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Chili: le retour par procuration de Pinochet

José Antonio Kast en position de force


Chili: le retour par procuration de Pinochet
L'ultraconservateur Jose Antonio Kast à Santiago,11 novembre 2025 © Cristobal Basaure Araya //SIPA

Le conservateur José Antonio Kast affrontera Jeannette Jara au deuxième tour. Il est favori.


Les élections générales (présidentielle, législatives et sénatoriales) qui se sont tenues dimanche 16 novembre au Chili ont confirmé un net basculement à droite, voire à l’extrême droite, de l’Amérique du Sud. Sauf très improbable revirement de l’électorat, le candidat de celle-ci, José Antonio Kast, avocat de 59 ans, est en « pole position » pour l’emporter au second tour de la présidentielle prévu le 14 décembre, auquel seront à nouveau appelés les 15 millions d’électeurs. Le vote est obligatoire.

Une gauche unie au premier tour

Certes, sa rivale Jeannette Jara, 51 ans, également avocate, communiste, désignée candidate de toute la gauche à l’issue d’une primaire allant des démocrates-chrétiens au PC — à l’exception des écologistes et des régionalistes — et ex-ministre du Travail du gouvernement actuel (elle a démissionné pour pouvoir se présenter), est arrivée en tête du premier tour avec 26,85 %. Un résultat en réalité décevant : les sondages lui donnaient jusqu’à 33 %. Elle a fait le plein des voix de gauche et ne dispose dès lors pratiquement pas de réserves de voix pour espérer être élue. Avec ses 23,92 %, M. Kast arrive second et la talonne. En outre, il a fait quatre points de mieux que ce que lui attribuaient les mêmes prédictions.

Pour que la candidate de gauche gagne, il faudrait qu’elle capte la totalité des 19,7 % recueillis par le candidat populiste plutôt classé à droite, Franco Parisi, dit « l’économiste du peuple », un ingénieur commercial de 51 ans, ainsi que les suffrages de trois autres candidats qui totalisent moins de 4 %.

Arrivé troisième, M. Parisi est la petite surprise de ce scrutin. Les prévisions lui attribuaient cinq points de moins que le score obtenu, mais surtout le classaient en quatrième position derrière un postulant libertarien, Johannes Kaiser, 49 ans, personnage fantasque aux multiples professions successives, se voulant la réplique du président argentin Javier Milei de ce côté-ci des Andes.

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À la différence de Kaiser, qui avait fait savoir d’avance que s’il n’accédait pas au second tour il appellerait ses partisans à reporter leurs suffrages « sur tout autre candidat qui ne soit pas la communiste Jara », M. Parisi, lui, s’est borné à dire qu’il revenait aux deux rivaux en lice « de gagner les faveurs de ses électeurs ». Lors de la présidentielle de 2021, où il avait déjà terminé à la troisième place, il avait appelé à voter, au second tour opposant l’actuel président Gabriel Boric — d’une gauche radicale s’apparentant à une France insoumise plus policée — à ce même Kast, pour ce dernier. Dès lors, même s’il laisse cette fois la liberté de vote à ses électeurs, il est probable que la majorité d’entre eux ne se reporte pas sur la candidate de gauche…

La candidate de la droite traditionnelle, Evelyn Matthei, ancienne ministre du Travail, économiste de 72 ans, dont le père, général, fut membre de la junte militaire pendant la dictature d’Augusto Pinochet, est arrivée quatrième avec seulement 12,47 %. Autrement dit, M. Kast a siphonné un bon quota de voix de cette droite traditionnelle, laquelle avait pris ses distances avec la dictature de Pinochet sans toutefois rompre avec les fondements économiques et institutionnels de celle-ci — comme, par paradoxe chilien, une grande partie de la gauche.

Si, à la mi-décembre, les urnes n’infirment pas la logique du premier tour, l’élection de M. Kast sera plus qu’une victoire de l’extrême droite : elle constituera en quelque sorte le retour par procuration du général Pinochet.

Un héritier

Lorsqu’il avait postulé pour la première fois à la magistrature suprême, en 2017, en indépendant, il n’avait obtenu que 7,9 %. M. Kast se réclamait alors ouvertement de ce dernier. À sa seconde tentative, en 2021, après avoir créé deux ans auparavant le Parti républicain, inspiré du modèle américain, et obtenu 44 % au second tour, il revendiquait toujours cette filiation. Même s’il s’est montré plus discret à ce propos cette fois-ci, il n’en demeure pas moins que, pour l’opinion publique chilienne, il reste l’héritier putatif de Pinochet.

Son frère Miguel fut ministre sous la dictature puis directeur de la Banque centrale. Cadet d’une famille de neuf enfants, José Antonio Kast avait 7 ans lors du coup d’État militaire de 1973 qui porta Pinochet au pouvoir, et 20 ans quand celui-ci le céda à la suite d’un référendum perdu. Le fait que son père ait été soldat de la Wehrmacht durant la Seconde Guerre mondiale, membre du parti nazi (mais qui ne l’était pas à cette époque en Allemagne ?), exilé en 1950 comme beaucoup d’autres dans ce pays andin abritant depuis la fin du XIXᵉ siècle une forte communauté germanique et serbo-croate, n’a pas interféré dans la campagne1.

C’est au contraire M. Kast qui a donné le tempo de la campagne électorale en promettant une main dure contre l’insécurité et l’immigration, à telle enseigne que la candidate de gauche a été contrainte de s’y rallier peu ou prou, ajoutant qu’elle était en revanche « pour la sécurité des fins de mois et de l’assiette pleine ».

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Kast s’est engagé à construire, à l’instar de Donald Trump, un mur le long des frontières bolivienne et péruvienne pour endiguer le flot migratoire, à expulser tout délinquant étranger, à assouplir les règles d’usage des armes à feu par la police, à libéraliser leur port pour les civils, et envisage la construction d’une méga-prison sur le modèle salvadorien du président Nayib Bukele, qui fait école en Amérique latine. Très catholique, il s’est prononcé contre l’avortement, y compris en cas de viol ou de danger pour la femme. Il veut réintroduire l’enseignement facultatif de la religion dans les écoles publiques.

Mais surtout, sur le plan économique, il entend renouer avec les préceptes de l’ultralibéralisme prôné par l’école de Chicago de Milton Friedman, que Pinochet appliqua scrupuleusement. En somme, son ambition est de mettre un terme au cycle de 35 ans d’hégémonie politique du centre-gauche qui a suivi la fin du régime militaire en 1990, à l’exception de deux intermèdes de droite traditionnelle (2010-2014 et 2018-2022) sous les présidences de Sebastián Piñera.

Faute de majorité parlementaire, ce dernier ne put rompre, comme il s’y était engagé, avec la politique d’un régime où alternaient à la tête d’un État très centralisé un démocrate-chrétien puis, la fois suivante, un socialiste, sans que rien ne bouge réellement… C’est cet immobilisme qui a suscité une forme de dégagisme lors du scrutin de dimanche : les trois partis de droite incarnés par Kast, Kaiser et Matthei forment déjà un bloc parlementaire disposant d’une majorité absolue. Il ne leur manque plus que la présidence, qui ne devrait pas leur échapper.

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  1. Point que Libération s’est empressé de mettre en exergue dans son titre lundi, dans l’intention bien entendue maligne de dire : « tel père, tel fils. » ↩︎


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écrivain et journaliste français.

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