Israël a obtenu le retour des otages vivants et une partie des corps des otages morts. Cependant, les espoirs suscités par le plan de paix de Trump de voir le Hamas rendre les armes et se retirer de la scène politique sont déjà déçus. On peut même redouter une libanisation de Gaza, avec un Hamas jouant le rôle du Hezbollah.
C’était trop beau pour être vrai. Libération immédiate de tous les otages, morts et vivants, désarmement du Hamas et exclusion du mouvement terroriste de toute gouvernance à Gaza ou ailleurs, tout cela pour le modique prix d’un cessez-le-feu sans engagement israélien ni assurance américaine de mettre fin à la guerre. Pour Israël, les 20 points devenus le « plan Trump pour Gaza » semblaient parfaits. Un mois plus tard, on constate que la perfection n’est pas de ce monde.
Certes, le Hamas a libéré rapidement et en une seule fois tous les otages encore vivants, perdant ainsi sa carte maîtresse, et ce n’est pas rien, loin de là. Sauf que, la proposition de rendre tous les otages morts et vivants en échange de la fin définitive de la guerre était déjà sur la table depuis au moins février. Ce que Trump propose avec ses 20 points était bien plus favorable pour Israël : un processus menant automatiquement et sans heurts d’une phase 1 – cessez-le-feu, fin des hostilités et libération des otages – à la phase 2 – désarmement du Hamas et son éloignement de la gouvernance de la bande de Gaza –, puis au déploiement des forces de maintien de la paix, et au bout du chemin à la fin définitive de la guerre.
En Israël, si le gouvernement était passablement circonspect, une grande partie de la population a célébré le plan Trump comme un nouveau 8 mai 1945 et pavoisé ses rues à l’effigie du nouveau Roosevelt. Si le Nobel était décerné à Tel-Aviv, Trump l’aurait eu le jour même. C’est évidemment prématuré. Les chefs du Hamas ne se sont pas suicidés dans les tunnels qu’ils avaient construits pour se protéger. Le mouvement terroriste est beaucoup moins affaibli que la Wehrmacht en 1945 et bien mieux conseillé. Pris de court par Trump, il a réussi à desserrer l’étau au moyen de manigances, coups de force et revirements, gagnant du temps et du champ politique.
Manigances
Le Hamas a d’abord feint de se plier aux pressions américaines, qatariennes, turques et égyptiennes. Finalement ses dirigeants ont accepté la proposition de Donald Trump, parce qu’ils ont compris que, s’ils devaient libérer les otages vivants, ils pourraient faire traîner en longueur la restitution des dépouilles des otages morts et avec elle la première phase du plan Trump. Ce qui n’empêche pas les médias et les chancelleries de proclamer que le Hamas respecte le deal.
Il rend donc les corps au compte-gouttes et profite de la prolongation de cette phase de libération des otages pour se renforcer et tenter de rendre le désarmement prévu par la deuxième phase impossible. Sur le terrain, ses militants n’ont pas perdu une seconde pour reconstruire les bases de leur domination militaire, politique et économique. Avant même la grande messe de Charm el-Cheikh, le 13 octobre, le mouvement islamiste a engagé une violente reprise en main de Gaza, en lançant une guerre civile miniature contre des clans et des familles jugés dissidents ou accusés de collaboration avec Israël.
Le premier épisode de cette vendetta a lieu le 12 octobre. Il se déroule au sud de Gaza-ville, lorsque le Hamas tente de désarmer et d’arrêter des membres du puissant clan Doghmush. Lors des combats, au moins 27 personnes auraient été tuées, dont huit du Hamas. Certaines sources évoquent un bilan bien plus lourd, qui atteindrait jusqu’à 64 morts. Ce conflit rappelle les affrontements sanglants de 2007, lorsque le Hamas avait renversé le Fatah à Gaza. Le fait que le mouvement ait lancé cette opération si rapidement montre qu’il entend reprendre son monopole des armes et ne tolérera pas les autonomies tribales qui s’étaient développées pendant son affaiblissement temporaire durant la guerre.
Le 13 octobre, au moment où on sable le jus d’orange à Charm el-Cheikh, la répression se mue en une véritable campagne de terreur, qualifiée par la milice de « stabilisation ». Derrière ce vocabulaire se cache une journée d’arrestations arbitraires, de perquisitions brutales et de violences contre des groupes et des individus perçus comme des menaces.
Le 14 octobre, le Hamas passe de la reconquête à la terreur de masse. Il diffuse une vidéo, authentifiée par plusieurs médias, montrant l’exécution par balle dans la nuque de huit hommes ligotés, agenouillés et les yeux bandés. Les victimes, désignées comme des « collabos » ou des « hors-la-loi », sont abattues sous les yeux de civils contraints d’assister à la scène.
Le 15 octobre, de nouveaux rapports font état d’exécutions publiques et de raids armés menés par le Hamas contre des familles considérées comme dissidentes ou soupçonnées d’avoir soutenu des factions rivales. En moins d’une semaine, Gaza a ainsi connu une série de violences internes destinées à réprimer systématiquement toute structure non alignée sur le Hamas, avec un bilan de plus d’une centaine de morts. Sûr de lui et en passe de redevenir dominateur, le mouvement islamiste peut dès lors se tourner vers son grand rival dans la bande de Gaza : l’État juif.
19 octobre, le jour où l’édifice diplomatique a failli s’effondrer
Le 19 octobre, dix jours après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, deux soldats israéliens sont tués près de Rafah, lors d’une attaque menée par des cellules encore actives du Hamas dans les ruines de cette zone frontalière avec l’Égypte. La gravité de l’incident provoque immédiatement une réaction de Tsahal. Israël suspend, puis rétablit partiellement l’acheminement de l’aide humanitaire. Certains de ses ministres appellent à considérer le plan Trump comme caduc et à reprendre la guerre. Le Hamas nie aussitôt toute responsabilité, mais il est tout simplement inimaginable que le mouvement islamiste, qui a repris avec une telle brutalité le contrôle de Gaza, ait laissé un groupe armé prendre de sa propre initiative le risque de torpiller le cessez-le-feu.
Cet incident, et la perspective de voir l’édifice diplomatique s’effondrer, ont poussé Washington à dépêcher en Israël en mission qualifiée par la presse israélienne de « Bibi Sitter » le vice-président J. D. Vance, accompagné des deux négociateurs en chef, Steven Witkoffet Jared Kushner. Le trio a contraint Netanyahou au cessez-le-feu, mais les Américains savent que le plan Trump, très avantageux pour Israël, déplaît souverainement au Hamas. Ils savent aussi que, pour Erdogan par exemple, le fait que le Hamas grignote sa voie vers le statu quo ante 7-Octobre n’est qu’une adaptation naturelle du plan Trump à la réalité du terrain. Israël se trouve donc acculé par ces grignotages à des choix binaires : rompre ou avaler la potion amère. Ainsi, même si pour le moment, la coordination entre les États-Unis et Israël se déroule comme prévu (avec la participation active des Britanniques présents en Israël, dévoile The Times), le grignotage constant du Hamas met ces mécanismes à l’épreuve.
En Israël, les principales craintes concernent un désaccord sur les lignes exactes où se déploiera Tsahal, les règles d’engagement ainsi que sur sa liberté d’imposer des sanctions au Hamas en contrôlant – et au besoin en réduisant – le flux de l’aide. Israël s’attend donc à des pressions constantes pour « laisser passer, laisser couler » face à « de petites violations » ou « des infractions mineures ». On l’a vu le 28 octobre, après un tir de roquette sur un engin de Tsahal qui a tué un soldat. Face à cette violation flagrante, les Américains ont certes soutenu une réplique israélienne conséquente, mais ils se sont hâtés de refermer la parenthèse et de proclamer que le cessez-le-feu était toujours en vigueur. À l’évidence, si les intérêts de Washington et Jérusalem convergent largement, surtout sur le long terme, ils ne sont pas toujours identiques. Notamment autour du rôle que pourrait tenir Ankara dans « le jour d’après » à Gaza.
Pour Israël, qui voit en Erdogan un adversaire stratégique en Syrie et dans le bassin oriental de la Méditerranée ainsi qu’un soutien du Hamas et des Frères musulmans, il n’est pas question que des militaires turcs stationnent sur sa frontière. Pour Trump en revanche, Erdogan est un garçon formidable avec lequel les États-Unis entendent faire des affaires. Certes, lors d’une conférence de presse sur la base américaine de Kiryat Gat (sud d’Israël), J. D. Vance a promis que l’administration n’imposerait pas à Israël la composition de la force qui sera déployée à Gaza pour superviser l’application du cessez-le-feu. Mais en réalité, il entend bien laisser la Turquie y jouer « un rôle constructif ».
Au moment où nous bouclons, le Hamas détient toujours les corps de 12 otages. En exerçant sa terreur sur la population, il espère devenir le partenaire incontournable de la reconstruction de Gaza. Seulement, cette ambition se heurte à un obstacle de taille. Les gigantesques et très coûteux projets de reconstruction (et donc sa future pompe à fric) ne débuteront que si les puissances sollicitées pour les financer (l’Arabie saoudite, les Émirats et le Qatar) sont assurées de l’autorisation d’Israël, dont l’armée est capable de tout anéantir en quelques heures.
Une évolution à la libanaise ?
C’est donc le début d’une partie qui promet d’être longue et très serrée. La supposée force de sécurité à Gaza sera-t-elle déployée ? Selon Donald Trump, tout est prêt et les participants trépignent d’impatience. Il a ainsi écrit sur son réseau Truth Social : « Nombre de nos désormais GRANDS ALLIÉS au Moyen-Orient [Qatar, Arabie saoudite, EAU et Turquie, NDLR], et dans les régions voisines [Azerbaïdjan et Pakistan, NDLR], m’ont […] fait savoir qu’ils accueilleraient favorablement l’opportunité, à ma demande, d’entrer à GAZA avec une force importante pour “remettre le Hamas dans le droit chemin”, si celui-ci continue à se comporter mal, en violation de son accord avec nous. […] Il reste encore l’espoir que le Hamas fasse ce qu’il faut. S’il ne le fait pas, la fin du Hamas sera RAPIDE, FURIEUSE et BRUTALE ! »
Pour le moment, cette déclaration n’a pas plus de poids que la promesse de transformer Gaza en Riviera. Car même si cette force voyait le jour et le terrain de Gaza, elle pourrait bien ressembler à la Finul, déployée au Liban en 1978 et devenue, après quelques attentats contre ses Casques bleus, la caution du Hezbollah au Sud-Liban.

Une évolution « à la libanaise » n’est donc pas du tout exclue. Dans le rôle du Hezbollah, le Hamas assurerait la « résistance » contre « l’ennemi sioniste ». Dans ce scénario, le mouvement palestinien contrôlerait le territoire sans participer directement à son gouvernement, tout en captant une part de la manne économique destinée à la reconstruction.
Face à ces manigances, Israël dispose de deux cartes maîtresses pour empêcher la libanisation de Gaza et sauver l’esprit des 20 points : son armée occupe plus de la moitié de la bande de Gaza, désormais divisée en deux par la « ligne jaune », et surtout, l’État juif pourrait à tout moment, face à un réarmement du Hamas (et non pas une simple violation du cesser-le-feu) jugé insoutenable, réagir par la force et, le cas échéant, détruire tout début de reconstruction émergeant du sol.
Et ce n’est nul autre que Jared Kushner qui a explicité cette menace. Le 23 octobre, en réponse à un journaliste d’Haaretz, le gendre de Donald Trump a annoncé que les États-Unis envisageaient de commencer la reconstruction des zones sous contrôle israélien, précisant qu’« aucune reconstruction n’aurait lieu dans les zones encore sous le contrôle du Hamas ». Si cette promesse est tenue, le Hamas, sans les armes stratégiques et les ressources nécessaires pour jouer au grand jeu, serait condamné à n’être plus que le premier gang de Gaza. Sans capacité de distribuer des logements et du travail, sans pouvoir reconstruire des infrastructures et avec des soldats israéliens sur le sol de Gaza, le mouvement islamiste perdra sa légitimité populaire. Surtout si, à quelques centaines de mètres, dans le périmètre occupé par Israël, les travaux avancent.
Autrement dit, sauf coup de théâtre, le Hamas conserve le pouvoir de nuire, pas celui de faire danser toute la région au rythme de ses lubies meurtrières. De ce point de vue, la situation stratégique d’Israël s’est nettement améliorée par rapport au 6 octobre 2023. L’affaiblissement réel et significatif du Hezbollah, du Hamas, de l’Iran et la Syrie, ouvre des perspectives prometteuses dans la région et au-delà. Et le plan Trump a au moins un mérite : Israël a pu prendre ses gains et quitter la table pour convertir les jetons gagnés par la force en monnaie diplomatique. Cependant, la fenêtre d’opportunité ne restera pas ouverte indéfiniment. Et pendant ce temps, la crise politique déclenchée par la réforme judiciaire continue de diviser le pays et de fragiliser ses institutions. Alors que les élections n’auront probablement lieu que dans un an, on peut aussi compter sur les Palestiniens de Cisjordanie et sur les colons pour jeter de l’huile sur les braises.
Reste à espérer que l’Etat hébreu jouera finement de cette position de force et saura tirer parti des tensions, bien réelles et promises à s’intensifier, au sein de la société gazaouie, qui commence seulement à réaliser la catastrophe qu’elle vient de vivre. À Gaza, le « jour d’après » risque fort d’être un jour sans fin.





