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En Iran aussi, la transparence c’est maintenant !

Rien ne va plus pour Ahmadinejad. Empêché de briguer un troisième mandant consécutif par la constitution iranienne, le président de la République islamique n’a même pas pu pistonner son gendre et protégé Mashaie, lequel s’est pris les pieds dans le tapis (persan, ça va sans dire) après le rejet de sa candidature par le Conseil des gardiens. Cette humiliation à peine avalée, voilà que l’élection du 14 juin a porté au pouvoir un réformateur qui a fait campagne en tirant à coups de missiles Zalzal sur le bilan de son prédécesseur : népotisme, corruption, croissance en berne, impact de l’isolement du pays sur son économie, etc. Décidément, dur, dur de s’appeler Ahmadinejad en juin 2013…
Pour couronner le tout, la justice iranienne vient chercher des noises à l’ami Mahmoud. Lors de sa dernière escapade à New York, à l’occasion de l’assemblée générale de l’ONU, Ahmadinejad n’a pas seulement brillé par son éloquence et son sens de la formule. Sa délégation a explosé le plafond toléré des notes de frais. Le séjour de quelques jours à l’hôtel Warwick a coûté tellement bonbon au contribuable que le président du parlement, Ali Larijani, l’ancien négociateur nucléaire devenu l’ennemi intime d’Ahmadinejad, a transmis le dossier à la justice, laquelle vient de convoquer le futur-ex président. Vous suivez toujours ?
Je vois d’ici la question – grosse comme Big Apple – que vous vous posez. Mais non, pour l’heure, aucun Edwy Plenel téhéranais ne nous a encore indiqué la nature des films achetés par pay-per-view dans la suite présidentielle.
Trêve de mauvais esprit. Au faîte de son pouvoir, le pauvre Mahmoud n’aurait jamais subi pareille avanie : il faut attendre d’être à terre pour que les chiens vous chassent en meute.
La morale de l’histoire, c’est que l’herbe verte de la transparence pousse partout sur les décombres du politique. M’enfin, on a les Cahuzac qu’on mérite !

Angry in the UK

angry brigade anachisme

Londres 1969. Les feux de la subversion embrasent Notting Hill. Dans les squats, des communautés hippies s’essaient à la vie alternative. À la marge, si quelques journaux interlopes (Freedom, Red Mole, Oz…) alimentent le flot contestataire, l’ultragauche britannique cherche sa voie. Il faut dire que le tumulte gronde aux portes du monde « libre » : émeutes antiségrégationnistes de Watts (1965), guerre du Vietnam, guérillas sud-américaines… Les exemples étrangers ne manquent pas pour des  libertaires qui rêvent de farder l’Union Jack des deux couleurs de l’anarchie, le rouge pour naître à Barcelone, le noir pour mourir à Paris. Car la contre-culture mods a fait son temps et l’esprit de révolte passe désormais par la solidarité avec les camarades espagnols persécutés par le franquisme. On souffle aussi sur les dernières braises de mai 68. Entre deux lectures de Debord et Vaneigem, certains rêvent d’en découdre avec la société marchande. Mais le premier gros coup d’éclat prend des accents tiers-mondistes : le mitraillage de l’ambassade américaine de Londres  alerte l’opinion sur le drame vietnamien sans faire aucune victime. Scotland Yard retrouvera l’arme de l’attentat quatre ans plus tard, dans la fouille de l’appartement qu’occupent les membres d’un mystérieux groupuscule : la Angry Brigade.
Quezaco ? Avec son logo barré d’une kalachnikov, cet aréopage de francs-tireurs tombés dans l’oubli a enfin droit à un essai en français. Plus de quarante ans après la vague radicale qui secoua Londres, L’Echappée publie la traduction du beau livre de Servando Rocha, Angry brigade. Contre-culture et luttes explosives en Angleterre (1968-1972). De quoi se dégourdir les neurones dans notre univers spectaculaire où les bras cassés et les rebelles sans cause, estampillés de droite ou de gauche, s’acoquinent au grand capital. Ancrée dans l’internationalisme anar, la Angry Brigade adopte un nom qui sent bon l’Espagne de 1936. Son blase la suivra pendant les dix-huit mois de guérilla urbaine au cours desquels elle déjouera tous les plans de Scotland Yard et du MI-5. L’Espagne ne faisait pas seulement office de mythologie, c’était surtout un théâtre d’opérations pour les amis du réseau anarchiste Primero de Mayo. Entre Madrid et Londres, Stuart Christie assure la liaison. Ce dernier a été arrêté à l’âge de dix-huit ans en 1964, avec des explosifs qu’il destinait à un attentat contre Franco. Convaincu de tentative d’assassinat contre le satrape ibérique, Christie sera condamné à vingt ans de prison mais n’en purgera que trois, la pression internationale obtenant sa libération anticipée. Aux côtés de John Barker, étudiant à Cambridge traducteur de textes situationnistes à ses heures perdues, Chris Bott, Angela Weir, Jim Greenfield, et du prolétaire de la bande Jake Prescott, Christie met sur pied une organisation informelle au rituel immuable : l’explosion sans victime, suivi d’un communiqué de revendication dans le plus pur style pro-situ.
À son arrivée au pouvoir en 1970, le gouvernement conservateur Heath aura maille à partir avec ces rêveurs de l’absolu. Sa politique de dérégulation, systématiquement en faveur des grands industriels, met le pays à feu et à sang, Heath décrétant même l’état d’urgence pour affronter la grande grève des dockers de juillet 1970. Confronté à un nombre de mouvements sociaux inégalé depuis… 1926, le pouvoir britannique affronte de surcroît une frange déterminée d’activistes qui refusent de retourner la violence d’Etat en assassinats politiques. Dès février 1969, la police découvre – avant qu’elles n’explosent – des bombes devant les sièges londoniens de la banque d’Espagne et de la banque de Bilbao. C’est le début de l’engrenage.
La Angry Brigade va désormais tracer sa révolution autour des astres de l’appareil d’Etat : ministres, polices, justice, aucun n’est blessé mais tous sont frappés. Sitôt l’appartement du chef de la police londonienne plastiqué, fin août 1970, un communiqué cingle : il est signé…  Butch Cassidy et The Sundance Kid, du nom des légendes de l’Ouest américain ! Avec son art du détournement, son humour grinçant et sa phraséologie situ, la Angry Brigade s’est trouvé un style propre, que l’on retrouve par exemple dans le communiqué revendiquant l’attentat du 1er mai 1971 contre le grand magasin de mode Biba : « Si tu n’es pas en train de naître, c’est que tu es en train d’acheter.  On oblige toutes les employées des boutiques de prêt-à-porter à porter les mêmes habits et le même maquillage pour rappeler les années 1940. Dans la mode comme partout ailleurs, le capitalisme ne pourra faire que marche arrière, car il n’a nulle part où aller. Il est mort. Le futur est nôtre. La vie est si ennuyeuse qu’il n’y a rien d’autre à faire que de dépenser notre salaire dans l’achat d’une jupe ou d’une chemise. Frères et sœurs, quels sont vos désirs réels ? Être assis dans cette cafétéria, le regard distant, vide, mélancolique, à boire un café fadasse ou LA FAIRE SAUTER ET Y FOUTRE LE FEU ? La seule chose à faire avec ces temples modernes de l’esclavage appelés boutiques, c’est de LES DETRUIRE. On ne peut pas réformer le capitalisme et l’inhumanité. Il faut plutôt les frapper jusqu’à ce qu’ils se brisent. Révolution ! »
Les victimes de la mode apprécieront. Comme toute aventure a une fin, après vingt-cinq explosions, jets de cocktails Molotov et autres plasticages, la bande se fait pincer dans son appartement de Stoke Newington un jour d’août 1971. Les huit inculpés jugés pour « conspiration en vue de causer des explosions » sont aux premières loges du plus long procès criminel de l’histoire britannique. Et les verdicts se font à l’avenant : aucune preuve ni indice tangible ne départage les quatre acquittés (Weir, Christie, Mc Lean, Bott) des quatre condamnés à dix ans de prison (Greenfield, Barker, Creek, Mendelson). L’arbitraire de la justice éclate au grand jour le 7 décembre, les lourdes condamnations provoquent l’indignation jusque dans les rangs des conservateurs, qui furent pourtant leurs cibles de choix.
Que restera-t-il de ses micro-pamphlets ? Une odeur de poudre dispersée, quelques remugles révolutionnaires incapables d’amener le Grand soir aux masses prolétaires, mais aussi et surtout la volonté quasi-luddite de détruire l’ordre social de l’intérieur sans haine ni violence, comme on sabote sa propre machine.
Contre vents et marées contraires, le fil de la solidarité anarchiste se perpétuera plusieurs années après l’éparpillement des conjurés. D’anciens brigadistes soutiendront ainsi la cause du martyr catalan Puig Antich (pendu en 1974) puis la lutte pour la libération des libertaires espagnols de la prison de Ségovie (1980).
Chez Stuart, John, Anna et tous les autres, longtemps retentira l’écho du vieux sage : « nul ne saurait compter ceux qui à chaque instant languissent dans les geôles de ce monde »[1. Ernst Jünger, Héliopolis, Christian Bourgois.].

Documentaire de la BBC sur la Angry brigade

Angry brigade. Contre-culture et luttes explosives en Angleterre (1968-1972), Servando Rocha, L’Echappée, 2013.

La liberté, c’est-à-dire le maxi-Coke!

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hygienisme new york

Pour lutter contre l’obésité, le maire de New York, Michael Bloomberg, avait décidé d’interdire dans sa ville la vente de gobelets de sodas « supersized », de plus d’un demi-litre. Cette interdiction faisait suite à d’autres mesures hygiénistes comme l’interdiction de fumer, d’abord dans les bars et restaurants, puis dans les parcs et plages, qui avaient été moins critiquées du fait de l’argument du tort causé à autrui… qui ne peut guère s’appliquer dans le cas des sodas. Le 11 mars, à la veille de son entrée en vigueur, cette interdiction a été rejetée par le juge Milton Tingling, de la Cour suprême de l’État de New York.  Bloomberg a annoncé qu’il ferait appel et en est revenu à ses chères cigarettes, dont il a décidé le 18 mars qu’elles ne seraient désormais plus visibles dans les boutiques.
La décision du juge Tingling était pourtant cinglante, interdisant « de façon permanente à la ville de créer et d’imposer de nouvelles réglementations ». Pointant les différences de traitement entre les établissements vendant des boissons et entre les boissons sucrées elles-mêmes, le juge qualifie l’interdiction d’« arbitraire et capricieuse ». Il ajoute que le Bureau de santé de la ville de New York, en s’arrogeant des capacités législatives qu’il n’a pas, ne « fait pas que violer la séparation des pouvoirs, mais l’éviscère » et crée ainsi un véritable « Léviathan administratif ». C’est là un trouble bien plus grave que celui occasionné par quelques boissons sucrées.[access capability= »lire_inedits »]
Le sympathique juge Tingling, ancien chauffeur de taxi et conducteur de métro, est devenu un héros pour tous ceux, et ils sont heureusement encore nombreux aux États-Unis, qui s’insurgent contre le « Nanny State », l’État-nounou : la « Big Apple » ne doit pas devenir Big Brother. Le citoyen américain doit être laissé libre du choix de ce qu’il mange et de ce qu’il boit, conformément au souhait de Thomas Jefferson, troisième président des États-Unis et rédacteur de la Déclaration d’indépendance : « Si les gens du peuple laissent le gouvernement décider quelle nourriture il doit manger et quels médicaments il doit prendre, leurs corps seront bientôt dans un aussi pauvre état que les âmes de ceux qui vivent sous la tyrannie. » Il vaut mieux prendre le risque d’être obèses que d’être traités comme des enfants par la nounou milliardaire Bloomberg. Le paternalisme, c’est pour les enfants, pas pour des  citoyens adultes. Comme le notait superbement Chesterton : « L’homme libre s’appartient à lui-même. Il peut porter atteinte à sa propre personne par la nourriture ou la boisson, il peut se ruiner au casino. S’il le fait, il est certainement stupide et se condamne très probablement, mais s’il ne le peut pas, il n’est pas plus libre qu’un chien. »
Cette victoire de la conception classique de la liberté américaine est d’autant plus remarquable que l’interdiction des sodas géants était l’une des mesures phares d’un courant très influent qui vise à manipuler les comportements « pour notre propre bien ». C’est la fameuse théorie du « nudge », du « coup de pouce »,  développée par le juriste Cass Sunstein, professeur à Harvard, et l’économiste Richard Thaler, professeur à Chicago, dans un livre à succès, Nudge, la méthode douce pour inspirer la bonne décision. L’écho de cette théorie est grand : Sunstein fut le « tsar » de la régulation auprès d’Obama et David Cameron s’est inspiré de Thaler pour créer une « nudge unit », une « unité d’études comportementales » chargée d’influencer nos comportements. En France la théorie du « nudge » est prônée par certains membres du Conseil d’analyse stratégique auprès du premier ministre.
Thaler et Sunstein présentent leur théorie comme un « paternalisme libertarien », pur oxymore qui ne vise en fait qu’à donner au peu séduisant paternalisme des airs de liberté. En fait, les choses sont bien différentes. L’ « économie comportementale » et la psychologie sociale contemporaine auraient démontré que l’agent économique n’est pas un agent rationnel, contrairement à ce que supposaient les théories classiques de l’homo economicus. Les agents économiques seraient au contraire très irrationnels. Leurs comportements seraient souvent le résultat de la pression des pairs, de l’inertie, de la tendance à tout  remettre au lendemain mais aussi de la manière dont sont présentés les choix possibles. Il y a donc toujours des « architectes du choix » et ce sont à eux que Thaler et Sunstein s’adressent : « Comme il n’y a pas de bâtiment sans architecture, il n’y pas de choix sans contexte. Les architectes du choix, qu’ils soient privés ou publics, ne sauraient rester passifs. »  Leur exemple de prédilection est celui de la cafétéria : en s’inspirant des techniques de présentation des marchandises dans les supermarchés, le gérant mettra en avant les produits bons pour la santé et en arrière, moins accessibles, les produits trop gras ou trop sucrés : les légumes devant les frites ou les pizzas, les fruits devant les gâteaux. Il pourra aussi diminuer la taille des portions disponibles, notamment de frites et de pizzas, ou celle des assiettes et des gobelets, comme à New York, voire supprimer les plateaux-repas pour freiner mécaniquement la consommation d’aliments censés être mauvais pour la santé.
L’idée est bien sûr que les « experts » savent ce qui est bon pour les « gens », trop irrationnels. Le choix est donc orienté, mais discrètement, pour que nous ne nous révoltions pas : c’est cela le « coup de pouce », le nudge. De toute façon qui ne voudrait pas « aider les gens  à vivre plus longtemps, mieux et en meilleure santé » ? Il faudrait aussi, par exemple, des nudges pour encourager l’adhésion aux systèmes de pension  en utilisant une « option par défaut » dans les feuilles de paie ou pour mettre fin à la pénurie d’organes pour les transplantations en établissant un « consentement présumé » lors de la délivrance du permis de conduire. Selon Thaler et Sunstein « le principe directeur est qu’il faut concevoir des politiques susceptibles d’aider les membres les plus frustes de la société tout en imposant le moins de coûts possibles à ses membres les plus éclairés ». Tout cela c’est pour « eux », pas pour « nous » : cela a échappé à Bloomberg après le rejet de son interdiction des sodas : « C’est un revers pour les gens qui sont en train de mourir » du fait de l’obésité mais « ça ne l’est pas pour moi : au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, je fais attention à mon régime ».
Pour ces auteurs, il va de soi que les experts ne sauraient en aucun cas se tromper, comme le prouvent sans doute la clairvoyance de la bureaucratie européenne ou la brillante gestion de la crise économique mondiale. D’un autre côté, ces experts n’envisagent pas non plus un seul instant que les « gens » pourraient avoir leurs propres bonnes raisons de choisir. Thaler et Sunstein condamnent l’imprévoyance de ceux qui vivent dans le présent et ne veulent pas « faire de plans pour leur retraite » (mais si l’on meurt avant ?) et de ceux qui  mettent leur santé en danger pour de petits plaisirs (mais si les frites, surtout avec du Coca et du Ketchup, au lieu de brocolis, ça en valait vraiment la peine ?) ou l’archaïsme de ceux qui pensent que le corps de leurs proches n’appartient pas à l’État. Et si les « gens » refusaient ces nudges simplement parce qu’ils sont « plus attachés à la liberté et au choix qu’au bien-être » ? Thaler et Sunstein envisagent un  bref instant cette objection, mais ils n’y répondent pas car ils ne la comprennent même pas : la liberté plutôt que la santé, comment est-ce possible ? Ils ne se rendent pas compte que les « gens » ont sans doute une conception de la vie plus riche, plus différenciée et plus humaine que celle d’universitaires standard.
Cass Sunstein, par ailleurs éditorialiste chez Bloomberg Media, a traité de l’affaire du soda new-yorkais et argumenté en faveur de son « paternalisme libertarien » dans un article de la New York Review of Books du 7 mars. Il s’en prend à John Stuart Mill, qui est effectivement le meilleur défenseur d’une conception radicale de la liberté. Selon Sunstein, si Mill  dit que l’individu est le mieux placé pour savoir ce qui est bon pour lui, c’est qu’il n’a pas eu la chance de connaître l’économie comportementale. Mais dans ce même article, Sunstein laisse entendre un autre ton de voix puisqu’il admet qu’on pourrait sans doute, au cas où les nudges ne fonctionneraient pas, faire appel à un « paternalisme coercitif » comme celui de Sarah Conly, auteur du livre Contre l’autonomie ; pour justifier le paternalisme coercitif. Selon elle, pour empêcher les gens de « prendre des décisions stupides », qui les mettent et nous mettent en danger, il faut en finir avec la liberté de choix, quelle que soit la réaction du public, qui n’est qu’un des éléments dans la prise de décision politique : elle propose par exemple d’interdire totalement de fumer où que ce soit. Dans son prochain livre, cette sympathique universitaire s’apprête à démontrer que l’on n’a pas le droit d’avoir autant d’enfants qu’on le souhaite. Sunstein avait lui aussi, naguère, montré les limites de son libéralisme en proposant de limiter la liberté de parole sur Internet sous prétexte de combattre les théories conspirationnistes.
Tel est le vrai visage du paternalisme.  On comprend mieux la réaction du juge Tingling et on peut espérer que les États-Unis sauront, mieux qu’une Europe déjà bureaucratisée, résister à la folie réglementaire de ces « experts » qui tuent l’esprit de responsabilité et de créativité.

Stuart Mill : l’antidote
Le livre de John Stuart Mill De la liberté (1859) est  le meilleur antidote à toutes les politiques néo-hygiénistes, et c’est  pour cette raison qu’il est si souvent critiqué par les bien-pensants. Contrairement à ce que dit Sunstein, Mill n’ignorait pas que les résultats des actions des individus peuvent leur être défavorables : mais, selon lui, ces individus, s’ils sont adultes, sont responsables de leurs actions. Si l’individu veut se détruire lui-même, il en est libre. Ce n’est pas parce que l’on se réclame de la santé ou du bien qu’il est permis d’attenter à la liberté de ses concitoyens.
Mill résume sa position dans ce qu’on a appelé le « principe de non-nuisance » : « La seule raison légitime que puisse avoir  une communauté civilisée d’user de la force contre un de ses membres, contre sa propre volonté, est d’empêcher que du mal ne soit fait à autrui. Le contraindre pour son propre bien, physique ou moral, ne fournit pas une justification suffisante. On ne peut l’obliger ni  à agir ni à s’abstenir d’agir, sous prétexte que cela serait meilleur pour lui ou le rendrait plus heureux ; parce que, dans l’opinion des autres, il serait sage ou même juste d’agir ainsi. L’individu est  souverain sur lui-même, son propre corps et son propre esprit. » Pour toutes ces raisons, Mill refusait la prohibition de l’alcool ou de produits toxiques comme l’opium, ne voulait pas réglementer la prostitution ou le temps de travail et n’objectait rien  au « mormonisme », c’est-à-dire à la polygamie.
Mill veut que la liberté d’opinion soit absolue, car il se pourrait bien qu’une des opinions réduites au silence soit une opinion vraie. Plus encore, pour briser le « despotisme de la coutume », Mill estime qu’une société a besoin d’ « excentriques », de personnages dont les idées mais aussi les comportements s’écartent de la norme courante et annoncent l’avenir, comme Socrate ou Jésus, pourtant condamnés en leur temps. « Le niveau d’excentricité d’une société se mesure généralement à son niveau de génie, de vigueur intellectuelle et de courage moral. Que si peu de gens osent maintenant être excentriques, voilà qui révèle le principal danger de notre époque. » Quel jugement porterait Mill sur notre ère « normale » ?.[/access]

*Photo : Supersize me.

Noter le bac avec justice

cancre bac notation

Geneviève Fioraso, qui se croit de plus en plus ministre de la Chose éducative depuis que Vincent Peillon est aux abonnés absents, s’est longuement expliquée ce mercredi sur l’info parue dans Le Figaro et Europe 1.
Rappel des faits : l’Académie d’Orléans-Tours probablement peuplée d’élèves ignares, a eu l’année dernière l’un des taux de réussite au Bac parmi les plus bas de France. Et l’administration, qui compte ses sous d’appeler les correcteurs, cette année, à faire preuve de plus de mansuétude…
Inutile de noter sur 24 — ce qui s’est fait par le passé dans certaines épreuves de Maths du Bac S. Il suffit d’appuyer un peu plus que d’habitude sur les épaules des enseignants.
Quels sont les arguments de Geneviève Fioraso, qui a en haine tout ce qui ressemble à un bon élève ou à un prof  indépendant ? Comme elle est passée par le privé, la ministre ose des comparaisons : « Quand vous faites des évaluations dans les entreprises ou dans tout organisme, quand vous voyez qu’il y a une différence avec d’autres notations, vous vous interrogez sur vos critères de notations, ça, ça me paraît tout à fait normal. »
Et le « zéro défaut », ministre, tu en as entendu parler ?
Et d’avancer qu’une notation sévère (mais juste…) « pénalise » les lycéens, qui n’ont pas l’habitude d’être évalués sur leurs capacités réelles. Il faut « regarder les qualités des lycéens », et penser positivement. Au besoin en s’alignant sur les académies les plus performantes (comprenez : celles dont les taux de réussite correspondent aux désirs de la ministre des pédagos). Sinon, ce serait une « injustice ».
Je vais faire bref.
Collègues, mes collègues, qui cherchez depuis des années un moyen d’exprimer votre colère, vos frustrations, vos ressentiments, face à une administration qui vous a jetés en pâture à la FCPE, je vous en prie, obéissez à la ministre : notez justement.
Notez les copies et les élèves pour ce qu’ils valent : à copie nulle, mettez 1 (pas 0, il faut faire un rapport). Et des copies nulles, il y en a. Il y en a même pas mal. Refusez d’obéir aux injonctions d’un ministre de passage qui ne peut rien contre vous — c’est le moment ou jamais de vous souvenir que vous êtes fonctionnaires, et intouchables : notez le Bac, épreuve après épreuve, avec un sentiment d’équité parfait : appréciez les bons élèves, et renvoyez les autres, tous les autres, à la case Terminale. Ah, « ils » veulent 85% de réussite, au moins : mais bougres d’enfoirés, si les postulants-bacheliers sont notés en fonction de ce qu’ils valent, cela fera 85% de recalés.
Parce qu’il y a des années que les tripatouillages s’accélèrent. Déjà en 2000, la dernière fois que j’ai été convoqué au Bac : mais les pressions étaient encore orales, ils n’osaient pas l’écrire — maintenant, ils en sont aux menaces, alors qu’ils ne peuvent rien. Cette année-là, j’ai noté selon ma conscience (et c’est tout ce que je vous supplie de faire), et je n’ai plus jamais été convoqué au Bac — tu parles d’une frustration ! Plus jamais je ne me suis levé dans le petit matin blême pour courir à l’autre bout du département corriger des copies incohérentes et interroger des élèves tout farauds de ne rien savoir. À bon entendeur…
Oui, CORRIGEZ ET NOTEZ EN VALEUR REELLE. N’HESITEZ PAS. INUTILE DE SACQUER : LES COPIES PARLENT D’ELLES-MÊMES.
Et si la France entière, mise à genoux par une génération entière de grands sorciers de la pédagogie, le laxisme des uns, le libertaro-libéralisme des autres, se retrouve demain sans bacheliers, alors peut-être s’interrogera-t-elle sur ce que ces salauds ont fait de l’Ecole de la République. Peut-être s’interrogera-t-elle sur ce que nous devons tous aux enseignants, qui se désolent de ne pouvoir réellement infuser des connaissances solides et notent des TPE, et autres fariboles pédagogiques, en soupirant et haussant les épaules. Notez selon votre conscience, la ministre ne peut pas vous atteindre — et dans trois mois, six mois, elle sera remplacée et partira ailleurs mener le même travail de destruction bien intentionnée.
Oui : mettez aux copies les notes qu’elles méritent. Corrigez à fond. Allez-y.
Si vous obéissez ce coup-ci aux injonctions (mais qui est-elle, quels diplômes a-t-elle pour vous donner des ordres ? Pas même le CAPES — comme d’ailleurs la plupart des membres de son cabinet), il ne faudra plus jamais vous plaindre. Plus jamais.
Oui : c’est maintenant ou jamais. 2013, l’année de la Note juste. Notez-les pour ces belles années perdues, pour la morgue de leurs parents, pour la stupidité des ministres, pour la folie des pédagogues, pour les IUFM défunts et les ESPE en formation. Notez-les à leur juste valeur — juste en dessous du niveau de la mer.

*Photo: Ducobu.

Hongrie : Gyula Horn n’est plus

Je viens d’apprendre le décès de Gyula Horn, qui fut ministre des Affaires étrangères du dernier gouvernement communiste réformateur, puis premier ministre de la Hongrie libre de 1994 à 1998. Je vois déjà venir des remarques cyniques. Citons par exemple la vieille déclaration de la députée Máira Wittner, laquelle avait en son temps souhaité la disparition de « ce bourreau qui  coule scandaleusement ses jours dans un hôpital aux frais du contribuable, alors qu’il ferait mieux d’avoir le bon goût de mourir ». Sic. Mais puissé-je me tromper. Car la première réaction officielle du gouvernement hongrois – qui a immédiatement exprimé ses condoléances aux proches de l’ancien premier ministre – aura apporté une touche de dignité bienvenue.
Je n’étais pas en Hongrie au moment où fut ouverte la frontière, le 11 septembre 1989. Je résidais alors en Allemagne, à Francfort. Mais je me souviens de la reconnaissance des Allemands envers les autorités hongroises de l’époque. Cela m’avait profondément marqué.
Je me souviens de ces milliers de « touristes » est-allemands que les autorités de Budapest se refusaient à renvoyer dans leur pays, comme le réclamait un Honecker rouge de colère et que l’on vit affluer dans les villes des anciens Länder.
Je me souviens du visage de Gyula Horn que je voyais sur tous les écrans des chaînes allemandes.
Je me souviens de cette cérémonie de remise du prestigieux Karlspreis (prix Charlemagne) au même Gyula Horn dès l’année suivante en présence du chancelier Helmut Kohl. Prix peu connu en France, mais tenu pour la plus prestigieuse des récompenses en Allemagne (son lauréat suivant sera Vaclav Havel en 1991).  Une ville du Bade-Würtemberg, Wertheim, donna même le nom de Gyula Horn à l’une de ses rues !
Car, ne l’oublions pas : même si elle fut précédée d’un sympathique « pique-nique paneuropéen » organisé au bord de la frontière, c’est bel et bien à l’initiative du gouvernement hongrois que fut ouverte la frontière le 11 septembre 89, le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Gyula Horn, étant venu lui-même découper les barbelés. Un geste ostensiblement symbolique en présence de son homologue autrichien. Une action qui avait été longuement et soigneusement préparée par des négociations et consultations (rencontre secrète avec Helmut Kohl et Genscher) dont l’ancien ambassadeur de Hongrie à Bonn a par la suite révélé les dessous.
Cinq années plus tard, Gyula Horn fut amené à diriger le second gouvernement d’une Hongrie officiellement démocratique. Pour preuve que les électeurs ne lui tinrent pas rigueur de son passé. On l’a entre autres accusé d’avoir mené en 1956 des exactions dans le cadre d’une milice ouvrière. La preuve n’en a jamais été donnée et lui-même s’en est toujours défendu avec la plus vive énergie. Et puis, soit dit en passant, il n’eût pas été le seul parmi des hommes en vue… ayant depuis viré leur cuti à droite.
Alors, ne jugeons pas. Constatons simplement les faits: l’homme qui vient de nous quitter fut l’un des principaux acteurs d’une ouverture qui, en 1989, aboutit à la chute du mur de Berlin, puis aux conséquences en chaîne que l’on sait.
Tout comme les Allemands, ayons au moins l’honnêteté et le courage de lui reconnaître ce mérite.

Comment Nicolas, 23 ans, manifestant, s’est retrouvé à Fleury-Mérogis

fleury merogis manif pour tous

Dimanche dernier, au sortir d’une énième manifestation contre le mariage homosexuel, Nicolas, 23 ans, est appréhendé au seul motif qu’il porte le sweat-shirt de la Manif pour Tous. Dans un élan de panique, il se réfugie dans un restaurant. Interpellé, gardé à vue puis mis au dépôt, il est déféré.  Mercredi, le tribunal correctionnel de Paris l’a condamné à quatre mois de prison dont deux fermes avec mandat de dépôt et à 1000 euros d’amende. Les juges lui ont reproché, outre la rébellion, d’avoir refusé un prélèvement ADN.
La situation est ubuesque. Nicolas a été condamné pour les conséquences de son interpellation qui est elle-même est, selon toute vraisemblance, sans fondement. La condamnation des juges n’a en effet aucun rapport avec les motifs de l’interpellation qui sont nuls. Après plus de quatre-vingts heures de détention qui n’ont pas d’autre objet que d’inciter à la faute, les zélés de la police nationale ont réussi à relever, chez un type poussé à bout, un refus et des protestations, tout cela afin de hisser l’affaire en justice. A ce petit jeu, plus un citoyen français ne saurait échapper à la case prison. Mettez quelqu’un en détention sans raison, il finira bien par tenter une évasion que le code pénal punit de trois à cinq ans d’emprisonnement. Et vous aurez alors le motif rétroactif de la détention. Quant au mandat de dépôt pour une peine de moins de six mois d’emprisonnement, c’est la marque d’une justice d’exception aux légers relents de lettre de cachet.
En effet, peu après sa nomination, la ministre de la Justice Christiane Taubira déclarait vouloir rompre avec la politique de répression et d’enfermement systématique de la droite: « Il faut recréer une politique pénale qui, sur la base de la lutte contre la récidive, fait de la pédagogie autour de la sanction […] Il y a des années qu’on sait que la prison, sur les courtes peines, génère de la récidive, c’est presque mécanique. Je le dis, il faut arrêter ! Ça désocialise, ça coûte cher et ça fait de nouvelles victimes. » (Libération, 7 août 2012). La Garde des sceaux promettait alors, pour des délits portant sur de courtes peines, d’utiliser tous les minuties du code pénal qui pouvaient éviter la case prison. A l’époque de cette profession de foi, Christiane Taubira ne pensait certainement pas à Ambroise, à Edouard, à Sixtine ou à Victoire[1. Pour éviter tout amalgame, les prénoms ont été modifiés.] qui iraient, drapeau français à la main et sifflet autour du cou, crier un peu partout dans les rues que le mieux pour un enfant était d’avoir un père et une mère. Non, elle pensait plutôt à d’autres, à ceux qui « n’avaient pas eu la chance de » et pour qui la justice aurait enfin des égards,  afin de faire prévaloir l’égalité des chances. Pour ceux-là, il fallait –peut-être à raison- de la clémence, de la pédagogie, de la justice sociale comme on dit.
Plusieurs récentes décisions des tribunaux montrent qu’une justice à double vitesse s’est calquée sur une France coupée en deux. Il y a trois mois, un groupe d’une vingtaine de jeunes gens aux visages dissimulés derrière des écharpes ou des capuches prenaient d’assaut, à la gare de Grigny, plusieurs rames d’un RER D rançonnant violemment les passagers, contraints de remettre téléphones portables, portefeuilles et sacs à main. Le 11 juin dernier, le tribunal rendait son verdict. Sur l’ensemble des voyous dont la participation aux faits a été reconnue par les juges, seulement cinq jeunes ont été condamnés à des peines de prison avec sursis. Les autres ont reçu des avertissements solennels, une mesure de protection judiciaire ou des heures de travaux d’intérêt général. Et l’un d’entre eux a été  relaxé au bénéfice du doute alors même qu’une des victimes soutenait formellement l’avoir identifié comme l’agresseur qui l’avait rouée de coups et aspergée de gaz lacrymogène. À Lille, il y a quelques jours, une mère veilleuse était agressée par un homme armé d’un couteau qui, à deux reprises, essayait de porter la lame au visage de la femme. Relâché après quelques heures au commissariat, il s’en tirait avec une composition pénale, mesure alternative aux poursuites pénales aux termes de laquelle, s’il donne son accord, il sera au pire sanctionné d’une amende ou d’un travail d’intérêt général. Plus récemment encore, une jeune militante antifasciste qui avait refusé de se soumettre à un test ADN après avoir été condamnée à du sursis pour rébellion (en l’espèce un coup de tête à un policier lors de la Gay Pride à Tours) se voyait astreinte à cent jours-amende à 10 €.
Il est difficile de comprendre une presse et un pouvoir qui raillent et amalgament les manifestations françaises quand, quelques semaines plus tard, cette même presse et ce même pouvoir, enjoignent l’Etat turc de couper le gaz lacrymogène et somment le Brésil de cesser la répression policière pour écouter son peuple. Mais le pouvoir est forcément partial et la presse partisane. Il est en revanche inconcevable que la justice se contorsionne comme un paon faisant la roue pour plaire au pouvoir en place. Désormais il n’y a plus un mais deux débats. La question du mariage gay continuera d’agiter la jeunesse de France qui, elle le répète assez souvent, ne lâchera rien. Mais cette jeunesse révoltée se fera aussi le nouveau défenseur de la démocratie, une démocratie où les libertés fondamentales telles que la liberté d’expression, la liberté d’aller et venir, le droit de manifester sont garantis. Tout comme le droit à un procès équitable, c’est-à-dire sans risque qu’un magistrat adepte de l’idéologie du mur des cons place ses opinions politiques plus haut que les lois de la République.

*Photo : U.S. Coast Guard.

Libre échange : USA vs Europe, un accord gagnant-perdant

Au diapason de toute la gauche, notre souverainiste national, le vigilant Nicolas-« Vent Debout »-Aignan, s’est insurgé sur Twitter contre le président de la Commission européenne, José Manuel  Barroso. Le mécréant a osé traiter la France de vilaine « réactionnaire » (insulte suprême dans la bouche d’un néolibéral), à cause de sa volonté de maintenir l’exception culturelle dans le cadre de l’accord de libre-échange transatlantique. « Être qualifié de réactionnaire par M. Barroso qui est un vendu est un honneur pour la France ! » a vibré le président de Debout la République. S’il est toujours bon de saluer les élans gaullo-malruciens, intéressons-nous à ce qui se cache derrière ces cocoricos soulagés (après la mise sous cloche de l’exception culturelle) puis mortifiés (par les insultes de Manolo): que sont concrètement ces accords de libre-échange transatlantiques ?
Il y a en effet matière à s’inquiéter, voire à s’indigner pour ceux qui aiment ça- ou qui ne savent pas faire autrement – car cet accord de libre-échange, désigné par ses artisans comme le « plus important contrat commercial bilatéral jamais négocié« , et qui concerne un tiers du commerce mondial, risque fort d’être un pas de plus vers la dérégulation et le capitalisme illimité qui menacent déjà la survie de l’industrie européenne.
La faiblesse des droits de douane étant acquise depuis longtemps (moyenne de 5.2% pour l’Union européenne et 3,5% pour les Etats-Unis), le contrat de mariage  portera en réalité sur l’harmonisation des réglementations et la suppression des « obstacles non quantitatifs » à la libre circulation. En clair, il s’agit d’aligner  les normes européennes, jugées trop contraignantes, sur les normes américaines – beaucoup plus « pures et parfaites ».  Les normes environnementales, sanitaires et les standards de sécurité seront américanisés, pour pouvoir ouvrir le marché intérieur de l’UE à des produits autrefois interdits.
Si tout fonctionne comme Oncle Sam l’a prévu, la liberté de marché permettra au consommateur européen de goûter aux joies du bœuf aux hormones ou du poulet à la chlorine, tandis que la PAC, archaïsme protectionniste qui fausse la concurrence sera abolie, et qu’outre-Atlantique on pourra consommer du parmesan texan ou du camembert californien (les normes d’origine géographiques étant dans le viseur des Etats-Unis). Voilà donc les « perspectives fantastiques »  dont parle Jean-François Copé !
Mais alors, qu’avons-nous à gagner dans ce tope-là-ça-roule avec les Yankees ?
D’abord,  nous argue-t-on, des gains économiques: la Commission estime qu’une libéralisation totale des échanges permettra de dégager un surplus de croissance pour l’Union de 0,5% du PIB.
Ensuite, un objectif « idéologique » : d’après Bruce Stokes, du German Marshall Fund of the United States, il s’agit de  « S’assurer que le capitalisme version occidentale reste la norme mondiale et pas le capitalisme d’Etat chinois », bref d’assurer l’hégémonie globale du dogme libre-échangiste contre les velléités colbertistes de l’empire du Milieu. Toute forme d’économie dirigée ou de capitalisme régulé étant autant d’obstacles à l’extension du Far-West global.
D’après les experts de Bruxelles et de la Maison Blanche, pour sortir le monde occidental de la crise, il suffit donc  de sauter sur son transat comme un cabri en disant « Libre-échange ! Libre échange ! »
Et puis… et puis c’est tout. On a beau chercher, on a du mal à comprendre ce que l’Europe et la France vont gagner dans ce pacte qui ressemble fort, comme l’écrit Jean Quatremer  à un accord « gagnant-perdant » ( comme quoi le représentant de Libé à Bruxelles- à moins que ce soit l’inverse – ne peut pas se tromper sur tout tout le temps).
On a plutôt l’impression que les Etats-Unis profitent de la faiblesse de l’Europe, dévorée par les politiques austéritaires et la crise de l’euro pour standardiser le Vieux Continent et agrandir leur marché, tout en sachant très bien qu’à ce petit jeu, l’Europe et ses « préférences collectives » trop protectrices ne pourront pas suivre. Il n’y a qu’en perfide Albion qu’on se réjouit dans les grands médias de ce saut atlantiste qui permettrait de sauver l’Europe en peine. Pour expliquer cette inexplicable reddition, les mauvaises langues susurrent que Barroso la jouerait perso : il viserait après son mandat à la Commission qui s’achève le secrétariat général de l’ONU ou celui de l’OTAN, poste dont l’attribution se décide en grande partie dans le bureau ovale…
D’aucuns pourront encore espérer que le mandat que donnent demain les ministres européens à la Commission saura tracer les contours d’un cadre efficace pour protéger, faute de mieux, l’industrie européenne, les services publics, le domaine de la défense et l’agro-alimentaire.
D’autres, comme moi, se contenterons de paraphraser ce bon vieux Churchill : entre l’Europe et le Grand large, nous choisirons… ni l’un ni l’autre.

*Photo: Dennoir.

Carton rouge pour le multicu au Québec !

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sikh quebec canada

À en croire la presse canadienne anglophone, le Québec serait une société intolérante, voire raciste. Ni plus, ni moins ! La raison : la Fédération de soccer (le football) du Québec (FSQ) a refusé de laisser un joueur porter so turban sikh pendant ses activités sportives. Si cette décision est fortement critiquée par l’Association canadienne de soccer, la FSQ explique que son choix est en conformité avec les règles de la Fédération internationale de football (FIFA). Des leaders de la communauté sikhe ont par ailleurs tenu à soutenir la décision de la FSQ : la demande du port du turban leur semble venir de « groupes extrémistes ». L’affaire dite du turban serait-elle le symptôme d’une société quebecquoise xénophobe ?
En réalité, la décision motivée de la FSQ et les critiques incisives qu’elle suscite coté Canada font ressortir le fossé culturel et idéologique qui sépare francophones et anglophones. Si le Canada – majoritairement anglophone – est officiellement une société multiculturelle depuis l’adoption de la Charte des droits et libertés de 1982, le Québec a, pour sa part, refusé de la signer : ouverte à la diversité culturelle, la Belle Province s’est positionnée contre le multiculturalisme.
Le multiculturalisme est une doctrine politique assurant un statut social égal aux membres de diverses cultures et favorisant l’expression de leurs particularités culturelles au sein d’un État. L’article 27 de la Charte des droits et libertés s’engage ainsi à promouvoir « le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens ». C’est pourquoi un recours judiciaire devant une instance fédérale donnerait vraisemblablement tort à la FSQ puisqu’au regard du multiculturalisme, le port du turban sur un terrain de sport est un droit.
Mais il existe pour autant une diversité culturelle au Québec qui témoigne de son ouverture à l’immigration et de sa tolérance à l’égard de ses multiples communautés. Pas moins d’une centaine de pays sont représentés à Montréal. En revanche, le Québec ne reconnaît pas l’égalité des statuts aux membres des diverses cultures. Mais cela n’est pas le signe d’une intolérance, que seuls des terroristes intellectuels peuvent pointer du doigt. L’immigration est en hausse constante : chaque année, le Québec ouvre ses portes à des dizaines de milliers d’immigrants. La seule contrainte qu’il leur est demandé d’accepter est d’assimiler les règles culturelles de leur nouvelle société d’accueil. La première de celles-ci étant : Ici, on jase en français !
C’est parfois au détriment de sa propre culture que la Belle Province accepte une immigration issue du monde entier. Il est donc compréhensible, sinon légitime, qu’elle s’oppose alors avec plus ou moins de fermeté (voir la crise des accommodements raisonnables en 2007) à la doctrine multiculturaliste. Le Québec est le dernier vestige d’une Amérique jadis française. C’est une petite nation au sens où l’entendait Milan Kundera[1. Dans L’Occident kidnappé ou la tragédie de l’Europe centrale.], c’est-à-dire une nation « dont l’existence peut être à n’importe quel moment remise en question, qui peut disparaître et qui le sait ». Le Canada anglais n’étant pas menacé puisqu’il constitue la société majoritaire, il a dès lors pu mettre en place un tel modèle que le Québec considère dangereux pour sa survie en tant que société minoritaire en Amérique du Nord.
Ironie de l’histoire, c’est le Québécois Pierre Elliott Trudeau, ancien Premier ministre du Canada, qui a été l’architecte du multiculturalisme. L’histoire canadienne n’en est d’ailleurs pas à une ironie près. Ainsi, les symboles nationaux de l’actuelle Fédération canadienne ont été repris aux francophones. C’est Jacques Cartier qui baptisa ce nouveau monde : le Canada ; c’est le chant Ô Canada, composé par le Canadien français Calixa Lavallée qui, après avoir été traduit en anglais, sert d’hymne national ; c’est enfin la feuille d’érable, symbole par excellence de la Belle Province, qui apparaît sur le drapeau canadien.
Ceux qui ont gagné la guerre (les Britanniques) se sont appropriés les symboles culturels de ceux qui l’ont perdu (les Français) pour bâtir un nouveau pays.

*Photo : Alexandra Guerson.

Pas de dragées pour les gays polonais

pologne mariage gay walesa

Heureux comme un homosexuel en France : c’est peut-être ce dont rêvent les gays polonais. Pour eux, ça n’a pas marché : à l’heure qu’il est, la Diète polonaise est sans doute en train de discuter à nouveau du projet de loi sur l’union civile. C’est que nous, les Polonais, nous aimerions nous donner, comme aurait dit Gombrowicz, la gueule d’un pays civilisé. Autrement dit, nous souhaiterions rester catholiques à 99%, mais avec un zeste d’ouverture d’esprit, de tolérance, de modernité. Au lieu de quoi le Financial Times nous qualifie de « pays de l’Est » – autant dire barbare. Quand il fallait combattre le communisme, nous étions de l’Ouest. Là, un mot de travers et nous revoilà « de l’Est » ! Voilà une belle récompense ! Ah, si nous avions su à quoi ressemble la démocratie, nous n’aurions pas levé le petit doigt. On verrait alors les mauviettes du « FT » donner des leçons de morale aux camarades du Soviet suprême ! Mais bon, les choses sont comme elles sont. Impossible de revenir en arrière. Qu’on le veuille ou non, nous avons une démocratie en Pologne et il faut qu’on se débrouille avec.
Le scandale est parti d’un rien. Interrogé sur ladite union civile, Lech Walesa a simplement conseillé à la minorité homosexuelle de rester à sa place de minorité. Sur un plateau de télévision, à une heure de grande écoute, le Prix Nobel de la paix a suggéré que les députés homosexuels occupent les derniers rangs du Parlement polonais, voire qu’ils soient séparés de leurs collègues par un mur. Rien que ça. Non pas que ces idées d’un autre âge n’aient pas cours dans la société. Mais Walesa, le héros de Solidarnosc… Pour paraître moins slave et plus civilisé, Walesa aurait pu formuler cette proposition de façon moins abrupte. Enfin, l’essentiel, c’est que les homos ne se soient pas vexés. Un activiste LGBT a même déclaré : « Je ne voudrais pas faire de Walesa l’ennemi numéro un de la communauté gay de ce pays. Tout au plus, l’ex-président a verbalisé l’opinion de beaucoup de Polonais. Je ne serais pas surpris d’apprendre que la majorité de mes concitoyens partage ses sentiments. »[access capability= »lire_inedits »]
Pour autant, il ne faut pas désespérer de la Pologne : à en croire les sondages, 12% des Polonais considèrent l’homosexualité comme « quelque chose de normal ». Certes, plus de la moitié pense le contraire, estimant néanmoins qu’il faut tolérer le phénomène. Mais bon, 12% de citoyens éclairés, ce n’est pas rien pour une grande démocratie. L’humeur de l’opinion au sujet de l’union civile est à l’avenant : plus de 90% des personnes interrogées s’y déclarent favorables pour deux personnes de sexe opposé. S’agissant des couples homos, la proportion de réponses positives tombe à un tiers. Et, croyez-le ou pas, ce résultat révèle une nette progression de la gay-friendly attitude : nous en étions loin deux ans plus tôt ! Certes, deux tiers des Polonais, Lech Walesa en tête, continuent à juger malvenue la moindre manifestation publique d’homosexualité. Mais on se gardera de jugements expéditifs. Considéré à froid, le point de vue de l’ex-leader de Solidarnosc se révèle moins barbare. Voilà qu’il l’explique dans une interview, cette fois-ci, de presse : « Je ne suis pas homophobe. Dieu m’en préserve ! Je me bats juste pour que la démocratie reflète la composition de la société.  […] Et si la majorité des gens avait viré homo, qui paierait des impôts ? Après tout, les gens vivent pour procréer et payer des impôts ! » Qui aurait cru que la Pologne allait enseigner aux autres nations le sens de la vie ?
Soyons positifs : après tout, les Polonais tolèrent pas mal de choses. Cas unique en Europe, le Parlement compte un élu transsexuel. Sans parler de cet autre député qui a fait son coming out et invité ses collègues à l’imiter. Bon, jusqu’à présent, son appel n’a pas rencontré un grand succès. Et la minorité homosexuelle (estimée à 4 % de la population) a réussi à faire présenter devant la Diète des projets de loi instaurant l’union civile – droits au domicile familial, à la succession, à l’accès au dossier médical du partenaire (légal en Pologne pour les couples mariés) et tout et tout. Bien que rejeté en première lecture, en janvier 2013, le texte a suscité un vif débat. Et qui dit « débat », dit « démocratie ». Alors, où est le problème ?
Certains considèrent qu’il réside dans la Constitution polonaise, l’une de plus traditionnalistes du Vieux Continent concernant le droit de la famille ; d’autres assurent qu’il résulte des divisions au sein du parti au pouvoir, la Plate-forme civique (PO). L’article 18 de la Constitution stipule en effet que le mariage est une union de deux personnes de sexe opposé, protégé comme tel par les institutions de l’État. L’union civile serait donc anticonstitutionnelle, selon ses détracteurs, puisque les deux partenaires pourraient être du même sexe. « Faux ! », rétorquent ses partisans. Primo, l’union civile ne remplacera pas le mariage. Secundo, les couples mariés bénéficieront toujours de droits uniques comme celui d’adopter des enfants. « Un législateur qui se veut démocratique a le droit de promouvoir un modèle de famille qu’il considère comme optimal, mais il ne peut pas priver les citoyens du droit à régulariser le mode de vie qu’ils ont choisi tant que ce mode de vie respecte la loi », a déclaré un spécialiste du droit constitutionnel. Pour résumer, la Constitution polonaise ne pose pas de problème. Pas plus, d’ailleurs, que les affrontements entre les conservateurs et les libéraux dans les rangs de la PO.
Certes, faire émerger une position commune, alors que le premier ministre se dérobe à sa responsabilité de discipliner le parti qu’il préside en affirmant qu’il n’a l’intention ni d’accélérer ni de ralentir les changements sociétaux, relève du vœu pieux. D’un côté, son  ministre de la Justice, membre du même parti, exclut toute institutionnalisation de l’union civile, concédant seulement quelques amendements aux lois en vigueur. De l’autre, l’aile libérale de la PO défend le principe d’une nouvelle loi, en arguant que moins la définition légale d’une union civile sera précise, plus les risques d’abus seront grands. Le ministre de la Justice menace de s’en aller en cas de victoire des libéraux : « Je serais tenté d’accorder certaines prérogatives aux personnes qui vivent dans une relation durable mais pas forcément érotique. Par exemple, deux voisines d’un âge avancé qui s’occupent l’une de l’autre auraient une facilité d’accès au dossier médical de l’autre. » Les libéraux ripostent par l’intermédiaire d’un membre du Conseil d’État dont ils ont obtenu le soutien : « Si quelqu’un craint que l’union civile de quelqu’un d’autre dégrade son propre mariage, il ne reste qu’à le plaindre ! » Tout cela vire parfois au pugilat mais en vérité, ces dissensions au sein de la PO sont un détail. Au final, le calcul électoral l’emportera et le parti au pouvoir devra prendre en compte le fait que les Polonais, aussi attachés qu’ils soient au mariage traditionnel, ne sont pas insensibles aux avantages de l’union civile, à commencer par la possibilité de la rompre facilement. Déjà une majorité (63%) accepte sans broncher que les jeunes décident de se marier plus tardivement ou pas du tout, c’est dire.
Et pourtant, il y a un problème. Et ce problème, c’est que la démocratie est incompatible avec la culture politique des Polonais. Tôt ou tard, la Diète votera une loi sur l’union civile, reconnaissant ainsi à tous le « droit au bonheur », pour reprendre la formulation employée par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Cela fera-t-il de la Pologne un pays civilisé ? Sans doute, du moins aux yeux des éditorialistes du « FT ». Il est en revanche peu probable que Walesa cesse de parler le « langage des troglodytes », dixit un député social-démocrate. En attendant le « FT » n’a rien trouvé à redire à la procédure d’interpellation engagée par le chef de file des radicaux de gauche au sujet de la catéchèse qui, selon lui, enfreint la loi sur l’éducation à la sobriété : la transformation de l’eau en vin relève de la production d’alcool. Un pays civilisé, vous dit-on…[/access]

*Photo : lifebeginsat50mm.

Le Bac – et après

ecole bac profs

Le Bac est devenu un rite vide, la conclusion dépourvue de sens d’une scolarité largement vidée de tout contenu réel. Un rite onéreux, aussi — près de 100 millions d’euros, estime le magazine Challenges. Et on a eu beau le simplifier, exiger des examinateurs la plus grande mansuétude, on ne parvient plus à monter au-dessus de 85% de reçus — c’est à la fois trop et pas assez. Trop, si l’on voulait que le Bac conserve un semblant de crédibilité. Pas assez si on pense que 15% d’échecs, c’est près de 100 000 candidats qui repiquent, soit pour l’Education nationale un coût de 1 200 000 000 € (à 12 000 € par an et par élève). Et c’est largement inutile, si l’on pense que près de 40% des formations post-Bac (BTS, IUT, prépas…) recrutent aux mois de mai-juin sur livret scolaire sans un regard pour un Bac qui n’est pas encore passé, mais que l’on tient désormais pour une formalité désuète.
Tout a été fait ces dernières décennies pour vider de son sens ce premier titre universitaire — pour me pousser, en quelque sorte, à écrire que le Bac est désormais inutile, et qu’il est temps de laisser tout le Supérieur recruter comme il l’entend. Décidons d’un titre qui sanctionnerait désormais un niveau d’études, et laissons les universitaires décider de qui ils ont envie d’avoir en face d’eux dans les amphis. Cela éviterait à des gamins qui croient tenir en main un sésame de s’engager dans des impasses, et d’aller, à près de 50%, se fracasser en Licence.
Inutile de se demander comment revivifier le Bac : on ne ressuscitera jamais le cadavre de ce qui fut jadis l’un des meilleurs systèmes d’enseignement et d’évaluation au monde. Noter les élèves au Bac en fonction de leurs capacités réelles reviendrait à les condamner sans rémission — parce qu’ils sont les produits, et les victimes, d’une Ecole primaire qui tient encore parce que de brillantes personnalités s’y dévouent sans compter leurs heures ou leurs efforts, sous les quolibets de leurs Inspecteurs ; produits aussi d’un Collège unique qui partait peut-être d’une idée généreuse, qui a démontré depuis longtemps sa nocivité ; produits souvent de ces Zones d’Education Prioritaires qui ont greffé le ghetto culturel sur le ghetto social ; produits enfin d’un lycée où la part du disciplinaire s’étiole chaque année, minée par les restrictions budgétaires des uns et la pédagogonigologie des autres. Inutile de s’abîmer en nostalgies inutiles : restaurer le Bac, ce serait condamner à l’échec une génération élevée dans l’optique du bonheur immédiat — ne rien faire, sans le faire très bien. Bien sûr qu’aucun des postulants au Bac 2013 ne résoudrait les questions posées au Certificat d’Etudes de jadis — mais ils ne vivent pas dans le même monde, nous dit-on. Certes — mais ils ne sont pas préparés non plus ni au monde d’aujourd’hui, ni à celui de demain. Que la refondation de l’Ecole se préoccupe de temps scolaires (le lobby des pédopsys — malgré les protestations fondées des instits) ou de réaménagement des vacances (le lobby des hôteliers, malgré les remarques de bon sens des profs) donne la mesure de ce qui reste à faire — tout. À commencer par un apprentissage systématique du français, langue, culture et histoire, et des sciences : les deux passeports sans lesquels on est condamné, dès l’école, à la précarité intellectuelle et économique. Le désespoir frappe à la porte — il pourrait bien frapper tout court.
Mais peut-être est-ce cela l’objectif — des jeunes sans repères ni mémoire, taillables et corvéables à merci grâce aux brillantes intelligences qui aujourd’hui conseillent la Gauche après avoir si bien géré la Droite. Des jeunes qui n’ont même plus les mots pour se plaindre. Combien de vrais enseignants de terrain autour de Vincent Peillon ? Il s’acharne à ne pas voir que le problème actuel de l’Ecole, c’est ce qu’on y apprend — pas l’allongement du temps de présence des maîtres, un sujet familier aux cafés du Commerce et aux syndicalistes professionnels. On nous assène en permanence un « modèle allemand » largement fantasmatique : le lecteur sait-il que les enseignants d’Outre-Rhin sont deux fois mieux payés que les Français, pour un travail largement équivalent ? Combien d’universitaires réels autour de Geneviève Fioraso ? Elle veut à toute force noyer les classes prépas, dernier village gaulois qui résiste encore et toujours à la débâcle pédagogique, dans des universités dont la fonction essentielle semble être de retarder l’arrivée des étudiants dans les queues de Pôle-Emploi.
Vous trouvez que l’éducation coûte cher ? Essayez l’ignorance, comme l’a suggéré un bon esprit. La rue de Grenelle, comme la rue Descartes, commence et finit à Bercy. Géographie et politique de gribouilles. Tenez, supprimons le Bac, ce sera toujours ça d’économisé, et redonnons le pouvoir à ceux qui se soucient vraiment de l’avenir des élèves et des étudiants, et qui espèrent encore, alors même qu’ils n’espèrent plus rien.

*Photo : Les Profs

En Iran aussi, la transparence c’est maintenant !

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Rien ne va plus pour Ahmadinejad. Empêché de briguer un troisième mandant consécutif par la constitution iranienne, le président de la République islamique n’a même pas pu pistonner son gendre et protégé Mashaie, lequel s’est pris les pieds dans le tapis (persan, ça va sans dire) après le rejet de sa candidature par le Conseil des gardiens. Cette humiliation à peine avalée, voilà que l’élection du 14 juin a porté au pouvoir un réformateur qui a fait campagne en tirant à coups de missiles Zalzal sur le bilan de son prédécesseur : népotisme, corruption, croissance en berne, impact de l’isolement du pays sur son économie, etc. Décidément, dur, dur de s’appeler Ahmadinejad en juin 2013…
Pour couronner le tout, la justice iranienne vient chercher des noises à l’ami Mahmoud. Lors de sa dernière escapade à New York, à l’occasion de l’assemblée générale de l’ONU, Ahmadinejad n’a pas seulement brillé par son éloquence et son sens de la formule. Sa délégation a explosé le plafond toléré des notes de frais. Le séjour de quelques jours à l’hôtel Warwick a coûté tellement bonbon au contribuable que le président du parlement, Ali Larijani, l’ancien négociateur nucléaire devenu l’ennemi intime d’Ahmadinejad, a transmis le dossier à la justice, laquelle vient de convoquer le futur-ex président. Vous suivez toujours ?
Je vois d’ici la question – grosse comme Big Apple – que vous vous posez. Mais non, pour l’heure, aucun Edwy Plenel téhéranais ne nous a encore indiqué la nature des films achetés par pay-per-view dans la suite présidentielle.
Trêve de mauvais esprit. Au faîte de son pouvoir, le pauvre Mahmoud n’aurait jamais subi pareille avanie : il faut attendre d’être à terre pour que les chiens vous chassent en meute.
La morale de l’histoire, c’est que l’herbe verte de la transparence pousse partout sur les décombres du politique. M’enfin, on a les Cahuzac qu’on mérite !

Angry in the UK

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angry brigade anachisme

angry brigade anachisme

Londres 1969. Les feux de la subversion embrasent Notting Hill. Dans les squats, des communautés hippies s’essaient à la vie alternative. À la marge, si quelques journaux interlopes (Freedom, Red Mole, Oz…) alimentent le flot contestataire, l’ultragauche britannique cherche sa voie. Il faut dire que le tumulte gronde aux portes du monde « libre » : émeutes antiségrégationnistes de Watts (1965), guerre du Vietnam, guérillas sud-américaines… Les exemples étrangers ne manquent pas pour des  libertaires qui rêvent de farder l’Union Jack des deux couleurs de l’anarchie, le rouge pour naître à Barcelone, le noir pour mourir à Paris. Car la contre-culture mods a fait son temps et l’esprit de révolte passe désormais par la solidarité avec les camarades espagnols persécutés par le franquisme. On souffle aussi sur les dernières braises de mai 68. Entre deux lectures de Debord et Vaneigem, certains rêvent d’en découdre avec la société marchande. Mais le premier gros coup d’éclat prend des accents tiers-mondistes : le mitraillage de l’ambassade américaine de Londres  alerte l’opinion sur le drame vietnamien sans faire aucune victime. Scotland Yard retrouvera l’arme de l’attentat quatre ans plus tard, dans la fouille de l’appartement qu’occupent les membres d’un mystérieux groupuscule : la Angry Brigade.
Quezaco ? Avec son logo barré d’une kalachnikov, cet aréopage de francs-tireurs tombés dans l’oubli a enfin droit à un essai en français. Plus de quarante ans après la vague radicale qui secoua Londres, L’Echappée publie la traduction du beau livre de Servando Rocha, Angry brigade. Contre-culture et luttes explosives en Angleterre (1968-1972). De quoi se dégourdir les neurones dans notre univers spectaculaire où les bras cassés et les rebelles sans cause, estampillés de droite ou de gauche, s’acoquinent au grand capital. Ancrée dans l’internationalisme anar, la Angry Brigade adopte un nom qui sent bon l’Espagne de 1936. Son blase la suivra pendant les dix-huit mois de guérilla urbaine au cours desquels elle déjouera tous les plans de Scotland Yard et du MI-5. L’Espagne ne faisait pas seulement office de mythologie, c’était surtout un théâtre d’opérations pour les amis du réseau anarchiste Primero de Mayo. Entre Madrid et Londres, Stuart Christie assure la liaison. Ce dernier a été arrêté à l’âge de dix-huit ans en 1964, avec des explosifs qu’il destinait à un attentat contre Franco. Convaincu de tentative d’assassinat contre le satrape ibérique, Christie sera condamné à vingt ans de prison mais n’en purgera que trois, la pression internationale obtenant sa libération anticipée. Aux côtés de John Barker, étudiant à Cambridge traducteur de textes situationnistes à ses heures perdues, Chris Bott, Angela Weir, Jim Greenfield, et du prolétaire de la bande Jake Prescott, Christie met sur pied une organisation informelle au rituel immuable : l’explosion sans victime, suivi d’un communiqué de revendication dans le plus pur style pro-situ.
À son arrivée au pouvoir en 1970, le gouvernement conservateur Heath aura maille à partir avec ces rêveurs de l’absolu. Sa politique de dérégulation, systématiquement en faveur des grands industriels, met le pays à feu et à sang, Heath décrétant même l’état d’urgence pour affronter la grande grève des dockers de juillet 1970. Confronté à un nombre de mouvements sociaux inégalé depuis… 1926, le pouvoir britannique affronte de surcroît une frange déterminée d’activistes qui refusent de retourner la violence d’Etat en assassinats politiques. Dès février 1969, la police découvre – avant qu’elles n’explosent – des bombes devant les sièges londoniens de la banque d’Espagne et de la banque de Bilbao. C’est le début de l’engrenage.
La Angry Brigade va désormais tracer sa révolution autour des astres de l’appareil d’Etat : ministres, polices, justice, aucun n’est blessé mais tous sont frappés. Sitôt l’appartement du chef de la police londonienne plastiqué, fin août 1970, un communiqué cingle : il est signé…  Butch Cassidy et The Sundance Kid, du nom des légendes de l’Ouest américain ! Avec son art du détournement, son humour grinçant et sa phraséologie situ, la Angry Brigade s’est trouvé un style propre, que l’on retrouve par exemple dans le communiqué revendiquant l’attentat du 1er mai 1971 contre le grand magasin de mode Biba : « Si tu n’es pas en train de naître, c’est que tu es en train d’acheter.  On oblige toutes les employées des boutiques de prêt-à-porter à porter les mêmes habits et le même maquillage pour rappeler les années 1940. Dans la mode comme partout ailleurs, le capitalisme ne pourra faire que marche arrière, car il n’a nulle part où aller. Il est mort. Le futur est nôtre. La vie est si ennuyeuse qu’il n’y a rien d’autre à faire que de dépenser notre salaire dans l’achat d’une jupe ou d’une chemise. Frères et sœurs, quels sont vos désirs réels ? Être assis dans cette cafétéria, le regard distant, vide, mélancolique, à boire un café fadasse ou LA FAIRE SAUTER ET Y FOUTRE LE FEU ? La seule chose à faire avec ces temples modernes de l’esclavage appelés boutiques, c’est de LES DETRUIRE. On ne peut pas réformer le capitalisme et l’inhumanité. Il faut plutôt les frapper jusqu’à ce qu’ils se brisent. Révolution ! »
Les victimes de la mode apprécieront. Comme toute aventure a une fin, après vingt-cinq explosions, jets de cocktails Molotov et autres plasticages, la bande se fait pincer dans son appartement de Stoke Newington un jour d’août 1971. Les huit inculpés jugés pour « conspiration en vue de causer des explosions » sont aux premières loges du plus long procès criminel de l’histoire britannique. Et les verdicts se font à l’avenant : aucune preuve ni indice tangible ne départage les quatre acquittés (Weir, Christie, Mc Lean, Bott) des quatre condamnés à dix ans de prison (Greenfield, Barker, Creek, Mendelson). L’arbitraire de la justice éclate au grand jour le 7 décembre, les lourdes condamnations provoquent l’indignation jusque dans les rangs des conservateurs, qui furent pourtant leurs cibles de choix.
Que restera-t-il de ses micro-pamphlets ? Une odeur de poudre dispersée, quelques remugles révolutionnaires incapables d’amener le Grand soir aux masses prolétaires, mais aussi et surtout la volonté quasi-luddite de détruire l’ordre social de l’intérieur sans haine ni violence, comme on sabote sa propre machine.
Contre vents et marées contraires, le fil de la solidarité anarchiste se perpétuera plusieurs années après l’éparpillement des conjurés. D’anciens brigadistes soutiendront ainsi la cause du martyr catalan Puig Antich (pendu en 1974) puis la lutte pour la libération des libertaires espagnols de la prison de Ségovie (1980).
Chez Stuart, John, Anna et tous les autres, longtemps retentira l’écho du vieux sage : « nul ne saurait compter ceux qui à chaque instant languissent dans les geôles de ce monde »[1. Ernst Jünger, Héliopolis, Christian Bourgois.].

Documentaire de la BBC sur la Angry brigade

Angry brigade. Contre-culture et luttes explosives en Angleterre (1968-1972), Servando Rocha, L’Echappée, 2013.

La liberté, c’est-à-dire le maxi-Coke!

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hygienisme new york

hygienisme new york

Pour lutter contre l’obésité, le maire de New York, Michael Bloomberg, avait décidé d’interdire dans sa ville la vente de gobelets de sodas « supersized », de plus d’un demi-litre. Cette interdiction faisait suite à d’autres mesures hygiénistes comme l’interdiction de fumer, d’abord dans les bars et restaurants, puis dans les parcs et plages, qui avaient été moins critiquées du fait de l’argument du tort causé à autrui… qui ne peut guère s’appliquer dans le cas des sodas. Le 11 mars, à la veille de son entrée en vigueur, cette interdiction a été rejetée par le juge Milton Tingling, de la Cour suprême de l’État de New York.  Bloomberg a annoncé qu’il ferait appel et en est revenu à ses chères cigarettes, dont il a décidé le 18 mars qu’elles ne seraient désormais plus visibles dans les boutiques.
La décision du juge Tingling était pourtant cinglante, interdisant « de façon permanente à la ville de créer et d’imposer de nouvelles réglementations ». Pointant les différences de traitement entre les établissements vendant des boissons et entre les boissons sucrées elles-mêmes, le juge qualifie l’interdiction d’« arbitraire et capricieuse ». Il ajoute que le Bureau de santé de la ville de New York, en s’arrogeant des capacités législatives qu’il n’a pas, ne « fait pas que violer la séparation des pouvoirs, mais l’éviscère » et crée ainsi un véritable « Léviathan administratif ». C’est là un trouble bien plus grave que celui occasionné par quelques boissons sucrées.[access capability= »lire_inedits »]
Le sympathique juge Tingling, ancien chauffeur de taxi et conducteur de métro, est devenu un héros pour tous ceux, et ils sont heureusement encore nombreux aux États-Unis, qui s’insurgent contre le « Nanny State », l’État-nounou : la « Big Apple » ne doit pas devenir Big Brother. Le citoyen américain doit être laissé libre du choix de ce qu’il mange et de ce qu’il boit, conformément au souhait de Thomas Jefferson, troisième président des États-Unis et rédacteur de la Déclaration d’indépendance : « Si les gens du peuple laissent le gouvernement décider quelle nourriture il doit manger et quels médicaments il doit prendre, leurs corps seront bientôt dans un aussi pauvre état que les âmes de ceux qui vivent sous la tyrannie. » Il vaut mieux prendre le risque d’être obèses que d’être traités comme des enfants par la nounou milliardaire Bloomberg. Le paternalisme, c’est pour les enfants, pas pour des  citoyens adultes. Comme le notait superbement Chesterton : « L’homme libre s’appartient à lui-même. Il peut porter atteinte à sa propre personne par la nourriture ou la boisson, il peut se ruiner au casino. S’il le fait, il est certainement stupide et se condamne très probablement, mais s’il ne le peut pas, il n’est pas plus libre qu’un chien. »
Cette victoire de la conception classique de la liberté américaine est d’autant plus remarquable que l’interdiction des sodas géants était l’une des mesures phares d’un courant très influent qui vise à manipuler les comportements « pour notre propre bien ». C’est la fameuse théorie du « nudge », du « coup de pouce »,  développée par le juriste Cass Sunstein, professeur à Harvard, et l’économiste Richard Thaler, professeur à Chicago, dans un livre à succès, Nudge, la méthode douce pour inspirer la bonne décision. L’écho de cette théorie est grand : Sunstein fut le « tsar » de la régulation auprès d’Obama et David Cameron s’est inspiré de Thaler pour créer une « nudge unit », une « unité d’études comportementales » chargée d’influencer nos comportements. En France la théorie du « nudge » est prônée par certains membres du Conseil d’analyse stratégique auprès du premier ministre.
Thaler et Sunstein présentent leur théorie comme un « paternalisme libertarien », pur oxymore qui ne vise en fait qu’à donner au peu séduisant paternalisme des airs de liberté. En fait, les choses sont bien différentes. L’ « économie comportementale » et la psychologie sociale contemporaine auraient démontré que l’agent économique n’est pas un agent rationnel, contrairement à ce que supposaient les théories classiques de l’homo economicus. Les agents économiques seraient au contraire très irrationnels. Leurs comportements seraient souvent le résultat de la pression des pairs, de l’inertie, de la tendance à tout  remettre au lendemain mais aussi de la manière dont sont présentés les choix possibles. Il y a donc toujours des « architectes du choix » et ce sont à eux que Thaler et Sunstein s’adressent : « Comme il n’y a pas de bâtiment sans architecture, il n’y pas de choix sans contexte. Les architectes du choix, qu’ils soient privés ou publics, ne sauraient rester passifs. »  Leur exemple de prédilection est celui de la cafétéria : en s’inspirant des techniques de présentation des marchandises dans les supermarchés, le gérant mettra en avant les produits bons pour la santé et en arrière, moins accessibles, les produits trop gras ou trop sucrés : les légumes devant les frites ou les pizzas, les fruits devant les gâteaux. Il pourra aussi diminuer la taille des portions disponibles, notamment de frites et de pizzas, ou celle des assiettes et des gobelets, comme à New York, voire supprimer les plateaux-repas pour freiner mécaniquement la consommation d’aliments censés être mauvais pour la santé.
L’idée est bien sûr que les « experts » savent ce qui est bon pour les « gens », trop irrationnels. Le choix est donc orienté, mais discrètement, pour que nous ne nous révoltions pas : c’est cela le « coup de pouce », le nudge. De toute façon qui ne voudrait pas « aider les gens  à vivre plus longtemps, mieux et en meilleure santé » ? Il faudrait aussi, par exemple, des nudges pour encourager l’adhésion aux systèmes de pension  en utilisant une « option par défaut » dans les feuilles de paie ou pour mettre fin à la pénurie d’organes pour les transplantations en établissant un « consentement présumé » lors de la délivrance du permis de conduire. Selon Thaler et Sunstein « le principe directeur est qu’il faut concevoir des politiques susceptibles d’aider les membres les plus frustes de la société tout en imposant le moins de coûts possibles à ses membres les plus éclairés ». Tout cela c’est pour « eux », pas pour « nous » : cela a échappé à Bloomberg après le rejet de son interdiction des sodas : « C’est un revers pour les gens qui sont en train de mourir » du fait de l’obésité mais « ça ne l’est pas pour moi : au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, je fais attention à mon régime ».
Pour ces auteurs, il va de soi que les experts ne sauraient en aucun cas se tromper, comme le prouvent sans doute la clairvoyance de la bureaucratie européenne ou la brillante gestion de la crise économique mondiale. D’un autre côté, ces experts n’envisagent pas non plus un seul instant que les « gens » pourraient avoir leurs propres bonnes raisons de choisir. Thaler et Sunstein condamnent l’imprévoyance de ceux qui vivent dans le présent et ne veulent pas « faire de plans pour leur retraite » (mais si l’on meurt avant ?) et de ceux qui  mettent leur santé en danger pour de petits plaisirs (mais si les frites, surtout avec du Coca et du Ketchup, au lieu de brocolis, ça en valait vraiment la peine ?) ou l’archaïsme de ceux qui pensent que le corps de leurs proches n’appartient pas à l’État. Et si les « gens » refusaient ces nudges simplement parce qu’ils sont « plus attachés à la liberté et au choix qu’au bien-être » ? Thaler et Sunstein envisagent un  bref instant cette objection, mais ils n’y répondent pas car ils ne la comprennent même pas : la liberté plutôt que la santé, comment est-ce possible ? Ils ne se rendent pas compte que les « gens » ont sans doute une conception de la vie plus riche, plus différenciée et plus humaine que celle d’universitaires standard.
Cass Sunstein, par ailleurs éditorialiste chez Bloomberg Media, a traité de l’affaire du soda new-yorkais et argumenté en faveur de son « paternalisme libertarien » dans un article de la New York Review of Books du 7 mars. Il s’en prend à John Stuart Mill, qui est effectivement le meilleur défenseur d’une conception radicale de la liberté. Selon Sunstein, si Mill  dit que l’individu est le mieux placé pour savoir ce qui est bon pour lui, c’est qu’il n’a pas eu la chance de connaître l’économie comportementale. Mais dans ce même article, Sunstein laisse entendre un autre ton de voix puisqu’il admet qu’on pourrait sans doute, au cas où les nudges ne fonctionneraient pas, faire appel à un « paternalisme coercitif » comme celui de Sarah Conly, auteur du livre Contre l’autonomie ; pour justifier le paternalisme coercitif. Selon elle, pour empêcher les gens de « prendre des décisions stupides », qui les mettent et nous mettent en danger, il faut en finir avec la liberté de choix, quelle que soit la réaction du public, qui n’est qu’un des éléments dans la prise de décision politique : elle propose par exemple d’interdire totalement de fumer où que ce soit. Dans son prochain livre, cette sympathique universitaire s’apprête à démontrer que l’on n’a pas le droit d’avoir autant d’enfants qu’on le souhaite. Sunstein avait lui aussi, naguère, montré les limites de son libéralisme en proposant de limiter la liberté de parole sur Internet sous prétexte de combattre les théories conspirationnistes.
Tel est le vrai visage du paternalisme.  On comprend mieux la réaction du juge Tingling et on peut espérer que les États-Unis sauront, mieux qu’une Europe déjà bureaucratisée, résister à la folie réglementaire de ces « experts » qui tuent l’esprit de responsabilité et de créativité.

Stuart Mill : l’antidote
Le livre de John Stuart Mill De la liberté (1859) est  le meilleur antidote à toutes les politiques néo-hygiénistes, et c’est  pour cette raison qu’il est si souvent critiqué par les bien-pensants. Contrairement à ce que dit Sunstein, Mill n’ignorait pas que les résultats des actions des individus peuvent leur être défavorables : mais, selon lui, ces individus, s’ils sont adultes, sont responsables de leurs actions. Si l’individu veut se détruire lui-même, il en est libre. Ce n’est pas parce que l’on se réclame de la santé ou du bien qu’il est permis d’attenter à la liberté de ses concitoyens.
Mill résume sa position dans ce qu’on a appelé le « principe de non-nuisance » : « La seule raison légitime que puisse avoir  une communauté civilisée d’user de la force contre un de ses membres, contre sa propre volonté, est d’empêcher que du mal ne soit fait à autrui. Le contraindre pour son propre bien, physique ou moral, ne fournit pas une justification suffisante. On ne peut l’obliger ni  à agir ni à s’abstenir d’agir, sous prétexte que cela serait meilleur pour lui ou le rendrait plus heureux ; parce que, dans l’opinion des autres, il serait sage ou même juste d’agir ainsi. L’individu est  souverain sur lui-même, son propre corps et son propre esprit. » Pour toutes ces raisons, Mill refusait la prohibition de l’alcool ou de produits toxiques comme l’opium, ne voulait pas réglementer la prostitution ou le temps de travail et n’objectait rien  au « mormonisme », c’est-à-dire à la polygamie.
Mill veut que la liberté d’opinion soit absolue, car il se pourrait bien qu’une des opinions réduites au silence soit une opinion vraie. Plus encore, pour briser le « despotisme de la coutume », Mill estime qu’une société a besoin d’ « excentriques », de personnages dont les idées mais aussi les comportements s’écartent de la norme courante et annoncent l’avenir, comme Socrate ou Jésus, pourtant condamnés en leur temps. « Le niveau d’excentricité d’une société se mesure généralement à son niveau de génie, de vigueur intellectuelle et de courage moral. Que si peu de gens osent maintenant être excentriques, voilà qui révèle le principal danger de notre époque. » Quel jugement porterait Mill sur notre ère « normale » ?.[/access]

*Photo : Supersize me.

Noter le bac avec justice

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cancre bac notation

cancre bac notation

Geneviève Fioraso, qui se croit de plus en plus ministre de la Chose éducative depuis que Vincent Peillon est aux abonnés absents, s’est longuement expliquée ce mercredi sur l’info parue dans Le Figaro et Europe 1.
Rappel des faits : l’Académie d’Orléans-Tours probablement peuplée d’élèves ignares, a eu l’année dernière l’un des taux de réussite au Bac parmi les plus bas de France. Et l’administration, qui compte ses sous d’appeler les correcteurs, cette année, à faire preuve de plus de mansuétude…
Inutile de noter sur 24 — ce qui s’est fait par le passé dans certaines épreuves de Maths du Bac S. Il suffit d’appuyer un peu plus que d’habitude sur les épaules des enseignants.
Quels sont les arguments de Geneviève Fioraso, qui a en haine tout ce qui ressemble à un bon élève ou à un prof  indépendant ? Comme elle est passée par le privé, la ministre ose des comparaisons : « Quand vous faites des évaluations dans les entreprises ou dans tout organisme, quand vous voyez qu’il y a une différence avec d’autres notations, vous vous interrogez sur vos critères de notations, ça, ça me paraît tout à fait normal. »
Et le « zéro défaut », ministre, tu en as entendu parler ?
Et d’avancer qu’une notation sévère (mais juste…) « pénalise » les lycéens, qui n’ont pas l’habitude d’être évalués sur leurs capacités réelles. Il faut « regarder les qualités des lycéens », et penser positivement. Au besoin en s’alignant sur les académies les plus performantes (comprenez : celles dont les taux de réussite correspondent aux désirs de la ministre des pédagos). Sinon, ce serait une « injustice ».
Je vais faire bref.
Collègues, mes collègues, qui cherchez depuis des années un moyen d’exprimer votre colère, vos frustrations, vos ressentiments, face à une administration qui vous a jetés en pâture à la FCPE, je vous en prie, obéissez à la ministre : notez justement.
Notez les copies et les élèves pour ce qu’ils valent : à copie nulle, mettez 1 (pas 0, il faut faire un rapport). Et des copies nulles, il y en a. Il y en a même pas mal. Refusez d’obéir aux injonctions d’un ministre de passage qui ne peut rien contre vous — c’est le moment ou jamais de vous souvenir que vous êtes fonctionnaires, et intouchables : notez le Bac, épreuve après épreuve, avec un sentiment d’équité parfait : appréciez les bons élèves, et renvoyez les autres, tous les autres, à la case Terminale. Ah, « ils » veulent 85% de réussite, au moins : mais bougres d’enfoirés, si les postulants-bacheliers sont notés en fonction de ce qu’ils valent, cela fera 85% de recalés.
Parce qu’il y a des années que les tripatouillages s’accélèrent. Déjà en 2000, la dernière fois que j’ai été convoqué au Bac : mais les pressions étaient encore orales, ils n’osaient pas l’écrire — maintenant, ils en sont aux menaces, alors qu’ils ne peuvent rien. Cette année-là, j’ai noté selon ma conscience (et c’est tout ce que je vous supplie de faire), et je n’ai plus jamais été convoqué au Bac — tu parles d’une frustration ! Plus jamais je ne me suis levé dans le petit matin blême pour courir à l’autre bout du département corriger des copies incohérentes et interroger des élèves tout farauds de ne rien savoir. À bon entendeur…
Oui, CORRIGEZ ET NOTEZ EN VALEUR REELLE. N’HESITEZ PAS. INUTILE DE SACQUER : LES COPIES PARLENT D’ELLES-MÊMES.
Et si la France entière, mise à genoux par une génération entière de grands sorciers de la pédagogie, le laxisme des uns, le libertaro-libéralisme des autres, se retrouve demain sans bacheliers, alors peut-être s’interrogera-t-elle sur ce que ces salauds ont fait de l’Ecole de la République. Peut-être s’interrogera-t-elle sur ce que nous devons tous aux enseignants, qui se désolent de ne pouvoir réellement infuser des connaissances solides et notent des TPE, et autres fariboles pédagogiques, en soupirant et haussant les épaules. Notez selon votre conscience, la ministre ne peut pas vous atteindre — et dans trois mois, six mois, elle sera remplacée et partira ailleurs mener le même travail de destruction bien intentionnée.
Oui : mettez aux copies les notes qu’elles méritent. Corrigez à fond. Allez-y.
Si vous obéissez ce coup-ci aux injonctions (mais qui est-elle, quels diplômes a-t-elle pour vous donner des ordres ? Pas même le CAPES — comme d’ailleurs la plupart des membres de son cabinet), il ne faudra plus jamais vous plaindre. Plus jamais.
Oui : c’est maintenant ou jamais. 2013, l’année de la Note juste. Notez-les pour ces belles années perdues, pour la morgue de leurs parents, pour la stupidité des ministres, pour la folie des pédagogues, pour les IUFM défunts et les ESPE en formation. Notez-les à leur juste valeur — juste en dessous du niveau de la mer.

*Photo: Ducobu.

Hongrie : Gyula Horn n’est plus

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Je viens d’apprendre le décès de Gyula Horn, qui fut ministre des Affaires étrangères du dernier gouvernement communiste réformateur, puis premier ministre de la Hongrie libre de 1994 à 1998. Je vois déjà venir des remarques cyniques. Citons par exemple la vieille déclaration de la députée Máira Wittner, laquelle avait en son temps souhaité la disparition de « ce bourreau qui  coule scandaleusement ses jours dans un hôpital aux frais du contribuable, alors qu’il ferait mieux d’avoir le bon goût de mourir ». Sic. Mais puissé-je me tromper. Car la première réaction officielle du gouvernement hongrois – qui a immédiatement exprimé ses condoléances aux proches de l’ancien premier ministre – aura apporté une touche de dignité bienvenue.
Je n’étais pas en Hongrie au moment où fut ouverte la frontière, le 11 septembre 1989. Je résidais alors en Allemagne, à Francfort. Mais je me souviens de la reconnaissance des Allemands envers les autorités hongroises de l’époque. Cela m’avait profondément marqué.
Je me souviens de ces milliers de « touristes » est-allemands que les autorités de Budapest se refusaient à renvoyer dans leur pays, comme le réclamait un Honecker rouge de colère et que l’on vit affluer dans les villes des anciens Länder.
Je me souviens du visage de Gyula Horn que je voyais sur tous les écrans des chaînes allemandes.
Je me souviens de cette cérémonie de remise du prestigieux Karlspreis (prix Charlemagne) au même Gyula Horn dès l’année suivante en présence du chancelier Helmut Kohl. Prix peu connu en France, mais tenu pour la plus prestigieuse des récompenses en Allemagne (son lauréat suivant sera Vaclav Havel en 1991).  Une ville du Bade-Würtemberg, Wertheim, donna même le nom de Gyula Horn à l’une de ses rues !
Car, ne l’oublions pas : même si elle fut précédée d’un sympathique « pique-nique paneuropéen » organisé au bord de la frontière, c’est bel et bien à l’initiative du gouvernement hongrois que fut ouverte la frontière le 11 septembre 89, le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Gyula Horn, étant venu lui-même découper les barbelés. Un geste ostensiblement symbolique en présence de son homologue autrichien. Une action qui avait été longuement et soigneusement préparée par des négociations et consultations (rencontre secrète avec Helmut Kohl et Genscher) dont l’ancien ambassadeur de Hongrie à Bonn a par la suite révélé les dessous.
Cinq années plus tard, Gyula Horn fut amené à diriger le second gouvernement d’une Hongrie officiellement démocratique. Pour preuve que les électeurs ne lui tinrent pas rigueur de son passé. On l’a entre autres accusé d’avoir mené en 1956 des exactions dans le cadre d’une milice ouvrière. La preuve n’en a jamais été donnée et lui-même s’en est toujours défendu avec la plus vive énergie. Et puis, soit dit en passant, il n’eût pas été le seul parmi des hommes en vue… ayant depuis viré leur cuti à droite.
Alors, ne jugeons pas. Constatons simplement les faits: l’homme qui vient de nous quitter fut l’un des principaux acteurs d’une ouverture qui, en 1989, aboutit à la chute du mur de Berlin, puis aux conséquences en chaîne que l’on sait.
Tout comme les Allemands, ayons au moins l’honnêteté et le courage de lui reconnaître ce mérite.

Comment Nicolas, 23 ans, manifestant, s’est retrouvé à Fleury-Mérogis

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fleury merogis manif pour tous

fleury merogis manif pour tous

Dimanche dernier, au sortir d’une énième manifestation contre le mariage homosexuel, Nicolas, 23 ans, est appréhendé au seul motif qu’il porte le sweat-shirt de la Manif pour Tous. Dans un élan de panique, il se réfugie dans un restaurant. Interpellé, gardé à vue puis mis au dépôt, il est déféré.  Mercredi, le tribunal correctionnel de Paris l’a condamné à quatre mois de prison dont deux fermes avec mandat de dépôt et à 1000 euros d’amende. Les juges lui ont reproché, outre la rébellion, d’avoir refusé un prélèvement ADN.
La situation est ubuesque. Nicolas a été condamné pour les conséquences de son interpellation qui est elle-même est, selon toute vraisemblance, sans fondement. La condamnation des juges n’a en effet aucun rapport avec les motifs de l’interpellation qui sont nuls. Après plus de quatre-vingts heures de détention qui n’ont pas d’autre objet que d’inciter à la faute, les zélés de la police nationale ont réussi à relever, chez un type poussé à bout, un refus et des protestations, tout cela afin de hisser l’affaire en justice. A ce petit jeu, plus un citoyen français ne saurait échapper à la case prison. Mettez quelqu’un en détention sans raison, il finira bien par tenter une évasion que le code pénal punit de trois à cinq ans d’emprisonnement. Et vous aurez alors le motif rétroactif de la détention. Quant au mandat de dépôt pour une peine de moins de six mois d’emprisonnement, c’est la marque d’une justice d’exception aux légers relents de lettre de cachet.
En effet, peu après sa nomination, la ministre de la Justice Christiane Taubira déclarait vouloir rompre avec la politique de répression et d’enfermement systématique de la droite: « Il faut recréer une politique pénale qui, sur la base de la lutte contre la récidive, fait de la pédagogie autour de la sanction […] Il y a des années qu’on sait que la prison, sur les courtes peines, génère de la récidive, c’est presque mécanique. Je le dis, il faut arrêter ! Ça désocialise, ça coûte cher et ça fait de nouvelles victimes. » (Libération, 7 août 2012). La Garde des sceaux promettait alors, pour des délits portant sur de courtes peines, d’utiliser tous les minuties du code pénal qui pouvaient éviter la case prison. A l’époque de cette profession de foi, Christiane Taubira ne pensait certainement pas à Ambroise, à Edouard, à Sixtine ou à Victoire[1. Pour éviter tout amalgame, les prénoms ont été modifiés.] qui iraient, drapeau français à la main et sifflet autour du cou, crier un peu partout dans les rues que le mieux pour un enfant était d’avoir un père et une mère. Non, elle pensait plutôt à d’autres, à ceux qui « n’avaient pas eu la chance de » et pour qui la justice aurait enfin des égards,  afin de faire prévaloir l’égalité des chances. Pour ceux-là, il fallait –peut-être à raison- de la clémence, de la pédagogie, de la justice sociale comme on dit.
Plusieurs récentes décisions des tribunaux montrent qu’une justice à double vitesse s’est calquée sur une France coupée en deux. Il y a trois mois, un groupe d’une vingtaine de jeunes gens aux visages dissimulés derrière des écharpes ou des capuches prenaient d’assaut, à la gare de Grigny, plusieurs rames d’un RER D rançonnant violemment les passagers, contraints de remettre téléphones portables, portefeuilles et sacs à main. Le 11 juin dernier, le tribunal rendait son verdict. Sur l’ensemble des voyous dont la participation aux faits a été reconnue par les juges, seulement cinq jeunes ont été condamnés à des peines de prison avec sursis. Les autres ont reçu des avertissements solennels, une mesure de protection judiciaire ou des heures de travaux d’intérêt général. Et l’un d’entre eux a été  relaxé au bénéfice du doute alors même qu’une des victimes soutenait formellement l’avoir identifié comme l’agresseur qui l’avait rouée de coups et aspergée de gaz lacrymogène. À Lille, il y a quelques jours, une mère veilleuse était agressée par un homme armé d’un couteau qui, à deux reprises, essayait de porter la lame au visage de la femme. Relâché après quelques heures au commissariat, il s’en tirait avec une composition pénale, mesure alternative aux poursuites pénales aux termes de laquelle, s’il donne son accord, il sera au pire sanctionné d’une amende ou d’un travail d’intérêt général. Plus récemment encore, une jeune militante antifasciste qui avait refusé de se soumettre à un test ADN après avoir été condamnée à du sursis pour rébellion (en l’espèce un coup de tête à un policier lors de la Gay Pride à Tours) se voyait astreinte à cent jours-amende à 10 €.
Il est difficile de comprendre une presse et un pouvoir qui raillent et amalgament les manifestations françaises quand, quelques semaines plus tard, cette même presse et ce même pouvoir, enjoignent l’Etat turc de couper le gaz lacrymogène et somment le Brésil de cesser la répression policière pour écouter son peuple. Mais le pouvoir est forcément partial et la presse partisane. Il est en revanche inconcevable que la justice se contorsionne comme un paon faisant la roue pour plaire au pouvoir en place. Désormais il n’y a plus un mais deux débats. La question du mariage gay continuera d’agiter la jeunesse de France qui, elle le répète assez souvent, ne lâchera rien. Mais cette jeunesse révoltée se fera aussi le nouveau défenseur de la démocratie, une démocratie où les libertés fondamentales telles que la liberté d’expression, la liberté d’aller et venir, le droit de manifester sont garantis. Tout comme le droit à un procès équitable, c’est-à-dire sans risque qu’un magistrat adepte de l’idéologie du mur des cons place ses opinions politiques plus haut que les lois de la République.

*Photo : U.S. Coast Guard.

Libre échange : USA vs Europe, un accord gagnant-perdant

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Au diapason de toute la gauche, notre souverainiste national, le vigilant Nicolas-« Vent Debout »-Aignan, s’est insurgé sur Twitter contre le président de la Commission européenne, José Manuel  Barroso. Le mécréant a osé traiter la France de vilaine « réactionnaire » (insulte suprême dans la bouche d’un néolibéral), à cause de sa volonté de maintenir l’exception culturelle dans le cadre de l’accord de libre-échange transatlantique. « Être qualifié de réactionnaire par M. Barroso qui est un vendu est un honneur pour la France ! » a vibré le président de Debout la République. S’il est toujours bon de saluer les élans gaullo-malruciens, intéressons-nous à ce qui se cache derrière ces cocoricos soulagés (après la mise sous cloche de l’exception culturelle) puis mortifiés (par les insultes de Manolo): que sont concrètement ces accords de libre-échange transatlantiques ?
Il y a en effet matière à s’inquiéter, voire à s’indigner pour ceux qui aiment ça- ou qui ne savent pas faire autrement – car cet accord de libre-échange, désigné par ses artisans comme le « plus important contrat commercial bilatéral jamais négocié« , et qui concerne un tiers du commerce mondial, risque fort d’être un pas de plus vers la dérégulation et le capitalisme illimité qui menacent déjà la survie de l’industrie européenne.
La faiblesse des droits de douane étant acquise depuis longtemps (moyenne de 5.2% pour l’Union européenne et 3,5% pour les Etats-Unis), le contrat de mariage  portera en réalité sur l’harmonisation des réglementations et la suppression des « obstacles non quantitatifs » à la libre circulation. En clair, il s’agit d’aligner  les normes européennes, jugées trop contraignantes, sur les normes américaines – beaucoup plus « pures et parfaites ».  Les normes environnementales, sanitaires et les standards de sécurité seront américanisés, pour pouvoir ouvrir le marché intérieur de l’UE à des produits autrefois interdits.
Si tout fonctionne comme Oncle Sam l’a prévu, la liberté de marché permettra au consommateur européen de goûter aux joies du bœuf aux hormones ou du poulet à la chlorine, tandis que la PAC, archaïsme protectionniste qui fausse la concurrence sera abolie, et qu’outre-Atlantique on pourra consommer du parmesan texan ou du camembert californien (les normes d’origine géographiques étant dans le viseur des Etats-Unis). Voilà donc les « perspectives fantastiques »  dont parle Jean-François Copé !
Mais alors, qu’avons-nous à gagner dans ce tope-là-ça-roule avec les Yankees ?
D’abord,  nous argue-t-on, des gains économiques: la Commission estime qu’une libéralisation totale des échanges permettra de dégager un surplus de croissance pour l’Union de 0,5% du PIB.
Ensuite, un objectif « idéologique » : d’après Bruce Stokes, du German Marshall Fund of the United States, il s’agit de  « S’assurer que le capitalisme version occidentale reste la norme mondiale et pas le capitalisme d’Etat chinois », bref d’assurer l’hégémonie globale du dogme libre-échangiste contre les velléités colbertistes de l’empire du Milieu. Toute forme d’économie dirigée ou de capitalisme régulé étant autant d’obstacles à l’extension du Far-West global.
D’après les experts de Bruxelles et de la Maison Blanche, pour sortir le monde occidental de la crise, il suffit donc  de sauter sur son transat comme un cabri en disant « Libre-échange ! Libre échange ! »
Et puis… et puis c’est tout. On a beau chercher, on a du mal à comprendre ce que l’Europe et la France vont gagner dans ce pacte qui ressemble fort, comme l’écrit Jean Quatremer  à un accord « gagnant-perdant » ( comme quoi le représentant de Libé à Bruxelles- à moins que ce soit l’inverse – ne peut pas se tromper sur tout tout le temps).
On a plutôt l’impression que les Etats-Unis profitent de la faiblesse de l’Europe, dévorée par les politiques austéritaires et la crise de l’euro pour standardiser le Vieux Continent et agrandir leur marché, tout en sachant très bien qu’à ce petit jeu, l’Europe et ses « préférences collectives » trop protectrices ne pourront pas suivre. Il n’y a qu’en perfide Albion qu’on se réjouit dans les grands médias de ce saut atlantiste qui permettrait de sauver l’Europe en peine. Pour expliquer cette inexplicable reddition, les mauvaises langues susurrent que Barroso la jouerait perso : il viserait après son mandat à la Commission qui s’achève le secrétariat général de l’ONU ou celui de l’OTAN, poste dont l’attribution se décide en grande partie dans le bureau ovale…
D’aucuns pourront encore espérer que le mandat que donnent demain les ministres européens à la Commission saura tracer les contours d’un cadre efficace pour protéger, faute de mieux, l’industrie européenne, les services publics, le domaine de la défense et l’agro-alimentaire.
D’autres, comme moi, se contenterons de paraphraser ce bon vieux Churchill : entre l’Europe et le Grand large, nous choisirons… ni l’un ni l’autre.

*Photo: Dennoir.

Carton rouge pour le multicu au Québec !

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sikh quebec canada

sikh quebec canada

À en croire la presse canadienne anglophone, le Québec serait une société intolérante, voire raciste. Ni plus, ni moins ! La raison : la Fédération de soccer (le football) du Québec (FSQ) a refusé de laisser un joueur porter so turban sikh pendant ses activités sportives. Si cette décision est fortement critiquée par l’Association canadienne de soccer, la FSQ explique que son choix est en conformité avec les règles de la Fédération internationale de football (FIFA). Des leaders de la communauté sikhe ont par ailleurs tenu à soutenir la décision de la FSQ : la demande du port du turban leur semble venir de « groupes extrémistes ». L’affaire dite du turban serait-elle le symptôme d’une société quebecquoise xénophobe ?
En réalité, la décision motivée de la FSQ et les critiques incisives qu’elle suscite coté Canada font ressortir le fossé culturel et idéologique qui sépare francophones et anglophones. Si le Canada – majoritairement anglophone – est officiellement une société multiculturelle depuis l’adoption de la Charte des droits et libertés de 1982, le Québec a, pour sa part, refusé de la signer : ouverte à la diversité culturelle, la Belle Province s’est positionnée contre le multiculturalisme.
Le multiculturalisme est une doctrine politique assurant un statut social égal aux membres de diverses cultures et favorisant l’expression de leurs particularités culturelles au sein d’un État. L’article 27 de la Charte des droits et libertés s’engage ainsi à promouvoir « le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens ». C’est pourquoi un recours judiciaire devant une instance fédérale donnerait vraisemblablement tort à la FSQ puisqu’au regard du multiculturalisme, le port du turban sur un terrain de sport est un droit.
Mais il existe pour autant une diversité culturelle au Québec qui témoigne de son ouverture à l’immigration et de sa tolérance à l’égard de ses multiples communautés. Pas moins d’une centaine de pays sont représentés à Montréal. En revanche, le Québec ne reconnaît pas l’égalité des statuts aux membres des diverses cultures. Mais cela n’est pas le signe d’une intolérance, que seuls des terroristes intellectuels peuvent pointer du doigt. L’immigration est en hausse constante : chaque année, le Québec ouvre ses portes à des dizaines de milliers d’immigrants. La seule contrainte qu’il leur est demandé d’accepter est d’assimiler les règles culturelles de leur nouvelle société d’accueil. La première de celles-ci étant : Ici, on jase en français !
C’est parfois au détriment de sa propre culture que la Belle Province accepte une immigration issue du monde entier. Il est donc compréhensible, sinon légitime, qu’elle s’oppose alors avec plus ou moins de fermeté (voir la crise des accommodements raisonnables en 2007) à la doctrine multiculturaliste. Le Québec est le dernier vestige d’une Amérique jadis française. C’est une petite nation au sens où l’entendait Milan Kundera[1. Dans L’Occident kidnappé ou la tragédie de l’Europe centrale.], c’est-à-dire une nation « dont l’existence peut être à n’importe quel moment remise en question, qui peut disparaître et qui le sait ». Le Canada anglais n’étant pas menacé puisqu’il constitue la société majoritaire, il a dès lors pu mettre en place un tel modèle que le Québec considère dangereux pour sa survie en tant que société minoritaire en Amérique du Nord.
Ironie de l’histoire, c’est le Québécois Pierre Elliott Trudeau, ancien Premier ministre du Canada, qui a été l’architecte du multiculturalisme. L’histoire canadienne n’en est d’ailleurs pas à une ironie près. Ainsi, les symboles nationaux de l’actuelle Fédération canadienne ont été repris aux francophones. C’est Jacques Cartier qui baptisa ce nouveau monde : le Canada ; c’est le chant Ô Canada, composé par le Canadien français Calixa Lavallée qui, après avoir été traduit en anglais, sert d’hymne national ; c’est enfin la feuille d’érable, symbole par excellence de la Belle Province, qui apparaît sur le drapeau canadien.
Ceux qui ont gagné la guerre (les Britanniques) se sont appropriés les symboles culturels de ceux qui l’ont perdu (les Français) pour bâtir un nouveau pays.

*Photo : Alexandra Guerson.

Pas de dragées pour les gays polonais

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pologne mariage gay walesa

pologne mariage gay walesa

Heureux comme un homosexuel en France : c’est peut-être ce dont rêvent les gays polonais. Pour eux, ça n’a pas marché : à l’heure qu’il est, la Diète polonaise est sans doute en train de discuter à nouveau du projet de loi sur l’union civile. C’est que nous, les Polonais, nous aimerions nous donner, comme aurait dit Gombrowicz, la gueule d’un pays civilisé. Autrement dit, nous souhaiterions rester catholiques à 99%, mais avec un zeste d’ouverture d’esprit, de tolérance, de modernité. Au lieu de quoi le Financial Times nous qualifie de « pays de l’Est » – autant dire barbare. Quand il fallait combattre le communisme, nous étions de l’Ouest. Là, un mot de travers et nous revoilà « de l’Est » ! Voilà une belle récompense ! Ah, si nous avions su à quoi ressemble la démocratie, nous n’aurions pas levé le petit doigt. On verrait alors les mauviettes du « FT » donner des leçons de morale aux camarades du Soviet suprême ! Mais bon, les choses sont comme elles sont. Impossible de revenir en arrière. Qu’on le veuille ou non, nous avons une démocratie en Pologne et il faut qu’on se débrouille avec.
Le scandale est parti d’un rien. Interrogé sur ladite union civile, Lech Walesa a simplement conseillé à la minorité homosexuelle de rester à sa place de minorité. Sur un plateau de télévision, à une heure de grande écoute, le Prix Nobel de la paix a suggéré que les députés homosexuels occupent les derniers rangs du Parlement polonais, voire qu’ils soient séparés de leurs collègues par un mur. Rien que ça. Non pas que ces idées d’un autre âge n’aient pas cours dans la société. Mais Walesa, le héros de Solidarnosc… Pour paraître moins slave et plus civilisé, Walesa aurait pu formuler cette proposition de façon moins abrupte. Enfin, l’essentiel, c’est que les homos ne se soient pas vexés. Un activiste LGBT a même déclaré : « Je ne voudrais pas faire de Walesa l’ennemi numéro un de la communauté gay de ce pays. Tout au plus, l’ex-président a verbalisé l’opinion de beaucoup de Polonais. Je ne serais pas surpris d’apprendre que la majorité de mes concitoyens partage ses sentiments. »[access capability= »lire_inedits »]
Pour autant, il ne faut pas désespérer de la Pologne : à en croire les sondages, 12% des Polonais considèrent l’homosexualité comme « quelque chose de normal ». Certes, plus de la moitié pense le contraire, estimant néanmoins qu’il faut tolérer le phénomène. Mais bon, 12% de citoyens éclairés, ce n’est pas rien pour une grande démocratie. L’humeur de l’opinion au sujet de l’union civile est à l’avenant : plus de 90% des personnes interrogées s’y déclarent favorables pour deux personnes de sexe opposé. S’agissant des couples homos, la proportion de réponses positives tombe à un tiers. Et, croyez-le ou pas, ce résultat révèle une nette progression de la gay-friendly attitude : nous en étions loin deux ans plus tôt ! Certes, deux tiers des Polonais, Lech Walesa en tête, continuent à juger malvenue la moindre manifestation publique d’homosexualité. Mais on se gardera de jugements expéditifs. Considéré à froid, le point de vue de l’ex-leader de Solidarnosc se révèle moins barbare. Voilà qu’il l’explique dans une interview, cette fois-ci, de presse : « Je ne suis pas homophobe. Dieu m’en préserve ! Je me bats juste pour que la démocratie reflète la composition de la société.  […] Et si la majorité des gens avait viré homo, qui paierait des impôts ? Après tout, les gens vivent pour procréer et payer des impôts ! » Qui aurait cru que la Pologne allait enseigner aux autres nations le sens de la vie ?
Soyons positifs : après tout, les Polonais tolèrent pas mal de choses. Cas unique en Europe, le Parlement compte un élu transsexuel. Sans parler de cet autre député qui a fait son coming out et invité ses collègues à l’imiter. Bon, jusqu’à présent, son appel n’a pas rencontré un grand succès. Et la minorité homosexuelle (estimée à 4 % de la population) a réussi à faire présenter devant la Diète des projets de loi instaurant l’union civile – droits au domicile familial, à la succession, à l’accès au dossier médical du partenaire (légal en Pologne pour les couples mariés) et tout et tout. Bien que rejeté en première lecture, en janvier 2013, le texte a suscité un vif débat. Et qui dit « débat », dit « démocratie ». Alors, où est le problème ?
Certains considèrent qu’il réside dans la Constitution polonaise, l’une de plus traditionnalistes du Vieux Continent concernant le droit de la famille ; d’autres assurent qu’il résulte des divisions au sein du parti au pouvoir, la Plate-forme civique (PO). L’article 18 de la Constitution stipule en effet que le mariage est une union de deux personnes de sexe opposé, protégé comme tel par les institutions de l’État. L’union civile serait donc anticonstitutionnelle, selon ses détracteurs, puisque les deux partenaires pourraient être du même sexe. « Faux ! », rétorquent ses partisans. Primo, l’union civile ne remplacera pas le mariage. Secundo, les couples mariés bénéficieront toujours de droits uniques comme celui d’adopter des enfants. « Un législateur qui se veut démocratique a le droit de promouvoir un modèle de famille qu’il considère comme optimal, mais il ne peut pas priver les citoyens du droit à régulariser le mode de vie qu’ils ont choisi tant que ce mode de vie respecte la loi », a déclaré un spécialiste du droit constitutionnel. Pour résumer, la Constitution polonaise ne pose pas de problème. Pas plus, d’ailleurs, que les affrontements entre les conservateurs et les libéraux dans les rangs de la PO.
Certes, faire émerger une position commune, alors que le premier ministre se dérobe à sa responsabilité de discipliner le parti qu’il préside en affirmant qu’il n’a l’intention ni d’accélérer ni de ralentir les changements sociétaux, relève du vœu pieux. D’un côté, son  ministre de la Justice, membre du même parti, exclut toute institutionnalisation de l’union civile, concédant seulement quelques amendements aux lois en vigueur. De l’autre, l’aile libérale de la PO défend le principe d’une nouvelle loi, en arguant que moins la définition légale d’une union civile sera précise, plus les risques d’abus seront grands. Le ministre de la Justice menace de s’en aller en cas de victoire des libéraux : « Je serais tenté d’accorder certaines prérogatives aux personnes qui vivent dans une relation durable mais pas forcément érotique. Par exemple, deux voisines d’un âge avancé qui s’occupent l’une de l’autre auraient une facilité d’accès au dossier médical de l’autre. » Les libéraux ripostent par l’intermédiaire d’un membre du Conseil d’État dont ils ont obtenu le soutien : « Si quelqu’un craint que l’union civile de quelqu’un d’autre dégrade son propre mariage, il ne reste qu’à le plaindre ! » Tout cela vire parfois au pugilat mais en vérité, ces dissensions au sein de la PO sont un détail. Au final, le calcul électoral l’emportera et le parti au pouvoir devra prendre en compte le fait que les Polonais, aussi attachés qu’ils soient au mariage traditionnel, ne sont pas insensibles aux avantages de l’union civile, à commencer par la possibilité de la rompre facilement. Déjà une majorité (63%) accepte sans broncher que les jeunes décident de se marier plus tardivement ou pas du tout, c’est dire.
Et pourtant, il y a un problème. Et ce problème, c’est que la démocratie est incompatible avec la culture politique des Polonais. Tôt ou tard, la Diète votera une loi sur l’union civile, reconnaissant ainsi à tous le « droit au bonheur », pour reprendre la formulation employée par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Cela fera-t-il de la Pologne un pays civilisé ? Sans doute, du moins aux yeux des éditorialistes du « FT ». Il est en revanche peu probable que Walesa cesse de parler le « langage des troglodytes », dixit un député social-démocrate. En attendant le « FT » n’a rien trouvé à redire à la procédure d’interpellation engagée par le chef de file des radicaux de gauche au sujet de la catéchèse qui, selon lui, enfreint la loi sur l’éducation à la sobriété : la transformation de l’eau en vin relève de la production d’alcool. Un pays civilisé, vous dit-on…[/access]

*Photo : lifebeginsat50mm.

Le Bac – et après

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ecole bac profs

ecole bac profs

Le Bac est devenu un rite vide, la conclusion dépourvue de sens d’une scolarité largement vidée de tout contenu réel. Un rite onéreux, aussi — près de 100 millions d’euros, estime le magazine Challenges. Et on a eu beau le simplifier, exiger des examinateurs la plus grande mansuétude, on ne parvient plus à monter au-dessus de 85% de reçus — c’est à la fois trop et pas assez. Trop, si l’on voulait que le Bac conserve un semblant de crédibilité. Pas assez si on pense que 15% d’échecs, c’est près de 100 000 candidats qui repiquent, soit pour l’Education nationale un coût de 1 200 000 000 € (à 12 000 € par an et par élève). Et c’est largement inutile, si l’on pense que près de 40% des formations post-Bac (BTS, IUT, prépas…) recrutent aux mois de mai-juin sur livret scolaire sans un regard pour un Bac qui n’est pas encore passé, mais que l’on tient désormais pour une formalité désuète.
Tout a été fait ces dernières décennies pour vider de son sens ce premier titre universitaire — pour me pousser, en quelque sorte, à écrire que le Bac est désormais inutile, et qu’il est temps de laisser tout le Supérieur recruter comme il l’entend. Décidons d’un titre qui sanctionnerait désormais un niveau d’études, et laissons les universitaires décider de qui ils ont envie d’avoir en face d’eux dans les amphis. Cela éviterait à des gamins qui croient tenir en main un sésame de s’engager dans des impasses, et d’aller, à près de 50%, se fracasser en Licence.
Inutile de se demander comment revivifier le Bac : on ne ressuscitera jamais le cadavre de ce qui fut jadis l’un des meilleurs systèmes d’enseignement et d’évaluation au monde. Noter les élèves au Bac en fonction de leurs capacités réelles reviendrait à les condamner sans rémission — parce qu’ils sont les produits, et les victimes, d’une Ecole primaire qui tient encore parce que de brillantes personnalités s’y dévouent sans compter leurs heures ou leurs efforts, sous les quolibets de leurs Inspecteurs ; produits aussi d’un Collège unique qui partait peut-être d’une idée généreuse, qui a démontré depuis longtemps sa nocivité ; produits souvent de ces Zones d’Education Prioritaires qui ont greffé le ghetto culturel sur le ghetto social ; produits enfin d’un lycée où la part du disciplinaire s’étiole chaque année, minée par les restrictions budgétaires des uns et la pédagogonigologie des autres. Inutile de s’abîmer en nostalgies inutiles : restaurer le Bac, ce serait condamner à l’échec une génération élevée dans l’optique du bonheur immédiat — ne rien faire, sans le faire très bien. Bien sûr qu’aucun des postulants au Bac 2013 ne résoudrait les questions posées au Certificat d’Etudes de jadis — mais ils ne vivent pas dans le même monde, nous dit-on. Certes — mais ils ne sont pas préparés non plus ni au monde d’aujourd’hui, ni à celui de demain. Que la refondation de l’Ecole se préoccupe de temps scolaires (le lobby des pédopsys — malgré les protestations fondées des instits) ou de réaménagement des vacances (le lobby des hôteliers, malgré les remarques de bon sens des profs) donne la mesure de ce qui reste à faire — tout. À commencer par un apprentissage systématique du français, langue, culture et histoire, et des sciences : les deux passeports sans lesquels on est condamné, dès l’école, à la précarité intellectuelle et économique. Le désespoir frappe à la porte — il pourrait bien frapper tout court.
Mais peut-être est-ce cela l’objectif — des jeunes sans repères ni mémoire, taillables et corvéables à merci grâce aux brillantes intelligences qui aujourd’hui conseillent la Gauche après avoir si bien géré la Droite. Des jeunes qui n’ont même plus les mots pour se plaindre. Combien de vrais enseignants de terrain autour de Vincent Peillon ? Il s’acharne à ne pas voir que le problème actuel de l’Ecole, c’est ce qu’on y apprend — pas l’allongement du temps de présence des maîtres, un sujet familier aux cafés du Commerce et aux syndicalistes professionnels. On nous assène en permanence un « modèle allemand » largement fantasmatique : le lecteur sait-il que les enseignants d’Outre-Rhin sont deux fois mieux payés que les Français, pour un travail largement équivalent ? Combien d’universitaires réels autour de Geneviève Fioraso ? Elle veut à toute force noyer les classes prépas, dernier village gaulois qui résiste encore et toujours à la débâcle pédagogique, dans des universités dont la fonction essentielle semble être de retarder l’arrivée des étudiants dans les queues de Pôle-Emploi.
Vous trouvez que l’éducation coûte cher ? Essayez l’ignorance, comme l’a suggéré un bon esprit. La rue de Grenelle, comme la rue Descartes, commence et finit à Bercy. Géographie et politique de gribouilles. Tenez, supprimons le Bac, ce sera toujours ça d’économisé, et redonnons le pouvoir à ceux qui se soucient vraiment de l’avenir des élèves et des étudiants, et qui espèrent encore, alors même qu’ils n’espèrent plus rien.

*Photo : Les Profs