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Un jour, la droite gouvernera le monde


Orban, Salvini, Bolsonaro… La déferlante conservatrice est en train de submerger le monde. Ce réveil, souvent religieux, peut être vu comme une bouffée d’air frais mais devrait aussi inquiéter…


Salvini en Italie, Orbán en Hongrie, Kurz en Autriche, Trump aux États-Unis et maintenant Bolsonaro au Brésil : la liste des hommes forts de la droite s’allonge chaque année en Occident. Le retour du balancier a été déclenché. Résurgence du politique, des souverainetés nationales, des grands mouvements de convergence : impossible de ne pas y voir une certaine renaissance.

Ne nous y trompons pas : la droite conservatrice déferlera probablement sur le monde dans les prochaines années. Le phénomène ne se limitera pas à l’Occident, et les empires comme la Chine et la Russie y verront sans doute une douce consolation. Une revanche sur le libéralisme postmoderne, dénaturé par la gauche, et sur le monde dépolitisé qu’il a créé. Une revanche sur des pays qui ont fait l’erreur de négliger le rôle de la culture pour leur propre survie. Le retour du politique, c’est aussi le retour de l’Est dans l’histoire.

Un réveil religieux

La remontée des droites aura des avantages et des désavantages. Dans l’ensemble, le réveil du conservatisme ne se fera pas sous le signe de la laïcité (comme parfois en France), mais sous celui de la religion. L’élection de Bolsonaro au Brésil en témoigne : le nouveau président s’est appuyé en grande partie sur la montée des églises évangéliques.

Au Brésil, les chrétiens évangéliques sont passés de 6 % à 22 % en 30 ans. En 2010, ils étaient 43 sur 200 millions. Les évangéliques sont encore plus nombreux aujourd’hui, et le Brésil demeure le pays catholique le plus populeux au monde. Malgré sa foi peu visible, Trump peut toujours compter sur le vote de nombreux chrétiens évangéliques, baptistes et autres. En Hongrie, Orbán en a déjà appelé à l’établissement d’une « démocratie chrétienne du XXIe siècle ». Quant à Salvini et Kurz, ils peuvent aussi compter sur un électorat plutôt religieux, ce qui n’a rien d’étonnant.

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Le maire évangélique de Rio, Marcelo Crivella, est maintenant connu pour son opposition au Carnaval de Rio, l’un des grands poumons économiques de la ville. Un événement que le maire considère comme un « festival de la chair », bref comme une orgie païenne à proscrire. À l’atmosphère pornographique succède la tentation de l’ordre moral. On dit que les contraires s’attirent. En voilà une autre manifestation.

Un baroud d’honneur ?

C’est loin d’être nouveau : où qu’ils soient, les conservateurs peuvent toujours compter sur la religion lorsque vient le temps de soulever les passions. En Occident, la christianophobie ambiante est parfaitement condamnable, mais le discours politico-religieux, teinté de morale, ne l’est pas moins. Dans le monde musulman, c’est encore plus évident : l’islamisme n’est rien d’autre qu’une révolution conservatrice. Au Brésil, une frange du mouvement évangélique multiplie les sorties contre les personnes homosexuelles. Après les puritains de gauche abreuvés au politiquement correct, revoici les puritains de droite – ou quand une morale fait directement place à une autre.

En Europe et en Amérique du Nord, la gauche s’est souvent acoquinée avec l’islamisme depuis Khomeiny, faisant d’elle une alliée objective des extrémistes. Mais certaines droites baignent encore dans un esprit théocratique, ce qui soulève des enjeux importants pour la liberté individuelle. Le retour du politique est une excellente nouvelle pour tous ceux qui souhaitent que les sociétés occidentales reprennent le contrôle d’elles-mêmes. Mais s’il prend la forme du romantisme ensorceleur, ce retour pourrait avoir des relents anti-libéraux. Il reste toutefois à voir si ce n’est pas un combat d’arrière-garde, c’est-à-dire un assaut final, vigoureux et vif, avant la mort de notre civilisation.

La gauche plaide non-coupable 

Sans grande surprise, la gauche a déjà commencé à nier. « Mais non, je n’y suis pour rien, je suis trop bonne et vertueuse », clame-t-elle un peu partout dans le monde. « C’est en me reportant au pouvoir que nous pourrons mater cette impure révolte populiste », aime-t-elle encore nous rappeler. Comme si les peuples étaient incapables de prendre la mesure de son cuisant échec. C’est bien le monde créé par la gauche postmoderne qui est en train de s’effondrer. La sagesse populaire reprend du galon. Pour le meilleur et pour le pire.

Le soir même de l’élection de Bolsonaro au Brésil, un tout autre événement a retenu l’attention au Québec. Lors d’une grande remise de prix musicaux à la télévision, un jeune artiste habillé en sâdhu indien a inséré son trophée dans sa bouche, imitant ce qui se voulait être une fellation. Dénommé Hubert Lenoir, le jeune lauréat incarnait tout ce qu’il y a de faussement subversif dans la gauche actuelle. Tout ce qu’il y a de révolutionnairement conformiste, mais décadent en elle. Devant la survivance de ce « progressisme » soutenu par l’élite, doit-on vraiment s’étonner de la montée du conservatisme dans le monde ?

Tunisie, la nation des 7 novembre

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Abolie après le 14 janvier 2011, la fête du 7 novembre était un événement important dans la Tunisie de Ben Ali qui commémorait chaque année son coup d’Etat de 1987. Mais l’identité nationale tunisienne a commencé à émerger lors d’un tout autre 7 novembre (1911), au cours duquel les revendications religieuses de la population musulmane se sont heurtées au protectorat français. Récit de la (fragile) naissance d’une nation.


C’était le 7 novembre 2009, un an avant le déclenchement de la révolution du Jasmin qui entraînera la chute du régime de Ben Ali. Je retrouvais la Tunisie pour l’un de mes derniers séjours dans ce pays. J’avais pris une voiture pour aller d’Annaba en Algérie jusqu’à Sousse, située 438 kilomètres plus loin. Après une longue attente et des formalités douanières interminables, me voilà enfin sur le sol tunisien.

La première ville tunisienne rencontrée sur mon itinéraire était Tabarka. D’habitude assez calme, la ville semblait alors à la fête, les restaurants étaient pleins, les parcs et les rues bondés d’enfants et de promeneurs. Partout flottaient des dizaines de drapeaux rouge et blanc, les portraits géants de Ben Ali, au sourire énigmatique et à la main sur le cœur, habillaient les façades et vous suivaient du regard. Après lecture de quelques banderoles, j’avais fini par comprendre : la Tunisie célébrait l’anniversaire de l’accession du président au pouvoir.

1987 : le coup d’Etat médical benaliste

Vingt-deux ans plus tôt, le 7 novembre 1987, le jeune Premier ministre (51 ans) fraîchement nommé par Bourguiba prit sa place après l’avoir démis de ses fonctions pour sénilité. Par la suite, le régime baptisera ce coup d’Etat médical : « le Changement » – plusieurs praticiens furent mobilisés dans la nuit pour signer une attestation d’incapacité contre le chef de l’Etat. Depuis, chaque année à la même date, les Tunisiens étaient (très) fortement incités à commémorer l’événement. Cette fête, si intimement liée à la personne de Ben Ali, fut abrogée en 2011 pour être remplacée par le 14 janvier, jour de sa fuite, baptisée « Fête de la révolution et de la jeunesse ». Dans la même logique, les innombrables places et avenues du 7 novembre ont été renommées « place du 14 janvier 2011 » ou « avenue Mohammed Bouazizi », du nom du vendeur ambulant dont l’immolation en décembre 2010 a déclenché la révolution tunisienne et la vague des printemps arabes.

Tout au long de mon voyage, du moindre petit village traversé à la capitale, le même décor, les mêmes affiches et la même scénographie me suivaient. Alors que durant mes précédentes visites dans les années 1990, je n’avais pas vu autant de portraits de Ben Ali, ils étaient vraiment partout en 2009, y compris sur les immenses façades ou dans les halls des hôtels. Des Tunisiens m’ont alors expliqué que le 7 novembre revêtait une importance particulière cette année-là, quelques semaines après sa réélection pour un cinquième mandat avec 89,62 % des voix. Une amie avocate m’éclairait : « Ben Ali a plus que jamais besoin de rassembler, de susciter l’adhésion populaire, malgré les apparences, la majorité d’entre nous n’est pas d’accord avec le résultat de la dernière élections, on en a marre, mais la peur nous empêche d’en parler ouvertement. » Cela confirmait mon sentiment: ces « célébrations » officielles transpiraient l’énergie du désespoir. Malgré sa récente réélection, Ben Ali devait rappeler qui était le patron.

7 novembre 2009 : le régime chancelait…

A quelques jours des festivités, le 2 novembre 2009, la police tunisienne avait arrêté Fatma Riahi, blogueuse soupçonnée d’être le caricaturiste anonyme, Z. Un mouvement solidaire de protestation anime alors la blogosphère tunisienne qui obtiendra sa libération cinq jours plus tard, au matin du 7 novembre. Rétrospectivement, je me souviens de ces signes avant-coureurs de la chute du régime, à l’image de cet excès de célébrations en décalage avec les aspirations des Tunisiens. C’est peut-être pour cette raison que j’ai eu envie d’immortaliser ces moments. Lorsque je me risquais à prendre des photos, je prenais bien soin de ne pas attirer l’attention des nombreux policiers en civil dont la rue grouillait. Rien d’inhabituel dans ce pays, sinon que je me sentais plus observée cette année-là. Et mes amis tunisiens aussi. S’ils ne se privaient pas de raconter en privé des histoires abominables sur les Ben Ali et leur belle-famille Trabelsi, au niveau de corruption légendaire, en public, ils faisaient bonne figure, me suppliant par exemple de retirer de Facebook les photos du pays que j’avais publiées, accompagnées de légendes comiques, à mon retour en Algérie.

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« Année 2009 : Ben Ali pour la Tunisie ». Photo : Nesrine Briki.
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« Ben Ali notre choix pour le présent et l’avenir », Tunisie, 2009. Photo : Nesrine Briki.

Près d’une décennie plus tard, l’homme providentiel est aujourd’hui bien loin, et sa fête tombée dans l’oubli. Cependant, la date, le 7 novembre renvoie toujours au plus profond d’une mémoire collective refoulée. C’est ainsi que quelques mois après la chute de Ben Ali, des articles ont commencé à évoquer un autre 7 novembre, celui de 1911, qui marque un tournant décisif dans la naissance du nationalisme tunisien.

Un sentiment national né autour d’un cimetière

A l’automne 1911, des émeutes éclatent entre les autorités du protectorat français et la population musulmane. C’est ce qu’on appellera l’affaire du cimetière du Djellaz. Car l’administration française souhait délimiter l’enceinte du plus grand cimetière tunisois afin de le protéger du grignotage progressif de sa surface. Or, si pour l’administration française ce n’était qu’une sorte d’histoire de cadastre à régler avec des géomètres dans l’intérêt de la population locale, la majorité des musulmans y voyaient une tentative des mécréants pour empiéter sur un domaine sacré afin d’y construire une voie ferrée. Malgré l’abandon du projet ferroviaire, la méfiance et le malentendu étaient tels que les heurts autour du cimetière ont viré à l’émeute dans différents points de la capitale, jusqu’à ce que les zouaves ne rétablissent un calme relatif. Au total, ces affrontements ont fait 17 morts dont quatre Italiens et trois Français.

Nombre de Tunisiens considèrent ces incidents comme le facteur déclencheur du sentiment national tunisien. Âgé de huit ans à l’époque, Bourguiba a par la suite raconté que cet épisode l’avait fortement marqué, au point de susciter sa vocation politique. Vingt ans plus tard, en 1933, le militant indépendantiste s’emparera d’une autre histoire de cimetière à des fins politiques en soulevant le problème des tombes des musulmans tunisiens naturalisés Français. Dès les années 1920, les autorités françaises avaient engagé un certain nombre de naturalisations pour coopter des élites indigènes. A coups de décrets, chaque année, quelques milliers de Tunisiens (dont de nombreux juifs, ce qui n’était pas le but recherché) devenaient Français, inquiétant les nationalistes du parti Destour.

Et Bourguiba récupéra les revendications islamiques

En mai 1933, L’Action tunisienne, journal fondé par Bourguiba, mène une féroce campagne de presse contre la naturalisation des Tunisiens. C’est dans ce contexte que le journal relaie une rumeur annonçant l’édiction d’une fatwa : serait déclaré apostat et privé de cimetière musulman tout tunisien qui accepterait la nationalité française. Cette « fake news » avant l’heure fait chuter de manière vertigineuse le nombre de demandes de naturalisations. Dans l’urgence, est promulgué un décret préconisant la création de cimetières réservés aux musulmans naturalisés. Mais rien n’y fait : la peur de l’au-delà l’emporte sur les avantages matériels que promet la France.

A lire aussi: Oui, l’islam a joué un rôle dans la guerre d’Algérie

Du point de vue de Bourguiba, cette controverse a eu un double effet. D’un côté, le jeune nationaliste s’est senti déçu de cet accès de religiosité a priori incompatible avec sa vision d’un nationalisme tunisien moderne et séculier. Mais pour le jeune et habile politique,  l’occasion a fait le larron, l’essentiel étant que le peuple tunisien rejette la France. Bien plus tard, en 2013, son fils Habib Bourguiba Junior admettra que son père s’était servi du motif religieux par pur calcul politique : « Mon père s’était donc opposé à la naturalisation en approuvant, par une espèce de ‘démagogie’ — mais c’était la seule manière de mettre fin à ce mouvement de naturalisation — l’interdiction d’enterrer des naturalisés, considérés alors comme apostats, dans des cimetières musulmans. […] La religion aura servi dans ce cas comme moyen pour une lutte dont la finalité était strictement d’ordre civil ; sauvegarder l’entité tunisienne, une entité fragile, en cours de formation ou tout au moins de « stabilisation ».

Une nation moderne nécessairement fondée sur l’islam

Cette leçon, Bourguiba ne l’a jamais oubliée. Et si Bourguiba est célébré comme le libérateur des femmes, il n’en fut pas moins un fervent défenseur de l’islam comme composante identitaire tunisienne, car il savait la religion indissociable du sentiment national. L’homme d’Etat qui supprima les tribunaux religieux, promulgua le Code du statut personnel et accorda le droit de vote aux femmes avait conscience de chevaucher un tigre religieux en dirigeant la nation tunisienne. Ainsi, même lorsqu’il appela ses compatriotes à abandonner le jeûne du Ramadan pour se consacrer au travail, il présenta l’effort économique comme le véritable djihad à accomplir pour être un bon Tunisien musulman.

Plus que d’autres dirigeants arabes – Nasser, Kadhafi ou Saddam Hussein – Bourguiba était conscient de l’énorme malentendu que recèlent les termes « nation » ou « appartenance nationale » appliqués aux sociétés du Maghreb. On peut raisonnablement penser que les événements survenus ces dernières années en Tunisie l’auraient déçu, mais certainement pas surpris.

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Islamisation: « Le Monde » découvre la lune!

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L’islamisation de la Seine-Saint-Denis vous sautait aux yeux ? Le Monde vient de la découvrir ! De l’Italie de Salvini à Grigny en passant par la France de Robespierre, voyagez dans le temps et l’espace grâce à Causeur


Il était temps. Depuis que les deux reporters du Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, ont coordonné une longue enquête sur l’islamisation de la Seine-Saint-Denis (Inch’allah, 2018) aux côtés de cinq étudiants en journalisme, les langues se délient. Les médias grand public découvrent la réalité, Causeur en fait tout un numéro ! Comme le résume Elisabeth Lévy, « voilà deux journalistes (et leurs cinq apprentis) qui disent ce que beaucoup d’entre nous disent depuis longtemps et, non seulement ils sont reçus avec les honneurs, mais il est bien possible qu’ils réussissent là où nous avons échoué – à ébranler les certitudes d’une certaine gauche ».

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Gentiment bousculés par notre entretien au long cours, les deux compères reconnaissent que le chantage au racisme et à l’islamophobie a (trop) longtemps paralysé les médias de gauche pour enquêter sur cet islam séparatiste et conquérant qu’ils ne savaient voir… Certes, Davet et Lhomme relativisent encore les liens étroits qu’entretiennent islamisme et djihadisme. Certains leur reprochent de dire des banalités, mais quand on travaille au quartier général de la bienpensance médiatique, il faut du courage pour dire ces banalités-là.

Finkielkraut, le retour

La parole se libérerait-elle ? Depuis la diffusion de la vidéo du braquage d’une enseignante par un de ses élèves équipé d’un faux pistolet, le hashtag #pasdevague a déferlé sur Twitter. Des profs brisent l’omerta pour raconter leur quotidien dans les territoires perdus. Là encore, quinze ans après que Georges Bensoussan a sonné le tocsin dans l’indifférence générale. Pour Alain Finkielkraut, qu’Elisabeth Lévy interroge dans nos colonnes, il est encore trop tôt pour crier victoire bien que le mur du déni soit sérieusement ébranlé. Pour notre spécialiste de l’école Anne-Sophie Nogaret, s’ils veulent changer la donne, les professeurs devront parler au grand jour au lieu de se répandre anonymement sur la Toile. Cet ensauvagement rappelle le film de notre ami chroniqueur Jean-Paul Lilienfeld, La journée de la jupe. Presque dix ans après sa sortie, ce brûlot cinématographique avec Isabelle Adjani campant une prof en pleine crise de nerfs reste plus que jamais d’actualité. Rien n’a changé, sinon en pire, d’après les témoignages qu’a recueillis Lilienfeld.

Voyage au pays de Salvini

Section actualités, notre reporter Erwan Seznec a visité une banlieue pas rose et particulièrement morose : Grigny. Au cœur de l’Essonne, cette ville minée par la pauvreté, l’insécurité, le trafic de drogue et le communautarisme, la ville de Grigny a été placée sous tutelle pour surendettement depuis de nombreuses années. L’Etat y déverse des milliards en pure perte… Autre reportage, votre serviteur s’est rendu au centre de l’Italie, dans la cité meurtrie de L’Aquila, victime d’un séisme dévastateur en 2009. Quelques mois après la formation du gouvernement de coalition Lega-Mouvement 5 étoiles, les Italiens sont profondément divisés. Élites technocratiques et classes moyennes déclassées rivalisent dans la défiance réciproque. Un éclairage complémentaire de l’analyse macro-économique de Jean-Luc Gréau qui arbitre le conflit budgétaire entre Rome et Bruxelles.

De retour dans l’hexagone, les joies de l’écriture inclusive vous attendent dans un nombre croissant d’universités fâchées avec la grammaire et la variété des sexes, nous apprend Sami Biasoni. Quant à Normale Sup, ce symbole de l’élitisme républicain à la papa n’en a sans doute plus pour très longtemps si l’on en croit Anthime Rigoulay, jeune normalien dénonçant le bradage de sa grande école.

Du Caravage au Beaujolais

Guidés par Paulina Dalmayer, déambulez dans l’exposition Caravage du Musée Jacquemart-André. Bagarreur, coléreux et brutal, ce génie du clair-obscur a eu une vie aussi tumultueuse que ses héros mythologiques.

Chapitre histoire, pour saluer la parution de Robespierre, l’homme qui nous divise le plus, le nouvel essai de Marcel Gauchet, nous avons voulu le confronter à un spécialiste de la Terreur, disciple de Furet, l’historien Patrice Gueniffey. Concentré de la mémoire révolutionnaire, Robespierre incarne à la fois les grands principes démocratiques et la Terreur.  Pourquoi habite-t-il toujours le subconscient français ? Quelle est sa postérité ? Un débat toujours ouvert.

Enfin, Emmanuel Tresmontant sépare le bon grain de l’ivraie en distinguant les grands crus du Beaujolais, que la piquette rituelle de novembre aux arômes de banane ou de framboise occulte injustement. Un dernier Causeur pour la route !

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« Le Monde » et l’islam: avoir raison avec Causeur…


Les grands reporters du Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, ont dirigé cinq étudiants en journalisme pour enquêter sur un sujet inflammable: l’islamisation de la Seine-Saint-Denis. Longtemps cantonnée à la presse de droite, la description d’une contre-société musulmane séparatiste ébranle désormais les certitudes de la gauche. Après des années d’aveuglement politique et médiatique, l’heure de la prise de conscience a peut-être sonné. 


Avouons-le, quand Gérard Davet et Fabrice Lhomme, les duettistes du Monde, ont entamé leur tournée des popotes médiatiques pour évoquer leur livre Inch’Allah, notre première réaction a été plutôt goguenarde. L’islamisation progresse en Seine-Saint-Denis, quel scoop. « Ils découvrent la lune » – ou l’eau tiède : l’apostrophe gentiment moqueuse qui figure en une de ce numéro est spontanément venue à l’esprit de beaucoup de Français qui, depuis des années, observent une forme de sécession culturelle chez une partie des musulmans français et voient la loi des barbus s’imposer à certains quartiers.

Trop tard, c’est mieux que jamais

Notre ironie, reconnaissons-le, n’était pas dénuée d’une certaine jalousie. Voilà deux journalistes (et leurs cinq apprentis) qui disent ce que beaucoup d’entre nous hurlent depuis longtemps, et, non seulement, ils sont reçus avec les honneurs, mais il est bien possible qu’ils réussissent là où nous avons échoué – à ébranler les certitudes d’une certaine gauche, beaucoup plus puissante culturellement que numériquement, qui, depuis vingt ans, voudrait interdire que l’on observe, dénonce et combatte l’islam radical et séparatiste qui étend son emprise sur les territoires perdus. Avant nous, le sujet était traité par des idéologues, avance le duo, comme pour s’excuser de l’accueil qui leur est fait. Taratata. Eux-mêmes ne parviennent d’ailleurs pas à conserver, face à leur objet, la stricte neutralité à laquelle ils prétendent, puisqu’ils admettent explicitement que le phénomène qu’ils décrivent est problématique, et même inquiétant. En réalité, c’est l’idéologie qui a empêché tant d’observateurs de voir ce qu’on leur montrait. Les témoignages publiés jusque-là n’avaient rien d’idéologique, sinon leurs auteurs ou les journaux qui les accueillaient. Pour les consciences délicates, le messager suffisait à discréditer le message. Autrement dit, tant que les lanceurs d’alerte étaient d’affreux réacs, cette gauche moralisante avait beau jeu de dénoncer le doigt. Maintenant que le doigt porte le sceau du Monde, beaucoup se sentent autorisés à voir la lune, qu’il s’agisse de l’islamisme ou de la violence scolaire.

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Pour tous ceux qui pensent (ou savent) que le quotidien du soir est l’organe central du politiquement correct, c’est râlant. Il serait cependant malvenu de s’arrêter à cette microblessure narcissique. Après tout, peu importe que la vérité vienne de Causeur ou du Monde, d’Alain Finkielkraut ou de Plic-et-Ploc (le petit surnom affectueux que nous donnons à nos deux confrères). On connaît la formule de Péguy sur la nécessité de voir ce que l’on voit. Si Davet et Lhomme contribuent à nous rendre collectivement le droit de voir, grâces leur soient rendues. Trop tard, c’est mieux que jamais. Du reste, comme ils nous l’ont raconté pendant l’entretien qu’ils nous ont donné, même pour eux, la bataille est rude. Coupables, aux yeux d’une partie de la corporation (et peut-être de leur propre rédaction), de grave manquement au progressisme journalistique, nos confrères essuient leur lot d’insultes et autres accusations, méthodes privilégiées de ceux qui n’ont pas d’arguments. Sans surprise, deux auteurs du Bondy Blog assènent sur Mediapart que « deux journalistes forment des étudiants en déformant le 93 ». Relevant le côté patchwork de l’ouvrage, ils déplorent que « les lecteurs reçoivent cette collection d’anecdotes sans jamais pouvoir en tirer du sens ». Alors que le livre décrit impeccablement, en l’attaquant par ses multiples facettes, un phénomène global et malheureusement cohérent, on se dit qu’ils parlent pour eux. Et on se tient à leur disposition pour leur expliquer ce sens qui leur reste bizarrement caché.

La bonne presse se pince le nez

Des Inrocks à France Info, on a évidemment pincé le nez et abondamment relayé les reculs ou rétractations de plusieurs témoins interrogés dans le livre, sans imaginer un instant qu’elles étaient peut-être dictées par la peur causée par la pression islamiste. N’ayant pas grand-chose à se mettre sous la dent au sujet de l’enquête, Libé a mobilisé ses décodeurs pour parvenir à cette révélation de taille : les jeunes élèves en journalisme n’ont pas été payés (sinon en reconnaissance et en opportunités professionnelles, ce qui est inestimable). Chapeau les gars, ça c’est de l’investigation. Quant à tous ceux, y compris parmi nous, qui se laissent aller à une pointe de joie mauvaise, sur le mode « à leur tour de savoir ce que ça fait d’être montré du doigt quand on dit la vérité », ils oublient que la liberté de deux journalistes, même du Monde (c’est une blague), est aussi précieuse que celle d’Éric Zemmour ou Pascal Bruckner. Et que leur livre, tardif et imparfait, est aussi honnête et courageux.

Il est trop tôt pour savoir si cette fois sera la bonne ou si, comme par le passé, après ce moment de lucidité collective, on s’empressera de regarder ailleurs et d’oublier qu’une contre-société s’organise dans notre société. En attendant, il faut revenir sur l’aveuglement volontaire qui, durant deux décennies au moins, nous a empêchés de lutter contre ce sécessionnisme rampant. La dénégation a été le meilleur allié de l’islamisation.

Quand Le Monde minimisait les crimes de Merah…

L’un de nos plus anciens et plus fidèles lecteurs, l’excellent Serge L., plus connu sous l’aimable pseudonyme de l’Ours, nous a adressé il y a plusieurs années (en 2009 ou 2010) un message que je n’ai pas oublié. Répondant à ceux qui accusaient rituellement Zemmour, Finkielkraut, votre servante et d’autres d’attiser les colères et les fractures françaises par le simple fait d’en parler, l’Ours disait en substance : non, ce qui met en rage les gens ordinaires et les pousse dans les bras du Front national, c’est qu’on nie ce qui leur arrive et qu’en prime, on les traite de fachos quand ils disent qu’ils se sentent étrangers chez eux. On connaît les racines de ce « délit de réel », encouragé et même imposé par la gauche des années durant : culpabilité coloniale, vide doctrinal, prétention morale. Il n’y avait pas de problème de l’islam, mais un problème d’islamophobie. Dire autre chose, c’était se signaler comme raciste. Et faire le jeu du Front national.

À intervalles réguliers, les grands médias, Le Monde en tête, dénonçaient la progression des idées d’extrême droite, la première étant généralement l’inquiétude affichée face à un islam radical et conquérant. Même après l’équipée sanglante de Mohammed Merah, alors qu’on apprenait peu à peu quelle cité et quelle famille avaient engendré un tueur d’enfants juifs, les belles âmes aux narines délicates n’en ont pas démordu : l’islamisation, serinaient-elles, est un fantasme nauséabond.

Le 26 mai 2012, deux mois après les assassinats commis par Merah, Le Monde publiait un long article intitulé « Pourquoi la phobie de l’islam gagne du terrain ». Expliquant, pseudo preuves à l’appui, que les tendances démographiques ne confirmaient nullement le risque d’islamisation de l’Europe exposé par Christopher Caldwell, Frédéric Joignot écrivait : « Une autre raison expliquerait la montée d’un sentiment anti-islam en Europe : la contamination des musulmans par l’extrémisme islamiste et le salafisme djihadiste. » Le conditionnel devait faire comprendre au lecteur que la vraie raison de ces déplorables sentiments anti-islam, c’était le racisme de ploucs à l’esprit étroit. Le journaliste convenait néanmoins que les crimes de Merah avaient pu jouer. Avec cette phrase qui résume l’hallucinante cécité médiatique : « Reste qu’un seul assassinat, même condamné par les musulmans français, qui vient s’ajouter à toutes ces informations qui nous parviennent sur la place prise par l’intégrisme dans les pays du “printemps arabe”, permet à l’extrême droite d’entretenir un sentiment de peur et d’attirer une partie de l’opinion – Marine Le Pen était à 13 % dans plusieurs sondages avant l’affaire Merah. Elle a déclaré aussitôt après, le 25 mars, à Nantes : “Ce qui s’est passé n’est pas l’affaire de la folie d’un homme ; ce qui s’est passé est le début de l’avancée du fascisme vert dans notre pays.” » En somme, « un seul assassinat … » a rendu les gens dingues. Qu’elle relève du cynisme ou de l’idéologie inconsciente, cette minimisation des crimes de Merah glace encore. Le Monde préférait avoir tort avec les islamistes que raison avec Marine Le Pen. Quant à la condamnation des musulmans français, on aurait aimé qu’elle fût plus massive et plus bruyante. Mais, comme on le disait (et comme on le dit encore) tous les quatre matins sur France Inter, demander aux musulmans de dénoncer avec un peu plus de force des crimes commis en leur nom, c’était déjà du racisme.

Après le 7 janvier

Seulement, ce ne sont pas des agressions islamophobes, mais bien des attentats islamistes qui ont endeuillé et sidéré la France – et même François Hollande a dû surmonter sa répugnance à nommer l’ennemi. Après le massacre d’une bande de joyeux lurons, le 7 janvier 2015, on s’est à nouveau demandé quelle forêt avait pu abriter de tels arbres. Les journalistes les mieux pensants revenaient effrayés de cités où les Kouachi étaient des héros. Il est devenu impossible de ne pas voir que le fameux vivre-ensemble se traduisait, pour certains, par une séparation mentale totale. À quelques piteuses exceptions près (comme Plenel et Joffrin ânonnant encore au soir du 7 janvier que c’était la faute aux réacs), on a pu croire que la gauche politique, et même en partie médiatique, avait enfin été décillée. Nous ne céderons pas, proclamait Manuel Valls. Nous devons regarder la réalité en face, promettaient quelques intellectuels musulmans. Dans pas mal de foyers français, où l’on avait vu de ses yeux le désastre arriver, on se disait avec soulagement qu’on en avait fini avec cet insupportable déni, donc avec la rage qui vous saisit quand un prétendu expert ou donneur de leçons vous explique que vous ne vivez pas ce que vous vivez.

Après chaque attentat, le même processus cyclique s’est reproduit. Pendant quelques jours ou quelques semaines, on a vécu un moment cathartique de lucidité collective, avant que les mêmes mécanismes d’aveuglement et d’intimidation ne se mettent en branle, prudence et idéologie conspirant également à l’occultation, non pas tant des faits déplaisants, de plus en plus difficiles à cacher, que du tableau d’ensemble dans lequel ils s’inscrivent. De sorte que, à supposer qu’ils soient un jour sommés d’assumer leurs responsabilités dans notre retard collectif à combattre l’islam radical, Le Monde et France Inter pourront brandir des reportages traitant de tel ou tel aspect de la progression islamiste, en oubliant évidemment les mille petites manipulations qui leur ont permis de minimiser ou d’excuser. Ainsi, l’ancien quotidien de référence a-t-il été infiniment plus aimable avec un Marwan Muhammad combattant l’islamophobie et le prétendu « racisme d’État » qu’avec un Georges Bensoussan dénonçant l’antisémitisme sévissant chez une partie des musulmans français et poursuivi en justice pour cela. De l’école à l’entreprise en passant par l’hôpital, du refus de la mixité au mépris affiché de la République mécréante, les signes de ce qui se passait étaient innombrables. Le camp de la dénégation a continué à ne rien voir et à ne rien entendre, tentant de faire taire, à coups de « pas d’amalgame », de « il ne faut pas stigmatiser » et de « ça n’a rien à voir avec l’islam » – suivis un peu plus tard par de nombreux procès –, ceux qui entendaient témoigner. Et à chaque fois, dans les rédactions, la jeune troupe journalistique, peu suspecte d’anticonformisme, oubliait le matin ce qu’elle avait appris la veille pour retrouver ses réflexes, cherchant systématiquement à effacer tout lien entre la religion des terroristes et celle des « vrais » musulmans.

Le camp du Bien ébranlé

Seulement, il n’y a que dans les régimes totalitaires qu’on peut mentir à tout le monde tout le temps. Au fil des mois, des attentats et des offensives islamistes, au café du commerce médiatique, le rapport des forces a changé. Dans les plateaux et les studios où l’on donne son avis sur tout, les positions de votre servante, qui représentaient une extrémité du spectre il y a quelques années sont aujourd’hui mainstream. Les visages de la jeune garde de Valeurs actuelles ou du Figaro sont devenus familiers aux téléspectateurs. Il est vrai que, sur la question islamiste, aucun patron de média ne peut ignorer que son public partage massivement leurs idées.

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Désormais, la contradiction s’invite au cœur du camp du Bien et même dans son quartier général, le journal Le Monde. Certes, ceux qui la portent ne voient pas toujours ce qu’ils montrent (ce qui est, selon Alain Finkielkraut, une définition du politiquement correct). Mais ils le montrent. Voilà un moment que Jean Birnbaum, le patron du Monde des livres, fait entendre sa petite différence en critiquant la passivité, la lâcheté et la complaisance de la gauche face à l’islam radical (nous discuterons prochainement de son nouveau livre, La Religion des faibles). Dans La Communauté, publié au printemps dernier, Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin, autre duo du quotidien, racontent la descente aux enfers de Trappes, dont 67 enfants sont partis faire le djihad. Avec Davet et Lhomme, stars du journal depuis qu’ils sont considérés, un peu exagérément d’ailleurs, comme les tombeurs de François Hollande, qui était tout à fait capable de se planter tout seul, le parti de la lucidité progresse un peu plus. Il n’est pas certain que leur rédaction leur en soit reconnaissante, et pas seulement à cause des jalousies qui vont toujours avec le succès. On attend encore que Le Monde consente, jusque dans ses colonnes, à nommer les choses, sans les affubler de la cohorte d’excuses et de nuances destinées à cacher ce qu’elles montrent. Alain Finkielkraut observe justement que, sur la violence scolaire, sujet qui a été l’objet du même escamotage que la montée de l’islamisme, « le déni n’a pas dit son dernier mot », le journal ayant bien sûr trouvé un sociologue pour expliquer qu’on exagère beaucoup et que tout ne va pas si mal.

Le bobard dort

Au-delà du Monde, c’est une grande partie de la gauche politique et médiatique qui voit aujourd’hui s’effondrer comme un château de cartes le récit mensonger dont elle avait recouvert de grands pans de la réalité. Ainsi a-t-on pu entendre, et sur France Inter, le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, reconnaître que nombre de Français vivaient une « crise identitaire profonde » : « Il y a des endroits, a-t-il aussi déclaré, où des regroupements se sont faits génération après génération et donnent le sentiment qu’on est dans une sorte de colonisation à l’envers, comme me l’a dit un jour une de mes concitoyennes. » Cette phrase a bien entendu déclenché un mini-scandale sur les réseaux sociaux et rameuté les décodeurs qui ont expliqué que Faure n’avait pas dit ce qu’il avait dit et que s’il l’avait dit, il avait eu tort. Et bien entendu, Faure a vaguement rétropédalé. N’empêche, on dirait que les noyeurs de poisson croient de moins en moins à leurs propres bobards.

Davet et Lhomme entendent renvoyer dos à dos islamophobes et islamo-gauchistes, mais au risque de les chagriner, leur travail donne plutôt raison aux premiers, tandis qu’il alourdit encore la responsabilité des seconds. Alors bien sûr, un livre ne suffira pas à en finir avec le déni, la lâcheté ou la complaisance qui ont ouvert un boulevard aux barbus, et encore moins à ramener la jeunesse musulmane radicalisée dans le giron de la République. N’empêche, il marque peut-être une étape sur le chemin de la reconquête républicaine. De précieuses années ont été perdues, pendant lesquelles on a préféré repeindre des cages d’escalier et insulter ceux qui refusaient le maquillage de la réalité, laissant la maladie de notre islam s’aggraver. Aujourd’hui, ce ne sont pas Valeurs et Causeur qui parlent de l’islamisation d’un département français, mais deux journalistes du Monde. Plus personne ne pourra dire qu’il ne savait pas. Il ne reste plus qu’à agir… Alors espérons qu’Emmanuel Macron a eu le temps de lire Inch’Allah pendant ses vacances.

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Bouteflika, candidat post-mortem?

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La nouvelle fait déjà beaucoup sourire à l’étranger : Abdelaziz Bouteflika, 81 ans, postule à sa propre succession à l’élection présidentielle de 2019. Cet homme assis dans un fauteuil-roulant après un A.V.C., est absent physiquement de toutes les manifestations populaires et politiques depuis des mois. Remplacé par une photo. Comment l’un des pays les plus jeunes du pourtour méditerranéen peut-il encore confier son destin à un octogénaire dont l’existence même est remplie de mystère ? 


Réputé pour son amour débordant des jolies femmes, Abdelaziz Bouteflika est un pur produit de la guerre d’Indépendance. C’est en grande partie ce conflit qui en a fait un animal politique. Un habile stratège et un séducteur patenté armé d’un cynisme aiguisé.

Dans la garde rapprochée de Boumediene

Né en 1937 à Oujda au Maroc au sein d’une famille originaire de Tlemcen, le jeune Abdelaziz est initié au nationalisme dans les rangs des scouts musulmans, véritable vivier de futurs moudjahidines (« combattants » en arabe). En 1956, il intègre « l’Armée des frontières » basée au Maroc. Il ne connaît pas l’épreuve du feu mais va progressivement grimper les échelons de l’appareil clandestin au sein d’un petit groupe destiné à jouer un rôle central durant la guerre puis après l’indépendance : le clan d’Oujda. Centré autour de deux hommes, le colonel Boumediene et le colonel Boussouf, sorte de « Béria local », ce groupe fortement politisé et armé va progressivement mettre la main sur l’appareil du Front de Libération nationale (FLN) puis sur l’Algérie à partir de 1965. Bouteflika devient rapidement le secrétaire de Houari Boumediene. Il supervise à la fin de la guerre les troupes basées au sud du pays, à la frontière malienne.

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Proche de Houari Boumediene, Bouteflika est partie prenante du coup d’Etat contre Ben Bella le 19 juin 1965. Habile apparatchik, il devient sous Boumediene un jeune ministre des Affaires étrangères soucieux de faire de l’Algérie le chantre du Tiers monde. Il ouvre des négociations avec la France en faveur de l’émigration économique en signant l’accord du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l’emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles, voyage énormément et se fait un solide carnet d’adresses.

Disgrâce et exil

Lorsque son mentor meurt, Bouteflika connaît une période plus trouble. Pourtant ministre d’État sous Chadli Bendjedid, il est accusé d’extorsion de fonds et doit s’exiler de 1981 à 1987 où il se lance dans des affaires fructueuses.

De retour au pays, il va, en bon spécialiste, comploter, ferrailler en interne et réussir à gravir pas à pas les sommets de l’appareil du FLN qui monopolise le pouvoir avec la compagnie pétrolière Sonatrach et l’efficace Direction du Renseignement et de la Surveillance. Durant la guerre civile (près de 100 000 morts et un million de déplacés en onze ans), il s’oppose à la ligne dure portée par le président Zeroual et choisit une solution plus conciliante vis-à-vis des islamistes.

Ancien du clan d’Oujda mais aussi ministre de Boumediene, il a pour lui la légitimité historique pour incarner en cette période de guerre civile à la fois l’unité de l’Etat et tenir un discours de paix civile.

1999 : le sacre du fils prodigue

Après les élections « libres » de 1991, la campagne de 1999 est d’une importance cruciale pour le pays. Opposé au socialiste Ait-Ahmed – l’un des « neuf chefs historiques du FLN » -, au libéral Mouloud Hamrouche et à l’islamiste Abdellah Djaballah, « l’indépendant »  Bouteflika gagne l’élection dès le 1er tour avec 73,5 % de votants. La réalité est moins lisse puisque les autres candidats se sont retirés du scrutin, reprochant le manque de transparence et les fraudes. Mais qu’importe, conforté par le président Zéroual, seul garant de la stabilité des institutions, Bouteflika est élu président de la République le 20 avril 1999.

Toutes les élections suivantes se déroulent suivant un scénario identique : des opposants inexistants, un président surpuissant aidé par une armée et une entreprise d’Etat et des scores de « démocratie populaire » en sa faveur : 85 % en 2004, 90,2 % en 2009 et 81 % en 2014. La messe est dite. Ou presque.

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Bouteflika reste l’homme de la réconciliation nationale. Il crée des aides financières pour les familles des victimes de l’islamisme, libère les militaires emprisonnés après des exactions contre des membres du Front islamique du salut (FIS)… Malgré les critiques des défenseurs des droits de l’homme, ces mesures sont appréciées par une population désireuse de tourner la page une bonne fois pour toutes.

SOS rente pétrolière

Au niveau économique, la flambée des prix du pétrole permet au pouvoir d’enchaîner les grands chantiers : métro d’Alger, amélioration des voies de communication, construction d’une grande mosquée. Sous-traités à des entreprises étrangères ne créant que très peu d’emplois locaux, ces chantiers nourrissent souvent la frustration des jeunes chômeurs. Devenus les premiers partenaires économiques d’Alger, les Chinois y amènent leurs ouvriers célibataires qui ne se mélangent que très peu avec la population locale. Une certaine xénophobie commence à éclore dans un pays ayant rompu tout contact avec l’altérité depuis l’exil des pieds-noirs en 1962.

Sous Bouteflika, les scandales financiers (Khalifa, Sonatrach…) s’enchaînent au cœur de la caste mêlant hommes d’Etat, militaires et nouveaux riches qui se partagent la rente pétrolière tandis qu’une grande partie du peuple affronte le chômage et la pauvreté.

Culturellement, l’Algérie de Bouteflika souffre de schizophrénie. Berbérophone ? Arabophone ? Francophone (la langue de l’ancien occupant) ? Socialiste ? Islamique ?… ou tout à la fois ?

Recherche identité désespérément 

Tiraillée entre une frange « occidentaliste et francophile » et une tendance « national-islamiste » dont les têtes pensantes étaient formées à Kairouan ou au Caire, l’Algérie peine à définir son identité culturelle. La guerre civile a forcé Bouteflika à donner des garanties aux conservateurs. Dans la ligne droite de la politique d’arabisation de Bendjedid, Bouteflika a fait fermer en 2006 quarante-deux établissements francophones tout en scolarisant sa famille dans des établissements privés tenus par… des prêtres français.

Le Printemps noir des Kabyles en 2004 a également obligé le gouvernement à offrir des garanties linguistiques et culturelles à ces irréductibles montagnards culturellement humiliés mais très présents au sein des armées ou de la police.

Au niveau diplomatique, l’Algérie de Bouteflika reste dans la ligne tiers-mondiste de Ben Bella et Boumediene. Soutien déterminé des Palestiniens, l’Algérie a toujours ses frontières fermées à l’ouest avec son voisin marocain. Elle s’est également rapprochée des Américains, notamment sur les questions de sécurité tout en restant très attachée à son armurier russe.

L’exception algérienne

Avec la France, c’est une autre affaire. L’ancienne puissance coloniale garde des intérêts économiques importants en Algérie même si la Chine l’a dépassée et que les Italiens arrivent à grands pas. Bouteflika a toujours eu un rapport conflictuel avec la France fait de mépris et d’admiration. Ancien moudjahidine, il surjoue souvent les contentieux historiques en période de crise tout en se faisant soigner aux hôpitaux de Grenoble et du Val-de-Grâce…

Dans un monde arabo-musulman secoué par les printemps arabes, l’Algérie est une exception. Dernier pays se revendiquant encore du socialisme, il est également le seul à avoir obtenu son indépendance après une guerre brutale et le premier à avoir subi l’islamisme avec les années noires.

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Mais le pays a changé. Il est jeune, connaît l’un des pires taux de chômage d’Afrique (17 % en 2014) et son pétrole n’est pas éternel. La majorité des forces vives du pays ne pensent qu’à décrocher un visa pour la France ou l’Amérique.

Malgré la grogne sociale, qu’illustrent les manifestations de ces cinq dernières années, et le caractère surnaturel de sa candidature, Bouteflika reste un symbole. Il est à la fois le dernier représentant des « résistants de 1962 », avec ses travers et ses espoirs mais aussi l’homme de l’unité recouvrée en 1999. Son maintien acharné au pouvoir montre l’inertie de cette société qui n’a pas su réellement relever le défi démocratique. Si les années noires ont vacciné la population contre toute dérive islamiste, aucune alternative crédible n’émerge pour le moment.

Pierre Guyotat, tempétueux Médicis

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Pierre Guyotat vient de recevoir le prix Médicis pour son récit autobiographique Idiotie (Grasset, 2018) qui évoque son entrée dans l’âge adulte sur fond de guerre d’Algérie. Il était temps que cet écrivain hors norme soit récompensé.


Un livre de Pierre Guyotat est un événement. Son style est celui d’un poète perdu dans ce siècle qui rejette le sabbat des sorcières, préférant louer les prosateurs plats. Ses phrases charrient les corps sales, les odeurs de latrines, les pantalons maculés de fluides divers, les tas d’ordures que les enfants affamés touillent au crochet, les caves moisies où l’on torture les soldats involontaires, les arrière-cours où les jeunes filles perdent leur innocence, les draps souillés par le sang impur de ceux qui refusent d’obéir aux fonctionnaires en uniforme, les fruits qui pourrissent sous le soleil de la Méditerranée, l’aigreur des aisselles de celui qu’on vient d’émasculer, le parfum corrompu de la femme fardée qui arpente les trottoirs d’un quartier malfamé où les nuits sont plus blanches que les jours. Les images sont crues, les métaphores violentes, heurtées par le style d’un auteur halluciné qui a vu ce que l’homme a cru voir. Guyotat, qui admire Genet, paraît plus proche d’Artaud éructant contre la société qui le suicide. Le fleuve Guyotat vous transporte jusqu’au bout de vos forces, les cinq sens se répondent, chaos symphonique, déchirement des certitudes, gravats idéologiques, fleurs de figuier sur la rive qui défile, avant d’échouer en mer Rouge refermée sur l’espoir vaincu.

Multirécividiste de l’écriture

Le premier livre qui fit connaitre Pierre Guyotat fut Tombeau pour cinq cent mille soldats. Il eut les pires difficultés à trouver un éditeur. Le récit fait suite à un voyage en Algérie. Guyotat y avait été incarcéré pendant son service militaire en 1962. La violence et le sexe s’unissent pour nous entraîner dans une danse frénétique rythmée par une langue torturée à l’extrême. L’auteur récidive trois ans plus tard, en 1970, avec Éden, Éden, Éden. Éros danse avec Thanatos, l’érotisme et la violence du texte choquent la France pompidolienne, et le ministre de l’Intérieur de l’époque, Raymond Marcellin, le censure pour « pornographie ». L’interdiction ne sera levée qu’en novembre 1981 sous la présidence de François Mitterrand. Les critiques furent déboussolés par ce récit qui dénonce, dans une langue d’une beauté sépulcrale, le massacre généralisé. Guyotat récidive avec Prostitution en 1975. Du reste, Guyotat est un multirécidiviste. C’est un délinquant de l’écriture. Il ne s’assagit pas avec le temps. Le bordel est à ses yeux un lieu de vérité et de liberté. Plus que jamais il faut lire ce texte !

Un fils de la défaite dans une France nazifiée

Avec Idiotie, Guyotat traite de son entrée dans l’âge adulte, entre 18 et 22 ans. Il évoque, dans son style si singulier, jamais apaisé, invitant à le lire à haute voix, à bousculer le voisin de table agrippé à son smartphone comme le futur noyé à sa bouée de sauvetage, il évoque donc la recherche du corps féminin, sa pulsion de rébellion permanente contre le père pourtant aimé, contre l’autorité militaire, une nouvelle fois, en tant que soldat pris dans la guerre d’Algérie, « arrêté, inculpé, interrogé, incarcéré puis muté en section disciplinaire », comme il l’écrit au dos de son livre, presque pour offrir un fil rouge aux lecteurs qui hésiteraient à pénétrer en territoire miné. Guyotat réaffirme ses rebellions, il évoque leurs conséquences : fugue, faim, fatigue. Et toujours ce refus du réel imposé. Et toujours la guerre d’Algérie, « un massacre plus haut dans le massif », « des grands hangars surchauffés, ou dans le fond, des mécaniciens s’affairent autour de quelques-uns de ces engins qui répandent le napalm sur les forêts, mitraillent les douars abandonnés de force », « au petit matin, rosée sur le barbelé ; dans la journée, réchauffement du métal : les pointes percent le gant, les doigts enflent, s’infectent dans le gant. » Le traumatisme de sa vie, on l’aura compris, est cette trop longue période en Grande Kabylie. Fragile psychologiquement, il fait deux tentatives de suicide, dont l’une se solde par un coma. Mais les mots le sauvent. Il raconte cette descente aux enfers et le titre s’impose sur le cahier d’écolier, Coma, paru en 2006. Il songe à ses terres où il est né, en 1940, dans le Haut-Vivarais, d’un père médecin et d’une mère d’origine polonaise, catholique fervente. Un fils de la défaite dans une France nazifiée, la fréquentation âpre des pensionnats catholiques, les récits tragiques de son père engagé dans la Résistance et la France libre, et cela achève le portrait de Pierre Guyotat, un portrait en forme de mosaïque, à l’image de ses récits.

Orgie au bordel

Roland Dumas fut l’avocat de Guyotat. Une grande amitié les lie, Dumas le considérant comme l’un des plus grands écrivains contemporains. Il possède le manuscrit d’une œuvre inédite de Guyotat, commencée en 1963, et achevée 10 ans plus tard. Le manuscrit porte le titre L’autre main branle, car Guyotat l’écrivit en se masturbant. Sa force métaphorique est formidable. Il faudrait le publier. En voici un court extrait. Des militaires s’enivrent dans l’arrière-salle d’un bar servant de bordel de garçons : « Ils racontaient comment, dans les villages, ils violaient garçons et filles. Quand ils repartaient les couilles bien molles, ils le pelotaient dans l’escalier et jusque dans la salle. Dans la rue il les voyait accoster les adolescents, faire des gestes obscènes aux petits cireurs, s’approchaient d’eux. Certains leur passaient entre les jambes devant les passants, jamais assouvis, toujours en chaleur, haletant comme des chiens.» La suite tourne à l’orgie. L’écriture de Guyotat est traversée par des forces telluriques contraires. Il nomme cela « théorie des flux ». Le lecteur doit se laisser emporter par elles. Jusqu’au très loin. Comme en amour, en politique, en art. Jusqu’au très loin. Ou jamais.

Pierre Guyotat, Idiotie, Grasset, 2018.

Le Brésil, victime des clichés samba-cocotiers

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En France, les médias ne s’en remettent pas: le pays du carnaval, de la samba, du roi Pelé a convoqué à sa tête un « fasciste », « raciste », « homophobe »: Jair Bolsonaro. La radicalité de leur rejet du choix du peuple brésilien n’a d’égal que la ténacité de leurs clichés à l’égard de ce dernier.


Le Brésil est peut-être le seul pays au monde qui se laisse connaître par des clichés et rien que par des clichés. C’est le pays de la samba, des métisses toujours souriantes et de la noix de coco. En tant que Marocain, je m’y connais un peu dans les clichés car mon propre pays fait l’objet de clichés, tous aussi inexacts et fallacieux les uns que les autres, du genre : « Maroc, pays de la tolérance » ou « Maroc, pays tenu d’une main de fer ». Marocain et résident au Brésil depuis sept ans, je m’autorise donc à briser ou du moins à nuancer certaines analyses lues ici et là au sujet des élections brésiliennes.

Vous avez dit « fasciste » ?

On nous dit que Bolsonaro est fasciste. On s’en gargarise même. Démonter cette énormité mériterait un article en entier qui très certainement ne sera pas lu par les apprentis inquisiteurs qui prolifèrent en France. Ils sont dans la croyance religieuse et celle-ci ne souffre pas de remise en question. Je me limiterai donc à souligner que Bolsonaro est un évangélique, c’est-à-dire un homme religieux affilié à une des nombreuses églises protestantes du Brésil. Sa femme aussi. La plupart de ses électeurs le sont. Il faut quand même une sacrée dose de mauvaise foi et de paresse intellectuelle pour confondre un évangélique avec un fasciste. Pour ma part, je ne connais pas de fasciste réel (de l’époque de Mussolini par exemple) qui ait été un chrétien militant. Bien au contraire, le fascisme italien méprisait le Vatican et les valeurs de l’Eglise (par trop molles, par trop humanistes, par trop bourgeoises). Et chez les nazis allemands, il y avait bien une tendance « catholique » (je demande pardon aux catholiques pour l’abus de langage mais je dois aller vite) mais elle n’a jamais pesé lourd face à Hitler, un païen radical.

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Autour de moi (je ne peux pas voter au Brésil car je suis étranger), j’ai vu ma femme de ménage (une métisse du Nordeste) voter Bolsonaro, mon gardien (un noir du Nordeste) voter Bolsonaro, mon épouse (une Brésilienne de sang juif autrichien) voter Bolsonaro, un ami homosexuel voter Bolsonaro. A Sao Paulo, 68% des votes valides ont été pour Bolsonaro. A Rio de Janeiro, une ville à 50% noire, 67% des suffrages ont été pour Bolsonaro. Il faudra donc m’expliquer quel virus sadomasochiste a poussé des « minorités » à se jeter dans les bras d’un apprenti fasciste ! Il faudra aussi expliquer à ma femme comment le seul candidat ouvertement pro-Israël peut être fasciste…

La gauche, championne de la corruption

Si l’on est sérieux cinq minutes, on peut ouvrir les yeux et accepter de voir deux des principaux facteurs qui alimentent le vote Bolsonaro. D’une part, ma femme de ménage et mon gardien sont évangélistes comme Bolsonaro. Ils ont suivi les consignes de vote passées dans leur église. Ensuite, ma femme et mon ami homosexuel en ont par-dessus la tête de la gauche brésilienne qui a mené le pays à la ruine, leur faisant perdre à eux deux leur emploi. Je ne m’étendrais pas sur le sujet, je me limiterai à rappeler que la gauche brésilienne a rendu possible le plus grand scandale de corruption de l’histoire du monde : Petrobras ! La mise à sac du géant brésilien des hydrocarbures a conduit l’intégralité des trésoriers du Parti des travailleurs (PT) en prison : ils sont quatre trésoriers derrière les barreaux.

Le rejet de la gauche est bien plus qu’un phénomène idéologique (ma femme a toujours voté centre-gauche et mon ami homosexuel est de gauche). Mais il faut voir le type de campagne menée par les adversaires de Bolsonaro. Leur slogan a été : « Lula é Haddad ». Autrement dit, Haddad s’est présenté comme le proxy de Lula, le candidat réel à l’élection présidentiel. Or, Lula est en prison pour douze ans (corruption). Le but avoué de la gauche brésilienne était de faire élire Haddad et de faire libérer Lula l’an prochain via une grâce présidentielle. Ensuite, Lula aurait été nommé ministre pour lui éviter toute poursuite future (immunité). Cela s’appelle de l’obstruction à la justice. Le Brésil a certes beaucoup à se reprocher sur le plan moral mais il n’est pas encore une république bananière. Il s’y refuse.

Le vrai fascisme, c’est le crime organisé

Je lis aussi que « Bolsonaro sera un président autoritaire de droite ». Il ne peut s’agir que d’une blague ! Comment instaurer un régime autoritaire avec une police incapable de contrôler des pans entiers du territoire ? La moitié de la population de Rio de Janeiro vit sous le joug des gangs. A Sao Paulo, où j’habite, toutes les banlieues sont aux mains du PCC (Primeiro Comando da Capital), une mafia qui dispose de 10 000 combattants. L’intégralité du système carcéral est contrôlée par le crime organisé. Dans ces conditions, il faudra à Bolsonaro beaucoup de motivation et d’efforts pour instaurer un régime autoritaire au Brésil…

A lire aussi: Brésil: l’autre histoire de l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro

Nous vivons déjà dans une dictature au Brésil, celle du crime organisé. Ce sont eux les fascistes. Ils sont pour beaucoup dans la mort violente de plus de 62 000 Brésiliens l’an dernier, ils tondent les femmes qui osent dire non à leurs « guerriers », ils brulent vifs les homosexuels et les journalistes qui ont le malheur de mettre les pieds dans une favela sans y être invités, ils coupent les têtes de leurs opposants en prison. Ce sont eux les narco-fascistes qui sont en train de transformer le Brésil en un enfer. Combien de morts et de massacres faudra-t-il pour que les observateurs étrangers comprennent à quel monstre le Brésil a affaire ?

Le carnaval aura bien lieu

Ne vous inquiétez-pas, Bolsonaro ou pas, le carnaval aura lieu en février prochain et les bikinis microscopiques continueront à fleurir à Ipanema. Les clichés auront la vie sauve. Il est même fortement probable que les gangs garderont le contrôle des favelas quoi qu’en dise Bolsonaro. Ce cliché-là va survivre lui aussi et il y aura toujours des « analystes » pour s’extasier devant l’échec du Trump brésilien. Quel que soit le suffrage, les clichés gagnent toujours.

Italie: Desirée, ado droguée, violée et tuée par des migrants

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Le drame vécu par Desirée Mariottini, 16 ans, violée et tuée par des immigrés clandestins africains, déchire l’Italie. Au centre du jeu, le ministre de l’Intérieur Matteo Salvini fustige la « vermine » qui tue et viole, essuyant de vives critiques. Sur la question migratoire, le divorce entre la droite italienne et l’Eglise catholique semble consommé. Toute ressemblance avec des faits se déroulant en France…


Le nom de Desirée Mariottini, 16 ans, est aujourd’hui connu de toute l’Italie. Dans la nuit du 18 au 19 octobre, cette adolescente toxicomane a été retrouvée morte à l’intérieur d’un squat romain. Dans le quartier malfamé de San Lorenzo, à quelques pas de la gare de Termini, la jeune Desirée aurait consommé un mélange fatal d’héroïne et de cocaïne fourni par quatre africains immigrés clandestins qui l’auraient ensuite violée et laissé mourir une douzaine d’heures avant d’appeler les secours. Les quatre migrants impliqués dans le drame ont été rapidement arrêtés. Il s’agit de deux sénégalais, un gambien et un nigérian, au passé délinquant avéré (trafic de drogue, violences). Les voilà désormais accusés d’avoir abusé de Desirée ante et post mortem.

Une mort sordide

La police recherche encore un dealer italien ainsi que trois tunisiens suspectés d’avoir assisté à la scène. D’après certains témoignages, la jeune fille aurait par le passé consenti à des rapports sexuels avec ses fournisseurs contre une dose de drogue. Pas plus tard qu’au mois d’août, la même Desirée avait été signalée aux services sociaux et poursuivie devant le tribunal des mineurs pour trafic de Rivotril, un anxiolytique couramment détourné en « drogue du violeur ». Pour compléter ce tableau sordide, ajoutons que Desirée avait été confiée à la garde de ses grands-parents à la suite du divorce de ses parents, son père ayant eu maille à partir avec la justice pour appartenance à un gang mafieux.

Une tragédie survenant rarement seule, l’affaire Desirée a été suivie d’un autre fait divers impliquant des migrants. Le 25 octobre, un médiateur social gambien de 27 ans a violé puis frappé l’une des résidentes du centre d’accueil pour demandeurs d’asile de Ragusa (Sicile). Interpellé après avoir pris la fuite, le violeur présumé est au centre d’une énième polémique suscitée par la mort de Desirée.

La gauche antiraciste rejointe par… l’Eglise

Comme de bien entendu, une partie du personnel politique délaisse les problèmes de fond (insécurité, accueil des demandeurs d’asile, expulsion des criminels étrangers) pour épouser des postures morales. Ainsi, Matteo Salvini a-t-il déclenché un feu grégeois d’indignation par ses mots de matamore. Traitant de « vermine » les meurtriers présumés de Desirée, le ministre de l’Intérieur a promis un traitement de choc au violeur putatif de Ragusa : « S’il est coupable, ce monstre (les animaux valent mieux que lui) mérite la prison et l’expulsion, plutôt que d’être traités avec amour et sourire ». Réplique immédiate du président de l’Assemblée nationale Roberto Fico, figure de l’aile gauche du Mouvement 5 étoiles en conflit permanent avec Salvini, qu’il accuse de souffler sur les braises du vivre-ensemble en instrumentalisant une mort atroce.

L’indignation de la gauche, qui se ressent jusque dans les rangs de l’allié populiste de la Lega, passe encore. Mais la société italienne connaît une fracture nouvelle depuis que les positions du pape François sur l’immigration heurtent les convictions d’une majorité de catholiques conservateurs. Des deux côtés des Alpes. Ainsi, la réplique la plus virulente aux déclarations de Salvini n’émane-t-elle pas de la gauche radicale mais de la congrégation des Missionnaires comboniens. En plein accord avec le discours pontifical, les frères dénoncent « l’instrumentalisation malsaine de la mort [de Désirée] destinée en particulier à attaquer les immigrés ». Invoquant la présomption d’innocence, les clercs condamnent l’emploi du mot vermine,« insultant et méprisant à l’égard des personnes arrêtées », ajoutant qu’un vocabulaire aussi cru « associé aux immigrés risque de susciter un sentiment de haine raciale et inciter à la violence contre les étrangers, en particulier les Africains ».[tooltips content= »Dans l’hexagone, où François d’Assise compte tant d’émules, on aurait parlé de « stigmatisation ». »]1[/tooltips] Plus qu’un sermon, une déclaration de guerre à Salvini ! D’autant que le chef de la Lega aime poser en gardien de l’identité chrétienne transalpine, défenseur du crucifix dans les salles de classe et des madones populaires, tout en fustigeant les appels humanitaires du Vatican. En guise de réponse, le ministre de l’Intérieur s’est contenté d’enfoncer le clou sur Facebook : « Insensé. Je le dis et je le répète : vermine, vermine, vermine. »

Le peuple de droite contre le pape

Presque trente ans après la fin de la guerre froide et la chute de la démocratie chrétienne, l’Eglise italienne a donc rompu son compagnonnage avec le camp conservateur et anticommuniste. Berlusconi n’étant plus qu’un sujet de film, ou presque, la droite italienne largement déchristianisée est en porte-à-faux avec l’Eglise. Le petit parti postfasciste Fratelli d’Italia (4% de l’électorat), que préside la sémillante quadra Giorgia Meloni, ancienne ministre de la Jeunesse de Berlusconi, attaque ainsi Salvini sur son flanc droit. Malgré leurs meetings communs avec Steve Bannon, une certaine proximité idéologique et leur probable alliance aux Européennes, la Lega et Fratelli d’Italia (FI) ferraillent dur. Au lendemain de l’affaire Desirée, une sénatrice FI a déposé un amendement à la loi sécurité prévoyant la castration chimique des pédophiles et des violeurs. Le rejet de cette proposition sans la moindre discussion a méchamment courroucé Meloni, laquelle accuse Salvini d’avoir tourné casaque sur une série de sujets sensibles : le démantèlement des camps de roms, ou la création d’un délit de fondamentalisme islamiste que FI réclame à cors et à cris.

Salvini caresse le Qatar

Confortablement installée dans l’opposition, Giorgia Meloni s’insurge du récent virage pro-qatari de Salvini lors du Salon international de la sécurité intérieure de Doha au cours duquel le dirigeant leghiste a vanté la lutte de l’émirat contre le terrorisme. Les entreprises italiennes séduites par le marché qatari méritent bien une valse… Choquée par ce revirement au profit d’un pays qui condamne de mort l’apostasie et l’homosexualité, Meloni en arrive à défendre le modèle libéral occidental contre l’obscurantisme. Au sein d’un parti héritier du MSI qui se dit désormais « ni fasciste ni antifasciste », une telle position mérite d’être relevée. Si l’Italie a rompu avec le fascisme, elle n’en a décidément pas fini avec la religion…

« Beyoncé est-elle féministe? »: j’ai survécu à une réunion d’Osez le féminisme

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En tournée dans plusieurs sections locales de l’association Osez le féminisme, deux « autrices engagées » ont présenté leur nouveau livre à Toulouse le samedi 27 octobre. Intitulé Beyoncé est-elle féministe ?, ce bréviaire du féminisme pour adolescentes répond avec « pédagogie » à toutes les questions de société jugées primordiales : construction du genre, violences faites aux femmes, matrimoine, sexualité féminine… Entre poncifs éculés et mièvrerie militante, rencontre avec la « nouvelle génération » féministe.


Toulouse, samedi 27 octobre, centre solidaire Abbé Pierre. La section locale d’Osez le féminisme invite Raphaëlle Rémy-Leleu, porte-parole national, et Margaux Collet, « experte genre » : deux éminentes militantes qui viennent d’écrire un manifeste pour l’association dont la figure de proue est Caroline de Haas. Une trentaine de personnes sont réunies pour entendre les « autrices » présenter ce « petit livre » appelé Beyoncé est-elle féministe ? – enfin, Raphaëlle Rémy-Leleu se reprend : « Il faut que j’arrête de dire ‘petit’, c’est un truc de petite fille élevée dans le patriarcat, ça. »

Aux « prédecesseuses », la matrie reconnaissante 

Après avoir laissé la responsable locale présenter les missions de l’association à Toulouse – relais de campagnes de communication, distribution de produits d’hygiène féminine aux femmes migrantes et SDF… et surtout, interventions dans l’enseignement secondaire pour déconstruire les stéréotypes (« mais on va essayer de le faire en maternelle et en primaire, parce que les déterminismes de genre, ça commence très tôt ») – les deux « autrices » commencent leur présentation par un petit quiz plus ou moins ludique : il s’agit de reconnaître de glorieuses « prédécesseuses » grâce à leur portrait dessiné. C’est qu’Osez le féminisme entend s’inscrire dans le féminisme historique. Les figures tutélaires d’Olympe de Gouges, Hubertine Auclert, Simone de Beauvoir, Gisèle Halimi… défilent devant les yeux ébahis du public et l’air entendu des activistes chevronnées, et permettent d’évoquer les grands thèmes de la lutte des femmes contre l’oppression patriarcale millénaire.

Le livre se veut en effet, notamment à travers cette galerie de portraits, une vulgarisation des idées féministes, à destination des jeunes filles tout juste entrées dans le nécessaire « processus de déconstruction des normes qui nous ont été présentées comme inaliénables ». C’est peut-être pour cela que le style de Raphaëlle Rémy-Leleu et Margaux Collet se situe à mi-chemin entre la rédaction d’un élève de quatrième et le texte d’un étudiant tout impressionné de sa première lecture de Marx.

« C’est quoi les trucs de meufs ou les trucs de mecs ? »

On pourrait dérouler, en vrac, les poncifs reproduits niaisement par le livre : culture du viol, concept douteux de « féminicide » – mais dont on apprendra avec consternation qu’il a été consacré par des lois pénales dans plusieurs pays d’Amérique latine, en Espagne et en Italie -, parité en politique, inégalité des salaires, « charge mentale » des tâches ménagères pour les femmes… (exactement au même moment sur M6, « 66 Minutes » consacrait un large reportage aux « nouveaux hommes au foyer »). Mais aussi d’autres lieux communs plus croustillants.

Tout d’abord, la dénonciation de la « construction du genre », évoquée dans un chapitre élégamment intitulé « C’est quoi les trucs de meufs ou les trucs de mecs ? » : on y apprendra notamment que les contes pour enfants sont « un univers sexiste », mais qui tend malgré tout, grâce à la montée du féminisme, à renverser les clichés, témoin La reine des neiges de Disney dont un des ressorts principaux est l’ « amour sororal ». Grâce aux pistes « pour aller plus loin » évoquées dans un encadré jaune (pas rose), on saura aussi que des solutions existent pour « offrir des jouets non sexistes », grâce à la campagne « Marre du rose » d’Osez le féminisme, et la maison d’édition Talents Hauts qui « propose des livres dès 2 ans et jusqu’à l’adolescence garantis 100% sans sexisme ».

Sur la construction des inégalités par le patriarcat, on verra aussi que le « sexisme dans le langage » impose de le « féminister ». A cette occasion, on apprendra pourquoi on dit à présent « égalité entre les femmes et les hommes » plutôt qu’ « égalité entre les hommes et les femmes » : c’est qu’on utilise, pour contrer la préséance du masculin, l’ordre alphabétique ! C’était donc ça !

La révolte des prêcheuses ridicules

On justifie de plus la réécriture de l’histoire au travers du prisme du « matrimoine ». Par exemple, il est bien probable que le véritable génie ait été la sœur de Mozart, malheureusement empêchée par son père de se développer parce qu’il lui préférait un homme, qui se serait ensuite copieusement inspiré de sa sœur. De même, il est une figure trop souvent oubliée à laquelle il faut rendre hommage – « ou plutôt femmage » : Ada Lovelace, une des fondatrices de l’informatique. En parallèle, on insistera sur la figure contemporaine de Shonda Rimes, productrice et scénariste de séries comme Grey’s Anatomy ou How To Get Away With Murder : grâce à elle, nous dit Raphaëlle Rémy-Leleu, « on écrit enfin des séries où les femmes ne sont pas juste des bonniches à la maison ! » Eh oui, c’est bien connu, on a attendu les années 2000 pour y donner une place aux femmes, soit le moment approximatif où les « autrices » précitées ont commencé à regarder des séries – simple hasard.

Un gros morceau est également celui de la place des femmes dans le sport, avec la difficile pilule à avaler de la différence physique entre les hommes et les femmes. Le manifeste reprend à son compte les fumeuses théories selon lesquelles, dans l’évolution, ce serait une inégalité d’alimentation entre les hommes et les femmes qui aurait causé la différence de taille et de force physique actuelle. Mais c’est aussi que les femmes ont été écartées « pendant 300 ans » (pourquoi 300, et pas 500, 800, 2000 ans ?) du privilège de faire du sport, cantonnées qu’elles étaient au rôle de nourrir les mioches. Alors, « empêchons les hommes de faire du sport pendant 300 ans et on verra ce qui se passera ». D’ailleurs, Raphaëlle Rémy-Leleu pose la question : pourquoi ne pas envisager des compétitions mixtes dès à présent ? Car « les hommes ne marquent pas de buts avec leur pénis », hein !

Enfin, comme chacun sait, « le privé est politique ». Les « autrices » n’hésitent donc pas à s’immiscer dans la vie intime de leurs lectrices, en donnant des conseils en matière de relations amoureuses ; car « la société est machiste, les représentations de la sexualité et du couple aussi. Il est donc très important de passer ta relation au radar du féminisme ». On remerciera Margaux Collet et Raphaëlle Rémy-Leleu de cette attention maternaliste ! Il faut alors déconstruire les clichés sexistes en matière de sexualité : par exemple, « la virginité est en fait une invention pour contrôler la sexualité des filles et des femmes », qui découle de « la tradition patriarcale de service sexuel et reproductif  ». Ceci s’accompagne de nouveau des plus vieilles lunes des magazines féminins : « On est là pour se faire plaisir ! », masturbez-vous et surtout : « Osez le clito ! », du nom d’une des campagnes les plus médiatiques d’Osez le féminisme.

Si tous les « cons » volaient…

Avec tout cela, on ne nous a pas répondu : finalement, Beyoncé est-elle féministe ?! Eh bien, ce titre est là avant tout pour « parler aux jeunes ». On se bornera à dire que Beyoncé, quand elle se revendique féministe, fait progresser la bonne cause dans le monde ; et de plus, il ne revient à personne de décerner des labels de féminisme, féminisme dont le but est tout de même de « créer un réseau d’action et de sororité » entre les femmes. Même si, quand elle s’habille « de manière dénudée et sexualisée », on peut considérer qu’elle « se définit dans le regard des hommes ».

A la fin de cette éprouvante rencontre de deux heures, il est décidé de faire une photo pour immortaliser le moment. Les enthousiastes se précipitent pour être aux côtés des brillantes « autrices ». Et finalement, au moment de faire un sourire d’occasion, Raphaëlle Rémy-Leleu s’écrie : « Avec moi : 1, 2, 3, clitoriiiiis ! » Trop heureuses d’en rajouter, certaines dans l’assemblée lèvent les bras et effectuent le signe du clito (?!). N’était-ce pas là tout le manifeste dont Osez le féminisme avait besoin ?

Le porc émissaire

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Jean-Pierre Sakoun: « La laïcité subit des attaques de toutes parts »

Les temps sont durs pour la laïcité tandis que le fameux « discours sur la laïcité » tant attendu du président Macron se fait toujours attendre. On finit par espérer qu’il n’arrive pas, tant on en redoute les probables renoncements et reculades.

Soumise au feu croisé de l’entrisme d’un islam politique qui ne se dissimile même plus, aux discours accommodants d’un personnel politique souvent couard ou d’une inconscience coupable, au harcèlement constant des idiots utiles de cette vague obscurantiste qui, sous couvert de protéger les minorités offensées toutes confondues dans un grand magma victimaire, la laïcité a fort à faire.

Qualifiée perversement de rigide voire de « radicale » par certains qui, à l’instar du président Emmanuel Macron, n’hésitent ainsi pas à reprendre en le tordant le lexique de la radicalisation religieuse en cours, qui tue, persécute et égorge, cette construction républicaine permet à chacun d’adhérer au pacte citoyen le liant au reste de la société, dans le respect de ses convictions intimes et de sa liberté de conscience.

Les défenseurs de la laïcité qui se reconnaissent dans le Comité Laïcité République sont sur ce front depuis l’affaire du voile de Creil en 1989 qui avait lancé les festivités régressives dans ce domaine, quand d’autres préféraient se fermer hypocritement les yeux.

La constance de leur combat, la justesse aussi des buts qu’ils poursuivent – préserver la laïcité en dépit de toutes les atteintes polymorphes qu’elle subit-, la rationalité et la pondération de leurs méthodes, mérite qu’on les reconnaisse pour leur engagement et que l’on mette en lumière leur action, à quelques jours de la remise des Prix de la Laïcité le 6 novembre à l’Hôtel de Ville de Paris.

Jean-Pierre Sakoun, président du Comité Laïcité République, répond pour Causeur à quelques questions.

Anne-Sophie Chazaud. Dans quelle situation se trouve aujourd’hui la laïcité en France ?

Jean-Pierre Sakoun. La laïcité subit des attaques de toutes parts dans une société où les discours religieux ont repris une place envahissante et bruyante. Les prises de position papales sur les questions de société, de mœurs, de procréation ou de contraception représentent un empiétement permanent contre lequel nous restons mobilisés d’autant que ces déclarations se sont récemment amplifiées. À côté de ces attaques plus ou moins feutrées,  l’action religieuse menée contre la laïcité par l’islam politique sous toutes ses formes est la plus visible. Par-delà les actions terroristes violentes et meurtrières qui atteignent notre société dans sa chair de manière spectaculaire, il y a au quotidien de façon à la fois virulente et insidieuse toute une série d’atteintes portées aux principes et aux valeurs républicaines à travers des attaques idéologiques visant à instaurer dans l’espace public les signes manifestes d’une soumission revendiquée à la religion plutôt qu’aux lois des hommes.

Toutes les polémiques tournant autour du port du voile islamique sont de cette nature et manifestent à la fois un entrisme et un séparatisme qui inquiètent beaucoup de nos concitoyens.

Face à de telles menaces contre la République, la classe politique se montre-t-elle à la hauteur de la situation ?

Les prises de position accommodantes ou les non prises de position d’une partie importante du personnel politique tous bords confondus suffisent à nourrir notre inquiétude mais aussi à justifier notre action. Le discours aux Bernardins de M. Macron nous semble de ce point de vue préoccupant, dans l’attente d’une ligne présidentielle claire, annoncée depuis longtemps, sur la laïcité.

Les récents débats qui se sont tenus à l’Assemblée au cours du vote de la loi Essoc dite « pour une société de confiance » en juin dernier et l’apparition d’un groupe d’une soixantaine de Députés LREM qui ont manifestés leur opposition  aux deux cavaliers législatifs contenus par ce projet de loi et modifiant la loi de 1905 sur le financement des cultes, démontrent des discussions internes à la majorité  autour de ce sujet : les deux alinéas conduisant d’une part à supprimer les associations cultuelles de la liste des lobbies, et rendant d’autre part possibles les dons manuels auprès de ces associations cultuelles sans obligation désormais d’être signalés, ont fini par être votés mais les laïques se sont fait entendre. L’action de veille et d’alerte menée par le Comité Laïcité République n’est pas étrangère à ce mouvement. Il importe donc plus que jamais en ce moment charnière de poursuivre cette action.

Justement, en quoi consiste l’action du Comité Laïcité République ?

Notre mode d’action et nos objectifs ne sont pas de l’ordre de la dénonciation polémique ou tonitruante et ne relèvent pas de l’engagement politique en tant que tel. Le CLR se positionne clairement depuis une trentaine d’années – précisément depuis l’affaire du voile de Creil en 1989 qui représente le moment fondateur de notre comité- comme un outil pragmatique afin de faire avancer la réflexion des politiques du moment sur les questions liées à la laïcité. C’est pourquoi nous sommes ouverts à tous les partis démocrates et ne postulons pas d’a priori partisans.

Le CLR est également un lieu de réflexion et de formation sur la laïcité, ce qui prend notamment tout son sens auprès d’un personnel politique jeune et plein de questionnements, nouveau venu en politique. Ce rôle s’est déployé de manière discrète et efficace jusqu’à ce que le basculement de certaines de principales associations laïques historiques vers des positions plus floues sur la défense réelle de la laïcité promeuvent de facto le CLR au rang de référent inébranlable dans ce domaine.

Nos nombreux colloques annuels, dans toute la France, notre site web très consulté, véritable centre de ressource sur la laïcité, les conférences que nous donnons, en France et à l’étranger, sont nos principaux outils de diffusion et d’action.

Quels sont vos outils d’action ?

La remise des Prix de la Laïcité, qui se tient depuis 2003 est le principal outil de cette action, en termes de visibilité mais aussi afin d’orienter les projecteurs vers ceux qui se battent au quotidien, en France et à l’étranger, pour promouvoir ces valeurs. Sous les présidences successives et non exhaustives de personnalités telles qu’Elisabeth Badinter, Antoine Sfeir, Boualem Sansal ou Zineb El-Razoui, ont par exemple été récompensés pour leur engagement laïque Chahdortt Djavann, Françoise Laborde, Djemila Benhabib, Jeannette Bougrab, Jürgen Wertheimer ou encore Samuel Mayol, Fazil Say et de nombreux autres.

La popularité fédératrice de cet événement devenu annuel témoigne de l’importance de l’action du CLR tandis que l’Observatoire de la Laïcité ne semble pas vouloir mesurer la profondeur du problème qu’il est censé observer. On peut trouver l’écho de cette position dans la dérive qu’incarnent nombre d’universitaires, intellectuels et associatifs, enfermés dans la problématique de lutte contre l’islamophobie, feignant de considérer toute action en faveur de la laïcité comme une atteinte visant tous les musulmans, remplaçant la promotion des valeurs laïques par celles de l’interconvictionnalité et du dialogue inter-religieux lequel serait supposé être à soi seul porteur de ciment collectif, au détriment des valeurs républicaines lesquelles relèguent le religieux à la sphère privée.

Il reste donc encore beaucoup à faire, même si les lignes idéologiques commencent à bouger.

Un jour, la droite gouvernera le monde

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Jair Bolsonaro, Donald Trump, Matteo Salvini / SIPA. AP22228191_000009 / AP22267200_000006 / 00878719_000012

Orban, Salvini, Bolsonaro… La déferlante conservatrice est en train de submerger le monde. Ce réveil, souvent religieux, peut être vu comme une bouffée d’air frais mais devrait aussi inquiéter…


Salvini en Italie, Orbán en Hongrie, Kurz en Autriche, Trump aux États-Unis et maintenant Bolsonaro au Brésil : la liste des hommes forts de la droite s’allonge chaque année en Occident. Le retour du balancier a été déclenché. Résurgence du politique, des souverainetés nationales, des grands mouvements de convergence : impossible de ne pas y voir une certaine renaissance.

Ne nous y trompons pas : la droite conservatrice déferlera probablement sur le monde dans les prochaines années. Le phénomène ne se limitera pas à l’Occident, et les empires comme la Chine et la Russie y verront sans doute une douce consolation. Une revanche sur le libéralisme postmoderne, dénaturé par la gauche, et sur le monde dépolitisé qu’il a créé. Une revanche sur des pays qui ont fait l’erreur de négliger le rôle de la culture pour leur propre survie. Le retour du politique, c’est aussi le retour de l’Est dans l’histoire.

Un réveil religieux

La remontée des droites aura des avantages et des désavantages. Dans l’ensemble, le réveil du conservatisme ne se fera pas sous le signe de la laïcité (comme parfois en France), mais sous celui de la religion. L’élection de Bolsonaro au Brésil en témoigne : le nouveau président s’est appuyé en grande partie sur la montée des églises évangéliques.

Au Brésil, les chrétiens évangéliques sont passés de 6 % à 22 % en 30 ans. En 2010, ils étaient 43 sur 200 millions. Les évangéliques sont encore plus nombreux aujourd’hui, et le Brésil demeure le pays catholique le plus populeux au monde. Malgré sa foi peu visible, Trump peut toujours compter sur le vote de nombreux chrétiens évangéliques, baptistes et autres. En Hongrie, Orbán en a déjà appelé à l’établissement d’une « démocratie chrétienne du XXIe siècle ». Quant à Salvini et Kurz, ils peuvent aussi compter sur un électorat plutôt religieux, ce qui n’a rien d’étonnant.

A lire aussi: Bolsonaro, ce président que les médias adorent nazifier

Le maire évangélique de Rio, Marcelo Crivella, est maintenant connu pour son opposition au Carnaval de Rio, l’un des grands poumons économiques de la ville. Un événement que le maire considère comme un « festival de la chair », bref comme une orgie païenne à proscrire. À l’atmosphère pornographique succède la tentation de l’ordre moral. On dit que les contraires s’attirent. En voilà une autre manifestation.

Un baroud d’honneur ?

C’est loin d’être nouveau : où qu’ils soient, les conservateurs peuvent toujours compter sur la religion lorsque vient le temps de soulever les passions. En Occident, la christianophobie ambiante est parfaitement condamnable, mais le discours politico-religieux, teinté de morale, ne l’est pas moins. Dans le monde musulman, c’est encore plus évident : l’islamisme n’est rien d’autre qu’une révolution conservatrice. Au Brésil, une frange du mouvement évangélique multiplie les sorties contre les personnes homosexuelles. Après les puritains de gauche abreuvés au politiquement correct, revoici les puritains de droite – ou quand une morale fait directement place à une autre.

En Europe et en Amérique du Nord, la gauche s’est souvent acoquinée avec l’islamisme depuis Khomeiny, faisant d’elle une alliée objective des extrémistes. Mais certaines droites baignent encore dans un esprit théocratique, ce qui soulève des enjeux importants pour la liberté individuelle. Le retour du politique est une excellente nouvelle pour tous ceux qui souhaitent que les sociétés occidentales reprennent le contrôle d’elles-mêmes. Mais s’il prend la forme du romantisme ensorceleur, ce retour pourrait avoir des relents anti-libéraux. Il reste toutefois à voir si ce n’est pas un combat d’arrière-garde, c’est-à-dire un assaut final, vigoureux et vif, avant la mort de notre civilisation.

La gauche plaide non-coupable 

Sans grande surprise, la gauche a déjà commencé à nier. « Mais non, je n’y suis pour rien, je suis trop bonne et vertueuse », clame-t-elle un peu partout dans le monde. « C’est en me reportant au pouvoir que nous pourrons mater cette impure révolte populiste », aime-t-elle encore nous rappeler. Comme si les peuples étaient incapables de prendre la mesure de son cuisant échec. C’est bien le monde créé par la gauche postmoderne qui est en train de s’effondrer. La sagesse populaire reprend du galon. Pour le meilleur et pour le pire.

Le soir même de l’élection de Bolsonaro au Brésil, un tout autre événement a retenu l’attention au Québec. Lors d’une grande remise de prix musicaux à la télévision, un jeune artiste habillé en sâdhu indien a inséré son trophée dans sa bouche, imitant ce qui se voulait être une fellation. Dénommé Hubert Lenoir, le jeune lauréat incarnait tout ce qu’il y a de faussement subversif dans la gauche actuelle. Tout ce qu’il y a de révolutionnairement conformiste, mais décadent en elle. Devant la survivance de ce « progressisme » soutenu par l’élite, doit-on vraiment s’étonner de la montée du conservatisme dans le monde ?

Tunisie, la nation des 7 novembre

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ben ali bourguiba tunisie
Ben Ali, alors Premier ministre de Bourguiba. Tunisie, 1987. Sipa. Numéro de reportage :00149559_000002

Abolie après le 14 janvier 2011, la fête du 7 novembre était un événement important dans la Tunisie de Ben Ali qui commémorait chaque année son coup d’Etat de 1987. Mais l’identité nationale tunisienne a commencé à émerger lors d’un tout autre 7 novembre (1911), au cours duquel les revendications religieuses de la population musulmane se sont heurtées au protectorat français. Récit de la (fragile) naissance d’une nation.


C’était le 7 novembre 2009, un an avant le déclenchement de la révolution du Jasmin qui entraînera la chute du régime de Ben Ali. Je retrouvais la Tunisie pour l’un de mes derniers séjours dans ce pays. J’avais pris une voiture pour aller d’Annaba en Algérie jusqu’à Sousse, située 438 kilomètres plus loin. Après une longue attente et des formalités douanières interminables, me voilà enfin sur le sol tunisien.

La première ville tunisienne rencontrée sur mon itinéraire était Tabarka. D’habitude assez calme, la ville semblait alors à la fête, les restaurants étaient pleins, les parcs et les rues bondés d’enfants et de promeneurs. Partout flottaient des dizaines de drapeaux rouge et blanc, les portraits géants de Ben Ali, au sourire énigmatique et à la main sur le cœur, habillaient les façades et vous suivaient du regard. Après lecture de quelques banderoles, j’avais fini par comprendre : la Tunisie célébrait l’anniversaire de l’accession du président au pouvoir.

1987 : le coup d’Etat médical benaliste

Vingt-deux ans plus tôt, le 7 novembre 1987, le jeune Premier ministre (51 ans) fraîchement nommé par Bourguiba prit sa place après l’avoir démis de ses fonctions pour sénilité. Par la suite, le régime baptisera ce coup d’Etat médical : « le Changement » – plusieurs praticiens furent mobilisés dans la nuit pour signer une attestation d’incapacité contre le chef de l’Etat. Depuis, chaque année à la même date, les Tunisiens étaient (très) fortement incités à commémorer l’événement. Cette fête, si intimement liée à la personne de Ben Ali, fut abrogée en 2011 pour être remplacée par le 14 janvier, jour de sa fuite, baptisée « Fête de la révolution et de la jeunesse ». Dans la même logique, les innombrables places et avenues du 7 novembre ont été renommées « place du 14 janvier 2011 » ou « avenue Mohammed Bouazizi », du nom du vendeur ambulant dont l’immolation en décembre 2010 a déclenché la révolution tunisienne et la vague des printemps arabes.

Tout au long de mon voyage, du moindre petit village traversé à la capitale, le même décor, les mêmes affiches et la même scénographie me suivaient. Alors que durant mes précédentes visites dans les années 1990, je n’avais pas vu autant de portraits de Ben Ali, ils étaient vraiment partout en 2009, y compris sur les immenses façades ou dans les halls des hôtels. Des Tunisiens m’ont alors expliqué que le 7 novembre revêtait une importance particulière cette année-là, quelques semaines après sa réélection pour un cinquième mandat avec 89,62 % des voix. Une amie avocate m’éclairait : « Ben Ali a plus que jamais besoin de rassembler, de susciter l’adhésion populaire, malgré les apparences, la majorité d’entre nous n’est pas d’accord avec le résultat de la dernière élections, on en a marre, mais la peur nous empêche d’en parler ouvertement. » Cela confirmait mon sentiment: ces « célébrations » officielles transpiraient l’énergie du désespoir. Malgré sa récente réélection, Ben Ali devait rappeler qui était le patron.

7 novembre 2009 : le régime chancelait…

A quelques jours des festivités, le 2 novembre 2009, la police tunisienne avait arrêté Fatma Riahi, blogueuse soupçonnée d’être le caricaturiste anonyme, Z. Un mouvement solidaire de protestation anime alors la blogosphère tunisienne qui obtiendra sa libération cinq jours plus tard, au matin du 7 novembre. Rétrospectivement, je me souviens de ces signes avant-coureurs de la chute du régime, à l’image de cet excès de célébrations en décalage avec les aspirations des Tunisiens. C’est peut-être pour cette raison que j’ai eu envie d’immortaliser ces moments. Lorsque je me risquais à prendre des photos, je prenais bien soin de ne pas attirer l’attention des nombreux policiers en civil dont la rue grouillait. Rien d’inhabituel dans ce pays, sinon que je me sentais plus observée cette année-là. Et mes amis tunisiens aussi. S’ils ne se privaient pas de raconter en privé des histoires abominables sur les Ben Ali et leur belle-famille Trabelsi, au niveau de corruption légendaire, en public, ils faisaient bonne figure, me suppliant par exemple de retirer de Facebook les photos du pays que j’avais publiées, accompagnées de légendes comiques, à mon retour en Algérie.

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« Année 2009 : Ben Ali pour la Tunisie ». Photo : Nesrine Briki.
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« Ben Ali notre choix pour le présent et l’avenir », Tunisie, 2009. Photo : Nesrine Briki.

Près d’une décennie plus tard, l’homme providentiel est aujourd’hui bien loin, et sa fête tombée dans l’oubli. Cependant, la date, le 7 novembre renvoie toujours au plus profond d’une mémoire collective refoulée. C’est ainsi que quelques mois après la chute de Ben Ali, des articles ont commencé à évoquer un autre 7 novembre, celui de 1911, qui marque un tournant décisif dans la naissance du nationalisme tunisien.

Un sentiment national né autour d’un cimetière

A l’automne 1911, des émeutes éclatent entre les autorités du protectorat français et la population musulmane. C’est ce qu’on appellera l’affaire du cimetière du Djellaz. Car l’administration française souhait délimiter l’enceinte du plus grand cimetière tunisois afin de le protéger du grignotage progressif de sa surface. Or, si pour l’administration française ce n’était qu’une sorte d’histoire de cadastre à régler avec des géomètres dans l’intérêt de la population locale, la majorité des musulmans y voyaient une tentative des mécréants pour empiéter sur un domaine sacré afin d’y construire une voie ferrée. Malgré l’abandon du projet ferroviaire, la méfiance et le malentendu étaient tels que les heurts autour du cimetière ont viré à l’émeute dans différents points de la capitale, jusqu’à ce que les zouaves ne rétablissent un calme relatif. Au total, ces affrontements ont fait 17 morts dont quatre Italiens et trois Français.

Nombre de Tunisiens considèrent ces incidents comme le facteur déclencheur du sentiment national tunisien. Âgé de huit ans à l’époque, Bourguiba a par la suite raconté que cet épisode l’avait fortement marqué, au point de susciter sa vocation politique. Vingt ans plus tard, en 1933, le militant indépendantiste s’emparera d’une autre histoire de cimetière à des fins politiques en soulevant le problème des tombes des musulmans tunisiens naturalisés Français. Dès les années 1920, les autorités françaises avaient engagé un certain nombre de naturalisations pour coopter des élites indigènes. A coups de décrets, chaque année, quelques milliers de Tunisiens (dont de nombreux juifs, ce qui n’était pas le but recherché) devenaient Français, inquiétant les nationalistes du parti Destour.

Et Bourguiba récupéra les revendications islamiques

En mai 1933, L’Action tunisienne, journal fondé par Bourguiba, mène une féroce campagne de presse contre la naturalisation des Tunisiens. C’est dans ce contexte que le journal relaie une rumeur annonçant l’édiction d’une fatwa : serait déclaré apostat et privé de cimetière musulman tout tunisien qui accepterait la nationalité française. Cette « fake news » avant l’heure fait chuter de manière vertigineuse le nombre de demandes de naturalisations. Dans l’urgence, est promulgué un décret préconisant la création de cimetières réservés aux musulmans naturalisés. Mais rien n’y fait : la peur de l’au-delà l’emporte sur les avantages matériels que promet la France.

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Du point de vue de Bourguiba, cette controverse a eu un double effet. D’un côté, le jeune nationaliste s’est senti déçu de cet accès de religiosité a priori incompatible avec sa vision d’un nationalisme tunisien moderne et séculier. Mais pour le jeune et habile politique,  l’occasion a fait le larron, l’essentiel étant que le peuple tunisien rejette la France. Bien plus tard, en 2013, son fils Habib Bourguiba Junior admettra que son père s’était servi du motif religieux par pur calcul politique : « Mon père s’était donc opposé à la naturalisation en approuvant, par une espèce de ‘démagogie’ — mais c’était la seule manière de mettre fin à ce mouvement de naturalisation — l’interdiction d’enterrer des naturalisés, considérés alors comme apostats, dans des cimetières musulmans. […] La religion aura servi dans ce cas comme moyen pour une lutte dont la finalité était strictement d’ordre civil ; sauvegarder l’entité tunisienne, une entité fragile, en cours de formation ou tout au moins de « stabilisation ».

Une nation moderne nécessairement fondée sur l’islam

Cette leçon, Bourguiba ne l’a jamais oubliée. Et si Bourguiba est célébré comme le libérateur des femmes, il n’en fut pas moins un fervent défenseur de l’islam comme composante identitaire tunisienne, car il savait la religion indissociable du sentiment national. L’homme d’Etat qui supprima les tribunaux religieux, promulgua le Code du statut personnel et accorda le droit de vote aux femmes avait conscience de chevaucher un tigre religieux en dirigeant la nation tunisienne. Ainsi, même lorsqu’il appela ses compatriotes à abandonner le jeûne du Ramadan pour se consacrer au travail, il présenta l’effort économique comme le véritable djihad à accomplir pour être un bon Tunisien musulman.

Plus que d’autres dirigeants arabes – Nasser, Kadhafi ou Saddam Hussein – Bourguiba était conscient de l’énorme malentendu que recèlent les termes « nation » ou « appartenance nationale » appliqués aux sociétés du Maghreb. On peut raisonnablement penser que les événements survenus ces dernières années en Tunisie l’auraient déçu, mais certainement pas surpris.

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Islamisation: « Le Monde » découvre la lune!

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L’islamisation de la Seine-Saint-Denis vous sautait aux yeux ? Le Monde vient de la découvrir ! De l’Italie de Salvini à Grigny en passant par la France de Robespierre, voyagez dans le temps et l’espace grâce à Causeur


Il était temps. Depuis que les deux reporters du Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, ont coordonné une longue enquête sur l’islamisation de la Seine-Saint-Denis (Inch’allah, 2018) aux côtés de cinq étudiants en journalisme, les langues se délient. Les médias grand public découvrent la réalité, Causeur en fait tout un numéro ! Comme le résume Elisabeth Lévy, « voilà deux journalistes (et leurs cinq apprentis) qui disent ce que beaucoup d’entre nous disent depuis longtemps et, non seulement ils sont reçus avec les honneurs, mais il est bien possible qu’ils réussissent là où nous avons échoué – à ébranler les certitudes d’une certaine gauche ».

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Gentiment bousculés par notre entretien au long cours, les deux compères reconnaissent que le chantage au racisme et à l’islamophobie a (trop) longtemps paralysé les médias de gauche pour enquêter sur cet islam séparatiste et conquérant qu’ils ne savaient voir… Certes, Davet et Lhomme relativisent encore les liens étroits qu’entretiennent islamisme et djihadisme. Certains leur reprochent de dire des banalités, mais quand on travaille au quartier général de la bienpensance médiatique, il faut du courage pour dire ces banalités-là.

Finkielkraut, le retour

La parole se libérerait-elle ? Depuis la diffusion de la vidéo du braquage d’une enseignante par un de ses élèves équipé d’un faux pistolet, le hashtag #pasdevague a déferlé sur Twitter. Des profs brisent l’omerta pour raconter leur quotidien dans les territoires perdus. Là encore, quinze ans après que Georges Bensoussan a sonné le tocsin dans l’indifférence générale. Pour Alain Finkielkraut, qu’Elisabeth Lévy interroge dans nos colonnes, il est encore trop tôt pour crier victoire bien que le mur du déni soit sérieusement ébranlé. Pour notre spécialiste de l’école Anne-Sophie Nogaret, s’ils veulent changer la donne, les professeurs devront parler au grand jour au lieu de se répandre anonymement sur la Toile. Cet ensauvagement rappelle le film de notre ami chroniqueur Jean-Paul Lilienfeld, La journée de la jupe. Presque dix ans après sa sortie, ce brûlot cinématographique avec Isabelle Adjani campant une prof en pleine crise de nerfs reste plus que jamais d’actualité. Rien n’a changé, sinon en pire, d’après les témoignages qu’a recueillis Lilienfeld.

Voyage au pays de Salvini

Section actualités, notre reporter Erwan Seznec a visité une banlieue pas rose et particulièrement morose : Grigny. Au cœur de l’Essonne, cette ville minée par la pauvreté, l’insécurité, le trafic de drogue et le communautarisme, la ville de Grigny a été placée sous tutelle pour surendettement depuis de nombreuses années. L’Etat y déverse des milliards en pure perte… Autre reportage, votre serviteur s’est rendu au centre de l’Italie, dans la cité meurtrie de L’Aquila, victime d’un séisme dévastateur en 2009. Quelques mois après la formation du gouvernement de coalition Lega-Mouvement 5 étoiles, les Italiens sont profondément divisés. Élites technocratiques et classes moyennes déclassées rivalisent dans la défiance réciproque. Un éclairage complémentaire de l’analyse macro-économique de Jean-Luc Gréau qui arbitre le conflit budgétaire entre Rome et Bruxelles.

De retour dans l’hexagone, les joies de l’écriture inclusive vous attendent dans un nombre croissant d’universités fâchées avec la grammaire et la variété des sexes, nous apprend Sami Biasoni. Quant à Normale Sup, ce symbole de l’élitisme républicain à la papa n’en a sans doute plus pour très longtemps si l’on en croit Anthime Rigoulay, jeune normalien dénonçant le bradage de sa grande école.

Du Caravage au Beaujolais

Guidés par Paulina Dalmayer, déambulez dans l’exposition Caravage du Musée Jacquemart-André. Bagarreur, coléreux et brutal, ce génie du clair-obscur a eu une vie aussi tumultueuse que ses héros mythologiques.

Chapitre histoire, pour saluer la parution de Robespierre, l’homme qui nous divise le plus, le nouvel essai de Marcel Gauchet, nous avons voulu le confronter à un spécialiste de la Terreur, disciple de Furet, l’historien Patrice Gueniffey. Concentré de la mémoire révolutionnaire, Robespierre incarne à la fois les grands principes démocratiques et la Terreur.  Pourquoi habite-t-il toujours le subconscient français ? Quelle est sa postérité ? Un débat toujours ouvert.

Enfin, Emmanuel Tresmontant sépare le bon grain de l’ivraie en distinguant les grands crus du Beaujolais, que la piquette rituelle de novembre aux arômes de banane ou de framboise occulte injustement. Un dernier Causeur pour la route !

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« Le Monde » et l’islam: avoir raison avec Causeur…

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Quartier de la Grande Borne à Grigny, où avait grandi Amedy Coulibaly, terroriste de l'Hyper Cacher, janvier 2015. ©Jérôme Mars/JDD/SIPA

Les grands reporters du Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, ont dirigé cinq étudiants en journalisme pour enquêter sur un sujet inflammable: l’islamisation de la Seine-Saint-Denis. Longtemps cantonnée à la presse de droite, la description d’une contre-société musulmane séparatiste ébranle désormais les certitudes de la gauche. Après des années d’aveuglement politique et médiatique, l’heure de la prise de conscience a peut-être sonné. 


Avouons-le, quand Gérard Davet et Fabrice Lhomme, les duettistes du Monde, ont entamé leur tournée des popotes médiatiques pour évoquer leur livre Inch’Allah, notre première réaction a été plutôt goguenarde. L’islamisation progresse en Seine-Saint-Denis, quel scoop. « Ils découvrent la lune » – ou l’eau tiède : l’apostrophe gentiment moqueuse qui figure en une de ce numéro est spontanément venue à l’esprit de beaucoup de Français qui, depuis des années, observent une forme de sécession culturelle chez une partie des musulmans français et voient la loi des barbus s’imposer à certains quartiers.

Trop tard, c’est mieux que jamais

Notre ironie, reconnaissons-le, n’était pas dénuée d’une certaine jalousie. Voilà deux journalistes (et leurs cinq apprentis) qui disent ce que beaucoup d’entre nous hurlent depuis longtemps, et, non seulement, ils sont reçus avec les honneurs, mais il est bien possible qu’ils réussissent là où nous avons échoué – à ébranler les certitudes d’une certaine gauche, beaucoup plus puissante culturellement que numériquement, qui, depuis vingt ans, voudrait interdire que l’on observe, dénonce et combatte l’islam radical et séparatiste qui étend son emprise sur les territoires perdus. Avant nous, le sujet était traité par des idéologues, avance le duo, comme pour s’excuser de l’accueil qui leur est fait. Taratata. Eux-mêmes ne parviennent d’ailleurs pas à conserver, face à leur objet, la stricte neutralité à laquelle ils prétendent, puisqu’ils admettent explicitement que le phénomène qu’ils décrivent est problématique, et même inquiétant. En réalité, c’est l’idéologie qui a empêché tant d’observateurs de voir ce qu’on leur montrait. Les témoignages publiés jusque-là n’avaient rien d’idéologique, sinon leurs auteurs ou les journaux qui les accueillaient. Pour les consciences délicates, le messager suffisait à discréditer le message. Autrement dit, tant que les lanceurs d’alerte étaient d’affreux réacs, cette gauche moralisante avait beau jeu de dénoncer le doigt. Maintenant que le doigt porte le sceau du Monde, beaucoup se sentent autorisés à voir la lune, qu’il s’agisse de l’islamisme ou de la violence scolaire.

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Pour tous ceux qui pensent (ou savent) que le quotidien du soir est l’organe central du politiquement correct, c’est râlant. Il serait cependant malvenu de s’arrêter à cette microblessure narcissique. Après tout, peu importe que la vérité vienne de Causeur ou du Monde, d’Alain Finkielkraut ou de Plic-et-Ploc (le petit surnom affectueux que nous donnons à nos deux confrères). On connaît la formule de Péguy sur la nécessité de voir ce que l’on voit. Si Davet et Lhomme contribuent à nous rendre collectivement le droit de voir, grâces leur soient rendues. Trop tard, c’est mieux que jamais. Du reste, comme ils nous l’ont raconté pendant l’entretien qu’ils nous ont donné, même pour eux, la bataille est rude. Coupables, aux yeux d’une partie de la corporation (et peut-être de leur propre rédaction), de grave manquement au progressisme journalistique, nos confrères essuient leur lot d’insultes et autres accusations, méthodes privilégiées de ceux qui n’ont pas d’arguments. Sans surprise, deux auteurs du Bondy Blog assènent sur Mediapart que « deux journalistes forment des étudiants en déformant le 93 ». Relevant le côté patchwork de l’ouvrage, ils déplorent que « les lecteurs reçoivent cette collection d’anecdotes sans jamais pouvoir en tirer du sens ». Alors que le livre décrit impeccablement, en l’attaquant par ses multiples facettes, un phénomène global et malheureusement cohérent, on se dit qu’ils parlent pour eux. Et on se tient à leur disposition pour leur expliquer ce sens qui leur reste bizarrement caché.

La bonne presse se pince le nez

Des Inrocks à France Info, on a évidemment pincé le nez et abondamment relayé les reculs ou rétractations de plusieurs témoins interrogés dans le livre, sans imaginer un instant qu’elles étaient peut-être dictées par la peur causée par la pression islamiste. N’ayant pas grand-chose à se mettre sous la dent au sujet de l’enquête, Libé a mobilisé ses décodeurs pour parvenir à cette révélation de taille : les jeunes élèves en journalisme n’ont pas été payés (sinon en reconnaissance et en opportunités professionnelles, ce qui est inestimable). Chapeau les gars, ça c’est de l’investigation. Quant à tous ceux, y compris parmi nous, qui se laissent aller à une pointe de joie mauvaise, sur le mode « à leur tour de savoir ce que ça fait d’être montré du doigt quand on dit la vérité », ils oublient que la liberté de deux journalistes, même du Monde (c’est une blague), est aussi précieuse que celle d’Éric Zemmour ou Pascal Bruckner. Et que leur livre, tardif et imparfait, est aussi honnête et courageux.

Il est trop tôt pour savoir si cette fois sera la bonne ou si, comme par le passé, après ce moment de lucidité collective, on s’empressera de regarder ailleurs et d’oublier qu’une contre-société s’organise dans notre société. En attendant, il faut revenir sur l’aveuglement volontaire qui, durant deux décennies au moins, nous a empêchés de lutter contre ce sécessionnisme rampant. La dénégation a été le meilleur allié de l’islamisation.

Quand Le Monde minimisait les crimes de Merah…

L’un de nos plus anciens et plus fidèles lecteurs, l’excellent Serge L., plus connu sous l’aimable pseudonyme de l’Ours, nous a adressé il y a plusieurs années (en 2009 ou 2010) un message que je n’ai pas oublié. Répondant à ceux qui accusaient rituellement Zemmour, Finkielkraut, votre servante et d’autres d’attiser les colères et les fractures françaises par le simple fait d’en parler, l’Ours disait en substance : non, ce qui met en rage les gens ordinaires et les pousse dans les bras du Front national, c’est qu’on nie ce qui leur arrive et qu’en prime, on les traite de fachos quand ils disent qu’ils se sentent étrangers chez eux. On connaît les racines de ce « délit de réel », encouragé et même imposé par la gauche des années durant : culpabilité coloniale, vide doctrinal, prétention morale. Il n’y avait pas de problème de l’islam, mais un problème d’islamophobie. Dire autre chose, c’était se signaler comme raciste. Et faire le jeu du Front national.

À intervalles réguliers, les grands médias, Le Monde en tête, dénonçaient la progression des idées d’extrême droite, la première étant généralement l’inquiétude affichée face à un islam radical et conquérant. Même après l’équipée sanglante de Mohammed Merah, alors qu’on apprenait peu à peu quelle cité et quelle famille avaient engendré un tueur d’enfants juifs, les belles âmes aux narines délicates n’en ont pas démordu : l’islamisation, serinaient-elles, est un fantasme nauséabond.

Le 26 mai 2012, deux mois après les assassinats commis par Merah, Le Monde publiait un long article intitulé « Pourquoi la phobie de l’islam gagne du terrain ». Expliquant, pseudo preuves à l’appui, que les tendances démographiques ne confirmaient nullement le risque d’islamisation de l’Europe exposé par Christopher Caldwell, Frédéric Joignot écrivait : « Une autre raison expliquerait la montée d’un sentiment anti-islam en Europe : la contamination des musulmans par l’extrémisme islamiste et le salafisme djihadiste. » Le conditionnel devait faire comprendre au lecteur que la vraie raison de ces déplorables sentiments anti-islam, c’était le racisme de ploucs à l’esprit étroit. Le journaliste convenait néanmoins que les crimes de Merah avaient pu jouer. Avec cette phrase qui résume l’hallucinante cécité médiatique : « Reste qu’un seul assassinat, même condamné par les musulmans français, qui vient s’ajouter à toutes ces informations qui nous parviennent sur la place prise par l’intégrisme dans les pays du “printemps arabe”, permet à l’extrême droite d’entretenir un sentiment de peur et d’attirer une partie de l’opinion – Marine Le Pen était à 13 % dans plusieurs sondages avant l’affaire Merah. Elle a déclaré aussitôt après, le 25 mars, à Nantes : “Ce qui s’est passé n’est pas l’affaire de la folie d’un homme ; ce qui s’est passé est le début de l’avancée du fascisme vert dans notre pays.” » En somme, « un seul assassinat … » a rendu les gens dingues. Qu’elle relève du cynisme ou de l’idéologie inconsciente, cette minimisation des crimes de Merah glace encore. Le Monde préférait avoir tort avec les islamistes que raison avec Marine Le Pen. Quant à la condamnation des musulmans français, on aurait aimé qu’elle fût plus massive et plus bruyante. Mais, comme on le disait (et comme on le dit encore) tous les quatre matins sur France Inter, demander aux musulmans de dénoncer avec un peu plus de force des crimes commis en leur nom, c’était déjà du racisme.

Après le 7 janvier

Seulement, ce ne sont pas des agressions islamophobes, mais bien des attentats islamistes qui ont endeuillé et sidéré la France – et même François Hollande a dû surmonter sa répugnance à nommer l’ennemi. Après le massacre d’une bande de joyeux lurons, le 7 janvier 2015, on s’est à nouveau demandé quelle forêt avait pu abriter de tels arbres. Les journalistes les mieux pensants revenaient effrayés de cités où les Kouachi étaient des héros. Il est devenu impossible de ne pas voir que le fameux vivre-ensemble se traduisait, pour certains, par une séparation mentale totale. À quelques piteuses exceptions près (comme Plenel et Joffrin ânonnant encore au soir du 7 janvier que c’était la faute aux réacs), on a pu croire que la gauche politique, et même en partie médiatique, avait enfin été décillée. Nous ne céderons pas, proclamait Manuel Valls. Nous devons regarder la réalité en face, promettaient quelques intellectuels musulmans. Dans pas mal de foyers français, où l’on avait vu de ses yeux le désastre arriver, on se disait avec soulagement qu’on en avait fini avec cet insupportable déni, donc avec la rage qui vous saisit quand un prétendu expert ou donneur de leçons vous explique que vous ne vivez pas ce que vous vivez.

Après chaque attentat, le même processus cyclique s’est reproduit. Pendant quelques jours ou quelques semaines, on a vécu un moment cathartique de lucidité collective, avant que les mêmes mécanismes d’aveuglement et d’intimidation ne se mettent en branle, prudence et idéologie conspirant également à l’occultation, non pas tant des faits déplaisants, de plus en plus difficiles à cacher, que du tableau d’ensemble dans lequel ils s’inscrivent. De sorte que, à supposer qu’ils soient un jour sommés d’assumer leurs responsabilités dans notre retard collectif à combattre l’islam radical, Le Monde et France Inter pourront brandir des reportages traitant de tel ou tel aspect de la progression islamiste, en oubliant évidemment les mille petites manipulations qui leur ont permis de minimiser ou d’excuser. Ainsi, l’ancien quotidien de référence a-t-il été infiniment plus aimable avec un Marwan Muhammad combattant l’islamophobie et le prétendu « racisme d’État » qu’avec un Georges Bensoussan dénonçant l’antisémitisme sévissant chez une partie des musulmans français et poursuivi en justice pour cela. De l’école à l’entreprise en passant par l’hôpital, du refus de la mixité au mépris affiché de la République mécréante, les signes de ce qui se passait étaient innombrables. Le camp de la dénégation a continué à ne rien voir et à ne rien entendre, tentant de faire taire, à coups de « pas d’amalgame », de « il ne faut pas stigmatiser » et de « ça n’a rien à voir avec l’islam » – suivis un peu plus tard par de nombreux procès –, ceux qui entendaient témoigner. Et à chaque fois, dans les rédactions, la jeune troupe journalistique, peu suspecte d’anticonformisme, oubliait le matin ce qu’elle avait appris la veille pour retrouver ses réflexes, cherchant systématiquement à effacer tout lien entre la religion des terroristes et celle des « vrais » musulmans.

Le camp du Bien ébranlé

Seulement, il n’y a que dans les régimes totalitaires qu’on peut mentir à tout le monde tout le temps. Au fil des mois, des attentats et des offensives islamistes, au café du commerce médiatique, le rapport des forces a changé. Dans les plateaux et les studios où l’on donne son avis sur tout, les positions de votre servante, qui représentaient une extrémité du spectre il y a quelques années sont aujourd’hui mainstream. Les visages de la jeune garde de Valeurs actuelles ou du Figaro sont devenus familiers aux téléspectateurs. Il est vrai que, sur la question islamiste, aucun patron de média ne peut ignorer que son public partage massivement leurs idées.

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Désormais, la contradiction s’invite au cœur du camp du Bien et même dans son quartier général, le journal Le Monde. Certes, ceux qui la portent ne voient pas toujours ce qu’ils montrent (ce qui est, selon Alain Finkielkraut, une définition du politiquement correct). Mais ils le montrent. Voilà un moment que Jean Birnbaum, le patron du Monde des livres, fait entendre sa petite différence en critiquant la passivité, la lâcheté et la complaisance de la gauche face à l’islam radical (nous discuterons prochainement de son nouveau livre, La Religion des faibles). Dans La Communauté, publié au printemps dernier, Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin, autre duo du quotidien, racontent la descente aux enfers de Trappes, dont 67 enfants sont partis faire le djihad. Avec Davet et Lhomme, stars du journal depuis qu’ils sont considérés, un peu exagérément d’ailleurs, comme les tombeurs de François Hollande, qui était tout à fait capable de se planter tout seul, le parti de la lucidité progresse un peu plus. Il n’est pas certain que leur rédaction leur en soit reconnaissante, et pas seulement à cause des jalousies qui vont toujours avec le succès. On attend encore que Le Monde consente, jusque dans ses colonnes, à nommer les choses, sans les affubler de la cohorte d’excuses et de nuances destinées à cacher ce qu’elles montrent. Alain Finkielkraut observe justement que, sur la violence scolaire, sujet qui a été l’objet du même escamotage que la montée de l’islamisme, « le déni n’a pas dit son dernier mot », le journal ayant bien sûr trouvé un sociologue pour expliquer qu’on exagère beaucoup et que tout ne va pas si mal.

Le bobard dort

Au-delà du Monde, c’est une grande partie de la gauche politique et médiatique qui voit aujourd’hui s’effondrer comme un château de cartes le récit mensonger dont elle avait recouvert de grands pans de la réalité. Ainsi a-t-on pu entendre, et sur France Inter, le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, reconnaître que nombre de Français vivaient une « crise identitaire profonde » : « Il y a des endroits, a-t-il aussi déclaré, où des regroupements se sont faits génération après génération et donnent le sentiment qu’on est dans une sorte de colonisation à l’envers, comme me l’a dit un jour une de mes concitoyennes. » Cette phrase a bien entendu déclenché un mini-scandale sur les réseaux sociaux et rameuté les décodeurs qui ont expliqué que Faure n’avait pas dit ce qu’il avait dit et que s’il l’avait dit, il avait eu tort. Et bien entendu, Faure a vaguement rétropédalé. N’empêche, on dirait que les noyeurs de poisson croient de moins en moins à leurs propres bobards.

Davet et Lhomme entendent renvoyer dos à dos islamophobes et islamo-gauchistes, mais au risque de les chagriner, leur travail donne plutôt raison aux premiers, tandis qu’il alourdit encore la responsabilité des seconds. Alors bien sûr, un livre ne suffira pas à en finir avec le déni, la lâcheté ou la complaisance qui ont ouvert un boulevard aux barbus, et encore moins à ramener la jeunesse musulmane radicalisée dans le giron de la République. N’empêche, il marque peut-être une étape sur le chemin de la reconquête républicaine. De précieuses années ont été perdues, pendant lesquelles on a préféré repeindre des cages d’escalier et insulter ceux qui refusaient le maquillage de la réalité, laissant la maladie de notre islam s’aggraver. Aujourd’hui, ce ne sont pas Valeurs et Causeur qui parlent de l’islamisation d’un département français, mais deux journalistes du Monde. Plus personne ne pourra dire qu’il ne savait pas. Il ne reste plus qu’à agir… Alors espérons qu’Emmanuel Macron a eu le temps de lire Inch’Allah pendant ses vacances.

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Bouteflika, candidat post-mortem?

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Abdelaziz Bouteflika, président de l'Algérie, 2017. Sipa. Numéro de reportage : AP22181214_000009

La nouvelle fait déjà beaucoup sourire à l’étranger : Abdelaziz Bouteflika, 81 ans, postule à sa propre succession à l’élection présidentielle de 2019. Cet homme assis dans un fauteuil-roulant après un A.V.C., est absent physiquement de toutes les manifestations populaires et politiques depuis des mois. Remplacé par une photo. Comment l’un des pays les plus jeunes du pourtour méditerranéen peut-il encore confier son destin à un octogénaire dont l’existence même est remplie de mystère ? 


Réputé pour son amour débordant des jolies femmes, Abdelaziz Bouteflika est un pur produit de la guerre d’Indépendance. C’est en grande partie ce conflit qui en a fait un animal politique. Un habile stratège et un séducteur patenté armé d’un cynisme aiguisé.

Dans la garde rapprochée de Boumediene

Né en 1937 à Oujda au Maroc au sein d’une famille originaire de Tlemcen, le jeune Abdelaziz est initié au nationalisme dans les rangs des scouts musulmans, véritable vivier de futurs moudjahidines (« combattants » en arabe). En 1956, il intègre « l’Armée des frontières » basée au Maroc. Il ne connaît pas l’épreuve du feu mais va progressivement grimper les échelons de l’appareil clandestin au sein d’un petit groupe destiné à jouer un rôle central durant la guerre puis après l’indépendance : le clan d’Oujda. Centré autour de deux hommes, le colonel Boumediene et le colonel Boussouf, sorte de « Béria local », ce groupe fortement politisé et armé va progressivement mettre la main sur l’appareil du Front de Libération nationale (FLN) puis sur l’Algérie à partir de 1965. Bouteflika devient rapidement le secrétaire de Houari Boumediene. Il supervise à la fin de la guerre les troupes basées au sud du pays, à la frontière malienne.

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Proche de Houari Boumediene, Bouteflika est partie prenante du coup d’Etat contre Ben Bella le 19 juin 1965. Habile apparatchik, il devient sous Boumediene un jeune ministre des Affaires étrangères soucieux de faire de l’Algérie le chantre du Tiers monde. Il ouvre des négociations avec la France en faveur de l’émigration économique en signant l’accord du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l’emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles, voyage énormément et se fait un solide carnet d’adresses.

Disgrâce et exil

Lorsque son mentor meurt, Bouteflika connaît une période plus trouble. Pourtant ministre d’État sous Chadli Bendjedid, il est accusé d’extorsion de fonds et doit s’exiler de 1981 à 1987 où il se lance dans des affaires fructueuses.

De retour au pays, il va, en bon spécialiste, comploter, ferrailler en interne et réussir à gravir pas à pas les sommets de l’appareil du FLN qui monopolise le pouvoir avec la compagnie pétrolière Sonatrach et l’efficace Direction du Renseignement et de la Surveillance. Durant la guerre civile (près de 100 000 morts et un million de déplacés en onze ans), il s’oppose à la ligne dure portée par le président Zeroual et choisit une solution plus conciliante vis-à-vis des islamistes.

Ancien du clan d’Oujda mais aussi ministre de Boumediene, il a pour lui la légitimité historique pour incarner en cette période de guerre civile à la fois l’unité de l’Etat et tenir un discours de paix civile.

1999 : le sacre du fils prodigue

Après les élections « libres » de 1991, la campagne de 1999 est d’une importance cruciale pour le pays. Opposé au socialiste Ait-Ahmed – l’un des « neuf chefs historiques du FLN » -, au libéral Mouloud Hamrouche et à l’islamiste Abdellah Djaballah, « l’indépendant »  Bouteflika gagne l’élection dès le 1er tour avec 73,5 % de votants. La réalité est moins lisse puisque les autres candidats se sont retirés du scrutin, reprochant le manque de transparence et les fraudes. Mais qu’importe, conforté par le président Zéroual, seul garant de la stabilité des institutions, Bouteflika est élu président de la République le 20 avril 1999.

Toutes les élections suivantes se déroulent suivant un scénario identique : des opposants inexistants, un président surpuissant aidé par une armée et une entreprise d’Etat et des scores de « démocratie populaire » en sa faveur : 85 % en 2004, 90,2 % en 2009 et 81 % en 2014. La messe est dite. Ou presque.

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Bouteflika reste l’homme de la réconciliation nationale. Il crée des aides financières pour les familles des victimes de l’islamisme, libère les militaires emprisonnés après des exactions contre des membres du Front islamique du salut (FIS)… Malgré les critiques des défenseurs des droits de l’homme, ces mesures sont appréciées par une population désireuse de tourner la page une bonne fois pour toutes.

SOS rente pétrolière

Au niveau économique, la flambée des prix du pétrole permet au pouvoir d’enchaîner les grands chantiers : métro d’Alger, amélioration des voies de communication, construction d’une grande mosquée. Sous-traités à des entreprises étrangères ne créant que très peu d’emplois locaux, ces chantiers nourrissent souvent la frustration des jeunes chômeurs. Devenus les premiers partenaires économiques d’Alger, les Chinois y amènent leurs ouvriers célibataires qui ne se mélangent que très peu avec la population locale. Une certaine xénophobie commence à éclore dans un pays ayant rompu tout contact avec l’altérité depuis l’exil des pieds-noirs en 1962.

Sous Bouteflika, les scandales financiers (Khalifa, Sonatrach…) s’enchaînent au cœur de la caste mêlant hommes d’Etat, militaires et nouveaux riches qui se partagent la rente pétrolière tandis qu’une grande partie du peuple affronte le chômage et la pauvreté.

Culturellement, l’Algérie de Bouteflika souffre de schizophrénie. Berbérophone ? Arabophone ? Francophone (la langue de l’ancien occupant) ? Socialiste ? Islamique ?… ou tout à la fois ?

Recherche identité désespérément 

Tiraillée entre une frange « occidentaliste et francophile » et une tendance « national-islamiste » dont les têtes pensantes étaient formées à Kairouan ou au Caire, l’Algérie peine à définir son identité culturelle. La guerre civile a forcé Bouteflika à donner des garanties aux conservateurs. Dans la ligne droite de la politique d’arabisation de Bendjedid, Bouteflika a fait fermer en 2006 quarante-deux établissements francophones tout en scolarisant sa famille dans des établissements privés tenus par… des prêtres français.

Le Printemps noir des Kabyles en 2004 a également obligé le gouvernement à offrir des garanties linguistiques et culturelles à ces irréductibles montagnards culturellement humiliés mais très présents au sein des armées ou de la police.

Au niveau diplomatique, l’Algérie de Bouteflika reste dans la ligne tiers-mondiste de Ben Bella et Boumediene. Soutien déterminé des Palestiniens, l’Algérie a toujours ses frontières fermées à l’ouest avec son voisin marocain. Elle s’est également rapprochée des Américains, notamment sur les questions de sécurité tout en restant très attachée à son armurier russe.

L’exception algérienne

Avec la France, c’est une autre affaire. L’ancienne puissance coloniale garde des intérêts économiques importants en Algérie même si la Chine l’a dépassée et que les Italiens arrivent à grands pas. Bouteflika a toujours eu un rapport conflictuel avec la France fait de mépris et d’admiration. Ancien moudjahidine, il surjoue souvent les contentieux historiques en période de crise tout en se faisant soigner aux hôpitaux de Grenoble et du Val-de-Grâce…

Dans un monde arabo-musulman secoué par les printemps arabes, l’Algérie est une exception. Dernier pays se revendiquant encore du socialisme, il est également le seul à avoir obtenu son indépendance après une guerre brutale et le premier à avoir subi l’islamisme avec les années noires.

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Mais le pays a changé. Il est jeune, connaît l’un des pires taux de chômage d’Afrique (17 % en 2014) et son pétrole n’est pas éternel. La majorité des forces vives du pays ne pensent qu’à décrocher un visa pour la France ou l’Amérique.

Malgré la grogne sociale, qu’illustrent les manifestations de ces cinq dernières années, et le caractère surnaturel de sa candidature, Bouteflika reste un symbole. Il est à la fois le dernier représentant des « résistants de 1962 », avec ses travers et ses espoirs mais aussi l’homme de l’unité recouvrée en 1999. Son maintien acharné au pouvoir montre l’inertie de cette société qui n’a pas su réellement relever le défi démocratique. Si les années noires ont vacciné la population contre toute dérive islamiste, aucune alternative crédible n’émerge pour le moment.

Pierre Guyotat, tempétueux Médicis

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Pierre Guyotat. Sipa. Numéro de reportage : 00623516_000021.

Pierre Guyotat vient de recevoir le prix Médicis pour son récit autobiographique Idiotie (Grasset, 2018) qui évoque son entrée dans l’âge adulte sur fond de guerre d’Algérie. Il était temps que cet écrivain hors norme soit récompensé.


Un livre de Pierre Guyotat est un événement. Son style est celui d’un poète perdu dans ce siècle qui rejette le sabbat des sorcières, préférant louer les prosateurs plats. Ses phrases charrient les corps sales, les odeurs de latrines, les pantalons maculés de fluides divers, les tas d’ordures que les enfants affamés touillent au crochet, les caves moisies où l’on torture les soldats involontaires, les arrière-cours où les jeunes filles perdent leur innocence, les draps souillés par le sang impur de ceux qui refusent d’obéir aux fonctionnaires en uniforme, les fruits qui pourrissent sous le soleil de la Méditerranée, l’aigreur des aisselles de celui qu’on vient d’émasculer, le parfum corrompu de la femme fardée qui arpente les trottoirs d’un quartier malfamé où les nuits sont plus blanches que les jours. Les images sont crues, les métaphores violentes, heurtées par le style d’un auteur halluciné qui a vu ce que l’homme a cru voir. Guyotat, qui admire Genet, paraît plus proche d’Artaud éructant contre la société qui le suicide. Le fleuve Guyotat vous transporte jusqu’au bout de vos forces, les cinq sens se répondent, chaos symphonique, déchirement des certitudes, gravats idéologiques, fleurs de figuier sur la rive qui défile, avant d’échouer en mer Rouge refermée sur l’espoir vaincu.

Multirécividiste de l’écriture

Le premier livre qui fit connaitre Pierre Guyotat fut Tombeau pour cinq cent mille soldats. Il eut les pires difficultés à trouver un éditeur. Le récit fait suite à un voyage en Algérie. Guyotat y avait été incarcéré pendant son service militaire en 1962. La violence et le sexe s’unissent pour nous entraîner dans une danse frénétique rythmée par une langue torturée à l’extrême. L’auteur récidive trois ans plus tard, en 1970, avec Éden, Éden, Éden. Éros danse avec Thanatos, l’érotisme et la violence du texte choquent la France pompidolienne, et le ministre de l’Intérieur de l’époque, Raymond Marcellin, le censure pour « pornographie ». L’interdiction ne sera levée qu’en novembre 1981 sous la présidence de François Mitterrand. Les critiques furent déboussolés par ce récit qui dénonce, dans une langue d’une beauté sépulcrale, le massacre généralisé. Guyotat récidive avec Prostitution en 1975. Du reste, Guyotat est un multirécidiviste. C’est un délinquant de l’écriture. Il ne s’assagit pas avec le temps. Le bordel est à ses yeux un lieu de vérité et de liberté. Plus que jamais il faut lire ce texte !

Un fils de la défaite dans une France nazifiée

Avec Idiotie, Guyotat traite de son entrée dans l’âge adulte, entre 18 et 22 ans. Il évoque, dans son style si singulier, jamais apaisé, invitant à le lire à haute voix, à bousculer le voisin de table agrippé à son smartphone comme le futur noyé à sa bouée de sauvetage, il évoque donc la recherche du corps féminin, sa pulsion de rébellion permanente contre le père pourtant aimé, contre l’autorité militaire, une nouvelle fois, en tant que soldat pris dans la guerre d’Algérie, « arrêté, inculpé, interrogé, incarcéré puis muté en section disciplinaire », comme il l’écrit au dos de son livre, presque pour offrir un fil rouge aux lecteurs qui hésiteraient à pénétrer en territoire miné. Guyotat réaffirme ses rebellions, il évoque leurs conséquences : fugue, faim, fatigue. Et toujours ce refus du réel imposé. Et toujours la guerre d’Algérie, « un massacre plus haut dans le massif », « des grands hangars surchauffés, ou dans le fond, des mécaniciens s’affairent autour de quelques-uns de ces engins qui répandent le napalm sur les forêts, mitraillent les douars abandonnés de force », « au petit matin, rosée sur le barbelé ; dans la journée, réchauffement du métal : les pointes percent le gant, les doigts enflent, s’infectent dans le gant. » Le traumatisme de sa vie, on l’aura compris, est cette trop longue période en Grande Kabylie. Fragile psychologiquement, il fait deux tentatives de suicide, dont l’une se solde par un coma. Mais les mots le sauvent. Il raconte cette descente aux enfers et le titre s’impose sur le cahier d’écolier, Coma, paru en 2006. Il songe à ses terres où il est né, en 1940, dans le Haut-Vivarais, d’un père médecin et d’une mère d’origine polonaise, catholique fervente. Un fils de la défaite dans une France nazifiée, la fréquentation âpre des pensionnats catholiques, les récits tragiques de son père engagé dans la Résistance et la France libre, et cela achève le portrait de Pierre Guyotat, un portrait en forme de mosaïque, à l’image de ses récits.

Orgie au bordel

Roland Dumas fut l’avocat de Guyotat. Une grande amitié les lie, Dumas le considérant comme l’un des plus grands écrivains contemporains. Il possède le manuscrit d’une œuvre inédite de Guyotat, commencée en 1963, et achevée 10 ans plus tard. Le manuscrit porte le titre L’autre main branle, car Guyotat l’écrivit en se masturbant. Sa force métaphorique est formidable. Il faudrait le publier. En voici un court extrait. Des militaires s’enivrent dans l’arrière-salle d’un bar servant de bordel de garçons : « Ils racontaient comment, dans les villages, ils violaient garçons et filles. Quand ils repartaient les couilles bien molles, ils le pelotaient dans l’escalier et jusque dans la salle. Dans la rue il les voyait accoster les adolescents, faire des gestes obscènes aux petits cireurs, s’approchaient d’eux. Certains leur passaient entre les jambes devant les passants, jamais assouvis, toujours en chaleur, haletant comme des chiens.» La suite tourne à l’orgie. L’écriture de Guyotat est traversée par des forces telluriques contraires. Il nomme cela « théorie des flux ». Le lecteur doit se laisser emporter par elles. Jusqu’au très loin. Comme en amour, en politique, en art. Jusqu’au très loin. Ou jamais.

Pierre Guyotat, Idiotie, Grasset, 2018.

Le Brésil, victime des clichés samba-cocotiers

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Une supportrice de Jari Bolsonaro dans les rues de Rio de Janeiro, octobre 2018. SIPA.

En France, les médias ne s’en remettent pas: le pays du carnaval, de la samba, du roi Pelé a convoqué à sa tête un « fasciste », « raciste », « homophobe »: Jair Bolsonaro. La radicalité de leur rejet du choix du peuple brésilien n’a d’égal que la ténacité de leurs clichés à l’égard de ce dernier.


Le Brésil est peut-être le seul pays au monde qui se laisse connaître par des clichés et rien que par des clichés. C’est le pays de la samba, des métisses toujours souriantes et de la noix de coco. En tant que Marocain, je m’y connais un peu dans les clichés car mon propre pays fait l’objet de clichés, tous aussi inexacts et fallacieux les uns que les autres, du genre : « Maroc, pays de la tolérance » ou « Maroc, pays tenu d’une main de fer ». Marocain et résident au Brésil depuis sept ans, je m’autorise donc à briser ou du moins à nuancer certaines analyses lues ici et là au sujet des élections brésiliennes.

Vous avez dit « fasciste » ?

On nous dit que Bolsonaro est fasciste. On s’en gargarise même. Démonter cette énormité mériterait un article en entier qui très certainement ne sera pas lu par les apprentis inquisiteurs qui prolifèrent en France. Ils sont dans la croyance religieuse et celle-ci ne souffre pas de remise en question. Je me limiterai donc à souligner que Bolsonaro est un évangélique, c’est-à-dire un homme religieux affilié à une des nombreuses églises protestantes du Brésil. Sa femme aussi. La plupart de ses électeurs le sont. Il faut quand même une sacrée dose de mauvaise foi et de paresse intellectuelle pour confondre un évangélique avec un fasciste. Pour ma part, je ne connais pas de fasciste réel (de l’époque de Mussolini par exemple) qui ait été un chrétien militant. Bien au contraire, le fascisme italien méprisait le Vatican et les valeurs de l’Eglise (par trop molles, par trop humanistes, par trop bourgeoises). Et chez les nazis allemands, il y avait bien une tendance « catholique » (je demande pardon aux catholiques pour l’abus de langage mais je dois aller vite) mais elle n’a jamais pesé lourd face à Hitler, un païen radical.

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Autour de moi (je ne peux pas voter au Brésil car je suis étranger), j’ai vu ma femme de ménage (une métisse du Nordeste) voter Bolsonaro, mon gardien (un noir du Nordeste) voter Bolsonaro, mon épouse (une Brésilienne de sang juif autrichien) voter Bolsonaro, un ami homosexuel voter Bolsonaro. A Sao Paulo, 68% des votes valides ont été pour Bolsonaro. A Rio de Janeiro, une ville à 50% noire, 67% des suffrages ont été pour Bolsonaro. Il faudra donc m’expliquer quel virus sadomasochiste a poussé des « minorités » à se jeter dans les bras d’un apprenti fasciste ! Il faudra aussi expliquer à ma femme comment le seul candidat ouvertement pro-Israël peut être fasciste…

La gauche, championne de la corruption

Si l’on est sérieux cinq minutes, on peut ouvrir les yeux et accepter de voir deux des principaux facteurs qui alimentent le vote Bolsonaro. D’une part, ma femme de ménage et mon gardien sont évangélistes comme Bolsonaro. Ils ont suivi les consignes de vote passées dans leur église. Ensuite, ma femme et mon ami homosexuel en ont par-dessus la tête de la gauche brésilienne qui a mené le pays à la ruine, leur faisant perdre à eux deux leur emploi. Je ne m’étendrais pas sur le sujet, je me limiterai à rappeler que la gauche brésilienne a rendu possible le plus grand scandale de corruption de l’histoire du monde : Petrobras ! La mise à sac du géant brésilien des hydrocarbures a conduit l’intégralité des trésoriers du Parti des travailleurs (PT) en prison : ils sont quatre trésoriers derrière les barreaux.

Le rejet de la gauche est bien plus qu’un phénomène idéologique (ma femme a toujours voté centre-gauche et mon ami homosexuel est de gauche). Mais il faut voir le type de campagne menée par les adversaires de Bolsonaro. Leur slogan a été : « Lula é Haddad ». Autrement dit, Haddad s’est présenté comme le proxy de Lula, le candidat réel à l’élection présidentiel. Or, Lula est en prison pour douze ans (corruption). Le but avoué de la gauche brésilienne était de faire élire Haddad et de faire libérer Lula l’an prochain via une grâce présidentielle. Ensuite, Lula aurait été nommé ministre pour lui éviter toute poursuite future (immunité). Cela s’appelle de l’obstruction à la justice. Le Brésil a certes beaucoup à se reprocher sur le plan moral mais il n’est pas encore une république bananière. Il s’y refuse.

Le vrai fascisme, c’est le crime organisé

Je lis aussi que « Bolsonaro sera un président autoritaire de droite ». Il ne peut s’agir que d’une blague ! Comment instaurer un régime autoritaire avec une police incapable de contrôler des pans entiers du territoire ? La moitié de la population de Rio de Janeiro vit sous le joug des gangs. A Sao Paulo, où j’habite, toutes les banlieues sont aux mains du PCC (Primeiro Comando da Capital), une mafia qui dispose de 10 000 combattants. L’intégralité du système carcéral est contrôlée par le crime organisé. Dans ces conditions, il faudra à Bolsonaro beaucoup de motivation et d’efforts pour instaurer un régime autoritaire au Brésil…

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Nous vivons déjà dans une dictature au Brésil, celle du crime organisé. Ce sont eux les fascistes. Ils sont pour beaucoup dans la mort violente de plus de 62 000 Brésiliens l’an dernier, ils tondent les femmes qui osent dire non à leurs « guerriers », ils brulent vifs les homosexuels et les journalistes qui ont le malheur de mettre les pieds dans une favela sans y être invités, ils coupent les têtes de leurs opposants en prison. Ce sont eux les narco-fascistes qui sont en train de transformer le Brésil en un enfer. Combien de morts et de massacres faudra-t-il pour que les observateurs étrangers comprennent à quel monstre le Brésil a affaire ?

Le carnaval aura bien lieu

Ne vous inquiétez-pas, Bolsonaro ou pas, le carnaval aura lieu en février prochain et les bikinis microscopiques continueront à fleurir à Ipanema. Les clichés auront la vie sauve. Il est même fortement probable que les gangs garderont le contrôle des favelas quoi qu’en dise Bolsonaro. Ce cliché-là va survivre lui aussi et il y aura toujours des « analystes » pour s’extasier devant l’échec du Trump brésilien. Quel que soit le suffrage, les clichés gagnent toujours.

Italie: Desirée, ado droguée, violée et tuée par des migrants

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Portrait de Desirée devant l'immeuble où elle a été tuée. Sipa. Numéro de reportage : AP22263116_000001.

Le drame vécu par Desirée Mariottini, 16 ans, violée et tuée par des immigrés clandestins africains, déchire l’Italie. Au centre du jeu, le ministre de l’Intérieur Matteo Salvini fustige la « vermine » qui tue et viole, essuyant de vives critiques. Sur la question migratoire, le divorce entre la droite italienne et l’Eglise catholique semble consommé. Toute ressemblance avec des faits se déroulant en France…


Le nom de Desirée Mariottini, 16 ans, est aujourd’hui connu de toute l’Italie. Dans la nuit du 18 au 19 octobre, cette adolescente toxicomane a été retrouvée morte à l’intérieur d’un squat romain. Dans le quartier malfamé de San Lorenzo, à quelques pas de la gare de Termini, la jeune Desirée aurait consommé un mélange fatal d’héroïne et de cocaïne fourni par quatre africains immigrés clandestins qui l’auraient ensuite violée et laissé mourir une douzaine d’heures avant d’appeler les secours. Les quatre migrants impliqués dans le drame ont été rapidement arrêtés. Il s’agit de deux sénégalais, un gambien et un nigérian, au passé délinquant avéré (trafic de drogue, violences). Les voilà désormais accusés d’avoir abusé de Desirée ante et post mortem.

Une mort sordide

La police recherche encore un dealer italien ainsi que trois tunisiens suspectés d’avoir assisté à la scène. D’après certains témoignages, la jeune fille aurait par le passé consenti à des rapports sexuels avec ses fournisseurs contre une dose de drogue. Pas plus tard qu’au mois d’août, la même Desirée avait été signalée aux services sociaux et poursuivie devant le tribunal des mineurs pour trafic de Rivotril, un anxiolytique couramment détourné en « drogue du violeur ». Pour compléter ce tableau sordide, ajoutons que Desirée avait été confiée à la garde de ses grands-parents à la suite du divorce de ses parents, son père ayant eu maille à partir avec la justice pour appartenance à un gang mafieux.

Une tragédie survenant rarement seule, l’affaire Desirée a été suivie d’un autre fait divers impliquant des migrants. Le 25 octobre, un médiateur social gambien de 27 ans a violé puis frappé l’une des résidentes du centre d’accueil pour demandeurs d’asile de Ragusa (Sicile). Interpellé après avoir pris la fuite, le violeur présumé est au centre d’une énième polémique suscitée par la mort de Desirée.

La gauche antiraciste rejointe par… l’Eglise

Comme de bien entendu, une partie du personnel politique délaisse les problèmes de fond (insécurité, accueil des demandeurs d’asile, expulsion des criminels étrangers) pour épouser des postures morales. Ainsi, Matteo Salvini a-t-il déclenché un feu grégeois d’indignation par ses mots de matamore. Traitant de « vermine » les meurtriers présumés de Desirée, le ministre de l’Intérieur a promis un traitement de choc au violeur putatif de Ragusa : « S’il est coupable, ce monstre (les animaux valent mieux que lui) mérite la prison et l’expulsion, plutôt que d’être traités avec amour et sourire ». Réplique immédiate du président de l’Assemblée nationale Roberto Fico, figure de l’aile gauche du Mouvement 5 étoiles en conflit permanent avec Salvini, qu’il accuse de souffler sur les braises du vivre-ensemble en instrumentalisant une mort atroce.

L’indignation de la gauche, qui se ressent jusque dans les rangs de l’allié populiste de la Lega, passe encore. Mais la société italienne connaît une fracture nouvelle depuis que les positions du pape François sur l’immigration heurtent les convictions d’une majorité de catholiques conservateurs. Des deux côtés des Alpes. Ainsi, la réplique la plus virulente aux déclarations de Salvini n’émane-t-elle pas de la gauche radicale mais de la congrégation des Missionnaires comboniens. En plein accord avec le discours pontifical, les frères dénoncent « l’instrumentalisation malsaine de la mort [de Désirée] destinée en particulier à attaquer les immigrés ». Invoquant la présomption d’innocence, les clercs condamnent l’emploi du mot vermine,« insultant et méprisant à l’égard des personnes arrêtées », ajoutant qu’un vocabulaire aussi cru « associé aux immigrés risque de susciter un sentiment de haine raciale et inciter à la violence contre les étrangers, en particulier les Africains ».[tooltips content= »Dans l’hexagone, où François d’Assise compte tant d’émules, on aurait parlé de « stigmatisation ». »]1[/tooltips] Plus qu’un sermon, une déclaration de guerre à Salvini ! D’autant que le chef de la Lega aime poser en gardien de l’identité chrétienne transalpine, défenseur du crucifix dans les salles de classe et des madones populaires, tout en fustigeant les appels humanitaires du Vatican. En guise de réponse, le ministre de l’Intérieur s’est contenté d’enfoncer le clou sur Facebook : « Insensé. Je le dis et je le répète : vermine, vermine, vermine. »

Le peuple de droite contre le pape

Presque trente ans après la fin de la guerre froide et la chute de la démocratie chrétienne, l’Eglise italienne a donc rompu son compagnonnage avec le camp conservateur et anticommuniste. Berlusconi n’étant plus qu’un sujet de film, ou presque, la droite italienne largement déchristianisée est en porte-à-faux avec l’Eglise. Le petit parti postfasciste Fratelli d’Italia (4% de l’électorat), que préside la sémillante quadra Giorgia Meloni, ancienne ministre de la Jeunesse de Berlusconi, attaque ainsi Salvini sur son flanc droit. Malgré leurs meetings communs avec Steve Bannon, une certaine proximité idéologique et leur probable alliance aux Européennes, la Lega et Fratelli d’Italia (FI) ferraillent dur. Au lendemain de l’affaire Desirée, une sénatrice FI a déposé un amendement à la loi sécurité prévoyant la castration chimique des pédophiles et des violeurs. Le rejet de cette proposition sans la moindre discussion a méchamment courroucé Meloni, laquelle accuse Salvini d’avoir tourné casaque sur une série de sujets sensibles : le démantèlement des camps de roms, ou la création d’un délit de fondamentalisme islamiste que FI réclame à cors et à cris.

Salvini caresse le Qatar

Confortablement installée dans l’opposition, Giorgia Meloni s’insurge du récent virage pro-qatari de Salvini lors du Salon international de la sécurité intérieure de Doha au cours duquel le dirigeant leghiste a vanté la lutte de l’émirat contre le terrorisme. Les entreprises italiennes séduites par le marché qatari méritent bien une valse… Choquée par ce revirement au profit d’un pays qui condamne de mort l’apostasie et l’homosexualité, Meloni en arrive à défendre le modèle libéral occidental contre l’obscurantisme. Au sein d’un parti héritier du MSI qui se dit désormais « ni fasciste ni antifasciste », une telle position mérite d’être relevée. Si l’Italie a rompu avec le fascisme, elle n’en a décidément pas fini avec la religion…

« Beyoncé est-elle féministe? »: j’ai survécu à une réunion d’Osez le féminisme

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Beyoncé et Raphaëlle Rémy-Leleu / Shutterstock40670995_000010 / Capture d'écran Youtube C à Vous

En tournée dans plusieurs sections locales de l’association Osez le féminisme, deux « autrices engagées » ont présenté leur nouveau livre à Toulouse le samedi 27 octobre. Intitulé Beyoncé est-elle féministe ?, ce bréviaire du féminisme pour adolescentes répond avec « pédagogie » à toutes les questions de société jugées primordiales : construction du genre, violences faites aux femmes, matrimoine, sexualité féminine… Entre poncifs éculés et mièvrerie militante, rencontre avec la « nouvelle génération » féministe.


Toulouse, samedi 27 octobre, centre solidaire Abbé Pierre. La section locale d’Osez le féminisme invite Raphaëlle Rémy-Leleu, porte-parole national, et Margaux Collet, « experte genre » : deux éminentes militantes qui viennent d’écrire un manifeste pour l’association dont la figure de proue est Caroline de Haas. Une trentaine de personnes sont réunies pour entendre les « autrices » présenter ce « petit livre » appelé Beyoncé est-elle féministe ? – enfin, Raphaëlle Rémy-Leleu se reprend : « Il faut que j’arrête de dire ‘petit’, c’est un truc de petite fille élevée dans le patriarcat, ça. »

Aux « prédecesseuses », la matrie reconnaissante 

Après avoir laissé la responsable locale présenter les missions de l’association à Toulouse – relais de campagnes de communication, distribution de produits d’hygiène féminine aux femmes migrantes et SDF… et surtout, interventions dans l’enseignement secondaire pour déconstruire les stéréotypes (« mais on va essayer de le faire en maternelle et en primaire, parce que les déterminismes de genre, ça commence très tôt ») – les deux « autrices » commencent leur présentation par un petit quiz plus ou moins ludique : il s’agit de reconnaître de glorieuses « prédécesseuses » grâce à leur portrait dessiné. C’est qu’Osez le féminisme entend s’inscrire dans le féminisme historique. Les figures tutélaires d’Olympe de Gouges, Hubertine Auclert, Simone de Beauvoir, Gisèle Halimi… défilent devant les yeux ébahis du public et l’air entendu des activistes chevronnées, et permettent d’évoquer les grands thèmes de la lutte des femmes contre l’oppression patriarcale millénaire.

Le livre se veut en effet, notamment à travers cette galerie de portraits, une vulgarisation des idées féministes, à destination des jeunes filles tout juste entrées dans le nécessaire « processus de déconstruction des normes qui nous ont été présentées comme inaliénables ». C’est peut-être pour cela que le style de Raphaëlle Rémy-Leleu et Margaux Collet se situe à mi-chemin entre la rédaction d’un élève de quatrième et le texte d’un étudiant tout impressionné de sa première lecture de Marx.

« C’est quoi les trucs de meufs ou les trucs de mecs ? »

On pourrait dérouler, en vrac, les poncifs reproduits niaisement par le livre : culture du viol, concept douteux de « féminicide » – mais dont on apprendra avec consternation qu’il a été consacré par des lois pénales dans plusieurs pays d’Amérique latine, en Espagne et en Italie -, parité en politique, inégalité des salaires, « charge mentale » des tâches ménagères pour les femmes… (exactement au même moment sur M6, « 66 Minutes » consacrait un large reportage aux « nouveaux hommes au foyer »). Mais aussi d’autres lieux communs plus croustillants.

Tout d’abord, la dénonciation de la « construction du genre », évoquée dans un chapitre élégamment intitulé « C’est quoi les trucs de meufs ou les trucs de mecs ? » : on y apprendra notamment que les contes pour enfants sont « un univers sexiste », mais qui tend malgré tout, grâce à la montée du féminisme, à renverser les clichés, témoin La reine des neiges de Disney dont un des ressorts principaux est l’ « amour sororal ». Grâce aux pistes « pour aller plus loin » évoquées dans un encadré jaune (pas rose), on saura aussi que des solutions existent pour « offrir des jouets non sexistes », grâce à la campagne « Marre du rose » d’Osez le féminisme, et la maison d’édition Talents Hauts qui « propose des livres dès 2 ans et jusqu’à l’adolescence garantis 100% sans sexisme ».

Sur la construction des inégalités par le patriarcat, on verra aussi que le « sexisme dans le langage » impose de le « féminister ». A cette occasion, on apprendra pourquoi on dit à présent « égalité entre les femmes et les hommes » plutôt qu’ « égalité entre les hommes et les femmes » : c’est qu’on utilise, pour contrer la préséance du masculin, l’ordre alphabétique ! C’était donc ça !

La révolte des prêcheuses ridicules

On justifie de plus la réécriture de l’histoire au travers du prisme du « matrimoine ». Par exemple, il est bien probable que le véritable génie ait été la sœur de Mozart, malheureusement empêchée par son père de se développer parce qu’il lui préférait un homme, qui se serait ensuite copieusement inspiré de sa sœur. De même, il est une figure trop souvent oubliée à laquelle il faut rendre hommage – « ou plutôt femmage » : Ada Lovelace, une des fondatrices de l’informatique. En parallèle, on insistera sur la figure contemporaine de Shonda Rimes, productrice et scénariste de séries comme Grey’s Anatomy ou How To Get Away With Murder : grâce à elle, nous dit Raphaëlle Rémy-Leleu, « on écrit enfin des séries où les femmes ne sont pas juste des bonniches à la maison ! » Eh oui, c’est bien connu, on a attendu les années 2000 pour y donner une place aux femmes, soit le moment approximatif où les « autrices » précitées ont commencé à regarder des séries – simple hasard.

Un gros morceau est également celui de la place des femmes dans le sport, avec la difficile pilule à avaler de la différence physique entre les hommes et les femmes. Le manifeste reprend à son compte les fumeuses théories selon lesquelles, dans l’évolution, ce serait une inégalité d’alimentation entre les hommes et les femmes qui aurait causé la différence de taille et de force physique actuelle. Mais c’est aussi que les femmes ont été écartées « pendant 300 ans » (pourquoi 300, et pas 500, 800, 2000 ans ?) du privilège de faire du sport, cantonnées qu’elles étaient au rôle de nourrir les mioches. Alors, « empêchons les hommes de faire du sport pendant 300 ans et on verra ce qui se passera ». D’ailleurs, Raphaëlle Rémy-Leleu pose la question : pourquoi ne pas envisager des compétitions mixtes dès à présent ? Car « les hommes ne marquent pas de buts avec leur pénis », hein !

Enfin, comme chacun sait, « le privé est politique ». Les « autrices » n’hésitent donc pas à s’immiscer dans la vie intime de leurs lectrices, en donnant des conseils en matière de relations amoureuses ; car « la société est machiste, les représentations de la sexualité et du couple aussi. Il est donc très important de passer ta relation au radar du féminisme ». On remerciera Margaux Collet et Raphaëlle Rémy-Leleu de cette attention maternaliste ! Il faut alors déconstruire les clichés sexistes en matière de sexualité : par exemple, « la virginité est en fait une invention pour contrôler la sexualité des filles et des femmes », qui découle de « la tradition patriarcale de service sexuel et reproductif  ». Ceci s’accompagne de nouveau des plus vieilles lunes des magazines féminins : « On est là pour se faire plaisir ! », masturbez-vous et surtout : « Osez le clito ! », du nom d’une des campagnes les plus médiatiques d’Osez le féminisme.

Si tous les « cons » volaient…

Avec tout cela, on ne nous a pas répondu : finalement, Beyoncé est-elle féministe ?! Eh bien, ce titre est là avant tout pour « parler aux jeunes ». On se bornera à dire que Beyoncé, quand elle se revendique féministe, fait progresser la bonne cause dans le monde ; et de plus, il ne revient à personne de décerner des labels de féminisme, féminisme dont le but est tout de même de « créer un réseau d’action et de sororité » entre les femmes. Même si, quand elle s’habille « de manière dénudée et sexualisée », on peut considérer qu’elle « se définit dans le regard des hommes ».

A la fin de cette éprouvante rencontre de deux heures, il est décidé de faire une photo pour immortaliser le moment. Les enthousiastes se précipitent pour être aux côtés des brillantes « autrices ». Et finalement, au moment de faire un sourire d’occasion, Raphaëlle Rémy-Leleu s’écrie : « Avec moi : 1, 2, 3, clitoriiiiis ! » Trop heureuses d’en rajouter, certaines dans l’assemblée lèvent les bras et effectuent le signe du clito (?!). N’était-ce pas là tout le manifeste dont Osez le féminisme avait besoin ?

Le porc émissaire

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Jean-Pierre Sakoun: « La laïcité subit des attaques de toutes parts »

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Jean-Pierre Sakoun. Photo : Studio Fallour.

Les temps sont durs pour la laïcité tandis que le fameux « discours sur la laïcité » tant attendu du président Macron se fait toujours attendre. On finit par espérer qu’il n’arrive pas, tant on en redoute les probables renoncements et reculades.

Soumise au feu croisé de l’entrisme d’un islam politique qui ne se dissimile même plus, aux discours accommodants d’un personnel politique souvent couard ou d’une inconscience coupable, au harcèlement constant des idiots utiles de cette vague obscurantiste qui, sous couvert de protéger les minorités offensées toutes confondues dans un grand magma victimaire, la laïcité a fort à faire.

Qualifiée perversement de rigide voire de « radicale » par certains qui, à l’instar du président Emmanuel Macron, n’hésitent ainsi pas à reprendre en le tordant le lexique de la radicalisation religieuse en cours, qui tue, persécute et égorge, cette construction républicaine permet à chacun d’adhérer au pacte citoyen le liant au reste de la société, dans le respect de ses convictions intimes et de sa liberté de conscience.

Les défenseurs de la laïcité qui se reconnaissent dans le Comité Laïcité République sont sur ce front depuis l’affaire du voile de Creil en 1989 qui avait lancé les festivités régressives dans ce domaine, quand d’autres préféraient se fermer hypocritement les yeux.

La constance de leur combat, la justesse aussi des buts qu’ils poursuivent – préserver la laïcité en dépit de toutes les atteintes polymorphes qu’elle subit-, la rationalité et la pondération de leurs méthodes, mérite qu’on les reconnaisse pour leur engagement et que l’on mette en lumière leur action, à quelques jours de la remise des Prix de la Laïcité le 6 novembre à l’Hôtel de Ville de Paris.

Jean-Pierre Sakoun, président du Comité Laïcité République, répond pour Causeur à quelques questions.

Anne-Sophie Chazaud. Dans quelle situation se trouve aujourd’hui la laïcité en France ?

Jean-Pierre Sakoun. La laïcité subit des attaques de toutes parts dans une société où les discours religieux ont repris une place envahissante et bruyante. Les prises de position papales sur les questions de société, de mœurs, de procréation ou de contraception représentent un empiétement permanent contre lequel nous restons mobilisés d’autant que ces déclarations se sont récemment amplifiées. À côté de ces attaques plus ou moins feutrées,  l’action religieuse menée contre la laïcité par l’islam politique sous toutes ses formes est la plus visible. Par-delà les actions terroristes violentes et meurtrières qui atteignent notre société dans sa chair de manière spectaculaire, il y a au quotidien de façon à la fois virulente et insidieuse toute une série d’atteintes portées aux principes et aux valeurs républicaines à travers des attaques idéologiques visant à instaurer dans l’espace public les signes manifestes d’une soumission revendiquée à la religion plutôt qu’aux lois des hommes.

Toutes les polémiques tournant autour du port du voile islamique sont de cette nature et manifestent à la fois un entrisme et un séparatisme qui inquiètent beaucoup de nos concitoyens.

Face à de telles menaces contre la République, la classe politique se montre-t-elle à la hauteur de la situation ?

Les prises de position accommodantes ou les non prises de position d’une partie importante du personnel politique tous bords confondus suffisent à nourrir notre inquiétude mais aussi à justifier notre action. Le discours aux Bernardins de M. Macron nous semble de ce point de vue préoccupant, dans l’attente d’une ligne présidentielle claire, annoncée depuis longtemps, sur la laïcité.

Les récents débats qui se sont tenus à l’Assemblée au cours du vote de la loi Essoc dite « pour une société de confiance » en juin dernier et l’apparition d’un groupe d’une soixantaine de Députés LREM qui ont manifestés leur opposition  aux deux cavaliers législatifs contenus par ce projet de loi et modifiant la loi de 1905 sur le financement des cultes, démontrent des discussions internes à la majorité  autour de ce sujet : les deux alinéas conduisant d’une part à supprimer les associations cultuelles de la liste des lobbies, et rendant d’autre part possibles les dons manuels auprès de ces associations cultuelles sans obligation désormais d’être signalés, ont fini par être votés mais les laïques se sont fait entendre. L’action de veille et d’alerte menée par le Comité Laïcité République n’est pas étrangère à ce mouvement. Il importe donc plus que jamais en ce moment charnière de poursuivre cette action.

Justement, en quoi consiste l’action du Comité Laïcité République ?

Notre mode d’action et nos objectifs ne sont pas de l’ordre de la dénonciation polémique ou tonitruante et ne relèvent pas de l’engagement politique en tant que tel. Le CLR se positionne clairement depuis une trentaine d’années – précisément depuis l’affaire du voile de Creil en 1989 qui représente le moment fondateur de notre comité- comme un outil pragmatique afin de faire avancer la réflexion des politiques du moment sur les questions liées à la laïcité. C’est pourquoi nous sommes ouverts à tous les partis démocrates et ne postulons pas d’a priori partisans.

Le CLR est également un lieu de réflexion et de formation sur la laïcité, ce qui prend notamment tout son sens auprès d’un personnel politique jeune et plein de questionnements, nouveau venu en politique. Ce rôle s’est déployé de manière discrète et efficace jusqu’à ce que le basculement de certaines de principales associations laïques historiques vers des positions plus floues sur la défense réelle de la laïcité promeuvent de facto le CLR au rang de référent inébranlable dans ce domaine.

Nos nombreux colloques annuels, dans toute la France, notre site web très consulté, véritable centre de ressource sur la laïcité, les conférences que nous donnons, en France et à l’étranger, sont nos principaux outils de diffusion et d’action.

Quels sont vos outils d’action ?

La remise des Prix de la Laïcité, qui se tient depuis 2003 est le principal outil de cette action, en termes de visibilité mais aussi afin d’orienter les projecteurs vers ceux qui se battent au quotidien, en France et à l’étranger, pour promouvoir ces valeurs. Sous les présidences successives et non exhaustives de personnalités telles qu’Elisabeth Badinter, Antoine Sfeir, Boualem Sansal ou Zineb El-Razoui, ont par exemple été récompensés pour leur engagement laïque Chahdortt Djavann, Françoise Laborde, Djemila Benhabib, Jeannette Bougrab, Jürgen Wertheimer ou encore Samuel Mayol, Fazil Say et de nombreux autres.

La popularité fédératrice de cet événement devenu annuel témoigne de l’importance de l’action du CLR tandis que l’Observatoire de la Laïcité ne semble pas vouloir mesurer la profondeur du problème qu’il est censé observer. On peut trouver l’écho de cette position dans la dérive qu’incarnent nombre d’universitaires, intellectuels et associatifs, enfermés dans la problématique de lutte contre l’islamophobie, feignant de considérer toute action en faveur de la laïcité comme une atteinte visant tous les musulmans, remplaçant la promotion des valeurs laïques par celles de l’interconvictionnalité et du dialogue inter-religieux lequel serait supposé être à soi seul porteur de ciment collectif, au détriment des valeurs républicaines lesquelles relèguent le religieux à la sphère privée.

Il reste donc encore beaucoup à faire, même si les lignes idéologiques commencent à bouger.