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Jean-Michel Blanquer, le ministre « pas de vague »

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Pour un ministre, Jean-Michel Blanquer est un homme épargné par la critique. C’est sans doute parce que le chef de l’Education nationale ne fait « pas de vague »: il est l’incarnation par excellence du ministre macronien.


Il y a quelques jours, on pouvait lire, dans Le Figaro, un article relatant la grande satisfaction du président Macron envers Jean-Michel Blanquer, décrit comme la figure emblématique du ministre macronien. Confortablement installé dans le paysage gouvernemental, le personnage bénéficie effectivement d’un regard pacifique ou indifférent, tant de la part de l’opinion publique que de celle de la classe politique. Pour l’Elysée, un bon ministre serait donc avant tout un ministre qui n’éveille pas d’oppositions, la question de son action restant tout à fait secondaire, voire subordonnée à cette qualité.

Blanquer, l’homme qu’on n’attaque pas

Cela dit, on peut se demander ce qui, chez cet homme mesuré dans ses propos et discret dans son action, peut bien susciter ce curieux mélange de bienveillance et d’indifférence qui en ferait un modèle. La réponse se trouve certainement du côté de ses occurrences médiatiques, peu spectaculaires mais efficaces et fréquentes, faisant chaque fois état de remarques de bon sens, d’annonces encourageantes ou de statistiques édifiantes.

Uniforme à l’école ou bien-être de l’élève, enseignement de l’anglais ou de l’arabe, dictées ou nouvelles méthodes, tous les classiques des conservateurs et des progressistes sont à un moment ou un autre l’objet d’une intervention rassurante dans chaque camp. Jean-Michel Blanquer fait remarquer un jour qu’un élève de CE1 sur deux a des difficultés en calcul, un autre jour il affirme que l’écriture inclusive n’a pas sa place à l’école, ou encore il annonce qu’il commande des rapports pour comprendre pourquoi Singapour réussit brillamment là où la France subit des échecs retentissants (en maths et en lecture). Chaque fois, ses interventions expriment autant d’analyses justes que de bonnes idées d’action, et chaque fois ses déclarations sont plutôt bien perçues par une majorité d’enseignants, à tel point que leurs syndicats peinent à trouver un angle d’attaque.

Si Blanquer était ministre…

Au fond, c’est dommage que Jean-Michel Blanquer ne soit pas ministre.

Ce n’est pas avec lui à la tête de la rue de Grenelle qu’on verrait au journal télévisé de France 2 des manuels prônant l’usage de l’écriture inclusive faire leur rentrée en école primaire !

Et puis, à l’écouter, il est certain qu’il aurait définitivement et intégralement abrogé cette lamentable réforme du collège de 2016, dont la lettre et l’esprit perdurent de fait aujourd’hui, ne serait-ce qu’en prolongeant les EPI, en maintenant certains horaires de mathématiques en-dessous de ceux de l’éducation physique ou en supprimant les notes dans certains collèges pour les remplacer par des couleurs (rouge, jaune, vert ou vert foncé) à mettre sur une tripotée de vagues et ineptes « compétences » que, hors cas extrêmes, tous les enseignants évaluent de façon aléatoire, c’est-à-dire sans barème, à la louche, au pifomètre, au doigt mouillé, regardant la copie de loin en clignant un peu des yeux et ne mettant au final que du jaune et du vert pour n’avoir d’ennuis avec personne.

A lire aussi: Ecoles hors contrat: doit-on encore envoyer ses enfants à l’école de la République?

Soyez assurés que si Jean-Michel Blanquer était ministre, il saurait que les miracles n’existent pas plus en éducation qu’ailleurs. Et que si ce sont des asiatiques et des Russes les champions du monde respectivement en mathématiques et en lecture, ce n’est certainement pas grâce à une mystérieuse méthode qui aurait le moindre point commun avec les délires de nos pédagogistes, mais tout simplement parce qu’ils appliquent les principes de grande quantité de travail et d’exigence rigoureuse qui étaient les nôtres jusque dans les années 60 et que nos ministres successifs ont depuis méthodiquement passés au hachoir. Ce n’est certainement pas Blanquer qui aurait achevé l’anéantissement de ces principes en créant maintenant au lycée une sorte de tronc commun de deux ans si large qu’il prolonge de fait le collège unique jusqu’à la classe de première, et dont on peut facilement démontrer qu’il va faire plonger encore plus bas le niveau des élèves en mathématiques. D’ailleurs, s’il avait été ministre, il n’aurait pas pu ignorer que, si les élèves allemands de quinze ans sont épanouis à l’école quand les français y souffrent d’anxiété, c’est parce que leur système prévoit des filières différenciées à partir de l’âge de douze ans, ce qui permet à chacun de suivre des enseignements adaptés à ses gouts, à ses capacités et à ses projets pendant que notre système de collège unique force tous les enfants à suivre le même chemin, provoquant ainsi le malheur et la honte des plus faibles, la bride et la frustration des plus forts et l’ennui de tous les autres. Le tout dans une baisse généralisée de niveau qui n’en finit pas. Et puis tout le monde sait bien que si Jean-Michel Blanquer était ministre, jamais il ne se laisserait rouler dans la farine par tous ces satellites gravitant autour de l’enseignement sans enseigner (mais expliquant comment il faut faire), tous ces formateurs et autres formateurs de formateurs, hier adeptes des sciences de l’éducation et aujourd’hui ayant trouvé refuge derrière les neuro-sciences qu’ils s’empressent de revendiquer pour sauver leur peau et nous annoncer d’un air important de misérables banalités qui contredisent d’ailleurs tous les principes qu’ils soutenaient encore hier.

Enfin, et surtout, si Jean-Michel Blanquer était ministre, il aurait mis fin au pire monument de légendes et de mensonges éducatifs – accélérant notre chute – que constitue cette usine à gaz appelée « évaluation par compétences en fin de cycle » qui n’a ni queue ni tête, qui met la poussière sous le tapis en faisant perdre un temps considérable et qui ne présente strictement aucun intérêt, sinon de faciliter l’obtention du Diplôme national du Brevet (DNB, ex Brevet des collèges, ex BEPC) pour donner un pauvre bout de papier à l’armée de gamins qui sortent chaque année sans rien du système scolaire et ainsi faire baisser leur nombre.

Sous Macron, les paroles prévalent sur l’action

Personne ne doute que, contrairement à ses trois prédécesseurs, Jean-Michel Blanquer est compétent et connait parfaitement la situation. Malheureusement, il appartient à l’ère macronienne et on comprend alors pourquoi il fait figure de ministre idéal aux yeux présidentiels : parce qu’en éducation comme ailleurs, la parole est prioritaire sur l’action, parce qu’encore et toujours, tout change pour que rien ne change.

A lire aussi: Blanquer: « Beaucoup de choses contre-productives ont été entreprises au nom de l’égalité »

En même temps réformes et immobilisme, en même temps nouveauté et conservatisme, Macron applique la vieille formule du « changement dans la continuité » inventée par Giscard il y a plus de 40 ans. Tout change pour que rien ne change. De son ultra-libéralisme thatchérien à ses petits sauts de cabri aux cris de « Europe ! Europe ! » en passant par sa perception des banlieues et de l’immigration, Macron réchauffe les mauvais discours et les idées épuisées des années 80 auxquelles il a ajouté le mépris des petites gens. Depuis plus d’un an que le personnage est exposé en place publique, la cire a fondu et nous découvrons hélas le visage lisse et sans empreinte de ceux qui, comme on en voit souvent dans les bonnes écoles ennuyeuses, ont toujours été immatures sans jamais avoir été jeunes. Quant à son proche entourage qu’on nous peignait comme une élite fourmillant de talents et de techniciens de haute volée, on le découvre réduit à une poignée de piètres courtisans qui, avant d’abandonner le navire, traînent un peu pour avoir le temps d’y apprécier la cantine.

On ne croyait pas que ce fût possible mais on l’aura finalement trouvé, celui qui réussit cet inimaginable tour de force : nous faire regretter Hollande.

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L’hébergement de migrants, une valeur refuge


La majeure partie de l’hébergement des demandeurs d’asile a été confiée à CDC Habitat, une filiale de la Caisse des dépôts qui a créé un Fonds d’investissement spécial. Ce produit financier dégage 3,5% de marge. Une bonne affaire. 


Filiale de la Caisse des dépôts, CDC Habitat a racheté fin 2016 au groupe Accor 62 hôtels F1 (ex-Formule 1). De quoi loger 7700 personnes, dans le cadre d’un appel d’offres public pour l’hébergement de 10 000 réfugiés, lancé par le gouvernement. Ayant remporté 70 % du marché, CDC Habitat a créé un fonds d’investissement social de 200 millions d’euros, abondé pour moitié par des institutionnels et pour moitié par la Banque du conseil européen. C’est avec les sommes levées qu’elle a racheté ses hôtels low cost à Accor, qui rechignait à financer leur indispensable rénovation. Le choix était judicieux. Cubes sans grâce construits dans les années 1980, hyperfonctionnels, la plupart des F1 sont posés en bordure de quatre voies, dans des zones d’activité. On n’y trouve guère de riverains susceptibles de monter au créneau contre le changement d’affectation des hôtels et l’arrivée de cette nouvelle clientèle atypique (qui s’avère du reste fort discrète). Inconvénient, les F1 sont excentrés. Ils ont été pensés pour des automobilistes. Concernant celui que nous avons visité, dans la zone commerciale de Gourvily, en périphérie de Quimper, les locataires ont trouvé une solution : des vieux vélos s’entassent devant l’entrée. Dans le hall, une affichette donne les horaires d’un atelier de réparation de cycles animé par des bénévoles. Bretagne, terre de migrations et de cyclisme.

Beaucoup mieux que le livret A

L’État accorde 16,50 euros par nuitées à CDC Habitat, ce qui permettra à la société de dégager une rentabilité de 3,5 % sur ce produit. Avec le livret A à 0,75 %, ce n’est pas si mal. Le rendement du réfugié est, point crucial, garanti par l’État, qui fournit les locataires et paye les loyers ! Comme placement sous-jacent d’un actif financier, on peut imaginer plus risqué.

A lire aussi: ONG et migrants, le business du cœur

« Nous allons industrialiser nos procédés et le contrat sur cinq ans nous permettra de réguler les dépenses », promettait dans Les Échos du 15 mars 2017 Vincent Mahé, le secrétaire général de CDC Habitat. La société ne manque pas d’expérience. Sa branche Adoma, en charge des foyers d’accueil, est l’ex-Sonacotra. Son investissement, mûrement réfléchi, par ailleurs, suggère que la « crise » des migrants est partie pour devenir structurelle. CDC Habitat pourrait difficilement amortir les sommes investies en cinq ans seulement. L’hébergement d’urgence ne se borne pas aux migrants, mais ces derniers en constituent néanmoins le segment le plus dynamique, le SDF classique faisant plutôt figure de marché mature, sans réel potentiel de croissance et avec une forte saisonnalité. Hors des pics de froids, le SDF est difficile à fidéliser, contrairement au demandeur d’asile.

Economique pour l’Etat

L’État, quant à lui, devrait réaliser quelques économies, car la filiale de la Caisse des dépôts est nettement moins chère que les hôteliers ordinaires, qu’il faut défrayer en urgence. En matière de crise humanitaire, l’heure n’est plus à l’improvisation, mais à la financiarisation. L’emprunt social de CDC Habitat (ou « social bond ») n’est pas un cas unique. La Finlande a expérimenté une démarche comparable pour l’intégration des migrants en 2017. L’ingénierie mise en place était assez subtile, ce qui contribuait opportunément à occulter une évidence. En définitive, dans un emprunt public, c’est toujours la collectivité qui assume le remboursement, intérêt compris.

« Castaner fera des accommodements déraisonnables avec l’islamisme soft »

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Dans Le Grand abandon, les élites françaises et l’islamisme, le journaliste Yves Mamou dresse un constat implacable : nos élites ont trahi en ouvrant la France à l’immigration incontrôlée et à l’islamisme. Encore inaudible il y a quinze ans, lors de la publication des Territoires perdus de la République, ce discours gagne de plus en plus de terrain. Entretien. 


Daoud Boughezala. Sous la direction des journalistes Gérald Davet et Fabrice Lhomme, Le Monde a dirigé une enquête d’un an sur l’islamisation de la Seine-Saint-Denis, aujourd’hui objet d’un livre intitulé Inch’Allah. Par ailleurs, Martine Aubry et Gérard Collomb ont souligné le risque de guerre de tous contre tous dans les « territoires perdus de la République ». Après des années de déni, les élites ouvrent-elles enfin les yeux ?

Yves Mamou. Le déni est une politique d’Etat. Les prises de conscience – tardives – de certains n’y changeront rien. Cette politique du déni s’est progressivement installée au fur et à mesure de l’islamisation d’une frange importante des Français musulmans. Elle se traduit par exemple, par le fait que le procureur Molins, autrefois chargé de la lutte antiterroriste, ne caractérisait jamais les tueurs comme des terroristes islamistes mais comme des « déséquilibrés ». La psychiatrisation de la violence islamiste est un déni. Et ce déni a eu pour corollaire une répression de la liberté d’expression. Tout journaliste ou intellectuel qui tentait de replacer le débat de l’islam ou de l’immigration sur le terrain politique était taxé de racisme et envoyé devant un juge.

Cela dit, que deux journalistes du Monde regardent soudain la réalité en face me procure un grand soulagement personnel.

Grâce au Monde, dans les dîners en ville, il sera possible d’émettre une pensée hérétique sur l’immigration ou l’islam sans être traité de raciste.

Dans le meilleur des cas, les actions des deux ministres s’annuleront l’une l’autre.

C’est déjà un progrès ! Pour rester dans l’actualité, que vous inspire la nomination du tandem Castaner – Nunez au ministère de l’Intérieur ? L’ancien directeur de la DGSI n’est-il pas un gage d’efficacité dans la lutte contre le terrorisme ?

Le tandem Castaner – Nunez est l’absurde illustration de ce déni dont nous parlions. L’ancien directeur de la DGSI luttera contre l’islamisme hard tandis que Castaner pratiquera des accommodements déraisonnables avec l’islamisme soft. Gouverner ainsi, c’est refuser de voir que le terrorisme islamiste et l’entrisme islamiste sont deux volets d’une même stratégie. Dans le meilleur des cas, les actions des deux ministres s’annuleront l’une l’autre. Dans le pire des cas, ce « en même temps » sécuritaire sera générateur de catastrophes.

Une « préférence islamique » a conquis progressivement toutes les sphères du pouvoir.

Votre ouvrage Le Grand abandon, les élites françaises et l’islamisme met en cause la politique d’immigration. Pensez-vous que les attentats de janvier (Charlie, Hyper casher) et novembre 2015 (Bataclan, Stade de France) ne se seraient pas produits sans quarante ans d’immigration massive ?

Le Grand abandon part d’une question simple : comment l’islamisme a-t-il pu générer autant d’idiots utiles en France ? Le nombre d’intellectuels, d’experts, de femmes et hommes politiques qui ont trouvé intérêt à relativiser, défendre, voire justifier les méfaits d’une idéologie politico-religieuse rétrograde, meurtrière, liberticide, intolérante, misogyne et antisémite m’a interloqué. Après Charlie Hebdo et l’Hypercacher, j’ai donc entrepris de faire la liste des « amis » de l’islamisme en France. Au terme de mon inventaire, je me suis aperçu que j’avais reconstitué le bottin du Pouvoir. Partis politiques, grands corps de l’Etat, Justice, Université, Experts, Artistes, People, Médias… tous, en majorité, ânonnent une idéologie victimaire qui fait le jeu des islamistes. Même la politique droit-de-l’hommiste de l’Eglise catholique fait le jeu des islamistes.

A l’évidence, une « préférence islamique » a conquis progressivement toutes les sphères du pouvoir. Cette préférence islamique a légitimé et accompagné le puissant courant migratoire en provenance des pays d’Afrique du Nord et d’Afrique sub-saharienne qui a commencé à la fin de la guerre d’Algérie et qui prévaut encore aujourd’hui. L’hypothèse que je formule dans Le Grand Abandon est qu’avec la mondialisation, la préférence islamique et la politique d’immigration se sont progressivement structurés en choix idéologiques et politiques cohérents. Des chefs d’entreprise ont cherché à faire baisser le coût du travail de la main d’œuvre nationale et ont demandé aux partis politique d’ouvrir les frontières ; les politiques ont rapidement compris que ces millions de travailleurs étrangers pouvaient représenter un réservoir de voix automatique favorable à leur réélection. Parallèlement, les associations antiracistes ont été subventionnées pour lutter contre l’émergence d’une éventuelle « islamophobie ». Quant aux milieux de la culture, en panne d’idéologie, ils ont adopté sans hésiter le mythe de la victimisation musulmane… Bref, par emboîtement de logiques différentes, les tenants de la mondialisation et des droits de l’homme se sont unis pour encourager une immigration musulmane de masse en France.

L’islamisme ne serait pas un si grand problème si tant de non-musulmans ne lui tenaient la porte.

Vous liez donc terrorisme et immigration ?

L’émergence d’une contre société islamique, vecteur de terrorisme, au sein de la communauté des Français musulmans n’était pas inscrite au programme du mouvement migratoire. Mais il est surprenant de constater que, malgré la montée du terrorisme et des tensions ethniques, l’immigration se poursuit et même s’amplifie en France.

Le Grand Abandon développe l’idée que l’immigration musulmane a été et continue d’être un outil-clé dans la guerre féroce que les tenants de la mondialisation, ceux que j’appelle les « mobiles », livrent aux « enracinés ». Des élites mondialisées qui récusent tout sentiment d’appartenance nationale ont entrepris d’imposer aux « Gaulois réfractaires » et aux « fainéants » – termes qu’utilise Emmanuel Macron pour parler des Français qui tiennent à leur culture, à leur histoire, à leur langue – un modèle de société multiculturel aux antipodes du modèle laïc et républicain qui était le leur. J’ai appelé « révolution par le haut » cette politique qui consiste à transformer une société par la loi et l’immigration sans demander l’avis du reste de la population. Pour résumer de manière lapidaire : l’islamisme ne serait pas un si grand problème si tant de non-musulmans ne lui tenaient la porte.

Vous accusez nos gouvernements successifs de « lutter (à moitié) contre le terrorisme pour éviter de stigmatiser les différentes populations musulmanes ». Comment devraient-ils donc combattre le terrorisme islamiste ? En enfermant à perpétuité les fichés S au mépris du droit ?

Brandir le « droit » chaque fois qu’il est question des fichés S n’est rien d’autre qu’une technique d’intimidation de la parole libre. Un peu comme traiter d’ « islamophobe » toute personne qui critiquerait l’islam. Accuser l’autre de racisme ou de fascisme permet de contourner le dilemme immigration-terrorisme.

Lutter contre le terrorisme à moitié, c’est laisser les écoles et les mosquées salafistes proliférer. Lutter contre le terrorisme à moitié, c’est durcir le cadre juridique de lutte contre le terrorisme pour TOUS les Français – comme l’a fait Emmanuel Macron en 2017 avec le vote de la loi antiterroriste – au lieu d’instaurer des juridictions d’exception et d’étendre la répression à cette « zone grise » qui loge, finance, endoctrine et arme les terroristes. Ne pas lutter franchement contre le prêche de haine à la mosquée ou contre le rap djihadiste qui entend crucifier les laïcards au Golgotha est aussi une façon surprenante de protéger le terreau du terrorisme.

L’islamisation de la consommation a fait en sorte que les musulmans ne puissent plus déjeuner avec des non-musulmans

Vous critiquez la généralisation du hallal en France, laquelle répond à une demande croissante. Aujourd’hui, est-il encore réaliste et efficace de promouvoir l’assimilation républicaine des populations immigrées musulmanes ? 

Le hallal est devenu un marqueur identitaire politico-religieux. Je cite dans Le Grand Abandon les travaux de Florence Bergeaud-Blackler (Le marché halal ou l’invention d’une tradition, Le Seuil, 2017), anthropologue, qui a montré comment les multinationales de l’agro-alimentaire ont aidé les fondamentalises chiites et sunnites à construire des normes de consommation alimentaires pour les musulmans. Avant la révolution iranienne de 1979, les musulmans pouvaient déjeuner avec des non-musulmans à condition qu’il n’y ait pas de porc ni d’alcool au menu. L’islamisation de la consommation a fait en sorte que les musulmans ne puissent plus déjeuner avec des non-musulmans car le hallal trace une frontière entre le pur et l’impur. Dans certaines entreprises, on voit des salariés musulmans réclamer des cantines séparées pour ne pas avoir à toucher des couverts ou des plats que la présence de non-musulmans rend impurs. En ce sens, le hallal est un outil de sécession communautariste manipulé par des intégristes et amplifié par les intérêts d’un capitalisme-charia. Quand les industriels s’ingénient à tout « hallaliser » – le jouet, les cosmétiques, les vacances, le mariage… –, l’assimilation des musulmans à un modèle de société laïque et républicain n’a plus de sens.

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Mélenchon en voie de lepénisation?

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S’il a raison de se plaindre, Jean-Luc Mélenchon le fait mal. Dans sa colère contre la justice et les journalistes, il risque de s’aliéner les deux seuls pouvoirs qui ne tolèrent pas de contre-pouvoirs, et ainsi de se rendre inaudible.


On a dit longtemps du FN : il pose de bonnes questions et donne de mauvaises réponses. Avant de s’employer avec force à discréditer les questions et ceux qui les posaient. On pourrait affirmer la même chose de Jean-Luc Mélenchon. Il pose, sur les juges et les journalistes, des questions très pertinentes. Mais entre outrance et violence, il offre un alibi en or à tous ceux qui veulent surtout ne pas entendre ces questions parce qu’ils entendent soustraire ces deux puissantes corporations à toute contestation. On connaît la chanson : critiquer les médias ou la justice c’est attaquer la démocratie. Pratique. Mais le résultat, c’est que juges et journalistes apparaissent aujourd’hui comme les seuls pouvoirs qui, alliés les uns aux autres, ne tolèrent pas de contre-pouvoirs.

Achille Mélenchon

En un demi-siècle de combat politique, Jean-Luc Mélenchon a prononcé des discours mémorables et galvanisants qui faisaient de lui un digne successeur de son maître François Mitterrand. Dans ses bons jours, sa verve tricolore fait presque oublier son chavisme délirant et sa mauvaise foi phénoménale des mauvais. De même, ses emportements contre le conformisme journalistique ont souvent fait mouche. Et, dans un monde où les politiques font souvent preuve d’une coupable soumission à l’égard du premier pouvoir, ils ont quelque chose de rafraîchissant.

On se rappelle les innombrables catastrophes engendrées par la colère d’Achille, aveuglé jusqu’à outrager le corps de son ennemi vaincu. En se montrant incapable de dominer sa colère, aussi compréhensible ait-elle été, et surtout, en passant de la parole à la pression physique, même s’il n’y a pas eu mort d’homme, Jean-Luc Mélenchon a révélé qu’il n’était pas vraiment qualifié pour occuper le poste qu’il convoite. A-t-on vraiment envie de laisser le contrôle de la force publique à un homme sujet à d’irrépressibles accès de violence ?

La violence délégitime

Certes, nombre de militants insoumis semblent aujourd’hui se ranger du côté de leur chef, dont ils partagent la rancœur contre les juges et les journalistes. Mais le risque pour lui est de se lepéniser, c’est-à-dire de ne plus apparaître que comme le gourdin que l’on utilise pour taper sur le « système » comme ils disent, pas comme un candidat crédible à l’exercice du pouvoir. On peut pousser plus loin cette comparaison qui hérisse le chef de la France insoumise : beaucoup de gens qui partagent une grande partie des idées de Marine Le Pen se refusent à voter pour elle à cause, disent-ils, d’une certaine brutalité. Or, sur ce terrain, Mélenchon fait beaucoup plus fort qu’elle quand, au lieu de se contenter de protester, il bouscule des policiers et un procureur, donnant de lui l’image d’un putschiste plutôt que celle de la République qu’il affirme à juste titre incarner. L’incarner de cette façon, c’est la bafouer en substituant au débat, même vif, la menace de violence. « Enfoncez la porte, camarades ! » : cette injonction lancée à ses troupes devant le siège de son parti où se déroulait une perquisition hésite entre le ridicule et le scandaleux. Peut-être faut-il lui rappeler que la France de Macron n’est pas celle de Vichy.

Avec les journalistes, c’est encore plus sidérant. Jean-Luc Mélenchon (qui est assurément arrivé en tête des suffrages dans pas mal de rédactions) s’est tiré une balle dans le pied en passant de l’ironie même vacharde à l’injure gratuite. Il est révoltant que Médiapart ait accès au dossier en temps réel alors que la France insoumise n’y a, elle, toujours pas accès, vu qu’on est dans le régime de l’enquête préliminaire où le mis en cause n’a aucun droit. Et bien qu’en l’espèce vie privée et vie publique ne soient pas sans rapport, on peut aussi s’interroger sur la divulgation, par le média de Plenel, des relations présumées entre le chef de la France insoumise et sa communicante Sophia Chikirou, ex-grande prêtresse de feu Le Media. Faut-il pour autant sortir les mots du dimanche, agression, ignominie, caniveau ? Aurait-il fait preuve de cette saine pudeur au sujet de ses adversaires ? Là-dessus, il traite d’abrutis les journalistes de Radio France, prenant le risque de s’aliéner les rédactions les plus mélenchonistes de France. C’est ballot.

Mélenchon n’a pas crié au loup pour Fillon

Enfin, il était suicidaire, pour un élu marseillais, de se moquer de l’accent d’une journaliste toulousaine, mais il était bien plus insultant de balayer sa question avec mépris en la traitant à mots peu voilés d’idiote – « quelqu’un a-t-il une question en français ? » Or, la journaliste avait posé une excellente question. La colère de Mélenchon contre les juges serait en effet beaucoup plus crédible et audible s’il l’avait manifestée quand les mêmes juges se sont invités dans la campagne présidentielle en ouvrant une enquête préliminaire contre François Fillon, 24 heures après la parution du premier article du Canard enchaîné ou quand ils ont décidé de couper les vivres au Rassemblement national à cause de l’affaire des assistants du Parlement européen. À l’époque, Méluche n’avait pas de mots assez durs contre ceux qui osaient mettre en doute l’impartialité des juges. Bref, la justice n’est pas la seule que l’on puisse soupçonner de deux poids deux mesures.

En attendant, à force d’être obsédés par l’indépendance de la justice et les menaces, supposées et réelles, pesant sur elle, on a laissé s’installer une forme de gouvernement des juges puisque ceux-ci, dans le jeu des pouvoirs, prétendent à une autonomie radicale. En somme, ils sont là pour contrôler les autres, mais personne ne peut contrôler les contrôleurs. Et susceptibles avec ça : Henri Guaino avait été poursuivi pour l’adjectif « déshonorant ».

La colère n’est pas un projet politique

Mélenchon se plante quand il crie au complot politique : il est vrai que, dans les affaires Ferrand, Pénicaud, Bayrou ou, dans un autre registre, dans l’affaire de la perquisition chez Alexandre Benalla, le zèle et la célérité des magistrats sont nettement moins prononcés que dans les dossiers du Rassemblement national ou de la France insoumise. Ni Pénicaud ni Bayrou ni Ferrand n’ont eu droit à des perquisitions à leur domicile. Et ne parlons pas de la demande d’expertise psychiatrique à l’égard de Marine Le Pen. Mais les juges n’ont probablement besoin d’aucune consigne pour se montrer plus ou moins zélés. Il y a chez certains magistrats (instructeurs et parquetiers notamment), comme chez certains journalistes – suivez mon regard -, une forme d’ubris qui les pousse à se prendre pour des justiciers chargés de régénérer la démocratie. En clair, les juges ont aussi leurs Plenel qui pensent œuvrer pour le bien commun en se payant des politiques de toutes obédiences. Au premier chef ceux qui ont commis le crime de les critiquer ou de se moquer d’eux. C’est ainsi qu’on ne compte plus les procédures ouvertes contre Nicolas Sarkozy – l’affaire libyenne étant une coproduction particulièrement réussie entre Médiapart et des magistrats. Quand il était l’un des principaux chefs de l’opposition, l’ancien président a été écouté durant dix mois. Et alors que les dossiers sont plutôt maigres, on aimerait être sûrs qu’à la fin, les magistrats du siège ne prononceront pas des condamnations simplement pour couvrir leurs collègues de l’instruction et du Parquet. Sauf erreur de ma part, Nicolas Sarkozy a réussi à rester courtois avec ceux qui l’interrogeaient.

Les imprécations et la fureur de Mélenchon flattent peut-être une partie de son public dans le sens du poil, mais la colère n’est pas un projet politique. Entre l’alliance de juges et de journalistes qui piétinent allègrement le secret de l’instruction – pourtant condition indispensable d’une justice équitable -, et les politiques, soupçonnés de toutes les turpitudes, le combat était déjà inégal. Il l’est un peu plus maintenant que Mélenchon a offert à la presse et à la justice le moyen de se victimiser à bon compte et, en conséquence, de se soustraire encore plus à toute critique, désormais dénoncée comme populiste. Bref, en cognant comme un sourd – et à côté -, Mélenchon n’entame en rien le pouvoir des juges et des médias, il le renforce. Autant dire qu’il ne rend pas service à son pays.

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Papa Macron et les « enfants » de la République

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Le président nous considère-t-il vraiment comme des adultes responsables ou comme les enfants qu’il n’a pas ?


Tout le monde aujourd’hui connaît la séquence pathétique du doigt d’honneur, qui est tout ce que l’on retiendra du voyage d’Emmanuel Macron à Saint-Martin. Et Dieu sait que les Saint-Martinois méritaient mieux, et que le chef de l’État aurait pu choisir pour les représenter d’autres personnes qu’un duo de repris de justice mal élevés, devenus hélas des symboles de l’île par la magie médiatique de l’onction présidentielle.

Que le drame de l’ouragan Irma justifie une certaine indulgence, soit. Mais je m’interroge : le chef de l’Etat qui a fermement et à juste titre rappelé à l’ordre un collégien trop familier aurait-il laissé passer ce doigt d’honneur si son auteur avait été métropolitain ? Ou, osons le dire, blanc ? Sans doute pas.

Allons adultes de la patrie

Dans le laxisme d’Emmanuel Macron envers ce jeune homme, je vois de la condescendance, du mépris, pour ne pas dire du racisme. Comme s’il considérait que, de la part de « ces gens-là », on ne peut pas s’attendre à autre chose. Que l’on ne peut pas demander à « ces gens-là » de respecter les règles de politesse même les plus élémentaires.

Désolé, Monsieur le président, mais « ces gens-là » ne sont pas intrinsèquement inférieurs ou moins civilisés que les autres ! Et puisqu’il se trouve qu’ils sont de jeunes adultes, donc des adultes, ils ont même le devoir de mieux connaître leurs obligations et de mieux les respecter qu’un adolescent qui vous appelle « Manu ».

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Eh oui, ils sont adultes ! Mais l’admonestation ridicule d’Emmanuel Macron, « Ta mère, elle mérite mieux que ça », pousse à nous demander s’il en a vraiment conscience, lui qui les traite comme des enfants. D’école maternelle en l’occurrence. Les instituteurs savent pourtant par expérience que « arrête tes bêtises, elles font de la peine à ta maman » n’a qu’une efficacité limitée après 6 ans. Et c’est bien dans ce contexte que nous devons comprendre ses propos lorsqu’il nous déclare qu’il « aime tous les enfants de la République » – et ce n’est pas au sujet des élèves d’une école qu’il l’a dit.

Il n’a pas dit non plus, par exemple, « nous sommes tous enfants de la République », dont le sens aurait été radicalement différent.

Allons « enfants » de la Macronie

Je ne spéculerai pas sur la vocation frustrée d’un chef d’Etat qui aurait aimé être télévangéliste plutôt que banquier et/ou homme politique. Je préfère souligner la profonde méconnaissance des valeurs de la République que révèle son attitude, que je ne crois pas dictée par le statut territorial particulier de Saint-Martin (et qui resterait évidemment problématique si elle l’était).

Dans notre République, le peuple est souverain. Chaque citoyen possède une voix, et chaque voix a le même poids lors d’une élection. Une femme, un homme, un blanc, un noir, un jaune, un brun, un homo, un hétéro, un croyant, un agnostique, un athée, un jeune de 18 ans, un moins jeune de 118 ans, vous, moi, Emmanuel Macron : dans l’isoloir, chacun a une et une seule voix, chacun est très exactement détenteur de la même parcelle de la souveraineté collective.

Cette souveraineté, ce droit et ce devoir de peser sur le destin de tous, est une très sérieuse responsabilité. La République est le choix collectif de croire chacun de nous capable d’assumer cette responsabilité, sauf preuve du contraire et déchéance des droits civiques. C’est aussi le choix de considérer chacun de nous comme légitime pour participer aux décisions les plus importantes, parce que ces décisions nous engagent tous et que nous devrons tous en assumer les conséquences.

Lorsque notre président parle des « enfants de la République » au sujet d’adultes, et à la lumière de son indulgence condescendante et de sa leçon de morale surréaliste, il implique peut-être qu’il veut en prendre soin (les classes moyennes déclassées et les détenteurs de petits boulots ubérisés apprécieront la crédibilité de l’intention), mais il implique surtout qu’il les infantilise, et leur refuse donc le droit de penser par eux-mêmes et de décider par eux-mêmes, parce qu’il les en croit incapables.

Le roi se leurre

Emmanuel Macron veut maîtriser les médias sous prétexte de lutter à la fois contre les « fake-news » et contre tout ce qui pourrait heurter certaines susceptibilités exacerbées, en fait filtrer le réel et nous dire quoi penser. Comme un parent qui censure ce que ses enfants lisent ou regardent, parce qu’ils ne sont pas encore assez grands pour avoir le discernement nécessaire pour « faire le tri » par eux-mêmes, et qu’il faut éviter qu’ils soient choqués et dorment mal la nuit.

Emmanuel Macron veut imposer sa volonté au Parlement, car Emmanuel seul sait ce qui est bon pour nous. Alors, au sein même du parti majoritaire, on s’offusque lorsque des élus ne suivent pas les consignes de vote du gouvernement, comme si des chouchous osaient se rebiffer contre l’enseignant qui les favorise. Puisque nous sommes des enfants, les parlementaires ne sont que des délégués de classe, et on ne va tout de même pas leur confier la direction de l’école !

Emmanuel Macron se trompe. Les citoyens français sont des hommes et des femmes libres et responsables. Des adultes. Ne pas les reconnaître comme tels, c’est leur dénier le droit de revendiquer leur éminente dignité de citoyens. C’est trahir la République.

« The House that Jack built »: le Lars von Trier sur le Mal, incompris des gens de bien

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Je dis « opus » et non « film » — car il s’agit bien plus d’un objet que d’un film, même si ledit objet emprunte la voie (la voix ? après tout, tout commence par une voix off sur fond d’écran noir) cinématographique.

Oui, une œuvre d’art bien plus qu’un film.

Ce Bien qui ne voit pas le Mal

Le plus luthérien (ou le plus janséniste, après tout, ce n’est pas tout à fait un hasard si on accusa jadis les copains de Pascal de tentations protestantes et de fuite dans la prédestination) des cinéastes danois a encore frappé. Après un film en deux parties assez peu convaincant — même si le masochisme raconté dans Nymphomaniac 2, dans la droite ligne de la culpabilité magnifiquement établie dans les 10 premières minutes d’Antichrist, est autrement réaliste que celui de Fifty shades of Grey —, Lars van Trier revient à son obsession fondamentale, déjà sensible dans Breaking the waves : dire le Mal.

Du coup, « Jack » a laissé perplexes quelques critiques. Les mêmes qui jadis avaient condamné véhémentement le très beau Apt Pupil, magnifique adaptation d’une novella de Stephen King par Bryan Singer (ah, Télérama pour l’éternité !).

En fait, le Bien, tel qu’il dégueule des médias et des organismes de gauche, a bien du mal à caractériser le Mal. C’est qu’il est le Bien par idéologie — hors sol, dirait Hannah Arendt — et non par métaphysique. Et le film de Lars von Trier est essentiellement transcendance.

Mais il l’est à travers des images immanentes sanguinaires et mal pensantes : comme l’ont remarqué les belles âmes, ce sont essentiellement des femmes que l’on tue ici, et Uma Thurman joue tellement bien la bobo demeurée que l’on attend avec impatience et accueille avec gourmandise le moment où Matt Dillon (sidérant) lui défoncera le crâne à coups de cric : il le fait pour nous tous. Tais-toi donc, imbécile !

Béni soit qui mal y pense !

C’est que le Mal, dans sa représentation, est notre part maudite, comme disait Bataille. Celle qui reste ordinairement engloutie en deçà du Sur-moi. Le Bien s’étale avec impunité, le Mal est refoulé, ramené à la rhétorique incertaine des rêves…

Mais pas ici. Ici, il se raconte avec une sorte d’ingénuité. Il ne cherche pas à se justifier : il est une donnée. Il est.

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Le dernier film qui m’a procuré cette sensation, c’est Salò, le film de Pasolini que j’ai vu à sa sortie en 1976 (dans l’unique salle de la Pagode, aujourd’hui disparue). Où pendant la projection des grappes de spectateurs quittaient la salle — surtout des groupes d’hommes venus en bande voir le dernier opus du Maître, et qui ne soutenaient pas l’image que le Maestro tout récemment assassiné leur renvoyait d’eux-mêmes. Comme disait Barthes à l’époque, ce qui faisait de Salò un film éminemment sadien, c’est qu’il était « absolument irrécupérable ».

Il y a d’ailleurs vers la fin un plan sur le visage de Matt Dillon, à demi englouti sous une cagoule rouge de pénitent diabolique, qui fait immédiatement penser à cette image de Pasolini se…

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Le jeu dont vous êtes le migrant

« Go back to where you came from ! » (« Retourne d’où tu viens ! ») : ce n’est pas le slogan expéditif d’un nouveau parti populiste, mais le titre d’une émission de téléréalité diffusée cet automne sur la première chaîne privée polonaise TVN, qui se donne pour mission de démonter les préjugés du public sur l’immigration clandestine.

« Peut-être que le programme changera au moins le regard de quelques-uns »

Le pays tout entier est ainsi invité à regarder durant six soirées consécutives ce reality-show pour comprendre comment on peut traverser des frontières sans passeport, sans argent ni même téléphone portable. Tel est le défi lancé, lors de la première saison, à une poignée de participants triés sur le volet, qui suivront l’itinéraire inverse de celui des migrants, partant d’Europe vers le Moyen-Orient. Signalons que les Polonais ne sont pas les inventeurs du concept. Les producteurs locaux se sont contentés d’adapter une formule qui a fait ses preuves en Australie, où la chaîne SBS a montré de faux clandestins se faisant tirer dessus en Syrie. Magie de la télévision, tout le monde a heureusement survécu.

Dans sa version polonaise, l’expédition traversera plusieurs pays européens, se frottera au traitement déshumanisant des centres de rétention, puis passera par le Liban avant de parvenir à sa destination finale au Kurdistan. « Les gens verront, au lieu de terribles envahisseurs, des êtres humains soumis à des épreuves terrifiantes. Certes, notre programme ne modifiera pas la politique ultra stricte du gouvernement polonais face à l’immigration. Mais peut-être bien qu’il changera au moins le regard de quelques-uns, et ce sera déjà ça », a sobrement escompté un des producteurs.

L’espoir fait vivre. Pour l’instant, les micros-trottoirs ne traduisent aucune évolution humaniste de l’opinion publique. « Comment ça s’appelle déjà ? Rentrez chez vous ? Si seulement ils voulaient l’entendre… », affirment les commentaires les plus modérés.

Si même France Inter plonge dans l’islamophobie…

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Tout fout le camp. La semaine passée a vu France Inter parler d’islamisme, Macron faire allusion à Zemmour et l’humoriste Fary faire rire une personne: Yann Barthès, qui mène la contre-offensive à gauche… Vivement demain.


Alors qu’y passent frénétiquement les pages de la presse, quand je prends en main le dernier Marianne, mes doigts, soudain, deviennent gourds. « Immigration : Et si on disait la vérité », promet l’hebdo en une. Quel mauvais goût ! Jusqu’alors, l’immigration était une chance et chaque citoyen préparait sa chambre d’ami pour loger un migrant. Sous-titre : « La folie d’un monde sans frontières. »  C’est à Marianne qu’ils sont devenus fous, non ? Natacha Polony n’a pas trainé pour y imposer sa patte délicate ! C’est selon l’humoriste France-interiste, Guillaume Meurice, « la nouvelle formule de Valeurs actuelles ». Dans sa bouche, ce n’est pas un compliment. Entre résignation et indignation, la gauche est fort tiraillée. Elle aimerait éviter les barbelés.

France Inter plonge dans l’islamophobie

Et comme un petit 7/9 avec Nicolas Demorand a toujours quelque chose de rassurant, réfugions-nous sur sa station ! Invités lundi 15 octobre : les journalistes-rois-du-Monde, Davet et Lhomme, venus présenter leur brûlot « Inch’Allah : l’islamisation de la Seine-Saint-Denis à visage découvert ». Un autre titre choquant, si vous voulez mon avis. Le sujet étant « compliqué », « clivant » et soumis à « beaucoup d’idéologie », une bonne partie de l’interview est consacrée à la forme du bouquin plutôt qu’au fond. Pas folle, Léa Salamé s’attarde ainsi sur les méthodes originales de nos deux modestes journalistes. Ils ont confié l’enquête de terrain à des étudiants, ces malins ! Les chers petits ont été épaulés et bien conseillés par Davet, Lhomme et leur sidéral savoir, c’est mignon comme tout. On apprendra quand même qu’il existe dans des écoles des cantines où les élèves non musulmans – minoritaires – sont qualifiés d’ « impurs » et ne mangent pas à la même table que les autres, ce qui est moins mignon. Et n’augure pas des lendemains qui chantent. Autre phénomène cocasse : une épidémie d’allergies au chlore touche les gamines attendues au cours de natation. Heureusement, une directrice d’école du 9-3 défend les « valeurs de la république » dans le bouquin. Ouf.

Immigration, identité, islamisation : ces thèmes sulfureux sont sur toutes les lèvres. Le déni des problèmes s’éloigne tout doucement… Si la Macronie et ses médias ne se mentent plus, c’est tout comme s’ils faisaient « semblant » d’en parler. En quelques jours, une pétition lourdingue réclamant un référendum sur l’immigration a recueilli pas moins de 50 000 signatures sur le net. Les pétitions monstres, d’habitude, nos médias adorent. Mais cette fois, personne n’en a parlé, à part le canard qui effraie tant Guillaume Meurice… Les autres ont commenté la mort du malheureux Aboubacar, 13 ans, au cours d’une rixe aux Lilas. Une commune de Seine-Saint-Denis.

Manu Zemmour et Jean-Luc Zuckerberg

Par ailleurs, c’était pas la peine de nous répéter pendant un mois que la théorie de Zemmour sur les prénoms était une énorme connerie. Même le président semble « confesser » qu’il y a bien là un sujet ! Personne ne l’a relevé, alors je m’y colle : Macron a dit dans son allocution télévisée de lundi qu’il ne fallait « pas se soumettre aux inégalités de destin […], celles dont on hérite et avec lesquelles on vit […], ce sentiment d’être empêché, d’être assigné à une place dans la société ou dans un quartier parce qu’on est né là avec tel prénom ou dans telle famille »… Difficile de ne pas voir un clin d’œil à Zemmour.

En parlant de confessions, il est bien connu que le confessionnal fréquenté par la génération qui arrive est davantage celui des téléréalités que celui des églises. Il y en a un qui l’a compris, c’est Mélenchon. Alors que la justice menait des perquisitions dans son appartement et au siège de la France insoumise, le leader d’une certaine gauche a filmé en direct sa colère via Facebook Live. Moderne, le vieux ! Alors que la situation se tendait – les factieux des Insoumis n’aiment pas que la justice fouille dans leurs papiers  – voilà que la connexion au réseau plante. Accès de mythomanie complotiste de Méluche : les flics seraient de mèche avec Zuckerberg pour brouiller son signal et entraver sa liberté de dénonciation ! Sacré Mélenchon, il est naïf : si Facebook se permet parfois de censurer, c’est d’une façon plus pernicieuse… De l’autre côté de l’échiquier politique, Marine Le Pen a beau jeu de soutenir à l’Assemblée son alter ego de gauche, dont elle se dispute les votes populaires. En vérité, cette dernière n’est pas étrangère aux difficultés du sacré leader des Insoumis…

Barthès mène la Résistance

La Macronie ne serait-elle alors que mensonges ? Chez les médiatiques et parmi leurs invités, la confusion règne. Dans l’émission Quotidien dont on parle tant, le comique Fary a été invité cette semaine. Le drôle prétend faire rire avec un spectacle autour de l’identité (c’est fini oui ?). Curieusement, malgré un public chauffé à blanc chez Yann Barthès, personne ne rit franchement. Ce comique nous est pourtant présenté comme ce qui se fait de mieux. Il a la prétention de remplir Bercy : pourquoi pas ? Même les philosophes font de l’humour ces temps-ci, façon chansonnier beauf pas drôle. Pourquoi les vrais chansonniers ne pourraient-ils pas alors se prendre pour Johnny Hallyday le temps d’une soirée ?

Un autre jour, c’est un philosophe moins polisson et son livre « évènement » qui sont invités de Barthès. Destin français, c’est ça ? Non, c’est Raphael Glucksmann avec Les enfants du vide. Le malin annonce vouloir lancer un mouvement progressiste, entre Macron et Mélenchon. On va rire, c’est souvent drôle quand les philosophes descendent de leur petit nuage de savoir voluptueux pour se mêler aux tristes réalités de la Cité ! Barthès, amoureux, est bien sûr très enthousiaste vis-à-vis du projet politique précité.

Autres réjouissances sur le front de la Résistance ? Le reporter de guerre, Patrick Cohen, est blessé et se retrouve plâtré, il s’est ramassé dans Paris. En trottinette. Cet épisode plaisamment grotesque résume bien l’époque. La tournée des médias de Marc-Olivier Fogiel, aussi. Lui pense se battre contre une redoutable adversité mais ne rencontre finalement que bien peu de contradicteurs dans son combat pro-GPA… C’est entendu : les enfants ne sortent désormais plus forcément de l’utérus des mamans. La vérité, elle, sort toujours de la bouche des enfants : « Vous voyez bien que j’ai deux papas ! », répète à l’envie l’une de ses gamines quand on lui demande qui est pour elle, Michele, sa mère-porteuse de Floride.

Macronistes, il en reste !

Dans cette course folle après un réel qui se distend, l’exécutif macroniste n’est pas en reste.

Marlène Schiappa, sous-ministre qui a réussi le tour de force de remplacer la fracture sociale par la fracture homme / femme, voue une admiration sans bornes à Macron. La nana ne nous ment plus. Dans un bouquin récent, à mi-chemin entre le Journal de Mickey et Le deuxième sexe, l’essayiste écrivait que ses gamines auraient comparé Macron à Jésus Christ. J’avais trouvé ça peu concevable à l’époque. Cette semaine, on apprend en une du Canard enchaîné qu’elle ne se cache plus et avouerait bien que c’est en fait elle qui voit en Macron un prophète beau à en pleurer chaque mercredi matin : « Il est christique. Les gens le ressentent comme moi, ils aiment qu’il les touche, les prenne par les épaules. »

De son côté, on le sait, Gérard Collomb a démissionné. Quel choc ! La mythomanie reprend les médiatiques : ils font semblant de ne pas voir qu’ils ont passé plus de temps à commenter les deux semaines de flottement pris par le remaniement que les effectifs effectivement remaniés. Quinze jours d’attente pour finalement se voir annoncer que c’est l’angoissant Christophe Castaner qui serait désormais chargé de nous protéger… Autre vérité qu’il serait bon de dire : Collomb se barre car dans la configuration actuelle du pays, on ne peut rien faire à l’Intérieur. Avec les frontières ouvertes et une justice laxiste, le pouvoir est plus agréablement exerçable « en régions », dans la métropole de Lyon, qu’à Paris dans un ministère.

Enfin, Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics, l’affirme : « Nous sommes le gouvernement des classes populaires et moyennes ». Interdit de rire !

Mélenchon: opération destruction

J’avais conclu mon précédent article relatif à ce que l’on va désormais appeler le « Mélenchongate » en prévenant le patron de la France insoumise qu’il allait vivre des moments assez difficiles et qu’il devait s’y préparer. A-t-il compris ce qui l’attend ?

Hier Fillon, aujourd’hui Mélenchon

On passera rapidement sur l’outrance maladroite de ses réactions, où il n’a pas compris que l’imprécation furieuse, registre où il excelle, n’était vraiment pas adaptée. Pas plus que ses attitudes précédentes face aux opérations judiciaires contre ses adversaires politiques. D’ailleurs, ses excès semblent le fruit d’une douloureuse surprise face à l’utilisation cynique de la violence d’État par le pouvoir. Comment ose-t-on infliger à Jean-Luc Mélenchon, pourtant consacré « adversaire et non ennemi » par Emmanuel Macron sur le Vieux-Port, le même traitement qu’à Sarkozy, Fillon et Le Pen ?

Depuis le temps, Jean-Luc Mélenchon, vous devriez savoir qu’en matière de justice politique, la recherche de la connivence avec celui qui tient le manche est toujours vouée à l’échec, mais également que l’innocence ne protège de rien. Là comme ailleurs, seul compte le rapport de force. Privilégier la tactique au détriment de la défense des principes est toujours un très mauvais placement.

Alors bien sûr, cher Monsieur Mélenchon, vos emportements ont permis aux gens d’en haut d’exprimer la haine qu’ils vous portent. Non seulement ce n’est pas grave mais cela va présenter quelques avantages. D’abord, ces gens-là, parmi lesquels tous les anciens amis du PS que vous essayez actuellement de débaucher, vous combattront toujours, quoi qu’il arrive, puisqu’ils ont définitivement choisi le camp d’en face. Quant aux couches populaires, celles à qui vous devriez vous adresser autrement qu’en enfilant les gilets de sauvetage de l’Aquarius, il y a longtemps qu’elles ne sont plus dupes et qu’elles savent très bien à quoi s’en tenir concernant l’attitude et les discours des serviteurs de l’oligarchie. À quelque chose malheur est bon, vous pourrez ainsi compter ceux qui vous ont soutenu dans l’épreuve.

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Répétons une fois de plus que l’opération du 16 octobre, avec sa quinzaine de perquisitions, n’a probablement pas pu être organisée sans que le pouvoir exécutif soit au courant et qu’il ait pris lui-même la décision. Tout permet de le penser, à commencer, au-delà de l’expérience professionnelle, par l’utilisation du simple bon sens. Une opération de cette ampleur, le jour de l’annonce du remaniement, menée par le parquet et dirigée contre un des premiers partis d’opposition, sans que les services de la place Vendôme, et notamment le garde des Sceaux, soient au courant ? Sans que Madame Belloubet l’ait décidé en liaison étroite avec l’Élysée ? Une telle mobilisation policière sans que le ministère de l’Intérieur ne soit au courant et ait donné son feu vert ? Soyons sérieux.

Je ne pense pas m’avancer beaucoup en disant que la fameuse enquête préliminaire a déjà dû être fructueuse et que le parquet dispose d’un dossier bien étoffé. De la même façon, il me semble probable que la décision de l’ouverture de l’information judiciaire et la saisine d’un ou plusieurs juges d’instruction est déjà prise, et les magistrats instructeurs choisis. Lors du déclenchement de l’affaire Fillon par le Parquet national financier (PNF), tout le monde savait à l’avance, dans le monde judiciaire, qui serait le juge d’instruction désigné et que le candidat des Républicains serait immédiatement mis en examen.

La justice repose sur la défiance

Avec le grand cirque médiatico-judiciaire qui va se dérouler, le raid du 16 octobre va rapidement apparaître comme un léger hors-d’œuvre. Collection de convocations diverses et variées aux dirigeants et collaborateurs de la France insoumise – soit pour des mises en examen spectaculaires avec des qualifications sonores, de celles qui enjolivent les manchettes : « escroqueries en bande organisée, détournement de fonds publics en réunion, blanchiment de fraude fiscale », etc., soit pour des gardes à vue fatigantes dont les durées seront fonction des qualifications et pourront aller jusqu’à 96 heures… ; nouvelles perquisitions chez les mêmes, avec des écoutes téléphoniques tous azimuts ; la presse sera comme d’habitude scrupuleusement alimentée de copies partielles de procès-verbaux, de pièces de procédure de toute nature, de transcriptions trafiquées d’écoutes téléphoniques – il est d’ailleurs probable que les interlocuteurs privilégiés soient déjà choisis, l’officine Mediapart, fidèle et zélé petit télégraphiste du pouvoir étant bien sûr de la fête, et dans les médias la surenchère et l’effet de meute joueront à fond – ; et naturellement aussi, comme d’habitude, toutes les plaintes pour violation du secret de l’instruction (protégé, il faut le rappeler, par la loi), seront soigneusement rangées par le parquet avec les autres dans l’armoire prévue à cet effet. Rapidement couvertes de poussière, elles ne donneront jamais lieu à la moindre investigation.

Alors j’espère qu’à la France insoumise, on ne va plus entendre psalmodier l’incantation imbécile : « Il faut faire confiance à la Justice ! ». Tout le système judiciaire d’un pays démocratique repose sur la défiance qu’il faut avoir vis-à-vis de l’institution. Sinon, pourquoi avoir un avocat ? Pourquoi celui-ci doit-il disposer de prérogatives et de privilèges importants ? Pourquoi le double degré de juridiction, pourquoi la collégialité, pourquoi toutes ces règles de procédure ? Parce que l’on donne l’usage de la violence légitime de l’État à des hommes faillibles qu’il faut impérativement encadrer en rappelant qu’ « ennemie jurée de l’arbitraire, la forme est la sœur jumelle de la liberté ».

Une affaire, une élection

Il y a ensuite l’autre incantation : « Mais puisqu’on n’a rien fait ! » Je partage depuis longtemps l’opinion du cardinal de Richelieu qui disait : « Donnez-moi deux lignes de la main d’un homme, et j’y trouverai de quoi suffire à sa condamnation. » Je sais bien qu’en France où l’on préfère l’ordre à la justice, prétendre que l’innocence ne protège de rien est blasphématoire, alors que c’est pourtant la réalité. Ce qui protège l’innocent, c’est le débat contradictoire dans le respect des règles et des principes fondamentaux, devant des juges impartiaux. On ajoutera que, dans les affaires politico-judiciaires, le risque est moins la sanction finale, si elle arrive un jour, que dans les mises en cause et le cirque médiatique qui les accompagne. Après son démarrage en fanfare, l’affaire Fillon a dormi paisiblement pendant près de deux ans. Les objectifs qui avaient justifié l’urgence initiale ayant été atteints avec l’élimination du candidat de droite. La particularité de ces affaires, et cela se vérifie à chaque fois, est que chaque emportement médiatique provoqué par des révélations opportunes issues des dossiers judiciaires est toujours directement corrélé à une actualité politique concernant les mis en cause.

Et c’est justement cette expérience de ce qui s’est produit pour Nicolas Sarkozy, François Fillon et Marine Le Pen, pour ne citer que les leaders politiques opposés au pouvoir de Hollande puis de Macron, qui permettent de faire ces prévisions. Mais il y a deux autres facteurs qui viennent nourrir ce diagnostic. Tout d’abord, Emmanuel Macron lui-même a délivré le verdict et annoncé à quelle sauce celui dont il avait dit qu’il n’était pas son ennemi va être dévoré. « L’autorité judiciaire est une autorité indépendante dans notre pays, et j’en suis le garant. Pour tout le monde. N’en déplaise à certains, il n’y a pas d’exception », a-t-il assuré. Invocation habituelle du mantra « indépendance » qui n’a aucun sens dès lors que l’on n’en fait pas uniquement le moyen de ce qui est essentiel à l’office du juge : l’impartialité. Le président de la République sait parfaitement à quoi s’en tenir : il dispose d’un haut appareil judiciaire qui n’a plus besoin de recevoir des ordres pour agir selon ses vœux. Il existe désormais des connivences sociologiques, politiques, professionnelles et idéologiques qui rendent en partie inutile la mise en place de courroies de transmission. C’est ici le deuxième facteur qui permet de prévoir ce qui va se passer. Dans la conduite des affaires politiques, les juridictions soi-disant spécialisées se sont transformées en juridictions d’exception, appuyées par les chambres d’instruction et validées par la Cour de cassation, utilisant des méthodes et mettant en place des jurisprudences qui portent directement atteinte à la liberté politique.

Quand la justice prend des libertés politiques

Arrêtons-nous sur les questions en cause dans les deux dossiers qui concernent Jean-Luc Mélenchon et la France insoumise : les attachés parlementaires et les frais de campagne électorale. Les lois de 1988 et 1990, et les textes qui les ont complétées, ont mis en place un système de financement public de la vie politique dont les trois principes essentiels étaient : le financement par l’État en fonction des résultats électoraux, la limitation des dépenses pendant les campagnes électorales, le contrôle financier enfin exercé par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements de la vie politique (CNCCFP). Ce contrôle porte sur les recettes des partis, afin d’éviter les dons interdits, et sur les dépenses en période électorale. Le contrôle des dépenses, lui, ne doit porter que sur la réalité, afin de vérifier si celles-ci n’ont pas été minorées pour empêcher le dépassement du plafond avec toutes les conséquences désagréables qui en découlent. Mais la stratégie électorale est libre et la Commission nationale ne peut pas déterminer à la place du candidat ou du parti les dépenses qui étaient bonnes pour sa stratégie. Si un candidat pense que c’est bon pour son image de circuler en Ferrari, c’est son droit le plus strict. De même, s’il pense qu’il faut s’adresser à un grand traiteur plutôt que de demander à ses militants de passer chez Picard surgelés, c’est également sa liberté. À condition d’inscrire les factures correspondantes à leur prix réel dans le compte de campagne. Les magistrats du pôle financier ont trouvé une astuce pour contourner cette évidence. Comme l’État rembourse une partie des frais de campagne aux candidats qui ont atteint un pourcentage minimum, leur raisonnement consiste à dire que, du fait de ce versement de fonds publics, le juge a un droit de regard sur la nature des dépenses exposées. Il peut contrôler si elles étaient bien justifiées par la campagne, mais du point de vue du juge. Adieu donc la Ferrari, le traiteur Le Nôtre ou Fauchon et les rémunérations conséquentes éventuellement versées à la société de Madame Chikirou. Ou toute autre dépense qui aura l’heur de déplaire au président de la Commission nationale ou au juge d’instruction. Ils pourront ainsi les qualifier d’escroquerie, non pas vis-à-vis du candidat, des équipes de campagnes ou des militants mais vis-à-vis de l’État rembourseur. Adieu en fait, et par conséquent, à la liberté politique d’organiser votre campagne comme vous l’entendez, cette prérogative appartient désormais au juge.

Aucune surprise quand on voit de quelle façon la même Cour de cassation, suivant le pôle financier, a balancé par dessus les moulins les principes de liberté politique et de séparation des pouvoirs à propos des assistants parlementaires. Un certain nombre de moyens matériels sont mis à la disposition de celui qui a recueilli les suffrages nécessaires pour devenir représentant de la nation. Il n’a de compte à rendre sur l’exécution de son mandat qu’à ses électeurs. Le choix des assistants parlementaires l’organisation et la nature du travail qu’ils effectuent relèvent de sa liberté politique. Dans une affaire qui concernait le Sénat, et en justifiant indirectement le raid judiciaire contre François Fillon, la Cour de cassation vient de considérer que le juge avait un droit de regard sur l’organisation de leur travail par les parlementaires. C’est aussi ce qui s’est passé dans l’affaire Fillon et ce qui se passera, probablement, dans l’affaire Mélenchon. Nouvelles atteintes aux principes, par la grâce de la cour suprême, les députés de la république devront renoncer à la liberté d’exécuter leur mandat comme ils l’entendent, c’est désormais le juge qui imposera ses choix.

Il faut défendre Mélenchon

Cette volonté devenue évidente de la haute fonction publique judiciaire de s’abstraire des principes fondamentaux de la liberté politique et de la séparation des pouvoirs génère des dérives particulièrement inquiétantes. Inquiétude renforcée par le fait qu’aux procédures spectaculaires dirigées contre les représentants de l’opposition politique, s’ajoute une passivité troublante vis-à-vis des affaires concernant les entourages du pouvoir. Comment ne pas soupçonner que la gestion de ces dossiers puisse être conduite par des subjectivités politiques et idéologiques qui n’ont rien à y faire ?

Ce que nous rappelle l’agression médiatico-judiciaire dont sont l’objet aujourd’hui Jean-Luc Mélenchon et son organisation politique, c’est bien l’existence de dérives dangereuses pour les libertés publiques. Alors quoi qu’on pense de Jean-Luc Mélenchon, il est nécessaire aujourd’hui de le défendre. « Quand nos libertés sont sous la grêle, fol qui fait le délicat. »

Échecs du vivre-ensemble: on en demande trop à l’école

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Seize ans après avoir tiré la sonnette d’alarme dans Les Territoires perdus de la République, le professeur d’histoire en Seine-Saint-Denis Iannis Roder signe un ouvrage personnel, Allons z’enfants… Au-delà du diagnostic sur les banlieues, une lueur d’espoir pour la génération post-Charlie.


« Les crises de l’enseignement ne sont pas des crises de l’enseignement, ce sont des crises de la vie. » On est porté à avoir un bon a priori quand un livre qui parle d’éducation met en exergue une citation de Charles Péguy, grand penseur, entre autres, de l’idée républicaine et de l’école républicaine. On a tendance à avoir un a priori encore meilleur quand ce livre est écrit par Iannis Roder, l’un des co-auteurs des Territoires perdus de la République, publié il y a seize ans, sous la direction d’Emmanuel Brenner, nom d’emprunt choisi par l’historien Georges Bensoussan.

2002, année névrotique

Retour en arrière. Le 21 avril 2002, Jean-Marie Le Pen accède au second tour de l’élection présidentielle face à Jacques Chirac. Le 11 mai, la Marseillaise est sifflée lors de la finale de la Coupe de France de football. Le 5 novembre sort en librairie l’ouvrage de l’universitaire Daniel Lindenberg, Le Rappel à l’ordre : Enquête sur les nouveaux réactionnaires, dressant une liste d’intellectuels accusés de représenter en France le nouveau pouvoir des réactionnaires. Les trois événements ne sont pas sans relation. L’irruption de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour de l’élection de 2002 traduisait la défiance d’une part grandissante de l’électorat vis-à-vis des vieux partis de gouvernement. Les sifflets du 11 mai traduisaient la défiance grandissante d’une partie de la population – notamment celle des quartiers dits « défavorisés » vis-à-vis des valeurs de la société et de la République française. Le livre de Lindenberg traduisait la défiance grandissante d’une partie des universitaires français vis-à-vis du principe de réalité. La même année, en septembre 2002, le collectif Les territoires perdus de la République, auquel participa Iannis Roder, tentait d’alerter l’opinion sur la situation à laquelle les enseignants des « quartiers difficiles » pouvaient être confrontés au jour le jour, en particulier la montée en puissance du communautarisme et de l’antisémitisme. Il n’est rien de dire que l’appel fut peu entendu. Le fait même que Georges Bensoussan ait préféré diriger et publier son ouvrage sous un pseudonyme en disait déjà long sur l’esprit de l’époque.

Des sifflets aux attentats

Seize ans plus tard, les choses n’ont pas vraiment changé. L’électorat manifeste toujours plus fortement sa défiance vis-à-vis de la classe politique en accordant des scores de plus en plus importants au Front national, les représentants des « territoires perdus » ne se contentent plus de siffler la Marseillaise pour exprimer leur défiance vis-à-vis des valeurs républicaines mais choisissent désormais la voie des armes, et une partie de l’intelligentsia a fait de la défiance vis-à-vis du réel un art de vivre plus qu’une méthodologie. Il a fallu les attentats de janvier et novembre 2015 pour qu’une certaine prise de conscience apparaisse mais elle est dramatiquement tardive. « En janvier 2015, si surprise il y avait, écrit Iannis Roder, elle était le fait de ceux qui n’avaient pas voulu entendre, pas voulu écouter ce que les professeurs, entre autres, dénonçaient depuis des années. »

A lire aussi: Ecoles hors contrat: doit-on encore envoyer ses enfants à l’école de la République?

Seize ans après Les Territoires perdus, Iannis Roder fait à nouveau le point de la situation dans son dernier ouvrage, Allons z’enfants… La République vous appelle, s’appuyant largement sur son expérience de professeur d’histoire-géographie enseignant depuis vingt ans dans un collège de Saint-Denis. Par choix, par conviction. « Au risque de paraître prétentieux, je suis resté parce que je me sentais utile et parce que mes élèves me le disaient. » Si l’expérience relatée est passionnante, au fil des portraits et récits égrenés dans l’ouvrage, elle brosse aussi un tableau pas toujours rassurant de l’état du système scolaire français et de sa capacité à fédérer une population et un public scolaire difficiles, partageant de plus en plus massivement « une vision du monde des plus inquiétante ».

L’école, un investissement d’avenir

L’école républicaine est probablement la première victime des échecs du vivre-ensemble. Une école, nous dit Iannis Roder, « mise en première ligne », à laquelle, à travers ses enseignants, on demande beaucoup et toujours plus, surtout en ces temps de menace terroriste et de djihadisme rampant. Ceux qui témoignaient de l’antisémitisme et du complotisme qui se développaient après les attentats du 11 septembre 2001 passaient déjà pour de funestes Cassandre mais la tâche ne semble pas plus aisée aujourd’hui pour les « lanceurs d’alerte », comme en témoigne le procès intenté à Georges Bensoussan il y a quelques mois, à l’initiative duquel on trouve le CCIF ou le MRAP et aussi, assez tristement, la Ligue des Droits de l’Homme, qui naguère défendit pourtant un certain Dreyfus. Tandis qu’on fait un procès à ceux qui avertirent en leur temps de la catastrophe qui venait, on continue à exiger de l’école qu’elle fasse tout pour remédier aux maux d’un pays schizophrène.

Dans Allons z’enfants, Iannis Roder montre qu’il y croit encore, détaillant les initiatives, les discussions, les confrontations à travers lesquelles il tente de tirer vers le haut des élèves que tout quelquefois semble entraîner vers le bas. La conclusion de son ouvrage reste à ce titre positive : « Il faut espérer, dit-il, que, tous les ans, il y ait des milliers de M. Germain, l’instituteur d’Albert Camus pour permettre à l’école de continuer à survivre, pour que la société, à travers elle, survive elle aussi. Car l’école, écrit-il encore, est le seul lieu où certains élèves vont entendre qu’il y a d’autres manières d’envisager le monde que celle qui a cours chez eux ; elle est parfois le seul endroit où ils peuvent encore rencontrer des gens qui ne pensent pas comme eux et n’ont pas les même représentations. » Un précieux privilège, plus menacé que jamais.

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Jean-Michel Blanquer, le ministre « pas de vague »

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Emmanuel Macron et Jean-Michel Blanquer lors des assises de l'école maternelle, mars 2018. SIPA. 00851759_000025

Pour un ministre, Jean-Michel Blanquer est un homme épargné par la critique. C’est sans doute parce que le chef de l’Education nationale ne fait « pas de vague »: il est l’incarnation par excellence du ministre macronien.


Il y a quelques jours, on pouvait lire, dans Le Figaro, un article relatant la grande satisfaction du président Macron envers Jean-Michel Blanquer, décrit comme la figure emblématique du ministre macronien. Confortablement installé dans le paysage gouvernemental, le personnage bénéficie effectivement d’un regard pacifique ou indifférent, tant de la part de l’opinion publique que de celle de la classe politique. Pour l’Elysée, un bon ministre serait donc avant tout un ministre qui n’éveille pas d’oppositions, la question de son action restant tout à fait secondaire, voire subordonnée à cette qualité.

Blanquer, l’homme qu’on n’attaque pas

Cela dit, on peut se demander ce qui, chez cet homme mesuré dans ses propos et discret dans son action, peut bien susciter ce curieux mélange de bienveillance et d’indifférence qui en ferait un modèle. La réponse se trouve certainement du côté de ses occurrences médiatiques, peu spectaculaires mais efficaces et fréquentes, faisant chaque fois état de remarques de bon sens, d’annonces encourageantes ou de statistiques édifiantes.

Uniforme à l’école ou bien-être de l’élève, enseignement de l’anglais ou de l’arabe, dictées ou nouvelles méthodes, tous les classiques des conservateurs et des progressistes sont à un moment ou un autre l’objet d’une intervention rassurante dans chaque camp. Jean-Michel Blanquer fait remarquer un jour qu’un élève de CE1 sur deux a des difficultés en calcul, un autre jour il affirme que l’écriture inclusive n’a pas sa place à l’école, ou encore il annonce qu’il commande des rapports pour comprendre pourquoi Singapour réussit brillamment là où la France subit des échecs retentissants (en maths et en lecture). Chaque fois, ses interventions expriment autant d’analyses justes que de bonnes idées d’action, et chaque fois ses déclarations sont plutôt bien perçues par une majorité d’enseignants, à tel point que leurs syndicats peinent à trouver un angle d’attaque.

Si Blanquer était ministre…

Au fond, c’est dommage que Jean-Michel Blanquer ne soit pas ministre.

Ce n’est pas avec lui à la tête de la rue de Grenelle qu’on verrait au journal télévisé de France 2 des manuels prônant l’usage de l’écriture inclusive faire leur rentrée en école primaire !

Et puis, à l’écouter, il est certain qu’il aurait définitivement et intégralement abrogé cette lamentable réforme du collège de 2016, dont la lettre et l’esprit perdurent de fait aujourd’hui, ne serait-ce qu’en prolongeant les EPI, en maintenant certains horaires de mathématiques en-dessous de ceux de l’éducation physique ou en supprimant les notes dans certains collèges pour les remplacer par des couleurs (rouge, jaune, vert ou vert foncé) à mettre sur une tripotée de vagues et ineptes « compétences » que, hors cas extrêmes, tous les enseignants évaluent de façon aléatoire, c’est-à-dire sans barème, à la louche, au pifomètre, au doigt mouillé, regardant la copie de loin en clignant un peu des yeux et ne mettant au final que du jaune et du vert pour n’avoir d’ennuis avec personne.

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Soyez assurés que si Jean-Michel Blanquer était ministre, il saurait que les miracles n’existent pas plus en éducation qu’ailleurs. Et que si ce sont des asiatiques et des Russes les champions du monde respectivement en mathématiques et en lecture, ce n’est certainement pas grâce à une mystérieuse méthode qui aurait le moindre point commun avec les délires de nos pédagogistes, mais tout simplement parce qu’ils appliquent les principes de grande quantité de travail et d’exigence rigoureuse qui étaient les nôtres jusque dans les années 60 et que nos ministres successifs ont depuis méthodiquement passés au hachoir. Ce n’est certainement pas Blanquer qui aurait achevé l’anéantissement de ces principes en créant maintenant au lycée une sorte de tronc commun de deux ans si large qu’il prolonge de fait le collège unique jusqu’à la classe de première, et dont on peut facilement démontrer qu’il va faire plonger encore plus bas le niveau des élèves en mathématiques. D’ailleurs, s’il avait été ministre, il n’aurait pas pu ignorer que, si les élèves allemands de quinze ans sont épanouis à l’école quand les français y souffrent d’anxiété, c’est parce que leur système prévoit des filières différenciées à partir de l’âge de douze ans, ce qui permet à chacun de suivre des enseignements adaptés à ses gouts, à ses capacités et à ses projets pendant que notre système de collège unique force tous les enfants à suivre le même chemin, provoquant ainsi le malheur et la honte des plus faibles, la bride et la frustration des plus forts et l’ennui de tous les autres. Le tout dans une baisse généralisée de niveau qui n’en finit pas. Et puis tout le monde sait bien que si Jean-Michel Blanquer était ministre, jamais il ne se laisserait rouler dans la farine par tous ces satellites gravitant autour de l’enseignement sans enseigner (mais expliquant comment il faut faire), tous ces formateurs et autres formateurs de formateurs, hier adeptes des sciences de l’éducation et aujourd’hui ayant trouvé refuge derrière les neuro-sciences qu’ils s’empressent de revendiquer pour sauver leur peau et nous annoncer d’un air important de misérables banalités qui contredisent d’ailleurs tous les principes qu’ils soutenaient encore hier.

Enfin, et surtout, si Jean-Michel Blanquer était ministre, il aurait mis fin au pire monument de légendes et de mensonges éducatifs – accélérant notre chute – que constitue cette usine à gaz appelée « évaluation par compétences en fin de cycle » qui n’a ni queue ni tête, qui met la poussière sous le tapis en faisant perdre un temps considérable et qui ne présente strictement aucun intérêt, sinon de faciliter l’obtention du Diplôme national du Brevet (DNB, ex Brevet des collèges, ex BEPC) pour donner un pauvre bout de papier à l’armée de gamins qui sortent chaque année sans rien du système scolaire et ainsi faire baisser leur nombre.

Sous Macron, les paroles prévalent sur l’action

Personne ne doute que, contrairement à ses trois prédécesseurs, Jean-Michel Blanquer est compétent et connait parfaitement la situation. Malheureusement, il appartient à l’ère macronienne et on comprend alors pourquoi il fait figure de ministre idéal aux yeux présidentiels : parce qu’en éducation comme ailleurs, la parole est prioritaire sur l’action, parce qu’encore et toujours, tout change pour que rien ne change.

A lire aussi: Blanquer: « Beaucoup de choses contre-productives ont été entreprises au nom de l’égalité »

En même temps réformes et immobilisme, en même temps nouveauté et conservatisme, Macron applique la vieille formule du « changement dans la continuité » inventée par Giscard il y a plus de 40 ans. Tout change pour que rien ne change. De son ultra-libéralisme thatchérien à ses petits sauts de cabri aux cris de « Europe ! Europe ! » en passant par sa perception des banlieues et de l’immigration, Macron réchauffe les mauvais discours et les idées épuisées des années 80 auxquelles il a ajouté le mépris des petites gens. Depuis plus d’un an que le personnage est exposé en place publique, la cire a fondu et nous découvrons hélas le visage lisse et sans empreinte de ceux qui, comme on en voit souvent dans les bonnes écoles ennuyeuses, ont toujours été immatures sans jamais avoir été jeunes. Quant à son proche entourage qu’on nous peignait comme une élite fourmillant de talents et de techniciens de haute volée, on le découvre réduit à une poignée de piètres courtisans qui, avant d’abandonner le navire, traînent un peu pour avoir le temps d’y apprécier la cantine.

On ne croyait pas que ce fût possible mais on l’aura finalement trouvé, celui qui réussit cet inimaginable tour de force : nous faire regretter Hollande.

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L’hébergement de migrants, une valeur refuge

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Migrants hébergés dans un hôtel Formule 1 à Courcouronnes, 2015. SIPA. 00714931_000022

La majeure partie de l’hébergement des demandeurs d’asile a été confiée à CDC Habitat, une filiale de la Caisse des dépôts qui a créé un Fonds d’investissement spécial. Ce produit financier dégage 3,5% de marge. Une bonne affaire. 


Filiale de la Caisse des dépôts, CDC Habitat a racheté fin 2016 au groupe Accor 62 hôtels F1 (ex-Formule 1). De quoi loger 7700 personnes, dans le cadre d’un appel d’offres public pour l’hébergement de 10 000 réfugiés, lancé par le gouvernement. Ayant remporté 70 % du marché, CDC Habitat a créé un fonds d’investissement social de 200 millions d’euros, abondé pour moitié par des institutionnels et pour moitié par la Banque du conseil européen. C’est avec les sommes levées qu’elle a racheté ses hôtels low cost à Accor, qui rechignait à financer leur indispensable rénovation. Le choix était judicieux. Cubes sans grâce construits dans les années 1980, hyperfonctionnels, la plupart des F1 sont posés en bordure de quatre voies, dans des zones d’activité. On n’y trouve guère de riverains susceptibles de monter au créneau contre le changement d’affectation des hôtels et l’arrivée de cette nouvelle clientèle atypique (qui s’avère du reste fort discrète). Inconvénient, les F1 sont excentrés. Ils ont été pensés pour des automobilistes. Concernant celui que nous avons visité, dans la zone commerciale de Gourvily, en périphérie de Quimper, les locataires ont trouvé une solution : des vieux vélos s’entassent devant l’entrée. Dans le hall, une affichette donne les horaires d’un atelier de réparation de cycles animé par des bénévoles. Bretagne, terre de migrations et de cyclisme.

Beaucoup mieux que le livret A

L’État accorde 16,50 euros par nuitées à CDC Habitat, ce qui permettra à la société de dégager une rentabilité de 3,5 % sur ce produit. Avec le livret A à 0,75 %, ce n’est pas si mal. Le rendement du réfugié est, point crucial, garanti par l’État, qui fournit les locataires et paye les loyers ! Comme placement sous-jacent d’un actif financier, on peut imaginer plus risqué.

A lire aussi: ONG et migrants, le business du cœur

« Nous allons industrialiser nos procédés et le contrat sur cinq ans nous permettra de réguler les dépenses », promettait dans Les Échos du 15 mars 2017 Vincent Mahé, le secrétaire général de CDC Habitat. La société ne manque pas d’expérience. Sa branche Adoma, en charge des foyers d’accueil, est l’ex-Sonacotra. Son investissement, mûrement réfléchi, par ailleurs, suggère que la « crise » des migrants est partie pour devenir structurelle. CDC Habitat pourrait difficilement amortir les sommes investies en cinq ans seulement. L’hébergement d’urgence ne se borne pas aux migrants, mais ces derniers en constituent néanmoins le segment le plus dynamique, le SDF classique faisant plutôt figure de marché mature, sans réel potentiel de croissance et avec une forte saisonnalité. Hors des pics de froids, le SDF est difficile à fidéliser, contrairement au demandeur d’asile.

Economique pour l’Etat

L’État, quant à lui, devrait réaliser quelques économies, car la filiale de la Caisse des dépôts est nettement moins chère que les hôteliers ordinaires, qu’il faut défrayer en urgence. En matière de crise humanitaire, l’heure n’est plus à l’improvisation, mais à la financiarisation. L’emprunt social de CDC Habitat (ou « social bond ») n’est pas un cas unique. La Finlande a expérimenté une démarche comparable pour l’intégration des migrants en 2017. L’ingénierie mise en place était assez subtile, ce qui contribuait opportunément à occulter une évidence. En définitive, dans un emprunt public, c’est toujours la collectivité qui assume le remboursement, intérêt compris.

« Castaner fera des accommodements déraisonnables avec l’islamisme soft »

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castaner mamou islam immigration
Christophe Castaner, ministre de l'Intérieur. Sipa. Numéro de reportage : AP22255925_000002.

Dans Le Grand abandon, les élites françaises et l’islamisme, le journaliste Yves Mamou dresse un constat implacable : nos élites ont trahi en ouvrant la France à l’immigration incontrôlée et à l’islamisme. Encore inaudible il y a quinze ans, lors de la publication des Territoires perdus de la République, ce discours gagne de plus en plus de terrain. Entretien. 


Daoud Boughezala. Sous la direction des journalistes Gérald Davet et Fabrice Lhomme, Le Monde a dirigé une enquête d’un an sur l’islamisation de la Seine-Saint-Denis, aujourd’hui objet d’un livre intitulé Inch’Allah. Par ailleurs, Martine Aubry et Gérard Collomb ont souligné le risque de guerre de tous contre tous dans les « territoires perdus de la République ». Après des années de déni, les élites ouvrent-elles enfin les yeux ?

Yves Mamou. Le déni est une politique d’Etat. Les prises de conscience – tardives – de certains n’y changeront rien. Cette politique du déni s’est progressivement installée au fur et à mesure de l’islamisation d’une frange importante des Français musulmans. Elle se traduit par exemple, par le fait que le procureur Molins, autrefois chargé de la lutte antiterroriste, ne caractérisait jamais les tueurs comme des terroristes islamistes mais comme des « déséquilibrés ». La psychiatrisation de la violence islamiste est un déni. Et ce déni a eu pour corollaire une répression de la liberté d’expression. Tout journaliste ou intellectuel qui tentait de replacer le débat de l’islam ou de l’immigration sur le terrain politique était taxé de racisme et envoyé devant un juge.

Cela dit, que deux journalistes du Monde regardent soudain la réalité en face me procure un grand soulagement personnel.

Grâce au Monde, dans les dîners en ville, il sera possible d’émettre une pensée hérétique sur l’immigration ou l’islam sans être traité de raciste.

Dans le meilleur des cas, les actions des deux ministres s’annuleront l’une l’autre.

C’est déjà un progrès ! Pour rester dans l’actualité, que vous inspire la nomination du tandem Castaner – Nunez au ministère de l’Intérieur ? L’ancien directeur de la DGSI n’est-il pas un gage d’efficacité dans la lutte contre le terrorisme ?

Le tandem Castaner – Nunez est l’absurde illustration de ce déni dont nous parlions. L’ancien directeur de la DGSI luttera contre l’islamisme hard tandis que Castaner pratiquera des accommodements déraisonnables avec l’islamisme soft. Gouverner ainsi, c’est refuser de voir que le terrorisme islamiste et l’entrisme islamiste sont deux volets d’une même stratégie. Dans le meilleur des cas, les actions des deux ministres s’annuleront l’une l’autre. Dans le pire des cas, ce « en même temps » sécuritaire sera générateur de catastrophes.

Une « préférence islamique » a conquis progressivement toutes les sphères du pouvoir.

Votre ouvrage Le Grand abandon, les élites françaises et l’islamisme met en cause la politique d’immigration. Pensez-vous que les attentats de janvier (Charlie, Hyper casher) et novembre 2015 (Bataclan, Stade de France) ne se seraient pas produits sans quarante ans d’immigration massive ?

Le Grand abandon part d’une question simple : comment l’islamisme a-t-il pu générer autant d’idiots utiles en France ? Le nombre d’intellectuels, d’experts, de femmes et hommes politiques qui ont trouvé intérêt à relativiser, défendre, voire justifier les méfaits d’une idéologie politico-religieuse rétrograde, meurtrière, liberticide, intolérante, misogyne et antisémite m’a interloqué. Après Charlie Hebdo et l’Hypercacher, j’ai donc entrepris de faire la liste des « amis » de l’islamisme en France. Au terme de mon inventaire, je me suis aperçu que j’avais reconstitué le bottin du Pouvoir. Partis politiques, grands corps de l’Etat, Justice, Université, Experts, Artistes, People, Médias… tous, en majorité, ânonnent une idéologie victimaire qui fait le jeu des islamistes. Même la politique droit-de-l’hommiste de l’Eglise catholique fait le jeu des islamistes.

A l’évidence, une « préférence islamique » a conquis progressivement toutes les sphères du pouvoir. Cette préférence islamique a légitimé et accompagné le puissant courant migratoire en provenance des pays d’Afrique du Nord et d’Afrique sub-saharienne qui a commencé à la fin de la guerre d’Algérie et qui prévaut encore aujourd’hui. L’hypothèse que je formule dans Le Grand Abandon est qu’avec la mondialisation, la préférence islamique et la politique d’immigration se sont progressivement structurés en choix idéologiques et politiques cohérents. Des chefs d’entreprise ont cherché à faire baisser le coût du travail de la main d’œuvre nationale et ont demandé aux partis politique d’ouvrir les frontières ; les politiques ont rapidement compris que ces millions de travailleurs étrangers pouvaient représenter un réservoir de voix automatique favorable à leur réélection. Parallèlement, les associations antiracistes ont été subventionnées pour lutter contre l’émergence d’une éventuelle « islamophobie ». Quant aux milieux de la culture, en panne d’idéologie, ils ont adopté sans hésiter le mythe de la victimisation musulmane… Bref, par emboîtement de logiques différentes, les tenants de la mondialisation et des droits de l’homme se sont unis pour encourager une immigration musulmane de masse en France.

L’islamisme ne serait pas un si grand problème si tant de non-musulmans ne lui tenaient la porte.

Vous liez donc terrorisme et immigration ?

L’émergence d’une contre société islamique, vecteur de terrorisme, au sein de la communauté des Français musulmans n’était pas inscrite au programme du mouvement migratoire. Mais il est surprenant de constater que, malgré la montée du terrorisme et des tensions ethniques, l’immigration se poursuit et même s’amplifie en France.

Le Grand Abandon développe l’idée que l’immigration musulmane a été et continue d’être un outil-clé dans la guerre féroce que les tenants de la mondialisation, ceux que j’appelle les « mobiles », livrent aux « enracinés ». Des élites mondialisées qui récusent tout sentiment d’appartenance nationale ont entrepris d’imposer aux « Gaulois réfractaires » et aux « fainéants » – termes qu’utilise Emmanuel Macron pour parler des Français qui tiennent à leur culture, à leur histoire, à leur langue – un modèle de société multiculturel aux antipodes du modèle laïc et républicain qui était le leur. J’ai appelé « révolution par le haut » cette politique qui consiste à transformer une société par la loi et l’immigration sans demander l’avis du reste de la population. Pour résumer de manière lapidaire : l’islamisme ne serait pas un si grand problème si tant de non-musulmans ne lui tenaient la porte.

Vous accusez nos gouvernements successifs de « lutter (à moitié) contre le terrorisme pour éviter de stigmatiser les différentes populations musulmanes ». Comment devraient-ils donc combattre le terrorisme islamiste ? En enfermant à perpétuité les fichés S au mépris du droit ?

Brandir le « droit » chaque fois qu’il est question des fichés S n’est rien d’autre qu’une technique d’intimidation de la parole libre. Un peu comme traiter d’ « islamophobe » toute personne qui critiquerait l’islam. Accuser l’autre de racisme ou de fascisme permet de contourner le dilemme immigration-terrorisme.

Lutter contre le terrorisme à moitié, c’est laisser les écoles et les mosquées salafistes proliférer. Lutter contre le terrorisme à moitié, c’est durcir le cadre juridique de lutte contre le terrorisme pour TOUS les Français – comme l’a fait Emmanuel Macron en 2017 avec le vote de la loi antiterroriste – au lieu d’instaurer des juridictions d’exception et d’étendre la répression à cette « zone grise » qui loge, finance, endoctrine et arme les terroristes. Ne pas lutter franchement contre le prêche de haine à la mosquée ou contre le rap djihadiste qui entend crucifier les laïcards au Golgotha est aussi une façon surprenante de protéger le terreau du terrorisme.

L’islamisation de la consommation a fait en sorte que les musulmans ne puissent plus déjeuner avec des non-musulmans

Vous critiquez la généralisation du hallal en France, laquelle répond à une demande croissante. Aujourd’hui, est-il encore réaliste et efficace de promouvoir l’assimilation républicaine des populations immigrées musulmanes ? 

Le hallal est devenu un marqueur identitaire politico-religieux. Je cite dans Le Grand Abandon les travaux de Florence Bergeaud-Blackler (Le marché halal ou l’invention d’une tradition, Le Seuil, 2017), anthropologue, qui a montré comment les multinationales de l’agro-alimentaire ont aidé les fondamentalises chiites et sunnites à construire des normes de consommation alimentaires pour les musulmans. Avant la révolution iranienne de 1979, les musulmans pouvaient déjeuner avec des non-musulmans à condition qu’il n’y ait pas de porc ni d’alcool au menu. L’islamisation de la consommation a fait en sorte que les musulmans ne puissent plus déjeuner avec des non-musulmans car le hallal trace une frontière entre le pur et l’impur. Dans certaines entreprises, on voit des salariés musulmans réclamer des cantines séparées pour ne pas avoir à toucher des couverts ou des plats que la présence de non-musulmans rend impurs. En ce sens, le hallal est un outil de sécession communautariste manipulé par des intégristes et amplifié par les intérêts d’un capitalisme-charia. Quand les industriels s’ingénient à tout « hallaliser » – le jouet, les cosmétiques, les vacances, le mariage… –, l’assimilation des musulmans à un modèle de société laïque et républicain n’a plus de sens.

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Mélenchon en voie de lepénisation?

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Jean-Luc Mélenchon, 19 octobre 2018. ©ERIC FEFERBERG / AFP

S’il a raison de se plaindre, Jean-Luc Mélenchon le fait mal. Dans sa colère contre la justice et les journalistes, il risque de s’aliéner les deux seuls pouvoirs qui ne tolèrent pas de contre-pouvoirs, et ainsi de se rendre inaudible.


On a dit longtemps du FN : il pose de bonnes questions et donne de mauvaises réponses. Avant de s’employer avec force à discréditer les questions et ceux qui les posaient. On pourrait affirmer la même chose de Jean-Luc Mélenchon. Il pose, sur les juges et les journalistes, des questions très pertinentes. Mais entre outrance et violence, il offre un alibi en or à tous ceux qui veulent surtout ne pas entendre ces questions parce qu’ils entendent soustraire ces deux puissantes corporations à toute contestation. On connaît la chanson : critiquer les médias ou la justice c’est attaquer la démocratie. Pratique. Mais le résultat, c’est que juges et journalistes apparaissent aujourd’hui comme les seuls pouvoirs qui, alliés les uns aux autres, ne tolèrent pas de contre-pouvoirs.

Achille Mélenchon

En un demi-siècle de combat politique, Jean-Luc Mélenchon a prononcé des discours mémorables et galvanisants qui faisaient de lui un digne successeur de son maître François Mitterrand. Dans ses bons jours, sa verve tricolore fait presque oublier son chavisme délirant et sa mauvaise foi phénoménale des mauvais. De même, ses emportements contre le conformisme journalistique ont souvent fait mouche. Et, dans un monde où les politiques font souvent preuve d’une coupable soumission à l’égard du premier pouvoir, ils ont quelque chose de rafraîchissant.

On se rappelle les innombrables catastrophes engendrées par la colère d’Achille, aveuglé jusqu’à outrager le corps de son ennemi vaincu. En se montrant incapable de dominer sa colère, aussi compréhensible ait-elle été, et surtout, en passant de la parole à la pression physique, même s’il n’y a pas eu mort d’homme, Jean-Luc Mélenchon a révélé qu’il n’était pas vraiment qualifié pour occuper le poste qu’il convoite. A-t-on vraiment envie de laisser le contrôle de la force publique à un homme sujet à d’irrépressibles accès de violence ?

La violence délégitime

Certes, nombre de militants insoumis semblent aujourd’hui se ranger du côté de leur chef, dont ils partagent la rancœur contre les juges et les journalistes. Mais le risque pour lui est de se lepéniser, c’est-à-dire de ne plus apparaître que comme le gourdin que l’on utilise pour taper sur le « système » comme ils disent, pas comme un candidat crédible à l’exercice du pouvoir. On peut pousser plus loin cette comparaison qui hérisse le chef de la France insoumise : beaucoup de gens qui partagent une grande partie des idées de Marine Le Pen se refusent à voter pour elle à cause, disent-ils, d’une certaine brutalité. Or, sur ce terrain, Mélenchon fait beaucoup plus fort qu’elle quand, au lieu de se contenter de protester, il bouscule des policiers et un procureur, donnant de lui l’image d’un putschiste plutôt que celle de la République qu’il affirme à juste titre incarner. L’incarner de cette façon, c’est la bafouer en substituant au débat, même vif, la menace de violence. « Enfoncez la porte, camarades ! » : cette injonction lancée à ses troupes devant le siège de son parti où se déroulait une perquisition hésite entre le ridicule et le scandaleux. Peut-être faut-il lui rappeler que la France de Macron n’est pas celle de Vichy.

Avec les journalistes, c’est encore plus sidérant. Jean-Luc Mélenchon (qui est assurément arrivé en tête des suffrages dans pas mal de rédactions) s’est tiré une balle dans le pied en passant de l’ironie même vacharde à l’injure gratuite. Il est révoltant que Médiapart ait accès au dossier en temps réel alors que la France insoumise n’y a, elle, toujours pas accès, vu qu’on est dans le régime de l’enquête préliminaire où le mis en cause n’a aucun droit. Et bien qu’en l’espèce vie privée et vie publique ne soient pas sans rapport, on peut aussi s’interroger sur la divulgation, par le média de Plenel, des relations présumées entre le chef de la France insoumise et sa communicante Sophia Chikirou, ex-grande prêtresse de feu Le Media. Faut-il pour autant sortir les mots du dimanche, agression, ignominie, caniveau ? Aurait-il fait preuve de cette saine pudeur au sujet de ses adversaires ? Là-dessus, il traite d’abrutis les journalistes de Radio France, prenant le risque de s’aliéner les rédactions les plus mélenchonistes de France. C’est ballot.

Mélenchon n’a pas crié au loup pour Fillon

Enfin, il était suicidaire, pour un élu marseillais, de se moquer de l’accent d’une journaliste toulousaine, mais il était bien plus insultant de balayer sa question avec mépris en la traitant à mots peu voilés d’idiote – « quelqu’un a-t-il une question en français ? » Or, la journaliste avait posé une excellente question. La colère de Mélenchon contre les juges serait en effet beaucoup plus crédible et audible s’il l’avait manifestée quand les mêmes juges se sont invités dans la campagne présidentielle en ouvrant une enquête préliminaire contre François Fillon, 24 heures après la parution du premier article du Canard enchaîné ou quand ils ont décidé de couper les vivres au Rassemblement national à cause de l’affaire des assistants du Parlement européen. À l’époque, Méluche n’avait pas de mots assez durs contre ceux qui osaient mettre en doute l’impartialité des juges. Bref, la justice n’est pas la seule que l’on puisse soupçonner de deux poids deux mesures.

En attendant, à force d’être obsédés par l’indépendance de la justice et les menaces, supposées et réelles, pesant sur elle, on a laissé s’installer une forme de gouvernement des juges puisque ceux-ci, dans le jeu des pouvoirs, prétendent à une autonomie radicale. En somme, ils sont là pour contrôler les autres, mais personne ne peut contrôler les contrôleurs. Et susceptibles avec ça : Henri Guaino avait été poursuivi pour l’adjectif « déshonorant ».

La colère n’est pas un projet politique

Mélenchon se plante quand il crie au complot politique : il est vrai que, dans les affaires Ferrand, Pénicaud, Bayrou ou, dans un autre registre, dans l’affaire de la perquisition chez Alexandre Benalla, le zèle et la célérité des magistrats sont nettement moins prononcés que dans les dossiers du Rassemblement national ou de la France insoumise. Ni Pénicaud ni Bayrou ni Ferrand n’ont eu droit à des perquisitions à leur domicile. Et ne parlons pas de la demande d’expertise psychiatrique à l’égard de Marine Le Pen. Mais les juges n’ont probablement besoin d’aucune consigne pour se montrer plus ou moins zélés. Il y a chez certains magistrats (instructeurs et parquetiers notamment), comme chez certains journalistes – suivez mon regard -, une forme d’ubris qui les pousse à se prendre pour des justiciers chargés de régénérer la démocratie. En clair, les juges ont aussi leurs Plenel qui pensent œuvrer pour le bien commun en se payant des politiques de toutes obédiences. Au premier chef ceux qui ont commis le crime de les critiquer ou de se moquer d’eux. C’est ainsi qu’on ne compte plus les procédures ouvertes contre Nicolas Sarkozy – l’affaire libyenne étant une coproduction particulièrement réussie entre Médiapart et des magistrats. Quand il était l’un des principaux chefs de l’opposition, l’ancien président a été écouté durant dix mois. Et alors que les dossiers sont plutôt maigres, on aimerait être sûrs qu’à la fin, les magistrats du siège ne prononceront pas des condamnations simplement pour couvrir leurs collègues de l’instruction et du Parquet. Sauf erreur de ma part, Nicolas Sarkozy a réussi à rester courtois avec ceux qui l’interrogeaient.

Les imprécations et la fureur de Mélenchon flattent peut-être une partie de son public dans le sens du poil, mais la colère n’est pas un projet politique. Entre l’alliance de juges et de journalistes qui piétinent allègrement le secret de l’instruction – pourtant condition indispensable d’une justice équitable -, et les politiques, soupçonnés de toutes les turpitudes, le combat était déjà inégal. Il l’est un peu plus maintenant que Mélenchon a offert à la presse et à la justice le moyen de se victimiser à bon compte et, en conséquence, de se soustraire encore plus à toute critique, désormais dénoncée comme populiste. Bref, en cognant comme un sourd – et à côté -, Mélenchon n’entame en rien le pouvoir des juges et des médias, il le renforce. Autant dire qu’il ne rend pas service à son pays.

Les Rien-pensants

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Papa Macron et les « enfants » de la République

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Emmanuel Macron à Sarliac-sur-l'Isle, juillet 2018. SIPA. 00868594_000010

Le président nous considère-t-il vraiment comme des adultes responsables ou comme les enfants qu’il n’a pas ?


Tout le monde aujourd’hui connaît la séquence pathétique du doigt d’honneur, qui est tout ce que l’on retiendra du voyage d’Emmanuel Macron à Saint-Martin. Et Dieu sait que les Saint-Martinois méritaient mieux, et que le chef de l’État aurait pu choisir pour les représenter d’autres personnes qu’un duo de repris de justice mal élevés, devenus hélas des symboles de l’île par la magie médiatique de l’onction présidentielle.

Que le drame de l’ouragan Irma justifie une certaine indulgence, soit. Mais je m’interroge : le chef de l’Etat qui a fermement et à juste titre rappelé à l’ordre un collégien trop familier aurait-il laissé passer ce doigt d’honneur si son auteur avait été métropolitain ? Ou, osons le dire, blanc ? Sans doute pas.

Allons adultes de la patrie

Dans le laxisme d’Emmanuel Macron envers ce jeune homme, je vois de la condescendance, du mépris, pour ne pas dire du racisme. Comme s’il considérait que, de la part de « ces gens-là », on ne peut pas s’attendre à autre chose. Que l’on ne peut pas demander à « ces gens-là » de respecter les règles de politesse même les plus élémentaires.

Désolé, Monsieur le président, mais « ces gens-là » ne sont pas intrinsèquement inférieurs ou moins civilisés que les autres ! Et puisqu’il se trouve qu’ils sont de jeunes adultes, donc des adultes, ils ont même le devoir de mieux connaître leurs obligations et de mieux les respecter qu’un adolescent qui vous appelle « Manu ».

A lire aussi: Macron aux Antilles: juste un doigt?

Eh oui, ils sont adultes ! Mais l’admonestation ridicule d’Emmanuel Macron, « Ta mère, elle mérite mieux que ça », pousse à nous demander s’il en a vraiment conscience, lui qui les traite comme des enfants. D’école maternelle en l’occurrence. Les instituteurs savent pourtant par expérience que « arrête tes bêtises, elles font de la peine à ta maman » n’a qu’une efficacité limitée après 6 ans. Et c’est bien dans ce contexte que nous devons comprendre ses propos lorsqu’il nous déclare qu’il « aime tous les enfants de la République » – et ce n’est pas au sujet des élèves d’une école qu’il l’a dit.

Il n’a pas dit non plus, par exemple, « nous sommes tous enfants de la République », dont le sens aurait été radicalement différent.

Allons « enfants » de la Macronie

Je ne spéculerai pas sur la vocation frustrée d’un chef d’Etat qui aurait aimé être télévangéliste plutôt que banquier et/ou homme politique. Je préfère souligner la profonde méconnaissance des valeurs de la République que révèle son attitude, que je ne crois pas dictée par le statut territorial particulier de Saint-Martin (et qui resterait évidemment problématique si elle l’était).

Dans notre République, le peuple est souverain. Chaque citoyen possède une voix, et chaque voix a le même poids lors d’une élection. Une femme, un homme, un blanc, un noir, un jaune, un brun, un homo, un hétéro, un croyant, un agnostique, un athée, un jeune de 18 ans, un moins jeune de 118 ans, vous, moi, Emmanuel Macron : dans l’isoloir, chacun a une et une seule voix, chacun est très exactement détenteur de la même parcelle de la souveraineté collective.

Cette souveraineté, ce droit et ce devoir de peser sur le destin de tous, est une très sérieuse responsabilité. La République est le choix collectif de croire chacun de nous capable d’assumer cette responsabilité, sauf preuve du contraire et déchéance des droits civiques. C’est aussi le choix de considérer chacun de nous comme légitime pour participer aux décisions les plus importantes, parce que ces décisions nous engagent tous et que nous devrons tous en assumer les conséquences.

Lorsque notre président parle des « enfants de la République » au sujet d’adultes, et à la lumière de son indulgence condescendante et de sa leçon de morale surréaliste, il implique peut-être qu’il veut en prendre soin (les classes moyennes déclassées et les détenteurs de petits boulots ubérisés apprécieront la crédibilité de l’intention), mais il implique surtout qu’il les infantilise, et leur refuse donc le droit de penser par eux-mêmes et de décider par eux-mêmes, parce qu’il les en croit incapables.

Le roi se leurre

Emmanuel Macron veut maîtriser les médias sous prétexte de lutter à la fois contre les « fake-news » et contre tout ce qui pourrait heurter certaines susceptibilités exacerbées, en fait filtrer le réel et nous dire quoi penser. Comme un parent qui censure ce que ses enfants lisent ou regardent, parce qu’ils ne sont pas encore assez grands pour avoir le discernement nécessaire pour « faire le tri » par eux-mêmes, et qu’il faut éviter qu’ils soient choqués et dorment mal la nuit.

Emmanuel Macron veut imposer sa volonté au Parlement, car Emmanuel seul sait ce qui est bon pour nous. Alors, au sein même du parti majoritaire, on s’offusque lorsque des élus ne suivent pas les consignes de vote du gouvernement, comme si des chouchous osaient se rebiffer contre l’enseignant qui les favorise. Puisque nous sommes des enfants, les parlementaires ne sont que des délégués de classe, et on ne va tout de même pas leur confier la direction de l’école !

Emmanuel Macron se trompe. Les citoyens français sont des hommes et des femmes libres et responsables. Des adultes. Ne pas les reconnaître comme tels, c’est leur dénier le droit de revendiquer leur éminente dignité de citoyens. C’est trahir la République.

« The House that Jack built »: le Lars von Trier sur le Mal, incompris des gens de bien

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Matt Dillon dans "The House that Jack built" de Lars Von Trier (2018). © Zentropa-Christian Geisnaes/Films du Losange

Je dis « opus » et non « film » — car il s’agit bien plus d’un objet que d’un film, même si ledit objet emprunte la voie (la voix ? après tout, tout commence par une voix off sur fond d’écran noir) cinématographique.

Oui, une œuvre d’art bien plus qu’un film.

Ce Bien qui ne voit pas le Mal

Le plus luthérien (ou le plus janséniste, après tout, ce n’est pas tout à fait un hasard si on accusa jadis les copains de Pascal de tentations protestantes et de fuite dans la prédestination) des cinéastes danois a encore frappé. Après un film en deux parties assez peu convaincant — même si le masochisme raconté dans Nymphomaniac 2, dans la droite ligne de la culpabilité magnifiquement établie dans les 10 premières minutes d’Antichrist, est autrement réaliste que celui de Fifty shades of Grey —, Lars van Trier revient à son obsession fondamentale, déjà sensible dans Breaking the waves : dire le Mal.

Du coup, « Jack » a laissé perplexes quelques critiques. Les mêmes qui jadis avaient condamné véhémentement le très beau Apt Pupil, magnifique adaptation d’une novella de Stephen King par Bryan Singer (ah, Télérama pour l’éternité !).

En fait, le Bien, tel qu’il dégueule des médias et des organismes de gauche, a bien du mal à caractériser le Mal. C’est qu’il est le Bien par idéologie — hors sol, dirait Hannah Arendt — et non par métaphysique. Et le film de Lars von Trier est essentiellement transcendance.

Mais il l’est à travers des images immanentes sanguinaires et mal pensantes : comme l’ont remarqué les belles âmes, ce sont essentiellement des femmes que l’on tue ici, et Uma Thurman joue tellement bien la bobo demeurée que l’on attend avec impatience et accueille avec gourmandise le moment où Matt Dillon (sidérant) lui défoncera le crâne à coups de cric : il le fait pour nous tous. Tais-toi donc, imbécile !

Béni soit qui mal y pense !

C’est que le Mal, dans sa représentation, est notre part maudite, comme disait Bataille. Celle qui reste ordinairement engloutie en deçà du Sur-moi. Le Bien s’étale avec impunité, le Mal est refoulé, ramené à la rhétorique incertaine des rêves…

Mais pas ici. Ici, il se raconte avec une sorte d’ingénuité. Il ne cherche pas à se justifier : il est une donnée. Il est.

A lire aussi: « First Man », une fusée vers les Oscars

Le dernier film qui m’a procuré cette sensation, c’est Salò, le film de Pasolini que j’ai vu à sa sortie en 1976 (dans l’unique salle de la Pagode, aujourd’hui disparue). Où pendant la projection des grappes de spectateurs quittaient la salle — surtout des groupes d’hommes venus en bande voir le dernier opus du Maître, et qui ne soutenaient pas l’image que le Maestro tout récemment assassiné leur renvoyait d’eux-mêmes. Comme disait Barthes à l’époque, ce qui faisait de Salò un film éminemment sadien, c’est qu’il était « absolument irrécupérable ».

Il y a d’ailleurs vers la fin un plan sur le visage de Matt Dillon, à demi englouti sous une cagoule rouge de pénitent diabolique, qui fait immédiatement penser à cette image de Pasolini se…

>>> Lisez la suite de l’article sur le blog de Jean-Paul Brighelli <<<

Le jeu dont vous êtes le migrant

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Capture d'écran "Go Back to Where You Came From" / Youtube

« Go back to where you came from ! » (« Retourne d’où tu viens ! ») : ce n’est pas le slogan expéditif d’un nouveau parti populiste, mais le titre d’une émission de téléréalité diffusée cet automne sur la première chaîne privée polonaise TVN, qui se donne pour mission de démonter les préjugés du public sur l’immigration clandestine.

« Peut-être que le programme changera au moins le regard de quelques-uns »

Le pays tout entier est ainsi invité à regarder durant six soirées consécutives ce reality-show pour comprendre comment on peut traverser des frontières sans passeport, sans argent ni même téléphone portable. Tel est le défi lancé, lors de la première saison, à une poignée de participants triés sur le volet, qui suivront l’itinéraire inverse de celui des migrants, partant d’Europe vers le Moyen-Orient. Signalons que les Polonais ne sont pas les inventeurs du concept. Les producteurs locaux se sont contentés d’adapter une formule qui a fait ses preuves en Australie, où la chaîne SBS a montré de faux clandestins se faisant tirer dessus en Syrie. Magie de la télévision, tout le monde a heureusement survécu.

Dans sa version polonaise, l’expédition traversera plusieurs pays européens, se frottera au traitement déshumanisant des centres de rétention, puis passera par le Liban avant de parvenir à sa destination finale au Kurdistan. « Les gens verront, au lieu de terribles envahisseurs, des êtres humains soumis à des épreuves terrifiantes. Certes, notre programme ne modifiera pas la politique ultra stricte du gouvernement polonais face à l’immigration. Mais peut-être bien qu’il changera au moins le regard de quelques-uns, et ce sera déjà ça », a sobrement escompté un des producteurs.

L’espoir fait vivre. Pour l’instant, les micros-trottoirs ne traduisent aucune évolution humaniste de l’opinion publique. « Comment ça s’appelle déjà ? Rentrez chez vous ? Si seulement ils voulaient l’entendre… », affirment les commentaires les plus modérés.

Si même France Inter plonge dans l’islamophobie…

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Nicolas Demorand sur France Inter face à Gérald Davet et Fabrice Lhomme, 15 octobre 2018 ©Youtube/France Inter

Tout fout le camp. La semaine passée a vu France Inter parler d’islamisme, Macron faire allusion à Zemmour et l’humoriste Fary faire rire une personne: Yann Barthès, qui mène la contre-offensive à gauche… Vivement demain.


Alors qu’y passent frénétiquement les pages de la presse, quand je prends en main le dernier Marianne, mes doigts, soudain, deviennent gourds. « Immigration : Et si on disait la vérité », promet l’hebdo en une. Quel mauvais goût ! Jusqu’alors, l’immigration était une chance et chaque citoyen préparait sa chambre d’ami pour loger un migrant. Sous-titre : « La folie d’un monde sans frontières. »  C’est à Marianne qu’ils sont devenus fous, non ? Natacha Polony n’a pas trainé pour y imposer sa patte délicate ! C’est selon l’humoriste France-interiste, Guillaume Meurice, « la nouvelle formule de Valeurs actuelles ». Dans sa bouche, ce n’est pas un compliment. Entre résignation et indignation, la gauche est fort tiraillée. Elle aimerait éviter les barbelés.

France Inter plonge dans l’islamophobie

Et comme un petit 7/9 avec Nicolas Demorand a toujours quelque chose de rassurant, réfugions-nous sur sa station ! Invités lundi 15 octobre : les journalistes-rois-du-Monde, Davet et Lhomme, venus présenter leur brûlot « Inch’Allah : l’islamisation de la Seine-Saint-Denis à visage découvert ». Un autre titre choquant, si vous voulez mon avis. Le sujet étant « compliqué », « clivant » et soumis à « beaucoup d’idéologie », une bonne partie de l’interview est consacrée à la forme du bouquin plutôt qu’au fond. Pas folle, Léa Salamé s’attarde ainsi sur les méthodes originales de nos deux modestes journalistes. Ils ont confié l’enquête de terrain à des étudiants, ces malins ! Les chers petits ont été épaulés et bien conseillés par Davet, Lhomme et leur sidéral savoir, c’est mignon comme tout. On apprendra quand même qu’il existe dans des écoles des cantines où les élèves non musulmans – minoritaires – sont qualifiés d’ « impurs » et ne mangent pas à la même table que les autres, ce qui est moins mignon. Et n’augure pas des lendemains qui chantent. Autre phénomène cocasse : une épidémie d’allergies au chlore touche les gamines attendues au cours de natation. Heureusement, une directrice d’école du 9-3 défend les « valeurs de la république » dans le bouquin. Ouf.

Immigration, identité, islamisation : ces thèmes sulfureux sont sur toutes les lèvres. Le déni des problèmes s’éloigne tout doucement… Si la Macronie et ses médias ne se mentent plus, c’est tout comme s’ils faisaient « semblant » d’en parler. En quelques jours, une pétition lourdingue réclamant un référendum sur l’immigration a recueilli pas moins de 50 000 signatures sur le net. Les pétitions monstres, d’habitude, nos médias adorent. Mais cette fois, personne n’en a parlé, à part le canard qui effraie tant Guillaume Meurice… Les autres ont commenté la mort du malheureux Aboubacar, 13 ans, au cours d’une rixe aux Lilas. Une commune de Seine-Saint-Denis.

Manu Zemmour et Jean-Luc Zuckerberg

Par ailleurs, c’était pas la peine de nous répéter pendant un mois que la théorie de Zemmour sur les prénoms était une énorme connerie. Même le président semble « confesser » qu’il y a bien là un sujet ! Personne ne l’a relevé, alors je m’y colle : Macron a dit dans son allocution télévisée de lundi qu’il ne fallait « pas se soumettre aux inégalités de destin […], celles dont on hérite et avec lesquelles on vit […], ce sentiment d’être empêché, d’être assigné à une place dans la société ou dans un quartier parce qu’on est né là avec tel prénom ou dans telle famille »… Difficile de ne pas voir un clin d’œil à Zemmour.

En parlant de confessions, il est bien connu que le confessionnal fréquenté par la génération qui arrive est davantage celui des téléréalités que celui des églises. Il y en a un qui l’a compris, c’est Mélenchon. Alors que la justice menait des perquisitions dans son appartement et au siège de la France insoumise, le leader d’une certaine gauche a filmé en direct sa colère via Facebook Live. Moderne, le vieux ! Alors que la situation se tendait – les factieux des Insoumis n’aiment pas que la justice fouille dans leurs papiers  – voilà que la connexion au réseau plante. Accès de mythomanie complotiste de Méluche : les flics seraient de mèche avec Zuckerberg pour brouiller son signal et entraver sa liberté de dénonciation ! Sacré Mélenchon, il est naïf : si Facebook se permet parfois de censurer, c’est d’une façon plus pernicieuse… De l’autre côté de l’échiquier politique, Marine Le Pen a beau jeu de soutenir à l’Assemblée son alter ego de gauche, dont elle se dispute les votes populaires. En vérité, cette dernière n’est pas étrangère aux difficultés du sacré leader des Insoumis…

Barthès mène la Résistance

La Macronie ne serait-elle alors que mensonges ? Chez les médiatiques et parmi leurs invités, la confusion règne. Dans l’émission Quotidien dont on parle tant, le comique Fary a été invité cette semaine. Le drôle prétend faire rire avec un spectacle autour de l’identité (c’est fini oui ?). Curieusement, malgré un public chauffé à blanc chez Yann Barthès, personne ne rit franchement. Ce comique nous est pourtant présenté comme ce qui se fait de mieux. Il a la prétention de remplir Bercy : pourquoi pas ? Même les philosophes font de l’humour ces temps-ci, façon chansonnier beauf pas drôle. Pourquoi les vrais chansonniers ne pourraient-ils pas alors se prendre pour Johnny Hallyday le temps d’une soirée ?

Un autre jour, c’est un philosophe moins polisson et son livre « évènement » qui sont invités de Barthès. Destin français, c’est ça ? Non, c’est Raphael Glucksmann avec Les enfants du vide. Le malin annonce vouloir lancer un mouvement progressiste, entre Macron et Mélenchon. On va rire, c’est souvent drôle quand les philosophes descendent de leur petit nuage de savoir voluptueux pour se mêler aux tristes réalités de la Cité ! Barthès, amoureux, est bien sûr très enthousiaste vis-à-vis du projet politique précité.

Autres réjouissances sur le front de la Résistance ? Le reporter de guerre, Patrick Cohen, est blessé et se retrouve plâtré, il s’est ramassé dans Paris. En trottinette. Cet épisode plaisamment grotesque résume bien l’époque. La tournée des médias de Marc-Olivier Fogiel, aussi. Lui pense se battre contre une redoutable adversité mais ne rencontre finalement que bien peu de contradicteurs dans son combat pro-GPA… C’est entendu : les enfants ne sortent désormais plus forcément de l’utérus des mamans. La vérité, elle, sort toujours de la bouche des enfants : « Vous voyez bien que j’ai deux papas ! », répète à l’envie l’une de ses gamines quand on lui demande qui est pour elle, Michele, sa mère-porteuse de Floride.

Macronistes, il en reste !

Dans cette course folle après un réel qui se distend, l’exécutif macroniste n’est pas en reste.

Marlène Schiappa, sous-ministre qui a réussi le tour de force de remplacer la fracture sociale par la fracture homme / femme, voue une admiration sans bornes à Macron. La nana ne nous ment plus. Dans un bouquin récent, à mi-chemin entre le Journal de Mickey et Le deuxième sexe, l’essayiste écrivait que ses gamines auraient comparé Macron à Jésus Christ. J’avais trouvé ça peu concevable à l’époque. Cette semaine, on apprend en une du Canard enchaîné qu’elle ne se cache plus et avouerait bien que c’est en fait elle qui voit en Macron un prophète beau à en pleurer chaque mercredi matin : « Il est christique. Les gens le ressentent comme moi, ils aiment qu’il les touche, les prenne par les épaules. »

De son côté, on le sait, Gérard Collomb a démissionné. Quel choc ! La mythomanie reprend les médiatiques : ils font semblant de ne pas voir qu’ils ont passé plus de temps à commenter les deux semaines de flottement pris par le remaniement que les effectifs effectivement remaniés. Quinze jours d’attente pour finalement se voir annoncer que c’est l’angoissant Christophe Castaner qui serait désormais chargé de nous protéger… Autre vérité qu’il serait bon de dire : Collomb se barre car dans la configuration actuelle du pays, on ne peut rien faire à l’Intérieur. Avec les frontières ouvertes et une justice laxiste, le pouvoir est plus agréablement exerçable « en régions », dans la métropole de Lyon, qu’à Paris dans un ministère.

Enfin, Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics, l’affirme : « Nous sommes le gouvernement des classes populaires et moyennes ». Interdit de rire !

Mélenchon: opération destruction

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Rencontre entre Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon à l'Elysée, novembre 2017. SIPA. LUDOVIC MARIN / AFP

J’avais conclu mon précédent article relatif à ce que l’on va désormais appeler le « Mélenchongate » en prévenant le patron de la France insoumise qu’il allait vivre des moments assez difficiles et qu’il devait s’y préparer. A-t-il compris ce qui l’attend ?

Hier Fillon, aujourd’hui Mélenchon

On passera rapidement sur l’outrance maladroite de ses réactions, où il n’a pas compris que l’imprécation furieuse, registre où il excelle, n’était vraiment pas adaptée. Pas plus que ses attitudes précédentes face aux opérations judiciaires contre ses adversaires politiques. D’ailleurs, ses excès semblent le fruit d’une douloureuse surprise face à l’utilisation cynique de la violence d’État par le pouvoir. Comment ose-t-on infliger à Jean-Luc Mélenchon, pourtant consacré « adversaire et non ennemi » par Emmanuel Macron sur le Vieux-Port, le même traitement qu’à Sarkozy, Fillon et Le Pen ?

Depuis le temps, Jean-Luc Mélenchon, vous devriez savoir qu’en matière de justice politique, la recherche de la connivence avec celui qui tient le manche est toujours vouée à l’échec, mais également que l’innocence ne protège de rien. Là comme ailleurs, seul compte le rapport de force. Privilégier la tactique au détriment de la défense des principes est toujours un très mauvais placement.

Alors bien sûr, cher Monsieur Mélenchon, vos emportements ont permis aux gens d’en haut d’exprimer la haine qu’ils vous portent. Non seulement ce n’est pas grave mais cela va présenter quelques avantages. D’abord, ces gens-là, parmi lesquels tous les anciens amis du PS que vous essayez actuellement de débaucher, vous combattront toujours, quoi qu’il arrive, puisqu’ils ont définitivement choisi le camp d’en face. Quant aux couches populaires, celles à qui vous devriez vous adresser autrement qu’en enfilant les gilets de sauvetage de l’Aquarius, il y a longtemps qu’elles ne sont plus dupes et qu’elles savent très bien à quoi s’en tenir concernant l’attitude et les discours des serviteurs de l’oligarchie. À quelque chose malheur est bon, vous pourrez ainsi compter ceux qui vous ont soutenu dans l’épreuve.

A lire aussi: Mélenchon, Jean Moulin ressuscité!

Répétons une fois de plus que l’opération du 16 octobre, avec sa quinzaine de perquisitions, n’a probablement pas pu être organisée sans que le pouvoir exécutif soit au courant et qu’il ait pris lui-même la décision. Tout permet de le penser, à commencer, au-delà de l’expérience professionnelle, par l’utilisation du simple bon sens. Une opération de cette ampleur, le jour de l’annonce du remaniement, menée par le parquet et dirigée contre un des premiers partis d’opposition, sans que les services de la place Vendôme, et notamment le garde des Sceaux, soient au courant ? Sans que Madame Belloubet l’ait décidé en liaison étroite avec l’Élysée ? Une telle mobilisation policière sans que le ministère de l’Intérieur ne soit au courant et ait donné son feu vert ? Soyons sérieux.

Je ne pense pas m’avancer beaucoup en disant que la fameuse enquête préliminaire a déjà dû être fructueuse et que le parquet dispose d’un dossier bien étoffé. De la même façon, il me semble probable que la décision de l’ouverture de l’information judiciaire et la saisine d’un ou plusieurs juges d’instruction est déjà prise, et les magistrats instructeurs choisis. Lors du déclenchement de l’affaire Fillon par le Parquet national financier (PNF), tout le monde savait à l’avance, dans le monde judiciaire, qui serait le juge d’instruction désigné et que le candidat des Républicains serait immédiatement mis en examen.

La justice repose sur la défiance

Avec le grand cirque médiatico-judiciaire qui va se dérouler, le raid du 16 octobre va rapidement apparaître comme un léger hors-d’œuvre. Collection de convocations diverses et variées aux dirigeants et collaborateurs de la France insoumise – soit pour des mises en examen spectaculaires avec des qualifications sonores, de celles qui enjolivent les manchettes : « escroqueries en bande organisée, détournement de fonds publics en réunion, blanchiment de fraude fiscale », etc., soit pour des gardes à vue fatigantes dont les durées seront fonction des qualifications et pourront aller jusqu’à 96 heures… ; nouvelles perquisitions chez les mêmes, avec des écoutes téléphoniques tous azimuts ; la presse sera comme d’habitude scrupuleusement alimentée de copies partielles de procès-verbaux, de pièces de procédure de toute nature, de transcriptions trafiquées d’écoutes téléphoniques – il est d’ailleurs probable que les interlocuteurs privilégiés soient déjà choisis, l’officine Mediapart, fidèle et zélé petit télégraphiste du pouvoir étant bien sûr de la fête, et dans les médias la surenchère et l’effet de meute joueront à fond – ; et naturellement aussi, comme d’habitude, toutes les plaintes pour violation du secret de l’instruction (protégé, il faut le rappeler, par la loi), seront soigneusement rangées par le parquet avec les autres dans l’armoire prévue à cet effet. Rapidement couvertes de poussière, elles ne donneront jamais lieu à la moindre investigation.

Alors j’espère qu’à la France insoumise, on ne va plus entendre psalmodier l’incantation imbécile : « Il faut faire confiance à la Justice ! ». Tout le système judiciaire d’un pays démocratique repose sur la défiance qu’il faut avoir vis-à-vis de l’institution. Sinon, pourquoi avoir un avocat ? Pourquoi celui-ci doit-il disposer de prérogatives et de privilèges importants ? Pourquoi le double degré de juridiction, pourquoi la collégialité, pourquoi toutes ces règles de procédure ? Parce que l’on donne l’usage de la violence légitime de l’État à des hommes faillibles qu’il faut impérativement encadrer en rappelant qu’ « ennemie jurée de l’arbitraire, la forme est la sœur jumelle de la liberté ».

Une affaire, une élection

Il y a ensuite l’autre incantation : « Mais puisqu’on n’a rien fait ! » Je partage depuis longtemps l’opinion du cardinal de Richelieu qui disait : « Donnez-moi deux lignes de la main d’un homme, et j’y trouverai de quoi suffire à sa condamnation. » Je sais bien qu’en France où l’on préfère l’ordre à la justice, prétendre que l’innocence ne protège de rien est blasphématoire, alors que c’est pourtant la réalité. Ce qui protège l’innocent, c’est le débat contradictoire dans le respect des règles et des principes fondamentaux, devant des juges impartiaux. On ajoutera que, dans les affaires politico-judiciaires, le risque est moins la sanction finale, si elle arrive un jour, que dans les mises en cause et le cirque médiatique qui les accompagne. Après son démarrage en fanfare, l’affaire Fillon a dormi paisiblement pendant près de deux ans. Les objectifs qui avaient justifié l’urgence initiale ayant été atteints avec l’élimination du candidat de droite. La particularité de ces affaires, et cela se vérifie à chaque fois, est que chaque emportement médiatique provoqué par des révélations opportunes issues des dossiers judiciaires est toujours directement corrélé à une actualité politique concernant les mis en cause.

Et c’est justement cette expérience de ce qui s’est produit pour Nicolas Sarkozy, François Fillon et Marine Le Pen, pour ne citer que les leaders politiques opposés au pouvoir de Hollande puis de Macron, qui permettent de faire ces prévisions. Mais il y a deux autres facteurs qui viennent nourrir ce diagnostic. Tout d’abord, Emmanuel Macron lui-même a délivré le verdict et annoncé à quelle sauce celui dont il avait dit qu’il n’était pas son ennemi va être dévoré. « L’autorité judiciaire est une autorité indépendante dans notre pays, et j’en suis le garant. Pour tout le monde. N’en déplaise à certains, il n’y a pas d’exception », a-t-il assuré. Invocation habituelle du mantra « indépendance » qui n’a aucun sens dès lors que l’on n’en fait pas uniquement le moyen de ce qui est essentiel à l’office du juge : l’impartialité. Le président de la République sait parfaitement à quoi s’en tenir : il dispose d’un haut appareil judiciaire qui n’a plus besoin de recevoir des ordres pour agir selon ses vœux. Il existe désormais des connivences sociologiques, politiques, professionnelles et idéologiques qui rendent en partie inutile la mise en place de courroies de transmission. C’est ici le deuxième facteur qui permet de prévoir ce qui va se passer. Dans la conduite des affaires politiques, les juridictions soi-disant spécialisées se sont transformées en juridictions d’exception, appuyées par les chambres d’instruction et validées par la Cour de cassation, utilisant des méthodes et mettant en place des jurisprudences qui portent directement atteinte à la liberté politique.

Quand la justice prend des libertés politiques

Arrêtons-nous sur les questions en cause dans les deux dossiers qui concernent Jean-Luc Mélenchon et la France insoumise : les attachés parlementaires et les frais de campagne électorale. Les lois de 1988 et 1990, et les textes qui les ont complétées, ont mis en place un système de financement public de la vie politique dont les trois principes essentiels étaient : le financement par l’État en fonction des résultats électoraux, la limitation des dépenses pendant les campagnes électorales, le contrôle financier enfin exercé par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements de la vie politique (CNCCFP). Ce contrôle porte sur les recettes des partis, afin d’éviter les dons interdits, et sur les dépenses en période électorale. Le contrôle des dépenses, lui, ne doit porter que sur la réalité, afin de vérifier si celles-ci n’ont pas été minorées pour empêcher le dépassement du plafond avec toutes les conséquences désagréables qui en découlent. Mais la stratégie électorale est libre et la Commission nationale ne peut pas déterminer à la place du candidat ou du parti les dépenses qui étaient bonnes pour sa stratégie. Si un candidat pense que c’est bon pour son image de circuler en Ferrari, c’est son droit le plus strict. De même, s’il pense qu’il faut s’adresser à un grand traiteur plutôt que de demander à ses militants de passer chez Picard surgelés, c’est également sa liberté. À condition d’inscrire les factures correspondantes à leur prix réel dans le compte de campagne. Les magistrats du pôle financier ont trouvé une astuce pour contourner cette évidence. Comme l’État rembourse une partie des frais de campagne aux candidats qui ont atteint un pourcentage minimum, leur raisonnement consiste à dire que, du fait de ce versement de fonds publics, le juge a un droit de regard sur la nature des dépenses exposées. Il peut contrôler si elles étaient bien justifiées par la campagne, mais du point de vue du juge. Adieu donc la Ferrari, le traiteur Le Nôtre ou Fauchon et les rémunérations conséquentes éventuellement versées à la société de Madame Chikirou. Ou toute autre dépense qui aura l’heur de déplaire au président de la Commission nationale ou au juge d’instruction. Ils pourront ainsi les qualifier d’escroquerie, non pas vis-à-vis du candidat, des équipes de campagnes ou des militants mais vis-à-vis de l’État rembourseur. Adieu en fait, et par conséquent, à la liberté politique d’organiser votre campagne comme vous l’entendez, cette prérogative appartient désormais au juge.

Aucune surprise quand on voit de quelle façon la même Cour de cassation, suivant le pôle financier, a balancé par dessus les moulins les principes de liberté politique et de séparation des pouvoirs à propos des assistants parlementaires. Un certain nombre de moyens matériels sont mis à la disposition de celui qui a recueilli les suffrages nécessaires pour devenir représentant de la nation. Il n’a de compte à rendre sur l’exécution de son mandat qu’à ses électeurs. Le choix des assistants parlementaires l’organisation et la nature du travail qu’ils effectuent relèvent de sa liberté politique. Dans une affaire qui concernait le Sénat, et en justifiant indirectement le raid judiciaire contre François Fillon, la Cour de cassation vient de considérer que le juge avait un droit de regard sur l’organisation de leur travail par les parlementaires. C’est aussi ce qui s’est passé dans l’affaire Fillon et ce qui se passera, probablement, dans l’affaire Mélenchon. Nouvelles atteintes aux principes, par la grâce de la cour suprême, les députés de la république devront renoncer à la liberté d’exécuter leur mandat comme ils l’entendent, c’est désormais le juge qui imposera ses choix.

Il faut défendre Mélenchon

Cette volonté devenue évidente de la haute fonction publique judiciaire de s’abstraire des principes fondamentaux de la liberté politique et de la séparation des pouvoirs génère des dérives particulièrement inquiétantes. Inquiétude renforcée par le fait qu’aux procédures spectaculaires dirigées contre les représentants de l’opposition politique, s’ajoute une passivité troublante vis-à-vis des affaires concernant les entourages du pouvoir. Comment ne pas soupçonner que la gestion de ces dossiers puisse être conduite par des subjectivités politiques et idéologiques qui n’ont rien à y faire ?

Ce que nous rappelle l’agression médiatico-judiciaire dont sont l’objet aujourd’hui Jean-Luc Mélenchon et son organisation politique, c’est bien l’existence de dérives dangereuses pour les libertés publiques. Alors quoi qu’on pense de Jean-Luc Mélenchon, il est nécessaire aujourd’hui de le défendre. « Quand nos libertés sont sous la grêle, fol qui fait le délicat. »

Échecs du vivre-ensemble: on en demande trop à l’école

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Iannis Roder ©Leemage

Seize ans après avoir tiré la sonnette d’alarme dans Les Territoires perdus de la République, le professeur d’histoire en Seine-Saint-Denis Iannis Roder signe un ouvrage personnel, Allons z’enfants… Au-delà du diagnostic sur les banlieues, une lueur d’espoir pour la génération post-Charlie.


« Les crises de l’enseignement ne sont pas des crises de l’enseignement, ce sont des crises de la vie. » On est porté à avoir un bon a priori quand un livre qui parle d’éducation met en exergue une citation de Charles Péguy, grand penseur, entre autres, de l’idée républicaine et de l’école républicaine. On a tendance à avoir un a priori encore meilleur quand ce livre est écrit par Iannis Roder, l’un des co-auteurs des Territoires perdus de la République, publié il y a seize ans, sous la direction d’Emmanuel Brenner, nom d’emprunt choisi par l’historien Georges Bensoussan.

2002, année névrotique

Retour en arrière. Le 21 avril 2002, Jean-Marie Le Pen accède au second tour de l’élection présidentielle face à Jacques Chirac. Le 11 mai, la Marseillaise est sifflée lors de la finale de la Coupe de France de football. Le 5 novembre sort en librairie l’ouvrage de l’universitaire Daniel Lindenberg, Le Rappel à l’ordre : Enquête sur les nouveaux réactionnaires, dressant une liste d’intellectuels accusés de représenter en France le nouveau pouvoir des réactionnaires. Les trois événements ne sont pas sans relation. L’irruption de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour de l’élection de 2002 traduisait la défiance d’une part grandissante de l’électorat vis-à-vis des vieux partis de gouvernement. Les sifflets du 11 mai traduisaient la défiance grandissante d’une partie de la population – notamment celle des quartiers dits « défavorisés » vis-à-vis des valeurs de la société et de la République française. Le livre de Lindenberg traduisait la défiance grandissante d’une partie des universitaires français vis-à-vis du principe de réalité. La même année, en septembre 2002, le collectif Les territoires perdus de la République, auquel participa Iannis Roder, tentait d’alerter l’opinion sur la situation à laquelle les enseignants des « quartiers difficiles » pouvaient être confrontés au jour le jour, en particulier la montée en puissance du communautarisme et de l’antisémitisme. Il n’est rien de dire que l’appel fut peu entendu. Le fait même que Georges Bensoussan ait préféré diriger et publier son ouvrage sous un pseudonyme en disait déjà long sur l’esprit de l’époque.

Des sifflets aux attentats

Seize ans plus tard, les choses n’ont pas vraiment changé. L’électorat manifeste toujours plus fortement sa défiance vis-à-vis de la classe politique en accordant des scores de plus en plus importants au Front national, les représentants des « territoires perdus » ne se contentent plus de siffler la Marseillaise pour exprimer leur défiance vis-à-vis des valeurs républicaines mais choisissent désormais la voie des armes, et une partie de l’intelligentsia a fait de la défiance vis-à-vis du réel un art de vivre plus qu’une méthodologie. Il a fallu les attentats de janvier et novembre 2015 pour qu’une certaine prise de conscience apparaisse mais elle est dramatiquement tardive. « En janvier 2015, si surprise il y avait, écrit Iannis Roder, elle était le fait de ceux qui n’avaient pas voulu entendre, pas voulu écouter ce que les professeurs, entre autres, dénonçaient depuis des années. »

A lire aussi: Ecoles hors contrat: doit-on encore envoyer ses enfants à l’école de la République?

Seize ans après Les Territoires perdus, Iannis Roder fait à nouveau le point de la situation dans son dernier ouvrage, Allons z’enfants… La République vous appelle, s’appuyant largement sur son expérience de professeur d’histoire-géographie enseignant depuis vingt ans dans un collège de Saint-Denis. Par choix, par conviction. « Au risque de paraître prétentieux, je suis resté parce que je me sentais utile et parce que mes élèves me le disaient. » Si l’expérience relatée est passionnante, au fil des portraits et récits égrenés dans l’ouvrage, elle brosse aussi un tableau pas toujours rassurant de l’état du système scolaire français et de sa capacité à fédérer une population et un public scolaire difficiles, partageant de plus en plus massivement « une vision du monde des plus inquiétante ».

L’école, un investissement d’avenir

L’école républicaine est probablement la première victime des échecs du vivre-ensemble. Une école, nous dit Iannis Roder, « mise en première ligne », à laquelle, à travers ses enseignants, on demande beaucoup et toujours plus, surtout en ces temps de menace terroriste et de djihadisme rampant. Ceux qui témoignaient de l’antisémitisme et du complotisme qui se développaient après les attentats du 11 septembre 2001 passaient déjà pour de funestes Cassandre mais la tâche ne semble pas plus aisée aujourd’hui pour les « lanceurs d’alerte », comme en témoigne le procès intenté à Georges Bensoussan il y a quelques mois, à l’initiative duquel on trouve le CCIF ou le MRAP et aussi, assez tristement, la Ligue des Droits de l’Homme, qui naguère défendit pourtant un certain Dreyfus. Tandis qu’on fait un procès à ceux qui avertirent en leur temps de la catastrophe qui venait, on continue à exiger de l’école qu’elle fasse tout pour remédier aux maux d’un pays schizophrène.

Dans Allons z’enfants, Iannis Roder montre qu’il y croit encore, détaillant les initiatives, les discussions, les confrontations à travers lesquelles il tente de tirer vers le haut des élèves que tout quelquefois semble entraîner vers le bas. La conclusion de son ouvrage reste à ce titre positive : « Il faut espérer, dit-il, que, tous les ans, il y ait des milliers de M. Germain, l’instituteur d’Albert Camus pour permettre à l’école de continuer à survivre, pour que la société, à travers elle, survive elle aussi. Car l’école, écrit-il encore, est le seul lieu où certains élèves vont entendre qu’il y a d’autres manières d’envisager le monde que celle qui a cours chez eux ; elle est parfois le seul endroit où ils peuvent encore rencontrer des gens qui ne pensent pas comme eux et n’ont pas les même représentations. » Un précieux privilège, plus menacé que jamais.

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