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Villeneuve-sur-Lot, une Bérézina journalistique

C’est fait : le jeunot du FN n’a pas ramassé le gros lot à Villeneuve-sur-Lot, et le coq du village UMP l’a largement emporté au deuxième tour de l’élection législative partielle de cette circonscription du Lot-et-Garonne.
Cette élection, provoquée par la chute ignominieuse du député sortant PS Jérôme Cahuzac, avait provoqué une descente massive dans le Sud-Ouest des cadors du journalisme politique parisien, venus tendre leurs grandes oreilles dans les estaminets locaux. Pour eux, à l’issue d’un premier tour, qui avait vu l’élimination du candidat socialiste, l’affaire était quasiment dans le sac : forts de quelques bribes de conversation entendue à l’heure de l’apéro, il ne faisait guère de doute,  pour eux, que le FN Etienne Bousquet-Cassagne allait terrasser Jean-Louis Costes en dépit des appels à « faire barrage au Front national » lancés par les dirigeants du PS. « Le Front Républicain en lambeaux » titrait ainsi Le Monde.fr quelques heures avant le scrutin, donnant le signal à toute la corporation parlante et écrivant de préparer les commentaires adéquats. On avait tellement joué à se faire peur, et on s’était préparé si intensément à son quart d’heure warholien de célébrité sur les chaînes tout infos que l’on se trouva fort dépourvu quand le résultat fut connu. Costes l’a emporté avec une confortable avance, plus grande en tous cas que celle de Jean-François Mancel dans l’élection partielle de l’Oise, avec la même configuration au second tour. Le Front républicain n’est pas mort, ne leur déplaise, et il bande encore suffisamment pour renvoyer un post-adolescent du FN à ses chères études de BTS commerce. Le plantage des augures n’a pas incité ces commentateurs à la modestie et à l’autocritique : leurs analyses étant prêtes d’avance, il fallait les fourguer, quel que soit le verdict des urnes.  On a donc continué à jouer à se faire peur et à gloser sur le tremblement de terre politique issu d’un scrutin local dans la France profonde.
On n’avait rien vu venir, mais on pouvait se consoler en se disant que les collègues du service étranger sont logés à la même enseigne : les envoyés spéciaux à Téhéran, prétendument experts en iranologie ayatollesque, n’ont pas vu venir la vague pro-Rohani lors de l’élection présidentielle, malgré des notes de frais maousses justifiées par la difficulté du terrain. Ils avaient l’excuse de ne pas maîtriser suffisamment le farsi pour sentir le vent politique. Il faut donc croire que le franco-occitan,  qui sert d’outil de communication à  la population de Villeneuve-sur-Lot est aussi indéchiffrable pour nos Rouletabille de la politique intérieure que la langue d’Omar Khayyam pour les aspirants au prix Albert-Londres du reportage exotique.

L’impossible racisme anti-blanc

licra racisme anti blanc

Logiquement, le tribunal correctionnel qui, vendredi à Paris, a condamné Arnaud Djender à trois ans de prison ferme pour une agression commise en septembre 2010 gare du Nord, n’a pas retenu contre lui la circonstance aggravante de racisme, en l’occurrence anti-blanc, requise par le procureur le 26 avril dernier. Térence C., une vingtaine d’années, avait été violemment frappé par deux individus, dont Djender – le coauteur des coups, en fuite, n’a, lui, jamais pu être identifié. Selon des témoins, les auteurs de l’agression avaient proféré des insultes racistes, « sale Blanc » notamment, à l’endroit de la victime, ce que l’accusé, défendu par Me Grégoire Etrillard, avait nié.
La première condamnation en France pour racisme « anti-blanc » n’a donc pas été prononcée. Logiquement, car la LICRA (Ligue contre le racisme et l’antisémitisme), partie civile à l’audience du 26 avril, qui tenait à démontrer qu’un Blanc pouvait être victime de racisme, ne s’est pas donné les moyens d’étayer sa démonstration. Trop casse-gueule, sans doute. Comme si la LICRA avait fait sienne, en quelque sorte, la théorie des Indigènes de la République, selon laquelle il existe en France un « racisme structurel », procédant de la domination des « Blancs » sur les « Arabes », les « Noirs » et autres personnes de « couleur ». Chercher à démontrer, jusqu’au bout, que la victime avait été frappée parce que blanche aurait immanquablement conduit Me Mario-Pierre Stasi, l’avocat représentant la LICRA, à « ethniciser » sa plaidoirie contre le coauteur présumé des coups, par ailleurs tout à fait blanc de visage mais dont le patronyme, Djender, renvoie à une origine berbère.
Me Stasi s’est bien gardé de cela, évitant d’interroger sérieusement le prévenu sur ses fréquentations, son milieu, son passé, alors que des éléments de la biographie de l’accusé et une ou deux de ses réponses à l’audience, faisaient apparaître une personnalité « complexe », entre haine de soi et identité de substitution. Bref, Me Stasi, face à Djender qui niait avoir traité la victime de « sale Blanc » et autres qualificatifs de même acabit, aurait pu chercher à le pousser à un irrémédiable faux pas. Mais c’était risquer de faire le procès de la « banlieue », dont Djender est issu. Me Stasi, lui, risquait de passer, médiatiquement et sociologiquement, pour raciste, et la LICRA à sa suite. Ce n’était pas le but. Il a préféré céder à la pression, « baster », comme on dit en Suisse. Ça s’était senti le 26 avril.
Les juges, qui ont dû trouver bien inconsistants les arguments de la partie civile (le ministère public était quant à lui transparent), ont rendu un verdict somme toute logique, encore une fois. Quelque chose nous dit que la LICRA sort soulagée de ce procès au terme duquel Arnaud Djender a été envoyé en prison pour y purger sa peine.

*Photo : Licra.

Séisme républicain à Villeneuve-sur-Lot

philippot fn le pen

Le candidat UMP a donc battu le jeune frontiste Etienne Bousquet-Cassagne avec 53 % des voix à l’issue du second tour de l’élection législative partielle de la troisième circonscription du Lot-et-Garonne. Plusieurs leçons peuvent être tirées de ce scrutin.
Tout d’abord, on peut définitivement tirer un trait sur la stratégie de « barrage au FN ». Comme dans l’Oise, les communiqués de Solférino n’ont pas empêché une grande partie des électeurs de gauche de voter pour le candidat mariniste. Si on habitait en aval d’un barrage construit par l’ingénieur de travaux publics Harlem Désir, on déménagerait sur le champ tant ses ouvrages ont du mal à supporter les aléas climatiques, en Picardie comme dans le Sud-Ouest. Les électeurs n’écoutent plus les consignes des instances nationales des partis. Et on peut même imaginer que certains d’entre eux se font un plaisir de faire le contraire de ce qu’on leur demande.
Certaines personnalités socialistes ont pointé des coupables autres que Nicolas Sarkozy, Jérôme Cahuzac ou les candidats EELV et Front de gauche, fauteurs de dispersion des voix. Arnaud Montebourg a ainsi, avant même l’annonce du résultat de la partielle, désigné José Manuel Barroso comme « carburant du vote FN ». Au-delà de l’attaque ad hominem – sans doute liée à la philippique du président de la commission sur la « France réactionnaire » – le ministre du Redressement productif insinue que des électeurs socialistes peuvent préférer voter pour un candidat réclamant davantage de souveraineté et surtout moins d’Europe que pour celui de l’UMP, fût-il soutenu par le PS au nom du « front républicain ». En taclant Barroso, Montebourg ne vise-t-il pas aussi ceux qui ingèrent – en rechignant pour la forme – les potions de la Commission européenne, président de la République en tête ?
Quoi qu’il en soit, cette victoire de l’UMP est un trompe-l’œil. Entre les deux tours, alors qu’aucun des seize candidats du premier tour n’avait appelé à voter pour lui, Bousquet-Cassagne a gagné vingt points. On est loin, très loin, du temps où Jacques Chirac écrasait Jean-Marie Le Pen avec 82 % des voix, scotchant le chef frontiste à son score de premier tour. Le scrutin majoritaire à deux tours et l’absence d’allié semblaient condamner le FN à ne viser autre chose que des scores estimables au premier tour, jamais au second. Décrit comme un parti protestataire et extrémiste, il ne pouvait être un choix de « moindre mal ». Or, la règle du scrutin législatif, « au premier tour, je choisis, au second, j’élimine », exige d’un parti aspirant à la victoire qu’une part importante de l’électorat y voie un second choix acceptable. C’est ce palier-là que le FN de Marine Le Pen est en train de franchir. Et qu’on ne nous fasse pas le coup de « l’élection partielle, pas représentative ». D’abord, les élections partielles sont traditionnellement défavorables au Front national. Soit elles ne le sont plus, et cela démontre qu’il pallie une nouvelle insuffisance. Soit elles l’ont encore été et cela présage de scores encore plus forts lors d’élections générales.
Mais la leçon principale des scrutins de l’Oise et du Lot-et-Garonne, c’est au FN lui-même de la tirer. La stratégie qui a permis à des candidats de gagner vingt points entre les deux tours, c’est bien celle de Florian Philippot. Le Nouvel Obs a publié récemment un dossier sur les bisbilles frontistes et mettait même dans la bouche de Marion Maréchal-Le Pen des dires peu amènes sur la priorité donnée à l’économie et le social : « on fait du sous-Chevènement ou du sous-Mélenchon ». Bien entendu, l’entourage de Marine Le Pen ne confirme pas ces propos. Mais lorsque Philippot salue la mémoire du général de Gaulle le 18 juin, la députée du Vaucluse déclare quelques jours plus tard « qu’elle n’irait pas fleurir la tombe de De Gaulle ». On sait aussi que MMLP, avec son collègue sudiste Collard, prend beaucoup de plaisir à jeter des petits ponts de bois dans l’hémicycle entre les petits fossés qui la séparent de certains députés UMP. Elle rêve de débauchages d’élus UMP lors des élections municipales. Marion Maréchal, comme son grand-père – et sans doute Louis Aliot, le compagnon de sa tante – se considère comme de droite. Si elle ne peut pas faire autrement que d’approuver publiquement le positionnement de sa tante, elle s’efforce malgré tout de contrebalancer l’influence de Florian Philippot. Pendant la présidentielle, il a été reproché à ce dernier d’affaiblir la candidate frontiste en impulsant une ligne moins identitaire et plus souverainiste, davantage axée sur les thèmes économiques. À grand renfort de sondages, on expliquait que face à Nicolas Sarkozy qui appliquait la ligne Buisson, Philippot avait été un des vaincus de cette campagne. C’était sans doute vrai à court terme. Mais c’est la stratégie de Philippot, ainsi que la droitisation concomitante de l’UMP, qui permet aujourd’hui au FN de se rêver en un parti de second tour, bénéficiant de reports de gauche en cas de duel avec la droite, et – n’en doutons pas – de reports encore meilleurs de la droite en cas de duel avec la gauche. Si Marine Le Pen arrive à faire respecter le silence dans les rangs, les prochains rendez-vous électoraux pourraient bien aboutir à de meilleurs résultats que les très honorables défaites de ces derniers mois.
Et même Marion Maréchal Le Pen devrait y trouver son compte. À l’avenir, le Sud-Est droitisé pourrait bien accoucher de nombreux duels entre l’UMP et le FN, donnant aux voix de gauche une importance particulière, comme dans le Lot-et-Garonne et l’Oise. Peut-être alors fréquentera-t-elle davantage le bureau de Philippot afin d’y recueillir ses conseils, plutôt que la buvette de l’Assemblée avec des députés de la Droite populaire, qui seront sans doute les adversaires[1. Elle a d’ailleurs déjà piqué le siège de l’un d’entre eux !] de ses amis en Provence !

*Photo : BFM.

La jeune fille et la Mort

cecile renault commons

À quoi pouvait donc s’occuper Cécile Renault, fille d’un papetier du quartier de la Cité, en ce joli mois de juin parisien d’il y a tout juste 220 ans ? À quoi rêvent les belles de 18 ans lorsque le temps est beau et que, malgré les roulements de tambour, elles ont l’avenir pour elle, des amoureux en pagaille et un papa qui les gâte en leur offrant de mignonnes cocardes de soie, des caracos fleuris ou ces longues jupes rayées qui sont maintenant à la mode ? Si, malgré son âge, Cécile s’intéresse un peu à la politique, si elle aussi a été touchée par cette fièvre qui s’est emparée de Paris lorsqu’elle fêtait ses 14 ans, elle a dû apprendre que, quelques jours plus tôt, ceux qu’on appelle les Girondins ont été proscrits, convaincus de trahison et de complot contre la Révolution par les Montagnards, le groupe désormais dominant que dirige Robespierre.
Sans doute est-elle un peu étonnée d’apprendre que les héros d’hier sont devenus les traîtres d’aujourd’hui, et que ceux qui avaient fondé la République nourrissaient en réalité les plus noirs desseins à son encontre. De même a-t-elle peut-être entendu dire que la Déclaration des droits de l’homme adoptée en 1789, que l’on considérait jusqu’ici comme un texte sacré, contenait « plusieurs principes erronés »[1. Ducos, 17 avril 1793, cité Mortimer-Ternaux, Histoire de la Terreur, Michel Lévy, 1869, tome VII, p.189.], notamment celui de la séparation des pouvoirs, cette « chimère » antirépublicaine importée d’Angleterre. « S’il est vrai que nous ayons fait des découvertes dans les droits des hommes, expliquait alors Barrère, il faut les consacrer par une nouvelle déclaration. »[2. Idem.] Cécile, qui se souvient probablement des mots de Robespierre désignant la Déclaration de 1789 comme l’éternelle constitution de tous les peuples, a pu se demander pourquoi les choses avaient changé − avant d’être rassurée par la proclamation de Billaud-Varenne, affirmant que cette nouvelle Déclaration devrait, cette fois, « fixer en France la liberté » et le « bonheur »[3. Archives parlementaires, 23 juin 1793, t .LVII, page 108.]. Définitivement.[access capability= »lire_inedits »]
Alors que le temps s’étire doucement dans le quartier de la Cité, sur les bords paresseux de la Seine ou dans les gentils marivaudages que Cécile joue avec ses amoureux, là-bas, à la Convention, il s’accélère. Le 23 juin, les Girondins à peine proscrits, l’odeur de poudre des canons de la Commune tout juste dissipée, Hérault de Séchelles – l’ancien favori de Marie-Antoinette devenu l’ennemi le plus farouche de la tyrannie –, vient à la tribune de l’Assemblée présenter la nouvelle rédaction de la Déclaration des droits. Bien sûr, Cécile n’a pas assisté aux débats, mais elle a appris, en lisant les procès-verbaux encore humides dans la boutique de son père, que de « vifs applaudissements » avaient salué la fin de la lecture − après quoi la Déclaration avait été adoptée « en masse » par la Convention, dont les membres s’étaient levés pour manifester leur adhésion enthousiaste.
Mais Cécile sait lire, au besoin entre les lignes. Et elle comprend qu’il y a quelque chose qui cloche : que c’est à ce moment précis que les événements dérapent, et que quelque chose de beaucoup moins enthousiasmant vient subitement de se démasquer. Tout à coup, en effet, les Montagnards  font mine de s’apercevoir avec stupeur que la droite de l’Assemblée, ce qui reste du groupe modéré, s’est abstenue : elle est restée assise. Sans bouger. Sans rien dire. Et Billaud-Varenne de s’offusquer : « Il est bien étonnant que des membres de la Convention refusent de voter cette Déclaration, qui doit fixer en France la liberté. Il faut que le peuple connaisse les hommes qui veulent son bonheur, et ceux qui semblent déjà protester contre le chef d’œuvre de la philanthropie »[4. Idem.]. Jusque-là, rien que de très habituel, l’ancien avocat, réputé pour sa véhémence, ayant coutume d’exiger la tête de tous ceux qui ne pensent pas comme lui. Mais le silence se fait lorsque Robespierre se lève à son tour et demande la parole : Cécile imagine la scène, la Convention subitement muette au point qu’on entendrait une mouche voler, puis le filet de voix nasillard de « l’Incorruptible » : « Le procédé de quelques individus, ironise celui-ci, m’a paru si extraordinaire que je ne puis croire qu’ils adoptent des principes contraires à ceux que nous consacrons, et j’aime à me persuader que, s’ils ne se sont point levés avec nous, c’est plutôt parce qu’ils sont paralytiques que mauvais citoyens »[5. Idem, p.108.]. Cécile n’est pas sotte : elle a compris ce que de tels mots peuvent signifier dans cette atmosphère déjà poisseuse de violence : avec son humour glaçant, Robespierre confirme que ceux qui ne sont pas avec lui sont contre lui, donc contre le peuple et contre la révolution,  ce qui est bien suffisant pour les rendre suspects. Elle devine que ce vote du 23 juin 1793 est quelque chose comme le point de départ d’une longue descente aux enfers – au cours de laquelle la Déclaration, non seulement n’empêchera pas les atteintes répétées aux droits, mais servira à les justifier. Car c’est au nom du « bonheur commun », dont l’article 1er affirme qu’il constitue le « but de la société »,  que Robespierre décrétera la Terreur, multipliera les proscriptions et planifiera les massacres. Le bonheur commun : de toute évidence, cet idéal justifie toutes les exactions, d’autant plus légitimes que les ennemis d’un tel bonheur ne sauraient être que des monstres.
Onze mois plus tard, jour pour jour, le 23 mai 1794, Cécile, n’y tenant plus, se présente au domicile de Robespierre, 398 Faubourg Saint-Honoré. Il n’y est pour personne, trop occupé à déjouer de nouveaux complots imaginaires et à échafauder de nouveaux rêves. Mais Cécile insiste : les époux Duplay, qui logent le grand homme, avertissent la police, qui vient l’arrêter et l’interrogent sur-le-champ. La jeune fille répond qu’elle n’est venue  « que pour voir comment est fait un tyran ». Ses aveux restent énigmatiques, la jeune fille semble bien peu effrayante, mais on a trouvé sur elle un petit canif, peut-être celui qui servait à son père pour ouvrir les ballots de chiffons. Elle sera donc inculpée de tentative d’assassinat sur Robespierre, puis condamnée à mort.
Ce jour-là, le 17 juin 1794, il fait aussi doux qu’il y a un an, Paris est aussi lumineux, mais Cécile a changé de vêtements : pour aller à la guillotine, on lui a fait revêtir une chemise de serge rouge, celle que portaient sous l’Ancien Régime les personnes condamnées pour parricide ou pour régicide[6. Cf B. Baczko, Politiques de la Révolution française, Folio histoire, 2008, p. 143.]. Un mois et demi plus tard, lorsque Robespierre, à son tour, sera conduit à l’échafaud, nul doute que certains de ceux qui chanteront et danseront et riront aux éclats et s’embrasseront et se congratuleront au passage de la charrette où l’on a installé le tyran déchu songeront aussi, mélancoliquement, au sacrifice de la jeune fille en rouge, qui aurait tant aimé danser avec eux.[/access]

*Image : l’arrestation de Cécile Renault (wiki commons).

Sartre, Debord, Muray : de l’engagement au dégagement

muray debord sartre

On ne peut s’empêcher de tenter d’imaginer ce qu’aurait écrit Philippe Muray concernant la « nuit Sartre » proposée récemment par l’ENS. L’hommage rendu par la prestigieuse école organisant un « événement Sartre » possède tous les traits de l’inversion « festiviste ». Pourquoi une « nuit Sartre » si ce n’est pour faire oublier que celui-ci règne depuis si longtemps sur nos jours ?   
Et pourtant Muray lui-même ne peut se comprendre en dehors d’une certaine filiation sartrienne. Il est l’anti-Sartre. Il est celui qui se dresse et se dressera toujours davantage, face à Sartre, comme le grand maître du dégagement. Muray ne vient pas de la filiation aronienne, il ne vient pas « de la droite ». Il vient du gauchisme et ne s’en est jamais caché. Mais il est celui qui va achever le gauchisme de l’intérieur, poussant la négation gauchiste jusqu’à la négation d’elle-même, retournant l’exigence absolue d’engagement en exigence absolue de dégagement. Qui voudrait éclairer l’histoire de ce renversement devrait s’intéresser à une autre figure qui est comme le pivot du passage de l’engagement au dégagement. Nous voulons parler de Guy Debord.
Debord et Muray resteront des classiques. Le premier saisit par des fulgurances conceptuelles les traits profonds de l’aliénation contemporaine. Le second développe, comme d’indispensables notes en bas de pages de l’œuvre du premier, les caractères les plus concrets et les plus sensibles de cette aliénation grâce à un immense talent d’écrivain. Leur proximité est troublante et a troublé Muray lui-même, qui a eu du mal à reconnaître sa dette envers Debord. Mais repartons de l’ombre tutélaire sartrienne.
Ce qui relie Debord à Sartre est le concept de « situation ». Certes, Debord a cherché à dépasser Sartre sur sa gauche dans la radicalité de la critique. Debord reproche à Sartre de se contenter de penser la situation alors qu’il s’agit de la transformer, de « construire des situations ». Mais Debord partage avec Sartre une même conception de la liberté comme transformation créatrice de la situation. Or il s’avérera que la situation, devenue « La Société du spectacle », interdit l’affirmation d’une liberté créatrice. L’aliénation est devenue telle que plus aucun point d’appui ne peut être trouvé dans la société, fût-il celui de la « classe ». La classe comme sujet collectif d’une transformation de la situation – les Conseils ouvriers – se perd dans les mirages de la consommation comme dans les mensonges de la bureaucratie marxiste. L’engagement, perdant son point d’appui sur la classe absente, s’étiolera, et l’Internationale Situationniste sera dissoute. La critique se « dégagera » peu à peu pour devenir une superbe méditation solitaire et littéraire sur l’impasse d’une société et peut-être aussi sur l’échec d’une vie passée à la combattre. A partir d’In girum imus nocte et consumimur igni, en passant par les Commentaires et Panégyrique c’est déjà le dégagement aristocratique de Muray qui s’annonce.
Quelle est en effet la « situation » dont part Muray et qui détermine son « dégagement » ? C’est celle d’une décomposition totale des conditions sociales et politiques de l’existence humaine. Décomposition telle que plus aucun appui ne peut être trouvé dans ces conditions pour, selon un mot « festiviste » que Muray abhorerait : « rebondir ». Rien dans les conditions de l’époque ne mérite d’être sauvé mais tout mérite d’être poussé à la plus extrême destruction. Le « Non » opposé par Muray à l’époque traduit le refus de toute possibilité d’engagement, ainsi que la nécessité inverse et non moins absolue de se dégager de la situation, pour ne pas être décomposé par elle, et conserver ainsi la force de lui opposer une altérité irréductible. Rien ne trouve grâce aux yeux de Muray dans l’époque et c’est ce que celle-ci, toute occupée à son autocélébration, ne lui pardonne pas. Muray répète exactement la posture du dernier Debord : une incompatibilité géniale avec l’époque permet une critique géniale. Dans les deux cas  on observe aussi une conscience aigüe de cette génialité et une ironie dévastatrice. Est-ce cette troublante proximité des personnalités qui pousse Muray à accuser les différences de pensée ? Au moment de la publication des Commentaires Muray reconnaît en Debord une « grande pensée ». Par la suite et à mesure qu’il s’engagera dans la « théorisation » d’Homo Festivus, il n’aura de cesse d’amoindrir la pertinence des analyses du théoricien du « Spectacle ». Or il apparaît assez évident que sur le plan théorique la catégorie du « Festif » n’apporte rien de plus à celle du « Spectacle ». Muray reproche certes à Debord de critiquer la séparation au nom d’une union ou fusion utopique qui serait justement celle que prétend réaliser la société festiviste. Mais Debord ne critique pas la séparation réelle des individus. Il critique simplement le mensonge du spectacle qui prétend les réunir : « Le spectacle réunit le séparé mais il le réunit en tant que séparé ». Ou pour le dire avec Tocqueville parlant de l’homme de la démocratie future : « (…) il est à côté d’eux mais ne les voit pas, il les touche et ne les sent point (…) ». Or le festif procède de la même logique : la proximité absolue de la fête n’est possible que sur le fond de l’absolue séparation. De même Muray reproche à Debord de penser le spectateur comme seulement contemplatif alors qu’Homo Festivus serait acteur. Mais Debord a maintes fois combattu l’interprétation réductrice qui identifie le spectacle au médiatique. Le spectacle est la production d’une réalité selon l’image, non la simple production d’une image. La critique du tourisme de Muray est une parfaite application de la critique du spectacle. Le touriste « agit » en tant que spectateur, et la réalité qu’il « contemple » n’est pas une simple image, mais une réalité reconstruite à partir de l’image. Il est un seul point où Muray semble se séparer de Debord. Ce point est celui de l’espoir révolutionnaire. L’aliénation a tellement réussi qu’elle interdit tout espoir. Il n’y a plus aucun sujet collectif capable d’entreprendre une autre histoire. Pire, ce sont les individus eux-mêmes qui veulent et produisent leur aliénation. Ne reste que l’intellectuel dégagé et séparé de l’Histoire achevée et qui l’assume. Là encore Debord précède Muray : « Voilà toute une civilisation qui brûle, chavire et s’enfonce toute entière. Ah ! Le beau torpillage ! ». Le Spectacle comme le Festif, ont achevé l’aliénation, et ne laissent aucun sujet collectif intact, susceptible de transformer la société. Ne reste que l’auteur de la critique qui affirme souverainement ses passions et son altérité. C’est sur le fond de l’expérience individuelle et géniale de l’artiste que la critique demeure possible.
Quoi de commun entre le Maître de l’engagement qu’est Sartre et le Maître du dégagement qu’est Muray ?  Sans doute la tentation de faire jouer à la littérature un rôle directement « politique ». Muray ne reste-t-il pas finalement fidèle à la perspective d’une littérature engagée ? C’est aussi le politique déçu qui se fait écrivain. L’impossibilité d’une transformation réelle de la société débouche sur la nécessité d’une critique radicale assumant son caractère littéraire : « S’il y a aujourd’hui quelque chose d’urgent, c’est de mettre sur pied une critique complète et artistique du monde (…) ». Le maître du dégagement qu’est Philippe Muray est bien la dernière figure, figure paradoxale, de l’intellectuel engagé.

Exclusif : ma lettre à Karine Berger

Le jour du solstice d’été, la France a découvert une étoile. Malgré les railleries inévitables, on se rappellera sans doute dans un siècle de cette journée où le melon de Gap supplanta pour l’éternité celui de Cavaillon. Refuser de passer à côté de son destin. Prendre sa plume. Ce n’est pas tous les jours qu’on propose ses services à Winston Churchill ou Indira Gandhi !
« Chère Karine, très brièvement et respectueusement.
1) Je suis à tes côtés pour te servir et servir tes projets pour la France.
2) J’ai fait de mon mieux et j’ai pu échouer périodiquement. Je t’en demande pardon.
3) Je n’ai pas d’ambitions politiques personnelles et je n’ai pas le désir de devenir un ambitieux servile comme nombre de ceux qui t’entourent dont la loyauté est parfois récente et parfois peu durable.
4) Utilise-moi pendant le temps qui te convient et convient à ton action et à ton casting.
5) Si tu m’utilises, j’ai besoin de toi comme guide et comme soutien : sans guide, je risque d’être inefficace, sans soutien, je risque d’être peu crédible. Avec mon immense admiration. David D. » 

 

Casseurs du Trocadéro : clémence pour tous?

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L’affaire du RER D, où les détrousseurs de diligence ont écopé d’un maximum de 10 mois de prison avec sursis, est à peine froide qu’une autre décision étrange des juges vient renforcer l’idée d’une justice politique, ou au moins à deux vitesses, dans la France de François Hollande, de Manuel Valls et de Christiane Taubira. Comme le montrent ces vidéos inédites faites par des riverains du XVIème arrondissement le 13 mai dernier lors de la célébration de la victoire du PSG en championnat de France au Trocadéro, et dont l’authenticité est confirmée par des sources policières, des jeunes gens à casquette et survêtement se sont livrés au pillage en règle d’une grande bijouterie sur une artère du quartier bourgeois de la capitale.
Toujours selon nos sources, cinq délinquants auraient été pris en flagrant délit et arrêtés par des policiers arrivés sur les lieux. Placés en garde-à-vue et déférés au parquet, Jean-Marie, Victor, Louis-Sébastien, Augustin et Raphaël[1. Les prénoms ont été modifiés.] auraient été pour deux d’entre eux immédiatement relâchés sans poursuites, et pour les autres remis en liberté dans l’attente du jugement.

Il est vrai que les services judiciaires sont actuellement surchargés et que la justice française, comme la police d’ailleurs, a bien autre chose à faire que réprimer les agissements somme toute anodins de sympathiques jeunes gens qui, dans la fièvre communicative de la victoire de leur club de foot préféré, se prennent à exprimer leur joie en délestant quelques commerces de luxe de leur surplus de marchandise.

La justice a certainement autre chose à faire, comme par exemple condamner sans frémir – dura lex sed lexle nuisible Nicolas, convaincu de rébellion, d’identité mensongère et de refus de prélèvement ADN, chefs d’accusation si terribles qu’ils se sont soldés par deux mois de prison ferme avec mandat de dépôt et 1000 euros d’amende.
La France de 2013, digne héritière de Salomon et de saint Louis, peut se rengorger : elle a la conscience tranquille. Les pillards se dorent au soleil de juin pendant que le rebelle dort en prison.

*Photo : overge.

Trente ans d’art administré

art contemporain exception

En cette année 2013, le ministère de la culture est en pleine célébration des anniversaires d’une bureaucratie crée ex nihilo il y trente ans, dans le but de diriger tous les aspects de la création en France de l’enseignement de l’art à sa consécration. Les études pleuvent et les rapports se succèdent. C’est l’occasion de faire un bilan de ce nouveau Service Public qui  dirige  l’art. Les « inspecteurs de la création » ont éradiqué l’enseignement du dessin, de la peinture et de la sculpture dans les Ecoles Nationales des Beaux Arts. Par ailleurs ont été constituées par les FRAC, FNAC, DRAC, CNAC, institutions nées la même année, des collections régionales et nationales, qui ont fait l’impasse sur toute la création non conceptuelle.
Un rapport sur les vingt trois  FRAC initié par la Fondation IFRAP, montre que pendant ces trois décennies, les fonctionnaires de la création autoproclamés « experts scientifiques », n’ont pas livré les critères de leurs choix hors du cercle administratif décisionnaire, ne les ont ni rédigés[1. Contrairement à ce qui est obligatoire dans d’autres pays et en particulier en Allemagne ou aucun achat ne peut se faire sans que les critères ne soient consignés par écrit avec le prix de l’œuvre dûment mentionnée.], ni justifiés. Ils n’ont pas donné le prix des œuvres, le lieu d’achat et l’identité des vendeurs. Ils n’ont pas subi de contrôle administratif sur leurs décisions d’utilisation de l’argent public.
En trente ans 26 000 œuvres se sont accumulées dans les réserves dont il faut assurer stockage, la conservation et même restauration décennale. Ces œuvres conceptuelles et éphémères, sont parfois exposées dans des les lieux prestigieux du patrimoine et dans des musées renommés, elles y accomplissent leur devoir théorique et moral, leur mission de  mise en « abîme » du lieu, leur « fonction critique ». Puis elles rejoignent la réserve. Là, n’ayant plus de contexte à détourner, elles ne peuvent plus assurer leur service public « révolutionnaire  institutionnel » et perdent instantanément leur statut d’œuvre d’art pour devenir des objets en déshérence. Les budgets, jadis destinés à l’achat d’œuvres, sont consacrés désormais à la gestion des réserves ou à leur  métamorphose en musées.
Que restera-t-il de ces œuvres fantomatiques, de ces caprices « théoriques » ? Que restera t-il dans la mémoire collective, dans l’œil du public de ces choix bureaucratiques? Un archéologue pourra t-il distinguer dans les ruines des réserves d’un FRAC ce qui est de l’ordre du déchet ménager ou de l’art ?
Jadis Jack Lang voulait, grâce à la puissance de l’Etat, « sauver l’avant-garde » négligée par les collectionneurs français. Aujourd’hui,  les inspecteurs de la création, malgré leur pouvoir exorbitant, ne dirigent plus l’art. Certes, ils attribuent de façon régalienne les lieux patrimoniaux prestigieux, la légitimité de l’Etat, la grande visibilité, puissants moteurs de la consécration artistique, mais leurs moyens financiers se sont amoindris. En 2013, sous un gouvernement de gauche, le budget de la culture, connaît une baisse pour la première fois. Aujourd’hui la décision en matière de consécration artistique appartient aux « très grands collectionneurs » internationaux et l’expertise « scientifique » des « inspecteurs de la création » est en réalité au service de leurs caprices.  Paris depuis 2008 a vu arriver pour des raisons de stratégies de marché, les galeries américaines qui l’ont boudé cinquante ans durant pour les mêmes raisons. En 2011, Gagosian couronne le processus. On attend l’ouverture des galeries des grandes maisons de vente pour lancer elles-mêmes les artistes émergents et tenir toutes les étapes de la fabrication de la valeur financière de ces produits.
L’exception française en 2013 est une chimère issue de l’union contre nature d’une bureaucratie publique et d’une stratégie de la finance internationale.

*Photo : Scalino.

Libertine chérie

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fragonard caroline cherie

Notre roman national s’est construit aussi, et peut-être surtout, avec le roman populaire. On le sait au moins depuis Dumas. Non content d’avoir violé l’histoire de France pour lui faire de beaux enfants, Dumas a inventé la quintessence de l’esprit français avec Les Trois Mousquetaires et d’Artagnan : courage, panache et galanterie dans un siècle de Louis XIII envisagé comme le crépuscule des temps héroïques et des vieilles valeurs de la chevalerie.
Pour la Révolution française, les choses furent un peu plus compliquées ou, disons, ambiguës.  1789 a ouvert des lignes de fracture chez les historiens et aussi, logiquement, dans l’imaginaire des écrivains. Pour les uns, la Révolution est un grand moment d’émancipation ; pour les autres, l’avènement d’une époque désenchantée où la France a cessé de se ressembler, selon le célèbre mot de Talleyrand : « Qui n’a pas vécu avant 1789 n’a pas connu la douceur de vivre. »
Dumas, encore lui, incarne ces contradictions : ce fils d’un général de Napoléon, ce révolutionnaire qui finançait Garibaldi, a écrit le plus beau roman royaliste qui soit, Le Chevalier de Maison-Rouge, où il est question d’une expédition désespérée pour sauver Marie-Antoinette. Aujourd’hui encore, défions le robespierriste le plus convaincu de ne pas sentir son cœur battre quand le chevalier se suicide sous l’échafaud pour mourir en même temps que sa souveraine bien-aimée.
Environ cent ans après Dumas, Jacques Laurent, lui aussi, a bien mérité du roman national et en publiant en 1948, sous le pseudonyme de Cecil Saint-Laurent, Caroline Chérie que l’on réédite aujourd’hui.[access capability= »lire_inedits »] Cet intellectuel maurassien né en 1919 et mort en 2000 fut un des « Hussards » de l’après-guerre, avec Michel Déon et Roger Nimier. De tout temps engagé à droite, et même très à droite, viscéralement antigaulliste, Jacques Laurent est aussi l’un des romanciers les plus novateurs du siècle dernier. Sa légende littéraire d’amateur de femmes ou d’historien du sous-vêtement a un peu trop occulté les monuments complexes et les constructions subtiles que sont Les Corps tranquilles ou Les Bêtises.
C’est que Jacques Laurent a lui-même multiplié les masques, et ce pour des raisons alimentaires. Il raconte lui-même, dans son Histoire égoïste, comment il avait grand besoin d’un mécène en ces années de vaches maigres de l’après-guerre. Et comme on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même, Cecil est devenu le mécène de Jacques en écrivant, sur les conseils de l’éditeur Frémanger, un roman sur « le modèle de livres étrangers qui passionnaient le public tels que Ambre ou Autant en emporte le vent ». Le succès est foudroyant (5 millions d’exemplaires…) et fait la fortune, au moins temporaire, de Laurent : « Grâce au premier livre de Cecil Saint-Laurent, je pus terminer et publier sans hâte le premier roman de Jacques Laurent. »
Le succès immense de Caroline Chérie n’est pas seulement dû à la virtuosité narrative de l’auteur. Sa façon d’écrire sans graisse des chapitres courts qui se succèdent à la hâte, et ce jusqu’à former une masse impressionnante que le lecteur se retrouve tout étonné d’avoir dévoré sans peine, doit d’ailleurs plus à Stendhal qu’à Dumas.
On peut penser que la liberté sexuelle de son héroïne y est aussi pour quelque chose. On reste aujourd’hui très agréablement surpris par la précision sensuelle des scènes d’amour et par cette recherche à la fois innocente et acharnée du plaisir. Les féministes de stricte observance elles-mêmes ne trouveraient pas grand-chose à redire à cette revendication permanente de Caroline à une jouissance féminine que certains hommes, qu’ils soient royalistes ou républicains, ont tendance à passer par pertes et profits. L’honnêteté doit cependant nous faire admettre que l’aristocrate garde tout de même un léger avantage dans l’art d’amener Caroline au septième ciel, ce en quoi il a bien du mérite tant la silhouette de la guillotine a vite fait, ici, de projeter son ombre sur l’alcôve parfumée. Quoique chez la jeune Caroline de Bièvre −et l’on retrouve de nouveau le tropisme stendhalien de Laurent, qui aime l’énergie chez ses héroïnes − un séjour à la Conciergerie en pleine Terreur peut donner des orgasmes inédits.
Au-delà des codes propres à ce genre de roman, d’ailleurs parfaitement maîtrisés par Jacques Laurent, il faut remarquer deux ou trois choses à propos de Caroline Chérie. D’abord l’idée qu’un best-seller ait pu avoir une telle qualité littéraire ne peut que rendre nostalgique d’une époque où le talent avait du succès et vice versa. Ensuite, si le roman multiplie galipettes et cavalcades, il se trouve que la reconstitution historique qui sert de toile de fond, couvrant la grosse décennie qui va de 1789 au début du Consulat, n’est pas moins remarquable. Enfin, le libertinage de Caroline nous apparaît aujourd’hui plus que jamais comme une attitude éminemment politique, une sorte d’antidote  aux fanatismes idéologiques. Il est vrai que Jacques Laurent sortait lui-même, quand il rédigea Caroline Chérie, d’une Occupation et d’une Libération qu’il avait pour sa part vécues d’abord et avant tout comme une guerre civile franco-française, encore une…[/access]

En Iran aussi, la transparence c’est maintenant !

Rien ne va plus pour Ahmadinejad. Empêché de briguer un troisième mandant consécutif par la constitution iranienne, le président de la République islamique n’a même pas pu pistonner son gendre et protégé Mashaie, lequel s’est pris les pieds dans le tapis (persan, ça va sans dire) après le rejet de sa candidature par le Conseil des gardiens. Cette humiliation à peine avalée, voilà que l’élection du 14 juin a porté au pouvoir un réformateur qui a fait campagne en tirant à coups de missiles Zalzal sur le bilan de son prédécesseur : népotisme, corruption, croissance en berne, impact de l’isolement du pays sur son économie, etc. Décidément, dur, dur de s’appeler Ahmadinejad en juin 2013…
Pour couronner le tout, la justice iranienne vient chercher des noises à l’ami Mahmoud. Lors de sa dernière escapade à New York, à l’occasion de l’assemblée générale de l’ONU, Ahmadinejad n’a pas seulement brillé par son éloquence et son sens de la formule. Sa délégation a explosé le plafond toléré des notes de frais. Le séjour de quelques jours à l’hôtel Warwick a coûté tellement bonbon au contribuable que le président du parlement, Ali Larijani, l’ancien négociateur nucléaire devenu l’ennemi intime d’Ahmadinejad, a transmis le dossier à la justice, laquelle vient de convoquer le futur-ex président. Vous suivez toujours ?
Je vois d’ici la question – grosse comme Big Apple – que vous vous posez. Mais non, pour l’heure, aucun Edwy Plenel téhéranais ne nous a encore indiqué la nature des films achetés par pay-per-view dans la suite présidentielle.
Trêve de mauvais esprit. Au faîte de son pouvoir, le pauvre Mahmoud n’aurait jamais subi pareille avanie : il faut attendre d’être à terre pour que les chiens vous chassent en meute.
La morale de l’histoire, c’est que l’herbe verte de la transparence pousse partout sur les décombres du politique. M’enfin, on a les Cahuzac qu’on mérite !

Villeneuve-sur-Lot, une Bérézina journalistique

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C’est fait : le jeunot du FN n’a pas ramassé le gros lot à Villeneuve-sur-Lot, et le coq du village UMP l’a largement emporté au deuxième tour de l’élection législative partielle de cette circonscription du Lot-et-Garonne.
Cette élection, provoquée par la chute ignominieuse du député sortant PS Jérôme Cahuzac, avait provoqué une descente massive dans le Sud-Ouest des cadors du journalisme politique parisien, venus tendre leurs grandes oreilles dans les estaminets locaux. Pour eux, à l’issue d’un premier tour, qui avait vu l’élimination du candidat socialiste, l’affaire était quasiment dans le sac : forts de quelques bribes de conversation entendue à l’heure de l’apéro, il ne faisait guère de doute,  pour eux, que le FN Etienne Bousquet-Cassagne allait terrasser Jean-Louis Costes en dépit des appels à « faire barrage au Front national » lancés par les dirigeants du PS. « Le Front Républicain en lambeaux » titrait ainsi Le Monde.fr quelques heures avant le scrutin, donnant le signal à toute la corporation parlante et écrivant de préparer les commentaires adéquats. On avait tellement joué à se faire peur, et on s’était préparé si intensément à son quart d’heure warholien de célébrité sur les chaînes tout infos que l’on se trouva fort dépourvu quand le résultat fut connu. Costes l’a emporté avec une confortable avance, plus grande en tous cas que celle de Jean-François Mancel dans l’élection partielle de l’Oise, avec la même configuration au second tour. Le Front républicain n’est pas mort, ne leur déplaise, et il bande encore suffisamment pour renvoyer un post-adolescent du FN à ses chères études de BTS commerce. Le plantage des augures n’a pas incité ces commentateurs à la modestie et à l’autocritique : leurs analyses étant prêtes d’avance, il fallait les fourguer, quel que soit le verdict des urnes.  On a donc continué à jouer à se faire peur et à gloser sur le tremblement de terre politique issu d’un scrutin local dans la France profonde.
On n’avait rien vu venir, mais on pouvait se consoler en se disant que les collègues du service étranger sont logés à la même enseigne : les envoyés spéciaux à Téhéran, prétendument experts en iranologie ayatollesque, n’ont pas vu venir la vague pro-Rohani lors de l’élection présidentielle, malgré des notes de frais maousses justifiées par la difficulté du terrain. Ils avaient l’excuse de ne pas maîtriser suffisamment le farsi pour sentir le vent politique. Il faut donc croire que le franco-occitan,  qui sert d’outil de communication à  la population de Villeneuve-sur-Lot est aussi indéchiffrable pour nos Rouletabille de la politique intérieure que la langue d’Omar Khayyam pour les aspirants au prix Albert-Londres du reportage exotique.

L’impossible racisme anti-blanc

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licra racisme anti blanc

licra racisme anti blanc

Logiquement, le tribunal correctionnel qui, vendredi à Paris, a condamné Arnaud Djender à trois ans de prison ferme pour une agression commise en septembre 2010 gare du Nord, n’a pas retenu contre lui la circonstance aggravante de racisme, en l’occurrence anti-blanc, requise par le procureur le 26 avril dernier. Térence C., une vingtaine d’années, avait été violemment frappé par deux individus, dont Djender – le coauteur des coups, en fuite, n’a, lui, jamais pu être identifié. Selon des témoins, les auteurs de l’agression avaient proféré des insultes racistes, « sale Blanc » notamment, à l’endroit de la victime, ce que l’accusé, défendu par Me Grégoire Etrillard, avait nié.
La première condamnation en France pour racisme « anti-blanc » n’a donc pas été prononcée. Logiquement, car la LICRA (Ligue contre le racisme et l’antisémitisme), partie civile à l’audience du 26 avril, qui tenait à démontrer qu’un Blanc pouvait être victime de racisme, ne s’est pas donné les moyens d’étayer sa démonstration. Trop casse-gueule, sans doute. Comme si la LICRA avait fait sienne, en quelque sorte, la théorie des Indigènes de la République, selon laquelle il existe en France un « racisme structurel », procédant de la domination des « Blancs » sur les « Arabes », les « Noirs » et autres personnes de « couleur ». Chercher à démontrer, jusqu’au bout, que la victime avait été frappée parce que blanche aurait immanquablement conduit Me Mario-Pierre Stasi, l’avocat représentant la LICRA, à « ethniciser » sa plaidoirie contre le coauteur présumé des coups, par ailleurs tout à fait blanc de visage mais dont le patronyme, Djender, renvoie à une origine berbère.
Me Stasi s’est bien gardé de cela, évitant d’interroger sérieusement le prévenu sur ses fréquentations, son milieu, son passé, alors que des éléments de la biographie de l’accusé et une ou deux de ses réponses à l’audience, faisaient apparaître une personnalité « complexe », entre haine de soi et identité de substitution. Bref, Me Stasi, face à Djender qui niait avoir traité la victime de « sale Blanc » et autres qualificatifs de même acabit, aurait pu chercher à le pousser à un irrémédiable faux pas. Mais c’était risquer de faire le procès de la « banlieue », dont Djender est issu. Me Stasi, lui, risquait de passer, médiatiquement et sociologiquement, pour raciste, et la LICRA à sa suite. Ce n’était pas le but. Il a préféré céder à la pression, « baster », comme on dit en Suisse. Ça s’était senti le 26 avril.
Les juges, qui ont dû trouver bien inconsistants les arguments de la partie civile (le ministère public était quant à lui transparent), ont rendu un verdict somme toute logique, encore une fois. Quelque chose nous dit que la LICRA sort soulagée de ce procès au terme duquel Arnaud Djender a été envoyé en prison pour y purger sa peine.

*Photo : Licra.

Séisme républicain à Villeneuve-sur-Lot

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philippot fn le pen

philippot fn le pen

Le candidat UMP a donc battu le jeune frontiste Etienne Bousquet-Cassagne avec 53 % des voix à l’issue du second tour de l’élection législative partielle de la troisième circonscription du Lot-et-Garonne. Plusieurs leçons peuvent être tirées de ce scrutin.
Tout d’abord, on peut définitivement tirer un trait sur la stratégie de « barrage au FN ». Comme dans l’Oise, les communiqués de Solférino n’ont pas empêché une grande partie des électeurs de gauche de voter pour le candidat mariniste. Si on habitait en aval d’un barrage construit par l’ingénieur de travaux publics Harlem Désir, on déménagerait sur le champ tant ses ouvrages ont du mal à supporter les aléas climatiques, en Picardie comme dans le Sud-Ouest. Les électeurs n’écoutent plus les consignes des instances nationales des partis. Et on peut même imaginer que certains d’entre eux se font un plaisir de faire le contraire de ce qu’on leur demande.
Certaines personnalités socialistes ont pointé des coupables autres que Nicolas Sarkozy, Jérôme Cahuzac ou les candidats EELV et Front de gauche, fauteurs de dispersion des voix. Arnaud Montebourg a ainsi, avant même l’annonce du résultat de la partielle, désigné José Manuel Barroso comme « carburant du vote FN ». Au-delà de l’attaque ad hominem – sans doute liée à la philippique du président de la commission sur la « France réactionnaire » – le ministre du Redressement productif insinue que des électeurs socialistes peuvent préférer voter pour un candidat réclamant davantage de souveraineté et surtout moins d’Europe que pour celui de l’UMP, fût-il soutenu par le PS au nom du « front républicain ». En taclant Barroso, Montebourg ne vise-t-il pas aussi ceux qui ingèrent – en rechignant pour la forme – les potions de la Commission européenne, président de la République en tête ?
Quoi qu’il en soit, cette victoire de l’UMP est un trompe-l’œil. Entre les deux tours, alors qu’aucun des seize candidats du premier tour n’avait appelé à voter pour lui, Bousquet-Cassagne a gagné vingt points. On est loin, très loin, du temps où Jacques Chirac écrasait Jean-Marie Le Pen avec 82 % des voix, scotchant le chef frontiste à son score de premier tour. Le scrutin majoritaire à deux tours et l’absence d’allié semblaient condamner le FN à ne viser autre chose que des scores estimables au premier tour, jamais au second. Décrit comme un parti protestataire et extrémiste, il ne pouvait être un choix de « moindre mal ». Or, la règle du scrutin législatif, « au premier tour, je choisis, au second, j’élimine », exige d’un parti aspirant à la victoire qu’une part importante de l’électorat y voie un second choix acceptable. C’est ce palier-là que le FN de Marine Le Pen est en train de franchir. Et qu’on ne nous fasse pas le coup de « l’élection partielle, pas représentative ». D’abord, les élections partielles sont traditionnellement défavorables au Front national. Soit elles ne le sont plus, et cela démontre qu’il pallie une nouvelle insuffisance. Soit elles l’ont encore été et cela présage de scores encore plus forts lors d’élections générales.
Mais la leçon principale des scrutins de l’Oise et du Lot-et-Garonne, c’est au FN lui-même de la tirer. La stratégie qui a permis à des candidats de gagner vingt points entre les deux tours, c’est bien celle de Florian Philippot. Le Nouvel Obs a publié récemment un dossier sur les bisbilles frontistes et mettait même dans la bouche de Marion Maréchal-Le Pen des dires peu amènes sur la priorité donnée à l’économie et le social : « on fait du sous-Chevènement ou du sous-Mélenchon ». Bien entendu, l’entourage de Marine Le Pen ne confirme pas ces propos. Mais lorsque Philippot salue la mémoire du général de Gaulle le 18 juin, la députée du Vaucluse déclare quelques jours plus tard « qu’elle n’irait pas fleurir la tombe de De Gaulle ». On sait aussi que MMLP, avec son collègue sudiste Collard, prend beaucoup de plaisir à jeter des petits ponts de bois dans l’hémicycle entre les petits fossés qui la séparent de certains députés UMP. Elle rêve de débauchages d’élus UMP lors des élections municipales. Marion Maréchal, comme son grand-père – et sans doute Louis Aliot, le compagnon de sa tante – se considère comme de droite. Si elle ne peut pas faire autrement que d’approuver publiquement le positionnement de sa tante, elle s’efforce malgré tout de contrebalancer l’influence de Florian Philippot. Pendant la présidentielle, il a été reproché à ce dernier d’affaiblir la candidate frontiste en impulsant une ligne moins identitaire et plus souverainiste, davantage axée sur les thèmes économiques. À grand renfort de sondages, on expliquait que face à Nicolas Sarkozy qui appliquait la ligne Buisson, Philippot avait été un des vaincus de cette campagne. C’était sans doute vrai à court terme. Mais c’est la stratégie de Philippot, ainsi que la droitisation concomitante de l’UMP, qui permet aujourd’hui au FN de se rêver en un parti de second tour, bénéficiant de reports de gauche en cas de duel avec la droite, et – n’en doutons pas – de reports encore meilleurs de la droite en cas de duel avec la gauche. Si Marine Le Pen arrive à faire respecter le silence dans les rangs, les prochains rendez-vous électoraux pourraient bien aboutir à de meilleurs résultats que les très honorables défaites de ces derniers mois.
Et même Marion Maréchal Le Pen devrait y trouver son compte. À l’avenir, le Sud-Est droitisé pourrait bien accoucher de nombreux duels entre l’UMP et le FN, donnant aux voix de gauche une importance particulière, comme dans le Lot-et-Garonne et l’Oise. Peut-être alors fréquentera-t-elle davantage le bureau de Philippot afin d’y recueillir ses conseils, plutôt que la buvette de l’Assemblée avec des députés de la Droite populaire, qui seront sans doute les adversaires[1. Elle a d’ailleurs déjà piqué le siège de l’un d’entre eux !] de ses amis en Provence !

*Photo : BFM.

La jeune fille et la Mort

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cecile renault commons

cecile renault commons

À quoi pouvait donc s’occuper Cécile Renault, fille d’un papetier du quartier de la Cité, en ce joli mois de juin parisien d’il y a tout juste 220 ans ? À quoi rêvent les belles de 18 ans lorsque le temps est beau et que, malgré les roulements de tambour, elles ont l’avenir pour elle, des amoureux en pagaille et un papa qui les gâte en leur offrant de mignonnes cocardes de soie, des caracos fleuris ou ces longues jupes rayées qui sont maintenant à la mode ? Si, malgré son âge, Cécile s’intéresse un peu à la politique, si elle aussi a été touchée par cette fièvre qui s’est emparée de Paris lorsqu’elle fêtait ses 14 ans, elle a dû apprendre que, quelques jours plus tôt, ceux qu’on appelle les Girondins ont été proscrits, convaincus de trahison et de complot contre la Révolution par les Montagnards, le groupe désormais dominant que dirige Robespierre.
Sans doute est-elle un peu étonnée d’apprendre que les héros d’hier sont devenus les traîtres d’aujourd’hui, et que ceux qui avaient fondé la République nourrissaient en réalité les plus noirs desseins à son encontre. De même a-t-elle peut-être entendu dire que la Déclaration des droits de l’homme adoptée en 1789, que l’on considérait jusqu’ici comme un texte sacré, contenait « plusieurs principes erronés »[1. Ducos, 17 avril 1793, cité Mortimer-Ternaux, Histoire de la Terreur, Michel Lévy, 1869, tome VII, p.189.], notamment celui de la séparation des pouvoirs, cette « chimère » antirépublicaine importée d’Angleterre. « S’il est vrai que nous ayons fait des découvertes dans les droits des hommes, expliquait alors Barrère, il faut les consacrer par une nouvelle déclaration. »[2. Idem.] Cécile, qui se souvient probablement des mots de Robespierre désignant la Déclaration de 1789 comme l’éternelle constitution de tous les peuples, a pu se demander pourquoi les choses avaient changé − avant d’être rassurée par la proclamation de Billaud-Varenne, affirmant que cette nouvelle Déclaration devrait, cette fois, « fixer en France la liberté » et le « bonheur »[3. Archives parlementaires, 23 juin 1793, t .LVII, page 108.]. Définitivement.[access capability= »lire_inedits »]
Alors que le temps s’étire doucement dans le quartier de la Cité, sur les bords paresseux de la Seine ou dans les gentils marivaudages que Cécile joue avec ses amoureux, là-bas, à la Convention, il s’accélère. Le 23 juin, les Girondins à peine proscrits, l’odeur de poudre des canons de la Commune tout juste dissipée, Hérault de Séchelles – l’ancien favori de Marie-Antoinette devenu l’ennemi le plus farouche de la tyrannie –, vient à la tribune de l’Assemblée présenter la nouvelle rédaction de la Déclaration des droits. Bien sûr, Cécile n’a pas assisté aux débats, mais elle a appris, en lisant les procès-verbaux encore humides dans la boutique de son père, que de « vifs applaudissements » avaient salué la fin de la lecture − après quoi la Déclaration avait été adoptée « en masse » par la Convention, dont les membres s’étaient levés pour manifester leur adhésion enthousiaste.
Mais Cécile sait lire, au besoin entre les lignes. Et elle comprend qu’il y a quelque chose qui cloche : que c’est à ce moment précis que les événements dérapent, et que quelque chose de beaucoup moins enthousiasmant vient subitement de se démasquer. Tout à coup, en effet, les Montagnards  font mine de s’apercevoir avec stupeur que la droite de l’Assemblée, ce qui reste du groupe modéré, s’est abstenue : elle est restée assise. Sans bouger. Sans rien dire. Et Billaud-Varenne de s’offusquer : « Il est bien étonnant que des membres de la Convention refusent de voter cette Déclaration, qui doit fixer en France la liberté. Il faut que le peuple connaisse les hommes qui veulent son bonheur, et ceux qui semblent déjà protester contre le chef d’œuvre de la philanthropie »[4. Idem.]. Jusque-là, rien que de très habituel, l’ancien avocat, réputé pour sa véhémence, ayant coutume d’exiger la tête de tous ceux qui ne pensent pas comme lui. Mais le silence se fait lorsque Robespierre se lève à son tour et demande la parole : Cécile imagine la scène, la Convention subitement muette au point qu’on entendrait une mouche voler, puis le filet de voix nasillard de « l’Incorruptible » : « Le procédé de quelques individus, ironise celui-ci, m’a paru si extraordinaire que je ne puis croire qu’ils adoptent des principes contraires à ceux que nous consacrons, et j’aime à me persuader que, s’ils ne se sont point levés avec nous, c’est plutôt parce qu’ils sont paralytiques que mauvais citoyens »[5. Idem, p.108.]. Cécile n’est pas sotte : elle a compris ce que de tels mots peuvent signifier dans cette atmosphère déjà poisseuse de violence : avec son humour glaçant, Robespierre confirme que ceux qui ne sont pas avec lui sont contre lui, donc contre le peuple et contre la révolution,  ce qui est bien suffisant pour les rendre suspects. Elle devine que ce vote du 23 juin 1793 est quelque chose comme le point de départ d’une longue descente aux enfers – au cours de laquelle la Déclaration, non seulement n’empêchera pas les atteintes répétées aux droits, mais servira à les justifier. Car c’est au nom du « bonheur commun », dont l’article 1er affirme qu’il constitue le « but de la société »,  que Robespierre décrétera la Terreur, multipliera les proscriptions et planifiera les massacres. Le bonheur commun : de toute évidence, cet idéal justifie toutes les exactions, d’autant plus légitimes que les ennemis d’un tel bonheur ne sauraient être que des monstres.
Onze mois plus tard, jour pour jour, le 23 mai 1794, Cécile, n’y tenant plus, se présente au domicile de Robespierre, 398 Faubourg Saint-Honoré. Il n’y est pour personne, trop occupé à déjouer de nouveaux complots imaginaires et à échafauder de nouveaux rêves. Mais Cécile insiste : les époux Duplay, qui logent le grand homme, avertissent la police, qui vient l’arrêter et l’interrogent sur-le-champ. La jeune fille répond qu’elle n’est venue  « que pour voir comment est fait un tyran ». Ses aveux restent énigmatiques, la jeune fille semble bien peu effrayante, mais on a trouvé sur elle un petit canif, peut-être celui qui servait à son père pour ouvrir les ballots de chiffons. Elle sera donc inculpée de tentative d’assassinat sur Robespierre, puis condamnée à mort.
Ce jour-là, le 17 juin 1794, il fait aussi doux qu’il y a un an, Paris est aussi lumineux, mais Cécile a changé de vêtements : pour aller à la guillotine, on lui a fait revêtir une chemise de serge rouge, celle que portaient sous l’Ancien Régime les personnes condamnées pour parricide ou pour régicide[6. Cf B. Baczko, Politiques de la Révolution française, Folio histoire, 2008, p. 143.]. Un mois et demi plus tard, lorsque Robespierre, à son tour, sera conduit à l’échafaud, nul doute que certains de ceux qui chanteront et danseront et riront aux éclats et s’embrasseront et se congratuleront au passage de la charrette où l’on a installé le tyran déchu songeront aussi, mélancoliquement, au sacrifice de la jeune fille en rouge, qui aurait tant aimé danser avec eux.[/access]

*Image : l’arrestation de Cécile Renault (wiki commons).

Sartre, Debord, Muray : de l’engagement au dégagement

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muray debord sartre

muray debord sartre

On ne peut s’empêcher de tenter d’imaginer ce qu’aurait écrit Philippe Muray concernant la « nuit Sartre » proposée récemment par l’ENS. L’hommage rendu par la prestigieuse école organisant un « événement Sartre » possède tous les traits de l’inversion « festiviste ». Pourquoi une « nuit Sartre » si ce n’est pour faire oublier que celui-ci règne depuis si longtemps sur nos jours ?   
Et pourtant Muray lui-même ne peut se comprendre en dehors d’une certaine filiation sartrienne. Il est l’anti-Sartre. Il est celui qui se dresse et se dressera toujours davantage, face à Sartre, comme le grand maître du dégagement. Muray ne vient pas de la filiation aronienne, il ne vient pas « de la droite ». Il vient du gauchisme et ne s’en est jamais caché. Mais il est celui qui va achever le gauchisme de l’intérieur, poussant la négation gauchiste jusqu’à la négation d’elle-même, retournant l’exigence absolue d’engagement en exigence absolue de dégagement. Qui voudrait éclairer l’histoire de ce renversement devrait s’intéresser à une autre figure qui est comme le pivot du passage de l’engagement au dégagement. Nous voulons parler de Guy Debord.
Debord et Muray resteront des classiques. Le premier saisit par des fulgurances conceptuelles les traits profonds de l’aliénation contemporaine. Le second développe, comme d’indispensables notes en bas de pages de l’œuvre du premier, les caractères les plus concrets et les plus sensibles de cette aliénation grâce à un immense talent d’écrivain. Leur proximité est troublante et a troublé Muray lui-même, qui a eu du mal à reconnaître sa dette envers Debord. Mais repartons de l’ombre tutélaire sartrienne.
Ce qui relie Debord à Sartre est le concept de « situation ». Certes, Debord a cherché à dépasser Sartre sur sa gauche dans la radicalité de la critique. Debord reproche à Sartre de se contenter de penser la situation alors qu’il s’agit de la transformer, de « construire des situations ». Mais Debord partage avec Sartre une même conception de la liberté comme transformation créatrice de la situation. Or il s’avérera que la situation, devenue « La Société du spectacle », interdit l’affirmation d’une liberté créatrice. L’aliénation est devenue telle que plus aucun point d’appui ne peut être trouvé dans la société, fût-il celui de la « classe ». La classe comme sujet collectif d’une transformation de la situation – les Conseils ouvriers – se perd dans les mirages de la consommation comme dans les mensonges de la bureaucratie marxiste. L’engagement, perdant son point d’appui sur la classe absente, s’étiolera, et l’Internationale Situationniste sera dissoute. La critique se « dégagera » peu à peu pour devenir une superbe méditation solitaire et littéraire sur l’impasse d’une société et peut-être aussi sur l’échec d’une vie passée à la combattre. A partir d’In girum imus nocte et consumimur igni, en passant par les Commentaires et Panégyrique c’est déjà le dégagement aristocratique de Muray qui s’annonce.
Quelle est en effet la « situation » dont part Muray et qui détermine son « dégagement » ? C’est celle d’une décomposition totale des conditions sociales et politiques de l’existence humaine. Décomposition telle que plus aucun appui ne peut être trouvé dans ces conditions pour, selon un mot « festiviste » que Muray abhorerait : « rebondir ». Rien dans les conditions de l’époque ne mérite d’être sauvé mais tout mérite d’être poussé à la plus extrême destruction. Le « Non » opposé par Muray à l’époque traduit le refus de toute possibilité d’engagement, ainsi que la nécessité inverse et non moins absolue de se dégager de la situation, pour ne pas être décomposé par elle, et conserver ainsi la force de lui opposer une altérité irréductible. Rien ne trouve grâce aux yeux de Muray dans l’époque et c’est ce que celle-ci, toute occupée à son autocélébration, ne lui pardonne pas. Muray répète exactement la posture du dernier Debord : une incompatibilité géniale avec l’époque permet une critique géniale. Dans les deux cas  on observe aussi une conscience aigüe de cette génialité et une ironie dévastatrice. Est-ce cette troublante proximité des personnalités qui pousse Muray à accuser les différences de pensée ? Au moment de la publication des Commentaires Muray reconnaît en Debord une « grande pensée ». Par la suite et à mesure qu’il s’engagera dans la « théorisation » d’Homo Festivus, il n’aura de cesse d’amoindrir la pertinence des analyses du théoricien du « Spectacle ». Or il apparaît assez évident que sur le plan théorique la catégorie du « Festif » n’apporte rien de plus à celle du « Spectacle ». Muray reproche certes à Debord de critiquer la séparation au nom d’une union ou fusion utopique qui serait justement celle que prétend réaliser la société festiviste. Mais Debord ne critique pas la séparation réelle des individus. Il critique simplement le mensonge du spectacle qui prétend les réunir : « Le spectacle réunit le séparé mais il le réunit en tant que séparé ». Ou pour le dire avec Tocqueville parlant de l’homme de la démocratie future : « (…) il est à côté d’eux mais ne les voit pas, il les touche et ne les sent point (…) ». Or le festif procède de la même logique : la proximité absolue de la fête n’est possible que sur le fond de l’absolue séparation. De même Muray reproche à Debord de penser le spectateur comme seulement contemplatif alors qu’Homo Festivus serait acteur. Mais Debord a maintes fois combattu l’interprétation réductrice qui identifie le spectacle au médiatique. Le spectacle est la production d’une réalité selon l’image, non la simple production d’une image. La critique du tourisme de Muray est une parfaite application de la critique du spectacle. Le touriste « agit » en tant que spectateur, et la réalité qu’il « contemple » n’est pas une simple image, mais une réalité reconstruite à partir de l’image. Il est un seul point où Muray semble se séparer de Debord. Ce point est celui de l’espoir révolutionnaire. L’aliénation a tellement réussi qu’elle interdit tout espoir. Il n’y a plus aucun sujet collectif capable d’entreprendre une autre histoire. Pire, ce sont les individus eux-mêmes qui veulent et produisent leur aliénation. Ne reste que l’intellectuel dégagé et séparé de l’Histoire achevée et qui l’assume. Là encore Debord précède Muray : « Voilà toute une civilisation qui brûle, chavire et s’enfonce toute entière. Ah ! Le beau torpillage ! ». Le Spectacle comme le Festif, ont achevé l’aliénation, et ne laissent aucun sujet collectif intact, susceptible de transformer la société. Ne reste que l’auteur de la critique qui affirme souverainement ses passions et son altérité. C’est sur le fond de l’expérience individuelle et géniale de l’artiste que la critique demeure possible.
Quoi de commun entre le Maître de l’engagement qu’est Sartre et le Maître du dégagement qu’est Muray ?  Sans doute la tentation de faire jouer à la littérature un rôle directement « politique ». Muray ne reste-t-il pas finalement fidèle à la perspective d’une littérature engagée ? C’est aussi le politique déçu qui se fait écrivain. L’impossibilité d’une transformation réelle de la société débouche sur la nécessité d’une critique radicale assumant son caractère littéraire : « S’il y a aujourd’hui quelque chose d’urgent, c’est de mettre sur pied une critique complète et artistique du monde (…) ». Le maître du dégagement qu’est Philippe Muray est bien la dernière figure, figure paradoxale, de l’intellectuel engagé.

Exclusif : ma lettre à Karine Berger

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Le jour du solstice d’été, la France a découvert une étoile. Malgré les railleries inévitables, on se rappellera sans doute dans un siècle de cette journée où le melon de Gap supplanta pour l’éternité celui de Cavaillon. Refuser de passer à côté de son destin. Prendre sa plume. Ce n’est pas tous les jours qu’on propose ses services à Winston Churchill ou Indira Gandhi !
« Chère Karine, très brièvement et respectueusement.
1) Je suis à tes côtés pour te servir et servir tes projets pour la France.
2) J’ai fait de mon mieux et j’ai pu échouer périodiquement. Je t’en demande pardon.
3) Je n’ai pas d’ambitions politiques personnelles et je n’ai pas le désir de devenir un ambitieux servile comme nombre de ceux qui t’entourent dont la loyauté est parfois récente et parfois peu durable.
4) Utilise-moi pendant le temps qui te convient et convient à ton action et à ton casting.
5) Si tu m’utilises, j’ai besoin de toi comme guide et comme soutien : sans guide, je risque d’être inefficace, sans soutien, je risque d’être peu crédible. Avec mon immense admiration. David D. » 

 

Casseurs du Trocadéro : clémence pour tous?

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trocadero psg manif tous

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L’affaire du RER D, où les détrousseurs de diligence ont écopé d’un maximum de 10 mois de prison avec sursis, est à peine froide qu’une autre décision étrange des juges vient renforcer l’idée d’une justice politique, ou au moins à deux vitesses, dans la France de François Hollande, de Manuel Valls et de Christiane Taubira. Comme le montrent ces vidéos inédites faites par des riverains du XVIème arrondissement le 13 mai dernier lors de la célébration de la victoire du PSG en championnat de France au Trocadéro, et dont l’authenticité est confirmée par des sources policières, des jeunes gens à casquette et survêtement se sont livrés au pillage en règle d’une grande bijouterie sur une artère du quartier bourgeois de la capitale.
Toujours selon nos sources, cinq délinquants auraient été pris en flagrant délit et arrêtés par des policiers arrivés sur les lieux. Placés en garde-à-vue et déférés au parquet, Jean-Marie, Victor, Louis-Sébastien, Augustin et Raphaël[1. Les prénoms ont été modifiés.] auraient été pour deux d’entre eux immédiatement relâchés sans poursuites, et pour les autres remis en liberté dans l’attente du jugement.

Il est vrai que les services judiciaires sont actuellement surchargés et que la justice française, comme la police d’ailleurs, a bien autre chose à faire que réprimer les agissements somme toute anodins de sympathiques jeunes gens qui, dans la fièvre communicative de la victoire de leur club de foot préféré, se prennent à exprimer leur joie en délestant quelques commerces de luxe de leur surplus de marchandise.

La justice a certainement autre chose à faire, comme par exemple condamner sans frémir – dura lex sed lexle nuisible Nicolas, convaincu de rébellion, d’identité mensongère et de refus de prélèvement ADN, chefs d’accusation si terribles qu’ils se sont soldés par deux mois de prison ferme avec mandat de dépôt et 1000 euros d’amende.
La France de 2013, digne héritière de Salomon et de saint Louis, peut se rengorger : elle a la conscience tranquille. Les pillards se dorent au soleil de juin pendant que le rebelle dort en prison.

*Photo : overge.

Trente ans d’art administré

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art contemporain exception

art contemporain exception

En cette année 2013, le ministère de la culture est en pleine célébration des anniversaires d’une bureaucratie crée ex nihilo il y trente ans, dans le but de diriger tous les aspects de la création en France de l’enseignement de l’art à sa consécration. Les études pleuvent et les rapports se succèdent. C’est l’occasion de faire un bilan de ce nouveau Service Public qui  dirige  l’art. Les « inspecteurs de la création » ont éradiqué l’enseignement du dessin, de la peinture et de la sculpture dans les Ecoles Nationales des Beaux Arts. Par ailleurs ont été constituées par les FRAC, FNAC, DRAC, CNAC, institutions nées la même année, des collections régionales et nationales, qui ont fait l’impasse sur toute la création non conceptuelle.
Un rapport sur les vingt trois  FRAC initié par la Fondation IFRAP, montre que pendant ces trois décennies, les fonctionnaires de la création autoproclamés « experts scientifiques », n’ont pas livré les critères de leurs choix hors du cercle administratif décisionnaire, ne les ont ni rédigés[1. Contrairement à ce qui est obligatoire dans d’autres pays et en particulier en Allemagne ou aucun achat ne peut se faire sans que les critères ne soient consignés par écrit avec le prix de l’œuvre dûment mentionnée.], ni justifiés. Ils n’ont pas donné le prix des œuvres, le lieu d’achat et l’identité des vendeurs. Ils n’ont pas subi de contrôle administratif sur leurs décisions d’utilisation de l’argent public.
En trente ans 26 000 œuvres se sont accumulées dans les réserves dont il faut assurer stockage, la conservation et même restauration décennale. Ces œuvres conceptuelles et éphémères, sont parfois exposées dans des les lieux prestigieux du patrimoine et dans des musées renommés, elles y accomplissent leur devoir théorique et moral, leur mission de  mise en « abîme » du lieu, leur « fonction critique ». Puis elles rejoignent la réserve. Là, n’ayant plus de contexte à détourner, elles ne peuvent plus assurer leur service public « révolutionnaire  institutionnel » et perdent instantanément leur statut d’œuvre d’art pour devenir des objets en déshérence. Les budgets, jadis destinés à l’achat d’œuvres, sont consacrés désormais à la gestion des réserves ou à leur  métamorphose en musées.
Que restera-t-il de ces œuvres fantomatiques, de ces caprices « théoriques » ? Que restera t-il dans la mémoire collective, dans l’œil du public de ces choix bureaucratiques? Un archéologue pourra t-il distinguer dans les ruines des réserves d’un FRAC ce qui est de l’ordre du déchet ménager ou de l’art ?
Jadis Jack Lang voulait, grâce à la puissance de l’Etat, « sauver l’avant-garde » négligée par les collectionneurs français. Aujourd’hui,  les inspecteurs de la création, malgré leur pouvoir exorbitant, ne dirigent plus l’art. Certes, ils attribuent de façon régalienne les lieux patrimoniaux prestigieux, la légitimité de l’Etat, la grande visibilité, puissants moteurs de la consécration artistique, mais leurs moyens financiers se sont amoindris. En 2013, sous un gouvernement de gauche, le budget de la culture, connaît une baisse pour la première fois. Aujourd’hui la décision en matière de consécration artistique appartient aux « très grands collectionneurs » internationaux et l’expertise « scientifique » des « inspecteurs de la création » est en réalité au service de leurs caprices.  Paris depuis 2008 a vu arriver pour des raisons de stratégies de marché, les galeries américaines qui l’ont boudé cinquante ans durant pour les mêmes raisons. En 2011, Gagosian couronne le processus. On attend l’ouverture des galeries des grandes maisons de vente pour lancer elles-mêmes les artistes émergents et tenir toutes les étapes de la fabrication de la valeur financière de ces produits.
L’exception française en 2013 est une chimère issue de l’union contre nature d’une bureaucratie publique et d’une stratégie de la finance internationale.

*Photo : Scalino.

Libertine chérie

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fragonard caroline cherie

fragonard caroline cherie

Notre roman national s’est construit aussi, et peut-être surtout, avec le roman populaire. On le sait au moins depuis Dumas. Non content d’avoir violé l’histoire de France pour lui faire de beaux enfants, Dumas a inventé la quintessence de l’esprit français avec Les Trois Mousquetaires et d’Artagnan : courage, panache et galanterie dans un siècle de Louis XIII envisagé comme le crépuscule des temps héroïques et des vieilles valeurs de la chevalerie.
Pour la Révolution française, les choses furent un peu plus compliquées ou, disons, ambiguës.  1789 a ouvert des lignes de fracture chez les historiens et aussi, logiquement, dans l’imaginaire des écrivains. Pour les uns, la Révolution est un grand moment d’émancipation ; pour les autres, l’avènement d’une époque désenchantée où la France a cessé de se ressembler, selon le célèbre mot de Talleyrand : « Qui n’a pas vécu avant 1789 n’a pas connu la douceur de vivre. »
Dumas, encore lui, incarne ces contradictions : ce fils d’un général de Napoléon, ce révolutionnaire qui finançait Garibaldi, a écrit le plus beau roman royaliste qui soit, Le Chevalier de Maison-Rouge, où il est question d’une expédition désespérée pour sauver Marie-Antoinette. Aujourd’hui encore, défions le robespierriste le plus convaincu de ne pas sentir son cœur battre quand le chevalier se suicide sous l’échafaud pour mourir en même temps que sa souveraine bien-aimée.
Environ cent ans après Dumas, Jacques Laurent, lui aussi, a bien mérité du roman national et en publiant en 1948, sous le pseudonyme de Cecil Saint-Laurent, Caroline Chérie que l’on réédite aujourd’hui.[access capability= »lire_inedits »] Cet intellectuel maurassien né en 1919 et mort en 2000 fut un des « Hussards » de l’après-guerre, avec Michel Déon et Roger Nimier. De tout temps engagé à droite, et même très à droite, viscéralement antigaulliste, Jacques Laurent est aussi l’un des romanciers les plus novateurs du siècle dernier. Sa légende littéraire d’amateur de femmes ou d’historien du sous-vêtement a un peu trop occulté les monuments complexes et les constructions subtiles que sont Les Corps tranquilles ou Les Bêtises.
C’est que Jacques Laurent a lui-même multiplié les masques, et ce pour des raisons alimentaires. Il raconte lui-même, dans son Histoire égoïste, comment il avait grand besoin d’un mécène en ces années de vaches maigres de l’après-guerre. Et comme on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même, Cecil est devenu le mécène de Jacques en écrivant, sur les conseils de l’éditeur Frémanger, un roman sur « le modèle de livres étrangers qui passionnaient le public tels que Ambre ou Autant en emporte le vent ». Le succès est foudroyant (5 millions d’exemplaires…) et fait la fortune, au moins temporaire, de Laurent : « Grâce au premier livre de Cecil Saint-Laurent, je pus terminer et publier sans hâte le premier roman de Jacques Laurent. »
Le succès immense de Caroline Chérie n’est pas seulement dû à la virtuosité narrative de l’auteur. Sa façon d’écrire sans graisse des chapitres courts qui se succèdent à la hâte, et ce jusqu’à former une masse impressionnante que le lecteur se retrouve tout étonné d’avoir dévoré sans peine, doit d’ailleurs plus à Stendhal qu’à Dumas.
On peut penser que la liberté sexuelle de son héroïne y est aussi pour quelque chose. On reste aujourd’hui très agréablement surpris par la précision sensuelle des scènes d’amour et par cette recherche à la fois innocente et acharnée du plaisir. Les féministes de stricte observance elles-mêmes ne trouveraient pas grand-chose à redire à cette revendication permanente de Caroline à une jouissance féminine que certains hommes, qu’ils soient royalistes ou républicains, ont tendance à passer par pertes et profits. L’honnêteté doit cependant nous faire admettre que l’aristocrate garde tout de même un léger avantage dans l’art d’amener Caroline au septième ciel, ce en quoi il a bien du mérite tant la silhouette de la guillotine a vite fait, ici, de projeter son ombre sur l’alcôve parfumée. Quoique chez la jeune Caroline de Bièvre −et l’on retrouve de nouveau le tropisme stendhalien de Laurent, qui aime l’énergie chez ses héroïnes − un séjour à la Conciergerie en pleine Terreur peut donner des orgasmes inédits.
Au-delà des codes propres à ce genre de roman, d’ailleurs parfaitement maîtrisés par Jacques Laurent, il faut remarquer deux ou trois choses à propos de Caroline Chérie. D’abord l’idée qu’un best-seller ait pu avoir une telle qualité littéraire ne peut que rendre nostalgique d’une époque où le talent avait du succès et vice versa. Ensuite, si le roman multiplie galipettes et cavalcades, il se trouve que la reconstitution historique qui sert de toile de fond, couvrant la grosse décennie qui va de 1789 au début du Consulat, n’est pas moins remarquable. Enfin, le libertinage de Caroline nous apparaît aujourd’hui plus que jamais comme une attitude éminemment politique, une sorte d’antidote  aux fanatismes idéologiques. Il est vrai que Jacques Laurent sortait lui-même, quand il rédigea Caroline Chérie, d’une Occupation et d’une Libération qu’il avait pour sa part vécues d’abord et avant tout comme une guerre civile franco-française, encore une…[/access]

En Iran aussi, la transparence c’est maintenant !

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Rien ne va plus pour Ahmadinejad. Empêché de briguer un troisième mandant consécutif par la constitution iranienne, le président de la République islamique n’a même pas pu pistonner son gendre et protégé Mashaie, lequel s’est pris les pieds dans le tapis (persan, ça va sans dire) après le rejet de sa candidature par le Conseil des gardiens. Cette humiliation à peine avalée, voilà que l’élection du 14 juin a porté au pouvoir un réformateur qui a fait campagne en tirant à coups de missiles Zalzal sur le bilan de son prédécesseur : népotisme, corruption, croissance en berne, impact de l’isolement du pays sur son économie, etc. Décidément, dur, dur de s’appeler Ahmadinejad en juin 2013…
Pour couronner le tout, la justice iranienne vient chercher des noises à l’ami Mahmoud. Lors de sa dernière escapade à New York, à l’occasion de l’assemblée générale de l’ONU, Ahmadinejad n’a pas seulement brillé par son éloquence et son sens de la formule. Sa délégation a explosé le plafond toléré des notes de frais. Le séjour de quelques jours à l’hôtel Warwick a coûté tellement bonbon au contribuable que le président du parlement, Ali Larijani, l’ancien négociateur nucléaire devenu l’ennemi intime d’Ahmadinejad, a transmis le dossier à la justice, laquelle vient de convoquer le futur-ex président. Vous suivez toujours ?
Je vois d’ici la question – grosse comme Big Apple – que vous vous posez. Mais non, pour l’heure, aucun Edwy Plenel téhéranais ne nous a encore indiqué la nature des films achetés par pay-per-view dans la suite présidentielle.
Trêve de mauvais esprit. Au faîte de son pouvoir, le pauvre Mahmoud n’aurait jamais subi pareille avanie : il faut attendre d’être à terre pour que les chiens vous chassent en meute.
La morale de l’histoire, c’est que l’herbe verte de la transparence pousse partout sur les décombres du politique. M’enfin, on a les Cahuzac qu’on mérite !