain d’encourager l’idéologie de la repentance qui légitime la détestation de la France ? Était-ce républicain de prôner l’ouverture à tous les vents de la mondialisation, qu’elle fût économique ou culturelle ? Était-ce républicain de décréter que dans les écoles de Strasbourg on servirait « de la viande halal par respect pour la diversité, mais pas de poisson le vendredi par respect pour la laïcité » — impayable logique du maire socialiste de la ville ? Était-ce républicain de minimiser l’antisémitisme et le sexisme qui sévissaient et sévissent encore dans les « territoires perdus de la République » au motif que ceux qui les propageaient étaient victimes de l’exclusion sociale ? Était-ce républicain de traiter de salauds, de cons ou de fachos les électeurs qui, lassés d’être les cocus de la mondialisation, se sont tournés vers le FN ? Ou étaient-ils, durant toutes ces années, tous ces Républicains sourcilleux qui affichent aujourd’hui leurs âmes pures et leurs mains blanches ? Peut-être serait-il naïf ou imprudent de décerner à Marine Le Pen un brevet de vertu républicaine. En attendant, si la République semble aujourd’hui si mal en point, elle n’en est pas, loin s’en faut, la première responsable.

CRIF : les imprécations de Claude Askolovitch

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Claude Askolovitch est un journaliste en vue dans le microcosme. Grand reporter au Point après avoir éditorialisé au Journal du dimanche et fait ses classes au Nouvel Obs, il ne manque pas d’espace pour s’exprimer, d’autant plus qu’il est fréquemment invité dans divers talk-shows à la radio ou à la télé. Cette notoriété, qu’il doit à son talent et son entregent, devrait l’inciter à mesurer ses propos, et à ne manier l’insulte qu’avec d’infinies précautions et surtout lorsqu’il y a vraiment matière à s’indigner.

La charge au bazooka contre le président du CRIF Richard Prasquier publiée par Marianne2.fr se veut inspirée par la bonne conscience d’un antifascisme de bon aloi, mais s’exprime dans une forme que n’aurait pas reniée les polémistes antisémites du Gringoire des années 30. Le titre d’abord : « La morale du Crif s’arrête aux portes du ghetto ». On peut tout à fait, en tant que juif, être en désaccord avec les prises de positions du CRIF, ne pas se sentir représenté par lui et le clamer haut et fort. Nombreux sont ceux qui font un usage immodéré cette possibilité, et trouvent sans difficulté des médias complaisants pour les relayer, en dépit de leur statut ultra-minoritaire parmi les juifs de France. Mais ramener au « ghetto » et à toutes les images dévalorisantes attachées à ce concept l’organisation de représentation politique du judaïsme français, pluraliste et diverse dans toutes ses instances, est une insulte à la raison et au bon sens. Qu’aurait pensé Askolovitch de quelqu’un qui aurait écrit que « la morale de l’UOIF s’arrête aux portes de la casbah » ?

Le ghetto obsède tellement notre imprécateur qu’il y revient en conclusion pour affirmer qu’il abrite aujourd’hui des « salauds », dont Richard Prasquier serait le chef de file. Rien de moins. Cette fureur est d’autant moins admissible que, de l’aveu même d’Askolovitch, elle ne dénonce pas le président du CRIF sur ce qu’il dit, mais sur ce qu’il ne dit pas. L’imprécateur aurait souhaité que Richard Prasquier sonne, pour le public israélien, le tocsin antifasciste et partage son diagnostic sur une « France malade » accordant 18% des voix à Marine Le Pen. Ne pas obéir à l’injonction d’Askolovitch fait de vous ipso facto un complice du FN, donc un salaud, sartrien peut-être, c’est plus chic, mais cela revient au même.

L’objet de la tribune sollicitée par le quotidien de gauche israélien Haaretz se limitait à demander au président du CRIF les conséquences de la victoire au second tour de l’un ou de l’autre candidat sur les relations du pouvoir avec le judaïsme français et sur la politique de la France vis-à-vis du conflit du Proche orient. On pourra vérifier, en lisant cet article qu’il n’est en rien un brevet d’honorabilité accordé à Marine Le Pen.

Claude Askolovitch, présenté par Marianne2.fr comme un « bon connaisseur des institutions juives » ne peut donc ignorer que, depuis son accession à la tête du CRIF, Prasquier a fermement maintenu l’ostracisme que cette institution fait peser sur le FN, alors que quelques voix, dans les instances dirigeantes de la communauté, s’étaient élevées pour y mettre fin à la suite de la reconnaissance, par Marine Le Pen, de la Shoah comme « le summum de la barbarie ». Il n’a pu également lui échapper qu’au lendemain du drame de Toulouse, c’est lui qui, sur le perron de L’Elysée en compagnie du Grand Rabbin Gilles Bernheim et du recteur de la mosquée de Paris Dalil Boubakeur, lançait un appel exhortant les Français de toutes confessions à ne pas faire d’amalgame entre Mohamed Merah et l’ensemble des musulmans de France. Et c’est cet homme que l’on voudrait clouer au pilori comme fourrier du discours lepéniste dans la communauté juive ! Askolovitch se pare au détriment d’un homme d’honneur, et au mépris de la vérité, d’une vertu antifasciste de pacotille aussi intempestive que dérisoire.

Après le Sarkozy-Pétain du PC, voilà le Sarkozy-Breivik du PS

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Vous avez aimé la Une de l’Huma assimilant Nicolas Sarkozy à l’ex-maréchal Pétain ? Alors vous allez adorer ce tweet publié hier soir par Paul Meyer, élu socialiste de Strasbourg et ancien secrétaire national du MJS :  » Combien de Anders Breivik dans les voitures, les bus, les cars, les trains qui arrivent aux meeting de Sarkozy ? »

On s’en doute, ce trait d’humour délicat n’a pas fait l’unanimité, même chez les initiés qui passent leur vie sur Twitter, en pensant que le victoire à la présidentielle se jouera sur des banalités en 140 signes, a tel point que l’auteur a du retirer prestement son tweet du circuit.

Pour sa défense, le camarade Meyer a bien sûr expliqué qu’il faisait là référence à la fameuse petite phrase nantaise de Marine Le Pen : lors de son discours du 25 mars, juste après la mort du tueur de Toulouse et Montauban, elle avait déclaré : « Combien de Mohamed Merah dans les bateaux, les avions, qui chaque jour arrivent en France remplis d’immigrés? »

La formule lepeniste, si vous voulez mon avis , était consternante, ne serait-ce parce qu’elle conforte tous ceux qui veulent criminaliser toute régulation de l’immigration.

N’empêche, il s’est trouvé un responsable socialiste pour penser qu’on pouvait, à froid, un mois après Marine, faire encore pire qu’elle, sûr qu’on est d’appartenir au Parti du Bien.

J’attends avec impatience la Une indignée de Libé demain matin…

L’islam belge peine à exister

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Photo : L’Organisation de la jeunesse islamique de Belgique et la Commission européenne des affaires islamiques vous présentent les conférences du cheikh Mahmoud al-Masri à Bruxelles

L’épineuse question des relations entre l’Etat et la religion a été réglée en Belgique par un arrangement plus proche de celui de nos voisins allemands que du nôtre. Au lieu d’une rupture claire et nette reléguant les cultes dans la sphère privée, l’Etat les prend en charge au nom de l’intérêt général. Selon la loi sur « le temporel du culte » votée en 1870, l’Etat belge paie les salaires des clercs, assure l’entretien des lieux de culte – d’ailleurs exonérés d’impôts-, finance les écoles du réseau d’enseignement libre confessionnel ainsi que l’enseignement des différentes confessions officiellement reconnues. Ce régime concerne aujourd’hui le catholicisme, le protestantisme, l’anglicanisme, le judaïsme, le christianisme orthodoxe, l’islam, le bouddhisme et même la laïcité, qui a le statut de mouvement philosophique.

Chaque religion reconnue dispose d’un organe représentatif, interlocuteur officiel de l’Etat, chargé de gérer l’argent public alloué au fonctionnement de la communauté. Depuis sa reconnaissance en 1974, l’islam – deuxième religion de Belgique par le nombre de ses croyants – bénéficie d’un financement public au même titre que les autres cultes, mais peine pourtant à se fondre dans le moule institutionnel de la loi de 1870.

A sa création il y a presque quarante ans, l’organe communautaire musulman officiel fut d’abord confié au Centre islamique et culturel de Belgique, la Grande Mosquée du Cinquantenaire, institution financée et dirigée par l’Arabie Saoudite. Cette décision politique peut sembler maladroite, sachant que les musulmans de Belgique, disséminés dans 295 mosquées, sont majoritairement d’origine marocaine et turque. Effectivement, ces derniers ont mal vécu la tutelle saoudienne sur leur organe représentatif, véhiculant par ailleurs une interprétation wahhabite plutôt radicale de l’islam. De surcroît, en confiant l’organisation institutionnelle des Musulmans à un pays tiers, la Belgique a fait entrer en son sein un véritable cheval de Troie. Avec l’émergence, depuis une vingtaine d’années, de l’islamisme politique sur la scène internationale, phénomène nourri essentiellement par le wahhabisme saoudien, l’Etat belge a pris conscience de son singulier manque de prévoyance. Pour résoudre le problème, le gouvernement belge a décidé en 1996 de créer une nouvelle institution, « l’Exécutif des Musulmans de Belgique » (EMB), avec l’idée de confier des responsabilités aux Musulmans nés et éduqués en Belgique. Quelques décennies après l’arrivée de vagues migratoires massives, il était tout à fait raisonnable de construire une communauté musulmane enracinée en Belgique afin d’imposer un nouveau rapport de forces au sein des institutions religieuses. Il aurait ainsi été judicieux de briser la gangue des « pays d’origine » pour que les fils et petits-fils d’immigrés s’émancipent de leurs racines familiales. Ce n’est pourtant pas ce qui s’est passé.

Quoique rappelant le « Conseil français du culte musulman », l’EMB dispose de compétences plus larges que son homologue français. On imagine aisément l’étendue du pouvoir des responsables de la reconnaissance des mosquées, de la création et la gestion des parcelles islamiques dans les cimetières ainsi que des budgets – et surtout des postes – liés à la nomination des imams, à l’inspection des enseignants de religion islamique, à l’aumônerie dans les prisons et hôpitaux, sans parler de la mine d’or de la gestion de l’abattage rituel. Le contrôle de tels leviers ont été l’enjeu d’âpres luttes qui ont déchiré la nouvelle instance. A ces problèmes d’ordre temporel, s’ajoutent d’autres difficultés comme le débat sur le port du voile islamique dans les écoles. Paralysées par des luttes intestines, les institutions musulmanes n’ont pas été en mesure de relever ces défis et de plus en plus de croyants, notamment les plus jeunes, se sont tournés vers d’autres sources d’inspiration.

En Flandre par exemple, le manque de maîtrise du flamand par les imams a incité de plus en plus de jeunes coupés de la langue de leurs ancêtres à se tourner vers Internet et les programmes TV islamiques, lesquels constituent de réels vecteurs de radicalisation. Et pour compléter le tableau, les ingérences permanentes du Maroc et de la Turquie par le biais de leurs ambassades respectives n’ont fait qu’empêcher la stabilisation de l’Exécutif communautaire. La situation s’est tellement dégradée au sein de l’EMB qu’en 2005, Laurette Onkelinx, ministre socialiste de la Justice, a dû organiser de nouvelles élections communautaires. Celles-ci ont été remportées par Coskun Beyazgül, un fonctionnaire du ministère turc des affaires religieuses. Au lieu d’accepter le résultat du scrutin, les responsables sortants, d’origine marocaine, ont savamment organisé le boycott de l’institution. Désormais, la communauté musulmane belge se scindait en deux parties adverses : « Marocains » contre « Turcs »[1. Communautés qui représentent à elles deux près de 85 % des 400 000 Musulmans belges]. Pour ne rien arranger, le quotidien de l’Exécutif Coskun a été émaillé de scandales : perquisitions, inculpations pour mauvaise gestion, démissions en bloc qui ont délégitimé et discrédité l’institution. Confronté à une gestion aussi calamiteuse, le gouvernement belge a décidé en 2008 de réduire au strict minimum sa coopération avec le nouvel Exécutif jusqu’à ce qu’un nouveau président, également d’origine turque[2. Notons que le nouveau président Ugurlu Semsettin, est un opposant actif à la reconnaissance du génocide arménien, sans doute très lié à Ankara.], ne présente un projet cohérent permettant aux autorités de lui confier provisoirement la responsabilité des affaires courantes, en attendant l’élection d’un nouvel exécutif.
Dans ces conditions, rien de surprenant à ce qu’un rapport de la sûreté dénonce la prise de contrôle de l’Exécutif musulman par des
individus au service d’Etats étrangers et pointe l’émergence d’un certain radicalisme islamique.

Et si le seul remède à cet « islam des ambassades » était justement un islam « à la belge » ? Selon différentes sources, les équilibres traditionnels de la communauté musulmane belge se trouveraient bouleversés par le nombre de belges convertis à l’islam (entre 15 000 et 40 000, soit presque 10% des Musulmans du pays). Certains, au sein de l’Exécutif musulman, ont tenté de promouvoir un islam couleur local, libre de toute influence extérieure, incluant également une forte présence féminine. Dès 2010, la vice-présidente de l’Exécutif, Isabelle Soumaya-Praile, ainsi que Zehra Gunaydin et Mohamed Fatha-Allah créent ainsi un nouveau courant réformiste : l’« Alternative démocratique des musulmans de Belgique » (ADMB). Ce nouveau courant n’a pas hésité à mettre le doigt sur des problèmes sensibles. Ainsi, dans un communiqué de presse diffusé le 15 janvier dernier, l’ADMB constate sans tourner autour du pot que « Les instances musulmanes belges sont définitivement sous le contrôle des Etats étrangers (…). L’Exécutif des Musulmans de Belgique » (EMB) n’est désormais plus dirigé que par des individus qui feront primer les intérêts de leur Etat d’origine sur ceux des musulmans de Belgique ». Aux dires même de cette association islamique, il y aurait donc des états (musulmans) dans l’Etat (belge).

Expiré le 31 décembre 2011, le mandat de l’Exécutif musulman n’a pu être renouvelé, faute d’accord entre les courants musulmans représentés. Ainsi, pour ceux qui espéraient voir l’« Alternative démocratique des musulmans de Belgique » jouer un rôle plus important, la déception a été grande, car l’assemblée générale, avec seulement 11 membres présents en séance sur 44, a inopinément éjecté les trois trublions rénovateurs ! Isabelle Soumaya-Praile et ses camarades peuvent donc s’égosiller à promouvoir « un islam de transparence, citoyen, démocratique et surtout débarrassé de toute ingérence étatique », cela n’empêche pas les institutions musulmanes belges de se retrouver dans l’impasse. Cette situation devient de plus en plus intenable face à la forte poussée démographique de la communauté musulmane belge, notamment à Bruxelles, et à la montée de revendications communautaires de plus en plus radicales.

Pour le moment, on constate un triste paradoxe : les dirigeants de l’Exécutif s’acharnent à prôner un islam de tradition alors que dans leurs pays d’origine, certains risquent leur vie pour défendre une lecture du Coran plus moderne. L’Exécutif « turco-marocain » a par exemple refusé la nomination d’une femme « imame », dans la ville de Verviers (sud de la Belgique) alors que les instances locales y étaient favorables. Au lieu de servir de laboratoire pour un islam européen adapté à la laïcité et aux cadres de la démocratie libérale, les institutions musulmanes belges sembles engagées sur une voie rétrograde fort populaire parmi des populations mal intégrées, peu instruites et en quête d’identité.

Au-delà des différences de situation, l’institutionnalisation des musulmans belges et français pose des difficultés semblables : on observe les mêmes tendances à la parcellisation, au service d’intérêts claniques, des pays d’origine et de certains courants religieux. Des difficultés similaires à celles qu’éprouvent certaines sociétés maghrébines et moyen-orientales pour construire une nation. Ici comme là-bas on attend toujours un printemps, un vrai.

Monsieur le Président

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Monsieur le Président,

Vous ne me connaissez pas mais moi, je vous connais très bien. J’étais là lorsque vous fîtes vos débuts en politique – il y a 38 ans déjà ! – et j’ai suivi pas à pas votre longue carrière sous les ors de la République. J’ai été témoin de votre ascension au sein du parti qui a fait de vous son candidat. J’ai écouté vos discours publics comme vos conversations privées. J’ai observé chacun de vos actes, patiemment, sans rien dire. Mais maintenant que votre élection et la date de notre première rencontre approche, je crois utile de vous écrire quelques mots.

On a décrit cette campagne présidentielle comme l’affrontement de Hobbes et de Rousseau. Vous et moi savons pertinemment qu’il n’en est rien ; vous et moi savons que nous assistons au duel de Machiavel contre Machiavel. Comme votre adversaire, votre carrière toute entière, vos prises de positions et chacun de vos actes n’ont été guidées que par un seul et unique impératif : accéder au pouvoir et vous y maintenir. Au-delà des postures et des faux-semblants, c’est l’exercice du pouvoir qui vous a toujours motivé et qui reste, encore aujourd’hui, votre seul véritable moteur. Pour y parvenir, vous vous êtes compromis mille fois, vous avez renié vos idées, trahi vos amis et êtes même allé jusqu’à accepter de faire de votre vie privée un mensonge – comme lors de cette séparation d’avec votre épouse d’alors, intervenue comme par hasard au lendemain des élections présidentielles de 2007.

J’étais là, lorsque sous prétexte d’améliorer la vie de vos concitoyens, vous avez ruiné les comptes publics de la collectivité dont vous aviez la charge. Vous et moi savons précisément pourquoi vous l’avez fait. Il n’y avait là ni urgence, ni « justice sociale », ni théorie économique mais seulement du clientélisme politique. D’une main, vous avez distribué des subsides publics pour mieux acheter le soutien de vos électeurs tandis que de l’autre, vous preniez soin de les taxer le plus discrètement possible tout en épargnant vos amis, vos bailleurs de fonds et – bien sûr – vous-même. Vous vous êtes toujours montré si généreux avec l’argent des autres ! Le résultat, vous le saviez comme moi, ne pouvait être qu’un endettement intenable et toutes les conséquences économiques et politiques que cela implique. Mais après tout, pensiez-vous en votre for intérieur, « après moi, le déluge. »
C’est lorsque les conséquences de votre incurie son devenue trop visibles et que l’état des finances est devenu un sujet d’inquiétude que vous m’avez ignorée une première fois. Jusque là, vous aviez toujours vécu dans le monde rassurant et confortable qui vous avait été décrit lors de votre bref passage à Sciences Po. Un monde déterminé et bien rangé où le droit positif, la parole politique et l’appareil des partis se suffisent à eux-mêmes. Un monde où un homme tel que vous, qui n’a jamais mis les pieds dans une entreprise autrement qu’accompagné d’une nuée de journaliste, peut se permettre de donner des leçons de bonne gestion et se faire passer pour un investisseur visionnaire. Mais cette fois-ci, je me suis manifesté.

Vous avez accusé les banquiers, les traders, les paradis fiscaux, les marchés financiers – qui d’autre encore ? – des conséquences de votre gestion calamiteuse. Mais vous le savez très bien, tous n’étaient que des boucs émissaires qui, comme tout bon bouc émissaire, présentaient le triple avantage de n’avoir aucun poids électoral, de ne pas avoir de visage et de ne pas susciter la sympathie de ceux à qui on les jette en pâture. Vous m’avez appelé « mondialisation ultralibérale » et « capitalisme financier » ; vous m’avez accusé d’attaquer la France, de vouloir nuire à son peuple, de vouloir détruire ce fameux modèle social que vous défendez avec acharnement alors que vous le savez condamné. Vous avez poussé le vice jusqu’à prétendre me « moraliser » alors même que la corruption de vos amis politiques s’étalait sur la place publique. À mal me nommer, en ne sachant pas me reconnaître, vous m’avez ignorée.

Vous avez préféré continuer à mentir et à faire semblant. Comme votre adversaire, vous avez donné dans la surenchère démagogique et avez tenté de séduire les électeurs les plus radicaux de votre famille politique ; ceux qui ont cédé aux sirènes des idéologies totalitaires, ceux qui cherchent un maître, ceux qui ont déjà oublié la leçon sanglante que notre humanité s’est infligée à elle-même au XXème siècle. Taxation des transactions financières, créations de banques publiques, augmentation ex nihilo des bas salaires, encadrement des loyers, réglementations et subsides publics comme s’il en pleuvait et voilà maintenant que, sans le dire, vous nous promettez du protectionnisme… Peu importe que chacune de vos propositions, sous une forme ou une autre, ait déjà été tentée mille fois et ait été mille fois un échec ; votre objectif, nous l’avons déjà dit plus haut, c’est le pouvoir : après le 6 mai, croyez-vous, vous trouverez bien un moyen de vous en sortir.

Vous avez cru, comme votre concurrent, que votre salut résidait dans la récupération des votes extrêmes. Là encore, vous avez eu recours à vos boucs émissaires habituels ; l’un accusant les étrangers de nous « submerger » et de menacer notre modèle social – oubliant, par la même occasion, d’où vient sa propre famille – et l’autre déclarant sa haine des « riches » et son intention de mieux les tondre – commettant ainsi la même faute que son adversaire. Et voilà que les extrêmes que vous avez si bien flattés renaissent de leurs cendres. Voilà qu’à force de mensonge et de lâcheté vous avez réveillé les plus bas instincts de ceux qui ne demandent qu’à vous croire. Voilà que votre stratégie se retourne contre vous. Vous n’avez désormais plus le choix : vous dédire ou tenir vos promesses jusqu’à la catastrophe.

Encore une fois, vous m’avez ignorée. Vous avez balayé mes avertissements d’un revers de la main et avez préféré écouter vos stratèges, vos conseillers et vos communicants. Mais je suis de ceux, Monsieur le Président, que l’on n’ignore pas sans avoir un jour à en subir les conséquences. Vous crierez au complot, à l’ennemi intérieur et au danger extérieur mais vous savez que tout cela n’est que le nuage de fumée derrière lequel vous essayez de vous cacher. Je n’ai rien à faire, pas un geste, pas une parole : il me suffit d’exister. Il est inutile de me chercher : je suis déjà là, partout autour de vous et depuis toujours. Il est vain d’essayer de me faire disparaitre, je suis ce qui, quand on cesse d’y croire, ne disparait pas.

Monsieur le Président, mon nom est Réalité. Vous allez bientôt être élu et nous allons enfin nous rencontrer. Je dois vous prévenir : je crois que vous n’allez pas apprécier.

Sarkozy et le « vrai » travail ? Vrai ou faux ?

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Mercredi soir, Nicolas Sarkozy a donc nié avoir prononcé l’expression « vrai travail ». Cette dernière avait semé le trouble y compris dans son premier cercle. Un rétropédalage de choc a donc été effectué en direct live sur TF1 au plus grand étonnement de ses interlocuteurs François Bachy et Laurence Ferrari, qui auraient pourtant juré d’avoir entendu le candidat évoquer ce concept. Effectivement, lundi, Nicolas Sarkozy avait bien inauguré la formule, devant son siège de campagne :

Jusque là, on pourrait plaider un mot qui lui échappe et auquel il ne fait pas lui-même attention, ce qui pourrait se comprendre dans le stress d’une campagne électorale. Sauf que le même jour à Saint-Cyr-sur-Loire, il a prononcé un long discours. Le lecteur peut se rendre directement à la 57e minute et pourra écouter Nicolas Sarkozy expliquer en détail, pour ne pas dire théoriser le concept de vrai travail.

Nos confrères des chaînes d’info, malheureusement, ont davantage utilisé la première vidéo que la seconde, afin de pointer l’incohérence du président-sortant. Dommage… Eux qui ont l’air si heureux à chaque fois qu’ils peuvent coincer le président sortant, ils y seraient arrivés bien plus efficacement si au lieu de rediffuser les images pas si parlantes déjà vues partout, ils avaient « vraiment » travaillé…

L’énigme de l’euro fort dans une Europe faible

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Pour tenter de comprendre quelque chose à la force de l’euro sur le marché des changes, il nous faut abandonner ce qui nous reste de cartésianisme.

Cette anomalie saute aux yeux quand on rapproche deux chiffres : lors de son lancement, le 1er janvier 1999, la monnaie unique cotait 1,18 dollar dans un contexte économique des plus favorables qui voyait toutes les économies concernées enregistrer une croissance supérieure à 3 % assortie de la création de plus d’un million et demi d’emplois par an sur l’ensemble de la zone ; aujourd’hui, après deux années de crises violentes des dettes publiques, dans une conjoncture de marasme général qui entraîne une contraction incessante du nombre global des emplois, l’euro continue de caracoler au-dessus de 1,30 dollar.

La comparaison avec la situation britannique fournit une première piste. Le Royaume-Uni, qui reste frappé par la récession (moins 4 % en 2011 par rapport à 2008) et la destruction d’emplois (un gros million depuis le début de la crise), a vu sa monnaie se déprécier de plus de 20 % vis-à-vis de la moyenne de ses partenaires commerciaux. Tout se passe donc comme si le marché des changes entérinait le déclin anglais par une dépréciation monétaire mais se refusait à sanctionner la crise européenne par une dévaluation. Vérité au-delà de la Manche, erreur en deçà ?[access capability= »lire_inedits »]

Autant dire en effet que ce ne sont pas les perspectives favorables, pour les économies de la zone ou les budgets des États membres, qui expliquent la force de l’euro. En ce printemps 2012, nous savons que les trompettes de la reprise ont résonné trop tôt. Après le rebond de l’activité de 2009 et 2010, soit les économies ont rechuté, et pas seulement en Grèce, mais aussi en Espagne, en Italie, aux Pays-Bas et au Portugal, soit elles connaissent une croissance insignifiante, comme en France, ou faible, comme en Allemagne – seul pays qui ne détruise pas d’emplois. Et la réduction des déficits publics engagée en conjuguant réductions de dépenses et nouvelles taxations ne laisse pas augurer un retour à l’équilibre. Le marasme économique mine les efforts des gouvernements et rend inutiles les sacrifices des populations.

L’énigme s’obscurcit encore quand on projette son regard vers les États-Unis. La reprise économique, décevante dans un premier temps, s’y est affirmée au point qu’ils recréent des emplois, environ 200 000 par mois. De surcroît, l’économie américaine jouit d’une confiance, méritée ou non, peu importe, qui confère au Trésor la faculté d’émettre ses emprunts aux taux les plus bas de l’après-guerre, malgré un déficit des comptes publics qui surpasse la moyenne des déficits européens. Pourtant, le crédit accordé à l’emprunteur public américain ne s’accompagne pas, ainsi qu’on pourrait l’imaginer, d’un renforcement du dollar sur le marché des changes. Les États-Unis bénéficient d’une monnaie relativement faible comparativement à celle de trois de leurs partenaires majeurs : le Japon, la zone euro et le Canada.

Deux séries d’explications restent à la disposition du malheureux qui s’obstinerait à percer l’énigme de l’euro fort dans une Europe faible.

La première réside dans les politiques menées par les gouvernements, autrement dit à la volonté et à l’action forcenées des autorités publiques de la zone pour prolonger l’agonie de la monnaie unique. Les deux années écoulées depuis le surgissement de la crise grecque ont vu se multiplier, au rythme des sommets européens, les décisions tendant à empêcher une contagion mortelle de la défiance à partir des pays de la périphérie. Si on cumule les remises de dettes des banques, les prêts et garanties accordés par les autres gouvernements, la Commission européenne, la BCE et le FMI, les sommes dépensées pour éviter la faillite de la Grèce se montent à 350 milliards d’euros. Remarquant « qu’une telle solidarité financière est sans précédent dans l’histoire financière mondiale », Jean-Pierre Robin, chroniqueur du Figaro, porte un jugement qui laisse perplexe : « Le sauvetage de la Grèce est exorbitant, mais il en va de la survie de l’euro. » Raisonnement hautement performatif qu’il souligne du propos suivant : « La facture financière des Européens pourrait être aussi lourde que la guerre d’Irak pour les Américains. Le jeu en vaut la chandelle ». Le lecteur appréciera.

À cet effort inouï consenti pour maintenir dans l’euro un pays de 11 millions d’habitants, s’ajoutent deux innovations majeures qui font encore valser les chiffres devant les observateurs médusés.

Premièrement, un mécanisme de solidarité financière doté de quelque 500 milliards d’euros a été mis en place pour parer à de nouvelles difficultés de financement des États. Ce mécanisme prend en anglais le nom de « firewall » que chacun peut traduire. Mais qu’on ne croie pas que ce sont des réserves, par exemple les réserves de changes colossales de l’Allemagne, qui ont été déclarées disponibles pour éteindre les incendies à venir. Il repose sur une capacité d’emprunt présumée. Conception révélatrice de l’option choisie depuis mai 2010 pour traiter la crise des dettes publiques européennes : une fuite en avant ajoutant de la dette à la dette. Le dernier plan de sauvetage de la Grèce a pourtant démontré, conformément à tout ce qu’enseigne l’histoire financière, qu’il n’existe pas de remède à une dette excessive sans réduction préalable de la dette.

Deuxièmement, la BCE a, en deux adjudications historiques, fin décembre 2011 et fin février 2012, injecté plus de 1000 milliards d’euros de liquidités, sur une période de trois ans, au bénéfice de quelque 800 banques de la zone. Qu’il s’agisse des montants prêtés, de la durée de remboursement, du nombre des adjudicataires, ces opérations sont sans précédent. En privé, les destinataires de ces fonds en reconnaissent la signification ultime : la BCE et les banquiers se sont rendus complices d’une action de « cavalerie » qui permet de faire apparaître dans les comptes des banques des valeurs artificielles, leur permettant de faire face à leurs échéances des trois prochaines années. Le système bancaire de la zone euro a ainsi « acheté du temps ».

Le plus grave est que ces actions conjuguées, aussi aventureuses soient-elles, empêchent la chute de l’euro sur le marché des changes. Ceci est fort bien illustré par le fait que chaque décision engageant l’Europe sur la voie d’une solidarité financière forcée ou d’une création monétaire nouvelle est immédiatement suivie d’une hausse de sa monnaie. Mais, et c’est la deuxième explication, pour résoudre l’énigme, il faut faire intervenir un postulat discret qui n’est jamais formulé explicitement. En effet, l’action désespérée des autorités publiques européennes serait largement dénuée d’effet si l’euro ne reposait pas en dernier ressort sur la capacité économique de l’Allemagne. Grâce au test imposé par la crise, l’industrie germanique a montré toute sa force durant ces quatre dernières années. Le gage ultime de la monnaie se dissimule dans les centres de recherche et les usines qui maintiennent l’Allemagne à flot pendant que beaucoup de ses voisins s’enfoncent peu à peu.

Il faut encore attendre quelque temps pour connaître le verdict de l’Histoire sur le destin final d’une monnaie qui, après avoir tant promis, a exigé des sacrifices et provoqué le désenchantement afférent. Quand sera-t-il rendu ? Nous l’ignorons bien sûr. Il suffit de garder à l’esprit que deux facteurs seront décisifs dans la chute définitive de l’euro ou son improbable survie. Le premier tient à la récession qui mine les budgets et gonfle les stocks de chômeurs : la récession s’est installée, elle devrait s’accentuer encore, faisant apparaître les gouvernements qui répondent par l’austérité comme les lévriers qui poursuivent sans le rejoindre jamais le lapin mécanique. Le deuxième dépend de la force exportatrice de l’industrie allemande. Se maintiendra-t-elle alors que les pays émergents, après une période historique de croissance, connaissent un ralentissement qui pourrait se traduire par une réduction de leurs investissements ? Que mes bienveillants lecteurs m’autorisent un conseil : suivez les chiffres, fastidieux mais significatifs, des déficits et des dettes en Europe, et intéressez-vous aux carnets de commande de l’industrie allemande. Si les premiers se maintiennent ou s’accroissent, d’une part, ou si les seconds baissent, d’autre part, il n’y aura plus d’espoir pour l’euro.[/access]