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Macron aux Antilles: juste un doigt?


Macron aux Antilles: juste un doigt?
©Twitter/DR

Le soleil des Antilles ne brille pas sur le roi Macron. Censé lui rendre son image de majesté, il n’a fait qu’aggraver la crise dans laquelle il s’était plongé.  


Parti se refaire une petite santé aux Antilles après la calamiteuse série de bévues tant communicationnelles que politiques accumulées, notamment, depuis l’affaire Benalla et matérialisées par une crise de popularité sans précédent, Emmanuel Macron en aura été quitte pour un tremblement de terre, des trombes d’eau – manifestation céleste de la hollandisation du pouvoir – et une nouvelle tornade de mécontentement.

Les deux corps (autour) du roi

Il s’agissait en l’occurrence de prendre le pouls de la population locale, de lui manifester l’idée qu’elle n’était pas abandonnée à son sort après les dévastations causées par l’ouragan Irma de 2017, mais surtout d’exploiter cette rencontre loin de la Gaule réfractaire afin de régénérer le pouvoir macronien par immersion cathartique dans la foule. Le président, qui est jugé de plus en plus sévèrement pour son absence de compréhension des problèmes réels des Français, mais aussi pour le mépris souvent affiché envers ces incompréhensibles réfractaires lépreux animés de passions tristes et de considérations réactionnaires ou rabougries, souhaitait profiter de l’occasion pour se montrer « proche des gens », selon l’expression consacrée.

Notons pour sa défense que, depuis des décennies, l’obsession pathétique de « faire peuple » a donné lieu à de nombreuses scènes toutes plus ridicules les unes que les autres. Giscard s’invitant à dîner chez les Français ou jouant de l’accordéon avait clairement donné le ton de ces rencontres embarrassantes et mis la barre du ridicule déjà assez haut. Plus près d’Emmanuel Macron, les galipettes et virées en scooter de son prédécesseur immédiat et mentor à l’Elysée, son absence répétée de hauteur dans l’incarnation de la fonction, tout comme les « casse-toi pauv’con » et autres curieuses sorties de route du locataire antérieur, avaient également beaucoup contribué à dégrader la fonction. A ce titre, la solennité réaffirmée par Emmanuel Macron lors des premiers mois de son mandat, ce que l’on a qualifié de « reverticalisation » de la fonction présidentielle – a priori consubstantielle à l’esprit de la Ve République et à la figure fondatrice du général de Gaulle -, a été favorablement accueillie, soulageant de nombreux Français qui se sentaient ridiculisés par celui qui les incarnait jusqu’alors.

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Le président de la République semblait avoir parfaitement bien identifié tout l’enjeu énoncé par l’historien Ernst Kantorowicz au sujet des « deux corps du roi », et cette nécessaire articulation mais aussi dissociation entre le corps symbolique associé à la fonction du pouvoir et le corps réel de la personne qui l’exerce. Tout avait donc bien commencé. Sauf que, là comme ailleurs, le « en même temps » a trouvé promptement sa limite. On ne peut pas à la fois vouloir redonner de la hauteur et de l’autorité à la fonction, et se donner en spectacle dans la moiteur torride de l’Elysée transformé en vulgaire dancefloor (et en dancefloor vulgaire). On ne peut pas constamment envoyer des signaux contradictoires, sauf si le but est de noyer le spectateur sous un torrent de messages paradoxaux qui finissent par lui faire perdre le nord…

Macron guérit les écrouelles…

En l’occurrence, à Saint-Martin, Emmanuel Macron a voulu mettre en scène une sorte d’aspiration prétendument irrépressible, physique, le poussant à bondir dans la foule, à s’y perdre (au risque d’y perdre son service de sécurité, oubliant sans doute que Benalla n’était plus là), à y communier comme dans son élément naturel, touchant, embrassant, conseillant, guérissant les écrouelles, faisant quasiment remarcher les paralytiques dans une parabole émerveillée mêlant la guérison (symbolique) miraculeuse et le fils prodigue, tout en un. Une vieille dame refuse de lui serrer la main et se détourne ? Qu’importe, on bondira sur une autre cible populaire, on en trouvera des mains à serrer, on caressera du poitrail, on embrassera, on mêlera son corps au corps multiple de cette foule régénératrice et délicieusement exotique. Cette foule qui a la clé des sondages et des urnes. Dans l’appartement des deux jeunes, avec la famille, on jouera le rôle du papa, on pardonnera les petites « bêtises » (ah, ces jeunes), on touchera les muscles, on tâtera, on se collera, on jaugera cette mâle main d’œuvre comme le fait remarquer avec un humour (noir) irrésistible l’humoriste et ancien camarade de lycée du président, Fabrice Eboué. On est presque surpris que la dentition n’ait pas été inspectée pour en faire compliment.

Et lorsqu’on croit qu’on tient l’image suprême de la réconciliation tant attendue avec ce peuple tant convoité, le voici qui fait un doigt d’honneur, tandis que le repris de justice déguisé en pirate des Caraïbes, de l’autre côté du sandwich, en fait à peu près autant. On ignore ce que cela peut bien faire au corps réel du président, on n’en veut rien savoir, cela n’intéresse personne ; en revanche, on sait ce que cela fait au corps symbolique, à celui qui représente justement le peuple tout entier (croyait-on). A qui le doigt d’honneur est-il en l’occurrence adressé, si ce n’est au spectateur-citoyen dont le président était, ici comme ailleurs, le représentant ?

…et braque l’opinion publique

L’image, déplorable, a immédiatement inondé les réseaux sociaux, et la réalité dépassant toujours la fiction, de nombreux internautes ont d’abord et logiquement conclu à un montage malveillant, tant la ficelle était énorme. Mais non. Il a bien fallu se rendre à l’évidence de cette énième déchéance symbolique. Naturellement, l’opposition s’en est emparée, ce qui est de bonne guerre et légitime.

Placé devant cette embarrassante déconvenue, face à ce réel qui décidément ne veut pas plier, Emmanuel Macron n’a eu d’autre choix que d’embrayer sur le storytelling le plus simple et le plus efficace : l’exploitation raciste de cet événement par une opposition nauséabonde. Les très nombreux Français qui s’émeuvent de cette image calamiteuse ne sont pas choqués par l’abaissement de la fonction présidentielle, non, ils sont choqués parce qu’ils sont racistes. Ils ne sont pas choqués parce qu’on qualifie de simple « bêtise » un braquage, en plein contexte d’ensauvagement de la société et de multiplication des violences, non, ils sont choqués parce qu’ils ont des a priori racistes et réactionnaires face à ces délinquants-là ; ils ne sont pas choqués parce que Marin attend toujours son selfie moite ou que les parents d’Adrien Perez, assassiné cet été (sans doute ses assassins ont-ils fait une « bêtise » qu’on leur pardonnera promptement), attendent encore une réponse à leur lettre au président, non, ils sont choqués parce qu’ils sont racistes.

Je vous aime, compris ?

L’inénarrable Marlène Schiappa n’aura pas tardé à embrayer sur ces éléments de langage qui constituent désormais la seule ossature intellectuelle du macronisme en campagne dans le but de sauver ce qui peut être sauvé pour les prochaines élections. Ce paradigme du Castor est encore le seul qui puisse vaguement fonctionner, alors il est exploité autant que possible et jusqu’à la corde, jusqu’à ce que celle-ci craque. Sous ce prétexte fallacieux, tout est et sera ramené autant que possible à des questions de races, alors même que cela n’intéresse que ceux, agités, à qui profitent ces débats hystériques et stériles. Dans une curieuse tentative de renversement des choses, Emmanuel Macron a expliqué qu’il aimait le peuple, qu’il « aimait chaque enfant de la République ».

Mais c’est oublier que depuis l’avènement de la République, le peuple ne demande pas à être aimé charnellement, il ne demande pas que, tel Pétain, le chef fasse « don de son corps à la France », il ne demande en général pas que le chef de l’Etat déboule chez soi pour s’y frotter contre nos corps à moitié dénudés, non, il demande à être respecté, à être pris en considération, à être protégé, politiquement, socialement, économiquement, respect qui passera par exemple par le fait relativement simple de ne pas être constamment traité de « lépreux », de « réfractaire », de fasciste ou de raciste à la moindre occasion.

Autant dire que le niveau des attaques contre toute forme de critique volera au-dessous de la ceinture, laquelle se porte désormais à mi-cuisse par-dessus le slip dont on se demande ce qui oblige encore à le mettre, puisqu’on est entre nous.

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Chroniqueuse et essayiste. Auteur de "Liberté d'inexpression, des formes contemporaines de la censure", aux éditions de l'Artilleur, septembre 2020.

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