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Le peuple à la table des élites ?


L’Europe a joué le rôle du méchant et le monde celui de l’absent dans cette campagne. Pour coller au peuple qui a la nation qui le démange à sa frontière, chacun y est allé de son couplet protectionniste. Marine ayant misé la première, elle a ramassé le pactole. Alors Mélenchon boude. Il s’est pourtant ménagé une rente de situation inespérée.

Une fois n’est pas coutume, la surprise du chef fut cette année Marine Le Pen, grand vainqueur du premier tour de l’élection présidentielle. Elle s’est taillée la part du lion dans « l’électorat populaire », cette réserve d’indiens pour journalistes. Un vote essentiellement rural, périphérique et carrément prolo quand le peuple des villes, qui existe encore en dépit des efforts de gentrification des politiques urbaines, lui a préféré Hollande. Et oui, les pauvres se cachent à la campagne. La misère y est moins rude dit-on mais plus tenace car il y est plus difficile de s’en extraire. Ce peuple-là ne va pas prendre la Bastille avec Mélenchon, ou si peu, et a répondu à l’appel d’une Marine qui a porté le sens du peuple en bandoulière tout au long de la campagne. Tout autre constat serait malhonnête. Elle est désormais prête à vitrioler les orléanistes de la droite libérale et européiste pour mieux tenter de reconstituer autour de sa pomme un grand courant bonapartiste, national et populaire. Ça travaille la droite en profondeur depuis des années…

Marine y est prête mais rien ne dit qu’elle y arrivera. Cependant, son premier objectif est atteint. Moins diabolisée que papa, elle a réuni 6,4 millions d’électeurs dimanche soir quand son père en réunissait 5,5 millions au second tour de 2002. En valeur réelle et relative, c’est bien son courant qui a le plus progressé à l’occasion de ce suffrage. Arrivera-t-elle à sauter l’obstacle des législatives, qui nuit toujours gravement à la santé de son parti ? Rien n’est moins certain à l’heure actuelle. La vague qui la porte est certes forte, mais les institutions ont placé des digues qui le sont plus encore. Les élections législatives au suffrage uninominal à deux tours ont toujours éjecté le FN de l’Assemblée nationale. Si elle a dépassé les 12,5% d’inscrits dans 353 circonscriptions sur 577, qui permettent potentiellement un maintien des candidats y portant sa flamme, les triangulaires ne favoriseront que le Parti socialiste et ses alliés.

Elle le sait. Elle a besoin d’une victoire de la gauche pour tester la capacité de l’actuelle majorité à maintenir ses rangs serrés ou à se disloquer, quelle que soit l’ampleur de la déculottée qui s’annonce pour l’UMP. Tant que Le Pen père était aux commandes, bien à l’aise dans son bastion, la droite dite républicaine ne pouvait envisager de gondoler avec le Front. Chirac s’y était toujours opposé et le 21 avril 2002 en fit le béni des dieux de l’antifascisme. Sarkozy a construit sa victoire de 2007 en incarnant la droite populaire, au grand dam d’un Le Pen détroussé de son fond de commerce. Exploit impossible à rééditer, l’histoire n’a même pas daigné bégayer. Au contraire, ce quinquennat sécuritaire et identitaire n’a fait que renforcer la légitimité de l’égérie de la droite nationale, qui, quoiqu’en disent les esprits chagrins toujours ravis de ne pas voir ce qui saute aux yeux, a ravalé en profondeur la façade de la boutique familiale. En faisant siens, et la première, les thèmes du protectionnisme et de la laïcité, en tenant aux prolos le langage qu’ils voulaient entendre sur les délocalisations, elle n’a eu qu’à se baisser pour ramasser les drapeaux que d’autres avaient laissés à terre. Sincère ou pas, là n’est pas la question, son discours a porté loin pour finalement la porter très haut.

Évidemment, elle ne fut pas la seule. D’autres ont senti depuis longtemps que les mythes d’hier sur l’Éden européen et la douceur d’un libéralisme accepté par le plus grand nombre ne pouvaient éternellement berner la majorité. De Mélenchon à Dupont-Aignan en passant par Montebourg, beaucoup ont mené campagne sur la réhabilitation de la frontière dont il n’est plus aujourd’hui douteux de faire l’éloge, quand hier encore tous ceux qui y touchaient se voyaient rhabillés des charmants oripeaux du populisme. Souvenons-nous que Bayrou n’a eu qu’à jeter aux vents son « produire français » pour faire un bond spectaculaire dans les sondages comme il a suffi aux hérauts du marché libre que furent Hollande et Sarkozy de mêler – mollement – leurs voix à la chorale nouvelle des protectionnistes pour ne pas paraître trop à l’ouest. Tout ceci est un trompe l’œil électoral et Berlin saura bien ramener Paris aux réalités de ses « engagements européens » d’ici peu.

Jean-Luc Mélenchon peut s’égosiller à appeler à voter Hollande pour briser « l’axe Merkozy », cause de tous nos maux, on imagine mal François tordant le bras à Angela sous la pression de « l’homme qui venait du Non ». Ça ferait très mauvais genre.

Propulsé « révélation de la campagne » sous les hourras de foules assemblées religieusement pour entendre ce -trop ?- généreux discours réhabilitant les mythes fondateurs de l’égalitarisme républicain et de l’universalisme français, il n’aura finalement pas réussi à projeter sa candidature au-delà de l’étiage de la gauche radicale en 2002. Il a réuni cet électorat sous une seule bannière et atteint ses deux objectifs initiaux. Un score à deux chiffres et dépasser Bayrou, condition sine qua non (croit-il) pour éviter que la gauche ne lorgne trop à droite dans ses alliances futures. Ce sont les vieux qui ont le moins voté pour lui, réticence logique au regard de la disqualification de l’hypothèse communiste et révolutionnaire au sein de cette génération. Le rassemblement opéré autour du sans-culotte de la Bastille (quatre millions de suffrages sont loin d’être anecdotiques) apparaît donc comme une force d’avenir sociologique. Mais le sera-t-elle politiquement ?

Le Front de gauche aura autant de députés que le Parti socialiste en décidera. Une vingtaine, au plus une trentaine. Ce n’est donc pas de ce côté qu’il peut espérer approfondir son enracinement. Par ailleurs, on voit mal les communistes, si dociles avec leurs grands alliés historiques, pratiquer la politique de la terre brûlée dans leur camp comme Le Pen s’apprête à le faire à droite. La réalité de l’appareil communiste perfusionné par le PS va vite reprendre le dessus. Ça va être coton pour le candidat d’hier de maintenir le cap -si indépendant- de sa campagne en étant désormais « indépendant mais pas trop » de la majorité socialiste qui se dessine. On ne voit pas vraiment quelle porte peut encore s’ouvrir devant lui à moins de parier sur un échec cuisant des socialistes aux affaires. Qu’il souhaite secrètement cette issue ou n’ose l’avancer ouvertement, seule cette perspective pourra lui permettre d’atteindre son prochain objectif : passer devant ses anciens camarades aux élections européennes pour mieux « foncer sur l’Élysée en 2017 ».

On verra bien quelle sera la situation, catastrophique ou pas, de la France et de l’Europe d’ici là. Mais s’il décide une fois de plus « d’aller au peuple », comme c’est la mode désormais, on conseillera cette fois à Mélenchon d’éviter cette fois de proclamer sur une plage « qu’il n’y a qu’un seul peuple sur les deux rives de la Méditerranée »… Comment lui dire ? Le peuple de notre rive n’est peut-être pas assez mûr pour accéder à de tels concepts ? À moins que ce ne soit tout simplement une grosse connerie. Et si Marine en raconte beaucoup, des conneries, elle a au moins su éviter celle-là. Ce qui explique sans doute leur ordre d’arrivée. Troisième et quatrième, leurs places ne sont pas plus enviables l’une que l’autre. Les voilà bordant l’espace politique d’un extrême à l’autre, au nom du peuple, invité une fois de plus à rester bien au bord.



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est conseiller culturel.

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