Pour un ministre, Jean-Michel Blanquer est un homme épargné par la critique. C’est sans doute parce que le chef de l’Education nationale ne fait « pas de vague »: il est l’incarnation par excellence du ministre macronien.
Il y a quelques jours, on pouvait lire, dans Le Figaro, un article relatant la grande satisfaction du président Macron envers Jean-Michel Blanquer, décrit comme la figure emblématique du ministre macronien. Confortablement installé dans le paysage gouvernemental, le personnage bénéficie effectivement d’un regard pacifique ou indifférent, tant de la part de l’opinion publique que de celle de la classe politique. Pour l’Elysée, un bon ministre serait donc avant tout un ministre qui n’éveille pas d’oppositions, la question de son action restant tout à fait secondaire, voire subordonnée à cette qualité.
Blanquer, l’homme qu’on n’attaque pas
Cela dit, on peut se demander ce qui, chez cet homme mesuré dans ses propos et discret dans son action, peut bien susciter ce curieux mélange de bienveillance et d’indifférence qui en ferait un modèle. La réponse se trouve certainement du côté de ses occurrences médiatiques, peu spectaculaires mais efficaces et fréquentes, faisant chaque fois état de remarques de bon sens, d’annonces encourageantes ou de statistiques édifiantes.
Uniforme à l’école ou bien-être de l’élève, enseignement de l’anglais ou de l’arabe, dictées ou nouvelles méthodes, tous les classiques des conservateurs et des progressistes sont à un moment ou un autre l’objet d’une intervention rassurante dans chaque camp. Jean-Michel Blanquer fait remarquer un jour qu’un élève de CE1 sur deux a des difficultés en calcul, un autre jour il affirme que l’écriture inclusive n’a pas sa place à l’école, ou encore il annonce qu’il commande des rapports pour comprendre pourquoi Singapour réussit brillamment là où la France subit des échecs retentissants (en maths et en lecture). Chaque fois, ses interventions expriment autant d’analyses justes que de bonnes idées d’action, et chaque fois ses déclarations sont plutôt bien perçues par une majorité d’enseignants, à tel point que leurs syndicats peinent à trouver un angle d’attaque.
Si Blanquer était ministre…
Au fond, c’est dommage que Jean-Michel Blanquer ne soit pas ministre.
Ce n’est pas avec lui à la tête de la rue de Grenelle qu’on verrait au journal télévisé de France 2 des manuels prônant l’usage de l’écriture inclusive faire leur rentrée en école primaire !
Et puis, à l’écouter, il est certain qu’il aurait définitivement et intégralement abrogé cette lamentable réforme du collège de 2016, dont la lettre et l’esprit perdurent de fait aujourd’hui, ne serait-ce qu’en prolongeant les EPI, en maintenant certains horaires de mathématiques en-dessous de ceux de l’éducation physique ou en supprimant les notes dans certains collèges pour les remplacer par des couleurs (rouge, jaune, vert ou vert foncé) à mettre sur une tripotée de vagues et ineptes « compétences » que, hors cas extrêmes, tous les enseignants évaluent de façon aléatoire, c’est-à-dire sans barème, à la louche, au pifomètre, au doigt mouillé, regardant la copie de loin en clignant un peu des yeux et ne mettant au final que du jaune et du vert pour n’avoir d’ennuis avec personne.
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Soyez assurés que si Jean-Michel Blanquer était ministre, il saurait que les miracles n’existent pas plus en éducation qu’ailleurs. Et que si ce sont des asiatiques et des Russes les champions du monde respectivement en mathématiques et en lecture, ce n’est certainement pas grâce à une mystérieuse méthode qui aurait le moindre point commun avec les délires de nos pédagogistes, mais tout simplement parce qu’ils appliquent les principes de grande quantité de travail et d’exigence rigoureuse qui étaient les nôtres jusque dans les années 60 et que nos ministres successifs ont depuis méthodiquement passés au hachoir. Ce n’est certainement pas Blanquer qui aurait achevé l’anéantissement de ces principes en créant maintenant au lycée une sorte de tronc commun de deux ans si large qu’il prolonge de fait le collège unique jusqu’à la classe de première, et dont on peut facilement démontrer qu’il va faire plonger encore plus bas le niveau des élèves en mathématiques. D’ailleurs, s’il avait été ministre, il n’aurait pas pu ignorer que, si les élèves allemands de quinze ans sont épanouis à l’école quand les français y souffrent d’anxiété, c’est parce que leur système prévoit des filières différenciées à partir de l’âge de douze ans, ce qui permet à chacun de suivre des enseignements adaptés à ses gouts, à ses capacités et à ses projets pendant que notre système de collège unique force tous les enfants à suivre le même chemin, provoquant ainsi le malheur et la honte des plus faibles, la bride et la frustration des plus forts et l’ennui de tous les autres. Le tout dans une baisse généralisée de niveau qui n’en finit pas. Et puis tout le monde sait bien que si Jean-Michel Blanquer était ministre, jamais il ne se laisserait rouler dans la farine par tous ces satellites gravitant autour de l’enseignement sans enseigner (mais expliquant comment il faut faire), tous ces formateurs et autres formateurs de formateurs, hier adeptes des sciences de l’éducation et aujourd’hui ayant trouvé refuge derrière les neuro-sciences qu’ils s’empressent de revendiquer pour sauver leur peau et nous annoncer d’un air important de misérables banalités qui contredisent d’ailleurs tous les principes qu’ils soutenaient encore hier.
Enfin, et surtout, si Jean-Michel Blanquer était ministre, il aurait mis fin au pire monument de légendes et de mensonges éducatifs – accélérant notre chute – que constitue cette usine à gaz appelée « évaluation par compétences en fin de cycle » qui n’a ni queue ni tête, qui met la poussière sous le tapis en faisant perdre un temps considérable et qui ne présente strictement aucun intérêt, sinon de faciliter l’obtention du Diplôme national du Brevet (DNB, ex Brevet des collèges, ex BEPC) pour donner un pauvre bout de papier à l’armée de gamins qui sortent chaque année sans rien du système scolaire et ainsi faire baisser leur nombre.
Sous Macron, les paroles prévalent sur l’action
Personne ne doute que, contrairement à ses trois prédécesseurs, Jean-Michel Blanquer est compétent et connait parfaitement la situation. Malheureusement, il appartient à l’ère macronienne et on comprend alors pourquoi il fait figure de ministre idéal aux yeux présidentiels : parce qu’en éducation comme ailleurs, la parole est prioritaire sur l’action, parce qu’encore et toujours, tout change pour que rien ne change.
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En même temps réformes et immobilisme, en même temps nouveauté et conservatisme, Macron applique la vieille formule du « changement dans la continuité » inventée par Giscard il y a plus de 40 ans. Tout change pour que rien ne change. De son ultra-libéralisme thatchérien à ses petits sauts de cabri aux cris de « Europe ! Europe ! » en passant par sa perception des banlieues et de l’immigration, Macron réchauffe les mauvais discours et les idées épuisées des années 80 auxquelles il a ajouté le mépris des petites gens. Depuis plus d’un an que le personnage est exposé en place publique, la cire a fondu et nous découvrons hélas le visage lisse et sans empreinte de ceux qui, comme on en voit souvent dans les bonnes écoles ennuyeuses, ont toujours été immatures sans jamais avoir été jeunes. Quant à son proche entourage qu’on nous peignait comme une élite fourmillant de talents et de techniciens de haute volée, on le découvre réduit à une poignée de piètres courtisans qui, avant d’abandonner le navire, traînent un peu pour avoir le temps d’y apprécier la cantine.
On ne croyait pas que ce fût possible mais on l’aura finalement trouvé, celui qui réussit cet inimaginable tour de force : nous faire regretter Hollande.
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