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Le premier ministre idéal de Hollande


A une question d’un journaliste sur l’identité de son futur premier ministre, François Hollande a démontré qu’il avait fort bien compris les institutions de la Ve République : « C’est la campagne qui décidera, et notamment celle du second tour ». Depuis 1958, la nomination des hôtes de Matignon répond à cette règle non écrite : le premier premier ministre du mandat est celui qui s’impose au Président alors que le second est celui que le Président impose lui-même.

En 1959, le Général de Gaulle ayant fait adopter la constitution du 4 octobre 1958, il nomme à Matignon l’homme qui l’a rédigée, Michel Debré. Trois ans plus tard, il nomme un inconnu des Français, qui avait été son directeur de cabinet, Georges Pompidou. En 1965, le Président fait campagne sur la continuité et gagne sur la continuité. Il nomme donc Pompidou. Après les événements de 1968, ceux-ci ayant eu raison de sa relation avec le Premier Ministre, il nomme Maurice Couve de Murville pour mettre en place la Participation. En 1969, Georges Pompidou est élu au second tour face au centriste Poher. Il a dû, pour réussir, rassembler une UDR (le parti gaulliste) qui lui en veut pour son « appel de Rome »[1. Pendant la campagne référendaire de 1969, Pompidou indique, en déplacement dans la Ville éternelle, qu’il serait candidat si le non l’emportait. Ce fut interprété comme un véritable coup de poignard du côté des barons du gaullisme.], et doit donc nommer le baron du gaullisme le plus populaire, Jacques Chaban-Delmas. En 1972, il démissionne ce dernier et nomme Pierre Messmer, qui a été son ministre obéissant pendant des années. En 1974, Valéry Giscard d’Estaing est présent au second tour parce qu’il a réussi, grâce au ralliement de députés gaullistes -le fameux appel des 43- à passer devant Chaban. Il gagne ensuite pour avoir néanmoins fait le plein des voix chabanistes. C’est donc le chef de ces ralliés, Jacques Chirac qui entre à Matignon, lequel prend très rapidement la direction du parti gaulliste doté du groupe le plus important à l’Assemblée Nationale. En 1976, après le divorce entre les deux hommes, Giscard nomme un inconnu du grand public, Raymond Barre.

En 1981, la situation impose à François Mitterrand de nommer un Premier ministre qui saura gérer la présence du PCF au gouvernement et parler au fameux « peuple de gauche ». La situation impose donc Pierre Mauroy qui gère quotidiennement cette situation dans le Nord. En outre, les équilibres au sein du PS comptent : le courant Mauroy-Rocard est puissant au sein du PS, il faut le neutraliser. En 1984, c’est un autre « homme du président » qui est nommé à Matignon, le jeune Laurent Fabius. En 1988, ayant fait campagne sur la France unie et été élu au second tour avec un apport important des suffrages de Raymond Barre, Mitterrand nomme Rocard.

En 1992, il imite Pompidou en se débarrassant d’un chef de gouvernement plus populaire que lui et impose Edith Cresson, à la surprise générale. Si le second tour de 1995 avait vu s’opposer Jacques Chirac et Edouard Balladur, le premier aurait nommé Philippe Séguin à Matignon. Mais Chirac a affronté Jospin. Il a eu besoin des voix de Balladur et non celles de gauche pour être élu. C’est Juppé qui devient Premier ministre. On assiste en 1997 à une petite variante de la règle. Chirac impose la dissolution, et en obtient le résultat cash : un socialiste à Matignon. Cette situation ne déroge que très peu à la règle. Le Président voulait éviter de se faire imposer Séguin. Il voulait imposer le maintien de son fidèle Juppé. A tout prendre, il préférait cohabiter avec Jospin qu’avec Séguin. En 2002, élu par 82 % des Français dans la situation qu’on connaît, et alors que Nicolas Sarkozy rue dans les brancards, Jacques Chirac préfère nommer un centriste, Jean-Pierre Raffarin, tout en rondeurs. Le Président n’a pas nommé le gouvernement d’union nationale qui s’imposait. Il ne veut pas non plus faire de la provocation en désignant un chef de gouvernement trop marqué à droite. Raffarin est un compromis.
En 2005, il nomme son fidèle Dominique de Villepin. En 2007, on assiste à une autre variante : Nicolas Sarkozy a fait campagne sur un changement de type de présidence. Le Premier ministre ne sera plus un véritable Premier ministre mais un simple collaborateur. Elu en tenant ce discours, il désigne donc Nicolas Sarkozy chef de gouvernement, Fillon occupant Matignon par pure forme. Après les élections régionales de 2010, convaincu que cette pratique ne convient pas aux Français, il impose un fidèle, François Fillon. Cela tombe bien, il occupe déjà Matignon.

Ce long dégagement historique effectué, si le lecteur n’a pas compris le fonctionnement des institutions en matière de choix de Premier ministre, c’est qu’il y a mis une certaine mauvaise volonté. Examinons donc la situation de 2012. Si Jean-Luc Mélenchon avait réalisé le score qu’on lui prêtait, tutoyant les 15 %, Martine Aubry était assurée d’entrer à Matignon. Il n’a fait que 11. Pour assurer sa victoire, et aussi pour tenir compte de l’état politique et sociologique du pays, François Hollande doit donc mettre en avant puis nommer premier ministre un homme en phase avec cet état-là. Comme Nicolas Sarkozy, il doit aussi tenir compte de la France qui a voté non en 2005 et en particulier de celle qui voté Marine Le Pen le 22 avril. L’idéal est donc de trouver une personnalité qui aurait voté non au TCE, qui aurait une image sécuritaire, n’aurait pas peur d’affronter les débats identitaires et qui soit aussi adhérent au Parti Socialiste.

Impossible, me rétorquerez-vous, et pourtant cet homme existe. Manuel Valls était en effet défavorable à la constitution européenne[2. Certes timidement, puisqu’il avait milité pour le non au sein du PS, puis lors du débat référendaire avant de se plier à la discipline du parti au moment où les sondages commencèrent à donner le non gagnant, d’une manière assez inexplicable… Peur de gagner ?], possède une image d’ordre à tel point qu’on l’imagine aussi très bien Place Beauvau, et fut l’un des seuls députés PS à voter l’interdiction du port de la burqa. Arrivé à 10 ans en France de sa Catalogne natale, il est aussi un exemple d’assimilation réussie. En outre, il a aussi l’avantage, grâce à ses positions économiques -sur la dette, notamment- de ne pas trop déplaire à l’électorat centriste.

François Hollande élu, s’il est conséquent, nommera donc son actuel directeur de la communication à Matignon dans trois semaines. Il n’est évidemment pas exclu que les équilibres solférinesques aient raison de cette prévision, peut-être un peu trop portée sur l’état sociologique du pays. Dans ce cas, c’est plutôt Jean-Marc Ayrault qui sera choisi. On le saura assez vite : les passages télé et radio devraient nous donner des indices. Mais pour moi, Valls s’impose !



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