Défense radicale des minorités se faisant au détriment de la cohésion sociale en Occident, le wokisme – très à la mode ces dernières années – est en perte de vitesse. C’est que l’élection de Trump a mis un coup d’arrêt à son expansion délirante. Et que la convergence des luttes a ses limites! Mais, on peut aussi craindre qu’il finisse par revenir plus fort que jamais.
Le 20 janvier dernier, Donald Trump, dans une mise en scène césarienne, a signé une série de décrets présidentiels, touchant des domaines forts différents, comme la politique sociétale, l’aide militaire, en passant par la fin du financement de certaines grandes organisations internationales. On sent désormais une certaine accélération de l’histoire et le changement de ton par rapport à son premier mandat. La première présidence Trump marquait la fin d’une époque, mais tout porte à croire que la seconde entame le début d’une nouvelle ère sous nos yeux tétanisés ou ébahis, signifiant peut-être la fin de l’idéologie woke en Occident, mais est-ce vraiment le cas ?
Le wokisme, cette idéologie voulant lutter contre les inégalités, avait connu un grand succès au cours de la dernière décennie. Elle était devenue presque une religion et avait su convaincre de nombreux secteurs de la société : les universités, mais également les entreprises et les gouvernements. Cependant, les semaines qui viennent de s’écouler démontrent peut-être que, tout compte fait, le wokisme n’a été qu’une parenthèse, qu’un château de cartes porté sur des bases trop peu solides: annulations de certains programmes EDI dans diverses entreprises, ralliement des grands patrons de la Silicon Valley au président Trump après sa réélection, etc. Par ailleurs, lorsque l’on compare le taux d’approbation chez les jeunes en janvier 2025 à celui de janvier 2017, début de son premier mandat, la différence saute aux yeux: selon YouGov, c’est respectivement 53% de taux d’approbation contre 30%, soit une progression de plus de 20 points chez la jeunesse américaine, ce qui n’est pas rien puisqu’elle représente l’avenir du pays et est un indicatif en somme (1). On assiste donc peut-être à un véritable basculement. Cette idéologie n’a jamais été un objet de conviction, mais bien un objet de conformité. Certains la défendaient « parce qu’il fallait bien faire comme tout le monde. »
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La preuve en est que, sur le plan politique et des institutions, qu’elles soient publiques ou privées, une série d’entre elles ont fait un pari sur le wokisme en achetant ce discours – pensant que ce serait l’avenir. D’ailleurs, tout porte à croire pour l’instant que cette idéologie avait atteint son paroxysme durant la présidence de Joe Biden, et même déjà sous le premier mandat de Donald Trump. Ce paroxysme s’est manifesté avec force lors des mobilisations de la jeunesse dénonçant le meurtre de George Floyd par un policier blanc en 2020.

Une idée qui se mord par la queue
Mais le wokisme est-il définitivement derrière nous? Aurons-nous encore à subir ses excès dans nos sociétés dans les années à venir? Rappelons que le wokisme est une forme de néo-progressisme ayant hérité de certains attributs du marxisme, notamment sa focalisation sur les luttes identitaires et la défense des minorités, une défense se faisant au détriment de la cohésion sociale. C’est aussi une intersectionnalité des luttes, puisqu’au moment où le communisme s’est effondré dans les années 80 et 90, beaucoup de militants de la gauche sont restés mentalement ancrés dans un univers communiste, ce qui les a amenés à continuer à intégrer des gens politiquement comme la chose se faisait des décennies plus tôt. Ainsi, lorsque la gauche a fini d’intégrer un certain groupe politique, elle cherche à intégrer d’autres catégories de la population, ce qui explique qu’elle puisse se renouveler politiquement depuis des années.
Cette gauche a donc voulu à la fois défendre les minorités sexuelles, mais également l’immigration de masse, provenant en majorité de pays du Maghreb, d’Afrique noire, d’Inde ou du Pakistan, ce qui démontre, comme par le passé, qu’elle use toujours d’une stratégie ayant fait date : défendre les masses, mais également des idéologies minoritaires. Cependant, les choses ne pouvaient durer, car à un moment, les contradictions sautent au visage : on ne peut défendre à la fois le mouvement LGBT et l’islamisme, par exemple. Au fond, la gauche joue une pièce qu’elle avait déjà jouée dans le passé au XIXe siècle en essayant de chercher à intégrer toutes sortes de luttes minoritaires. Par exemple, au plus fort de la révolution industrielle en Europe, cette gauche a voulu à la fois défendre les masses ouvrières, mais également toutes les idéologies considérées comme superficielles à l’époque, comme l’anarchisme ou l’écologisme. Cependant, à mesure que le mouvement ouvrier a pris de l’ampleur vers la fin du XIXe siècle, ces luttes minoritaires ont été déconsidérées, puisqu’extrêmement impopulaires au sein du prolétariat.
De la même manière, le wokisme contemporain risque de connaître un déclin similaire. Les contradictions inhérentes – par exemple, la promotion de l’intersectionnalité qui tente d’unir des groupes aux valeurs souvent incompatibles – deviennent de plus en plus évidentes. Lorsque la gauche progressiste intègre de nouveaux « opprimés » sans résoudre ces tensions, elle s’expose à une fragmentation interne, comme l’a observé Chantal Delsol dans son analyse du moralisme rigide.
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Ce processus n’est pas nouveau ; il reflète une stratégie cyclique de la gauche, qui, après l’effondrement du communisme, a pivoté vers des identités fragmentées pour se renouveler.
À la question de savoir si ce déclin est imminent, certains faits récents tendent à le montrer, du moins, on peut constater un léger reflux de cette idéologie qui peut s’expliquer par la prise du pouvoir par la nouvelle administration américaine. Un exemple des plus frappant est le fait que certaines entreprises de la Silicon Valley en Californie ont annulé ou réduit leurs initiatives en matière d’équité, diversité et inclusion (DEI), pour des raisons de coûts excessifs et un manque de retour sur investissement. Apple a mis en ligne pour la première fois depuis des années une publicité mettant en scène une famille blanche américaine de la classe moyenne, ce qui ne se voyait plus dans le monde du marketing des GAFAM depuis longtemps. Par ailleurs, sur le plan politique, l’administration américaine a promulgué des décrets visant à démanteler ce qu’elle qualifie d’idéologie «woke» dans l’éducation et les institutions fédérales.
Ce mouvement ne se limite pas aux États-Unis, puisque, sur le Vieux Continent européen, plusieurs partis nationalistes très critiques de l’immigration et du wokisme gagnent du terrain dans les urnes et dans les sondages, comme le Rassemblement national en France et le Reform Party au Royaume-Uni. Ces évolutions montrent que le mouvement woke perd du terrain au profit de priorités plus pressantes pour la population, comme le pouvoir d’achat ou l’immigration.
Une résistance en vue
Malgré tout, assiste-t-on à un véritable recul du wokisme? Rien n’est moins sûr et tout porte à croire que ses partisans pourraient se radicaliser dans des combats d’arrière-garde face à leur perte d’influence sur le champ de bataille des idées. L’exemple le plus frappant et le plus tragique qui peut nous venir en tête est l’assassinat fatidique de Charlie Kirk, jeune conservateur et supporteur de Donald Trump qui avait fondé une organisation nommée Turning Point dans le but de débattre sur la place publique et particulièrement sur les campus américains dans le but de faire progresser les idées de la droite américaine et une certaine vision de l’Amérique. Au fond, c’était surtout pour convaincre un public plus jeune et à la merci du wokisme, ce dernier étant justement né sur les campus américains.

Cependant, certains éléments radicaux n’en ont eu cure et il n’a fallu qu’un tireur suffisamment entraîné pour enlever la vie au jeune influenceur qui avait le vent en poupe et qui était même pressenti à la présidence des États-Unis un de ces jours ou à tout le moins à des postes d’importance en politique.
La suite de cette stratégie a comme été le rideau qui s’est levé ou l’apocalypse au sens biblique du terme sur ce qu’était réellement une certaine gauche : la détestation de son adversaire. Pire encore, certains ont manifesté leur joie devant la mort de l’influenceur conservateur sur les réseaux sociaux au travers de vidéos TikTok ou Snapchat plus insignifiantes les unes que les autres. Ce brouhaha était également accompagné d’un discours du genre : «je suis pour la liberté d’expression, mais il l’avait bien cherché.» Ces deux attitudes témoignaient au fond d’une certaine haine de tout ce qui n’est pas en concordance avec les idées d’une certaine gauche progressiste détenant à elle seule le monopole du beau et du bien.
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Ces réactions en disent plus sur le wokisme et à travers elles, il est possible d’entrevoir le futur du mouvement. Tout porte à croire que cette idéologie pourrait se radicaliser alors que ses adversaires pourraient faire de même de l’autre côté du spectre politique, ce qui présuppose des temps sombres pour la vie des idées américaines ; au mieux, une certaine atmosphère de tensions palpable à travers toutes les couches de la société ou, dans le pire des cas, la guerre civile, comme les États-Unis l’ont connue au XIXe siècle.
Cette radicalisation de la gauche woke est déjà à nos portes. L’exemple le plus frappant est le candidat démocrate à la mairie de New York, Zohran Mamdani, qui veut notamment exercer une discrimination quant aux logements sur les blancs pour ne citer que l’une des propositions de son programme politique. En réaction, le camp conservateur pourrait mobiliser davantage ses partisans et même rallier des électeurs du centre, voire du centre gauche. Ce phénomène avait déjà été largement observé lors de la première élection de Donald Trump, notamment à travers l’écart croissant entre les villes et les campagnes, ou ce que l’essayiste Christophe Guilluy a nommé « la périphérie ».
En définitive, le wokisme est-il derrière nous ? Le phénomène n’est pas totalement vaincu et il serait prématuré de le considérer comme enterré. On assiste plutôt à un léger reflux de cette idéologie. S’agit-il d’un recul temporaire, lié à un effet de mode ou à l’arrivée d’une nouvelle administration américaine au pouvoir ? Ou bien d’un apaisement factice et trompeur, susceptible de laisser place à un retour plus vigoureux une fois l’actuel locataire de la Maison-Blanche parti ? Seul le temps pourra véritablement nous le dire.
1. ORTH T et MONTGOMERY D, «Comparing the Start of Donald Trump’s first and second terms, policy, and the economy: January 26-28, 2025 Economist/Yougov Poll», YouGov, today.yougov.com, publié le 29 janvier 2025
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