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Maman, j’ai peur du futur…

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Il y a les mères poules, les mères filles, les mères cools et les mères tyranniques. Les adulescentes et les matriarcales. Pauline, elle, est une « bonne mère », elle se le dit, se le répète, elle ne vit que pour sa fille, son enfant, son bébé. Une fille qu’elle serre dans ses bras la nuit, une fille sans prénom, anonyme poupée qu’elle cajole comme un prolongement d’elle même. Dans son grand appartement cosy et aseptisé, protégé de la bêtise du monde extérieur, Pauline entoure sa fille d’un amour total qui ressemble moins à l’instinct maternel qu’à la passion du créateur pour sa créature. Car, « à une époque où il se murmurait avec désapprobation qu’il serait devenu possible de choisir le sexe de son enfant, caprice réservé à quelques milliardaires zinzins et probablement musulmans, à cette époque, Pauline avait une fille de 6 ans aux composantes génétiques dûment sélectionnées ».

Fusion est l’histoire, à la fois glaçante et drôle, du désir absolu d’enfant devenu dans nos sociétés contemporaines, non plus l’ouverture à une descendance qui serait transcendance, mais l’extension narcissique de l’amour de soi, non plus le lieu de la transmission d’une filiation, mais l’endroit d’une impossible fusion. C’est une fable caustique, écrite d’une plume dynamique qui dépeint la logique infernale où les individus enivrés de technique confondent le rôle de parent avec celui de démiurge.

Dans cette nouvelle de 80 pages, Sophie Flamand nous entraîne à un rythme endiablé et cynique vers l’apocalypse, au triple sens du mot : révélation, catastrophe et fin du monde, de notre monde humain. Et quand on est en train de comprendre où elle nous a amené, il est déjà trop tard.

Cadeau mère-fille idéal pour Noël. Ou pas. A vous de lire.

Fusion, Sophie Flamand, Lamiroy, 2013.

Moi François Hollande, je romprai avec la Françafrique

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centrafrique francois hollande

Lionel Jospin, lors du putsch du général Gueï à la Noël 1999 en Côte d’Ivoire, avait mis en application sa doctrine dite « ni ingérence, ni indifférence ». Il s’ensuivit une décennie de guerre civile. Un gâchis que le défunt 43°BIMa de Port- Bouët aurait pu éviter s’il était intervenu pour défendre le président élu, Henri Konan-Bédié. La cohabitation fit que Chirac et Jospin jugèrent urgent d’attendre. En mars 2012, la France en campagne présidentielle regardait impotente le putsch du capitaine Sanogo à l’origine de l’effondrement de l’Etat malien. Un an plus tard, belote et rebelote, François Hollande laissait tomber le centrafricain François Bozizé, un despote parmi d’autres, face aux colonnes de la Séléka. Hier, une opposition armée, aujourd’hui un mouvement accusé par le Département d’Etat, mais un peu tard, d’être « prégénocidaire ».

En Côte d’Ivoire, au Mali, en Centrafrique, à chaque fois une coûteuse opération militaire est nécessaire pour colmater les brèches et remettre en selle un processus démocratique qu’on aurait pu réformer lorsque tout allait pour le mieux. Mais c’est au pied du mur qu’on voit le mieux le mur… Alexandra Geneste soulignait, non sans ironie, dans Le Monde: « il aura fallu huit mois aux quinze pays membres du Conseil de sécurité de l’ONU pour s’entendre sur le « besoin d’une action rapide et décisive » en République centrafricaine (RCA)« . Rejeter la faute de cet attentisme chronique sur les seules Nations-Unies serait toutefois injuste car c’est bien l’Élysée qui semble marabouté par le spectre de la « Françafrique ». Ce fantôme réactivé avec gourmandise par la médiacratie française a fait oublier le sens premier de ce néologisme forgé par Félix Houphouët-Boigny. Une fusion stratégique franco-africaine, pour le meilleur et pour le pire, qui mériterait d’être extirpée de ses interprétations simplistes (du style France-à-Fric) pour n’en garder que l’idéal fondateur imaginé par de Gaulle.

Malheureusement, on a pris la regrettable habitude de dénigrer la « Françafrique » à force de cultiver un complexe colonial et antiraciste. L’aventure coloniale, qui fut largement l’œuvre des républicains, a suscité au lendemain de la seconde guerre mondiale, un malaise et un repentir dont la France et, tout particulièrement la gauche, peinent à se défaire. Car la décolonisation fut mieux assumée par le gaullisme que par le socialisme. Ce malaise est entretenu par une partie des descendants des colonisés et de certaines personnalités de gauche qui trouvent dans le combat contre la Françafrique une sorte de rattrapage militant de la lutte anticoloniale. Un phénomène que reconnaissait volontiers Thomas Mélonio, aujourd’hui conseiller Afrique adjoint de l’Élysée, dans une tribune au Monde le 13 juillet 2011 au profit de la Fondation Jean-Jaurès : « Une relation complexe, marquée par les traumatismes de la décolonisation et les indépendances. (…) des enjeux de politique intérieur sensibles : il faut donc définir un discours susceptible d’en porter toutes les dimensions et éviter le double écueil de l’autoflagellation et de la glorification de la colonisation. »
Pas étonnant que le premier à prononcer l’arrêt de mort de la Françafrique dans un discours présidentiel fut François Mitterrand, lequel dut en partie son élection au scandale des diamants de Jean-Bedel Bokassa. Des sentences récurrentes à chaque début de mandat. Autant de coups d’épée dans l’eau dont la « Françafrique moribonde » se releva à chaque fois.

Avec le temps, la droite a repris le slogan de « la fin de la Françafrique ». Un peu comme si elle était gagnée par le complexe colonial de la gauche. Foccard et Giscard jouant le rôle de Ferry et Gallieni. Pourtant, la droite a continué, comme la gauche, à s’impliquer; toujours rattrapées par l’étroitesse des relations franco-africaines. Souvenons-nous du discours de Nicolas Sarkozy, bien plus insultant que celui de Dakar,  qui annonçait, à l’occasion du 25ème Sommet Afrique-France (on ne peut plus dire sommet France-Afrique…), vouloir « en finir avec 50 ans de Françafrique » et faire de l’année 2010 « la véritable année de la décolonisation ». Et pourtant Nicolas Sarkozy, qui ne s’y était jamais intéressé et qui a commencé par démanteler la moitié de nos bases militaires, n’a cessé d’y intervenir au Tchad, en Côte d’Ivoire, au Niger, en Mauritanie, en Libye… mi-indifférence, mi-ingérence!

François Hollande, en fidèle disciple de Mitterrand, ne fut pas en reste. « Je romprai avec la « Françafrique », en proposant une relation fondée sur l’égalité, la confiance et la solidarité. » pouvait-on lire dans sa 58ème promesse de campagne. Après quelques pudibonderies post-électorales, il se rendait en juillet 2012 à Kinshasa au sommet de la francophonie, poussé par sa ministre Yamina Benguigui, sur fond de crise malienne. Alors même que des émeutes urbaines venaient d’être réprimées dans le sang en RDC. En l’absence de cellule africaine conséquente à l’Élysée et face à l’inconsistance de Pascal Canfin et Yamina Benguigui, Jean-Yves Le Drian en a profité pour prendre la main sur les questions africaines. Sur Europe 1 cette semaine il s’est même autorisé à remarquer que « Le Premier ministre et le Président Djotodia (…) sont des autorités de transition (…) ces autorités sont provisoires, elles seront remplacées« . Comme au bon vieux temps de Bokassa Ier?  Reste à savoir pourquoi ne l’avait-on pas fait plus tôt en empêchant les rebelles de piller Bangui.

Peut-être parce qu’à la gauche du PS, on recommence à agiter le spectre de la Françafrique… « On a le triste sentiment de revenir aux méthodes anciennes de la Françafrique » regrettait Noël Mamère au lendemain de l’opération Serval. Pour le PCF et le Front de Gauche  « la France doit se désengager sur le plan militaire, rompre avec la politique de domination contenue dans le Livre blanc 2013 de la défense. » « La France a une responsabilité écrasante dans cette tragédie. Elle a une dette considérable envers le peuple de Centrafrique » poursuit Dominique Josse, animateur du « collectif Afrique du PCF ». La tentation de l’autoflagellation n’est jamais très loin à gauche.

*Photo : REX/Alon Skuy/Gallo Ima/REX/SIPA. REX40311099_000004.

À lire sous la douche

spark big beat

ELOGES DE LA PARESSE

JEUDI 26 SEPTEMBRE.

Deux cents ans et quelque avant Paul Lafargue, on trouve un joli éloge de la paresse dans Boileau :

« Hélas ! Qu’est devenu ce

 temps, cet heureux temps,

Où les rois s’honoraient du

nom de « fainéants » ? […]

Aucun soin n’approchait de

leur paisible cour.

On reposait la nuit, on

dormait tout le jour. »

À comparer avec le style grotesquement pompier de Lafargue sur le même thème : « Ô paresse, mère des arts et de toutes vertus, sois le baume des angoisses humaines » – exit donc Lafargue – et dans la foulée ce pauvre Eugène Marsan, qu’on n’a même pas eu le temps de présenter… C’est quand même lui l’auteur de L’Éloge de la paresse, accessoirement membre du Club des longues moustaches, avec ses potes Edmond Jaloux et Henri de Régnier.

Reste le cas Boileau : ce catholique- là, avec sa plaisante apologie des « rois fainéants », ne remet-il pas en cause l’un des sept péchés capitaux ? Eh bien non car, contrairement à ce qu’une vaine élite pense, la paresse n’en fait pas partie.

Elle n’est qu’une apparence, qui peut cacher beaucoup de réalités. Ce que l’Église, dans sa grande sagesse, a identifié comme un péché capital, ce n’est pas la simple paresse : c’est l’acédie. Si le mot est un peu tombé en désuétude ces derniers siècles, tel n’est pas le cas de la chose.

Ce mélange d’incurie et d’accablement, très tendance sous nos latitudes actuelles, est le signe infaillible d’une perte de foi, non seulement en Dieu mais en soi-même. Bref le genre de truc qu’on ne souhaite à personne, sauf peut-être à ces cons de bosseurs qui nous filent des complexes.[access capability= »lire_inedits »]

D’ALBUQUERQUE À LILLEHAMMER

LUNDI 30 SEPTEMBRE.

En deuil de « Breaking Bad », dont je viens d’inhaler la soixante-deuxième et dernière bouffée, je reprends goût à la vie en apprenant que la série a remporté enfin l’Emmy Award qu’elle méritait depuis cinq ans. Sur scène, l’équipe saute de joie, et moi pareil sur ma chaise.

En attendant la prochaine tournée de crystal meth du génial Vince Gilligan qui nous a cuisiné cette fournée, je cherche une autre série aussi addictive. Après diverses déceptions (n’excédant pas quinze minutes chacune, rassurez-vous), je tombe sur « Lilyhammer », feuilleton américano-norvégien.

Ces temps-ci, la mode était aux séries scandinaves suivies de remakes US. Là, on gagne du temps, et de la subtilité au passage : le mélange américanorvégien n’est pas seulement dans la prod’, c’est le cœur du sujet!

Tout repose sur le choc des cultures, mais sans l’habituel prêchi-prêcha universaliste. Dans ce thriller parodique, le ton est à la dérision tous azimuts. Mais lais- sons la parole à notre programme télé favori : « Après avoir dénoncé le chef de la mafia new-yorkaise, Frank Tagliano, escroc notoire, démarre une nouvelle vie dans une petite bourgade norvégienne. »

La bourgade en question, c’est Lillehammer, dont on était sans nouvelles depuis les JO de 1994. Pas étonnant que le gangster new-yorkais en cavale ait du mal à s’adapter à l’ambiance locale. Mais si notre héros fait tache au milieu de la blanche et puritaine campagne norvégienne, c’est moins en tant qu’Américain qu’ès-qualités de mafioso latino, savoureux comme un « goodfella » de Scorsese.

L’acteur principal, Steven Van Zandt, avait déjà fait ses preuves dans le genre ; pour les connaisseurs, il fut le bras droit de Tony Soprano dans la série éponyme. Et pour les plus cultivés, « Little Steven » est aussi dans la vie auteur-compositeur de rock et guitariste de Springsteen.

Je ne saurais trop vous recommander cette série pour ce qu’elle est : une excellente comédie policière en forme d’études de mœurs comparées, constamment drôle et pertinente. « Jubilatoire », comme diraient nos amis les critiques.

Reste qu’on est loin des cimes méthamphétaminées de « Breaking Bad », comme de sa profondeur humaine, et inhumaine. Pour déstabiliser le spectateur, même averti, Gilligan ne se contente pas d’entre- mêler en permanence les fils du thriller et du cocasse sur un fond uniformément noir. Il nous force vicieusement à sympathiser avec son antihéros, alors même qu’au fil des saisons, celui-ci devient le pire des monstres. Quoique…

WHO KILLED THE KENNEDYS ?

MARDI 1er OCTOBRE.

Enfin un livre drôle sur l’assassinat de JFK ! Dans Qui n’a pas tué John Kennedy ?, Vincent Quivy recense toutes les théories complotistes sur l’affaire, des moins banales (« l’homme au parapluie ») aux plus originales (l’OAS…). Au total, 300 pages de délire compact pour 19 euros seulement ! Les radins n’auront qu’à se contenter d’Oswald.

FROIDS SONT LES CRABES.

LUNDI 7 OCTOBRE.

Vous connaissez Plonk & Replonk, ou  au moins l’un des deux ? Sinon, je vous mets tout de suite à l’aise : j’ai moi-même découvert par coursier de la maison Hoëbeke leur superbe album intitulé De zéro à Z, l’abécédaire de l’inutile, et leur existence par la même occasion.

Nos amis se revendiquent de Desproges et des Monty Python, ce qui est bien, mais aussi d’Edward Lear, ce qui est plus original. Qui se souvient encore du roi Lear, père du nonsense iniquement éclipsé au profit de son contemporain cadet Lewis Carroll – mais reconnu comme tel par Chesterton, ce qui est l’essentiel ?

Entre mille autres poèmes et limericks, Lear est l’auteur du fameux (?) Cold are the crabs, dont je ne résiste pas au plaisir de vous citer le premier quatrain. En VO hélas, tant son nonsense intégriste est intraduisible à la lettre ; d’ailleurs, il n’en existe que des « adaptations » foireuses. Alors va pour la version originale, ne serait-ce qu’à l’intention des anglophones qui comprennent Mallarmé :

Cold are the crabs that

crawl on yonder hills

Colder the cucumbers that

 grow beneath,

And colder still the brazen

chops that wreathe

The tedious gloom of

philosophic pills !

Dix ans que je relis ces vers – et je bute encore sur le troisième…

Sous de tels auspices, l’album de Plonk & Replonk ne pouvait se présenter que bien. Il prend en l’occurrence la forme d’un recueil de cartes postales et autres clichés au moins centenaires, mais dûment truqués et colorisés. Telles quelles, ces pages sont plaisantes à l’œil, irréelles et intrigantes à souhait ; mais l’image ne prend évidemment tout son nonsense qu’à la lumière de la légende.

« C’est spécial, mais j’aime », comme dirait Boris Vian. Bien sûr, on peut toujours critiquer : trois ou quatre pages ne m’ont pas amusé – mais il y en a quatre-vingt-quinze ; et si l’on voulait vraiment pinailler, deux légendes jouent sur le mot « flou »… Mais à ce compte-là, même dans la Bible il y a des répétitions.

Ne boudons donc pas notre plaisir quand les auteurs nous proposent, par exemple, ce défilé de lords anglais emperruqués, bouquet de fleurs à la main, avec en légende : « Mariage gay, les Anglais tirent les premiers.  » Ou encore, mon préféré : ces rails qui vont droit dans le mur juste à côté d’un tunnel (cf. p. 16).

Plonk & Replonk se foutent magistralement du monde, et ça sonne vrai ; on sent bien que ces gens-là ne font pas semblant d’être fêlés. En bons disciples d’Edward Lear, ils appliquent le mot d’ordre radical du Maître : « Réservons un accueil chaleureux à toute apparition d’une absurdité nouvelle ! »

Sous ses aspects de slogan maoïste halluciné, cette attitude de principe présente au moins un avantage : elle nous met à l’abri des déconvenues. Mais dans le même genre, oserai-je le dire, je suis encore plus fan de Glen Baxter – publié lui aussi chez Hoëbeke, et que j’ai eu le plaisir d’interviewer ici-même (Causeur.fr, 22 novembre 2009). Cet Anglais est plus fou que nos deux Suisses réunis.

Le « colonel », comme son pseudo l’indique, n’est guère disposé à faire la moindre concession au sens commun, au sens commun du terme. Prenez au hasard son recueil Meurtres à la table de billard. Seuls des baxtérologues confirmés ont pu goûter d’emblée tout le sel du titre : la « table de billard » n’est pas ici le lieu, mais bien l’arme du crime !

De toute façon, entre Plonk, Replonk et le colonel Baxter, à quoi bon hésiter ? Bientôt les Fêtes ! Ne me dites pas que vous n’avez pas deux amis de qualité à qui offrir ces « beaux livres », intelligents en plus. Et pensez à les lire avant de faire les paquets- cadeaux, c’est vous qui serez emballé, foi de Koch!

BILGER-FILLON : RIEN DE SERIEUX !

JEUDI 10 OCTOBRE.

Que lis-je sur Causeur.fr ce matin, encore mal endormi ? Un papier de Philippe Bilger bizarrement titré « François Fillon, seule chance de la droite courageuse ». Premier avril ? Non ; deuxième degré ? Ce n’est pas le genre de la maison. Sérieux, alors ? Difficile à croire… A priori, un coming-out filloniste me semble indigne de Bilger, c’est-à-dire de la haute idée que je m’en fais.

De toute façon, je lis quand même, parce que c’est lui et que c’est toujours intéressant, même quand je n’arrive pas à être d’accord. Là, par exemple, je dis non ! Fillon en homme providentiel ? Et pourquoi pas moi en champion de MMA[1.  Mixed Martial Arts (discipline interdite en France).]?

Mais il ne s’agit pas tout à fait de cela. Derrière la tiède plaidoirie pro-Fillon se cache, plutôt mal, une énième et impitoyable charge contre Sarkozy, « ce chef irremplaçable que la République a renvoyé », ce « haineux qui bloque, par tactique, la réflexion et la rénovation de son camp »… Bilger a eu raison de faire procureur plutôt qu’avocat ; il est bien meilleur en attaque qu’en défense.

LIKE  A VIRGIN

DIMANCHE 13 OCTOBRE.

Vous avez remarqué ? Pas un moi sans que je vous entretienne du pape François. Mais cette fois au moins, j’ai une raison !  Aujourd’hui même, il « consacre solennellement le monde au Cœur Immaculé de Marie », en présence de la statue originelle de Notre-Dame de Fatima. Même la date n’a pas été choisie au hasard, figurez-vous : c’est le jour anniversaire de l’ultime apparition de la Vierge à Fatima (si elle est venue).

François a tout dit de lui avec ce bref autoportrait : « Je suis un pécheur un peu rusé, un peu ingénu.» Chez lui, la ruse jésuite est d’autant plus subtile qu’elle est au service d’une certaine ingénuité franciscaine. C’est même ce qui inquiète, paraît-il, les « milieux conservateurs de la Curie », et au-delà. À tort, ou à raison ? Tout dépend de ce qu’il y a à conserver.

Concernant l’essentiel, c’est- à-dire le dépôt de la foi, ce pape-là m’a paru dès sa première allocution publique présenter toutes les garanties d’orthodoxie catholique – allant même jusqu’à citer ce terrible Monsieur Bloy : « Celui qui ne prie pas Dieu prie le Diable. »

Reste un truc à comprendre, pour faire un bon francescologue : chez lui, ni l’évocation de Satan, ni la dévotion mariale, ni même son culte particulier à Notre-Dame de Fatima ne sont des manifestations de fondamentalisme ; juste celles d’une foi catholique chevillée au corps et à l’âme. A contrario, la simplicité de François et son amour des pauvres ne relèvent pas d’un quelconque progressisme, mais tout bonnement de l’esprit évangélique.

Dans le Camp du Progrès, pourtant, certains se prennent à rêver d’un pape enfin à leur portée, capable de renoncer à son charabia transcendantal pour ne garder que les bonnes idées : l’« option préférentielle » en faveur des pauvres, des opprimés, des sans-papiers et de la gauche dès le premier tour… François pourrait-il être celui-là ?

Sûrement pas, mes pauvres amis ! Il croit encore en la Vierge Marie, pensez donc… Certes, il a dénoncé violemment la « honte » du naufrage de Lampedusa, et trois mois plus tôt, déjà, il s’était rendu sur cette petite île pour y fustiger « l’indifférence du monde » face aux migrants. Ce discours a même pu sonner irresponsable aux oreilles d’un Jean Raspail et de sa progéniture immense…

Mais la folie chrétienne a sa logique interne. Jésus a laissé à l’Église et au monde, entre autres trésors, les bases d’une saine et sainte laïcité : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu », répond-il brillamment à la question-piège des pharisiens et des sadducéens, exceptionnellement réunis pour le coincer.

En matière d’immigration aussi, il appartient à César de faire au mieux sans oublier ni les devoirs de sa charge ni l’éminente dignité de l’homme (en tant que tel ou, mieux, en tant que fils de Dieu). Le catéchisme de l’Église catholique ne dit pas autre chose (paragraphe 2241) :

« Les nations mieux pourvues sont tenues d’accueillir autant que faire se peut l’étranger en quête de la sécurité et des ressources vitales. » Néanmoins, les autorités politiques peuvent « en vue du bien commun dont elles ont la charge, subordonner l’exercice du droit d’immigration à diverses conditions juridiques ». On est loin de l’« irresponsabilité » pointée ici et là…

Quant au bon pape François, c’est encore mieux : il ne nous demande même pas de croire à ses histoires de Vierge et d’immigrés. Pour prêcher l’Évangile, dit-il, il faut préférer l’exemple au prosélytisme. De ce côté-là au moins, la laïcité n’est plus menacée…

UNE BOUCHE, DEUX MAINS

MERCREDI 4 DÉCEMBRE.

« Two Hands, One Mouth »… Ceci n’est pas une pipe ! C’est le nom de la tournée des Sparks, qui passe par Paris aujourd’hui. Comment ça, vous ne connaissez pas les Sparks ? Mais voilà quarante ans que les frères Maël, Ron et Russell produisent des musiques aussi inspirées qu’innovantes – souvent imitées, jamais égalées.

Depuis le temps, vous avez sûrement entendu au moins leur premier chef-d’œuvre barock, This Town Ain’t Big Enough For Both Of Us ! Et qui n’a jamais entrevu la mine patibulaire qu’affecte le grand frère, sévèrement gominé, doté d’une inquiétante moustache, l’air de sortir tout droit d’un HP?

On l’aura deviné, je suis un inconditionnel de ce duo dont le talent n’a d’égal que l’esprit – sans doute un peu trop fin pour être perçu de tous. Comme dit joliment Ron :« L’humour peut être dangereux, surtout quand il est pris au premier degré. » [/access]

Néocons, toi-même !

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point zemmour polony

Jeudi soir en découvrant sur lepoint.fr la « une » de l’hebdomadaire papier, j’ai cru m’étrangler. Le journal dirigé par Franz-Olivier Giesbert dégaine : « Les néocons : ceux qui détestent l’Europe, le libéralisme et la mondialisation », citant, par ordre alphabétique pour ne pas faire de jaloux, Patrick Buisson, Jean-Pierre Chevènement, Henri Guaino, Marine Le Pen, Arnaud Montebourg, Natacha Polony et Eric Zemmour. Comme je suis quelqu’un de sérieux, j’ai fini par acheter le magazine pour lire le dossier.

La couverture ne saurait suffire pour juger ; on est quand même bien placé à Causeur pour le savoir. Seulement voilà, la lecture du dossier ne m’a pas apaisé. Voilà que Le Point nous gratifie d’une infographie avec les photos des personnalités citées plus haut, auxquelles s’ajoutent, entre autres, Yves Cochet, Jean-Claude Michéa, Nicolas Dupont-Aignan, Régis Debray et Benoît Hamon. La plupart d’entre eux ont droit à un joli portrait et à une note (un, deux, ou trois « points Maginot ») qui mesure leur tendance au « repli national » S’y ajoutent le reportage habituel sur les dîners de Paul-Marie Coûteaux, des entretiens avec Jacques Julliard et Eric Zemmour, ce dernier ne s’attendant certainement pas à être dépeint en « néocons » comme en témoigne la chronique au vitriol qu’il a consacrée vendredi matin au dossier du Point.

L’éditorial de Brice Couturier – par ailleurs excellent collaborateur de Causeur- et Sébastien Le Fol n’a rien de scandaleux. Les deux auteurs prennent acte du succès des discours rejetant la construction européenne, la mondialisation et le libéralisme. Leur constat n’est pas contestable, et leur déploration légitime, de leur point de vue. Certes, les portraits des diverses personnalités antilibérales ne sont pas très sympathiques, mais après tout, c’est la loi du genre et, lorsqu’on écrit à Causeur, on n’est pas assez bisounours pour le reprocher au Point.

Le problème est ailleurs. « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur de ce monde », écrivait Albert Camus. Et mal nommer les gens, ou leurs idées ? Cela ne contribue pas à la qualité de l’information. Car le terme néoconservateur ou « néocons » n’est pas un concept fourre-tout. Le premier à l’avoir employé, pour désigner d’anciens trotskistes américains critiques des politiques sociales de Lyndon Johnson, fut Michael Harrington. Irving Kristol, qui en faisait partie, reprit le terme à son compte. Dans les années 70, les néoconservateurs passent à l’international et se donnent pour but de défendre la liberté dans le monde. On les retrouve ensuite autour de Ronald Reagan avec lequel ils vont faire évoluer profondément le Parti républicain. Après le 11 septembre, ils deviennent les inspirateurs de la nouvelle politique de George W. Bush. Orphelins de l’internationalisme, ils sont les promoteurs d’un « wilsonisme botté » et ne détestent rien moins que la souveraineté des Etats, obstacles au développement des Droits de l’Homme dans le monde.

Vous me direz peut-être que je suis hors-sujet : Le Point parle de « néoconservateurs à la française ». Objections ! La première, c’est qu’à l’instar des élections primaires, lorsqu’on ajoute « à la française », c’est précisément pour faire oublier qu’il s’agit d’un concept étatsunien.  La seconde, c’est qu’il existe en France des militants, des personnalités, des intellectuels, et même des revues qui propagent le néoconservatisme en question. Le Cercle de l’Oratoire, la revue Le meilleur des mondes ont développé ces idées dans une France majoritairement acquise à la politique chiraquienne de non-intervention en Irak. Parmi eux, on retrouve André Glucksmann, Pascal Bruckner, et Romain Goupil. Et on ne peut s’empêcher d’y inclure Bernard Kouchner et bien entendu Bernard-Henri Lévy pour lequel « le souverainisme constitue un vrai poison ». Enfin, on y ajoutera Yves Roucaute, néoconservateur assumé dont on ne trouve nulle trace dans le dossier du Point. L’hebdomadaire, non content de donner d’inédits contours au néoconservatisme, accole donc cette étiquette à des souverainistes patentés, adversaires de toujours du droit d’ingérence, des expéditions punitives au nom des droits de l’homme. Bref, les antithèses idéologiques des néocons historiques.

Le Point se veut un journal libéral, favorable à l’intégration européenne et au libre-échange. Il constate humblement que ses idées sont en perte de vitesse dans une France de plus en plus rétive à la mondialisation. Il se bat et c’est bien normal. Mais qu’il appelle un chat un chat, et un néocons un néocons.  Etait-il si compliqué de titrer « Les anti-libéraux », les « anti-progressistes » ou même classiquement « les conservateurs », sans ce « néo » qui change tout ? Je n’aurais pas non plus apprécié un très stigmatisant « Galaxie Maginot » mais il aurait été plus honnête que le titre finalement choisi. Je ne ne suis pas certain que ses ventes en auraient été affectées. Et cela lui aurait évité une gêne bien plus grande : quand son éditorialiste vedette s’appelle BHL et que Brice Couturier, qui a rédigé le papier central du dossier, fut lui-même contributeur du Meilleur des mondes, est-il bien raisonnable d’afficher de faux « néocons » dans une infographie ?

Tout le monde ne peut pas être français

permis carte identité

La citoyenneté et le sentiment d’appartenance à la nation ne sont pas des concepts abstraits. Les Français leur confèrent une dimension éminemment politique. Pour eux, ces deux notions sont indissociables. C’est la raison pour laquelle ils s’opposent à l’instauration de la citoyenneté-résidence par l’octroi du droit de vote aux étrangers. Car la citoyenneté française renvoie d’abord au principe de la légitimité politique. Chaque citoyen est détenteur d’une part de la souveraineté qu’il exerce avec ses concitoyens, membres d’une même communauté de destin, source du pouvoir politique. Ainsi, ils concourent ensemble à l’élaboration de la Loi, par l’intermédiaire de leurs élus censés œuvrer dans le respect des droits fondamentaux du peuple. En France, c’est la nationalité qui confère ce statut d’architecte du projet politique collectif.[access capability= »lire_inedits »]

Contrairement aux apparences, ce n’est pas la machine étatique qui décide qui sera Français ou ne le sera pas, mais la communauté nationale. Celle-ci choisit qui elle adopte, avec comme condition non négociable l’appropriation de l’identité culturelle française : la nation politique continue de tirer sa légitimité de la nation culturelle. Ce n’est plus le cas pour nos autorités publiques. C’est là que le divorce est consommé. Aux yeux du peuple, l’État viole ses droits fondamentaux, car rien n’est plus fondamental pour un peuple que son identité. Et cela vaut pour tous les peuples, comme en témoigne cet extrait du Code de la nationalité marocain : « La possession d’état de national marocain résulte d’un ensemble de faits publics, notoires et non équivoques, établissant que l’intéressé et ses parents se sont comportés comme des Marocains et ont été regardés comme tels tant par les autorités publiques que par les particuliers. »

Le contenu de la citoyenneté, le sentiment d’appartenance à la nation, se construisent et se consolident en tout premier lieu au sein de la famille. Le deuxième lieu d’acquisition et d’apprentissage de la citoyenneté, c’est l’École, mais cette dernière ne peut assurer cette mission qu’à la condition que les parents l’y autorisent ou, à tout le moins, ne rendent pas cette mission impossible. Or le fait majeur qui domine l’intégration des enfants de l’immigration extra-européenne, c’est justement que les parents, pour des raisons de distance culturelle et de principes fondamentaux non partagés, ne marchent plus systématiquement dans la même direction que l’École. La manifestation la plus tangible en est l’absence de construction d’un socle de reconnaissance envers la société d’accueil.

En l’absence de ce socle, l’intégration devient quasi impossible, en particulier du fait de la terrible question d’allégeance aux ancêtres, qui est à l’origine des tourments de bien des enfants de l’immigration et qui les aspire dans le tourbillon de la vengeance envers la société d’accueil. Pour éviter de se fourvoyer, il suffisait de méditer les pensées d’Ernest Renan qui évoquait le fameux « culte des ancêtres, de tous le plus légitime », car il était à ses yeux le premier des pré-requis pour pouvoir « faire nation ». Les Français savent-ils qu’en dépit d’une grande proximité culturelle, seul un Italien sur trois du flux transalpin de la période 1870-1940 a réussi à s’intégrer (travaux de l’historien Pierre Milza) ? Laisser penser que les immigrés extra-européens pourraient faire mieux est irresponsable, aussi bien vis-à-vis du peuple français que des immigrés.

L’une des multiples conséquences de l’échec de l’intégration, que notre classe politique ignore avec superbe, c’est le retour à la norme du mariage endogame, source de nouveaux flux migratoires. Les travaux de la démographe Michèle Tribalat mettent clairement en évidence ce phénomène, dont un effet collatéral est un flux conséquent de naturalisations automatiques. Et pour Emmanuel Todd, « le taux d’exogamie, proportion de mariages réalisés par les immigrés, leurs enfants ou leurs petits- enfants avec des membres de la société d’accueil, est l’indicateur anthropologique ultime d’assimilation ou de ségrégation, qui peut opposer sa vérité à celle des indicateurs politiques et idéologiques ».

Jusqu’ici, tous les partis politiques, sans exception aucune, font de ce débat un jeu macabre. Certains trouvent un intérêt électoral concret à ce que la machine à fabriquer les papiers d’identité français tourne à plein régime. D’autres estiment avoir rempli leurs obligations vis-à-vis du peuple en évoquant une réforme anémique du code de la nationalité. D’autres enfin poussent des cris d’orfraie dès que ce sujet est effleuré, arguant que cela relève de leur pré carré. Plutôt laisser la France périr que de la voir secourue par d’autres : étrange conception du patriotisme !

Chaque papier d’identité délivré constitue de facto un titre de propriété sur le territoire. Si la nationalité est un sujet si important, c’est que de lui dépend la cohésion nationale. Tôt ou tard, les différentes populations qui évoluent désormais en France entreront dans un conflit de légitimité territoriale. C’est ce que le général de Gaulle avait saisi, prenant dès lors la décision de quitter l’Algérie, dont le peuple n’est jamais devenu français. L’Algérie n’est pas seule dans son cas : il suffit de repenser à l’Indochine. Aucun sursaut ne pourra advenir sans la reconnaissance de l’extrême gravité de la situation dans laquelle la France est à nouveau plongée. Les Français ayant oublié leur passé, selon le mot de Winston Churchill, ils se condamnent à le revivre.[/access]

*Photo: VALINCO/SIPA.00588632_000005.

Ici Paris en concert le jeudi 5 décembre: Retour vers le futur

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Avant, le rock était l’expression des conflits de génération. Mais ça c’était avant. La preuve avec le retour en fanfare du groupe rock Ici Paris, réorganisé autour d’une partie du noyau fondateur, complété d’une brochette de petits jeunes dont la chanteuse Azadée Alvina qui prend ainsi la suite… de sa mère.

Ici Paris se constitue en 1979, fondé comme il se doit sur les débris du punk. La mode est alors au psychobilly et, pour les chanteuses, à un certain retour au son des «girl groups» du début des années 60. Blondie ou B52’s en proposaient une version new-wave. En France, les Calamités ou Lio s’appuyaient sur des sonorités qui, illustrées par des textes dans la langue de Johnny, évoquaient les «yéyés».

En fait, Ici Paris fait penser à une version «frenchie» et donc un peu plus glamour des Rezillos : énergie punk et look sixties sur fond de références au cinéma de série B, aux extra-terrestres, aux fêtes foraines. «Stupide petit garçon» sonne comme un hit potentiel.

«Allo le monde… Ici Paris», premier album du groupe, sort en 1982 sous les vivas de la critique. Mais, malgré des passages télé remarqués et une tournée nationale en première partie des Ramones, le succès n’est pas au rendez vous. Didier Wampas, devenu une sorte de vieux sage du rock d’ici, explique avec humour et non sans raisons que le public rock n’a, il le regrette, jamais adhéré au côté pop et joyeux d’Ici Paris, préférant la «dark side» : Noir Désir, Bérurier Noir, Mano Negra…

Marie Alcaraz, la chanteuse, abandonne. Elle est remplacée par l’actrice Anicée Alvina, une fan. La pétillante Anicée est connue des érotomanes intellos pour ses rôles dans les films de Robbe-Grillet (Glissements progressifs du plaisir, Le jeu avec le feu) et du grand public pour la série Les 400 coups de Virginie. On peut s’attendre à ce que sa notoriété regonfle les voiles d’un groupe à la dérive. D’autant que le line-up est totalement refondu, avec en particulier l’arrivée à la guitare du «Baron» (Oli de la Celle, notre Mick Ronson à nous). Un single sort, Maman je n’veux plus aller à l’école, accompagné d’un clip vidéo et d’une bonne promotion.

Mais, faute du soutien du public hardcore et de concessions musicales suffisantes à un show-business alors adepte de la pop synthétique kitch (Rose Laurens, Desireless) Ici Paris doit jeter l’éponge.

En 2004, Anicée Alvina relance ses anciens partenaires et on parle d’une reformation d’Ici Paris. Malheureusement, Anicée est atteinte d’un cancer et meurt avant que le projet ne puisse se réaliser. Il a pourtant fini par arriver à terme, avec la mise au point de la formule actuelle. Celle-ci ne décevra pas les anciens fans car elle se situe musicalement dans la totale continuité des précédentes. On en comprend que mieux le rôle essentiel joué par Hervé «Shere Khan» Flament, guitariste et principal compositeur depuis les débuts. Le look délirant n’est plus, mais les textes légers et des compositions carrées aux mélodies entêtantes (Princesse, Choisir son camp), toujours là. Azadée tire largement son épingle du jeu et s’approprie avec charme et talent les classiques du groupe comme La Fusée de ton retour.

Rendez-vous sur scène, donc, ce jeudi au Bus Palladium.

Touche pas à ma Marche!

sos racisme marche

Il est rare qu’un film vous fasse chialer dès le générique du début. La Marche aurait pu s’arrêter là, d’ailleurs, aux premières lignes. Tout était dit, et plutôt bien, en deux chansons, Hexagone de Renaud, et Douce France du groupe Carte de séjour, sur des images de hall d’immeuble. Des marches, déjà, de celles qui s’érodent sous le poids des fesses. Bouge ton cul, mon frère, et marche pour de vrai ! Le problème, c’est qu’une fois que ça coule, des yeux comme du nez, ça ne s’arrête plus. L’histoire des beurs en France, quel mélo…

La Marche, c’est un peu la sortie d’Egypte des Arabes des cités. Une camionnette en guise de char attelé et derrière, un cortège en quête d’une vie meilleure ; quatre ou cinq péquins au départ, 100 000 au bout du parcours. La Terre promise est proche, sous les pieds des protagonistes.  Car, on l’a compris, c’est dans les têtes que ça se passe. Doute, peur, découragement : les allusions bibliques parsèment le récit de cette pérégrination. La foi s’en va, revient. Même les « RG », ces envoyés de Pharaon, finissent par encadrer les marcheurs, pour les protéger. L’ordre tombe d’en-haut, après qu’un Maghrébin de 26 ans, Habib Grimzi, a été défenestré du train Bordeaux-Vintimille par trois candidats à la Légion étrangère. L’horreur intégrale.

Œuvre de fiction, le film du réalisateur belge Nabil Ben Yadir retrace, trente ans après, la Marche pour l’égalité et contre le racisme, baptisée Marche des beurs « par les médias », partie de Marseille un 15 octobre, arrivée à Paris un 3 décembre. Une vague d’attaques racistes marque le début des années 1980. Elle fait des morts et des centaines de blessés. Dans les quartiers dits sensibles, peu de choses règnent comme elles devraient, en tout cas pas l’ordre juste, aurait pu dire Ségolène Royal, à l’époque conseillère du président Mitterrand.

Une nuit de l’été 1983, un jeune homme de la cité des Minguettes, à Lyon, Toumi Djaidja (interprété par Tewfik Jallab), sauve un individu à terre (Jamel Debbouze) des crocs d’un chien policier. Un policier voit ça et tire une balle sur Toumi, désarmé. Remis de sa blessure, celui-ci, adepte de la non-violence à la Gandhi, se met en tête d’organiser une marche pacifique pour protester contre les crimes racistes. Prêtre ouvrier du diocèse de Lyon, « détaché » aux Minguettes, Christian Delorme (Olivier Gourmet), est séduit par cette idée de pèlerin et convainc les parents de laisser partir leur progéniture sur des routes pleines de périls.

« Contre le racisme », on comprend. Mais « pour l’égalité », c’est déjà moins clair. Les jeunes gens d’origine maghrébine qui se joignent à cette marche ont tous la nationalité française, du moins le suppose-t-on. Ils bénéficient donc des mêmes droits et sont soumis aux mêmes devoirs que leurs compatriotes dits de souche. Pourtant, ils ne se sentent les égaux du reste des Français, mais rejetés et mal-aimés. Se rendant bien compte qu’ils passeront leur vie en France et non dans le pays de leurs parents, ils veulent être des citoyens à part entière. Cette égalité, ils la demandent en particulier devant la justice (qui les juge souvent) et devant la police (qui les arrête régulièrement).

Mais c’est avant tout une égalité existentielle qu’ils réclament. Le film interroge intelligemment cette exigence. On s’en aperçoit dans cette scène, où Sylvain (Vincent Rottiers) fait remarquer à Monia (Hafsia Herzi), qu’il aime et a déjà embrassée, que « quand c’est français, c’est raciste » mais que « quand c’est arabe, c’est culturel ». Sylvain est fâché et malheureux de ce que Monia lui a dit plus tôt sur un ton sans appel : entre elle, l’Arabe, et lui, le Français, ce ne sera pas possible, « tu sais très bien ». Point ici une critique laïque du culturalisme arabo-musulman comme entrave à une intégration pleine et entière. Le film fait ainsi quelques évocations du présent dans ce passé vieux de trente ans. La préfiguration du « 100% halal » en est une, tout autant que le rôle et la responsabilité des politiques dans « la libération de la parole ».

La Marche, tant le film que le phénomène dont il témoigne, se veut l’acte fondateur du fait arabe dans l’hexagone. D’où sa dimension sacrée, comme peuvent l’être d’autres faits marquants de l’Histoire de France, devenus mythiques. Mais la Marche est un mythe brinquebalant. Ses promesses d’émancipation n’ont pas été tenues. La faute aux politiques français, de gauche comme de droite, accusent ceux qui ne veulent plus être appelés les « beurs ». « La Marche a été récupérée », dénoncent-ils presque tous. Par qui ? Par SOS-Racisme et son parrain le Parti socialiste. Ces dernières années, cette légitime critique du mouvement a rejoint les vociférations antisionistes des Indigènes de la République, ainsi que des émules de Dieudonné et d’Alain Soral. Quel rapport entre une éventuelle « récupération » et la question israélo-palestinienne ?

C’est bien simple. Après la projection jeudi dernier à l’Institut du monde arabe du documentaire Les marcheurs, chronique des années beurs, de Samia Chala, en présence de Christiane Taubira et de l’hôte de ces lieux Jack Lang, des « témoins » de la Marche ont apporté quelques éléments de réponse. Il a alors été dit que des juifs en France s’étaient inquiétés en 1983 de ce que pouvait devenir cette mobilisation arabe, la vue de keffiehs ne les rassurant pas outre-mesure.

Un an plus tard, SOS-Racisme voyait le jour, à l’initiative, entre autres, de deux ex-trotskystes du PS, Harlem Désir et Julien Dray, mais aussi de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), peut-on lire dans un article posté le 26 novembre sur le site des Indigènes de la République. La petite main jaune de SOS-Racisme, selon cet article, étant la synthèse entre la main de Fatma et la couleur de l’étoile de sinistre mémoire. Quant au slogan « Touche pas à mon pote », il avait pour mérite aux yeux du PS, d’après le même article, de mettre l’intéressé – l’« Arabe » – à distance du champ politique, l’antiracisme devenant l’affaire des socialistes contre le Front national.

Autrement dit, un Français antiraciste intimait à un autre Français, raciste celui-là, de ne pas faire de mal à son « pote » l’Arabe, spectateur d’un échange qui le concernait pourtant au premier chef. Aucun « marcheur » historique n’est devenu membre de SOS-Racisme. « Pendant longtemps, seuls les Arabes stagnant au pied des tours dans leurs cités ont intéressé les socialistes, pas ceux qui réussissaient à s’élever dans la société. », déplore un prof membre d’un syndicat classé à gauche. Cette vieille recette électoraliste a en tout cas profité au candidat Hollande en 2012 dans les banlieues, lui permettant de surfer sur le rejet de Sarkozy.

La lutte pour l’« émancipation » d’une partie des Français d’origine maghrébine, a pris depuis quelques années un tour « antisioniste », parfois radical dans son expression. Une « marcheuse » historique de 1983, interrogée dans le documentaire diffusé à l’IMA, est ainsi devenue une adepte d’Alain Soral. L’un des coréalisateurs du documentaire, Thierry Leclerc, a dit regretter le choix politique de cette marcheuse, précisant que l’idéologie soralienne lui était « nauséeuse ».

Interrogé samedi par Le Monde, Julien Dray a répliqué aux accusations de récupération de la Marche de 1983 par SOS-Racisme : « Ils veulent voir dans la Marche un mouvement formidable de terrain dans les quartiers, un mouvement honnête, qui s’appelait le mouvement beur, et la société aurait eu peur de ce mouvement, donc elle aurait inventé et fabriqué tous les complots pour empêcher ce mouvement d’exister. C’est une réécriture de l’histoire », estime-t-il. Connaissant le climat antisioniste qui règne sur la Toile, à la faveur notamment des commémorations de la Marche, il est étonnant que le journal n’ait pas questionné Julien Dray sur cet aspect des choses.

Née l’année de la Marche, Cindy Léoni est l’actuelle présidente de SOS-Racisme. Elle défilait samedi entre République et Bastille  à l’occasion des « trente ans » de la Marche, pour protester contre les récentes attaques racistes dont Christiane Taubira a été la cible. « On sait ce que signifie l’antisionisme dont se réclament nos détracteurs, c’est de l’antisémitisme, dit-elle. Il y a peut-être eu des erreurs de faites il y a trente ans, mais ce qui compte, c’est ce que SOS-Racisme fait aujourd’hui. »

On ne sait si l’action de SOS-Racisme est efficace ou non. Mais quelque chose qui ressemblait à de la bienveillance et à de l’empathie se dégageait du cortège de samedi, qui dépassait largement les rangs des troupes de SOS. Ces sourires de « toutes les couleurs » n’avaient en tout cas rien de hargneux.

En attendant les barbares…

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1. Souvenirs de mon père en Algérie de 1962 À 1964.

J’avais à peine 20 ans quand mon père est parti en Algérie. Il avait pour mission d’enquêter sur les crimes de guerre commis par l’armée française.  Il est demeuré deux ans à Tlemcen et en Kabylie. Il avait connu l’Allemagne d’avant-guerre où il avait échappé à deux attentats. Ce n’était pas le genre d’homme à se faire des illusions sur l’humanité. « Si vous désirez une image de l’avenir, me disait-il comme Orwell, sans jamais se départir de son bon sourire, imaginez une botte piétinant un visage… éternellement. »

Ce qu’il avait vu en Algérie, les témoignages qu’il avait recueillis, les charniers qu’il avait découverts, l’avaient conforté dans l’idée que la mince pellicule de civilisation dont les humanistes pensent qu’elle constitue l’essence de l’humain se dissout illico sous d’autres cieux et dans des circonstances extrêmes. Personne n’est assez riche pour se payer une conscience. On ne peut que patauger dans ce monde, essayant de s’en tirer du mieux qu’on peut. Mon père flairait d’ailleurs toujours une insolite probité d’esprit chez quiconque s’abstenait de professer des idées généreuses. Il ne jugeait pas plus les soldats français qu’il n’avait jugé les soldats allemands. Il en était arrivé à la conclusion que les hommes ne sont pas faits pour s’aimer. Mais quand il revenait à Lausanne et qu’il me racontait ce qu’il vivait, ce qu’il voyait au quotidien, j’avais de la peine à retenir mes larmes. Et j’éprouvais pour lui, en dépit de la distance qu’il mettait entre nous, une forme d’amour. Je vois avec le temps que bien des choses que j’ai faites avaient pour fin de le rendre fier de moi. L’a-t-il vraiment été ? Seul le Diable le sait.[access capability= »lire_inedits »]

Mais moi, je sais ce que je dois à ce spinoziste qui m’incitait à tout faire, à tout dire, à tout penser en homme qui peut sortir à l’instant de la vie. Ce qu’il fit, lorsqu’il prit la décision de mettre un terme à une existence dont il se serait volontiers passé.

2. Prisonniers de guerre chinois et japonais

J’ai bien sûr pensé à mon père en lisant les rapports des délégués de la Croix-Rouge internationale durant la Deuxième Guerre mondiale qui ont enfin été rendus publics. Le quotidien Le Temps a eu l’excellente idée de les publier durant l’été.

Le docteur Louis Calame, un Suisse établi à Shanghai depuis plusieurs années, va sillonner la Chine pour le compte du CICR et s’informer du sort des prisonniers tant japonais que chinois. On croirait lire un reportage d’Albert Londres pour la vivacité du style et le sens du détail qui en dit long sur une situation que ses supérieurs ont peine à saisir, à savoir que rien ne se passe en Extrême-Orient comme en Europe. D’abord, ni les Chinois ni les Japonais, officiers et officiels, ne comprennent pourquoi on se soucierait du sort des prisonniers. En général, on les liquide immédiatement. Ensuite, pour ne pas perdre la face, on en garde quelques-uns en réserve au cas où le docteur Calame s’obstinerait. Mais on lui conseille plutôt d’aller les voir au cinéma : les actualités lui donneraient une idée précise de la manière dont ils étaient traités.

Enfin, aucun des trois délégués du CICR en Chine ne parvint jamais à faire comprendre aux officiers que les massacres de civils remettaient en cause les fondements du droit humanitaire. À vrai dire, il leur semblait très surprenant et même choquant, voire raciste, que des Blancs, suisses de surcroît, se mêlent de leurs affaires.

Plus subtils que les Chinois et parlant parfois un français raffiné, les officiers japonais expliquaient au docteur Calame, toujours plus dubitatif, que si les prisonniers sont si bien traités par eux, c’est qu’ils appartiennent à la même race. Il n’y a pas de camps de prisonniers car, selon leurs capacités, ils sont envoyés dans des casernes ou des écoles pour devenir des gendarmes ou travailler sur des chantiers de chemins de fer.

Quand le docteur Calame demande à voir une de ces casernes, il rencontre une résistance passive, comme on n’en peut rencontrer qu’en Extrême-Orient. Pour clore la discussion, on lui présente huit Chinois habillés en kaki, portant des chaussures européennes absolument neuves, fumant des cigares et buvant du whisky dans une mise en scène parfaitement rodée. À la même époque, la crue du fleuve Jaune fera un million de morts. L’idée que la vie puisse avoir un prix semble bien dérisoire et pour la plupart des Chinois, comme des Japonais, d’une totale absurdité.

3. De Teschen à Auschwitz

Délégué lui aussi du CICR, le docteur Maurice Rossel parviendra à accéder en juin 1944 à l’intérieur des camps de concentration et d’extermination où il obtient des témoignages sur les « douches », témoignages qu’il ne transmettra pas car le CICR a donné pour instruction à ses délégués de « ne s’occuper des Israélites qu’avec la plus grande discrétion et prudence ». C’est un grand classique : on sait, mais on ne veut pas savoir.

Malgré le fait qu’il ait été dupe de la métamorphose du ghetto juif de Theresienstadt en village Potemkine (autre grand classique), le rapport du docteur Rossel est très précis sur ce qu’il voit lors de son voyage de Teschen à Auschwitz. Les prisonniers qu’il croise, malgré le travail en plein air, ont tous le teint blafard, cendré. « Tous, écrit-il, marchent au pas et en rang de quatre ; les gardes, le fusil sous le bras, sont des SS de la division Totenkopf. Nous ne chercherons pas à rendre compte de l’atmosphère, chacun imagine sans trop de peine ces colonnes de forçats où il n’y a plus aucun individu, seulement des numéros. »

Ce sont ces mêmes colonnes de forçats, cette fois au bagne de Toulon, qui ont marqué à tout jamais le jeune Arthur Schopenhauer et l’ont conduit à écrire, des années plus tard, la plus grande somme philosophique jamais pensée, conduisant logiquement au suicide collectif de l’humanité.

Sans doute aurait-il goûté la petite histoire suivante : Dieu arpente son bureau, lorsqu’il aperçoit de sa baie vitrée le Diable traînant derrière lui une vieille caisse. Intrigué, Dieu appelle son majordome et lui demande : « Qu’y a-t-il dans cette caisse ? » Ce dernier lui répond : « Un homme et une femme. » Dieu, désemparé, consulte ses dossiers et, soudain, se souvient : « Ah oui… cette expérience ratée. Est-ce qu’ils vivent toujours ? »

4. Le Désert des Tartares

Le 27 juillet 1953, après plus de trois ans de guerre et quatre millions de morts, un armistice est signé entre la Corée du Nord et la Corée du Sud.

Ce n’est pas la paix, c’est une pause… qui dure maintenant depuis soixante ans. Soixante ans à attendre une menace de destruction totale. Mais les belligérants ont changé. Personne ne pensait que le mur de Berlin s’effondrerait. Il s’est effondré.

Personne ne pensait que la Chine lâcherait la Corée du Nord. Elle l’a fait. Plus personne ne vient relever le courrier. Cela rappelle étrangement Le Désert des Tartares de Dino Buzzati, version fondue et virées le week-end à Séoul. On finit par ne plus savoir ce qui est le pire : attendre une catastrophe ou la subir.[/access]

 

*Photo : Le Désert des Tartares.

Le FN est le problème du PS

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Au plan électoral, c’est désormais une évidence. Parti protestataire, le FN attire à lui une fraction des mécontents que fabrique toute majorité en place. Ainsi, entre 2007 et 2012, les déçus viennent de la droite : le score du candidat FN à la présidence de la République grimpe de 10,7 % à 17,9 %. Depuis l’élection de François Hollande, les déçus viennent de la gauche ; le FN grossit désormais aux dépens du PS. On le verra peut-être en 2017, sans doute en 2014 et 2015, avec les élections locales, européennes et régionales, mais on peut d’ores et déjà le constater grâce aux diverses élections partielles, législatives et cantonales, dont les enseignements sont limpides : le FN fait jeu égal avec un PS en voie d’effondrement, si bien que la droite n’a besoin d’aucune alliance pour gagner.[access capability= »lire_inedits »]
Au regard des législatives partielles de 2012-2013, le rapport de force entre la gauche de gouvernement – la gauche hors extrême gauche et Parti de gauche – et la droite de gouvernement – la droite hors extrême droite et Front national – s’est déjà inversé. En juin 2012, dans les circonscriptions métropolitaines concernées par une partielle, la première devançait à peine la seconde (l’écart était de 0,5 point) ; depuis 2012, la droite de gouvernement est en tête avec une avance de… 17,6 points ! De son côté, le FN progresse de 3,7 points au point de faire jeu égal avec le PS[1. Cf. l’étude à ce sujet publiée par la Fondation pour l’innovation politique sur son blog « Trop Libre », le 22 juin 2013 : « Ce que révèlent les élections législatives partielles » (www.fondapol.org).] (voir encadré).
La progression de l’UMP et de l’ensemble de la droite de gouverne- ment rend donc caduque la stratégie du rapprochement avec le FN. La droite a d’autant moins besoin d’une alliance avec le FN que celui-ci progresse au détriment du PS. Si, comme d’habitude, ces élections partielles ont été marquées par une abstention massive, tout donne à penser qu’une plus forte mobilisation, lors d’élections générales, ne modifiera pas cette nouvelle donne politique. En d’autres termes, le FN est devenu le problème du PS. Signe qui ne trompe pas, désormais, lorsqu’il est présent au second tour, qu’il s’agisse d’une législative ou d’une cantonale partielle (Brignoles), ce n’est pas contre le PS mais contre l’UMP. La perspective d’un effondrement électoral du PS annonce donc des duels de second tour UMP/FN. Le risque des triangulaires sera encore plus faible si la droite a mené à bien la révolution doctrinale que commande l’épuisement de l’État-providence, gagnant ainsi la confiance et les suffrages des électeurs modérés de la gauche et du centre, lesquels, comme d’habitude, décideront de la victoire.
Au plan programmatique, un rapprochement entre la droite de gouvernement et le FN n’a pas non plus de raison d’être. Que veut le FN ? Un État majoritaire chez Peugeot SA, la planification, la retraite à 60 ans, la sortie de l’euro, le protectionnisme commercial national, etc. Le détail témoigne de la désinvolture avec laquelle le programme du FN a été conçu. Prenons l’exemple du financement de la dépendance. Nous devons trouver entre 30 et 40 milliards par an. On hésite entre la solidarité publique, qui suppose un nouvel accroissement des prélèvements, et l’assurance privée, qui fait courir le risque de fortes inégalités. Le FN a trouvé une solution : il propose de financer le nouveau risque social par un impôt sur les transactions capitalistes internationales ! Et ce « plan de financement » sera mis en place pendant la sortie de l’euro…
Certes, dans le moment où nous sommes, la droite doit repenser l’ensemble de sa doctrine. Mais si cette révision se traduisait par un rapprochement programmatique avec le FN, elle lui ferait perdre son statut de parti de gouvernement et la conduirait à l’éclatement, favorisant une recomposition politique qui offrirait à la gauche l’unique solution capable de la sauver.
Au plan social, enfin, un rapprochement avec le FN conduira la droite à tourner le dos à la « France qui vient ». Illustrons ceci par un seul indicateur : la religion. La proportion des Français se déclarant catholiques était de 81 % en 1952. Elle est tombée à 64 % en 2010[2. Sur ces questions, cf. mon livre Les Nouveaux Populismes, Paris, Pluriel, 2013.] ; en 2012, elle a encore reculé (56 %), et si l’on peut éprouver une certaine tristesse à décrire cette réalité, c’est ainsi que les Français l’ont voulue. Plus, parmi les 25-34 ans, cette proportion tombe à 43 % et à 31 % chez les jeunes de 18-24 ans. En revanche, l’affiliation déclarée à une « autre religion », qui concerne 6 % des Français majeurs en 2012, grimpe à 18 % chez les moins de 25-34 ans et à 21 % chez les 18-24 ans. Si, pour simplifier, on considère que les Français affiliés au protestantisme et au judaïsme représentent dans les jeunes classes d’âge la même proportion que dans l’ensemble de la population adulte, soit respectivement 2 % et 1 %, alors cela signifie que les jeunes Français musulmans représentent environ 15 % des 25-34 ans et 18 % des 18-24 ans. Autrement dit, les musulmans représenteront bientôt entre un cinquième et un quart de la population française. Leur tourner le dos serait suicidaire.
Ce n’est donc pas avec le FN que les partis de gouvernement accompliront leur indispensable aggiornamento. La droite doit comprendre que, pour elle, la question du FN ne se pose plus. Faute de quoi la recomposition politique se fera sans elle.

*Dix-huit mois après la victoire de la gauche, le nouveau rapport de force

Les législatives partielles intervenues depuis juin 2012 dessinent un tableau politique que l’on résumera en six points : a) le PS régresse fortement pour tomber à 18,8 % des suffrages exprimés, soit un recul de 7,5 points par rapport à 2012 ; b) la gauche de gouvernement recule de 11 points et ne réunit plus qu’un quart des suffrages exprimés (26 %) ; c) l’UMP progresse (+ 3,6 points) pour atteindre 38,1 %, soit 20 points de plus que le PS ; d) la progression de l’ensemble de la droite de gouvernement (+ 7 points) est plus forte que celle de l’UMP ; e) avec 43,6  % des voix, la droite de gouvernement surclasse nettement la gauche de gouvernement (26 %) ; f) avec 18,8 %, le FN progresse de 3,7 points, faisant jeu égal avec le PS.

Note technique : depuis juin 2012, on compte huit élections législatives partielles, dont cinq en France métropolitaine. Ce sont ces cinq élections qui constituent la base de calcul de ce bilan d’étape, soit 403 136 électeurs inscrits. Les trois autres législatives partielles, deux circonscriptions des Français de l’étranger et la 1re circonscription de Wallis-et-Futuna, n’ont pas été prises en compte. Notons simplement que, en raison de leurs caractéristiques hors normes, leurs résultats accentueraient massivement les traits relevés ici. [/access]

*Photo: LCHAM/SIPA. 00669594_000033.

Maman, j’ai peur du futur…

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Il y a les mères poules, les mères filles, les mères cools et les mères tyranniques. Les adulescentes et les matriarcales. Pauline, elle, est une « bonne mère », elle se le dit, se le répète, elle ne vit que pour sa fille, son enfant, son bébé. Une fille qu’elle serre dans ses bras la nuit, une fille sans prénom, anonyme poupée qu’elle cajole comme un prolongement d’elle même. Dans son grand appartement cosy et aseptisé, protégé de la bêtise du monde extérieur, Pauline entoure sa fille d’un amour total qui ressemble moins à l’instinct maternel qu’à la passion du créateur pour sa créature. Car, « à une époque où il se murmurait avec désapprobation qu’il serait devenu possible de choisir le sexe de son enfant, caprice réservé à quelques milliardaires zinzins et probablement musulmans, à cette époque, Pauline avait une fille de 6 ans aux composantes génétiques dûment sélectionnées ».

Fusion est l’histoire, à la fois glaçante et drôle, du désir absolu d’enfant devenu dans nos sociétés contemporaines, non plus l’ouverture à une descendance qui serait transcendance, mais l’extension narcissique de l’amour de soi, non plus le lieu de la transmission d’une filiation, mais l’endroit d’une impossible fusion. C’est une fable caustique, écrite d’une plume dynamique qui dépeint la logique infernale où les individus enivrés de technique confondent le rôle de parent avec celui de démiurge.

Dans cette nouvelle de 80 pages, Sophie Flamand nous entraîne à un rythme endiablé et cynique vers l’apocalypse, au triple sens du mot : révélation, catastrophe et fin du monde, de notre monde humain. Et quand on est en train de comprendre où elle nous a amené, il est déjà trop tard.

Cadeau mère-fille idéal pour Noël. Ou pas. A vous de lire.

Fusion, Sophie Flamand, Lamiroy, 2013.

Moi François Hollande, je romprai avec la Françafrique

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centrafrique francois hollande

centrafrique francois hollande

Lionel Jospin, lors du putsch du général Gueï à la Noël 1999 en Côte d’Ivoire, avait mis en application sa doctrine dite « ni ingérence, ni indifférence ». Il s’ensuivit une décennie de guerre civile. Un gâchis que le défunt 43°BIMa de Port- Bouët aurait pu éviter s’il était intervenu pour défendre le président élu, Henri Konan-Bédié. La cohabitation fit que Chirac et Jospin jugèrent urgent d’attendre. En mars 2012, la France en campagne présidentielle regardait impotente le putsch du capitaine Sanogo à l’origine de l’effondrement de l’Etat malien. Un an plus tard, belote et rebelote, François Hollande laissait tomber le centrafricain François Bozizé, un despote parmi d’autres, face aux colonnes de la Séléka. Hier, une opposition armée, aujourd’hui un mouvement accusé par le Département d’Etat, mais un peu tard, d’être « prégénocidaire ».

En Côte d’Ivoire, au Mali, en Centrafrique, à chaque fois une coûteuse opération militaire est nécessaire pour colmater les brèches et remettre en selle un processus démocratique qu’on aurait pu réformer lorsque tout allait pour le mieux. Mais c’est au pied du mur qu’on voit le mieux le mur… Alexandra Geneste soulignait, non sans ironie, dans Le Monde: « il aura fallu huit mois aux quinze pays membres du Conseil de sécurité de l’ONU pour s’entendre sur le « besoin d’une action rapide et décisive » en République centrafricaine (RCA)« . Rejeter la faute de cet attentisme chronique sur les seules Nations-Unies serait toutefois injuste car c’est bien l’Élysée qui semble marabouté par le spectre de la « Françafrique ». Ce fantôme réactivé avec gourmandise par la médiacratie française a fait oublier le sens premier de ce néologisme forgé par Félix Houphouët-Boigny. Une fusion stratégique franco-africaine, pour le meilleur et pour le pire, qui mériterait d’être extirpée de ses interprétations simplistes (du style France-à-Fric) pour n’en garder que l’idéal fondateur imaginé par de Gaulle.

Malheureusement, on a pris la regrettable habitude de dénigrer la « Françafrique » à force de cultiver un complexe colonial et antiraciste. L’aventure coloniale, qui fut largement l’œuvre des républicains, a suscité au lendemain de la seconde guerre mondiale, un malaise et un repentir dont la France et, tout particulièrement la gauche, peinent à se défaire. Car la décolonisation fut mieux assumée par le gaullisme que par le socialisme. Ce malaise est entretenu par une partie des descendants des colonisés et de certaines personnalités de gauche qui trouvent dans le combat contre la Françafrique une sorte de rattrapage militant de la lutte anticoloniale. Un phénomène que reconnaissait volontiers Thomas Mélonio, aujourd’hui conseiller Afrique adjoint de l’Élysée, dans une tribune au Monde le 13 juillet 2011 au profit de la Fondation Jean-Jaurès : « Une relation complexe, marquée par les traumatismes de la décolonisation et les indépendances. (…) des enjeux de politique intérieur sensibles : il faut donc définir un discours susceptible d’en porter toutes les dimensions et éviter le double écueil de l’autoflagellation et de la glorification de la colonisation. »
Pas étonnant que le premier à prononcer l’arrêt de mort de la Françafrique dans un discours présidentiel fut François Mitterrand, lequel dut en partie son élection au scandale des diamants de Jean-Bedel Bokassa. Des sentences récurrentes à chaque début de mandat. Autant de coups d’épée dans l’eau dont la « Françafrique moribonde » se releva à chaque fois.

Avec le temps, la droite a repris le slogan de « la fin de la Françafrique ». Un peu comme si elle était gagnée par le complexe colonial de la gauche. Foccard et Giscard jouant le rôle de Ferry et Gallieni. Pourtant, la droite a continué, comme la gauche, à s’impliquer; toujours rattrapées par l’étroitesse des relations franco-africaines. Souvenons-nous du discours de Nicolas Sarkozy, bien plus insultant que celui de Dakar,  qui annonçait, à l’occasion du 25ème Sommet Afrique-France (on ne peut plus dire sommet France-Afrique…), vouloir « en finir avec 50 ans de Françafrique » et faire de l’année 2010 « la véritable année de la décolonisation ». Et pourtant Nicolas Sarkozy, qui ne s’y était jamais intéressé et qui a commencé par démanteler la moitié de nos bases militaires, n’a cessé d’y intervenir au Tchad, en Côte d’Ivoire, au Niger, en Mauritanie, en Libye… mi-indifférence, mi-ingérence!

François Hollande, en fidèle disciple de Mitterrand, ne fut pas en reste. « Je romprai avec la « Françafrique », en proposant une relation fondée sur l’égalité, la confiance et la solidarité. » pouvait-on lire dans sa 58ème promesse de campagne. Après quelques pudibonderies post-électorales, il se rendait en juillet 2012 à Kinshasa au sommet de la francophonie, poussé par sa ministre Yamina Benguigui, sur fond de crise malienne. Alors même que des émeutes urbaines venaient d’être réprimées dans le sang en RDC. En l’absence de cellule africaine conséquente à l’Élysée et face à l’inconsistance de Pascal Canfin et Yamina Benguigui, Jean-Yves Le Drian en a profité pour prendre la main sur les questions africaines. Sur Europe 1 cette semaine il s’est même autorisé à remarquer que « Le Premier ministre et le Président Djotodia (…) sont des autorités de transition (…) ces autorités sont provisoires, elles seront remplacées« . Comme au bon vieux temps de Bokassa Ier?  Reste à savoir pourquoi ne l’avait-on pas fait plus tôt en empêchant les rebelles de piller Bangui.

Peut-être parce qu’à la gauche du PS, on recommence à agiter le spectre de la Françafrique… « On a le triste sentiment de revenir aux méthodes anciennes de la Françafrique » regrettait Noël Mamère au lendemain de l’opération Serval. Pour le PCF et le Front de Gauche  « la France doit se désengager sur le plan militaire, rompre avec la politique de domination contenue dans le Livre blanc 2013 de la défense. » « La France a une responsabilité écrasante dans cette tragédie. Elle a une dette considérable envers le peuple de Centrafrique » poursuit Dominique Josse, animateur du « collectif Afrique du PCF ». La tentation de l’autoflagellation n’est jamais très loin à gauche.

*Photo : REX/Alon Skuy/Gallo Ima/REX/SIPA. REX40311099_000004.

À lire sous la douche

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spark big beat

spark big beat

ELOGES DE LA PARESSE

JEUDI 26 SEPTEMBRE.

Deux cents ans et quelque avant Paul Lafargue, on trouve un joli éloge de la paresse dans Boileau :

« Hélas ! Qu’est devenu ce

 temps, cet heureux temps,

Où les rois s’honoraient du

nom de « fainéants » ? […]

Aucun soin n’approchait de

leur paisible cour.

On reposait la nuit, on

dormait tout le jour. »

À comparer avec le style grotesquement pompier de Lafargue sur le même thème : « Ô paresse, mère des arts et de toutes vertus, sois le baume des angoisses humaines » – exit donc Lafargue – et dans la foulée ce pauvre Eugène Marsan, qu’on n’a même pas eu le temps de présenter… C’est quand même lui l’auteur de L’Éloge de la paresse, accessoirement membre du Club des longues moustaches, avec ses potes Edmond Jaloux et Henri de Régnier.

Reste le cas Boileau : ce catholique- là, avec sa plaisante apologie des « rois fainéants », ne remet-il pas en cause l’un des sept péchés capitaux ? Eh bien non car, contrairement à ce qu’une vaine élite pense, la paresse n’en fait pas partie.

Elle n’est qu’une apparence, qui peut cacher beaucoup de réalités. Ce que l’Église, dans sa grande sagesse, a identifié comme un péché capital, ce n’est pas la simple paresse : c’est l’acédie. Si le mot est un peu tombé en désuétude ces derniers siècles, tel n’est pas le cas de la chose.

Ce mélange d’incurie et d’accablement, très tendance sous nos latitudes actuelles, est le signe infaillible d’une perte de foi, non seulement en Dieu mais en soi-même. Bref le genre de truc qu’on ne souhaite à personne, sauf peut-être à ces cons de bosseurs qui nous filent des complexes.[access capability= »lire_inedits »]

D’ALBUQUERQUE À LILLEHAMMER

LUNDI 30 SEPTEMBRE.

En deuil de « Breaking Bad », dont je viens d’inhaler la soixante-deuxième et dernière bouffée, je reprends goût à la vie en apprenant que la série a remporté enfin l’Emmy Award qu’elle méritait depuis cinq ans. Sur scène, l’équipe saute de joie, et moi pareil sur ma chaise.

En attendant la prochaine tournée de crystal meth du génial Vince Gilligan qui nous a cuisiné cette fournée, je cherche une autre série aussi addictive. Après diverses déceptions (n’excédant pas quinze minutes chacune, rassurez-vous), je tombe sur « Lilyhammer », feuilleton américano-norvégien.

Ces temps-ci, la mode était aux séries scandinaves suivies de remakes US. Là, on gagne du temps, et de la subtilité au passage : le mélange américanorvégien n’est pas seulement dans la prod’, c’est le cœur du sujet!

Tout repose sur le choc des cultures, mais sans l’habituel prêchi-prêcha universaliste. Dans ce thriller parodique, le ton est à la dérision tous azimuts. Mais lais- sons la parole à notre programme télé favori : « Après avoir dénoncé le chef de la mafia new-yorkaise, Frank Tagliano, escroc notoire, démarre une nouvelle vie dans une petite bourgade norvégienne. »

La bourgade en question, c’est Lillehammer, dont on était sans nouvelles depuis les JO de 1994. Pas étonnant que le gangster new-yorkais en cavale ait du mal à s’adapter à l’ambiance locale. Mais si notre héros fait tache au milieu de la blanche et puritaine campagne norvégienne, c’est moins en tant qu’Américain qu’ès-qualités de mafioso latino, savoureux comme un « goodfella » de Scorsese.

L’acteur principal, Steven Van Zandt, avait déjà fait ses preuves dans le genre ; pour les connaisseurs, il fut le bras droit de Tony Soprano dans la série éponyme. Et pour les plus cultivés, « Little Steven » est aussi dans la vie auteur-compositeur de rock et guitariste de Springsteen.

Je ne saurais trop vous recommander cette série pour ce qu’elle est : une excellente comédie policière en forme d’études de mœurs comparées, constamment drôle et pertinente. « Jubilatoire », comme diraient nos amis les critiques.

Reste qu’on est loin des cimes méthamphétaminées de « Breaking Bad », comme de sa profondeur humaine, et inhumaine. Pour déstabiliser le spectateur, même averti, Gilligan ne se contente pas d’entre- mêler en permanence les fils du thriller et du cocasse sur un fond uniformément noir. Il nous force vicieusement à sympathiser avec son antihéros, alors même qu’au fil des saisons, celui-ci devient le pire des monstres. Quoique…

WHO KILLED THE KENNEDYS ?

MARDI 1er OCTOBRE.

Enfin un livre drôle sur l’assassinat de JFK ! Dans Qui n’a pas tué John Kennedy ?, Vincent Quivy recense toutes les théories complotistes sur l’affaire, des moins banales (« l’homme au parapluie ») aux plus originales (l’OAS…). Au total, 300 pages de délire compact pour 19 euros seulement ! Les radins n’auront qu’à se contenter d’Oswald.

FROIDS SONT LES CRABES.

LUNDI 7 OCTOBRE.

Vous connaissez Plonk & Replonk, ou  au moins l’un des deux ? Sinon, je vous mets tout de suite à l’aise : j’ai moi-même découvert par coursier de la maison Hoëbeke leur superbe album intitulé De zéro à Z, l’abécédaire de l’inutile, et leur existence par la même occasion.

Nos amis se revendiquent de Desproges et des Monty Python, ce qui est bien, mais aussi d’Edward Lear, ce qui est plus original. Qui se souvient encore du roi Lear, père du nonsense iniquement éclipsé au profit de son contemporain cadet Lewis Carroll – mais reconnu comme tel par Chesterton, ce qui est l’essentiel ?

Entre mille autres poèmes et limericks, Lear est l’auteur du fameux (?) Cold are the crabs, dont je ne résiste pas au plaisir de vous citer le premier quatrain. En VO hélas, tant son nonsense intégriste est intraduisible à la lettre ; d’ailleurs, il n’en existe que des « adaptations » foireuses. Alors va pour la version originale, ne serait-ce qu’à l’intention des anglophones qui comprennent Mallarmé :

Cold are the crabs that

crawl on yonder hills

Colder the cucumbers that

 grow beneath,

And colder still the brazen

chops that wreathe

The tedious gloom of

philosophic pills !

Dix ans que je relis ces vers – et je bute encore sur le troisième…

Sous de tels auspices, l’album de Plonk & Replonk ne pouvait se présenter que bien. Il prend en l’occurrence la forme d’un recueil de cartes postales et autres clichés au moins centenaires, mais dûment truqués et colorisés. Telles quelles, ces pages sont plaisantes à l’œil, irréelles et intrigantes à souhait ; mais l’image ne prend évidemment tout son nonsense qu’à la lumière de la légende.

« C’est spécial, mais j’aime », comme dirait Boris Vian. Bien sûr, on peut toujours critiquer : trois ou quatre pages ne m’ont pas amusé – mais il y en a quatre-vingt-quinze ; et si l’on voulait vraiment pinailler, deux légendes jouent sur le mot « flou »… Mais à ce compte-là, même dans la Bible il y a des répétitions.

Ne boudons donc pas notre plaisir quand les auteurs nous proposent, par exemple, ce défilé de lords anglais emperruqués, bouquet de fleurs à la main, avec en légende : « Mariage gay, les Anglais tirent les premiers.  » Ou encore, mon préféré : ces rails qui vont droit dans le mur juste à côté d’un tunnel (cf. p. 16).

Plonk & Replonk se foutent magistralement du monde, et ça sonne vrai ; on sent bien que ces gens-là ne font pas semblant d’être fêlés. En bons disciples d’Edward Lear, ils appliquent le mot d’ordre radical du Maître : « Réservons un accueil chaleureux à toute apparition d’une absurdité nouvelle ! »

Sous ses aspects de slogan maoïste halluciné, cette attitude de principe présente au moins un avantage : elle nous met à l’abri des déconvenues. Mais dans le même genre, oserai-je le dire, je suis encore plus fan de Glen Baxter – publié lui aussi chez Hoëbeke, et que j’ai eu le plaisir d’interviewer ici-même (Causeur.fr, 22 novembre 2009). Cet Anglais est plus fou que nos deux Suisses réunis.

Le « colonel », comme son pseudo l’indique, n’est guère disposé à faire la moindre concession au sens commun, au sens commun du terme. Prenez au hasard son recueil Meurtres à la table de billard. Seuls des baxtérologues confirmés ont pu goûter d’emblée tout le sel du titre : la « table de billard » n’est pas ici le lieu, mais bien l’arme du crime !

De toute façon, entre Plonk, Replonk et le colonel Baxter, à quoi bon hésiter ? Bientôt les Fêtes ! Ne me dites pas que vous n’avez pas deux amis de qualité à qui offrir ces « beaux livres », intelligents en plus. Et pensez à les lire avant de faire les paquets- cadeaux, c’est vous qui serez emballé, foi de Koch!

BILGER-FILLON : RIEN DE SERIEUX !

JEUDI 10 OCTOBRE.

Que lis-je sur Causeur.fr ce matin, encore mal endormi ? Un papier de Philippe Bilger bizarrement titré « François Fillon, seule chance de la droite courageuse ». Premier avril ? Non ; deuxième degré ? Ce n’est pas le genre de la maison. Sérieux, alors ? Difficile à croire… A priori, un coming-out filloniste me semble indigne de Bilger, c’est-à-dire de la haute idée que je m’en fais.

De toute façon, je lis quand même, parce que c’est lui et que c’est toujours intéressant, même quand je n’arrive pas à être d’accord. Là, par exemple, je dis non ! Fillon en homme providentiel ? Et pourquoi pas moi en champion de MMA[1.  Mixed Martial Arts (discipline interdite en France).]?

Mais il ne s’agit pas tout à fait de cela. Derrière la tiède plaidoirie pro-Fillon se cache, plutôt mal, une énième et impitoyable charge contre Sarkozy, « ce chef irremplaçable que la République a renvoyé », ce « haineux qui bloque, par tactique, la réflexion et la rénovation de son camp »… Bilger a eu raison de faire procureur plutôt qu’avocat ; il est bien meilleur en attaque qu’en défense.

LIKE  A VIRGIN

DIMANCHE 13 OCTOBRE.

Vous avez remarqué ? Pas un moi sans que je vous entretienne du pape François. Mais cette fois au moins, j’ai une raison !  Aujourd’hui même, il « consacre solennellement le monde au Cœur Immaculé de Marie », en présence de la statue originelle de Notre-Dame de Fatima. Même la date n’a pas été choisie au hasard, figurez-vous : c’est le jour anniversaire de l’ultime apparition de la Vierge à Fatima (si elle est venue).

François a tout dit de lui avec ce bref autoportrait : « Je suis un pécheur un peu rusé, un peu ingénu.» Chez lui, la ruse jésuite est d’autant plus subtile qu’elle est au service d’une certaine ingénuité franciscaine. C’est même ce qui inquiète, paraît-il, les « milieux conservateurs de la Curie », et au-delà. À tort, ou à raison ? Tout dépend de ce qu’il y a à conserver.

Concernant l’essentiel, c’est- à-dire le dépôt de la foi, ce pape-là m’a paru dès sa première allocution publique présenter toutes les garanties d’orthodoxie catholique – allant même jusqu’à citer ce terrible Monsieur Bloy : « Celui qui ne prie pas Dieu prie le Diable. »

Reste un truc à comprendre, pour faire un bon francescologue : chez lui, ni l’évocation de Satan, ni la dévotion mariale, ni même son culte particulier à Notre-Dame de Fatima ne sont des manifestations de fondamentalisme ; juste celles d’une foi catholique chevillée au corps et à l’âme. A contrario, la simplicité de François et son amour des pauvres ne relèvent pas d’un quelconque progressisme, mais tout bonnement de l’esprit évangélique.

Dans le Camp du Progrès, pourtant, certains se prennent à rêver d’un pape enfin à leur portée, capable de renoncer à son charabia transcendantal pour ne garder que les bonnes idées : l’« option préférentielle » en faveur des pauvres, des opprimés, des sans-papiers et de la gauche dès le premier tour… François pourrait-il être celui-là ?

Sûrement pas, mes pauvres amis ! Il croit encore en la Vierge Marie, pensez donc… Certes, il a dénoncé violemment la « honte » du naufrage de Lampedusa, et trois mois plus tôt, déjà, il s’était rendu sur cette petite île pour y fustiger « l’indifférence du monde » face aux migrants. Ce discours a même pu sonner irresponsable aux oreilles d’un Jean Raspail et de sa progéniture immense…

Mais la folie chrétienne a sa logique interne. Jésus a laissé à l’Église et au monde, entre autres trésors, les bases d’une saine et sainte laïcité : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu », répond-il brillamment à la question-piège des pharisiens et des sadducéens, exceptionnellement réunis pour le coincer.

En matière d’immigration aussi, il appartient à César de faire au mieux sans oublier ni les devoirs de sa charge ni l’éminente dignité de l’homme (en tant que tel ou, mieux, en tant que fils de Dieu). Le catéchisme de l’Église catholique ne dit pas autre chose (paragraphe 2241) :

« Les nations mieux pourvues sont tenues d’accueillir autant que faire se peut l’étranger en quête de la sécurité et des ressources vitales. » Néanmoins, les autorités politiques peuvent « en vue du bien commun dont elles ont la charge, subordonner l’exercice du droit d’immigration à diverses conditions juridiques ». On est loin de l’« irresponsabilité » pointée ici et là…

Quant au bon pape François, c’est encore mieux : il ne nous demande même pas de croire à ses histoires de Vierge et d’immigrés. Pour prêcher l’Évangile, dit-il, il faut préférer l’exemple au prosélytisme. De ce côté-là au moins, la laïcité n’est plus menacée…

UNE BOUCHE, DEUX MAINS

MERCREDI 4 DÉCEMBRE.

« Two Hands, One Mouth »… Ceci n’est pas une pipe ! C’est le nom de la tournée des Sparks, qui passe par Paris aujourd’hui. Comment ça, vous ne connaissez pas les Sparks ? Mais voilà quarante ans que les frères Maël, Ron et Russell produisent des musiques aussi inspirées qu’innovantes – souvent imitées, jamais égalées.

Depuis le temps, vous avez sûrement entendu au moins leur premier chef-d’œuvre barock, This Town Ain’t Big Enough For Both Of Us ! Et qui n’a jamais entrevu la mine patibulaire qu’affecte le grand frère, sévèrement gominé, doté d’une inquiétante moustache, l’air de sortir tout droit d’un HP?

On l’aura deviné, je suis un inconditionnel de ce duo dont le talent n’a d’égal que l’esprit – sans doute un peu trop fin pour être perçu de tous. Comme dit joliment Ron :« L’humour peut être dangereux, surtout quand il est pris au premier degré. » [/access]

Néocons, toi-même !

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point zemmour polony

point zemmour polony

Jeudi soir en découvrant sur lepoint.fr la « une » de l’hebdomadaire papier, j’ai cru m’étrangler. Le journal dirigé par Franz-Olivier Giesbert dégaine : « Les néocons : ceux qui détestent l’Europe, le libéralisme et la mondialisation », citant, par ordre alphabétique pour ne pas faire de jaloux, Patrick Buisson, Jean-Pierre Chevènement, Henri Guaino, Marine Le Pen, Arnaud Montebourg, Natacha Polony et Eric Zemmour. Comme je suis quelqu’un de sérieux, j’ai fini par acheter le magazine pour lire le dossier.

La couverture ne saurait suffire pour juger ; on est quand même bien placé à Causeur pour le savoir. Seulement voilà, la lecture du dossier ne m’a pas apaisé. Voilà que Le Point nous gratifie d’une infographie avec les photos des personnalités citées plus haut, auxquelles s’ajoutent, entre autres, Yves Cochet, Jean-Claude Michéa, Nicolas Dupont-Aignan, Régis Debray et Benoît Hamon. La plupart d’entre eux ont droit à un joli portrait et à une note (un, deux, ou trois « points Maginot ») qui mesure leur tendance au « repli national » S’y ajoutent le reportage habituel sur les dîners de Paul-Marie Coûteaux, des entretiens avec Jacques Julliard et Eric Zemmour, ce dernier ne s’attendant certainement pas à être dépeint en « néocons » comme en témoigne la chronique au vitriol qu’il a consacrée vendredi matin au dossier du Point.

L’éditorial de Brice Couturier – par ailleurs excellent collaborateur de Causeur- et Sébastien Le Fol n’a rien de scandaleux. Les deux auteurs prennent acte du succès des discours rejetant la construction européenne, la mondialisation et le libéralisme. Leur constat n’est pas contestable, et leur déploration légitime, de leur point de vue. Certes, les portraits des diverses personnalités antilibérales ne sont pas très sympathiques, mais après tout, c’est la loi du genre et, lorsqu’on écrit à Causeur, on n’est pas assez bisounours pour le reprocher au Point.

Le problème est ailleurs. « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur de ce monde », écrivait Albert Camus. Et mal nommer les gens, ou leurs idées ? Cela ne contribue pas à la qualité de l’information. Car le terme néoconservateur ou « néocons » n’est pas un concept fourre-tout. Le premier à l’avoir employé, pour désigner d’anciens trotskistes américains critiques des politiques sociales de Lyndon Johnson, fut Michael Harrington. Irving Kristol, qui en faisait partie, reprit le terme à son compte. Dans les années 70, les néoconservateurs passent à l’international et se donnent pour but de défendre la liberté dans le monde. On les retrouve ensuite autour de Ronald Reagan avec lequel ils vont faire évoluer profondément le Parti républicain. Après le 11 septembre, ils deviennent les inspirateurs de la nouvelle politique de George W. Bush. Orphelins de l’internationalisme, ils sont les promoteurs d’un « wilsonisme botté » et ne détestent rien moins que la souveraineté des Etats, obstacles au développement des Droits de l’Homme dans le monde.

Vous me direz peut-être que je suis hors-sujet : Le Point parle de « néoconservateurs à la française ». Objections ! La première, c’est qu’à l’instar des élections primaires, lorsqu’on ajoute « à la française », c’est précisément pour faire oublier qu’il s’agit d’un concept étatsunien.  La seconde, c’est qu’il existe en France des militants, des personnalités, des intellectuels, et même des revues qui propagent le néoconservatisme en question. Le Cercle de l’Oratoire, la revue Le meilleur des mondes ont développé ces idées dans une France majoritairement acquise à la politique chiraquienne de non-intervention en Irak. Parmi eux, on retrouve André Glucksmann, Pascal Bruckner, et Romain Goupil. Et on ne peut s’empêcher d’y inclure Bernard Kouchner et bien entendu Bernard-Henri Lévy pour lequel « le souverainisme constitue un vrai poison ». Enfin, on y ajoutera Yves Roucaute, néoconservateur assumé dont on ne trouve nulle trace dans le dossier du Point. L’hebdomadaire, non content de donner d’inédits contours au néoconservatisme, accole donc cette étiquette à des souverainistes patentés, adversaires de toujours du droit d’ingérence, des expéditions punitives au nom des droits de l’homme. Bref, les antithèses idéologiques des néocons historiques.

Le Point se veut un journal libéral, favorable à l’intégration européenne et au libre-échange. Il constate humblement que ses idées sont en perte de vitesse dans une France de plus en plus rétive à la mondialisation. Il se bat et c’est bien normal. Mais qu’il appelle un chat un chat, et un néocons un néocons.  Etait-il si compliqué de titrer « Les anti-libéraux », les « anti-progressistes » ou même classiquement « les conservateurs », sans ce « néo » qui change tout ? Je n’aurais pas non plus apprécié un très stigmatisant « Galaxie Maginot » mais il aurait été plus honnête que le titre finalement choisi. Je ne ne suis pas certain que ses ventes en auraient été affectées. Et cela lui aurait évité une gêne bien plus grande : quand son éditorialiste vedette s’appelle BHL et que Brice Couturier, qui a rédigé le papier central du dossier, fut lui-même contributeur du Meilleur des mondes, est-il bien raisonnable d’afficher de faux « néocons » dans une infographie ?

Tout le monde ne peut pas être français

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permis carte identité

permis carte identité

La citoyenneté et le sentiment d’appartenance à la nation ne sont pas des concepts abstraits. Les Français leur confèrent une dimension éminemment politique. Pour eux, ces deux notions sont indissociables. C’est la raison pour laquelle ils s’opposent à l’instauration de la citoyenneté-résidence par l’octroi du droit de vote aux étrangers. Car la citoyenneté française renvoie d’abord au principe de la légitimité politique. Chaque citoyen est détenteur d’une part de la souveraineté qu’il exerce avec ses concitoyens, membres d’une même communauté de destin, source du pouvoir politique. Ainsi, ils concourent ensemble à l’élaboration de la Loi, par l’intermédiaire de leurs élus censés œuvrer dans le respect des droits fondamentaux du peuple. En France, c’est la nationalité qui confère ce statut d’architecte du projet politique collectif.[access capability= »lire_inedits »]

Contrairement aux apparences, ce n’est pas la machine étatique qui décide qui sera Français ou ne le sera pas, mais la communauté nationale. Celle-ci choisit qui elle adopte, avec comme condition non négociable l’appropriation de l’identité culturelle française : la nation politique continue de tirer sa légitimité de la nation culturelle. Ce n’est plus le cas pour nos autorités publiques. C’est là que le divorce est consommé. Aux yeux du peuple, l’État viole ses droits fondamentaux, car rien n’est plus fondamental pour un peuple que son identité. Et cela vaut pour tous les peuples, comme en témoigne cet extrait du Code de la nationalité marocain : « La possession d’état de national marocain résulte d’un ensemble de faits publics, notoires et non équivoques, établissant que l’intéressé et ses parents se sont comportés comme des Marocains et ont été regardés comme tels tant par les autorités publiques que par les particuliers. »

Le contenu de la citoyenneté, le sentiment d’appartenance à la nation, se construisent et se consolident en tout premier lieu au sein de la famille. Le deuxième lieu d’acquisition et d’apprentissage de la citoyenneté, c’est l’École, mais cette dernière ne peut assurer cette mission qu’à la condition que les parents l’y autorisent ou, à tout le moins, ne rendent pas cette mission impossible. Or le fait majeur qui domine l’intégration des enfants de l’immigration extra-européenne, c’est justement que les parents, pour des raisons de distance culturelle et de principes fondamentaux non partagés, ne marchent plus systématiquement dans la même direction que l’École. La manifestation la plus tangible en est l’absence de construction d’un socle de reconnaissance envers la société d’accueil.

En l’absence de ce socle, l’intégration devient quasi impossible, en particulier du fait de la terrible question d’allégeance aux ancêtres, qui est à l’origine des tourments de bien des enfants de l’immigration et qui les aspire dans le tourbillon de la vengeance envers la société d’accueil. Pour éviter de se fourvoyer, il suffisait de méditer les pensées d’Ernest Renan qui évoquait le fameux « culte des ancêtres, de tous le plus légitime », car il était à ses yeux le premier des pré-requis pour pouvoir « faire nation ». Les Français savent-ils qu’en dépit d’une grande proximité culturelle, seul un Italien sur trois du flux transalpin de la période 1870-1940 a réussi à s’intégrer (travaux de l’historien Pierre Milza) ? Laisser penser que les immigrés extra-européens pourraient faire mieux est irresponsable, aussi bien vis-à-vis du peuple français que des immigrés.

L’une des multiples conséquences de l’échec de l’intégration, que notre classe politique ignore avec superbe, c’est le retour à la norme du mariage endogame, source de nouveaux flux migratoires. Les travaux de la démographe Michèle Tribalat mettent clairement en évidence ce phénomène, dont un effet collatéral est un flux conséquent de naturalisations automatiques. Et pour Emmanuel Todd, « le taux d’exogamie, proportion de mariages réalisés par les immigrés, leurs enfants ou leurs petits- enfants avec des membres de la société d’accueil, est l’indicateur anthropologique ultime d’assimilation ou de ségrégation, qui peut opposer sa vérité à celle des indicateurs politiques et idéologiques ».

Jusqu’ici, tous les partis politiques, sans exception aucune, font de ce débat un jeu macabre. Certains trouvent un intérêt électoral concret à ce que la machine à fabriquer les papiers d’identité français tourne à plein régime. D’autres estiment avoir rempli leurs obligations vis-à-vis du peuple en évoquant une réforme anémique du code de la nationalité. D’autres enfin poussent des cris d’orfraie dès que ce sujet est effleuré, arguant que cela relève de leur pré carré. Plutôt laisser la France périr que de la voir secourue par d’autres : étrange conception du patriotisme !

Chaque papier d’identité délivré constitue de facto un titre de propriété sur le territoire. Si la nationalité est un sujet si important, c’est que de lui dépend la cohésion nationale. Tôt ou tard, les différentes populations qui évoluent désormais en France entreront dans un conflit de légitimité territoriale. C’est ce que le général de Gaulle avait saisi, prenant dès lors la décision de quitter l’Algérie, dont le peuple n’est jamais devenu français. L’Algérie n’est pas seule dans son cas : il suffit de repenser à l’Indochine. Aucun sursaut ne pourra advenir sans la reconnaissance de l’extrême gravité de la situation dans laquelle la France est à nouveau plongée. Les Français ayant oublié leur passé, selon le mot de Winston Churchill, ils se condamnent à le revivre.[/access]

*Photo: VALINCO/SIPA.00588632_000005.

Ici Paris en concert le jeudi 5 décembre: Retour vers le futur

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Avant, le rock était l’expression des conflits de génération. Mais ça c’était avant. La preuve avec le retour en fanfare du groupe rock Ici Paris, réorganisé autour d’une partie du noyau fondateur, complété d’une brochette de petits jeunes dont la chanteuse Azadée Alvina qui prend ainsi la suite… de sa mère.

Ici Paris se constitue en 1979, fondé comme il se doit sur les débris du punk. La mode est alors au psychobilly et, pour les chanteuses, à un certain retour au son des «girl groups» du début des années 60. Blondie ou B52’s en proposaient une version new-wave. En France, les Calamités ou Lio s’appuyaient sur des sonorités qui, illustrées par des textes dans la langue de Johnny, évoquaient les «yéyés».

En fait, Ici Paris fait penser à une version «frenchie» et donc un peu plus glamour des Rezillos : énergie punk et look sixties sur fond de références au cinéma de série B, aux extra-terrestres, aux fêtes foraines. «Stupide petit garçon» sonne comme un hit potentiel.

«Allo le monde… Ici Paris», premier album du groupe, sort en 1982 sous les vivas de la critique. Mais, malgré des passages télé remarqués et une tournée nationale en première partie des Ramones, le succès n’est pas au rendez vous. Didier Wampas, devenu une sorte de vieux sage du rock d’ici, explique avec humour et non sans raisons que le public rock n’a, il le regrette, jamais adhéré au côté pop et joyeux d’Ici Paris, préférant la «dark side» : Noir Désir, Bérurier Noir, Mano Negra…

Marie Alcaraz, la chanteuse, abandonne. Elle est remplacée par l’actrice Anicée Alvina, une fan. La pétillante Anicée est connue des érotomanes intellos pour ses rôles dans les films de Robbe-Grillet (Glissements progressifs du plaisir, Le jeu avec le feu) et du grand public pour la série Les 400 coups de Virginie. On peut s’attendre à ce que sa notoriété regonfle les voiles d’un groupe à la dérive. D’autant que le line-up est totalement refondu, avec en particulier l’arrivée à la guitare du «Baron» (Oli de la Celle, notre Mick Ronson à nous). Un single sort, Maman je n’veux plus aller à l’école, accompagné d’un clip vidéo et d’une bonne promotion.

Mais, faute du soutien du public hardcore et de concessions musicales suffisantes à un show-business alors adepte de la pop synthétique kitch (Rose Laurens, Desireless) Ici Paris doit jeter l’éponge.

En 2004, Anicée Alvina relance ses anciens partenaires et on parle d’une reformation d’Ici Paris. Malheureusement, Anicée est atteinte d’un cancer et meurt avant que le projet ne puisse se réaliser. Il a pourtant fini par arriver à terme, avec la mise au point de la formule actuelle. Celle-ci ne décevra pas les anciens fans car elle se situe musicalement dans la totale continuité des précédentes. On en comprend que mieux le rôle essentiel joué par Hervé «Shere Khan» Flament, guitariste et principal compositeur depuis les débuts. Le look délirant n’est plus, mais les textes légers et des compositions carrées aux mélodies entêtantes (Princesse, Choisir son camp), toujours là. Azadée tire largement son épingle du jeu et s’approprie avec charme et talent les classiques du groupe comme La Fusée de ton retour.

Rendez-vous sur scène, donc, ce jeudi au Bus Palladium.

Touche pas à ma Marche!

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sos racisme marche

sos racisme marche

Il est rare qu’un film vous fasse chialer dès le générique du début. La Marche aurait pu s’arrêter là, d’ailleurs, aux premières lignes. Tout était dit, et plutôt bien, en deux chansons, Hexagone de Renaud, et Douce France du groupe Carte de séjour, sur des images de hall d’immeuble. Des marches, déjà, de celles qui s’érodent sous le poids des fesses. Bouge ton cul, mon frère, et marche pour de vrai ! Le problème, c’est qu’une fois que ça coule, des yeux comme du nez, ça ne s’arrête plus. L’histoire des beurs en France, quel mélo…

La Marche, c’est un peu la sortie d’Egypte des Arabes des cités. Une camionnette en guise de char attelé et derrière, un cortège en quête d’une vie meilleure ; quatre ou cinq péquins au départ, 100 000 au bout du parcours. La Terre promise est proche, sous les pieds des protagonistes.  Car, on l’a compris, c’est dans les têtes que ça se passe. Doute, peur, découragement : les allusions bibliques parsèment le récit de cette pérégrination. La foi s’en va, revient. Même les « RG », ces envoyés de Pharaon, finissent par encadrer les marcheurs, pour les protéger. L’ordre tombe d’en-haut, après qu’un Maghrébin de 26 ans, Habib Grimzi, a été défenestré du train Bordeaux-Vintimille par trois candidats à la Légion étrangère. L’horreur intégrale.

Œuvre de fiction, le film du réalisateur belge Nabil Ben Yadir retrace, trente ans après, la Marche pour l’égalité et contre le racisme, baptisée Marche des beurs « par les médias », partie de Marseille un 15 octobre, arrivée à Paris un 3 décembre. Une vague d’attaques racistes marque le début des années 1980. Elle fait des morts et des centaines de blessés. Dans les quartiers dits sensibles, peu de choses règnent comme elles devraient, en tout cas pas l’ordre juste, aurait pu dire Ségolène Royal, à l’époque conseillère du président Mitterrand.

Une nuit de l’été 1983, un jeune homme de la cité des Minguettes, à Lyon, Toumi Djaidja (interprété par Tewfik Jallab), sauve un individu à terre (Jamel Debbouze) des crocs d’un chien policier. Un policier voit ça et tire une balle sur Toumi, désarmé. Remis de sa blessure, celui-ci, adepte de la non-violence à la Gandhi, se met en tête d’organiser une marche pacifique pour protester contre les crimes racistes. Prêtre ouvrier du diocèse de Lyon, « détaché » aux Minguettes, Christian Delorme (Olivier Gourmet), est séduit par cette idée de pèlerin et convainc les parents de laisser partir leur progéniture sur des routes pleines de périls.

« Contre le racisme », on comprend. Mais « pour l’égalité », c’est déjà moins clair. Les jeunes gens d’origine maghrébine qui se joignent à cette marche ont tous la nationalité française, du moins le suppose-t-on. Ils bénéficient donc des mêmes droits et sont soumis aux mêmes devoirs que leurs compatriotes dits de souche. Pourtant, ils ne se sentent les égaux du reste des Français, mais rejetés et mal-aimés. Se rendant bien compte qu’ils passeront leur vie en France et non dans le pays de leurs parents, ils veulent être des citoyens à part entière. Cette égalité, ils la demandent en particulier devant la justice (qui les juge souvent) et devant la police (qui les arrête régulièrement).

Mais c’est avant tout une égalité existentielle qu’ils réclament. Le film interroge intelligemment cette exigence. On s’en aperçoit dans cette scène, où Sylvain (Vincent Rottiers) fait remarquer à Monia (Hafsia Herzi), qu’il aime et a déjà embrassée, que « quand c’est français, c’est raciste » mais que « quand c’est arabe, c’est culturel ». Sylvain est fâché et malheureux de ce que Monia lui a dit plus tôt sur un ton sans appel : entre elle, l’Arabe, et lui, le Français, ce ne sera pas possible, « tu sais très bien ». Point ici une critique laïque du culturalisme arabo-musulman comme entrave à une intégration pleine et entière. Le film fait ainsi quelques évocations du présent dans ce passé vieux de trente ans. La préfiguration du « 100% halal » en est une, tout autant que le rôle et la responsabilité des politiques dans « la libération de la parole ».

La Marche, tant le film que le phénomène dont il témoigne, se veut l’acte fondateur du fait arabe dans l’hexagone. D’où sa dimension sacrée, comme peuvent l’être d’autres faits marquants de l’Histoire de France, devenus mythiques. Mais la Marche est un mythe brinquebalant. Ses promesses d’émancipation n’ont pas été tenues. La faute aux politiques français, de gauche comme de droite, accusent ceux qui ne veulent plus être appelés les « beurs ». « La Marche a été récupérée », dénoncent-ils presque tous. Par qui ? Par SOS-Racisme et son parrain le Parti socialiste. Ces dernières années, cette légitime critique du mouvement a rejoint les vociférations antisionistes des Indigènes de la République, ainsi que des émules de Dieudonné et d’Alain Soral. Quel rapport entre une éventuelle « récupération » et la question israélo-palestinienne ?

C’est bien simple. Après la projection jeudi dernier à l’Institut du monde arabe du documentaire Les marcheurs, chronique des années beurs, de Samia Chala, en présence de Christiane Taubira et de l’hôte de ces lieux Jack Lang, des « témoins » de la Marche ont apporté quelques éléments de réponse. Il a alors été dit que des juifs en France s’étaient inquiétés en 1983 de ce que pouvait devenir cette mobilisation arabe, la vue de keffiehs ne les rassurant pas outre-mesure.

Un an plus tard, SOS-Racisme voyait le jour, à l’initiative, entre autres, de deux ex-trotskystes du PS, Harlem Désir et Julien Dray, mais aussi de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), peut-on lire dans un article posté le 26 novembre sur le site des Indigènes de la République. La petite main jaune de SOS-Racisme, selon cet article, étant la synthèse entre la main de Fatma et la couleur de l’étoile de sinistre mémoire. Quant au slogan « Touche pas à mon pote », il avait pour mérite aux yeux du PS, d’après le même article, de mettre l’intéressé – l’« Arabe » – à distance du champ politique, l’antiracisme devenant l’affaire des socialistes contre le Front national.

Autrement dit, un Français antiraciste intimait à un autre Français, raciste celui-là, de ne pas faire de mal à son « pote » l’Arabe, spectateur d’un échange qui le concernait pourtant au premier chef. Aucun « marcheur » historique n’est devenu membre de SOS-Racisme. « Pendant longtemps, seuls les Arabes stagnant au pied des tours dans leurs cités ont intéressé les socialistes, pas ceux qui réussissaient à s’élever dans la société. », déplore un prof membre d’un syndicat classé à gauche. Cette vieille recette électoraliste a en tout cas profité au candidat Hollande en 2012 dans les banlieues, lui permettant de surfer sur le rejet de Sarkozy.

La lutte pour l’« émancipation » d’une partie des Français d’origine maghrébine, a pris depuis quelques années un tour « antisioniste », parfois radical dans son expression. Une « marcheuse » historique de 1983, interrogée dans le documentaire diffusé à l’IMA, est ainsi devenue une adepte d’Alain Soral. L’un des coréalisateurs du documentaire, Thierry Leclerc, a dit regretter le choix politique de cette marcheuse, précisant que l’idéologie soralienne lui était « nauséeuse ».

Interrogé samedi par Le Monde, Julien Dray a répliqué aux accusations de récupération de la Marche de 1983 par SOS-Racisme : « Ils veulent voir dans la Marche un mouvement formidable de terrain dans les quartiers, un mouvement honnête, qui s’appelait le mouvement beur, et la société aurait eu peur de ce mouvement, donc elle aurait inventé et fabriqué tous les complots pour empêcher ce mouvement d’exister. C’est une réécriture de l’histoire », estime-t-il. Connaissant le climat antisioniste qui règne sur la Toile, à la faveur notamment des commémorations de la Marche, il est étonnant que le journal n’ait pas questionné Julien Dray sur cet aspect des choses.

Née l’année de la Marche, Cindy Léoni est l’actuelle présidente de SOS-Racisme. Elle défilait samedi entre République et Bastille  à l’occasion des « trente ans » de la Marche, pour protester contre les récentes attaques racistes dont Christiane Taubira a été la cible. « On sait ce que signifie l’antisionisme dont se réclament nos détracteurs, c’est de l’antisémitisme, dit-elle. Il y a peut-être eu des erreurs de faites il y a trente ans, mais ce qui compte, c’est ce que SOS-Racisme fait aujourd’hui. »

On ne sait si l’action de SOS-Racisme est efficace ou non. Mais quelque chose qui ressemblait à de la bienveillance et à de l’empathie se dégageait du cortège de samedi, qui dépassait largement les rangs des troupes de SOS. Ces sourires de « toutes les couleurs » n’avaient en tout cas rien de hargneux.

En attendant les barbares…

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desert tartares rossel

desert tartares rossel

1. Souvenirs de mon père en Algérie de 1962 À 1964.

J’avais à peine 20 ans quand mon père est parti en Algérie. Il avait pour mission d’enquêter sur les crimes de guerre commis par l’armée française.  Il est demeuré deux ans à Tlemcen et en Kabylie. Il avait connu l’Allemagne d’avant-guerre où il avait échappé à deux attentats. Ce n’était pas le genre d’homme à se faire des illusions sur l’humanité. « Si vous désirez une image de l’avenir, me disait-il comme Orwell, sans jamais se départir de son bon sourire, imaginez une botte piétinant un visage… éternellement. »

Ce qu’il avait vu en Algérie, les témoignages qu’il avait recueillis, les charniers qu’il avait découverts, l’avaient conforté dans l’idée que la mince pellicule de civilisation dont les humanistes pensent qu’elle constitue l’essence de l’humain se dissout illico sous d’autres cieux et dans des circonstances extrêmes. Personne n’est assez riche pour se payer une conscience. On ne peut que patauger dans ce monde, essayant de s’en tirer du mieux qu’on peut. Mon père flairait d’ailleurs toujours une insolite probité d’esprit chez quiconque s’abstenait de professer des idées généreuses. Il ne jugeait pas plus les soldats français qu’il n’avait jugé les soldats allemands. Il en était arrivé à la conclusion que les hommes ne sont pas faits pour s’aimer. Mais quand il revenait à Lausanne et qu’il me racontait ce qu’il vivait, ce qu’il voyait au quotidien, j’avais de la peine à retenir mes larmes. Et j’éprouvais pour lui, en dépit de la distance qu’il mettait entre nous, une forme d’amour. Je vois avec le temps que bien des choses que j’ai faites avaient pour fin de le rendre fier de moi. L’a-t-il vraiment été ? Seul le Diable le sait.[access capability= »lire_inedits »]

Mais moi, je sais ce que je dois à ce spinoziste qui m’incitait à tout faire, à tout dire, à tout penser en homme qui peut sortir à l’instant de la vie. Ce qu’il fit, lorsqu’il prit la décision de mettre un terme à une existence dont il se serait volontiers passé.

2. Prisonniers de guerre chinois et japonais

J’ai bien sûr pensé à mon père en lisant les rapports des délégués de la Croix-Rouge internationale durant la Deuxième Guerre mondiale qui ont enfin été rendus publics. Le quotidien Le Temps a eu l’excellente idée de les publier durant l’été.

Le docteur Louis Calame, un Suisse établi à Shanghai depuis plusieurs années, va sillonner la Chine pour le compte du CICR et s’informer du sort des prisonniers tant japonais que chinois. On croirait lire un reportage d’Albert Londres pour la vivacité du style et le sens du détail qui en dit long sur une situation que ses supérieurs ont peine à saisir, à savoir que rien ne se passe en Extrême-Orient comme en Europe. D’abord, ni les Chinois ni les Japonais, officiers et officiels, ne comprennent pourquoi on se soucierait du sort des prisonniers. En général, on les liquide immédiatement. Ensuite, pour ne pas perdre la face, on en garde quelques-uns en réserve au cas où le docteur Calame s’obstinerait. Mais on lui conseille plutôt d’aller les voir au cinéma : les actualités lui donneraient une idée précise de la manière dont ils étaient traités.

Enfin, aucun des trois délégués du CICR en Chine ne parvint jamais à faire comprendre aux officiers que les massacres de civils remettaient en cause les fondements du droit humanitaire. À vrai dire, il leur semblait très surprenant et même choquant, voire raciste, que des Blancs, suisses de surcroît, se mêlent de leurs affaires.

Plus subtils que les Chinois et parlant parfois un français raffiné, les officiers japonais expliquaient au docteur Calame, toujours plus dubitatif, que si les prisonniers sont si bien traités par eux, c’est qu’ils appartiennent à la même race. Il n’y a pas de camps de prisonniers car, selon leurs capacités, ils sont envoyés dans des casernes ou des écoles pour devenir des gendarmes ou travailler sur des chantiers de chemins de fer.

Quand le docteur Calame demande à voir une de ces casernes, il rencontre une résistance passive, comme on n’en peut rencontrer qu’en Extrême-Orient. Pour clore la discussion, on lui présente huit Chinois habillés en kaki, portant des chaussures européennes absolument neuves, fumant des cigares et buvant du whisky dans une mise en scène parfaitement rodée. À la même époque, la crue du fleuve Jaune fera un million de morts. L’idée que la vie puisse avoir un prix semble bien dérisoire et pour la plupart des Chinois, comme des Japonais, d’une totale absurdité.

3. De Teschen à Auschwitz

Délégué lui aussi du CICR, le docteur Maurice Rossel parviendra à accéder en juin 1944 à l’intérieur des camps de concentration et d’extermination où il obtient des témoignages sur les « douches », témoignages qu’il ne transmettra pas car le CICR a donné pour instruction à ses délégués de « ne s’occuper des Israélites qu’avec la plus grande discrétion et prudence ». C’est un grand classique : on sait, mais on ne veut pas savoir.

Malgré le fait qu’il ait été dupe de la métamorphose du ghetto juif de Theresienstadt en village Potemkine (autre grand classique), le rapport du docteur Rossel est très précis sur ce qu’il voit lors de son voyage de Teschen à Auschwitz. Les prisonniers qu’il croise, malgré le travail en plein air, ont tous le teint blafard, cendré. « Tous, écrit-il, marchent au pas et en rang de quatre ; les gardes, le fusil sous le bras, sont des SS de la division Totenkopf. Nous ne chercherons pas à rendre compte de l’atmosphère, chacun imagine sans trop de peine ces colonnes de forçats où il n’y a plus aucun individu, seulement des numéros. »

Ce sont ces mêmes colonnes de forçats, cette fois au bagne de Toulon, qui ont marqué à tout jamais le jeune Arthur Schopenhauer et l’ont conduit à écrire, des années plus tard, la plus grande somme philosophique jamais pensée, conduisant logiquement au suicide collectif de l’humanité.

Sans doute aurait-il goûté la petite histoire suivante : Dieu arpente son bureau, lorsqu’il aperçoit de sa baie vitrée le Diable traînant derrière lui une vieille caisse. Intrigué, Dieu appelle son majordome et lui demande : « Qu’y a-t-il dans cette caisse ? » Ce dernier lui répond : « Un homme et une femme. » Dieu, désemparé, consulte ses dossiers et, soudain, se souvient : « Ah oui… cette expérience ratée. Est-ce qu’ils vivent toujours ? »

4. Le Désert des Tartares

Le 27 juillet 1953, après plus de trois ans de guerre et quatre millions de morts, un armistice est signé entre la Corée du Nord et la Corée du Sud.

Ce n’est pas la paix, c’est une pause… qui dure maintenant depuis soixante ans. Soixante ans à attendre une menace de destruction totale. Mais les belligérants ont changé. Personne ne pensait que le mur de Berlin s’effondrerait. Il s’est effondré.

Personne ne pensait que la Chine lâcherait la Corée du Nord. Elle l’a fait. Plus personne ne vient relever le courrier. Cela rappelle étrangement Le Désert des Tartares de Dino Buzzati, version fondue et virées le week-end à Séoul. On finit par ne plus savoir ce qui est le pire : attendre une catastrophe ou la subir.[/access]

 

*Photo : Le Désert des Tartares.

Mes haïkus visuels

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Le FN est le problème du PS

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Au plan électoral, c’est désormais une évidence. Parti protestataire, le FN attire à lui une fraction des mécontents que fabrique toute majorité en place. Ainsi, entre 2007 et 2012, les déçus viennent de la droite : le score du candidat FN à la présidence de la République grimpe de 10,7 % à 17,9 %. Depuis l’élection de François Hollande, les déçus viennent de la gauche ; le FN grossit désormais aux dépens du PS. On le verra peut-être en 2017, sans doute en 2014 et 2015, avec les élections locales, européennes et régionales, mais on peut d’ores et déjà le constater grâce aux diverses élections partielles, législatives et cantonales, dont les enseignements sont limpides : le FN fait jeu égal avec un PS en voie d’effondrement, si bien que la droite n’a besoin d’aucune alliance pour gagner.[access capability= »lire_inedits »]
Au regard des législatives partielles de 2012-2013, le rapport de force entre la gauche de gouvernement – la gauche hors extrême gauche et Parti de gauche – et la droite de gouvernement – la droite hors extrême droite et Front national – s’est déjà inversé. En juin 2012, dans les circonscriptions métropolitaines concernées par une partielle, la première devançait à peine la seconde (l’écart était de 0,5 point) ; depuis 2012, la droite de gouvernement est en tête avec une avance de… 17,6 points ! De son côté, le FN progresse de 3,7 points au point de faire jeu égal avec le PS[1. Cf. l’étude à ce sujet publiée par la Fondation pour l’innovation politique sur son blog « Trop Libre », le 22 juin 2013 : « Ce que révèlent les élections législatives partielles » (www.fondapol.org).] (voir encadré).
La progression de l’UMP et de l’ensemble de la droite de gouverne- ment rend donc caduque la stratégie du rapprochement avec le FN. La droite a d’autant moins besoin d’une alliance avec le FN que celui-ci progresse au détriment du PS. Si, comme d’habitude, ces élections partielles ont été marquées par une abstention massive, tout donne à penser qu’une plus forte mobilisation, lors d’élections générales, ne modifiera pas cette nouvelle donne politique. En d’autres termes, le FN est devenu le problème du PS. Signe qui ne trompe pas, désormais, lorsqu’il est présent au second tour, qu’il s’agisse d’une législative ou d’une cantonale partielle (Brignoles), ce n’est pas contre le PS mais contre l’UMP. La perspective d’un effondrement électoral du PS annonce donc des duels de second tour UMP/FN. Le risque des triangulaires sera encore plus faible si la droite a mené à bien la révolution doctrinale que commande l’épuisement de l’État-providence, gagnant ainsi la confiance et les suffrages des électeurs modérés de la gauche et du centre, lesquels, comme d’habitude, décideront de la victoire.
Au plan programmatique, un rapprochement entre la droite de gouvernement et le FN n’a pas non plus de raison d’être. Que veut le FN ? Un État majoritaire chez Peugeot SA, la planification, la retraite à 60 ans, la sortie de l’euro, le protectionnisme commercial national, etc. Le détail témoigne de la désinvolture avec laquelle le programme du FN a été conçu. Prenons l’exemple du financement de la dépendance. Nous devons trouver entre 30 et 40 milliards par an. On hésite entre la solidarité publique, qui suppose un nouvel accroissement des prélèvements, et l’assurance privée, qui fait courir le risque de fortes inégalités. Le FN a trouvé une solution : il propose de financer le nouveau risque social par un impôt sur les transactions capitalistes internationales ! Et ce « plan de financement » sera mis en place pendant la sortie de l’euro…
Certes, dans le moment où nous sommes, la droite doit repenser l’ensemble de sa doctrine. Mais si cette révision se traduisait par un rapprochement programmatique avec le FN, elle lui ferait perdre son statut de parti de gouvernement et la conduirait à l’éclatement, favorisant une recomposition politique qui offrirait à la gauche l’unique solution capable de la sauver.
Au plan social, enfin, un rapprochement avec le FN conduira la droite à tourner le dos à la « France qui vient ». Illustrons ceci par un seul indicateur : la religion. La proportion des Français se déclarant catholiques était de 81 % en 1952. Elle est tombée à 64 % en 2010[2. Sur ces questions, cf. mon livre Les Nouveaux Populismes, Paris, Pluriel, 2013.] ; en 2012, elle a encore reculé (56 %), et si l’on peut éprouver une certaine tristesse à décrire cette réalité, c’est ainsi que les Français l’ont voulue. Plus, parmi les 25-34 ans, cette proportion tombe à 43 % et à 31 % chez les jeunes de 18-24 ans. En revanche, l’affiliation déclarée à une « autre religion », qui concerne 6 % des Français majeurs en 2012, grimpe à 18 % chez les moins de 25-34 ans et à 21 % chez les 18-24 ans. Si, pour simplifier, on considère que les Français affiliés au protestantisme et au judaïsme représentent dans les jeunes classes d’âge la même proportion que dans l’ensemble de la population adulte, soit respectivement 2 % et 1 %, alors cela signifie que les jeunes Français musulmans représentent environ 15 % des 25-34 ans et 18 % des 18-24 ans. Autrement dit, les musulmans représenteront bientôt entre un cinquième et un quart de la population française. Leur tourner le dos serait suicidaire.
Ce n’est donc pas avec le FN que les partis de gouvernement accompliront leur indispensable aggiornamento. La droite doit comprendre que, pour elle, la question du FN ne se pose plus. Faute de quoi la recomposition politique se fera sans elle.

*Dix-huit mois après la victoire de la gauche, le nouveau rapport de force

Les législatives partielles intervenues depuis juin 2012 dessinent un tableau politique que l’on résumera en six points : a) le PS régresse fortement pour tomber à 18,8 % des suffrages exprimés, soit un recul de 7,5 points par rapport à 2012 ; b) la gauche de gouvernement recule de 11 points et ne réunit plus qu’un quart des suffrages exprimés (26 %) ; c) l’UMP progresse (+ 3,6 points) pour atteindre 38,1 %, soit 20 points de plus que le PS ; d) la progression de l’ensemble de la droite de gouvernement (+ 7 points) est plus forte que celle de l’UMP ; e) avec 43,6  % des voix, la droite de gouvernement surclasse nettement la gauche de gouvernement (26 %) ; f) avec 18,8 %, le FN progresse de 3,7 points, faisant jeu égal avec le PS.

Note technique : depuis juin 2012, on compte huit élections législatives partielles, dont cinq en France métropolitaine. Ce sont ces cinq élections qui constituent la base de calcul de ce bilan d’étape, soit 403 136 électeurs inscrits. Les trois autres législatives partielles, deux circonscriptions des Français de l’étranger et la 1re circonscription de Wallis-et-Futuna, n’ont pas été prises en compte. Notons simplement que, en raison de leurs caractéristiques hors normes, leurs résultats accentueraient massivement les traits relevés ici. [/access]

*Photo: LCHAM/SIPA. 00669594_000033.