Le président américain Donald Trump réclamera jusqu’à 5 milliards de dollars en justice pour un montage vidéo trompeur diffusé dans l’émission Panorama.
Pendant longtemps, les Britanniques l’ont affectueusement surnommée Auntie, la vieille tante. Depuis quelques années, celle-ci commençait à radoter, tentant d’imposer, à l’heure du thé, un narratif de gauche à la fois woke, communautariste et palestiniste. Elle vient d’être prise en flagrant délit de mensonge en attribuant à Donald Trump, qu’elle abreuve de sa haine, des propos qu’il n’a jamais tenus. Pendant que toute la sphère progressiste s’affaire à la sauver, elle est bien entrée en phase terminale et, avec elle, une vision du journalisme faite de véracité, de talent et de neutralité.
2012 : l’affaire Jimmy Savile
Jusqu’à il y a une quinzaine d’années, la BBC était l’incarnation la plus aboutie de ce qu’était le Royaume-Uni ou, plus précisément, l’Angleterre : une langue et un accent châtiés, des gentlemen discutant en costume-cravate de l’actualité de Premiers ministres souvent issus des rangs conservateurs, des rencontres à Wimbledon entrecoupées d’interminables matches de cricket, une couverture paternaliste des informations en provenance des pays du Commonwealth, une bienveillante complaisance à l’encontre la famille royale qui, déjà, commençait à s’entredéchirer, enfin des plans sur les centres-villes désolés de Burnley, Liverpool ou Oldham et sur les campagnes brumeuses du Kent, du Somerset ou du Norfolk.
Cette image d’Epinal s’est depuis lors effritée, sans que l’on sache exactement à quand cela remonte, peut-être depuis qu’a éclaté l’affaire Jimmy Savile en 2012. Cette année-là, le présentateur-vedette de la chaîne, décédé quelques mois plus tôt, fut accusé de centaines d’agressions sexuelles, y compris sur mineurs, profitant de son incommensurable notoriété pour commettre les pires atrocités. La BBC tenta d’étouffer l’affaire, en vain, et dut ensuite reconnaître un « problème culturel » au sein de l’entreprise.
Y’a pourtant déjà Al-Jazeera !
Depuis, elle ne s’en est jamais vraiment remise et les scandales se sont accumulés: couverture du conflit israélo-palestinien en usant d’une rhétorique proche de celle du Hamas, critique de la politique d’asile des gouvernements conservateurs, dévoilement des données bancaires de Nigel Farage… Même le présentateur de Match of the Day Gary Lineker, ancien footballeur international que l’on croyait au-dessus de tout soupçon, fut contraint de quitter son poste après avoir partagé une vidéo antisémite sur ses réseaux sociaux.
Et la semaine dernière arriva donc le scandale de trop. En assemblant différentes parties d’un discours de Donald Trump, les enquêteurs du magazine Panorama, ont fait accroire que le président américain avait activement incité ses partisans à prendre le Capitole en janvier 2021. Le montage grossier était aussi trompeur – ou fake dans le jargon des journalistes admis – et pouvait théoriquement avoir une influence négative sur les relations entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis – Donald Trump a, par ailleurs, confirmé qu’il réclamerait jusqu’à 5 milliards de dollars de dommages et intérêts.
Conscients des manquements les plus élémentaires à la déontologie, le directeur général de la BBC et la patronne de l’information ont rapidement démissionné. Si les médias de droite n’ont pas manqué de critiquer les biais idéologiques de la Beeb – son autre surnom -, celle-ci s’est trouvée d’ardents défenseurs. Ainsi, dans un réflexe corporatiste et politiquement orienté, Polly Toynbee, éditorialiste au Guardian, a tenté de rejeter la responsabilité sur… Donald Trump et les adversaires de la gauche, les accusant de s’en prendre au journalisme. Mais plus personne n’est dupe : au Royaume-uni, comme d’ailleurs en France, en Belgique et à peu près partout, l’audiovisuel de service public, vivant de généreuses dotations publiques, n’est plus qu’une machine à propagande qui peine de plus en plus à masquer son véritable dessein, celui de recracher au visage d’une société qui n’en veut pas une tisane progressiste et multiculturelle.
Chaque mois, le vice-président de l’Institut des libertés décode l’actualité économique. Et le compte n’y est pas.
Il existe encore des entrepreneurs français qui créent de la valeur, malgré les nombreux obstacles que l’État et ses fonctionnaires mettent en travers de leur route. Dans notre pays, on dénombre ainsi plusieurs « licornes », ces start-up dont la valorisation dépasse le milliard d’euros : Mistral (intelligence artificielle ; 11,8 milliards d’euros), Doctolib (interface Web pour les soignants ; 5,8 milliards), Back Market (produits reconditionnés ; 5,2 milliards), Contentsquare (analyse de données numériques ; 5,1 milliards), Sebia (diagnostics médicaux ; 5 milliards), Quonto (banque en ligne ; 4,4 milliards). Formidablement inventives et dynamiques, elles savent affronter un environnement particulièrement hostile. Hélas, il n’est pas du tout sûr que cela dure.
D’autres entrepreneurs français, plus nombreux malheureusement, échouent. Deux exemples illustrent bien les difficultés rencontrées par les innovateurs désirant mener à bien leur projet dans notre pays. Ils sont particulièrement tristes, car ils ressemblent à l’échec commercial de Concorde. D’abord la société Carmat, créée dans les années 1990 par le professeur Alain Carpentier et le capitaine d’industrie Jean-Luc Lagardère. Elle produit 500 cœurs artificiels par an. L’homme d’affaires Pierre Bastid en est devenu récemment le premier actionnaire. Pour sauver l’activité, il a besoin de 150 millions d’euros. Comme il ne les trouve pas, il risque la liquidation judiciaire. Second exemple, la société VoltAero, pionnière de l’aviation légère hybride électrique. Son premier modèle, le Cassio 330, était arrivé à enregistrer 280 précommandes. Il devait être mis en service en 2026. Las, l’entreprise, créée par Jean Botti, ex-patron de l’innovation chez Airbus, est à présent en redressement judiciaire.
La déclaration d’économiste la plus stupide de la décennie a probablement été prononcée par Sandrine Rousseau, députée écologiste et ancienne enseignante-chercheuse à l’université de Lille, lorsqu’elle a indiqué en 2021 « préférer des femmes qui jettent des sorts plutôt que des hommes qui construisent des EPR » (on voit immédiatement qu’elle a tout compris à la question énergétique, en particulier la nécessité de disposer d’électricité nucléaire quand il n’y a plus ni vent ni soleil). Reste qu’Éric Lombard, qui vient de quitter le poste de ministre de l’Économie, n’est pas mal placé non plus au palmarès des déclarations stupides. Charles Gave, le président de l’Institut des libertés (et actionnaire principal de Causeur), en a sélectionné trois. La plus ahurissante : « Il va falloir que les entreprises françaises s’habituent à gagner moins d’argent. » La plus incompétente : « Le nombre de fonctionnaires n’est pas un problème. » La plus idéologique : « On n’est pas un pays libéral, on est un pays d’État. » Nassim Taleb, très grand auteur américain (à qui l’on doit Le Cygne noir) qualifie ce type de paroles d’ « educated yet idiot », ce qui en français signifie « diplômé mais bête ».
Emmanuel Macron s’est félicité que la France soit selon lui « un pays solide, doté d’une bonne solvabilité, qui génère d’excellentes recettes fiscales », dans les colonnes de la Frankfurter Allgemeine Zeitung, le 1er octobre. Il reconnaît toutefois que « nous n’avons pas encore résolu la question des finances publiques ». C’est bien normal puisque, à l’heure où les États-Unis et la Chine se livrent une bataille technologique et tarifaire de premier plan, nos dirigeants débattent de l’impôt Zucman.
La France ne devrait pas taxer davantage les « riches ». Telle est la position d’Agnès Verdier-Molinié, directrice de la Fondation iFRAP. Si on part du revenu disponible brut des ménages français, et que l’on fait la somme des impôts directs et des cotisations sociales qu’ils payent, on constate que le taux de prélèvement moyen qu’ils supportent est de 28,4 %. Pour les 10 % des contribuables les plus aisés, le chiffre est presque deux fois supérieur : 54,2 %. Pour les 0,1 % les plus riches, il grimpe à 55,2 %. Résultat, selon l’OCDE, les 10 % des ménages les plus riches du pays assurent à eux seuls 76 % de la recette annuelle de l’impôt sur le revenu, soit 63 milliards sur un total de 83 milliards. L’absence de débat sérieux sur un sujet aussi essentiel explique que de telles remarques, aussi stupides que fausses, soient proférées sur les bancs de l’Assemblée nationale. En attendant, la totalité des pays européens ont abandonné les taxes confiscatoires : l’Allemagne, la Suède, le Danemark, l’Autriche et les Pays-Bas. Mais en France, on préfère vivre dans la démagogie fiscale, relayée par La France insoumise et le Rassemblement national. Ces partis ont tort, car l’impôt n’a pas à être moral, mais utile et efficace.
Une dizaine de grands groupes du CAC 40 empruntent de l’argent sur les marchés financiers à des conditions plus favorables que les bons du Trésor. C’est le signe très clair de l’inquiétude grandissante des investisseurs devant notre politique budgétaire. Une inquiétude confirmée par la dégradation, le 17 octobre, de la note de la France par l’agence S&P. D’habitude, dans un pays donné, un État se finance pour moins cher que les entreprises, car il est considéré comme plus solvable et moins risqué. Sans surprise, la dizaine de sociétés tricolores qui parviennent à s’endetter à un taux plus bas que les pouvoirs publics ont un volume d’activité important à l’étranger. Il s’agit d’Airbus, Axa, Air Liquide, Euronext, Legrand, LVMH, Sanofi et Schneider Electric.
La France présente pour la première fois une balance agricole déficitaire (même en tenant compte des vins et spiritueux), alors qu’elle était le deuxième plus grand exportateur de produits agricoles au monde il y a trente ans. Quand le coût horaire moyen d’un salarié agricole s’élève à 12,80 euros en France, il est de 0,74 euro au Maroc. Ce n’est pas très compliqué de comprendre d’où vient le problème. Tous ceux qui insultent Bernard Arnault toute la journée devraient savoir que les exportations de LVMH représentent 50 % des exportations agricoles de la France.
La Ville de Paris pulvérise tous les ratios prudentiels. Les dépenses courantes progressent plus vite que l’inflation et, malgré la forte augmentation de la taxe foncière de 62 % ainsi que la hausse des droits de mutation, la dette de la municipalité atteindra le chiffre record de 11,6 milliards fin 2026. La Mairie ne cesse de gonfler ses effectifs (55 000 fonctionnaires contre 41 000 il y a vingt-cinq ans), alors que la population parisienne diminue. Pire encore, les subventions financent en partie des associations aux objectifs contestables, comme « Les ruches pour les femmes leaders à Tandjouaré » ou des officines d’activistes de gauche radicale, qui prônent la désobéissance civile. Il est temps de mettre fin à cette gabegie.
Les diplômés qui quittent la France sont de plus en plus nombreux. Selon Ipsos BVA, 9 % de nos jeunes ingénieurs partent travailler à l’étranger une fois leur diplôme obtenu. Et 21 % d’entre eux réfléchissent à l’idée de s’établir hors de France. Dans un pays où on a formé des armées de sociologues, il est curieux qu’aucun d’entre eux ne cherche à analyser convenablement la grande spécialité nationale qui consiste à exporter des bac +7 et importer des bac -7.
La polémique n’a pas pris une ride. Elle s’est même refait une jeunesse. Le film de Bertolucci avait choqué la morale à sa sortie en 1972. Il est aujourd’hui interdit de projection. Oubliée la beauté de Marlon Brando et de Maria Schneider, il n’y en a que pour la dérangeante plaquette de beurre.
Le 15 décembre 2024, la Cinémathèque française, dans le cadre d’un hommage rendu à Marlon Brando, prévoyait de projeter Le Dernier Tango à Paris, du réalisateur italien Bernardo Bertolucci (1941-2018). Il n’y aura pas de projection ce jour-là, ni sans doute avant longtemps, de l’œuvre désormais interdite d’écran par la nouvelle et puissante entreprise de censure généralisée qui prétend gouverner l’ensemble de notre « production culturelle ».
Personnes éclairées
Anne-Cécile Mailfert dénonce au micro de France Inter « ce monument du patriarcat cinématographique » qui « fait passer nos viols pour de l’art et du divertissement ». Néanmoins, elle ne condamne pas le film aux oubliettes, elle suggère d’accompagner chacune des projections d’une « contextualisation ».
On jugera l’intention sans doute un peu bétate : elle s’inspire de Chloé Thibaud qui souhaitait s’assurer de la réception correcte du film par une « prise en charge morale » du spectateur afin de prévenir tout risque d’égarement : « Je ne prône pas la “cancel culture”, mais la “contexte culture”, c’est-à-dire l’accompagnement des œuvres “problématiques”. J’ai proposé des solutions, notamment d’accompagner la projection du film d’une table ronde, d’une conférence, mais qui donnerait la parole, évidemment à des personnes qui sont éclairées sur les questions de genre. »
Quand les « problématiques » passent les bornes, les limites sont dépassées !
Un peu de beurre dans un monde de brutes
LeDernier Tango connut d’abord un autre scandale, de dimension planétaire, à sa sortie, en 1972. La cause, une sodomie violente, heureusement feinte, à laquelle Marlon Brando contraignait sa partenaire. Une plaquette de beurre détournée de son usage habituel fixa la scène dans les mémoires… En Italie, le réalisateur fut déchu de ses droits civiques.
Brandolâtre extatique, j’assiste à la première séance. Les images du générique, les portraits de Lucian Freud et d’Isabel Rawsthorne par Francis Bacon, la musique de Gato Barbieri… Je consens à tout d’emblée, je subis l’envoûtement de Brando, vêtu d’un manteau de cachemire couleur miel, errant sous le viaduc du pont Bir-Hakeim, égaré, douloureux. Je pénètre, derrière le couple que le hasard (ou la nécessité tragique ?) a formé avec cet homme (Paul) et une jeune femme ravissante, aux joues pleines d’adolescente acidulée (Jeanne), dans un superbe appartement presque vide, nimbé d’une lumière tendre et crépusculaire. Arrive la surprise du beurre. Elle me navre par son inutilité provocatrice. Elle encombre inutilement un récit que hantent la perte, le manque et la mort. La brutalité musculeuse de Brando rend vaine la figure du sodomite sournois, qui brouille toutes les ondes de l’œuvre. Je persiste à voir deux êtres qui s’étreignent, oublieux du monde, sans identité, organisant dans la pénombre une fête sexuelle toujours recommencée.
C’est en 2004, par un documentaire, Il était une fois… Le Dernier tango à Paris, une enquête menée par Serge July et Bruno Nuytten, que je connus les conséquences de tout cela sur la vie de Maria Schneider, la vérité de ses larmes à l’écran. Elle ignorait tout de l’intention de son partenaire dans cette séquence réglée entre Brando et Bertolucci, lequel recherchait l’effet du choc, « la rage et l’humiliation » sur les traits de son visage[1].
Et l’on ne parlera plus que du beurre ! Et Jessica Chastain pourra faire part de son dégoût sur le réseau X, en 2016 : « À tous ceux qui ont aimé le film, vous regardez une jeune fille de 19 ans en train d’être violée par un homme de 48 ans. Le réalisateur a planifié l’agression. Ça me rend malade. »
Je me refuse à voir ici la perpétration d’un crime sexuel.
Il l’aime, elle non plus
Pourtant, Pauline Kael (1919-2001), dans le New Yorker, et Roger Ebert (1942-2013) dans le Chicago Sun-Times, deux très perspicaces et fameux critiques, ont encensé le film, et avec quels solides arguments ! Roger Ebert ne dissimule pas son émoi : « L’une des plus grandes expériences émotionnelles de notre époque, […] seul Marlon Brando, parmi tous les acteurs vivants, pouvait en incarner le rôle principal. Qui d’autre peut jouer avec autant de brutalité et exprimer une telle vulnérabilité et un tel besoin ? Car le film parle de besoin ; de la terrible soif que son héros, Paul, éprouve d’être touché par un autre cœur humain. »
Secouez cet homme avec un peu de vivacité, il en sortira plus de larmes que de sperme.
Pauline Kael témoigne de son ravissement : « Le Dernier Tango à Paris fut présenté lors de la soirée de clôture du Festival du film de New York, le 14 octobre 1972 : cette date devrait devenir un jalon dans l’histoire du cinéma, comparable au 29 mai 1913, date de la première représentation du Sacre du printemps, dans l’histoire de la musique. […] Je pense qu’il est juste de dire que le public était sous le choc, car Le Dernier Tango à Paris possède le même pouvoir hypnotique que le Sacre,la même force primitive et le même érotisme percutant. »
C’est une erreur de voir en Jeanne la victime d’un phacochère en rut, empoignée, possédée, dépossédée : « La Jeanne, souple et douce, sans scrupules, de Maria Schneider, doit être la gagnante : [Elle] ressemble aux adorables héroïnes-garces sensuelles des films français des années 20 et 30 : à la fois superficielles et sages. Ces filles […] savent qui est la meilleure. Le Paul de Brando, l’outsider par essence naïf, le romantique, n’est pas de taille face à une bourgeoise française » (Pauline Kael).
Voilà pourquoi Paul, l’américain sexuellement envahissant, le mâle dominant du xxe siècle, connaîtra une brève agonie, recroquevillé tel un gros fœtus sur un balcon parisien, abattu au revolver par une délicieuse fille-fleur, avec laquelle il voulait refaire sa vie, fonder une famille, et qui murmure déjà les arguments de la défense qu’elle présentera aux policiers et aux juges : « Je sais pas qui c’est. Il m’a suivi dans la rue, il a essayé de me violer, c’est un fou. Je sais pas comment il s’appelle. Je le connais pas. »
Quel exploitant de salle, quelle chaîne de télévision oseront programmer Le Dernier Tango à Paris après la capitulation, compréhensible, de l’institution chargée de conserver, de mettre en valeur, de révéler les œuvres de l’art cinématographique ?
[1] Vanessa Schneider, journaliste au Monde, cousine de Maria Schneider, lui a consacré un livre intitulé sobrement Tu t’appelais Maria Schneider (Grasset, 2018). Fille illégitime de l’acteur Daniel Gélin, elle fut très jeune confrontée à la drogue, à l’errance… Une vie cabossée. Ce livre a inspiré le film Maria, de Jessica Palud (2024), avec Matt Dillon et Anamaria Vartolomei.
Il y a indéniablement quelque chose de touchant dans l’obstination du président de la République à continuer à parler des choses du pays et du monde comme s’il avait encore le moindre pouvoir sur elles.
Quand on aime la France comme nous l’aimons, on ne peut que ressentir un sentiment de tristesse lorsqu’on assiste à ces prestations qui nous font penser à ce que serait la performance d’un acteur jouant la grande tirade du Mariage de Figaro alors que le public a déserté le théâtre et que les lumières de la scène sont éteintes depuis longtemps déjà.
Ces derniers jours, un mot a retenu mon attention. Le mot « intention ». Lorsque Zelenky a fait un passage express à Paris, on nous en a fait des tonnes autour d’un marché de quelque cent Rafales, le fleuron de notre industrie aéronautique militaire. En fait, ce qui a été signé ne serait qu’une lettre d’intention. Aimable formulation. L’Ukrainien aurait donc « l’intention » d’acquérir cent Rafales que nous aurions « l’intention » de lui livrer et que, doit-on en conclure, il aurait « l’intention » de nous payer.
Nous voici donc entré de plain-pied dans une forme toute nouvelle de gouvernance, la gouvernance « d’intention ».
On en a eu un autre exemple lors des échanges franco-germaniques à Berlin ce mardi. En est sortie cette formule que M. de La Palice ne démentirait certainement pas : « Quand la France et l’Allemagne s’alignent, l’Europe avance. » Dans quelle direction ? On n’en sait trop rien, si ce n’est que « l’intention » est que ces deux pays s’entendent pour s’engager avec ardeur dans la conquête d’une souveraineté numérique qui permettrait à l’Europe de « ne pas être le vassal » technologique des États Unis et de la Chine. Louable intention, il est vrai.
Dans un registre quelque peu différent, on apprend lors de la même prestation, que le président français aurait « l’intention » de rencontrer prochainement son homologue algérien, histoire peut-être de s’offrir une nouvelle session de mea-culpa et d’autoflagellation post-coloniale, comme précédemment, avec dépôt de gerbe sur la tombe du terroriste FLN nullement inconnu. Là encore, on ne sait pas.
Il est vrai qu’on n’écoute plus vraiment ce qu’il dit, le président. Il est vrai en effet que sa parole – la parole présidentielle – qu’elle soit en anglais, en français, en swahili – ne porte plus guère. Radicalement démonétisée qu’elle est.
Alors oui, nous sommes en droit d’éprouver une forme de tristesse devant ces sursauts verbeux d’une présidence en coma dépassé. Le sentiment que le fantôme de l’Élysée ne fait plus désormais que prêcher dans le désert, que ses Rafales ne sont que mirages, ses espérances d’une quelconque souveraineté qu’une velléité d’estrade, ses intentions de rencontre avec le dictateur algérien une vague péripétie touristique avec danse des sept voiles au programme. Oui, tout cela nous donne l’impression d’assister, impuissants, à la gesticulation pathétique d’un homme qui se complaît à bavasser dans le désert. Un désert dont il n’est plus lui-même également qu’un vague mirage…
Défense radicale des minorités se faisant au détriment de la cohésion sociale en Occident, le wokisme – très à la mode ces dernières années – est en perte de vitesse. C’est que l’élection de Trump a mis un coup d’arrêt à son expansion délirante. Et que la convergence des luttes a ses limites! Mais, on peut aussi craindre qu’il finisse par revenir plus fort que jamais.
Le 20 janvier dernier, Donald Trump, dans une mise en scène césarienne, a signé une série de décrets présidentiels, touchant des domaines forts différents, comme la politique sociétale, l’aide militaire, en passant par la fin du financement de certaines grandes organisations internationales. On sent désormais une certaine accélération de l’histoire et le changement de ton par rapport à son premier mandat. La première présidence Trump marquait la fin d’une époque, mais tout porte à croire que la seconde entame le début d’une nouvelle ère sous nos yeux tétanisés ou ébahis, signifiant peut-être la fin de l’idéologie woke en Occident, mais est-ce vraiment le cas ?
Le wokisme, cette idéologie voulant lutter contre les inégalités, avait connu un grand succès au cours de la dernière décennie. Elle était devenue presque une religion et avait su convaincre de nombreux secteurs de la société : les universités, mais également les entreprises et les gouvernements. Cependant, les semaines qui viennent de s’écouler démontrent peut-être que, tout compte fait, le wokisme n’a été qu’une parenthèse, qu’un château de cartes porté sur des bases trop peu solides: annulations de certains programmes EDI dans diverses entreprises, ralliement des grands patrons de la Silicon Valley au président Trump après sa réélection, etc. Par ailleurs, lorsque l’on compare le taux d’approbation chez les jeunes en janvier 2025 à celui de janvier 2017, début de son premier mandat, la différence saute aux yeux: selon YouGov, c’est respectivement 53% de taux d’approbation contre 30%, soit une progression de plus de 20 points chez la jeunesse américaine, ce qui n’est pas rien puisqu’elle représente l’avenir du pays et est un indicatif en somme (1). On assiste donc peut-être à un véritable basculement. Cette idéologie n’a jamais été un objet de conviction, mais bien un objet de conformité. Certains la défendaient « parce qu’il fallait bien faire comme tout le monde. »
La preuve en est que, sur le plan politique et des institutions, qu’elles soient publiques ou privées, une série d’entre elles ont fait un pari sur le wokisme en achetant ce discours – pensant que ce serait l’avenir. D’ailleurs, tout porte à croire pour l’instant que cette idéologie avait atteint son paroxysme durant la présidence de Joe Biden, et même déjà sous le premier mandat de Donald Trump. Ce paroxysme s’est manifesté avec force lors des mobilisations de la jeunesse dénonçant le meurtre de George Floyd par un policier blanc en 2020.
Mais le wokisme est-il définitivement derrière nous? Aurons-nous encore à subir ses excès dans nos sociétés dans les années à venir? Rappelons que le wokisme est une forme de néo-progressisme ayant hérité de certains attributs du marxisme, notamment sa focalisation sur les luttes identitaires et la défense des minorités, une défense se faisant au détriment de la cohésion sociale. C’est aussi une intersectionnalité des luttes, puisqu’au moment où le communisme s’est effondré dans les années 80 et 90, beaucoup de militants de la gauche sont restés mentalement ancrés dans un univers communiste, ce qui les a amenés à continuer à intégrer des gens politiquement comme la chose se faisait des décennies plus tôt. Ainsi, lorsque la gauche a fini d’intégrer un certain groupe politique, elle cherche à intégrer d’autres catégories de la population, ce qui explique qu’elle puisse se renouveler politiquement depuis des années.
Cette gauche a donc voulu à la fois défendre les minorités sexuelles, mais également l’immigration de masse, provenant en majorité de pays du Maghreb, d’Afrique noire, d’Inde ou du Pakistan, ce qui démontre, comme par le passé, qu’elle use toujours d’une stratégie ayant fait date : défendre les masses, mais également des idéologies minoritaires. Cependant, les choses ne pouvaient durer, car à un moment, les contradictions sautent au visage : on ne peut défendre à la fois le mouvement LGBT et l’islamisme, par exemple. Au fond, la gauche joue une pièce qu’elle avait déjà jouée dans le passé au XIXe siècle en essayant de chercher à intégrer toutes sortes de luttes minoritaires. Par exemple, au plus fort de la révolution industrielle en Europe, cette gauche a voulu à la fois défendre les masses ouvrières, mais également toutes les idéologies considérées comme superficielles à l’époque, comme l’anarchisme ou l’écologisme. Cependant, à mesure que le mouvement ouvrier a pris de l’ampleur vers la fin du XIXe siècle, ces luttes minoritaires ont été déconsidérées, puisqu’extrêmement impopulaires au sein du prolétariat.
De la même manière, le wokisme contemporain risque de connaître un déclin similaire. Les contradictions inhérentes – par exemple, la promotion de l’intersectionnalité qui tente d’unir des groupes aux valeurs souvent incompatibles – deviennent de plus en plus évidentes. Lorsque la gauche progressiste intègre de nouveaux « opprimés » sans résoudre ces tensions, elle s’expose à une fragmentation interne, comme l’a observé Chantal Delsol dans son analyse du moralisme rigide.
Ce processus n’est pas nouveau ; il reflète une stratégie cyclique de la gauche, qui, après l’effondrement du communisme, a pivoté vers des identités fragmentées pour se renouveler.
À la question de savoir si ce déclin est imminent, certains faits récents tendent à le montrer, du moins, on peut constater un léger reflux de cette idéologie qui peut s’expliquer par la prise du pouvoir par la nouvelle administration américaine. Un exemple des plus frappant est le fait que certaines entreprises de la Silicon Valley en Californie ont annulé ou réduit leurs initiatives en matière d’équité, diversité et inclusion (DEI), pour des raisons de coûts excessifs et un manque de retour sur investissement. Apple a mis en ligne pour la première fois depuis des années une publicité mettant en scène une famille blanche américaine de la classe moyenne, ce qui ne se voyait plus dans le monde du marketing des GAFAM depuis longtemps. Par ailleurs, sur le plan politique, l’administration américaine a promulgué des décrets visant à démanteler ce qu’elle qualifie d’idéologie «woke» dans l’éducation et les institutions fédérales.
Ce mouvement ne se limite pas aux États-Unis, puisque, sur le Vieux Continent européen, plusieurs partis nationalistes très critiques de l’immigration et du wokisme gagnent du terrain dans les urnes et dans les sondages, comme le Rassemblement national en France et le Reform Party au Royaume-Uni. Ces évolutions montrent que le mouvement woke perd du terrain au profit de priorités plus pressantes pour la population, comme le pouvoir d’achat ou l’immigration.
Une résistance en vue
Malgré tout, assiste-t-on à un véritable recul du wokisme? Rien n’est moins sûr et tout porte à croire que ses partisans pourraient se radicaliser dans des combats d’arrière-garde face à leur perte d’influence sur le champ de bataille des idées. L’exemple le plus frappant et le plus tragique qui peut nous venir en tête est l’assassinat fatidique de Charlie Kirk, jeune conservateur et supporteur de Donald Trump qui avait fondé une organisation nommée Turning Point dans le but de débattre sur la place publique et particulièrement sur les campus américains dans le but de faire progresser les idées de la droite américaine et une certaine vision de l’Amérique. Au fond, c’était surtout pour convaincre un public plus jeune et à la merci du wokisme, ce dernier étant justement né sur les campus américains.
Cependant, certains éléments radicaux n’en ont eu cure et il n’a fallu qu’un tireur suffisamment entraîné pour enlever la vie au jeune influenceur qui avait le vent en poupe et qui était même pressenti à la présidence des États-Unis un de ces jours ou à tout le moins à des postes d’importance en politique.
La suite de cette stratégie a comme été le rideau qui s’est levé ou l’apocalypse au sens biblique du terme sur ce qu’était réellement une certaine gauche : la détestation de son adversaire. Pire encore, certains ont manifesté leur joie devant la mort de l’influenceur conservateur sur les réseaux sociaux au travers de vidéos TikTok ou Snapchat plus insignifiantes les unes que les autres. Ce brouhaha était également accompagné d’un discours du genre : «je suis pour la liberté d’expression, mais il l’avait bien cherché.» Ces deux attitudes témoignaient au fond d’une certaine haine de tout ce qui n’est pas en concordance avec les idées d’une certaine gauche progressiste détenant à elle seule le monopole du beau et du bien.
Ces réactions en disent plus sur le wokisme et à travers elles, il est possible d’entrevoir le futur du mouvement. Tout porte à croire que cette idéologie pourrait se radicaliser alors que ses adversaires pourraient faire de même de l’autre côté du spectre politique, ce qui présuppose des temps sombres pour la vie des idées américaines ; au mieux, une certaine atmosphère de tensions palpable à travers toutes les couches de la société ou, dans le pire des cas, la guerre civile, comme les États-Unis l’ont connue au XIXe siècle.
Cette radicalisation de la gauche woke est déjà à nos portes. L’exemple le plus frappant est le candidat démocrate à la mairie de New York, Zohran Mamdani, qui veut notamment exercer une discrimination quant aux logements sur les blancs pour ne citer que l’une des propositions de son programme politique. En réaction, le camp conservateur pourrait mobiliser davantage ses partisans et même rallier des électeurs du centre, voire du centre gauche. Ce phénomène avait déjà été largement observé lors de la première élection de Donald Trump, notamment à travers l’écart croissant entre les villes et les campagnes, ou ce que l’essayiste Christophe Guilluy a nommé « la périphérie ».
En définitive, le wokisme est-il derrière nous ? Le phénomène n’est pas totalement vaincu et il serait prématuré de le considérer comme enterré. On assiste plutôt à un léger reflux de cette idéologie. S’agit-il d’un recul temporaire, lié à un effet de mode ou à l’arrivée d’une nouvelle administration américaine au pouvoir ? Ou bien d’un apaisement factice et trompeur, susceptible de laisser place à un retour plus vigoureux une fois l’actuel locataire de la Maison-Blanche parti ? Seul le temps pourra véritablement nous le dire.
1. ORTH T et MONTGOMERY D, «Comparing the Start of Donald Trump’s first and second terms, policy, and the economy: January 26-28, 2025 Economist/Yougov Poll», YouGov, today.yougov.com, publié le 29 janvier 2025
La tentation islamiste gagne encore du terrain dans la jeune génération musulmane, révèle une vaste étude. La France luttera-t-elle enfin contre cet inquiétant séparatisme, se questionne notre directrice de la rédaction?
L’IFOP publie, en partenariat avec Écran de veille, une enquête consacrée aux musulmans français et à leur rapport à l’islamisme. Les résultats montrent un recul de l’intégration et de l’assimilation, ainsi qu’une affirmation identitaire plus marquée chez une partie des jeunes musulmans, dont une proportion croissante adhère à un islam rigoriste et très éloigné des mœurs françaises.
Une tendance inquiétante
L’islam est aujourd’hui, en France, la seule religion connaissant à la fois une croissance numérique et une dynamique idéologique ascendante. En 20 ans, les musulmans sont passés de 2 à 7 % de la population (pendant ce temps, les catholiques sont eux passés de 66 à 43%). Ils sont beaucoup plus religieux que les autres croyants et moins attachés à la primauté de la raison – là où il y a beaucoup plus de catholiques « culturels » ou de juifs « culturels ». Ainsi, près de 80 % des musulmans se définissent comme religieux. Les réticences à l’égard de la mixité progressent également. Ces tendances apparaissent encore plus marquées chez les jeunes, dont seuls 10 % souhaitent que l’islam se modernise, selon l’étude.
Première du genre, cette enquête prouve ce qu’on voit à l’œil nu : une imprégnation islamiste croissante et conquérante qui se déploie dans notre pays. 42% des jeunes musulmans approuvent tout ou partie des positions islamistes, 32% d’entre eux apprécient même les Frères musulmans. Et 60% voudraient appliquer la charia dans les pays non-musulmans.
Cela ne signifie pas pour autant qu’ils approuvent la violence, puisque seulement 3% des sondés ont de la sympathie pour le djihadisme. Mais… seulement 52% ont de l’hostilité pour lui. Ce qui signifie qu’une petite moitié des musulmans français s’en fiche, ne prend pas position, comme si cette guerre contre la France ne les concernait pas. Cela me semble emblématique de ce séparatisme que le président Macron prétendait combattre et qui ne cesse en réalité de progresser.
Bougies, nounours…
Alors que faire ? En tout cas, pas une énième foire à la bougie avec les pleurnicheries et rodomontades d’usage, comme on l’a eue pour le 13-Novembre.
Depuis dix ans, on perd le combat pour la bonne raison qu’on ne le mène pas. Et on ne le mène pas parce qu’on refuse de voir. Sur tous les tons, on n’a cessé de nous expliquer que le grand danger c’était l’amalgame ou l’ « islamophobie »; qu’il ne fallait surtout pas confondre la micro-minorité islamiste de l’immense majorité des musulmans républicains et patriotes. Le clientélisme et la lâcheté aidant, on a laissé prospérer une mouvance frériste bien déterminée à contrôler la population musulmane. Et en passe d’y arriver.
Attention, je ne suggère pas qu’on fasse subir aux musulmans ce que les catholiques français ont enduré en 1905. Mais, au moins, que tout le monde soit logé à la même enseigne, et que la laïcité soit la même pour tous : soyons intraitables avec le moindre écart, le premier niqab, le premier refus d’aller en cours de sciences, la moindre prière de rue. Expulsons à tout-va les prédicateurs fréristes. Si l’ensemble de la société se mobilisait, la France pourrait devenir le cauchemar des islamistes. Mais cela n’arrivera pas : les illusions multiculti ont la vie dure, notamment dans le clergé médiatico-enseignant. Combattre l’extrême droite c’est quand même plus rigolo et on ne risque pas un coup de couteau.
Étude Ifop pour la revue Ecran de Veille réalisée par téléphone du 8 août au 2 septembre 2025 auprès d’un échantillon de 1 005 personnes de religion musulmane, extrait d’un échantillon national représentatif de 14 244 personnes âgées de 15 ans et plus résidant en France métropolitaine.
Le philosophe Philippe Nemo et l’enseignant Joachim Le Floch-Imad sont d’accord : l’École française est dans un état catastrophique. Mais leurs remèdes divergent radicalement. L’un plaide pour une potion libérale à la Milton Friedman, l’autre pour un traitement de choc inspiré du docteur Chevènement. Un débat très instructif.
Causeur. D’après une récente enquête internationale, seuls 4 % des enseignants français estiment que leur métier est valorisé au sein de la société, soit la pire statistique de l’OCDE. Que vous inspire ce chiffre ?
Philippe Nemo. Si nos professeurs se sentent méprisés, ce n’est pas tant parce qu’ils sont mal payés que parce que l’Éducation nationale a cessé de les considérer comme des hommes voués au savoir. Enseigner ne serait qu’un « métier », une occupation besogneuse, un travail social comme un autre, alors que c’est en réalité une vocation spirituelle. En 2016, j’ai cofondé l’École professorale de Paris, dans laquelle nous préparons des étudiants aux concours de l’Éducation nationale. Dernièrement, un de nos jeunes diplômés a donné son cours devant un inspecteur en vue de sa titularisation. Une leçon excellente que la classe a écoutée avec passion et en silence. À la fin, l’inspecteur a lancé à l’enseignant sur un ton d’amer reproche : « Vous rendez-vous compte de ce que vous avez fait ? On aurait entendu voler une mouche. Or on aurait dû entendre un brouhaha, ce qui aurait montré que les élèves étaient actifs. » Et il a ajouté cette phrase typique de l’idéologie qui règne désormais au ministère : « Mettez-vous bien dans la tête que vous n’avez pas à transmettre. »
Joachim Le Floch-Imad. L’Éducation nationale considère en effet, au moins depuis la loi Jospin de 1989, qu’un bon professeur est moins un maître de sa discipline qu’un animateur. Dans les Inspé (ex-IUFM), on apprend ainsi aux enseignants à ne rien apprendre à leurs élèves, avec des formations toujours plus idéologiques comme « Guérir de “l’hégémonie hétérosexuelle” », « La nature a-t-elle un genre ? », « Queeriser le curriculum ». À cette désintellectualisation s’ajoute la désanctuarisation de l’École, devenue caisse de résonance de la violence de la société et la destruction de l’autorité : des relations conflictuelles avec les familles, des professeurs, face à des classes hétérogènes, qui font cours la peur au ventre, voire s’autocensurent pour 56 % d’entre eux. Les 100 000 enseignants menacés ou agressés chaque année ne semblent pas gêner l’administration qui, en pratique, perpétue le « pas de vagues » qu’elle prétend avoir aboli. Il y a aussi le problème de la rémunération, avec une perte de pouvoir d’achat de 25 % en vingt-cinq ans. Il est vrai que les « hussards noirs de la République », sur lesquels Charles Péguy a écrit de si belles pages, servaient l’École bien plus qu’ils n’en vivaient. Seulement leur prestige s’imposait dans une France où les valeurs de la connaissance demeuraient respectées et où l’on savait éduquer au sens étymologique du terme : « educare », c’est-à-dire instruire, et « educere », conduire hors de soi, proposer un détour par les œuvres du passé pour revenir au présent mieux armé.
P. N. Cette élévation passait essentiellement par l’instruction. Mais le ministère « de l’Instruction publique » est devenu en 1932 ministère « de l’Éducation nationale ». Depuis lors, l’école a été dirigée de fait par un personnel de gauche qui a eu pour dessein d’y forger un homme nouveau. Vincent Peillon, ministre de l’Éducation nationale sous François Hollande, explique en effet que les enseignants forment un « clergé » dont la mission est de « transsubstantier » (il emploie ce terme) les Français. Cette ambition véritablement néo-religieuse, déjà dénoncée par Condorcet et les autres hommes des Lumières à l’époque révolutionnaire, et encore par Clemenceau au temps du petit père Combes, se traduit aujourd’hui dans de nouvelles matières comme l’Evars (éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle). Quelles compétences l’Éducation nationale peut-elle donc prétendre posséder au sujet de la vie « affective », « relationnelle » et « sexuelle » ? De quoi se mêle-t-elle ? C’est un domaine où seules doivent être impliquées les familles. Que des enseignants proposent ce type de formation à leurs propres enfants, et aux enfants que certains voudront bien leur confier, libre à eux. Mais le scandale est qu’ils soient en position juridique de l’imposer à tous les enfants et à toutes les familles de France dans toutes les écoles publiques et privées. Concernant la sexualité, ces cours vont diffuser le dogme LGBT, qui n’est qu’une idéologie et en aucun sens une science. Mais surtout, quant à la forme, de quel droit une administration d’État peut-elle décider de s’immiscer dans l’intimité des enfants au nez et à la barbe de leurs parents ? Les familles n’auront pas le droit de dispenser leurs enfants de suivre ces cours. Elles ne connaîtront ni le contenu exact de ceux-ci, ni l’identité des « intervenants » (ce seront des « associations », mandatées par qui et selon quels critères ?), ni même la date des séances, tant on craint l’irruption de parents révoltés. La réalité est donc qu’une minorité idéologisée qui tient les bonnes manettes dans l’Éducation nationale est parvenue à utiliser la force coercitive de l’État pour entreprendre de transformer en profondeur les mentalités sociales, pour « créer un nouveau peuple », comme le voulait Robespierre.
J. L. F.-I. Le taux de syndicalisation est en chute libre et les syndicats ont perdu leur influence sur les avancées de carrière. Leur pouvoir ne subsiste, sur le terrain idéologique, que parce que les gouvernants demeurent complaisants à son égard. J’attends toujours des sanctions contre les enseignants qui ont bloqué leur lycée pour s’opposer à l’interdiction de l’abaya ! Mais il y a surtout au sein de l’Éducation nationale de plus en plus de cadres issus du privé, adeptes du « New Public Management », qui considèrent moins l’École comme une institution que comme un prestataire de services. J’en veux pour preuve la novlangue entrepreneuriale au sein du ministère. On ne parle plus de savoirs, mais de « compétences », de programmes mais de « curricula », d’inspections mais de « rendez-vous de carrière ». Le nouveau ministre, Édouard Geffray, décrit les professeurs en termes de « stocks » et de « flux ». On est loin du socialisme… Enfin, permettez-moi de ne pas voir de continuité entre le Front populaire et le Nouveau Front populaire, d’être nostalgique des discours à la jeunesse de Jaurès, du républicanisme intransigeant de Jean Zay ou encore du bel objectif que Paul Langevin assignait à l’école : « La sélection des meilleurs et la promotion de tous. » Le désastre a débuté bien après, dans les années 1970, lorsque l’École a renoncé à l’exigence intellectuelle et que les politiciens ont imposé le collège unique.
Et aujourd’hui, l’École peine à apprendre à lire mais elle prétend apprendre à aimer…
J. L. F.-I. Émiettée dans ses missions, notre École n’instruit plus mais coconstruit. Elle n’éduque plus mais rééduque. On le voit à travers l’Evars, mais aussi les cours d’écocitoyenneté ou la lutte contre les « fake news » au cœur de l’enseignement moral et civique. Depuis des décennies, des ministres sans vision, sans courage et sans expertise se succèdent et, entre des effets d’annonce et des slogans, laissent l’École naviguer à vue, au gré de débats périphériques. Il est temps de lui redonner un cap politique !
P. N. Cette situation est due à l’idéologie mais aussi, et peut-être d’abord, au gigantisme et à la centralisation du système, qui le rendent ingouvernable et l’exposent donc aux pires errements. Il n’est pas possible de gérer centralement une collectivité de 1,2 million de salariés et 15 millions d’élèves et d’étudiants, pour des raisons épistémologiques. Toutes les économies gérées par un Gosplan à la soviétique ont échoué, et, toutes proportions gardées, c’est un problème similaire qui se pose à l’Éducation nationale. Et de même que les Russes ont survécu grâce à l’économie souterraine, de même l’enseignement privé joue un rôle de soupape de survie dans le paysage scolaire français d’aujourd’hui.
En concluez-vous qu’il faudrait privatiser l’Éducation nationale ?
P. N. Non. Car il y a d’excellentes raisons, même pour un libéral, de ne pas souhaiter une complète privatisation de l’école. Ce qu’il faut, c’est un système où le financement soit largement public et l’éducation de base gratuite pour tous, mais où la prestation soit plurielle. Ainsi le « pouvoir spirituel » que se sont arrogés les syndicats de gauche sera-t-il rendu à la société civile. C’est le modèle des écoles à « charte » qui existent dans de nombreux pays (Suède, Portugal, États-Unis, Grande-Bretagne…). Elles respectent un « cahier des charges » national, mais sont autonomes dans leur fonctionnement et le choix de leurs méthodes.
Philippe Nemo et Joachim Le Floch-Imad débattent avec « Causeur » Photo : Hannah Assouline
Cela ne risque-t-il pas d’engendrer une école à deux vitesses ?
P. N. Nullement, puisque je répète que dans un tel système, l’école est gratuite. Seulement, la liberté permet une différenciation qui, d’ailleurs, contrairement à ce qu’on croit, joue autant dans le sens de la convergence que de la divergence, comme c’est le cas dans la plupart des activités économiques et sociales où existe une concurrence. Mais l’intérêt essentiel de ce système est de permettre qu’il y ait dans chaque école un « pilote dans l’avion », c’est-à-dire un chef d’établissement qui recrute les professeurs, gère les équipes et résout les problèmes en temps réel parce qu’il a tous les pouvoirs administratifs lui permettant de le faire. Nos chefs d’établissement n’ont pas ces pouvoirs, moyennant quoi tout se dégrade.
J. L. F.-I. Sur le crime que constitue le dévoiement de l’égalité en égalitarisme, nous sommes d’accord. Les classes populaires qui n’ont que l’École pour s’élever en sont les premières victimes. Mais contrairement à vous, je ne crois pas que le libéralisme scolaire constitue le remède miracle à nos maux. Lorsque le Titanic se dirige vers l’iceberg, mieux vaut en changer le cap plutôt que d’inviter chacun à affréter son canot de sauvetage. Il faut rebâtir une École de l’excellence pour tous, y compris dans le public, pas seulement sauver quelques espaces de refuge. Dans mon ouvrage, je propose, dans le cadre d’une alternance politique, un programme de reprise en main de la technostructure de l’Éducation nationale : nominations stratégiques à tous les postes clés ; démantèlement d’une large partie des comités Théodule et de la bureaucratie du ministère (20 % de la dépense totale va à des personnels non enseignants !) ; rappel à l’ordre des fonctionnaires et syndicalistes qui violent leur devoir de neutralité et de loyauté ; et retrait d’agrément aux associations militantes. On ne brisera pas la spirale de l’impuissance tant que le ministre ne sera qu’un contre-pouvoir parmi d’autres.
P. N. Vous ne parviendrez pas à dévier le Titanic. Êtes-vous prêt, oui ou non, à abroger le statut de la fonction publique ? À supprimer la cogestion du ministère par les syndicats ? Ce ministère, tel qu’il est, est décidément irréformable. Il faut rebâtir quelque chose à côté de lui.
J. L. F.-I. Vu l’immigration hors de contrôle que nous connaissons, nombre de vos écoles indépendantes seraient aux mains des Frères musulmans. Le libéralisme scolaire effréné, c’est le dernier clou sur le cercueil de notre nation. Mais aussi de l’enseignement des Humanités. Javier Milei, disciple de Hayek comme vous, n’a-t-il pas nommé un ministre du « Capital humain » en lieu et place de l’Éducation ? Vous idéalisez le modèle suédois, engagé sur la même pente que nous : – 45 points au dernier classement Pisa. On trouve certes en Suède des chefs d’établissement de conviction, porteurs de beaux projets pédagogiques. Mais aussi des écoles appartenant à de grands groupes cotés en Bourse qui n’ont d’autre horizon que le profit.
P. N. Être coté en Bourse est-il un crime ? La vérité est que les écoles ainsi gérées réussissent mieux les tests PISA que les écoles publiques.
J. L. F.-I. Parce qu’elles accueillent des élèves issus de familles plus favorisées. Aux tests PISA, les pays qui rayonnent sont Singapour, la Chine, Taïwan, la Corée du Sud, le Japon, où les systèmes éducatifs sont centralisés. En France, nous avons un État qui se mêle de tout, un « État-Église » comme vous dites, sauf de l’essentiel, à savoir du rétablissement de l’autorité et de l’exigence intellectuelle dans notre École.
P. N. En tout cas, le temps presse. Chaque génération nouvelle est moins instruite que la précédente. C’est, selon moi, la vraie cause des grands problèmes actuels du pays.
J. L. F.-I. Pour vous, le pays est malade à cause de son École. Pour moi, c’est l’inverse. L’École est malade à cause des idéologies qui la défont, mais aussi de la décivilisation du corps social et de la haine de soi qui ronge notre nation à la dérive.
Un très inquiétant rapport du think tank « France 2050 » met en lumière la machine de guerre secrète de l’Iran en France. Il lève ainsi le voile sur 45 ans d’infiltration dans notre pays. Opérations secrètes, réseaux dormants, stratégies d’influence: quelles révélations contiennent ses 85 pages?
Un rapport explosif du think tank « France 2050 », remis le 29 octobre aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat ainsi qu’au ministre de l’Intérieur, lève le voile sur l’ampleur insoupçonnée de l’infiltration iranienne en France. Depuis l’avènement de la République islamique en 1979, Téhéran a tissé patiemment sa toile sur le territoire français, transformant son réseau diplomatique en véritable centre de commandement pour ses services secrets.
Une stratégie inscrite dans la Constitution iranienne
L’originalité de la menace iranienne réside dans son caractère constitutionnel. La Constitution de 1979, révisée en 1989, érige explicitement le djihad en mission d’État.
Son préambule stipule que l’armée et le Corps des Gardiens de la Révolution islamique (CGRI) doivent mener la guerre pour « étendre la souveraineté de la loi de Dieu dans le monde ». L’article 11 proclame que « tous les musulmans forment une seule oumma », légitimant ainsi l’ingérence dans les affaires d’autres pays.
Cette architecture constitutionnelle transforme la République islamique en projet idéologique global, dépassant largement le cadre d’un simple régime autoritaire. Le Guide suprême, aujourd’hui Ali Khamenei, cumule autorité religieuse, militaire et politique, se présentant comme le représentant de l’Imam caché, avec une vocation transnationale.
Des techniques médiévales adaptées à l’ère moderne
Le rapport révèle un détail stupéfiant : les méthodes actuelles du régime s’inspirent directement des techniques d’Hassan Sabbāh, maître de l’Ordre des Assassins au XIe siècle en Perse – Infiltration longue durée, dissimulation (taqiya), exécution dans des lieux publics, dépôt de menaces nocturnes. Les mêmes tactiques sont employées aujourd’hui. Seuls les outils ont changé : le dark web a remplacé les pigeons voyageurs, les bombes et kalachnikovs se sont substitués aux poignards. Cette continuité millénaire démontre l’ancrage profond de ces pratiques dans la culture politique iranienne.
Une manipulation religieuse au service du politique
Le régime détourne systématiquement l’islam pour servir ses objectifs politiques.
Exemple frappant : la lapidation, pratiquée en Iran au nom de la charia, n’existe pas dans le Coran qui la condamne explicitement. Elle est justifiée par un hadith selon lequel le verset autorisant cette pratique aurait été… mangé par une chèvre ! Malgré l’absurdité manifeste, cette « justification » permet de maintenir cette barbarie dans le Code pénal iranien.
Ali Khamenei a créé en 2023 une nouvelle catégorie religieuse : le « haram politique ». Apparaître tête nue pour une femme serait un « interdit politique », fusionnant ainsi religion et idéologie d’État.
Quand le Parti Communiste Français hébergeait le prosélytisme chiite
Entre 2013 et 2018, dans un cas d’infiltration stupéfiant, des locaux du Parti Communiste Français dans le 13e arrondissement de Paris ont accueilli des conférences religieuses organisées par Seraj Mirdamadi, cousin germain du Guide suprême Ali Khamenei. Ces événements, présentés comme des échanges culturels réunissant sociologues et universitaires, servaient en réalité de vecteur de prosélytisme chiite, attirant à la fois des fidèles et des militants d’extrême-gauche du Parti des Travailleurs.
Cette proximité idéologique entre une partie de l’extrême gauche française et la République islamique s’explique par une convergence sur l’antisionisme, l’anti-impérialisme et l’anticapitalisme. Jean-Luc Mélenchon exprimait d’ailleurs à la même époque son souhait d’intégrer la France à l’alliance bolivarienne soutenue par l’axe Iran-Venezuela.
L’alliance avec le crime organisé européen
Révélation majeure du rapport : Téhéran s’appuie désormais massivement sur des réseaux criminels pour ses opérations clandestines. Ramin Yektaparast, ancien chef des Hells Angels en Allemagne, a été recruté pour planifier des attaques contre des synagogues. En Suède, le réseau criminel Foxtrot a été utilisé pour des attentats contre des cibles israéliennes. Le ministre français de l’Intérieur a confirmé en janvier 2025 que des narcotrafiquants ont été employés par des agents iraniens sur le sol français.
Cette stratégie présente un double avantage pour Téhéran : elle brouille les pistes en cas d’arrestation et permet un déni plausible, les exécutants ignorant souvent qu’ils travaillent pour l’Iran.
L’ambassade d’Iran à Paris, quartier général de l’influence
L’ambassade iranienne à Paris ne fonctionne plus comme une mission diplomatique classique depuis des décennies. Elle sert de centre névralgique aux opérations d’influence orchestrées par la Force Al-Qods, unité d’élite du CGRI disposant de huit services : renseignement, infiltration, sabotage, opérations financières, guerre économique, terrorisme, influence et cyberguerre.
Le numéro deux de l’ambassade, Ali Reza Khalili, également président du Centre franco-iranien, supervise le recrutement d’agents d’influence. Ces derniers sont soigneusement sélectionnés parmi les intellectuels, journalistes, universitaires et étudiants français ou binationaux partageant certaines valeurs du régime, notamment sur la cause palestinienne.
Au cœur du dispositif se trouve l’Université Internationale Jamiat Al-Mustafa, basée à Qom. Dotée d’un budget quasi illimité, elle forme tous les cadres du régime. Avec plus de 50 000 étudiants issus d’une centaine de pays, elle constitue une véritable « ambassade officieuse » à travers le monde, entretenant des partenariats avec une quarantaine de pays, dont la France.
Cette institution organise régulièrement des séminaires analysant les « dynamiques et évolutions » en France. En mars 2024, une réunion s’est tenue sur « la place de l’islam en France », identifiant les influenceurs musulmans français et étudiant comment « rediriger les jeunes musulmans français vers le chiisme ».
Des influenceurs téléguidés sur les réseaux sociaux
La République islamique a adapté ses méthodes à l’ère numérique. L’influenceur Shahin Hazamy, suivi par un demi-million d’abonnés, incarne cette nouvelle génération d’agents d’influence. Arrêté en avril 2025 pour apologie du terrorisme, il aurait visité Qom, ville où sont formés les agents étrangers, et entretient des liens avérés avec la Force Al-Qods. Hazamy a été filmé distribuant des drapeaux iraniens lors d’une manifestation organisée par LFI en juin 2025. L’iran pilote beaucoup de petits Hazamy en Occident…
Un bilan sanglant et une menace actuelle et sophistiquée
Les chiffres donnent le vertige : entre le 1er janvier et le 31 août 2025 seulement, 856 exécutions ont eu lieu en Iran. Depuis 1979, environ 540 Iraniens réfugiés à l’étranger ont été assassinés ou enlevés par la République islamique. En France, les attentats des années 1985-1986 ont causé 13 morts et plus de 300 blessés.
Aujourd’hui, la menace reste élevée. En juin 2024, un réseau préparant des assassinats ciblés et des incendies dans le sud de la France a été démantelé. Les services français estiment qu’une tentative d’attentat est probable d’ici 12 à 18 mois, particulièrement en période de tension au Moyen-Orient.
Face à cette menace multiforme, le rapport appelle à une prise de conscience urgente et à des mesures fermes : classification du CGRI (Corps des gardiens de la révolution islamique) comme organisation terroriste par l’Union européenne, surveillance accrue des étudiants et religieux voyageant en Iran, démantèlement des réseaux d’influence et refus catégorique de céder au chantage des prises d’otages. Quarante-cinq ans après la révolution islamique, la guerre secrète de Téhéran en France n’a jamais été aussi sophistiquée ni aussi dangereuse.
Israël a obtenu le retour des otages vivants et une partie des corps des otages morts. Cependant, les espoirs suscités par le plan de paix de Trump de voir le Hamas rendre les armes et se retirer de la scène politique sont déjà déçus. On peut même redouter une libanisation de Gaza, avec un Hamas jouant le rôle du Hezbollah.
C’était trop beau pour être vrai. Libération immédiate de tous les otages, morts et vivants, désarmement du Hamas et exclusion du mouvement terroriste de toute gouvernance à Gaza ou ailleurs, tout cela pour le modique prix d’un cessez-le-feu sans engagement israélien ni assurance américaine de mettre fin à la guerre. Pour Israël, les 20 points devenus le « plan Trump pour Gaza » semblaient parfaits. Un mois plus tard, on constate que la perfection n’est pas de ce monde.
Certes, le Hamas a libéré rapidement et en une seule fois tous les otages encore vivants, perdant ainsi sa carte maîtresse, et ce n’est pas rien, loin de là. Sauf que, la proposition de rendre tous les otages morts et vivants en échange de la fin définitive de la guerre était déjà sur la table depuis au moins février. Ce que Trump propose avec ses 20 points était bien plus favorable pour Israël : un processus menant automatiquement et sans heurts d’une phase 1 – cessez-le-feu, fin des hostilités et libération des otages – à la phase 2 – désarmement du Hamas et son éloignement de la gouvernance de la bande de Gaza –, puis au déploiement des forces de maintien de la paix, et au bout du chemin à la fin définitive de la guerre.
En Israël, si le gouvernement était passablement circonspect, une grande partie de la population a célébré le plan Trump comme un nouveau 8 mai 1945 et pavoisé ses rues à l’effigie du nouveau Roosevelt. Si le Nobel était décerné à Tel-Aviv, Trump l’aurait eu le jour même. C’est évidemment prématuré. Les chefs du Hamas ne se sont pas suicidés dans les tunnels qu’ils avaient construits pour se protéger. Le mouvement terroriste est beaucoup moins affaibli que la Wehrmacht en 1945 et bien mieux conseillé. Pris de court par Trump, il a réussi à desserrer l’étau au moyen de manigances, coups de force et revirements, gagnant du temps et du champ politique.
Manigances
Le Hamas a d’abord feint de se plier aux pressions américaines, qatariennes, turques et égyptiennes. Finalement ses dirigeants ont accepté la proposition de Donald Trump, parce qu’ils ont compris que, s’ils devaient libérer les otages vivants, ils pourraient faire traîner en longueur la restitution des dépouilles des otages morts et avec elle la première phase du plan Trump. Ce qui n’empêche pas les médias et les chancelleries de proclamer que le Hamas respecte le deal.
Il rend donc les corps au compte-gouttes et profite de la prolongation de cette phase de libération des otages pour se renforcer et tenter de rendre le désarmement prévu par la deuxième phase impossible. Sur le terrain, ses militants n’ont pas perdu une seconde pour reconstruire les bases de leur domination militaire, politique et économique. Avant même la grande messe de Charm el-Cheikh, le 13 octobre, le mouvement islamiste a engagé une violente reprise en main de Gaza, en lançant une guerre civile miniature contre des clans et des familles jugés dissidents ou accusés de collaboration avec Israël.
Le premier épisode de cette vendetta a lieu le 12 octobre. Il se déroule au sud de Gaza-ville, lorsque le Hamas tente de désarmer et d’arrêter des membres du puissant clan Doghmush. Lors des combats, au moins 27 personnes auraient été tuées, dont huit du Hamas. Certaines sources évoquent un bilan bien plus lourd, qui atteindrait jusqu’à 64 morts. Ce conflit rappelle les affrontements sanglants de 2007, lorsque le Hamas avait renversé le Fatah à Gaza. Le fait que le mouvement ait lancé cette opération si rapidement montre qu’il entend reprendre son monopole des armes et ne tolérera pas les autonomies tribales qui s’étaient développées pendant son affaiblissement temporaire durant la guerre.
Le 13 octobre, au moment où on sable le jus d’orange à Charm el-Cheikh, la répression se mue en une véritable campagne de terreur, qualifiée par la milice de « stabilisation ». Derrière ce vocabulaire se cache une journée d’arrestations arbitraires, de perquisitions brutales et de violences contre des groupes et des individus perçus comme des menaces.
Le 14 octobre, le Hamas passe de la reconquête à la terreur de masse. Il diffuse une vidéo, authentifiée par plusieurs médias, montrant l’exécution par balle dans la nuque de huit hommes ligotés, agenouillés et les yeux bandés. Les victimes, désignées comme des « collabos » ou des « hors-la-loi », sont abattues sous les yeux de civils contraints d’assister à la scène.
Le 15 octobre, de nouveaux rapports font état d’exécutions publiques et de raids armés menés par le Hamas contre des familles considérées comme dissidentes ou soupçonnées d’avoir soutenu des factions rivales. En moins d’une semaine, Gaza a ainsi connu une série de violences internes destinées à réprimer systématiquement toute structure non alignée sur le Hamas, avec un bilan de plus d’une centaine de morts. Sûr de lui et en passe de redevenir dominateur, le mouvement islamiste peut dès lors se tourner vers son grand rival dans la bande de Gaza : l’État juif.
19 octobre, le jour où l’édifice diplomatique a failli s’effondrer
Le 19 octobre, dix jours après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, deux soldats israéliens sont tués près de Rafah, lors d’une attaque menée par des cellules encore actives du Hamas dans les ruines de cette zone frontalière avec l’Égypte. La gravité de l’incident provoque immédiatement une réaction de Tsahal. Israël suspend, puis rétablit partiellement l’acheminement de l’aide humanitaire. Certains de ses ministres appellent à considérer le plan Trump comme caduc et à reprendre la guerre. Le Hamas nie aussitôt toute responsabilité, mais il est tout simplement inimaginable que le mouvement islamiste, qui a repris avec une telle brutalité le contrôle de Gaza, ait laissé un groupe armé prendre de sa propre initiative le risque de torpiller le cessez-le-feu.
Cet incident, et la perspective de voir l’édifice diplomatique s’effondrer, ont poussé Washington à dépêcher en Israël en mission qualifiée par la presse israélienne de « Bibi Sitter » le vice-président J. D. Vance, accompagné des deux négociateurs en chef, Steven Witkoffet Jared Kushner. Le trio a contraint Netanyahou au cessez-le-feu, mais les Américains savent que le plan Trump, très avantageux pour Israël, déplaît souverainement au Hamas. Ils savent aussi que, pour Erdogan par exemple, le fait que le Hamas grignote sa voie vers le statu quo ante 7-Octobre n’est qu’une adaptation naturelle du plan Trump à la réalité du terrain. Israël se trouve donc acculé par ces grignotages à des choix binaires : rompre ou avaler la potion amère. Ainsi, même si pour le moment, la coordination entre les États-Unis et Israël se déroule comme prévu (avec la participation active des Britanniques présents en Israël, dévoile The Times), le grignotage constant du Hamas met ces mécanismes à l’épreuve.
En Israël, les principales craintes concernent un désaccord sur les lignes exactes où se déploiera Tsahal, les règles d’engagement ainsi que sur sa liberté d’imposer des sanctions au Hamas en contrôlant – et au besoin en réduisant – le flux de l’aide. Israël s’attend donc à des pressions constantes pour « laisser passer, laisser couler » face à « de petites violations » ou « des infractions mineures ». On l’a vu le 28 octobre, après un tir de roquette sur un engin de Tsahal qui a tué un soldat. Face à cette violation flagrante, les Américains ont certes soutenu une réplique israélienne conséquente, mais ils se sont hâtés de refermer la parenthèse et de proclamer que le cessez-le-feu était toujours en vigueur. À l’évidence, si les intérêts de Washington et Jérusalem convergent largement, surtout sur le long terme, ils ne sont pas toujours identiques. Notamment autour du rôle que pourrait tenir Ankara dans « le jour d’après » à Gaza.
Pour Israël, qui voit en Erdogan un adversaire stratégique en Syrie et dans le bassin oriental de la Méditerranée ainsi qu’un soutien du Hamas et des Frères musulmans, il n’est pas question que des militaires turcs stationnent sur sa frontière. Pour Trump en revanche, Erdogan est un garçon formidable avec lequel les États-Unis entendent faire des affaires. Certes, lors d’une conférence de presse sur la base américaine de Kiryat Gat (sud d’Israël), J. D. Vance a promis que l’administration n’imposerait pas à Israël la composition de la force qui sera déployée à Gaza pour superviser l’application du cessez-le-feu. Mais en réalité, il entend bien laisser la Turquie y jouer « un rôle constructif ».
Au moment où nous bouclons, le Hamas détient toujours les corps de 12 otages. En exerçant sa terreur sur la population, il espère devenir le partenaire incontournable de la reconstruction de Gaza. Seulement, cette ambition se heurte à un obstacle de taille. Les gigantesques et très coûteux projets de reconstruction (et donc sa future pompe à fric) ne débuteront que si les puissances sollicitées pour les financer (l’Arabie saoudite, les Émirats et le Qatar) sont assurées de l’autorisation d’Israël, dont l’armée est capable de tout anéantir en quelques heures.
Une évolution à la libanaise ?
C’est donc le début d’une partie qui promet d’être longue et très serrée. La supposée force de sécurité à Gaza sera-t-elle déployée ? Selon Donald Trump, tout est prêt et les participants trépignent d’impatience. Il a ainsi écrit sur son réseau Truth Social : « Nombre de nos désormais GRANDS ALLIÉS au Moyen-Orient [Qatar, Arabie saoudite, EAU et Turquie, NDLR], et dans les régions voisines [Azerbaïdjan et Pakistan, NDLR], m’ont […] fait savoir qu’ils accueilleraient favorablement l’opportunité, à ma demande, d’entrer à GAZA avec une force importante pour “remettre le Hamas dans le droit chemin”, si celui-ci continue à se comporter mal, en violation de son accord avec nous. […] Il reste encore l’espoir que le Hamas fasse ce qu’il faut. S’il ne le fait pas, la fin du Hamas sera RAPIDE, FURIEUSE et BRUTALE ! »
Pour le moment, cette déclaration n’a pas plus de poids que la promesse de transformer Gaza en Riviera. Car même si cette force voyait le jour et le terrain de Gaza, elle pourrait bien ressembler à la Finul, déployée au Liban en 1978 et devenue, après quelques attentats contre ses Casques bleus, la caution du Hezbollah au Sud-Liban.
Donald Trump et le président indonésien Prabowo Subianto au sommet international sur Gaza, Charm el-Cheikh, 13 octobre 2025. (C) Suzanne Plunkett/Pool Photo via AP/SIPA
Une évolution « à la libanaise » n’est donc pas du tout exclue. Dans le rôle du Hezbollah, le Hamas assurerait la « résistance » contre « l’ennemi sioniste ». Dans ce scénario, le mouvement palestinien contrôlerait le territoire sans participer directement à son gouvernement, tout en captant une part de la manne économique destinée à la reconstruction.
Face à ces manigances, Israël dispose de deux cartes maîtresses pour empêcher la libanisation de Gaza et sauver l’esprit des 20 points : son armée occupe plus de la moitié de la bande de Gaza, désormais divisée en deux par la « ligne jaune », et surtout, l’État juif pourrait à tout moment, face à un réarmement du Hamas (et non pas une simple violation du cesser-le-feu) jugé insoutenable, réagir par la force et, le cas échéant, détruire tout début de reconstruction émergeant du sol.
Et ce n’est nul autre que Jared Kushner qui a explicité cette menace. Le 23 octobre, en réponse à un journaliste d’Haaretz, le gendre de Donald Trump a annoncé que les États-Unis envisageaient de commencer la reconstruction des zones sous contrôle israélien, précisant qu’« aucune reconstruction n’aurait lieu dans les zones encore sous le contrôle du Hamas ». Si cette promesse est tenue, le Hamas, sans les armes stratégiques et les ressources nécessaires pour jouer au grand jeu, serait condamné à n’être plus que le premier gang de Gaza. Sans capacité de distribuer des logements et du travail, sans pouvoir reconstruire des infrastructures et avec des soldats israéliens sur le sol de Gaza, le mouvement islamiste perdra sa légitimité populaire. Surtout si, à quelques centaines de mètres, dans le périmètre occupé par Israël, les travaux avancent.
Autrement dit, sauf coup de théâtre, le Hamas conserve le pouvoir de nuire, pas celui de faire danser toute la région au rythme de ses lubies meurtrières. De ce point de vue, la situation stratégique d’Israël s’est nettement améliorée par rapport au 6 octobre 2023. L’affaiblissement réel et significatif du Hezbollah, du Hamas, de l’Iran et la Syrie, ouvre des perspectives prometteuses dans la région et au-delà. Et le plan Trump a au moins un mérite : Israël a pu prendre ses gains et quitter la table pour convertir les jetons gagnés par la force en monnaie diplomatique. Cependant, la fenêtre d’opportunité ne restera pas ouverte indéfiniment. Et pendant ce temps, la crise politique déclenchée par la réforme judiciaire continue de diviser le pays et de fragiliser ses institutions. Alors que les élections n’auront probablement lieu que dans un an, on peut aussi compter sur les Palestiniens de Cisjordanie et sur les colons pour jeter de l’huile sur les braises.
Reste à espérer que l’Etat hébreu jouera finement de cette position de force et saura tirer parti des tensions, bien réelles et promises à s’intensifier, au sein de la société gazaouie, qui commence seulement à réaliser la catastrophe qu’elle vient de vivre. À Gaza, le « jour d’après » risque fort d’être un jour sans fin.
Le conservateur José Antonio Kast affrontera Jeannette Jara au deuxième tour. Il est favori.
Les élections générales (présidentielle, législatives et sénatoriales) qui se sont tenues dimanche 16 novembre au Chili ont confirmé un net basculement à droite, voire à l’extrême droite, de l’Amérique du Sud. Sauf très improbable revirement de l’électorat, le candidat de celle-ci, José Antonio Kast, avocat de 59 ans, est en « pole position » pour l’emporter au second tour de la présidentielle prévu le 14 décembre, auquel seront à nouveau appelés les 15 millions d’électeurs. Le vote est obligatoire.
Une gauche unie au premier tour
Certes, sa rivale Jeannette Jara, 51 ans, également avocate, communiste, désignée candidate de toute la gauche à l’issue d’une primaire allant des démocrates-chrétiens au PC — à l’exception des écologistes et des régionalistes — et ex-ministre du Travail du gouvernement actuel (elle a démissionné pour pouvoir se présenter), est arrivée en tête du premier tour avec 26,85 %. Un résultat en réalité décevant : les sondages lui donnaient jusqu’à 33 %. Elle a fait le plein des voix de gauche et ne dispose dès lors pratiquement pas de réserves de voix pour espérer être élue. Avec ses 23,92 %, M. Kast arrive second et la talonne. En outre, il a fait quatre points de mieux que ce que lui attribuaient les mêmes prédictions.
Pour que la candidate de gauche gagne, il faudrait qu’elle capte la totalité des 19,7 % recueillis par le candidat populiste plutôt classé à droite, Franco Parisi, dit « l’économiste du peuple », un ingénieur commercial de 51 ans, ainsi que les suffrages de trois autres candidats qui totalisent moins de 4 %.
Arrivé troisième, M. Parisi est la petite surprise de ce scrutin. Les prévisions lui attribuaient cinq points de moins que le score obtenu, mais surtout le classaient en quatrième position derrière un postulant libertarien, Johannes Kaiser, 49 ans, personnage fantasque aux multiples professions successives, se voulant la réplique du président argentin Javier Milei de ce côté-ci des Andes.
À la différence de Kaiser, qui avait fait savoir d’avance que s’il n’accédait pas au second tour il appellerait ses partisans à reporter leurs suffrages « sur tout autre candidat qui ne soit pas la communiste Jara », M. Parisi, lui, s’est borné à dire qu’il revenait aux deux rivaux en lice « de gagner les faveurs de ses électeurs ». Lors de la présidentielle de 2021, où il avait déjà terminé à la troisième place, il avait appelé à voter, au second tour opposant l’actuel président Gabriel Boric — d’une gauche radicale s’apparentant à une France insoumise plus policée — à ce même Kast, pour ce dernier. Dès lors, même s’il laisse cette fois la liberté de vote à ses électeurs, il est probable que la majorité d’entre eux ne se reporte pas sur la candidate de gauche…
La candidate de la droite traditionnelle, Evelyn Matthei, ancienne ministre du Travail, économiste de 72 ans, dont le père, général, fut membre de la junte militaire pendant la dictature d’Augusto Pinochet, est arrivée quatrième avec seulement 12,47 %. Autrement dit, M. Kast a siphonné un bon quota de voix de cette droite traditionnelle, laquelle avait pris ses distances avec la dictature de Pinochet sans toutefois rompre avec les fondements économiques et institutionnels de celle-ci — comme, par paradoxe chilien, une grande partie de la gauche.
Si, à la mi-décembre, les urnes n’infirment pas la logique du premier tour, l’élection de M. Kast sera plus qu’une victoire de l’extrême droite : elle constituera en quelque sorte le retour par procuration du général Pinochet.
Un héritier
Lorsqu’il avait postulé pour la première fois à la magistrature suprême, en 2017, en indépendant, il n’avait obtenu que 7,9 %. M. Kast se réclamait alors ouvertement de ce dernier. À sa seconde tentative, en 2021, après avoir créé deux ans auparavant le Parti républicain, inspiré du modèle américain, et obtenu 44 % au second tour, il revendiquait toujours cette filiation. Même s’il s’est montré plus discret à ce propos cette fois-ci, il n’en demeure pas moins que, pour l’opinion publique chilienne, il reste l’héritier putatif de Pinochet.
Son frère Miguel fut ministre sous la dictature puis directeur de la Banque centrale. Cadet d’une famille de neuf enfants, José Antonio Kast avait 7 ans lors du coup d’État militaire de 1973 qui porta Pinochet au pouvoir, et 20 ans quand celui-ci le céda à la suite d’un référendum perdu. Le fait que son père ait été soldat de la Wehrmacht durant la Seconde Guerre mondiale, membre du parti nazi (mais qui ne l’était pas à cette époque en Allemagne ?), exilé en 1950 comme beaucoup d’autres dans ce pays andin abritant depuis la fin du XIXᵉ siècle une forte communauté germanique et serbo-croate, n’a pas interféré dans la campagne1.
C’est au contraire M. Kast qui a donné le tempo de la campagne électorale en promettant une main dure contre l’insécurité et l’immigration, à telle enseigne que la candidate de gauche a été contrainte de s’y rallier peu ou prou, ajoutant qu’elle était en revanche « pour la sécurité des fins de mois et de l’assiette pleine ».
Kast s’est engagé à construire, à l’instar de Donald Trump, un mur le long des frontières bolivienne et péruvienne pour endiguer le flot migratoire, à expulser tout délinquant étranger, à assouplir les règles d’usage des armes à feu par la police, à libéraliser leur port pour les civils, et envisage la construction d’une méga-prison sur le modèle salvadorien du président Nayib Bukele, qui fait école en Amérique latine. Très catholique, il s’est prononcé contre l’avortement, y compris en cas de viol ou de danger pour la femme. Il veut réintroduire l’enseignement facultatif de la religion dans les écoles publiques.
Mais surtout, sur le plan économique, il entend renouer avec les préceptes de l’ultralibéralisme prôné par l’école de Chicago de Milton Friedman, que Pinochet appliqua scrupuleusement. En somme, son ambition est de mettre un terme au cycle de 35 ans d’hégémonie politique du centre-gauche qui a suivi la fin du régime militaire en 1990, à l’exception de deux intermèdes de droite traditionnelle (2010-2014 et 2018-2022) sous les présidences de Sebastián Piñera.
Faute de majorité parlementaire, ce dernier ne put rompre, comme il s’y était engagé, avec la politique d’un régime où alternaient à la tête d’un État très centralisé un démocrate-chrétien puis, la fois suivante, un socialiste, sans que rien ne bouge réellement… C’est cet immobilisme qui a suscité une forme de dégagisme lors du scrutin de dimanche : les trois partis de droite incarnés par Kast, Kaiser et Matthei forment déjà un bloc parlementaire disposant d’une majorité absolue. Il ne leur manque plus que la présidence, qui ne devrait pas leur échapper.
Point que Libération s’est empressé de mettre en exergue dans son titre lundi, dans l’intention bien entendue maligne de dire : « tel père, tel fils. » ↩︎
Le journaliste Martyn Lewis présente un bulletin d'information spécial sur la BBC pour annoncer la mort de Lady Diana, 1997.
DR.
Le président américain Donald Trump réclamera jusqu’à 5 milliards de dollars en justice pour un montage vidéo trompeur diffusé dans l’émission Panorama.
Pendant longtemps, les Britanniques l’ont affectueusement surnommée Auntie, la vieille tante. Depuis quelques années, celle-ci commençait à radoter, tentant d’imposer, à l’heure du thé, un narratif de gauche à la fois woke, communautariste et palestiniste. Elle vient d’être prise en flagrant délit de mensonge en attribuant à Donald Trump, qu’elle abreuve de sa haine, des propos qu’il n’a jamais tenus. Pendant que toute la sphère progressiste s’affaire à la sauver, elle est bien entrée en phase terminale et, avec elle, une vision du journalisme faite de véracité, de talent et de neutralité.
2012 : l’affaire Jimmy Savile
Jusqu’à il y a une quinzaine d’années, la BBC était l’incarnation la plus aboutie de ce qu’était le Royaume-Uni ou, plus précisément, l’Angleterre : une langue et un accent châtiés, des gentlemen discutant en costume-cravate de l’actualité de Premiers ministres souvent issus des rangs conservateurs, des rencontres à Wimbledon entrecoupées d’interminables matches de cricket, une couverture paternaliste des informations en provenance des pays du Commonwealth, une bienveillante complaisance à l’encontre la famille royale qui, déjà, commençait à s’entredéchirer, enfin des plans sur les centres-villes désolés de Burnley, Liverpool ou Oldham et sur les campagnes brumeuses du Kent, du Somerset ou du Norfolk.
Cette image d’Epinal s’est depuis lors effritée, sans que l’on sache exactement à quand cela remonte, peut-être depuis qu’a éclaté l’affaire Jimmy Savile en 2012. Cette année-là, le présentateur-vedette de la chaîne, décédé quelques mois plus tôt, fut accusé de centaines d’agressions sexuelles, y compris sur mineurs, profitant de son incommensurable notoriété pour commettre les pires atrocités. La BBC tenta d’étouffer l’affaire, en vain, et dut ensuite reconnaître un « problème culturel » au sein de l’entreprise.
Y’a pourtant déjà Al-Jazeera !
Depuis, elle ne s’en est jamais vraiment remise et les scandales se sont accumulés: couverture du conflit israélo-palestinien en usant d’une rhétorique proche de celle du Hamas, critique de la politique d’asile des gouvernements conservateurs, dévoilement des données bancaires de Nigel Farage… Même le présentateur de Match of the Day Gary Lineker, ancien footballeur international que l’on croyait au-dessus de tout soupçon, fut contraint de quitter son poste après avoir partagé une vidéo antisémite sur ses réseaux sociaux.
Et la semaine dernière arriva donc le scandale de trop. En assemblant différentes parties d’un discours de Donald Trump, les enquêteurs du magazine Panorama, ont fait accroire que le président américain avait activement incité ses partisans à prendre le Capitole en janvier 2021. Le montage grossier était aussi trompeur – ou fake dans le jargon des journalistes admis – et pouvait théoriquement avoir une influence négative sur les relations entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis – Donald Trump a, par ailleurs, confirmé qu’il réclamerait jusqu’à 5 milliards de dollars de dommages et intérêts.
Conscients des manquements les plus élémentaires à la déontologie, le directeur général de la BBC et la patronne de l’information ont rapidement démissionné. Si les médias de droite n’ont pas manqué de critiquer les biais idéologiques de la Beeb – son autre surnom -, celle-ci s’est trouvée d’ardents défenseurs. Ainsi, dans un réflexe corporatiste et politiquement orienté, Polly Toynbee, éditorialiste au Guardian, a tenté de rejeter la responsabilité sur… Donald Trump et les adversaires de la gauche, les accusant de s’en prendre au journalisme. Mais plus personne n’est dupe : au Royaume-uni, comme d’ailleurs en France, en Belgique et à peu près partout, l’audiovisuel de service public, vivant de généreuses dotations publiques, n’est plus qu’une machine à propagande qui peine de plus en plus à masquer son véritable dessein, celui de recracher au visage d’une société qui n’en veut pas une tisane progressiste et multiculturelle.
L'ancien ministre de l'Économie et des Finances Eric Lombard. DR.
Chaque mois, le vice-président de l’Institut des libertés décode l’actualité économique. Et le compte n’y est pas.
Il existe encore des entrepreneurs français qui créent de la valeur, malgré les nombreux obstacles que l’État et ses fonctionnaires mettent en travers de leur route. Dans notre pays, on dénombre ainsi plusieurs « licornes », ces start-up dont la valorisation dépasse le milliard d’euros : Mistral (intelligence artificielle ; 11,8 milliards d’euros), Doctolib (interface Web pour les soignants ; 5,8 milliards), Back Market (produits reconditionnés ; 5,2 milliards), Contentsquare (analyse de données numériques ; 5,1 milliards), Sebia (diagnostics médicaux ; 5 milliards), Quonto (banque en ligne ; 4,4 milliards). Formidablement inventives et dynamiques, elles savent affronter un environnement particulièrement hostile. Hélas, il n’est pas du tout sûr que cela dure.
D’autres entrepreneurs français, plus nombreux malheureusement, échouent. Deux exemples illustrent bien les difficultés rencontrées par les innovateurs désirant mener à bien leur projet dans notre pays. Ils sont particulièrement tristes, car ils ressemblent à l’échec commercial de Concorde. D’abord la société Carmat, créée dans les années 1990 par le professeur Alain Carpentier et le capitaine d’industrie Jean-Luc Lagardère. Elle produit 500 cœurs artificiels par an. L’homme d’affaires Pierre Bastid en est devenu récemment le premier actionnaire. Pour sauver l’activité, il a besoin de 150 millions d’euros. Comme il ne les trouve pas, il risque la liquidation judiciaire. Second exemple, la société VoltAero, pionnière de l’aviation légère hybride électrique. Son premier modèle, le Cassio 330, était arrivé à enregistrer 280 précommandes. Il devait être mis en service en 2026. Las, l’entreprise, créée par Jean Botti, ex-patron de l’innovation chez Airbus, est à présent en redressement judiciaire.
La déclaration d’économiste la plus stupide de la décennie a probablement été prononcée par Sandrine Rousseau, députée écologiste et ancienne enseignante-chercheuse à l’université de Lille, lorsqu’elle a indiqué en 2021 « préférer des femmes qui jettent des sorts plutôt que des hommes qui construisent des EPR » (on voit immédiatement qu’elle a tout compris à la question énergétique, en particulier la nécessité de disposer d’électricité nucléaire quand il n’y a plus ni vent ni soleil). Reste qu’Éric Lombard, qui vient de quitter le poste de ministre de l’Économie, n’est pas mal placé non plus au palmarès des déclarations stupides. Charles Gave, le président de l’Institut des libertés (et actionnaire principal de Causeur), en a sélectionné trois. La plus ahurissante : « Il va falloir que les entreprises françaises s’habituent à gagner moins d’argent. » La plus incompétente : « Le nombre de fonctionnaires n’est pas un problème. » La plus idéologique : « On n’est pas un pays libéral, on est un pays d’État. » Nassim Taleb, très grand auteur américain (à qui l’on doit Le Cygne noir) qualifie ce type de paroles d’ « educated yet idiot », ce qui en français signifie « diplômé mais bête ».
Emmanuel Macron s’est félicité que la France soit selon lui « un pays solide, doté d’une bonne solvabilité, qui génère d’excellentes recettes fiscales », dans les colonnes de la Frankfurter Allgemeine Zeitung, le 1er octobre. Il reconnaît toutefois que « nous n’avons pas encore résolu la question des finances publiques ». C’est bien normal puisque, à l’heure où les États-Unis et la Chine se livrent une bataille technologique et tarifaire de premier plan, nos dirigeants débattent de l’impôt Zucman.
La France ne devrait pas taxer davantage les « riches ». Telle est la position d’Agnès Verdier-Molinié, directrice de la Fondation iFRAP. Si on part du revenu disponible brut des ménages français, et que l’on fait la somme des impôts directs et des cotisations sociales qu’ils payent, on constate que le taux de prélèvement moyen qu’ils supportent est de 28,4 %. Pour les 10 % des contribuables les plus aisés, le chiffre est presque deux fois supérieur : 54,2 %. Pour les 0,1 % les plus riches, il grimpe à 55,2 %. Résultat, selon l’OCDE, les 10 % des ménages les plus riches du pays assurent à eux seuls 76 % de la recette annuelle de l’impôt sur le revenu, soit 63 milliards sur un total de 83 milliards. L’absence de débat sérieux sur un sujet aussi essentiel explique que de telles remarques, aussi stupides que fausses, soient proférées sur les bancs de l’Assemblée nationale. En attendant, la totalité des pays européens ont abandonné les taxes confiscatoires : l’Allemagne, la Suède, le Danemark, l’Autriche et les Pays-Bas. Mais en France, on préfère vivre dans la démagogie fiscale, relayée par La France insoumise et le Rassemblement national. Ces partis ont tort, car l’impôt n’a pas à être moral, mais utile et efficace.
Une dizaine de grands groupes du CAC 40 empruntent de l’argent sur les marchés financiers à des conditions plus favorables que les bons du Trésor. C’est le signe très clair de l’inquiétude grandissante des investisseurs devant notre politique budgétaire. Une inquiétude confirmée par la dégradation, le 17 octobre, de la note de la France par l’agence S&P. D’habitude, dans un pays donné, un État se finance pour moins cher que les entreprises, car il est considéré comme plus solvable et moins risqué. Sans surprise, la dizaine de sociétés tricolores qui parviennent à s’endetter à un taux plus bas que les pouvoirs publics ont un volume d’activité important à l’étranger. Il s’agit d’Airbus, Axa, Air Liquide, Euronext, Legrand, LVMH, Sanofi et Schneider Electric.
La France présente pour la première fois une balance agricole déficitaire (même en tenant compte des vins et spiritueux), alors qu’elle était le deuxième plus grand exportateur de produits agricoles au monde il y a trente ans. Quand le coût horaire moyen d’un salarié agricole s’élève à 12,80 euros en France, il est de 0,74 euro au Maroc. Ce n’est pas très compliqué de comprendre d’où vient le problème. Tous ceux qui insultent Bernard Arnault toute la journée devraient savoir que les exportations de LVMH représentent 50 % des exportations agricoles de la France.
La Ville de Paris pulvérise tous les ratios prudentiels. Les dépenses courantes progressent plus vite que l’inflation et, malgré la forte augmentation de la taxe foncière de 62 % ainsi que la hausse des droits de mutation, la dette de la municipalité atteindra le chiffre record de 11,6 milliards fin 2026. La Mairie ne cesse de gonfler ses effectifs (55 000 fonctionnaires contre 41 000 il y a vingt-cinq ans), alors que la population parisienne diminue. Pire encore, les subventions financent en partie des associations aux objectifs contestables, comme « Les ruches pour les femmes leaders à Tandjouaré » ou des officines d’activistes de gauche radicale, qui prônent la désobéissance civile. Il est temps de mettre fin à cette gabegie.
Les diplômés qui quittent la France sont de plus en plus nombreux. Selon Ipsos BVA, 9 % de nos jeunes ingénieurs partent travailler à l’étranger une fois leur diplôme obtenu. Et 21 % d’entre eux réfléchissent à l’idée de s’établir hors de France. Dans un pays où on a formé des armées de sociologues, il est curieux qu’aucun d’entre eux ne cherche à analyser convenablement la grande spécialité nationale qui consiste à exporter des bac +7 et importer des bac -7.
La polémique n’a pas pris une ride. Elle s’est même refait une jeunesse. Le film de Bertolucci avait choqué la morale à sa sortie en 1972. Il est aujourd’hui interdit de projection. Oubliée la beauté de Marlon Brando et de Maria Schneider, il n’y en a que pour la dérangeante plaquette de beurre.
Le 15 décembre 2024, la Cinémathèque française, dans le cadre d’un hommage rendu à Marlon Brando, prévoyait de projeter Le Dernier Tango à Paris, du réalisateur italien Bernardo Bertolucci (1941-2018). Il n’y aura pas de projection ce jour-là, ni sans doute avant longtemps, de l’œuvre désormais interdite d’écran par la nouvelle et puissante entreprise de censure généralisée qui prétend gouverner l’ensemble de notre « production culturelle ».
Personnes éclairées
Anne-Cécile Mailfert dénonce au micro de France Inter « ce monument du patriarcat cinématographique » qui « fait passer nos viols pour de l’art et du divertissement ». Néanmoins, elle ne condamne pas le film aux oubliettes, elle suggère d’accompagner chacune des projections d’une « contextualisation ».
On jugera l’intention sans doute un peu bétate : elle s’inspire de Chloé Thibaud qui souhaitait s’assurer de la réception correcte du film par une « prise en charge morale » du spectateur afin de prévenir tout risque d’égarement : « Je ne prône pas la “cancel culture”, mais la “contexte culture”, c’est-à-dire l’accompagnement des œuvres “problématiques”. J’ai proposé des solutions, notamment d’accompagner la projection du film d’une table ronde, d’une conférence, mais qui donnerait la parole, évidemment à des personnes qui sont éclairées sur les questions de genre. »
Quand les « problématiques » passent les bornes, les limites sont dépassées !
Un peu de beurre dans un monde de brutes
LeDernier Tango connut d’abord un autre scandale, de dimension planétaire, à sa sortie, en 1972. La cause, une sodomie violente, heureusement feinte, à laquelle Marlon Brando contraignait sa partenaire. Une plaquette de beurre détournée de son usage habituel fixa la scène dans les mémoires… En Italie, le réalisateur fut déchu de ses droits civiques.
Brandolâtre extatique, j’assiste à la première séance. Les images du générique, les portraits de Lucian Freud et d’Isabel Rawsthorne par Francis Bacon, la musique de Gato Barbieri… Je consens à tout d’emblée, je subis l’envoûtement de Brando, vêtu d’un manteau de cachemire couleur miel, errant sous le viaduc du pont Bir-Hakeim, égaré, douloureux. Je pénètre, derrière le couple que le hasard (ou la nécessité tragique ?) a formé avec cet homme (Paul) et une jeune femme ravissante, aux joues pleines d’adolescente acidulée (Jeanne), dans un superbe appartement presque vide, nimbé d’une lumière tendre et crépusculaire. Arrive la surprise du beurre. Elle me navre par son inutilité provocatrice. Elle encombre inutilement un récit que hantent la perte, le manque et la mort. La brutalité musculeuse de Brando rend vaine la figure du sodomite sournois, qui brouille toutes les ondes de l’œuvre. Je persiste à voir deux êtres qui s’étreignent, oublieux du monde, sans identité, organisant dans la pénombre une fête sexuelle toujours recommencée.
C’est en 2004, par un documentaire, Il était une fois… Le Dernier tango à Paris, une enquête menée par Serge July et Bruno Nuytten, que je connus les conséquences de tout cela sur la vie de Maria Schneider, la vérité de ses larmes à l’écran. Elle ignorait tout de l’intention de son partenaire dans cette séquence réglée entre Brando et Bertolucci, lequel recherchait l’effet du choc, « la rage et l’humiliation » sur les traits de son visage[1].
Et l’on ne parlera plus que du beurre ! Et Jessica Chastain pourra faire part de son dégoût sur le réseau X, en 2016 : « À tous ceux qui ont aimé le film, vous regardez une jeune fille de 19 ans en train d’être violée par un homme de 48 ans. Le réalisateur a planifié l’agression. Ça me rend malade. »
Je me refuse à voir ici la perpétration d’un crime sexuel.
Il l’aime, elle non plus
Pourtant, Pauline Kael (1919-2001), dans le New Yorker, et Roger Ebert (1942-2013) dans le Chicago Sun-Times, deux très perspicaces et fameux critiques, ont encensé le film, et avec quels solides arguments ! Roger Ebert ne dissimule pas son émoi : « L’une des plus grandes expériences émotionnelles de notre époque, […] seul Marlon Brando, parmi tous les acteurs vivants, pouvait en incarner le rôle principal. Qui d’autre peut jouer avec autant de brutalité et exprimer une telle vulnérabilité et un tel besoin ? Car le film parle de besoin ; de la terrible soif que son héros, Paul, éprouve d’être touché par un autre cœur humain. »
Secouez cet homme avec un peu de vivacité, il en sortira plus de larmes que de sperme.
Pauline Kael témoigne de son ravissement : « Le Dernier Tango à Paris fut présenté lors de la soirée de clôture du Festival du film de New York, le 14 octobre 1972 : cette date devrait devenir un jalon dans l’histoire du cinéma, comparable au 29 mai 1913, date de la première représentation du Sacre du printemps, dans l’histoire de la musique. […] Je pense qu’il est juste de dire que le public était sous le choc, car Le Dernier Tango à Paris possède le même pouvoir hypnotique que le Sacre,la même force primitive et le même érotisme percutant. »
C’est une erreur de voir en Jeanne la victime d’un phacochère en rut, empoignée, possédée, dépossédée : « La Jeanne, souple et douce, sans scrupules, de Maria Schneider, doit être la gagnante : [Elle] ressemble aux adorables héroïnes-garces sensuelles des films français des années 20 et 30 : à la fois superficielles et sages. Ces filles […] savent qui est la meilleure. Le Paul de Brando, l’outsider par essence naïf, le romantique, n’est pas de taille face à une bourgeoise française » (Pauline Kael).
Voilà pourquoi Paul, l’américain sexuellement envahissant, le mâle dominant du xxe siècle, connaîtra une brève agonie, recroquevillé tel un gros fœtus sur un balcon parisien, abattu au revolver par une délicieuse fille-fleur, avec laquelle il voulait refaire sa vie, fonder une famille, et qui murmure déjà les arguments de la défense qu’elle présentera aux policiers et aux juges : « Je sais pas qui c’est. Il m’a suivi dans la rue, il a essayé de me violer, c’est un fou. Je sais pas comment il s’appelle. Je le connais pas. »
Quel exploitant de salle, quelle chaîne de télévision oseront programmer Le Dernier Tango à Paris après la capitulation, compréhensible, de l’institution chargée de conserver, de mettre en valeur, de révéler les œuvres de l’art cinématographique ?
[1] Vanessa Schneider, journaliste au Monde, cousine de Maria Schneider, lui a consacré un livre intitulé sobrement Tu t’appelais Maria Schneider (Grasset, 2018). Fille illégitime de l’acteur Daniel Gélin, elle fut très jeune confrontée à la drogue, à l’errance… Une vie cabossée. Ce livre a inspiré le film Maria, de Jessica Palud (2024), avec Matt Dillon et Anamaria Vartolomei.
Il y a indéniablement quelque chose de touchant dans l’obstination du président de la République à continuer à parler des choses du pays et du monde comme s’il avait encore le moindre pouvoir sur elles.
Quand on aime la France comme nous l’aimons, on ne peut que ressentir un sentiment de tristesse lorsqu’on assiste à ces prestations qui nous font penser à ce que serait la performance d’un acteur jouant la grande tirade du Mariage de Figaro alors que le public a déserté le théâtre et que les lumières de la scène sont éteintes depuis longtemps déjà.
Ces derniers jours, un mot a retenu mon attention. Le mot « intention ». Lorsque Zelenky a fait un passage express à Paris, on nous en a fait des tonnes autour d’un marché de quelque cent Rafales, le fleuron de notre industrie aéronautique militaire. En fait, ce qui a été signé ne serait qu’une lettre d’intention. Aimable formulation. L’Ukrainien aurait donc « l’intention » d’acquérir cent Rafales que nous aurions « l’intention » de lui livrer et que, doit-on en conclure, il aurait « l’intention » de nous payer.
Nous voici donc entré de plain-pied dans une forme toute nouvelle de gouvernance, la gouvernance « d’intention ».
On en a eu un autre exemple lors des échanges franco-germaniques à Berlin ce mardi. En est sortie cette formule que M. de La Palice ne démentirait certainement pas : « Quand la France et l’Allemagne s’alignent, l’Europe avance. » Dans quelle direction ? On n’en sait trop rien, si ce n’est que « l’intention » est que ces deux pays s’entendent pour s’engager avec ardeur dans la conquête d’une souveraineté numérique qui permettrait à l’Europe de « ne pas être le vassal » technologique des États Unis et de la Chine. Louable intention, il est vrai.
Dans un registre quelque peu différent, on apprend lors de la même prestation, que le président français aurait « l’intention » de rencontrer prochainement son homologue algérien, histoire peut-être de s’offrir une nouvelle session de mea-culpa et d’autoflagellation post-coloniale, comme précédemment, avec dépôt de gerbe sur la tombe du terroriste FLN nullement inconnu. Là encore, on ne sait pas.
Il est vrai qu’on n’écoute plus vraiment ce qu’il dit, le président. Il est vrai en effet que sa parole – la parole présidentielle – qu’elle soit en anglais, en français, en swahili – ne porte plus guère. Radicalement démonétisée qu’elle est.
Alors oui, nous sommes en droit d’éprouver une forme de tristesse devant ces sursauts verbeux d’une présidence en coma dépassé. Le sentiment que le fantôme de l’Élysée ne fait plus désormais que prêcher dans le désert, que ses Rafales ne sont que mirages, ses espérances d’une quelconque souveraineté qu’une velléité d’estrade, ses intentions de rencontre avec le dictateur algérien une vague péripétie touristique avec danse des sept voiles au programme. Oui, tout cela nous donne l’impression d’assister, impuissants, à la gesticulation pathétique d’un homme qui se complaît à bavasser dans le désert. Un désert dont il n’est plus lui-même également qu’un vague mirage…
Défense radicale des minorités se faisant au détriment de la cohésion sociale en Occident, le wokisme – très à la mode ces dernières années – est en perte de vitesse. C’est que l’élection de Trump a mis un coup d’arrêt à son expansion délirante. Et que la convergence des luttes a ses limites! Mais, on peut aussi craindre qu’il finisse par revenir plus fort que jamais.
Le 20 janvier dernier, Donald Trump, dans une mise en scène césarienne, a signé une série de décrets présidentiels, touchant des domaines forts différents, comme la politique sociétale, l’aide militaire, en passant par la fin du financement de certaines grandes organisations internationales. On sent désormais une certaine accélération de l’histoire et le changement de ton par rapport à son premier mandat. La première présidence Trump marquait la fin d’une époque, mais tout porte à croire que la seconde entame le début d’une nouvelle ère sous nos yeux tétanisés ou ébahis, signifiant peut-être la fin de l’idéologie woke en Occident, mais est-ce vraiment le cas ?
Le wokisme, cette idéologie voulant lutter contre les inégalités, avait connu un grand succès au cours de la dernière décennie. Elle était devenue presque une religion et avait su convaincre de nombreux secteurs de la société : les universités, mais également les entreprises et les gouvernements. Cependant, les semaines qui viennent de s’écouler démontrent peut-être que, tout compte fait, le wokisme n’a été qu’une parenthèse, qu’un château de cartes porté sur des bases trop peu solides: annulations de certains programmes EDI dans diverses entreprises, ralliement des grands patrons de la Silicon Valley au président Trump après sa réélection, etc. Par ailleurs, lorsque l’on compare le taux d’approbation chez les jeunes en janvier 2025 à celui de janvier 2017, début de son premier mandat, la différence saute aux yeux: selon YouGov, c’est respectivement 53% de taux d’approbation contre 30%, soit une progression de plus de 20 points chez la jeunesse américaine, ce qui n’est pas rien puisqu’elle représente l’avenir du pays et est un indicatif en somme (1). On assiste donc peut-être à un véritable basculement. Cette idéologie n’a jamais été un objet de conviction, mais bien un objet de conformité. Certains la défendaient « parce qu’il fallait bien faire comme tout le monde. »
La preuve en est que, sur le plan politique et des institutions, qu’elles soient publiques ou privées, une série d’entre elles ont fait un pari sur le wokisme en achetant ce discours – pensant que ce serait l’avenir. D’ailleurs, tout porte à croire pour l’instant que cette idéologie avait atteint son paroxysme durant la présidence de Joe Biden, et même déjà sous le premier mandat de Donald Trump. Ce paroxysme s’est manifesté avec force lors des mobilisations de la jeunesse dénonçant le meurtre de George Floyd par un policier blanc en 2020.
Mais le wokisme est-il définitivement derrière nous? Aurons-nous encore à subir ses excès dans nos sociétés dans les années à venir? Rappelons que le wokisme est une forme de néo-progressisme ayant hérité de certains attributs du marxisme, notamment sa focalisation sur les luttes identitaires et la défense des minorités, une défense se faisant au détriment de la cohésion sociale. C’est aussi une intersectionnalité des luttes, puisqu’au moment où le communisme s’est effondré dans les années 80 et 90, beaucoup de militants de la gauche sont restés mentalement ancrés dans un univers communiste, ce qui les a amenés à continuer à intégrer des gens politiquement comme la chose se faisait des décennies plus tôt. Ainsi, lorsque la gauche a fini d’intégrer un certain groupe politique, elle cherche à intégrer d’autres catégories de la population, ce qui explique qu’elle puisse se renouveler politiquement depuis des années.
Cette gauche a donc voulu à la fois défendre les minorités sexuelles, mais également l’immigration de masse, provenant en majorité de pays du Maghreb, d’Afrique noire, d’Inde ou du Pakistan, ce qui démontre, comme par le passé, qu’elle use toujours d’une stratégie ayant fait date : défendre les masses, mais également des idéologies minoritaires. Cependant, les choses ne pouvaient durer, car à un moment, les contradictions sautent au visage : on ne peut défendre à la fois le mouvement LGBT et l’islamisme, par exemple. Au fond, la gauche joue une pièce qu’elle avait déjà jouée dans le passé au XIXe siècle en essayant de chercher à intégrer toutes sortes de luttes minoritaires. Par exemple, au plus fort de la révolution industrielle en Europe, cette gauche a voulu à la fois défendre les masses ouvrières, mais également toutes les idéologies considérées comme superficielles à l’époque, comme l’anarchisme ou l’écologisme. Cependant, à mesure que le mouvement ouvrier a pris de l’ampleur vers la fin du XIXe siècle, ces luttes minoritaires ont été déconsidérées, puisqu’extrêmement impopulaires au sein du prolétariat.
De la même manière, le wokisme contemporain risque de connaître un déclin similaire. Les contradictions inhérentes – par exemple, la promotion de l’intersectionnalité qui tente d’unir des groupes aux valeurs souvent incompatibles – deviennent de plus en plus évidentes. Lorsque la gauche progressiste intègre de nouveaux « opprimés » sans résoudre ces tensions, elle s’expose à une fragmentation interne, comme l’a observé Chantal Delsol dans son analyse du moralisme rigide.
Ce processus n’est pas nouveau ; il reflète une stratégie cyclique de la gauche, qui, après l’effondrement du communisme, a pivoté vers des identités fragmentées pour se renouveler.
À la question de savoir si ce déclin est imminent, certains faits récents tendent à le montrer, du moins, on peut constater un léger reflux de cette idéologie qui peut s’expliquer par la prise du pouvoir par la nouvelle administration américaine. Un exemple des plus frappant est le fait que certaines entreprises de la Silicon Valley en Californie ont annulé ou réduit leurs initiatives en matière d’équité, diversité et inclusion (DEI), pour des raisons de coûts excessifs et un manque de retour sur investissement. Apple a mis en ligne pour la première fois depuis des années une publicité mettant en scène une famille blanche américaine de la classe moyenne, ce qui ne se voyait plus dans le monde du marketing des GAFAM depuis longtemps. Par ailleurs, sur le plan politique, l’administration américaine a promulgué des décrets visant à démanteler ce qu’elle qualifie d’idéologie «woke» dans l’éducation et les institutions fédérales.
Ce mouvement ne se limite pas aux États-Unis, puisque, sur le Vieux Continent européen, plusieurs partis nationalistes très critiques de l’immigration et du wokisme gagnent du terrain dans les urnes et dans les sondages, comme le Rassemblement national en France et le Reform Party au Royaume-Uni. Ces évolutions montrent que le mouvement woke perd du terrain au profit de priorités plus pressantes pour la population, comme le pouvoir d’achat ou l’immigration.
Une résistance en vue
Malgré tout, assiste-t-on à un véritable recul du wokisme? Rien n’est moins sûr et tout porte à croire que ses partisans pourraient se radicaliser dans des combats d’arrière-garde face à leur perte d’influence sur le champ de bataille des idées. L’exemple le plus frappant et le plus tragique qui peut nous venir en tête est l’assassinat fatidique de Charlie Kirk, jeune conservateur et supporteur de Donald Trump qui avait fondé une organisation nommée Turning Point dans le but de débattre sur la place publique et particulièrement sur les campus américains dans le but de faire progresser les idées de la droite américaine et une certaine vision de l’Amérique. Au fond, c’était surtout pour convaincre un public plus jeune et à la merci du wokisme, ce dernier étant justement né sur les campus américains.
Cependant, certains éléments radicaux n’en ont eu cure et il n’a fallu qu’un tireur suffisamment entraîné pour enlever la vie au jeune influenceur qui avait le vent en poupe et qui était même pressenti à la présidence des États-Unis un de ces jours ou à tout le moins à des postes d’importance en politique.
La suite de cette stratégie a comme été le rideau qui s’est levé ou l’apocalypse au sens biblique du terme sur ce qu’était réellement une certaine gauche : la détestation de son adversaire. Pire encore, certains ont manifesté leur joie devant la mort de l’influenceur conservateur sur les réseaux sociaux au travers de vidéos TikTok ou Snapchat plus insignifiantes les unes que les autres. Ce brouhaha était également accompagné d’un discours du genre : «je suis pour la liberté d’expression, mais il l’avait bien cherché.» Ces deux attitudes témoignaient au fond d’une certaine haine de tout ce qui n’est pas en concordance avec les idées d’une certaine gauche progressiste détenant à elle seule le monopole du beau et du bien.
Ces réactions en disent plus sur le wokisme et à travers elles, il est possible d’entrevoir le futur du mouvement. Tout porte à croire que cette idéologie pourrait se radicaliser alors que ses adversaires pourraient faire de même de l’autre côté du spectre politique, ce qui présuppose des temps sombres pour la vie des idées américaines ; au mieux, une certaine atmosphère de tensions palpable à travers toutes les couches de la société ou, dans le pire des cas, la guerre civile, comme les États-Unis l’ont connue au XIXe siècle.
Cette radicalisation de la gauche woke est déjà à nos portes. L’exemple le plus frappant est le candidat démocrate à la mairie de New York, Zohran Mamdani, qui veut notamment exercer une discrimination quant aux logements sur les blancs pour ne citer que l’une des propositions de son programme politique. En réaction, le camp conservateur pourrait mobiliser davantage ses partisans et même rallier des électeurs du centre, voire du centre gauche. Ce phénomène avait déjà été largement observé lors de la première élection de Donald Trump, notamment à travers l’écart croissant entre les villes et les campagnes, ou ce que l’essayiste Christophe Guilluy a nommé « la périphérie ».
En définitive, le wokisme est-il derrière nous ? Le phénomène n’est pas totalement vaincu et il serait prématuré de le considérer comme enterré. On assiste plutôt à un léger reflux de cette idéologie. S’agit-il d’un recul temporaire, lié à un effet de mode ou à l’arrivée d’une nouvelle administration américaine au pouvoir ? Ou bien d’un apaisement factice et trompeur, susceptible de laisser place à un retour plus vigoureux une fois l’actuel locataire de la Maison-Blanche parti ? Seul le temps pourra véritablement nous le dire.
1. ORTH T et MONTGOMERY D, «Comparing the Start of Donald Trump’s first and second terms, policy, and the economy: January 26-28, 2025 Economist/Yougov Poll», YouGov, today.yougov.com, publié le 29 janvier 2025
La tentation islamiste gagne encore du terrain dans la jeune génération musulmane, révèle une vaste étude. La France luttera-t-elle enfin contre cet inquiétant séparatisme, se questionne notre directrice de la rédaction?
L’IFOP publie, en partenariat avec Écran de veille, une enquête consacrée aux musulmans français et à leur rapport à l’islamisme. Les résultats montrent un recul de l’intégration et de l’assimilation, ainsi qu’une affirmation identitaire plus marquée chez une partie des jeunes musulmans, dont une proportion croissante adhère à un islam rigoriste et très éloigné des mœurs françaises.
Une tendance inquiétante
L’islam est aujourd’hui, en France, la seule religion connaissant à la fois une croissance numérique et une dynamique idéologique ascendante. En 20 ans, les musulmans sont passés de 2 à 7 % de la population (pendant ce temps, les catholiques sont eux passés de 66 à 43%). Ils sont beaucoup plus religieux que les autres croyants et moins attachés à la primauté de la raison – là où il y a beaucoup plus de catholiques « culturels » ou de juifs « culturels ». Ainsi, près de 80 % des musulmans se définissent comme religieux. Les réticences à l’égard de la mixité progressent également. Ces tendances apparaissent encore plus marquées chez les jeunes, dont seuls 10 % souhaitent que l’islam se modernise, selon l’étude.
Première du genre, cette enquête prouve ce qu’on voit à l’œil nu : une imprégnation islamiste croissante et conquérante qui se déploie dans notre pays. 42% des jeunes musulmans approuvent tout ou partie des positions islamistes, 32% d’entre eux apprécient même les Frères musulmans. Et 60% voudraient appliquer la charia dans les pays non-musulmans.
Cela ne signifie pas pour autant qu’ils approuvent la violence, puisque seulement 3% des sondés ont de la sympathie pour le djihadisme. Mais… seulement 52% ont de l’hostilité pour lui. Ce qui signifie qu’une petite moitié des musulmans français s’en fiche, ne prend pas position, comme si cette guerre contre la France ne les concernait pas. Cela me semble emblématique de ce séparatisme que le président Macron prétendait combattre et qui ne cesse en réalité de progresser.
Bougies, nounours…
Alors que faire ? En tout cas, pas une énième foire à la bougie avec les pleurnicheries et rodomontades d’usage, comme on l’a eue pour le 13-Novembre.
Depuis dix ans, on perd le combat pour la bonne raison qu’on ne le mène pas. Et on ne le mène pas parce qu’on refuse de voir. Sur tous les tons, on n’a cessé de nous expliquer que le grand danger c’était l’amalgame ou l’ « islamophobie »; qu’il ne fallait surtout pas confondre la micro-minorité islamiste de l’immense majorité des musulmans républicains et patriotes. Le clientélisme et la lâcheté aidant, on a laissé prospérer une mouvance frériste bien déterminée à contrôler la population musulmane. Et en passe d’y arriver.
Attention, je ne suggère pas qu’on fasse subir aux musulmans ce que les catholiques français ont enduré en 1905. Mais, au moins, que tout le monde soit logé à la même enseigne, et que la laïcité soit la même pour tous : soyons intraitables avec le moindre écart, le premier niqab, le premier refus d’aller en cours de sciences, la moindre prière de rue. Expulsons à tout-va les prédicateurs fréristes. Si l’ensemble de la société se mobilisait, la France pourrait devenir le cauchemar des islamistes. Mais cela n’arrivera pas : les illusions multiculti ont la vie dure, notamment dans le clergé médiatico-enseignant. Combattre l’extrême droite c’est quand même plus rigolo et on ne risque pas un coup de couteau.
Étude Ifop pour la revue Ecran de Veille réalisée par téléphone du 8 août au 2 septembre 2025 auprès d’un échantillon de 1 005 personnes de religion musulmane, extrait d’un échantillon national représentatif de 14 244 personnes âgées de 15 ans et plus résidant en France métropolitaine.
Le philosophe Philippe Nemo et l’enseignant Joachim Le Floch-Imad sont d’accord : l’École française est dans un état catastrophique. Mais leurs remèdes divergent radicalement. L’un plaide pour une potion libérale à la Milton Friedman, l’autre pour un traitement de choc inspiré du docteur Chevènement. Un débat très instructif.
Causeur. D’après une récente enquête internationale, seuls 4 % des enseignants français estiment que leur métier est valorisé au sein de la société, soit la pire statistique de l’OCDE. Que vous inspire ce chiffre ?
Philippe Nemo. Si nos professeurs se sentent méprisés, ce n’est pas tant parce qu’ils sont mal payés que parce que l’Éducation nationale a cessé de les considérer comme des hommes voués au savoir. Enseigner ne serait qu’un « métier », une occupation besogneuse, un travail social comme un autre, alors que c’est en réalité une vocation spirituelle. En 2016, j’ai cofondé l’École professorale de Paris, dans laquelle nous préparons des étudiants aux concours de l’Éducation nationale. Dernièrement, un de nos jeunes diplômés a donné son cours devant un inspecteur en vue de sa titularisation. Une leçon excellente que la classe a écoutée avec passion et en silence. À la fin, l’inspecteur a lancé à l’enseignant sur un ton d’amer reproche : « Vous rendez-vous compte de ce que vous avez fait ? On aurait entendu voler une mouche. Or on aurait dû entendre un brouhaha, ce qui aurait montré que les élèves étaient actifs. » Et il a ajouté cette phrase typique de l’idéologie qui règne désormais au ministère : « Mettez-vous bien dans la tête que vous n’avez pas à transmettre. »
Joachim Le Floch-Imad. L’Éducation nationale considère en effet, au moins depuis la loi Jospin de 1989, qu’un bon professeur est moins un maître de sa discipline qu’un animateur. Dans les Inspé (ex-IUFM), on apprend ainsi aux enseignants à ne rien apprendre à leurs élèves, avec des formations toujours plus idéologiques comme « Guérir de “l’hégémonie hétérosexuelle” », « La nature a-t-elle un genre ? », « Queeriser le curriculum ». À cette désintellectualisation s’ajoute la désanctuarisation de l’École, devenue caisse de résonance de la violence de la société et la destruction de l’autorité : des relations conflictuelles avec les familles, des professeurs, face à des classes hétérogènes, qui font cours la peur au ventre, voire s’autocensurent pour 56 % d’entre eux. Les 100 000 enseignants menacés ou agressés chaque année ne semblent pas gêner l’administration qui, en pratique, perpétue le « pas de vagues » qu’elle prétend avoir aboli. Il y a aussi le problème de la rémunération, avec une perte de pouvoir d’achat de 25 % en vingt-cinq ans. Il est vrai que les « hussards noirs de la République », sur lesquels Charles Péguy a écrit de si belles pages, servaient l’École bien plus qu’ils n’en vivaient. Seulement leur prestige s’imposait dans une France où les valeurs de la connaissance demeuraient respectées et où l’on savait éduquer au sens étymologique du terme : « educare », c’est-à-dire instruire, et « educere », conduire hors de soi, proposer un détour par les œuvres du passé pour revenir au présent mieux armé.
P. N. Cette élévation passait essentiellement par l’instruction. Mais le ministère « de l’Instruction publique » est devenu en 1932 ministère « de l’Éducation nationale ». Depuis lors, l’école a été dirigée de fait par un personnel de gauche qui a eu pour dessein d’y forger un homme nouveau. Vincent Peillon, ministre de l’Éducation nationale sous François Hollande, explique en effet que les enseignants forment un « clergé » dont la mission est de « transsubstantier » (il emploie ce terme) les Français. Cette ambition véritablement néo-religieuse, déjà dénoncée par Condorcet et les autres hommes des Lumières à l’époque révolutionnaire, et encore par Clemenceau au temps du petit père Combes, se traduit aujourd’hui dans de nouvelles matières comme l’Evars (éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle). Quelles compétences l’Éducation nationale peut-elle donc prétendre posséder au sujet de la vie « affective », « relationnelle » et « sexuelle » ? De quoi se mêle-t-elle ? C’est un domaine où seules doivent être impliquées les familles. Que des enseignants proposent ce type de formation à leurs propres enfants, et aux enfants que certains voudront bien leur confier, libre à eux. Mais le scandale est qu’ils soient en position juridique de l’imposer à tous les enfants et à toutes les familles de France dans toutes les écoles publiques et privées. Concernant la sexualité, ces cours vont diffuser le dogme LGBT, qui n’est qu’une idéologie et en aucun sens une science. Mais surtout, quant à la forme, de quel droit une administration d’État peut-elle décider de s’immiscer dans l’intimité des enfants au nez et à la barbe de leurs parents ? Les familles n’auront pas le droit de dispenser leurs enfants de suivre ces cours. Elles ne connaîtront ni le contenu exact de ceux-ci, ni l’identité des « intervenants » (ce seront des « associations », mandatées par qui et selon quels critères ?), ni même la date des séances, tant on craint l’irruption de parents révoltés. La réalité est donc qu’une minorité idéologisée qui tient les bonnes manettes dans l’Éducation nationale est parvenue à utiliser la force coercitive de l’État pour entreprendre de transformer en profondeur les mentalités sociales, pour « créer un nouveau peuple », comme le voulait Robespierre.
J. L. F.-I. Le taux de syndicalisation est en chute libre et les syndicats ont perdu leur influence sur les avancées de carrière. Leur pouvoir ne subsiste, sur le terrain idéologique, que parce que les gouvernants demeurent complaisants à son égard. J’attends toujours des sanctions contre les enseignants qui ont bloqué leur lycée pour s’opposer à l’interdiction de l’abaya ! Mais il y a surtout au sein de l’Éducation nationale de plus en plus de cadres issus du privé, adeptes du « New Public Management », qui considèrent moins l’École comme une institution que comme un prestataire de services. J’en veux pour preuve la novlangue entrepreneuriale au sein du ministère. On ne parle plus de savoirs, mais de « compétences », de programmes mais de « curricula », d’inspections mais de « rendez-vous de carrière ». Le nouveau ministre, Édouard Geffray, décrit les professeurs en termes de « stocks » et de « flux ». On est loin du socialisme… Enfin, permettez-moi de ne pas voir de continuité entre le Front populaire et le Nouveau Front populaire, d’être nostalgique des discours à la jeunesse de Jaurès, du républicanisme intransigeant de Jean Zay ou encore du bel objectif que Paul Langevin assignait à l’école : « La sélection des meilleurs et la promotion de tous. » Le désastre a débuté bien après, dans les années 1970, lorsque l’École a renoncé à l’exigence intellectuelle et que les politiciens ont imposé le collège unique.
Et aujourd’hui, l’École peine à apprendre à lire mais elle prétend apprendre à aimer…
J. L. F.-I. Émiettée dans ses missions, notre École n’instruit plus mais coconstruit. Elle n’éduque plus mais rééduque. On le voit à travers l’Evars, mais aussi les cours d’écocitoyenneté ou la lutte contre les « fake news » au cœur de l’enseignement moral et civique. Depuis des décennies, des ministres sans vision, sans courage et sans expertise se succèdent et, entre des effets d’annonce et des slogans, laissent l’École naviguer à vue, au gré de débats périphériques. Il est temps de lui redonner un cap politique !
P. N. Cette situation est due à l’idéologie mais aussi, et peut-être d’abord, au gigantisme et à la centralisation du système, qui le rendent ingouvernable et l’exposent donc aux pires errements. Il n’est pas possible de gérer centralement une collectivité de 1,2 million de salariés et 15 millions d’élèves et d’étudiants, pour des raisons épistémologiques. Toutes les économies gérées par un Gosplan à la soviétique ont échoué, et, toutes proportions gardées, c’est un problème similaire qui se pose à l’Éducation nationale. Et de même que les Russes ont survécu grâce à l’économie souterraine, de même l’enseignement privé joue un rôle de soupape de survie dans le paysage scolaire français d’aujourd’hui.
En concluez-vous qu’il faudrait privatiser l’Éducation nationale ?
P. N. Non. Car il y a d’excellentes raisons, même pour un libéral, de ne pas souhaiter une complète privatisation de l’école. Ce qu’il faut, c’est un système où le financement soit largement public et l’éducation de base gratuite pour tous, mais où la prestation soit plurielle. Ainsi le « pouvoir spirituel » que se sont arrogés les syndicats de gauche sera-t-il rendu à la société civile. C’est le modèle des écoles à « charte » qui existent dans de nombreux pays (Suède, Portugal, États-Unis, Grande-Bretagne…). Elles respectent un « cahier des charges » national, mais sont autonomes dans leur fonctionnement et le choix de leurs méthodes.
Philippe Nemo et Joachim Le Floch-Imad débattent avec « Causeur » Photo : Hannah Assouline
Cela ne risque-t-il pas d’engendrer une école à deux vitesses ?
P. N. Nullement, puisque je répète que dans un tel système, l’école est gratuite. Seulement, la liberté permet une différenciation qui, d’ailleurs, contrairement à ce qu’on croit, joue autant dans le sens de la convergence que de la divergence, comme c’est le cas dans la plupart des activités économiques et sociales où existe une concurrence. Mais l’intérêt essentiel de ce système est de permettre qu’il y ait dans chaque école un « pilote dans l’avion », c’est-à-dire un chef d’établissement qui recrute les professeurs, gère les équipes et résout les problèmes en temps réel parce qu’il a tous les pouvoirs administratifs lui permettant de le faire. Nos chefs d’établissement n’ont pas ces pouvoirs, moyennant quoi tout se dégrade.
J. L. F.-I. Sur le crime que constitue le dévoiement de l’égalité en égalitarisme, nous sommes d’accord. Les classes populaires qui n’ont que l’École pour s’élever en sont les premières victimes. Mais contrairement à vous, je ne crois pas que le libéralisme scolaire constitue le remède miracle à nos maux. Lorsque le Titanic se dirige vers l’iceberg, mieux vaut en changer le cap plutôt que d’inviter chacun à affréter son canot de sauvetage. Il faut rebâtir une École de l’excellence pour tous, y compris dans le public, pas seulement sauver quelques espaces de refuge. Dans mon ouvrage, je propose, dans le cadre d’une alternance politique, un programme de reprise en main de la technostructure de l’Éducation nationale : nominations stratégiques à tous les postes clés ; démantèlement d’une large partie des comités Théodule et de la bureaucratie du ministère (20 % de la dépense totale va à des personnels non enseignants !) ; rappel à l’ordre des fonctionnaires et syndicalistes qui violent leur devoir de neutralité et de loyauté ; et retrait d’agrément aux associations militantes. On ne brisera pas la spirale de l’impuissance tant que le ministre ne sera qu’un contre-pouvoir parmi d’autres.
P. N. Vous ne parviendrez pas à dévier le Titanic. Êtes-vous prêt, oui ou non, à abroger le statut de la fonction publique ? À supprimer la cogestion du ministère par les syndicats ? Ce ministère, tel qu’il est, est décidément irréformable. Il faut rebâtir quelque chose à côté de lui.
J. L. F.-I. Vu l’immigration hors de contrôle que nous connaissons, nombre de vos écoles indépendantes seraient aux mains des Frères musulmans. Le libéralisme scolaire effréné, c’est le dernier clou sur le cercueil de notre nation. Mais aussi de l’enseignement des Humanités. Javier Milei, disciple de Hayek comme vous, n’a-t-il pas nommé un ministre du « Capital humain » en lieu et place de l’Éducation ? Vous idéalisez le modèle suédois, engagé sur la même pente que nous : – 45 points au dernier classement Pisa. On trouve certes en Suède des chefs d’établissement de conviction, porteurs de beaux projets pédagogiques. Mais aussi des écoles appartenant à de grands groupes cotés en Bourse qui n’ont d’autre horizon que le profit.
P. N. Être coté en Bourse est-il un crime ? La vérité est que les écoles ainsi gérées réussissent mieux les tests PISA que les écoles publiques.
J. L. F.-I. Parce qu’elles accueillent des élèves issus de familles plus favorisées. Aux tests PISA, les pays qui rayonnent sont Singapour, la Chine, Taïwan, la Corée du Sud, le Japon, où les systèmes éducatifs sont centralisés. En France, nous avons un État qui se mêle de tout, un « État-Église » comme vous dites, sauf de l’essentiel, à savoir du rétablissement de l’autorité et de l’exigence intellectuelle dans notre École.
P. N. En tout cas, le temps presse. Chaque génération nouvelle est moins instruite que la précédente. C’est, selon moi, la vraie cause des grands problèmes actuels du pays.
J. L. F.-I. Pour vous, le pays est malade à cause de son École. Pour moi, c’est l’inverse. L’École est malade à cause des idéologies qui la défont, mais aussi de la décivilisation du corps social et de la haine de soi qui ronge notre nation à la dérive.
Un très inquiétant rapport du think tank « France 2050 » met en lumière la machine de guerre secrète de l’Iran en France. Il lève ainsi le voile sur 45 ans d’infiltration dans notre pays. Opérations secrètes, réseaux dormants, stratégies d’influence: quelles révélations contiennent ses 85 pages?
Un rapport explosif du think tank « France 2050 », remis le 29 octobre aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat ainsi qu’au ministre de l’Intérieur, lève le voile sur l’ampleur insoupçonnée de l’infiltration iranienne en France. Depuis l’avènement de la République islamique en 1979, Téhéran a tissé patiemment sa toile sur le territoire français, transformant son réseau diplomatique en véritable centre de commandement pour ses services secrets.
Une stratégie inscrite dans la Constitution iranienne
L’originalité de la menace iranienne réside dans son caractère constitutionnel. La Constitution de 1979, révisée en 1989, érige explicitement le djihad en mission d’État.
Son préambule stipule que l’armée et le Corps des Gardiens de la Révolution islamique (CGRI) doivent mener la guerre pour « étendre la souveraineté de la loi de Dieu dans le monde ». L’article 11 proclame que « tous les musulmans forment une seule oumma », légitimant ainsi l’ingérence dans les affaires d’autres pays.
Cette architecture constitutionnelle transforme la République islamique en projet idéologique global, dépassant largement le cadre d’un simple régime autoritaire. Le Guide suprême, aujourd’hui Ali Khamenei, cumule autorité religieuse, militaire et politique, se présentant comme le représentant de l’Imam caché, avec une vocation transnationale.
Des techniques médiévales adaptées à l’ère moderne
Le rapport révèle un détail stupéfiant : les méthodes actuelles du régime s’inspirent directement des techniques d’Hassan Sabbāh, maître de l’Ordre des Assassins au XIe siècle en Perse – Infiltration longue durée, dissimulation (taqiya), exécution dans des lieux publics, dépôt de menaces nocturnes. Les mêmes tactiques sont employées aujourd’hui. Seuls les outils ont changé : le dark web a remplacé les pigeons voyageurs, les bombes et kalachnikovs se sont substitués aux poignards. Cette continuité millénaire démontre l’ancrage profond de ces pratiques dans la culture politique iranienne.
Une manipulation religieuse au service du politique
Le régime détourne systématiquement l’islam pour servir ses objectifs politiques.
Exemple frappant : la lapidation, pratiquée en Iran au nom de la charia, n’existe pas dans le Coran qui la condamne explicitement. Elle est justifiée par un hadith selon lequel le verset autorisant cette pratique aurait été… mangé par une chèvre ! Malgré l’absurdité manifeste, cette « justification » permet de maintenir cette barbarie dans le Code pénal iranien.
Ali Khamenei a créé en 2023 une nouvelle catégorie religieuse : le « haram politique ». Apparaître tête nue pour une femme serait un « interdit politique », fusionnant ainsi religion et idéologie d’État.
Quand le Parti Communiste Français hébergeait le prosélytisme chiite
Entre 2013 et 2018, dans un cas d’infiltration stupéfiant, des locaux du Parti Communiste Français dans le 13e arrondissement de Paris ont accueilli des conférences religieuses organisées par Seraj Mirdamadi, cousin germain du Guide suprême Ali Khamenei. Ces événements, présentés comme des échanges culturels réunissant sociologues et universitaires, servaient en réalité de vecteur de prosélytisme chiite, attirant à la fois des fidèles et des militants d’extrême-gauche du Parti des Travailleurs.
Cette proximité idéologique entre une partie de l’extrême gauche française et la République islamique s’explique par une convergence sur l’antisionisme, l’anti-impérialisme et l’anticapitalisme. Jean-Luc Mélenchon exprimait d’ailleurs à la même époque son souhait d’intégrer la France à l’alliance bolivarienne soutenue par l’axe Iran-Venezuela.
L’alliance avec le crime organisé européen
Révélation majeure du rapport : Téhéran s’appuie désormais massivement sur des réseaux criminels pour ses opérations clandestines. Ramin Yektaparast, ancien chef des Hells Angels en Allemagne, a été recruté pour planifier des attaques contre des synagogues. En Suède, le réseau criminel Foxtrot a été utilisé pour des attentats contre des cibles israéliennes. Le ministre français de l’Intérieur a confirmé en janvier 2025 que des narcotrafiquants ont été employés par des agents iraniens sur le sol français.
Cette stratégie présente un double avantage pour Téhéran : elle brouille les pistes en cas d’arrestation et permet un déni plausible, les exécutants ignorant souvent qu’ils travaillent pour l’Iran.
L’ambassade d’Iran à Paris, quartier général de l’influence
L’ambassade iranienne à Paris ne fonctionne plus comme une mission diplomatique classique depuis des décennies. Elle sert de centre névralgique aux opérations d’influence orchestrées par la Force Al-Qods, unité d’élite du CGRI disposant de huit services : renseignement, infiltration, sabotage, opérations financières, guerre économique, terrorisme, influence et cyberguerre.
Le numéro deux de l’ambassade, Ali Reza Khalili, également président du Centre franco-iranien, supervise le recrutement d’agents d’influence. Ces derniers sont soigneusement sélectionnés parmi les intellectuels, journalistes, universitaires et étudiants français ou binationaux partageant certaines valeurs du régime, notamment sur la cause palestinienne.
Au cœur du dispositif se trouve l’Université Internationale Jamiat Al-Mustafa, basée à Qom. Dotée d’un budget quasi illimité, elle forme tous les cadres du régime. Avec plus de 50 000 étudiants issus d’une centaine de pays, elle constitue une véritable « ambassade officieuse » à travers le monde, entretenant des partenariats avec une quarantaine de pays, dont la France.
Cette institution organise régulièrement des séminaires analysant les « dynamiques et évolutions » en France. En mars 2024, une réunion s’est tenue sur « la place de l’islam en France », identifiant les influenceurs musulmans français et étudiant comment « rediriger les jeunes musulmans français vers le chiisme ».
Des influenceurs téléguidés sur les réseaux sociaux
La République islamique a adapté ses méthodes à l’ère numérique. L’influenceur Shahin Hazamy, suivi par un demi-million d’abonnés, incarne cette nouvelle génération d’agents d’influence. Arrêté en avril 2025 pour apologie du terrorisme, il aurait visité Qom, ville où sont formés les agents étrangers, et entretient des liens avérés avec la Force Al-Qods. Hazamy a été filmé distribuant des drapeaux iraniens lors d’une manifestation organisée par LFI en juin 2025. L’iran pilote beaucoup de petits Hazamy en Occident…
Un bilan sanglant et une menace actuelle et sophistiquée
Les chiffres donnent le vertige : entre le 1er janvier et le 31 août 2025 seulement, 856 exécutions ont eu lieu en Iran. Depuis 1979, environ 540 Iraniens réfugiés à l’étranger ont été assassinés ou enlevés par la République islamique. En France, les attentats des années 1985-1986 ont causé 13 morts et plus de 300 blessés.
Aujourd’hui, la menace reste élevée. En juin 2024, un réseau préparant des assassinats ciblés et des incendies dans le sud de la France a été démantelé. Les services français estiment qu’une tentative d’attentat est probable d’ici 12 à 18 mois, particulièrement en période de tension au Moyen-Orient.
Face à cette menace multiforme, le rapport appelle à une prise de conscience urgente et à des mesures fermes : classification du CGRI (Corps des gardiens de la révolution islamique) comme organisation terroriste par l’Union européenne, surveillance accrue des étudiants et religieux voyageant en Iran, démantèlement des réseaux d’influence et refus catégorique de céder au chantage des prises d’otages. Quarante-cinq ans après la révolution islamique, la guerre secrète de Téhéran en France n’a jamais été aussi sophistiquée ni aussi dangereuse.
Israël a obtenu le retour des otages vivants et une partie des corps des otages morts. Cependant, les espoirs suscités par le plan de paix de Trump de voir le Hamas rendre les armes et se retirer de la scène politique sont déjà déçus. On peut même redouter une libanisation de Gaza, avec un Hamas jouant le rôle du Hezbollah.
C’était trop beau pour être vrai. Libération immédiate de tous les otages, morts et vivants, désarmement du Hamas et exclusion du mouvement terroriste de toute gouvernance à Gaza ou ailleurs, tout cela pour le modique prix d’un cessez-le-feu sans engagement israélien ni assurance américaine de mettre fin à la guerre. Pour Israël, les 20 points devenus le « plan Trump pour Gaza » semblaient parfaits. Un mois plus tard, on constate que la perfection n’est pas de ce monde.
Certes, le Hamas a libéré rapidement et en une seule fois tous les otages encore vivants, perdant ainsi sa carte maîtresse, et ce n’est pas rien, loin de là. Sauf que, la proposition de rendre tous les otages morts et vivants en échange de la fin définitive de la guerre était déjà sur la table depuis au moins février. Ce que Trump propose avec ses 20 points était bien plus favorable pour Israël : un processus menant automatiquement et sans heurts d’une phase 1 – cessez-le-feu, fin des hostilités et libération des otages – à la phase 2 – désarmement du Hamas et son éloignement de la gouvernance de la bande de Gaza –, puis au déploiement des forces de maintien de la paix, et au bout du chemin à la fin définitive de la guerre.
En Israël, si le gouvernement était passablement circonspect, une grande partie de la population a célébré le plan Trump comme un nouveau 8 mai 1945 et pavoisé ses rues à l’effigie du nouveau Roosevelt. Si le Nobel était décerné à Tel-Aviv, Trump l’aurait eu le jour même. C’est évidemment prématuré. Les chefs du Hamas ne se sont pas suicidés dans les tunnels qu’ils avaient construits pour se protéger. Le mouvement terroriste est beaucoup moins affaibli que la Wehrmacht en 1945 et bien mieux conseillé. Pris de court par Trump, il a réussi à desserrer l’étau au moyen de manigances, coups de force et revirements, gagnant du temps et du champ politique.
Manigances
Le Hamas a d’abord feint de se plier aux pressions américaines, qatariennes, turques et égyptiennes. Finalement ses dirigeants ont accepté la proposition de Donald Trump, parce qu’ils ont compris que, s’ils devaient libérer les otages vivants, ils pourraient faire traîner en longueur la restitution des dépouilles des otages morts et avec elle la première phase du plan Trump. Ce qui n’empêche pas les médias et les chancelleries de proclamer que le Hamas respecte le deal.
Il rend donc les corps au compte-gouttes et profite de la prolongation de cette phase de libération des otages pour se renforcer et tenter de rendre le désarmement prévu par la deuxième phase impossible. Sur le terrain, ses militants n’ont pas perdu une seconde pour reconstruire les bases de leur domination militaire, politique et économique. Avant même la grande messe de Charm el-Cheikh, le 13 octobre, le mouvement islamiste a engagé une violente reprise en main de Gaza, en lançant une guerre civile miniature contre des clans et des familles jugés dissidents ou accusés de collaboration avec Israël.
Le premier épisode de cette vendetta a lieu le 12 octobre. Il se déroule au sud de Gaza-ville, lorsque le Hamas tente de désarmer et d’arrêter des membres du puissant clan Doghmush. Lors des combats, au moins 27 personnes auraient été tuées, dont huit du Hamas. Certaines sources évoquent un bilan bien plus lourd, qui atteindrait jusqu’à 64 morts. Ce conflit rappelle les affrontements sanglants de 2007, lorsque le Hamas avait renversé le Fatah à Gaza. Le fait que le mouvement ait lancé cette opération si rapidement montre qu’il entend reprendre son monopole des armes et ne tolérera pas les autonomies tribales qui s’étaient développées pendant son affaiblissement temporaire durant la guerre.
Le 13 octobre, au moment où on sable le jus d’orange à Charm el-Cheikh, la répression se mue en une véritable campagne de terreur, qualifiée par la milice de « stabilisation ». Derrière ce vocabulaire se cache une journée d’arrestations arbitraires, de perquisitions brutales et de violences contre des groupes et des individus perçus comme des menaces.
Le 14 octobre, le Hamas passe de la reconquête à la terreur de masse. Il diffuse une vidéo, authentifiée par plusieurs médias, montrant l’exécution par balle dans la nuque de huit hommes ligotés, agenouillés et les yeux bandés. Les victimes, désignées comme des « collabos » ou des « hors-la-loi », sont abattues sous les yeux de civils contraints d’assister à la scène.
Le 15 octobre, de nouveaux rapports font état d’exécutions publiques et de raids armés menés par le Hamas contre des familles considérées comme dissidentes ou soupçonnées d’avoir soutenu des factions rivales. En moins d’une semaine, Gaza a ainsi connu une série de violences internes destinées à réprimer systématiquement toute structure non alignée sur le Hamas, avec un bilan de plus d’une centaine de morts. Sûr de lui et en passe de redevenir dominateur, le mouvement islamiste peut dès lors se tourner vers son grand rival dans la bande de Gaza : l’État juif.
19 octobre, le jour où l’édifice diplomatique a failli s’effondrer
Le 19 octobre, dix jours après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, deux soldats israéliens sont tués près de Rafah, lors d’une attaque menée par des cellules encore actives du Hamas dans les ruines de cette zone frontalière avec l’Égypte. La gravité de l’incident provoque immédiatement une réaction de Tsahal. Israël suspend, puis rétablit partiellement l’acheminement de l’aide humanitaire. Certains de ses ministres appellent à considérer le plan Trump comme caduc et à reprendre la guerre. Le Hamas nie aussitôt toute responsabilité, mais il est tout simplement inimaginable que le mouvement islamiste, qui a repris avec une telle brutalité le contrôle de Gaza, ait laissé un groupe armé prendre de sa propre initiative le risque de torpiller le cessez-le-feu.
Cet incident, et la perspective de voir l’édifice diplomatique s’effondrer, ont poussé Washington à dépêcher en Israël en mission qualifiée par la presse israélienne de « Bibi Sitter » le vice-président J. D. Vance, accompagné des deux négociateurs en chef, Steven Witkoffet Jared Kushner. Le trio a contraint Netanyahou au cessez-le-feu, mais les Américains savent que le plan Trump, très avantageux pour Israël, déplaît souverainement au Hamas. Ils savent aussi que, pour Erdogan par exemple, le fait que le Hamas grignote sa voie vers le statu quo ante 7-Octobre n’est qu’une adaptation naturelle du plan Trump à la réalité du terrain. Israël se trouve donc acculé par ces grignotages à des choix binaires : rompre ou avaler la potion amère. Ainsi, même si pour le moment, la coordination entre les États-Unis et Israël se déroule comme prévu (avec la participation active des Britanniques présents en Israël, dévoile The Times), le grignotage constant du Hamas met ces mécanismes à l’épreuve.
En Israël, les principales craintes concernent un désaccord sur les lignes exactes où se déploiera Tsahal, les règles d’engagement ainsi que sur sa liberté d’imposer des sanctions au Hamas en contrôlant – et au besoin en réduisant – le flux de l’aide. Israël s’attend donc à des pressions constantes pour « laisser passer, laisser couler » face à « de petites violations » ou « des infractions mineures ». On l’a vu le 28 octobre, après un tir de roquette sur un engin de Tsahal qui a tué un soldat. Face à cette violation flagrante, les Américains ont certes soutenu une réplique israélienne conséquente, mais ils se sont hâtés de refermer la parenthèse et de proclamer que le cessez-le-feu était toujours en vigueur. À l’évidence, si les intérêts de Washington et Jérusalem convergent largement, surtout sur le long terme, ils ne sont pas toujours identiques. Notamment autour du rôle que pourrait tenir Ankara dans « le jour d’après » à Gaza.
Pour Israël, qui voit en Erdogan un adversaire stratégique en Syrie et dans le bassin oriental de la Méditerranée ainsi qu’un soutien du Hamas et des Frères musulmans, il n’est pas question que des militaires turcs stationnent sur sa frontière. Pour Trump en revanche, Erdogan est un garçon formidable avec lequel les États-Unis entendent faire des affaires. Certes, lors d’une conférence de presse sur la base américaine de Kiryat Gat (sud d’Israël), J. D. Vance a promis que l’administration n’imposerait pas à Israël la composition de la force qui sera déployée à Gaza pour superviser l’application du cessez-le-feu. Mais en réalité, il entend bien laisser la Turquie y jouer « un rôle constructif ».
Au moment où nous bouclons, le Hamas détient toujours les corps de 12 otages. En exerçant sa terreur sur la population, il espère devenir le partenaire incontournable de la reconstruction de Gaza. Seulement, cette ambition se heurte à un obstacle de taille. Les gigantesques et très coûteux projets de reconstruction (et donc sa future pompe à fric) ne débuteront que si les puissances sollicitées pour les financer (l’Arabie saoudite, les Émirats et le Qatar) sont assurées de l’autorisation d’Israël, dont l’armée est capable de tout anéantir en quelques heures.
Une évolution à la libanaise ?
C’est donc le début d’une partie qui promet d’être longue et très serrée. La supposée force de sécurité à Gaza sera-t-elle déployée ? Selon Donald Trump, tout est prêt et les participants trépignent d’impatience. Il a ainsi écrit sur son réseau Truth Social : « Nombre de nos désormais GRANDS ALLIÉS au Moyen-Orient [Qatar, Arabie saoudite, EAU et Turquie, NDLR], et dans les régions voisines [Azerbaïdjan et Pakistan, NDLR], m’ont […] fait savoir qu’ils accueilleraient favorablement l’opportunité, à ma demande, d’entrer à GAZA avec une force importante pour “remettre le Hamas dans le droit chemin”, si celui-ci continue à se comporter mal, en violation de son accord avec nous. […] Il reste encore l’espoir que le Hamas fasse ce qu’il faut. S’il ne le fait pas, la fin du Hamas sera RAPIDE, FURIEUSE et BRUTALE ! »
Pour le moment, cette déclaration n’a pas plus de poids que la promesse de transformer Gaza en Riviera. Car même si cette force voyait le jour et le terrain de Gaza, elle pourrait bien ressembler à la Finul, déployée au Liban en 1978 et devenue, après quelques attentats contre ses Casques bleus, la caution du Hezbollah au Sud-Liban.
Donald Trump et le président indonésien Prabowo Subianto au sommet international sur Gaza, Charm el-Cheikh, 13 octobre 2025. (C) Suzanne Plunkett/Pool Photo via AP/SIPA
Une évolution « à la libanaise » n’est donc pas du tout exclue. Dans le rôle du Hezbollah, le Hamas assurerait la « résistance » contre « l’ennemi sioniste ». Dans ce scénario, le mouvement palestinien contrôlerait le territoire sans participer directement à son gouvernement, tout en captant une part de la manne économique destinée à la reconstruction.
Face à ces manigances, Israël dispose de deux cartes maîtresses pour empêcher la libanisation de Gaza et sauver l’esprit des 20 points : son armée occupe plus de la moitié de la bande de Gaza, désormais divisée en deux par la « ligne jaune », et surtout, l’État juif pourrait à tout moment, face à un réarmement du Hamas (et non pas une simple violation du cesser-le-feu) jugé insoutenable, réagir par la force et, le cas échéant, détruire tout début de reconstruction émergeant du sol.
Et ce n’est nul autre que Jared Kushner qui a explicité cette menace. Le 23 octobre, en réponse à un journaliste d’Haaretz, le gendre de Donald Trump a annoncé que les États-Unis envisageaient de commencer la reconstruction des zones sous contrôle israélien, précisant qu’« aucune reconstruction n’aurait lieu dans les zones encore sous le contrôle du Hamas ». Si cette promesse est tenue, le Hamas, sans les armes stratégiques et les ressources nécessaires pour jouer au grand jeu, serait condamné à n’être plus que le premier gang de Gaza. Sans capacité de distribuer des logements et du travail, sans pouvoir reconstruire des infrastructures et avec des soldats israéliens sur le sol de Gaza, le mouvement islamiste perdra sa légitimité populaire. Surtout si, à quelques centaines de mètres, dans le périmètre occupé par Israël, les travaux avancent.
Autrement dit, sauf coup de théâtre, le Hamas conserve le pouvoir de nuire, pas celui de faire danser toute la région au rythme de ses lubies meurtrières. De ce point de vue, la situation stratégique d’Israël s’est nettement améliorée par rapport au 6 octobre 2023. L’affaiblissement réel et significatif du Hezbollah, du Hamas, de l’Iran et la Syrie, ouvre des perspectives prometteuses dans la région et au-delà. Et le plan Trump a au moins un mérite : Israël a pu prendre ses gains et quitter la table pour convertir les jetons gagnés par la force en monnaie diplomatique. Cependant, la fenêtre d’opportunité ne restera pas ouverte indéfiniment. Et pendant ce temps, la crise politique déclenchée par la réforme judiciaire continue de diviser le pays et de fragiliser ses institutions. Alors que les élections n’auront probablement lieu que dans un an, on peut aussi compter sur les Palestiniens de Cisjordanie et sur les colons pour jeter de l’huile sur les braises.
Reste à espérer que l’Etat hébreu jouera finement de cette position de force et saura tirer parti des tensions, bien réelles et promises à s’intensifier, au sein de la société gazaouie, qui commence seulement à réaliser la catastrophe qu’elle vient de vivre. À Gaza, le « jour d’après » risque fort d’être un jour sans fin.
Le conservateur José Antonio Kast affrontera Jeannette Jara au deuxième tour. Il est favori.
Les élections générales (présidentielle, législatives et sénatoriales) qui se sont tenues dimanche 16 novembre au Chili ont confirmé un net basculement à droite, voire à l’extrême droite, de l’Amérique du Sud. Sauf très improbable revirement de l’électorat, le candidat de celle-ci, José Antonio Kast, avocat de 59 ans, est en « pole position » pour l’emporter au second tour de la présidentielle prévu le 14 décembre, auquel seront à nouveau appelés les 15 millions d’électeurs. Le vote est obligatoire.
Une gauche unie au premier tour
Certes, sa rivale Jeannette Jara, 51 ans, également avocate, communiste, désignée candidate de toute la gauche à l’issue d’une primaire allant des démocrates-chrétiens au PC — à l’exception des écologistes et des régionalistes — et ex-ministre du Travail du gouvernement actuel (elle a démissionné pour pouvoir se présenter), est arrivée en tête du premier tour avec 26,85 %. Un résultat en réalité décevant : les sondages lui donnaient jusqu’à 33 %. Elle a fait le plein des voix de gauche et ne dispose dès lors pratiquement pas de réserves de voix pour espérer être élue. Avec ses 23,92 %, M. Kast arrive second et la talonne. En outre, il a fait quatre points de mieux que ce que lui attribuaient les mêmes prédictions.
Pour que la candidate de gauche gagne, il faudrait qu’elle capte la totalité des 19,7 % recueillis par le candidat populiste plutôt classé à droite, Franco Parisi, dit « l’économiste du peuple », un ingénieur commercial de 51 ans, ainsi que les suffrages de trois autres candidats qui totalisent moins de 4 %.
Arrivé troisième, M. Parisi est la petite surprise de ce scrutin. Les prévisions lui attribuaient cinq points de moins que le score obtenu, mais surtout le classaient en quatrième position derrière un postulant libertarien, Johannes Kaiser, 49 ans, personnage fantasque aux multiples professions successives, se voulant la réplique du président argentin Javier Milei de ce côté-ci des Andes.
À la différence de Kaiser, qui avait fait savoir d’avance que s’il n’accédait pas au second tour il appellerait ses partisans à reporter leurs suffrages « sur tout autre candidat qui ne soit pas la communiste Jara », M. Parisi, lui, s’est borné à dire qu’il revenait aux deux rivaux en lice « de gagner les faveurs de ses électeurs ». Lors de la présidentielle de 2021, où il avait déjà terminé à la troisième place, il avait appelé à voter, au second tour opposant l’actuel président Gabriel Boric — d’une gauche radicale s’apparentant à une France insoumise plus policée — à ce même Kast, pour ce dernier. Dès lors, même s’il laisse cette fois la liberté de vote à ses électeurs, il est probable que la majorité d’entre eux ne se reporte pas sur la candidate de gauche…
La candidate de la droite traditionnelle, Evelyn Matthei, ancienne ministre du Travail, économiste de 72 ans, dont le père, général, fut membre de la junte militaire pendant la dictature d’Augusto Pinochet, est arrivée quatrième avec seulement 12,47 %. Autrement dit, M. Kast a siphonné un bon quota de voix de cette droite traditionnelle, laquelle avait pris ses distances avec la dictature de Pinochet sans toutefois rompre avec les fondements économiques et institutionnels de celle-ci — comme, par paradoxe chilien, une grande partie de la gauche.
Si, à la mi-décembre, les urnes n’infirment pas la logique du premier tour, l’élection de M. Kast sera plus qu’une victoire de l’extrême droite : elle constituera en quelque sorte le retour par procuration du général Pinochet.
Un héritier
Lorsqu’il avait postulé pour la première fois à la magistrature suprême, en 2017, en indépendant, il n’avait obtenu que 7,9 %. M. Kast se réclamait alors ouvertement de ce dernier. À sa seconde tentative, en 2021, après avoir créé deux ans auparavant le Parti républicain, inspiré du modèle américain, et obtenu 44 % au second tour, il revendiquait toujours cette filiation. Même s’il s’est montré plus discret à ce propos cette fois-ci, il n’en demeure pas moins que, pour l’opinion publique chilienne, il reste l’héritier putatif de Pinochet.
Son frère Miguel fut ministre sous la dictature puis directeur de la Banque centrale. Cadet d’une famille de neuf enfants, José Antonio Kast avait 7 ans lors du coup d’État militaire de 1973 qui porta Pinochet au pouvoir, et 20 ans quand celui-ci le céda à la suite d’un référendum perdu. Le fait que son père ait été soldat de la Wehrmacht durant la Seconde Guerre mondiale, membre du parti nazi (mais qui ne l’était pas à cette époque en Allemagne ?), exilé en 1950 comme beaucoup d’autres dans ce pays andin abritant depuis la fin du XIXᵉ siècle une forte communauté germanique et serbo-croate, n’a pas interféré dans la campagne1.
C’est au contraire M. Kast qui a donné le tempo de la campagne électorale en promettant une main dure contre l’insécurité et l’immigration, à telle enseigne que la candidate de gauche a été contrainte de s’y rallier peu ou prou, ajoutant qu’elle était en revanche « pour la sécurité des fins de mois et de l’assiette pleine ».
Kast s’est engagé à construire, à l’instar de Donald Trump, un mur le long des frontières bolivienne et péruvienne pour endiguer le flot migratoire, à expulser tout délinquant étranger, à assouplir les règles d’usage des armes à feu par la police, à libéraliser leur port pour les civils, et envisage la construction d’une méga-prison sur le modèle salvadorien du président Nayib Bukele, qui fait école en Amérique latine. Très catholique, il s’est prononcé contre l’avortement, y compris en cas de viol ou de danger pour la femme. Il veut réintroduire l’enseignement facultatif de la religion dans les écoles publiques.
Mais surtout, sur le plan économique, il entend renouer avec les préceptes de l’ultralibéralisme prôné par l’école de Chicago de Milton Friedman, que Pinochet appliqua scrupuleusement. En somme, son ambition est de mettre un terme au cycle de 35 ans d’hégémonie politique du centre-gauche qui a suivi la fin du régime militaire en 1990, à l’exception de deux intermèdes de droite traditionnelle (2010-2014 et 2018-2022) sous les présidences de Sebastián Piñera.
Faute de majorité parlementaire, ce dernier ne put rompre, comme il s’y était engagé, avec la politique d’un régime où alternaient à la tête d’un État très centralisé un démocrate-chrétien puis, la fois suivante, un socialiste, sans que rien ne bouge réellement… C’est cet immobilisme qui a suscité une forme de dégagisme lors du scrutin de dimanche : les trois partis de droite incarnés par Kast, Kaiser et Matthei forment déjà un bloc parlementaire disposant d’une majorité absolue. Il ne leur manque plus que la présidence, qui ne devrait pas leur échapper.
Point que Libération s’est empressé de mettre en exergue dans son titre lundi, dans l’intention bien entendue maligne de dire : « tel père, tel fils. » ↩︎