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Intelligence artificielle, la défaite de la pensée?


Guillaume Grallet, reporter high-tech au Point, propose avec son livre Pionniers un voyage passionnant au cœur des cerveaux de l’intelligence artificielle.

Son enquête commence par la genèse des êtres humains qui ont bouleversé nos misérables vies, pour reprendre l’adjectif employé par Pascal pour résumer la condition humaine. On plonge dans l’histoire secrète de la Silicon Valley, vaste verger, jadis paisible, devenu le laboratoire du monde, peuplé d’esprits iconoclastes, biberonnés au road trip de Jack Kerouac et aux écrits du déjanté Allen Ginsberg, tous favorables – ou presque – à la contre-culture, partant de la remise en cause des puissances étatiques pour rechercher frénétiquement la vie éternelle. Grallet rencontra, en juillet 2016, l’écrivain Howard Rheingold, personnage excentrique connaissant les coulisses de cette partie mondialement connue de la Californie. Rheingold rappelle l’importance du LSD dans le processus créatif de nos chercheurs de génie. Drogue, mais également méditation transcendantale, comme Steve Jobs, fondateur d’Apple. Grallet raconte que Jobs partit en Inde, voyage initiatique qui renforça son goût de l’inconnu, allant jusqu’à se raser la tête en signe de purification. Les autres exemples ne sont pas mal non plus dans le genre névrosé. Ce qui n’effraya pas la DARPA, l’agence de recherche du Pentagone, qui investit des milliards de dollars dans leurs entreprises de technologie révolutionnaire. Cette prise de risque, caractéristique de la mentalité américaine, est l’une des raisons du succès de la Silicon Valley.

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Parmi les rencontres, il faut citer celle de l’auteur avec Mark Zuckerberg, à Hawaï, où le créateur de Facebook construit un gigantesque bunker pour se protéger de l’apocalypse nucléaire. L’homme qui possède 200 milliards de dollars est imprévisible, voire versatile, comme le prouve le portrait qu’il nous propose. « Zuck », aujourd’hui subtilement anti-woke, n’en démord pas : dans trente ou cinquante ans, on aura la capacité d’avoir une pensée et de la partager instantanément avec quelqu’un. Son projet transhumaniste peut paraître fou, mais ce « geek insatiable », à la tête du réseau social comptant plus de 3 milliards d’utilisateurs, est persuadé qu’un jour les cerveaux communiqueront en direct, sans avoir besoin d’écrans. Lui aussi parie sur l’IA.

Le développement inéluctable de l’IA divise. Elle doit être perçue comme un amplificateur de l’intelligence humaine, « un partenaire de réflexion ». Elle peut déjà détecter un certain nombre de pathologies ou prévenir des catastrophes naturelles. Mais il semble indispensable de l’encadrer par de solides garde-fous, car elle va bouleverser le monde du travail et la géopolitique. Elle risque, de plus, d’accroitre les inégalités entre les êtres humains, de développer un chômage de masse au sein de la classe moyenne, sans épargner les cols blancs. Certains spécialistes s’attendent à un carnage, tandis que d’autres prévoient une métamorphose moins meurtrière. Les entreprises « sans ambition », qui refusent d’innover, seront les plus touchées. Les capacités des différents systèmes d’IA risquent également d’accoucher d’un super puissant État peuplé de personnes hautement intelligentes dominant la scène mondiale. Pire, l’auteur précise que « les modèles d’IA peuvent tromper leurs utilisateurs et poursuivre des objectifs de manière ‘’imprévue’’. Ils ont la capacité, par exemple, de générer des réponses faussement rassurantes pour viser des intentions cachées. » Bref, comme l’a écrit Rabelais : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. »

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Ce qui serait magique, c’est que l’IA soit capable d’annihiler le cerveau des docteurs Folamour qui ne rêvent que de feu nucléaire. Mais le mieux, pour éviter l’apocalypse, serait d’appliquer le conseil de Camus : « Un homme, ça s’empêche. » Pour cela, il faudrait être capable de garder intacte, et surtout indépendante, notre faculté de pensée.

De toute façon, au final, on entendra résonner la voix de Macbeth :
« La vie n’est qu’une ombre errante ; un pauvre acteur
Qui se pavane et s’agite une heure sur la scène
Et qu’ensuite on n’entend plus ; c’est une histoire
Racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur,
Et qui ne signifie rien. »

Guillaume Grallet, Pionniers. Voyage aux frontières de l’intelligence artificielle, Grasset. 288 pages

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Napoléon vu par Abel Gance, une longue attente

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Un très beau cadeau de Noël: Napoléon vu par Abel Gance sorti en Blu-ray haute définition par Potemkine Films[1]. Tout le génie cinématographique d’Abel Gance au service de la grandeur de Bonaparte et de la France…


Je n’avais jamais vu ce film mythique. Depuis 50 ans, j’attendais le moment de découvrir la vison de Napoléon vu par Abel Gance après avoir vu des extraits de versions non satisfaisantes. Le travail méticuleux et subtil de reconstitution du film dans sa Grande Version inédite et définitive accompli pendant seize ans par Georges Mourier et son équipe est exceptionnel. Cette restauration est au plus près du montage originel dans la rythmique musicale, voulue par Abel Gance, très proche de la copie Apollo montrée en 1927.

Abel Gance, un inventeur du cinéma

Abel Gance est avec Jean Epstein, Cecil. B. DeMille et David Wark Griffith l’un des grands cinéastes inventeurs de formes du cinéma muet. Indéniablement, c’est un réalisateur inspiré et novateur dont le style empreint de lyrisme tranche avec la production de l’époque.

J’Accuse (1919) et La Roue (1923) deux chefs-d’œuvre de l’art cinématographique le consacrent comme un metteur en scène reconnu qui a tourné de nombreux beaux films durant la période du cinéma muet, puis des œuvres intéressantes mais parfois moins convaincantes après la naissance du cinéma parlant et sonore.

Une fresque monumentale

Napoléon vu par Abel Gance est une fresque monumentale datant de 1927, qui retrace la vie du futur empereur depuis son enfance jusqu’aux premiers feux de la campagne d’Italie.

Genèse et production du film

La recherche de financement pour sa production et l’écriture du scénario s’étalent de 1923 à 1924. Abel Gance pensait réaliser six films racontant l’histoire complète de Napoléon. Il s’associe avec Pathé, monte la société Les Films Abel-Gance puis écrit le premier volet du film. Le tournage démarre le 15 janvier 1925, aux studios de Billancourt. Il dure quatorze mois (entre Paris, la Corse et le château de Versailles…) et nécessite des tonnes de matériel dont dix-huit caméras…

Un laboratoire d’innovations pour une œuvre hors norme

Pour servir au mieux la mise en scène de son film, Gance innove sans cesse et trouve de nouvelles solutions techniques : caméras sur des filins et des balançoires, caméras portées, installées sur des chevaux au galop, fabrication d’objectifs spéciaux, surimpressions, essais sur la couleur et tournage du film en Polyvision (pour une projection sur trois écrans)… Le montage, assuré par Abel Gance et Marguerite Beaugé, exige un an de travail.

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Napoléon vu par Abel Gance est une œuvre cinématographique, artistique, historique et politique d’une envergure sans pareille. L’épopée napoléonienne d’Abel Gance est un poème épique d’une audace et d’une inventivité folle au service de la grandeur de la France et d’un homme qui l’aimait : Napoléon Bonaparte. L’histoire de France vue par Abel Gance tient de la force et de la beauté du roman national servi par la vision acérée et précise du cinéaste, la justesse d’interprétation de tous les acteurs en particulier celles d’Albert Dieudonné (Napoléon Bonaparte), Abel Gance (Saint-Just), Alexandre Koubitzky (Danton), Edmond Van Daële (Robespierre), Antonin Artaud (Marat), Gina Manès (Joséphine de Beauharnais), Annabella (Violine)…

Esthétique, musique et mise en scène

La mise scène est ample, rigoureuse et attentive. Ses plans et images flamboyants sont servis par un noir et blanc contrasté parfois teinté de bleus, rouges, verts, jaunes ou bistres illustrant les tensions dramatiques du récit. La musique extraordinaire de justesse confiée à Simon Cloquet-Lafollye et interprétée par l’Orchestre National de France, l’Orchestre Philharmonique et le Chœur de Radio France, sous la direction de Frank Strobel est faite de plages de calme et de tensions, de moments lyriques et d’envolées magnifiques. Le compositeur a puisé dans plus de deux cents ans de musique symphonique subtilement réarrangé pour la bande musicale du film.

Humanité et violence

Gance filme avec une grande tendresse les scènes où la vie privée des personnages principaux de l’aventure napoléonienne sont en jeu. Relations familiales, amour maternel et filial et passion amoureuse donnent à cette œuvre une vérité humaniste. Lorsqu’il s’agit de filmer la violence et la terreur de la Révolution française ou la barbarie de la guerre – prise de Toulon, bataille d’Italie – il montre sans concession par des procédés visuels de surimpression et de colorisation, l’horreur en marche.

Un aboutissement cinématographique

Tous ces éléments liés à l’attention particulière du cinéaste aux sentiments, désirs, pensées et souffrances de ces personnages qui ont écrit l’histoire de notre nation font de ce film un véritable enchantement pour qui aime la France, l’esthétisme cinématographique, la musique.

Le triptyque final de la bataille d’Italie est un morceau de bravoure et d’anthologie cinématographique bouleversant, grâce à sa beauté et son inventivité formelle.

Un film muet où l’on voit et entend le bruit et la fureur de l’Histoire. Une véritable prouesse, un chef-d’œuvre absolu ou la forme et le fond se rejoignent.

1927 – 7h20 – film historique – muet


[1] Coffret du film restauré par la Cinémathèque française. Contient :- 3 Blu-ray, le livre Napoléon vu par Abel Gance, des éditions La Table Ronde (2024, 312 pages), un livret avec la liste des musiques utilisées pour la bande son.

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Présidentielle: ne demandez pas le programme!

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Le projet présidentiel, ce sera l’homme…


Pour la prochaine élection présidentielle, chaque candidat, de droite comme de gauche, se sentirait déshonoré s’il n’invoquait pas l’absolue nécessité d’un programme avant d’afficher toute ambition personnelle. C’est une sorte de réflexe destiné à montrer son sérieux et sa profondeur.

Alors même que l’on sait très bien que cette volonté d’afficher un projet passe de plus en plus au second plan, derrière la qualité de la personnalité qui sollicitera nos suffrages.

J’ai songé notamment à cette évolution – que l’on peut situer à partir de 2007, lorsque l’être du président a commencé à compter davantage que ce qu’il annonçait, sa politique à venir – en regardant Gabriel Attal qui, précisément, s’est efforcé, le 26 novembre au soir surCNews, de démontrer la priorité qu’il accordait à l’élaboration du programme.

Alors qu’en l’écoutant, on percevait que c’étaient sa personnalité, ses forces et ses éventuelles faiblesses qui pourraient constituer la véritable preuve permettant de légitimer, ou non, son avenir présidentiel.

Je perçois bien les limites de cette personnalisation, puisqu’elle dépend du goût et de la subjectivité de chaque citoyen, chacun étant susceptible de ne pas porter le même regard sur les personnalités bientôt en lice. J’ai conscience que ma propre dilection mettra en évidence le caractère et le comportement de tel ou telle au détriment d’autres, et que mon intuition ne sera pas forcément exempte de contradictions.

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À considérer l’espace politique d’aujourd’hui, mon sentiment que le seul à m’inspirer une totale confiance s’il était en charge du pouvoir serait Bruno Retailleau n’est sans doute pas universellement partagé, même dans le camp conservateur pris au sens large. Je n’aurais aucune difficulté à argumenter pour expliquer ma préférence. Je m’en tiendrais aux qualités de l’homme : sa rigueur, sa rectitude, sa moralité, son honnêteté, ainsi qu’à ce que ses activités sénatoriales et ministérielles ont révélé de sa constance, de sa cohérence et de son courage intellectuel. Mais je devine qu’ici ou là on pourrait m’opposer d’autres incarnations.

Ce qui est certain, c’est qu’aussi clairs que soient nos dissentiments, nous pourrions tout de même tomber d’accord sur ceux qu’il conviendrait d’exclure, ceux dont la densité ou le caractère nous paraîtraient trop aux antipodes d’un destin présidentiel pour être choisis.

En 2027, ceux qui s’affronteront dans les débats, d’abord puis lors de « l’emballage » ultime, auront bien davantage que des catalogues de mesures à présenter : ils n’auront qu’une ambition, une obsession, celle de manifester qu’ils seront à la hauteur de la fonction prestigieuse qu’ils espèrent assumer, par le corps, l’esprit et l’âme.

Je me souviens de Nicolas Sarkozy ayant insisté un jour sur le rôle prépondérant et bénéfique, même face à une mauvaise loi, de celui qui la mettra à exécution – ou, au contraire, sur le rôle calamiteux que peut jouer celui qui trouve le moyen de dégrader une bonne loi.

Il ne s’agira donc plus de se jeter des chiffres au visage ni de multiplier les contradictions, mais de proposer, durant la campagne et sur les plateaux, des tempéraments capables de convaincre, de rassurer et de faire croire en demain.

Pour moi, ce sera Bruno Retailleau, mais la démocratie, j’en ai peur, consiste à avoir le droit de décider… en même temps que beaucoup d’autres. Il n’empêche que son projet – qui est lui-même – me plaît.

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Le tuning entre (enfin) au musée!

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Tuning outragé, tuning brisé, tuning martyrisé, mais aujourd’hui tuning libéré à Autoworld, le musée automobile de Bruxelles. Jusqu’au 14 décembre se tient une exposition temporaire consacrée aux maîtres allemands de la transformation


Les sourires se crispent, la moquerie n’est pas loin. Hargneuse. Vindicative. Diffamatoire. Les blagues fusent en cascade. Le délit de faciès n’est pas condamné, en l’espèce, par la justice. On se défoule sans limite. On crie à l’attentat esthétique et, dans le fond, on laisse exploser sa haine du « populaire ». À la vue d’une auto bodybuildée, aux appendices aérodynamiques disproportionnés, aux couleurs « outrageantes » et à la sono assourdissante, le bourgeois s’étrangle. Il se fait censeur, sermonneur ; lui seul détient la carte du bon goût, lui seul peut décider de ce qui est beau ou laid, admis ou rejeté, démocratique ou populiste. Comment de telles horreurs peuvent-elles avoir le droit de rouler sur les routes ? On en appelle aux autorités morales, à la régulation, à l’homogénéisation, au lessivage, au nivelage. La transformation génétique des voitures, c’est de la sorcellerie, au mieux une dérive poujadiste à condamner. Le tuning a toujours eu mauvaise presse. Il fait tache. Il fait « SEGPA ». Les médias culturels l’ont délégitimé, l’ont sali et l’ont intellectualisé pour mieux le vider de sa substance. Parce que ces gens-là ne comprennent rien à l’imaginaire prolétaire, ce sont des commentateurs lointains, étrangers aux envies et aux rêves d’une jeunesse hors des villes.

© Autoworld Bruxelles.

Manque de savoir-vivre

Ils y ont vu une révolte, un exutoire, une manière de contrecarrer le déterminisme social de tous ces enfants végétant dans les filières techniques, ils ont pris le tuning pour un manque de savoir-vivre, alors qu’au contraire, le tuning est une affirmation, une fierté, la révélation d’une identité profonde, une culture riche qui prend sa source dès les premiers tâtonnements de la création automobile. Nos penseurs fainéants enfermés dans leur case idéologique ont cru déceler les tenailles du système, la misère et l’oppression.

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Il y avait pourtant de la beauté, de l’audace, de l’exagération jubilatoire, de la féérie fluorescente et pailletée. Le tuning, c’est avant tout du plaisir, plaisir de se faire remarquer, de faire du bruit et d’exister avec sa voiture maquillée et longuement pensée dans son garage. Une voiture façonnée selon ses propres codes, ses propres aspirations, sans se soucier du qu’en-dira-t-on. En s’affranchissant des parents, des profs, des patrons et de toutes les institutions moralisantes. La vague tuning qui a touché l’Europe dans les années 1980/1990 s’est peu à peu retirée au passage de l’an 2000. La « raison » l’a emporté face à l’éclat des campagnes et des banlieues. Car le tuning est une activité dissidente et extérieure aux centres du pouvoir, il se propage dans les départements ruraux ou dans les périphéries excommuniées. Il ne germe pas dans les arrondissements protégés, là où les enfants studieux passent l’agrégation avant le permis de conduire. La normalisation des moyens de locomotion a tué la marge. Un jour, nous nous sommes réveillés et n’avons plus vu une 205 gonflée comme un crapaud géant, portant sur le toit un aileron démesuré et des bas de caisse proéminents, le tout dans une teinte allant du violet au blanc nacré. Un monde souterrain avait disparu. Le tuning est l’Atlantide des gamins heureux de discuter « bagnole » et « hifi », de se retrouver ensemble sur des parkings de supermarché et de fanfaronner. Ils ne sont pas si éloignés de Vittorio Gassman au volant de sa Lancia Aurelia en août 1962. Et puis, le tuning comme expression nouvelle a été absorbé par les constructeurs, ils préfèrent parler de « personnalisation », ça fait plus « chic », plus ordonné.

Le salut vient de Belgique

Les extravagances de carrosserie sont les hiéroglyphes de la fin du XXème siècle. Le monde a changé en vingt-cinq ans. On promeut l’inclusivité et l’on a rejeté le tuning, cet art primaire de la modification. En cette fin d’année, notre salut vient de Belgique. En matière artistique, le royaume a toujours assumé le décalage. Le musée Autoworld à Bruxelles réveille les consciences en exposant les grands maîtres allemands de la discipline : Koenig, Strosek, Gemballa, Brabus, etc… Ceux qui ont tout inventé, qui ont bravé les interdits, ils se sont tout permis, les largeurs ahurissantes, les portes en papillon, en élytre, les hauteurs de caisse et les décapsulages les plus dingues. L’âge d’or du tuning se regarde comme la peinture flamande.

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Là, une Opel Manta jaune et bleue, plus loin, une Audi Quattro Roadster, une Porsche 911 Turbo aux couleurs « Rainbow » nargue une 928 à l’ouverture verticale. Les peine-à-jouir peuvent passer leur chemin. Ils ne sont pas les bienvenus. Si les nostalgiques se souviennent du coupé AMG conduit par Jean-Paul et Johnny dans les années 80, ils vont tomber à la renverse en admirant la Mercedes modifiée par Gemballa. Étrange et fascinante.

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Mourir pour Kiev?

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En soutenant les propos du général Mandon dans une de ses chroniques la semaine passée, notre directrice de la rédaction a donné à certains la désagréable impression de « sonner le clairon ».


Précision : le titre donné à la chronique de Melle Lévy (« Mourir pour Kiev ») n’a pas été choisi par elle, et se voulait un pastiche du célèbre « Faut-il mourir pour Dantzig ? » de Marcel Déat (1939). Elisabeth Lévy précisera sa position concernant la menace russe dans le prochain numéro du magazine, en vente mercredi prochain • La rédaction.

La nouvelle guerre froide idéologique s’organise ainsi : d’un côté les défenseurs d’Israël qui condamnent la Russie et son agression de l’Ukraine, de l’autre ceux qui comprennent le point de vue russe et qui condamnent Israël. Nonobstant nuances et précisions, il n’y a guère d’exceptions, on est d’un côté ou de l’autre. Elisabeth Lévy s’inscrit dans la première catégorie et elle défend, comme Causeur, une ligne très agressive à l’égard de la Russie. J’ai encore en mémoire un article délirant de Cyril Bennasar qui appelait à « aller casser la gueule » aux Russes.

Renouant avec la diplomatie brejnévienne, la Russie se pose en chef de file des défenseurs de la cause palestinienne, en tout cas elle en est le porte-parole au Conseil de sécurité. On comprend que, dans les circonstances actuelles, les soutiens d’Israël n’apprécient pas. Mais quand, comme c’est le cas d’Elisabeth Lévy, on est un patriote français, on ne peut pas faire du conflit du Proche-Orient son critère de jugement de la guerre d’Ukraine et de la position de la France à cet égard. Quelles que soient ses arrière-pensées, son appel, à la suite du général Mandon, à aller « mourir pour Kiev » doit être examiné en fonction, et uniquement en fonction, des intérêts de la France.

Scandinavie et pays baltes inquiets

La « menace russe » est aujourd’hui présentée de façon moins caricaturale qu’il y a quelques mois. L’armée russe n’a jamais dépassé l’Elbe (sauf à l’occasion de l’aller-retour de 1814, dans le cadre d’une grande coalition européenne), et elle ne le fera jamais pour d’évidentes raisons stratégiques. La menace est celle qui pèse sur les confins des anciens empires allemand et russe, et sur la Scandinavie. Ce n’est pas une nouveauté. L’affrontement de la Pologne et de la Lituanie avec la Russie dure depuis trois siècles et n’a cessé que par intermittence. Prolongé jusqu’à la « Guerre d’hiver » finno-soviétique, le face-à-face de la Suède avec la Russie a des racines historiques profondes, déterminées par l’enjeu du contrôle de la mer Baltique.

Or ces pays sont aujourd’hui liés à l’Europe occidentale et à la France par un système d’alliance (OTAN et UE) qui définirait un devoir de solidarité allant, si nécessaire, jusqu’à l’entrée en guerre. Il est permis d’en douter, ou plutôt de s’interroger sur la réalité et le sens de cette solidarité.

Rappelons d’abord que l’effectivité de l’article 5 de la charte de l’OTAN n’a jamais été testée et qu’en 1920 le Congrès des Etats-Unis, animé d’un Etat d’esprit plus proche de celui de Donald Trump que du président d’alors, Woodrow Wilson, a refusé de rejoindre la SDN pour ne pas avoir à ratifier un article   équivalent qui portait alors le numéro 11.

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Le titre de la chronique d’Elisabeth Levy, « Mourir pour Kiev » fait écho à celui de l’article de Marcel Déat publié en mai 1939, « Faut-il mourir pour Dantzig ? ». Alors que la garantie franco-britannique donnée à la Pologne avait affirmé notre devoir de solidarité, la question posée reçut une réponse ambigüe : on déclara la guerre et puis on ne la fit (presque) pas, avant de finalement la subir. La fière proclamation de la solidarité franco-polonaise n’a pas sauvé la Pologne du dépeçage. Ni en 1772-1795 (et Bonaparte n’a pas tenu sa promesse de rétablir la souveraineté polonaise), ni en 1939 (quand nous sommes restés l’arme au pied pendant que Hitler et Staline rejouaient la pièce du partage). Et comme l’a dit avec franchise Claude Cheysson lors de la loi martiale polonaise de 1981, « Naturellement nous ne ferons rien ». L’exception, qu’il faut relever, à l’impuissance française à traduire en actes sa solidarité avec le Pologne, c’est 1920, le « miracle de la Vistule », quand une solide délégation d’officiers français (mais sans forces combattantes) a aidé la jeune armée polonaise à s’organiser pour repousser l’Armée rouge parvenue aux portes de Varsovie.

La cause immédiate de la Seconde Guerre mondiale, a été le conflit germano-polonais autour de ce fameux corridor de Dantzig. C’était une création de la Conférence de Versailles chargée d’organiser le rabotage de l’empire allemand et le démembrement de l’empire austro-hongrois (la même qui a créé une Tchécoslovaquie avec 3 millions d’Allemands à l’intérieur de ses frontières). Il séparait la Prusse occidentale de la Prusse orientale pour offrir un accès à la mer au nouvel Etat polonais.  On peut épiloguer sur les causes profondes de la guerre, sur l’expansionnisme hitlérien, il n’en demeure pas moins que les occasions des deux agressions qui ont déclenché la guerre, les Sudètes et Dantzig, ont été créées par les défauts d’un traité qui se souciait plus de la morale, du droit de peuples, que du réalisme géopolitique.

Vers le gouffre ?

Aujourd’hui la réalité géopolitique de l’Europe à laquelle la France est confrontée n’est plus la même. Du fait des grands nettoyages ethniques de 1942-45, la question des minorités ne se pose plus de façon aussi aigue que dans l’entre-deux-guerres. Pourtant, à la suite de la disparition de l’URSS, elle a réapparu en Ukraine et dans les pays baltes avec les minorités russophones, ainsi que dans le Caucase. Mais elle est incompréhensible pour des Européens qui ont grandi dans un monde où la coïncidence des Etats et des appartenances nationales semble aller de soi.  L’autre grand changement est que la politique étrangère française a perdu son principe organisateur essentiel qui était de se prémunir contre le péril allemand. Une troisième différence est que la France est insérée dans l’Union européenne, un objet politique nouveau, à la fois espace économique commun, alliance politique, et proto-Etat fédéral.

Mais il y a une constante qui a traversé le XXe siècle : la question de l’organisation de « la ceinture des peuples mêlés » (Hannah Arendt), c’est-à-dire de l’équilibre des forces en Europe orientale, ouverte par la disparition des empires en 1917-18. Celle-ci a creusé un gouffre d’instabilité plus ou moins masqué en 1945 par l’expansion de l’empire russe, puis après son effondrement par les élargissements successifs à l’est de l’OTAN et de l’UE. Justifiés à nouveau par le droit des peuples, ceux-ci entraînent l’Europe occidentale vers ce gouffre qu’on avait imaginé refermé en 1991, date de « la fin de l’Histoire » et qui s’est réouvert entre Kiev et Donetsk en 2014.

Avec le recul, on peut dire qu’il ne s’agissait pas en 1939 de mourir pour l’intégrité de la Pologne mais pour la liberté de l’Europe. Peut-on en dire autant aujourd’hui de « Mourir pour Kiev » ?  Certainement pas, les projets de Vladimir Poutine n’ont rien à voir avec ceux de Hitler. Celui-ci avait soif de Lebensraum, d’espace vital, celui-là cherche à fortifier un trop grand espace. S’il ne s’agit pas de ça, alors affirmer une solidarité jusqu’à la mort, prendre le risque d’une confrontation nucléaire, c’est affirmer que l’Ukraine, ou du moins l’Estonie ou la Pologne, parce qu’ils appartiennent à l’Union européenne, sont des parties de notre nation, c’est effectuer ce saut fédéral que, si j’ai bien compris, Elisabeth Lévy récuse. Car on ne doit faire la guerre, envoyer ses enfants sur le champ de bataille, que quand la survie de la nation est en jeu.

Si l’on peut tenir des propos aussi inconséquents c’est parce qu’on croit, dans le fond, que ça ne se produira pas. La perception de la « menace russe » n’a rien de comparable pour les Français, et à juste titre, avec ce qu’était la menace allemande.

Au lieu de sonner le clairon et d’aller chercher des preuves de la menace russe dans des jeux d’influence africains ou dans le nouveau Far-West de l’espace numérique, on ferait mieux de se pencher enfin sérieusement sur les causes des paranoïas croisées est-européennes, l’angoisse de l’invasion russe chez les est-Européens, celle de la menace otanienne chez les Russes. Et, sans agiter les mots ronflants, rechercher un accord de paix durable, c’est-à-dire celui qui offrira la seule véritable garantie : la création d’un système européen d’équilibre des forces et des intérêts intégrant la Russie, comme l’avait proposé, en vain, François Mitterrand en 1991.

American parano

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Contrairement à Jean Chauvet dans le magazine, notre contributeur a apprécié le film Bugonia, en salles depuis hier. Il prévient: le dernier film de Lánthimos sur les délires conspirationnistes va nous perturber…


Et si cela devenait une nouvelle lame de fond du cinéma nord-américain ? Après Eddington (Ari Aster), Une bataille après l’autre (Paul Thomas Anderson), Marche ou crève (Francis Lawrence) ou Running Man (Edgar Wright), Bugonia, le dernier opus du réalisateur grec un brin perché Yórgos Lánthimos, accoste à son tour sur les rivages conspirationnistes et paranoïaques d’un Empire jadis étoilé, actuellement en pleine déliquescence… C’est un grand film inclassable, malséant et perturbant !  

Le coup d’éclat permanent

Après Canine, The Lobster, Mise à mort du cerf sacré, Pauvres créatures et Kinds of kindness, Yórgos Lánthimos s’impose désormais selon moi comme le réalisateur le plus excitant et le plus électrisant de ces dernières années. Il possède ce don rare et singulier de capter l’air du temps via de saisissantes paraboles intimistes, philosophiques et politiques, n’hésitant pas à plonger sans ciller dans nos angoisses, fantasmes et phobies les plus profondément enfouis. Une introspection qui, évidemment, peut faire très mal…

Il le prouve une fois encore avec panache, brio et provocation en revisitant, littéralement habité et exalté, le film sud-coréen Save the Green Planet ! (2003) de Jang Joon-hwan.

Porté à bout de bras (et de crâne…) par son actrice fétiche Emma Stone – également coproductrice du métrage aux côtés de l’incontournable Ari Aster – son Bugonia (étymologiquement « progéniture de bœuf ») s’érige comme l’un des premiers grands chefs-d’œuvre de notre ère dite de la post-vérité, dont l’avènement fut accéléré par la pandémie mondiale de la Covid-19. Une période trouble et inédite ayant alimenté à travers le globe les théories conspirationnistes et paranoïaques les plus farfelues et les plus fumeuses, surtout aux Etats-Unis, par ailleurs avant-garde du camp masculiniste et survivaliste.   

Ils sont parmi nous…

De quoi s’agit-il ? Très schématiquement, et sans trop déflorer l’intrigue, nous pénétrons le cerveau apparemment malade et dysfonctionnel de deux Américains (très) moyens, vivotant dans une vieille maison perdue dans une banlieue campagnarde archétypale. Chimiquement castrés, ils ambitionnent de se délier de toute contrainte matérielle et corporelle pour enfin atteindre la Vérité absolue… tout en sauvant au passage le genre humain !

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Si Don (Aidan Delbis) est un gros nounours simple d’esprit, directement sorti de l’univers d’un John Steinbeck, Teddy (Jesse Plemons) incarne la tête pensante de ce binôme de « losers », grands perdants de la mondialisation, autre nom de L’Horreur économique, jadis prophétisée dans nos contrées cartésiennes par notre grande pythonisse Viviane Forrester (1996). Opérateur de commandes dans une immense firme pharmaceutique dirigée par la très charismatique (et bien nommée !) Michelle Fuller (Emma Stone), Teddy est surtout passionné par son hobby d’apiculteur. Mais constatant une dégradation progressive et inéluctable du cycle de reproduction et de vitalité des abeilles, il croit y déceler les signes d’un grand complot mondial ourdi par des forces extra-terrestres dans le but de provoquer une extinction de l’espèce humaine ! Et l’un des ordonnateurs déguisés de ce terrible dessein serait sa propre P-DG, un alien sous les apparences d’une hyper active working executive woman. N’écoutant que son intuition et se fiant à ses nombreuses lectures sur le net, il décide de la séquestrer et de la rudoyer, aidé par son pauvre acolyte. Objectif : démasquer l’adversaire (en lui rasant le crâne afin de couper toute liaison avec les forces d’occupation) tout en tentant d’accéder au grand manitou, sorte d’Empereur suprême trônant quelque part dans un supra-monde !

Jesse Plemons (C) Focus features

À partir d’un tel script dément et insensé, le cinéaste furieusement inspiré parvient à tenir en haleine le spectateur deux heures durant, entre huis-clos asphyxiant, tunnels de dialogues sibyllins, torture-porn, éclaboussures gore et révélation finale pré-apocalyptique absolument hallucinante, au détour de plans finaux d’une époustouflante beauté tragique digne de toiles de maîtres !

Références cachées

On pourra au passage se délecter de la peinture au vitriol d’une certaine caste dirigeante mondialisée prête à tout pour rester accrochée au pouvoir, quitte à recourir à une « novlangue » perfide versant sournoisement dans le discours corporate « diversitaire » (d’aucuns diraient wokiste !) tout en cultivant les injonctions paradoxales en direction des salariés et des masses laborieuses : « N’oubliez pas de partir de l’entreprise à 17H30 pour profiter de vos proches, sauf si vous ne le souhaitez pas et sauf si vous avez encore du travail à accomplir ! »… Comble du vide hypocrite et nonsensique cher à nos élites « corporate » dénationalisées.

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Mais, au-delà des références évidentes au film premium sud-coréen déjà évoqué (et qu’on peut (re)voir en double programme !), on est forcément obligés de songer au formidable film Emprise (Frailty), du regretté Bill Paxton, sorti en 2001. Dans un coin perdu du Texas, un père veuf hyper rigoriste, élevant seul ses deux garçons, était assagi de visions « divines » lui enjoignant de débarrasser le monde de démons ayant pris le corps de citoyens lambdas… Le pauvre chrétien investi de cette mission salvatrice allait alors commettre l’irréparable jusqu’à une terrible révélation finale…

Le fondamentalisme chrétien du film de Paxton est ici remplacé par un délire complotiste et paranoïaque aboutissant à un savoureux jeu de massacres dont la conclusion tout aussi inattendue devrait vous remuer les méninges pendant un long moment…

Sacré Yorgos, décidément le plus grand affabulateur de notre ère post-véridique ! Surtout, ne changez rien !


1h 59min.

Au bonheur des drames

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Dans son roman, Gabriel Boksztejn dessine un tableau noir et précis de la France contemporaine.


Pierre-André est fier de sa réussite professionnelle : il dirige un supermarché à Saint-Lô, en Normandie. Il a de l’argent, une maîtresse et un frère, Bernard, un perdant assez peu magnifique. Il est aussi menacé par son sous-directeur, Marc-Antoine, un salaud pas du tout lumineux. Pour aider son frère, Pierre-André embauche Émilie, la femme de Bernard.

L’effet papillon du coupon de réduction

On regarde s’agiter ces créatures en cherchant l’élément qui va déclencher la tragédie. On croit d’abord que Saint-Lô, et ce magasin qui s’appelle Martin, vont devenir, comme la caissière Émilie, les héros du roman – ce n’est pas directement le cas et le récit se dérobe en partie. Le drame, le dé du destin, viendra d’un bon de réduction, aussi dérisoire que sera dramatique son effet sur la vie de tous ces personnages – auxquels il faut ajouter, habilement liés les uns aux autres, Hichem, chef de rayon, qui a recueilli Jamil, son neveu homo chassé par sa mère (pour qui une liaison entre hommes est « un mariage génétiquement modifié ») ; Louis, normalien et idéologue, et Adrien, son frère cadet.

C’est par des additions de contraires que le roman progresse et tient le lecteur en haleine. La plus réussie des oppositions est peut-être celle entre Jamil et Farid, qui sont parmi les personnages les plus attachants du livre ; et l’opposition la plus flagrante est celle entre Adrien et Louis. Le premier, jeune écrivain putatif et torturé, est écrasé par le second, son frère aîné, « Louis le Magnifique ». Ce brillant normalien est surtout un cynique à qui le fameux « bon de réduction » permettra de se lancer en politique – puisque le récit, surtout dans sa dernière partie, brosse le portrait d’un militant porté par « l’arrivisme de la vertu » : Louis surjoue le révolutionnaire, dont il a le caractère irréductible et machiavélique : « Il n’était guère de ces hommes à brûler un Pôle emploi ou une voiture de police. Il subsistait entre lui et le crime trop d’ambition et plus encore de calculs. »

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Il est significatif que ce soit de son propre camp, de son propre parti, La Nouvelle Action directe, que viendra le coup qui le fera trébucher ; on est toujours condamné par plus pur que soi.

Avec certaines silhouettes – Mathias, figure terrible d’adolescent tourmenté, ou Isabelle, sympathique prostituée occasionnelle –, le portraitiste est à son meilleur ; et, avec certains détails – les applis de rencontre, les emballements médiatiques, « la meute des réseaux sociaux » –, il dessine un tableau précis de la France contemporaine.

Quelques lourdeurs mais des formules originales

Tous les personnages entretiennent des liens qui les isolent plus qu’ils ne les rapprochent. L’auteur a choisi pour cela un dispositif narratif où le destin (peut-être), passant d’une langue académique à un style parlé, du lyrisme à la méditation, apostrophe ses créatures, isolées dans des chapitres autonomes, où chacun est renvoyé à sa solitude. Les lecteurs trouveront peut-être que le lyrisme amoureux alourdit certaines pages, alors que l’auteur est très bon dans la verdeur – une des meilleures façons de parler d’amour. Ils regretteront aussi peut-être, dans un autre genre, l’abus d’infinitifs utilisés comme sujet. Mais on oublie ces détails quand on tombe sur des formules originales et imagées : cette corde, dans un suicide par pendaison, comparée à « une alliance que l’on passe au doigt de la mariée » ; ou ce compte en banque «vidé comme on ach[ève] les blessés sur les champs de bataille».

Une belle noirceur domine l’ensemble, rehaussée par l’ironie du narrateur. L’obsession du suicide, suivi ou non de passages à l’acte, court par exemple tout au long du livre. Si le destin est cruel, l’auteur aime ses personnages, quand tant de romanciers s’aiment d’abord eux-mêmes. Il ne les a pas voulus noirs ni blancs, mais 𝑔𝑟𝑖𝑠𝑒́𝑠, hachurés à la mine de plomb, accusant ou éclaircissant leurs traits, en fonction des obstacles rencontrés – comme la maladie qui humanise Pierre-André. C’est plus généralement un récit qui refuse le « noir et le blanc », lui préférant « le gris écœurant qui ronge le monde », où les Arabes ne votent pas forcément à gauche, où l’amour ne sauve pas toujours les êtres, où les salopards ne sont pas tout d’une pièce : 

« En ce sens, Louis ne se révélait pas même un franc salaud. Un de ces salauds dont la saloperie vous dévisage de face, d’une ignominie que l’on peut défier, à la loyale, et qui, tel le Pyrrhus de Racine, s’abandonne au crime en criminel. Non, Louis recherchait le crime, mais sans l’odeur du crime. Il aspirait à l’hygiène du crime. Il en niait jusqu’à la forme […]. C’est parce qu’il se figurait profondément convaincu de la justesse de sa lutte, qu’il se complaisait sans remords dans l’abaissement de sa politique, cette dégradation se présentant sous mille masques, mille prétextes, mille arrangements et casuistiques, combines retouchées de noblesse, tromperies maquillées de sublime, qu’il vous exposait avec sa condescendance mielleuse de lumineux bourreau. »

296 pages

Suicide ou assassinat? Le dilemme du procès de «la mère empoisonneuse»

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Dans les Landes, la mère de famille Maylis Daubon assure au tribunal qu’elle n’est pas responsable de l’empoisonnement de sa fille.


Depuis son inauguration en 2021, le flambant Palais de justice de Mont-de-Marsan, à l’architecture tout en angles et grandes baies vitrées, ressemblant davantage à une moderne salle de spectacle qu’à un solennel édifice où l’on prononce des condamnations ou accorde parfois un acquittement, trône à la périphérie de cette commune de 40 000 habitants, préfecture des Landes. Il n’avait encore jamais connu pareille affluence. C’est que depuis le lundi 24 novembre se tient jusqu’au moins mercredi 3 décembre, en cour d’assises, un procès hors du commun d’une durée exceptionnellement longue, huit jours alors que la moyenne est deux ou trois jours.

Un geste routinier

On y juge en effet une affaire particulièrement ténébreuse, morbide, scabreuse, appelée, si condamnation il y a, à rester dans les annales judiciaires, comme si elle était sortie de l’imagination de l’écrivaine anglaise, Agatha Christie, dite « la Reine du crime » et dont l’arme de prédilection dans ses romans était les poisons.

Devant un « jury citoyen » composé de six personnes tirées au sort et de trois magistrates professionnelles comparaît Maylis Daubon, une mère de famille de 53 ans originaire de Dax, ville voisine de Mont-de-Marsan, accusée d’avoir, durant des mois, empoisonné ses deux filles en leur administrant à leur insu une mixture de médicaments de manière systématique, presque quotidienne. L’ainée, Enéa, y a succombé à 18 ans. La cadette, Luan, un an de moins, a survécu. Témoin crucial, elle a pris le parti de sa mère, ne s’est pas constituée partie civile estimant que celle-ci ne lui a rien fait de mal. Ce qui fragilise singulièrement l’accusation.

Pas moins d’une trentaine de journalistes, presse régionale et nationale, ont été accrédités. Un important service d’ordre a été mobilisé. La salle d’audience était le premier jour, et aussi, les suivants, pleine à craquer. Tous les matins bien avant l’ouverture des portes à 8 h 15, une longue file d’attente de curieux se forme pour assister aux débats qui devront établir s’il y a eu effectivement assassinat ou suicide. Car si l’acte d’accusation est accablant, les preuves d’un geste délibéré sont absentes.

L’accusée défie l’assistance

Le journaliste du quotidien régional Sud Ouest, Alexis Gonzalez, rapporte que lundi, à l’ouverture du procès, Maylis Daubon est entrée « dans la salle vêtue d’un tailleur gris, sa longue chevelure noire tenue par une barrette. Elle ne baisse pas la tête et jauge du regard chaque personne présente, prenant tout de même le soin d’éviter le banc des parties civiles où siège son ex-mari ». Ce dernier, père des deux filles, séparé depuis 13 ans de son épouse, Yannick Reverdy, 49 ans, un ancien international de hand-ball au physique de colosse, est son unique accusateur et s’est beaucoup répandu dans la presse pour l’accabler.   

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 « L’accusée, souligne l’article, (a) fait forte impression. » C’est un peu, déduit-on, comme si elle avait voulu défier l’assistance en affichant par cette posture altière son refus de reconnaître la moindre culpabilité.

 « Je suis innocente de ce qu’on me reproche, a-t-elle proclamé dans une déclaration liminaire avant de s’asseoir et de rester coite, recroquevillée sur son banc. Je suis dévastée par le décès de mon enfant. C’est un chagrin abyssal. Je suis terrorisée d’être ici, accusée de faits horribles pour une mère et une femme. Jamais rien au monde ne pourrait me faire commettre ces actes. » Durant toute l’instruction, elle n’a cessé d’affirmer que sa fille s’était suicidée. Pourtant, les faits établis — ou plutôt le faisceau d’indices concordants — mentionnés dans l’acte d’accusation accréditeraient le contraire. La présidente de la cour, Emmanuelle Adoul, les égrènera pendant une bonne heure et demie, sans négliger le moindre petit détail. 

Médication noire

En proie à des convulsions et à un arrêt cardiorespiratoire le 13 novembre 2019, Enéa est hospitalisée aux urgences de Dax. Six jours plus tard, elle décède. Perplexe face à cette mort étrange, le corps médical procède à une expertise toxicologique. Stupéfaction, on y décèle dans ses flux une quantité faramineuse de propranolol, un bêtabloquant cardiaque, équivalente à l’absorption de 50 à 75 cachets. Une analyse capillaire révèle en plus la soumission à ce qu’on appelle une « médication noire », à savoir la présence d’un cocktail d’hypnotiques, anxiolytiques, sédatifs, antidépresseurs. Le soupçon d’un empoisonnement s’installe. Le parquet ouvre une enquête. Une perquisition est menée trois jours après le décès au domicile de l’accusée.

Nouvelle stupéfaction, alors qu’elle avait dit ne pas en disposer, les enquêteurs découvrent une quantité impressionnante de propranolol, de psychotropes, et des seringues n’ayant pas servi.  Pour se justifier, elle se dit avoir été dépassée par la maladie de sa fille sans être en mesure de la nommer. L’enquête établit rapidement que c’est elle qui se les est procurés « après 83 passages en pharmacie », à l’aide d’ordonnances aux dates trafiquées, et que, durant la même période, de février 2018 à novembre 2019, elle a accompagné Enéa à 58 consultations de psychiatres pour cause de dépression chronique. Autre fait troublant, le portable de la défunte demeure introuvable. Or une énigmatique communication a été passée après son admission aux urgences. Par qui ?

A sa décharge, le jour de son hospitalisation, Maylis Daubon n’était pas à son domicile. En outre, à la même époque, une forte dose, pas suffisante pour être mortelle, du même cocktail médicamenteux, avait été détectée dans les flux et cheveux de Luan, la cadette. Donc logiquement, pour l’accusation, elle aussi avait été victime d’une tentative d’empoisonnement de la part de la mère. À la mort de sa sœur, elle a refusé d’aller vivre avec le père pour rester auprès de sa mère. De plus, âgée de 22 ans aujourd’hui, Luan a refusé catégoriquement de se porter partie civile contre cette dernière qui n’a été mise en examen et incarcérée à Pau qu’en 2022, trois ans après les faits qui lui sont imputés. Comme quoi la certitude de l’empoisonnement a mis du temps à s’imposer aux enquêteurs.

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Le père prétend qu’elle a subi de la part de sa famille maternelle qui l’a hébergée, « un lavage de cerveau pendant des années ». Il ajoute dans un entretien à Sud Ouest : « Elle continue de défendre son bourreau. Ce procès doit lui ouvrir les yeux. »

Son ex-épouse fait l’objet également d’une autre mise en examen. Elle aurait commandité auprès de codétenues libérables son assassinat. L’accusation repose essentiellement sur la délation de ces dernières.

Syndrome de Münchhausen

A partir du peu de témoignages qu’il a pu recueillir auprès des proches de l’accusée, l’enquêteur de personnalité, Bruno Rougeoreille, la décrit comme une menteuse invétérée et mythomane « qui surjoue les émotions qu’elle exprime ». Une policière chargée de l’enquête a affirmé à la barre lundi que ses dépositions étaient un tissu « de petites incohérences ». Un de ses collèges, lui, a taxé celles-ci de « mensonges ». Mais il a ajouté que « beaucoup de questions demeurent », précisant que « c’est l’histoire de la mort d’une gamine de 18 ans dans des circonstances que l’on ne connait pas ». Mais il a néanmoins écarté l’éventualité d’un suicide.

Pour une psychologue du pôle départemental de la protection de l’enfance, Maylis Daudon serait atteinte d’une pathologie mentale rare, le syndrome de Münchhausen. Il s’agit « d’un trouble factice qui conduit un parent à simuler, exagérer, ou provoquer chez son enfant une pathologie physique ou psychique, puis à faire appel au corps médical pour le soumettre à des traitements inutiles, voire dangereux. La plupart du temps, le parent (…) semble être à la recherche d’une reconnaissance au travers de l’assistance qu’il offre à son enfant. »

Lors de la première audience, son avocate, Me Carine Monzat a d’entrée fixée quelle sera, dans cette nébuleuse affaire, la ligne directrice de la défense de sa cliente. « Même si elle est mythomane, et alors ? Ça ne fait pas d’elle une empoisonneuse » a-t-elle lancé à l’endroit du jury.

Pour entrer en condamnation, une cour d’assisses n’a pas besoin de preuves mais seulement d’une intime conviction. Et quand il se l’est faite, le tribunal prononce son verdict en « son âme et conscience ». Mercredi prochain, quand il se retirera pour délibérer, face « aux circonstances que l’on ne connaît pas » de la mort d’Enéa, le jury des assises des Landes aura sans doute bien du mal à se faire la sienne d’intime conviction.  

Parité mal ordonnée…

Mauvais film. Selon le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), le cinéma français connait une tendance terriblement préoccupante: seulement 62 films français ont été réalisés ou coréalisés par des femmes en 2024 (contre 64 en 2023 et 69 en 2022). La parité, c’est anti-féministe, explique Elisabeth Lévy!


Comptez la femme ! D’après le CNC, la part des femmes dans les réalisateurs de films français est à son plus bas niveau depuis cinq ans. C’est une étude de l’observatoire de la parité créé par l’organisme public qui nous apprend cette nouvelle gravissime. En 2025, 24 % des films français ont été réalisés par des femmes. J’enrage que des gens soient payés pour ce travail absurde et même nuisible. Si le film de femmes est une catégorie artistique je veux qu’on me les signale pour les éviter.

L’art enrôlé dans une entreprise militante

La seule aune à laquelle on devrait juger un film est sa qualité artistique, son succès, sa maitrise technique. Peu me chaut que le metteur en scène ou le chef op soit un homme, une femme ou un non-binaire. Pire, introduire ce type de critères, c’est enrôler le cinéma dans une entreprise militante. Et puis si on compte les femmes, moi je veux savoir combien de films français sont réalisés par des bouddhistes, des unijambistes ou des « trans racisés ».

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Compter les réalisatrices ça ne suffit pas. Pour juger un film on compte aussi les femmes aux postes de direction. Jusque-là, les productions paritaires touchaient déjà un bonus du CNC. A partir du 1er janvier prochain, les films qui n’embauchent pas assez de femmes aux postes de chef auront un malus. Pas de femmes, pas de subvention : c’est une victoire de la statistique sur la singularité, de l’idéologie sur l’art, du droit sur le mérite.

Bondieuseries féministes

En politique, on me somme de reconnaitre que la parité est un vrai progrès. Non, c’est une insulte aux femmes, une forme de paternalisme. La seule chose importante, c’est qu’on n’écarte pas une femme parce qu’elle est une femme. Pourquoi faudrait-il choisir ses colistiers en fonction de leur sexe ? Résultat : on finit par recruter des femmes même si elles sont moins compétentes. Comble de la sottise administrative c’est désormais obligatoire pour les communes de 1000 habitants. Parité au village ! Un vrai casse-tête quand nombre de maires veulent jeter l’éponge.

On n’a pas besoin de règles tatillonnes et de sanctions, la société évolue à son rythme. L’égalité est la norme dans notre pays, mais quelle loi divine exige que toutes les activités humaines soient paritaires ? Faut-il une loi imposant autant de policières que de policiers, autant de magistrats que de magistrates ? Tout ceci est complètement idiot. Remarquez, cette bondieuserie prétendument féministe a une conséquence positive. Ceux qui pleurnichent parce qu’il n’y a pas assez de femmes, reconnaissent au moins que les hommes et les femmes ça existe.


Bilal Hussein, nouvelle voix des apostats de l’islam

À l’heure où les ex-musulmans sont de plus en plus nombreux à s’exprimer, le militant athée Bilal Hussein, qui débat régulièrement avec ses anciens coreligionnaires sur le web, a donné une conférence à Paris. Nous sommes allés écouter ce qui s’y est raconté…


Il s’est fait connaître pour ses débats avec des musulmans à travers Tiktok et YouTube. En juin, son passage sur CNews a été remarqué pour l’impitoyable dérision avec laquelle il critique l’islam.

Rires

Ce soir-là, aux Salons Hoche à Paris, une centaine de personnes sont venues écouter la conférence de Bilal Hussein, 33 ans, militant athée. Un événement co-organisé par le Café Laïque de Fadila Maaroufi et Florence Bergeaud-Blackler. Dès le début de sa présentation, le ton est posé : « Je suis Syrien, je suis né aux pays des droits de l’homme : l’Arabie saoudite », entraînant des rires qui ne cesseront pas de fuser.

L’humour est la marque de fabrique de Bilal Hussein, qui, dans toutes ses interventions, montre à l’aide de la satire la dimension rétrograde et les contradictions de la religion dans laquelle il a grandi, qui fragilisent son authenticité. Ce que ses détracteurs perçoivent comme une série de provocations puériles s’avère en fait un moyen d’émanciper les esprits, comme il l’explique : « Je ne critique pas l’islam parce que c’est drôle en soi, mais je pense que nous, musulmans, en fait on n’a jamais vraiment rigolé. » Car le rire est libérateur. Il est, selon Bilal Hussein, « ce qui manque aux musulmans pour se détacher de l’islam ». Seulement, derrière la plaisanterie, il y a une vie, faite de véritables souffrances.

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Comme il le raconte, l’enfance de Bilal Hussein est émaillée de scènes de violences : l’agonie des moutons sacrifiés sans étourdissement pour l’Aïd le marque et, quand il demande pourquoi on le contraint à prier, la réponse avec des coups. Le jour de l’attentat du World Trade Center, le 11 septembre 2001, son entourage, fou de joie, l’encourage à célébrer l’attaque. L’endoctrinement qu’il subit alors, explique l’apostat, repose en partie sur un principe: « Apprendre à des enfants à aimer la mort plus que la vie. » Et la manœuvre fonctionne. Le dogme macabre qui lui est inculqué ampute le jeune Bilal de toute empathie. En témoigne cet aveu saisissant: « Quand Samuel Paty est mort, je n’ai rien ressenti et aujourd’hui, je ne veux plus qu’on l’accepte. » Pour sortir de cette torpeur, il lui fallait sortir de l’islam.        

Obligations éreintantes

Plus qu’une croyance, l’islam est une pratique. Bilal Hussein égrène les obligations éreintantes qui lui ont été́ imposées très tôt telles que se lever au petit matin dès que rugit l’appel à la prière, prière à effectuer pas moins de cinq fois par jour. « C’est une vision très marxiste de la religion », commente d’un ton critique, assise à sa gauche sur la scène Florence Bergeaud-Blackler, avant d’ajouter: « Éric Zemmour amène cette même différence, qu’il y aurait les musulmans et l’islam, je trouve que ça nous empêche de réfléchir. Vous dites que l’islam, c’est juste des contes de fées… » L’apostat assume et maintient que son expérience est celle de « la société́ islamique dans sa forme la plus pure ». S’il n’avait pas quitté la Syrie pour la France à l’âge de huit ans, dit-il, son destin, tracé par l’islam, aurait été tout autre : « J’aurais pu finir esclavagiste ».

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Florence Bergeaud-Blackler reste sceptique. « J’ai un sentiment mitigé par rapport à la question de l’apostasie », confie l’anthropologue, qui différencie les apostats des ex-musulmans. « Pour moi, l’apostat c’est celui qui sort l’autre de l’islam, et vous, vous êtes un apostat athée, donc vous véhiculez l’idée que toutes les religions sont toxiques. Je ne suis pas de cet avis, la question du rapport à la religion est complexe, ce n’est pas seulement de l’endoctrinement d’enfants. » L’expérience la plus traumatisante des jeunes années de Bilal Hussein – une circoncision clandestine, sans anesthésie, dans le salon familial – explique sans aucun doute son opposition viscérale à toutes les pratiques qui se veulent d’inspiration divine. La trahison des adultes a alors été profonde et il ne leur pardonnera jamais.

Sortir du marasme

Durant le temps des questions au public, un médecin, qui s’est occupé́ de femmes victimes de l’excision, exprime lui aussi son désaccord avec l’apostat, pour qui la circoncision et l’excision sont à ranger sur le même plan, celui d’une pratique sans aucun fondement médical. Bilal Hussein maintient ne pas vouloir « hiérarchiser » les souffrances. Le médecin ne minimise pas la sienne mais lui fait remarquer que les conséquences de l’excision sont destructrices et définitives, contrairement à la circoncision: « Médicalement, vous avez tort ». L’échange, tendu, est ponctué par les applaudissements du public, qui se rangent du côté de l’apostat. Fadila Maaroufi doit faire un rappel à l’ordre au nom du respect de toutes les paroles.

Il faut dire que beaucoup dans la salle suivent Bilal Hussein sur les réseaux sociaux et, à la fin de la conférence, ils seront nombreux à faire la queue pour se faire dédicacer leur exemplaire de son livre, Incroyable Islam. Avant cela, Fadila Maaroufi conclut la conférence: « On doit continuer à ne pas s’auto-censurer, c’est ce qui nous sortira de ce marasme. » Comme l’aura souligné un peu plus tôt la co-fondatrice du Café Laïque, le surgissement de nouveaux visages comme celui de Bilal Hussein témoigne d’un véritable changement dans le débat sur l’islam en France. « La prise de parole des ex-musulmans va faire connaitre la réalité́ des choses », se réjouit-elle. Elle va sans doute aussi décomplexer les nombreux musulmans qui n’osent exprimer leurs critiques du dogme islamique. Une belle perspective dans un pays comme la France, qui s’enorgueillit d’être le gardien de la liberté́ de conscience et le phare le plus lumineux qui soit contre l’obscurantisme religieux.

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Intelligence artificielle, la défaite de la pensée?

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Le journaliste Guillaume Grallet © France24

Guillaume Grallet, reporter high-tech au Point, propose avec son livre Pionniers un voyage passionnant au cœur des cerveaux de l’intelligence artificielle.

Son enquête commence par la genèse des êtres humains qui ont bouleversé nos misérables vies, pour reprendre l’adjectif employé par Pascal pour résumer la condition humaine. On plonge dans l’histoire secrète de la Silicon Valley, vaste verger, jadis paisible, devenu le laboratoire du monde, peuplé d’esprits iconoclastes, biberonnés au road trip de Jack Kerouac et aux écrits du déjanté Allen Ginsberg, tous favorables – ou presque – à la contre-culture, partant de la remise en cause des puissances étatiques pour rechercher frénétiquement la vie éternelle. Grallet rencontra, en juillet 2016, l’écrivain Howard Rheingold, personnage excentrique connaissant les coulisses de cette partie mondialement connue de la Californie. Rheingold rappelle l’importance du LSD dans le processus créatif de nos chercheurs de génie. Drogue, mais également méditation transcendantale, comme Steve Jobs, fondateur d’Apple. Grallet raconte que Jobs partit en Inde, voyage initiatique qui renforça son goût de l’inconnu, allant jusqu’à se raser la tête en signe de purification. Les autres exemples ne sont pas mal non plus dans le genre névrosé. Ce qui n’effraya pas la DARPA, l’agence de recherche du Pentagone, qui investit des milliards de dollars dans leurs entreprises de technologie révolutionnaire. Cette prise de risque, caractéristique de la mentalité américaine, est l’une des raisons du succès de la Silicon Valley.

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Parmi les rencontres, il faut citer celle de l’auteur avec Mark Zuckerberg, à Hawaï, où le créateur de Facebook construit un gigantesque bunker pour se protéger de l’apocalypse nucléaire. L’homme qui possède 200 milliards de dollars est imprévisible, voire versatile, comme le prouve le portrait qu’il nous propose. « Zuck », aujourd’hui subtilement anti-woke, n’en démord pas : dans trente ou cinquante ans, on aura la capacité d’avoir une pensée et de la partager instantanément avec quelqu’un. Son projet transhumaniste peut paraître fou, mais ce « geek insatiable », à la tête du réseau social comptant plus de 3 milliards d’utilisateurs, est persuadé qu’un jour les cerveaux communiqueront en direct, sans avoir besoin d’écrans. Lui aussi parie sur l’IA.

Le développement inéluctable de l’IA divise. Elle doit être perçue comme un amplificateur de l’intelligence humaine, « un partenaire de réflexion ». Elle peut déjà détecter un certain nombre de pathologies ou prévenir des catastrophes naturelles. Mais il semble indispensable de l’encadrer par de solides garde-fous, car elle va bouleverser le monde du travail et la géopolitique. Elle risque, de plus, d’accroitre les inégalités entre les êtres humains, de développer un chômage de masse au sein de la classe moyenne, sans épargner les cols blancs. Certains spécialistes s’attendent à un carnage, tandis que d’autres prévoient une métamorphose moins meurtrière. Les entreprises « sans ambition », qui refusent d’innover, seront les plus touchées. Les capacités des différents systèmes d’IA risquent également d’accoucher d’un super puissant État peuplé de personnes hautement intelligentes dominant la scène mondiale. Pire, l’auteur précise que « les modèles d’IA peuvent tromper leurs utilisateurs et poursuivre des objectifs de manière ‘’imprévue’’. Ils ont la capacité, par exemple, de générer des réponses faussement rassurantes pour viser des intentions cachées. » Bref, comme l’a écrit Rabelais : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. »

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Ce qui serait magique, c’est que l’IA soit capable d’annihiler le cerveau des docteurs Folamour qui ne rêvent que de feu nucléaire. Mais le mieux, pour éviter l’apocalypse, serait d’appliquer le conseil de Camus : « Un homme, ça s’empêche. » Pour cela, il faudrait être capable de garder intacte, et surtout indépendante, notre faculté de pensée.

De toute façon, au final, on entendra résonner la voix de Macbeth :
« La vie n’est qu’une ombre errante ; un pauvre acteur
Qui se pavane et s’agite une heure sur la scène
Et qu’ensuite on n’entend plus ; c’est une histoire
Racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur,
Et qui ne signifie rien. »

Guillaume Grallet, Pionniers. Voyage aux frontières de l’intelligence artificielle, Grasset. 288 pages

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Napoléon vu par Abel Gance, une longue attente

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Albert Dieudonné en Napoléon Bonaparte dans le film d'Abel Gance, 1927. © Cinémathèque française

Un très beau cadeau de Noël: Napoléon vu par Abel Gance sorti en Blu-ray haute définition par Potemkine Films[1]. Tout le génie cinématographique d’Abel Gance au service de la grandeur de Bonaparte et de la France…


Je n’avais jamais vu ce film mythique. Depuis 50 ans, j’attendais le moment de découvrir la vison de Napoléon vu par Abel Gance après avoir vu des extraits de versions non satisfaisantes. Le travail méticuleux et subtil de reconstitution du film dans sa Grande Version inédite et définitive accompli pendant seize ans par Georges Mourier et son équipe est exceptionnel. Cette restauration est au plus près du montage originel dans la rythmique musicale, voulue par Abel Gance, très proche de la copie Apollo montrée en 1927.

Abel Gance, un inventeur du cinéma

Abel Gance est avec Jean Epstein, Cecil. B. DeMille et David Wark Griffith l’un des grands cinéastes inventeurs de formes du cinéma muet. Indéniablement, c’est un réalisateur inspiré et novateur dont le style empreint de lyrisme tranche avec la production de l’époque.

J’Accuse (1919) et La Roue (1923) deux chefs-d’œuvre de l’art cinématographique le consacrent comme un metteur en scène reconnu qui a tourné de nombreux beaux films durant la période du cinéma muet, puis des œuvres intéressantes mais parfois moins convaincantes après la naissance du cinéma parlant et sonore.

Une fresque monumentale

Napoléon vu par Abel Gance est une fresque monumentale datant de 1927, qui retrace la vie du futur empereur depuis son enfance jusqu’aux premiers feux de la campagne d’Italie.

Genèse et production du film

La recherche de financement pour sa production et l’écriture du scénario s’étalent de 1923 à 1924. Abel Gance pensait réaliser six films racontant l’histoire complète de Napoléon. Il s’associe avec Pathé, monte la société Les Films Abel-Gance puis écrit le premier volet du film. Le tournage démarre le 15 janvier 1925, aux studios de Billancourt. Il dure quatorze mois (entre Paris, la Corse et le château de Versailles…) et nécessite des tonnes de matériel dont dix-huit caméras…

Un laboratoire d’innovations pour une œuvre hors norme

Pour servir au mieux la mise en scène de son film, Gance innove sans cesse et trouve de nouvelles solutions techniques : caméras sur des filins et des balançoires, caméras portées, installées sur des chevaux au galop, fabrication d’objectifs spéciaux, surimpressions, essais sur la couleur et tournage du film en Polyvision (pour une projection sur trois écrans)… Le montage, assuré par Abel Gance et Marguerite Beaugé, exige un an de travail.

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Napoléon vu par Abel Gance est une œuvre cinématographique, artistique, historique et politique d’une envergure sans pareille. L’épopée napoléonienne d’Abel Gance est un poème épique d’une audace et d’une inventivité folle au service de la grandeur de la France et d’un homme qui l’aimait : Napoléon Bonaparte. L’histoire de France vue par Abel Gance tient de la force et de la beauté du roman national servi par la vision acérée et précise du cinéaste, la justesse d’interprétation de tous les acteurs en particulier celles d’Albert Dieudonné (Napoléon Bonaparte), Abel Gance (Saint-Just), Alexandre Koubitzky (Danton), Edmond Van Daële (Robespierre), Antonin Artaud (Marat), Gina Manès (Joséphine de Beauharnais), Annabella (Violine)…

Esthétique, musique et mise en scène

La mise scène est ample, rigoureuse et attentive. Ses plans et images flamboyants sont servis par un noir et blanc contrasté parfois teinté de bleus, rouges, verts, jaunes ou bistres illustrant les tensions dramatiques du récit. La musique extraordinaire de justesse confiée à Simon Cloquet-Lafollye et interprétée par l’Orchestre National de France, l’Orchestre Philharmonique et le Chœur de Radio France, sous la direction de Frank Strobel est faite de plages de calme et de tensions, de moments lyriques et d’envolées magnifiques. Le compositeur a puisé dans plus de deux cents ans de musique symphonique subtilement réarrangé pour la bande musicale du film.

Humanité et violence

Gance filme avec une grande tendresse les scènes où la vie privée des personnages principaux de l’aventure napoléonienne sont en jeu. Relations familiales, amour maternel et filial et passion amoureuse donnent à cette œuvre une vérité humaniste. Lorsqu’il s’agit de filmer la violence et la terreur de la Révolution française ou la barbarie de la guerre – prise de Toulon, bataille d’Italie – il montre sans concession par des procédés visuels de surimpression et de colorisation, l’horreur en marche.

Un aboutissement cinématographique

Tous ces éléments liés à l’attention particulière du cinéaste aux sentiments, désirs, pensées et souffrances de ces personnages qui ont écrit l’histoire de notre nation font de ce film un véritable enchantement pour qui aime la France, l’esthétisme cinématographique, la musique.

Le triptyque final de la bataille d’Italie est un morceau de bravoure et d’anthologie cinématographique bouleversant, grâce à sa beauté et son inventivité formelle.

Un film muet où l’on voit et entend le bruit et la fureur de l’Histoire. Une véritable prouesse, un chef-d’œuvre absolu ou la forme et le fond se rejoignent.

1927 – 7h20 – film historique – muet


[1] Coffret du film restauré par la Cinémathèque française. Contient :- 3 Blu-ray, le livre Napoléon vu par Abel Gance, des éditions La Table Ronde (2024, 312 pages), un livret avec la liste des musiques utilisées pour la bande son.

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Présidentielle: ne demandez pas le programme!

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L'ancien Premier ministre Gabriel Attal, à l'Assemblée nationale, le 12 novembre 2025 © Stephane Lemouton/SIPA

Le projet présidentiel, ce sera l’homme…


Pour la prochaine élection présidentielle, chaque candidat, de droite comme de gauche, se sentirait déshonoré s’il n’invoquait pas l’absolue nécessité d’un programme avant d’afficher toute ambition personnelle. C’est une sorte de réflexe destiné à montrer son sérieux et sa profondeur.

Alors même que l’on sait très bien que cette volonté d’afficher un projet passe de plus en plus au second plan, derrière la qualité de la personnalité qui sollicitera nos suffrages.

J’ai songé notamment à cette évolution – que l’on peut situer à partir de 2007, lorsque l’être du président a commencé à compter davantage que ce qu’il annonçait, sa politique à venir – en regardant Gabriel Attal qui, précisément, s’est efforcé, le 26 novembre au soir surCNews, de démontrer la priorité qu’il accordait à l’élaboration du programme.

Alors qu’en l’écoutant, on percevait que c’étaient sa personnalité, ses forces et ses éventuelles faiblesses qui pourraient constituer la véritable preuve permettant de légitimer, ou non, son avenir présidentiel.

Je perçois bien les limites de cette personnalisation, puisqu’elle dépend du goût et de la subjectivité de chaque citoyen, chacun étant susceptible de ne pas porter le même regard sur les personnalités bientôt en lice. J’ai conscience que ma propre dilection mettra en évidence le caractère et le comportement de tel ou telle au détriment d’autres, et que mon intuition ne sera pas forcément exempte de contradictions.

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À considérer l’espace politique d’aujourd’hui, mon sentiment que le seul à m’inspirer une totale confiance s’il était en charge du pouvoir serait Bruno Retailleau n’est sans doute pas universellement partagé, même dans le camp conservateur pris au sens large. Je n’aurais aucune difficulté à argumenter pour expliquer ma préférence. Je m’en tiendrais aux qualités de l’homme : sa rigueur, sa rectitude, sa moralité, son honnêteté, ainsi qu’à ce que ses activités sénatoriales et ministérielles ont révélé de sa constance, de sa cohérence et de son courage intellectuel. Mais je devine qu’ici ou là on pourrait m’opposer d’autres incarnations.

Ce qui est certain, c’est qu’aussi clairs que soient nos dissentiments, nous pourrions tout de même tomber d’accord sur ceux qu’il conviendrait d’exclure, ceux dont la densité ou le caractère nous paraîtraient trop aux antipodes d’un destin présidentiel pour être choisis.

En 2027, ceux qui s’affronteront dans les débats, d’abord puis lors de « l’emballage » ultime, auront bien davantage que des catalogues de mesures à présenter : ils n’auront qu’une ambition, une obsession, celle de manifester qu’ils seront à la hauteur de la fonction prestigieuse qu’ils espèrent assumer, par le corps, l’esprit et l’âme.

Je me souviens de Nicolas Sarkozy ayant insisté un jour sur le rôle prépondérant et bénéfique, même face à une mauvaise loi, de celui qui la mettra à exécution – ou, au contraire, sur le rôle calamiteux que peut jouer celui qui trouve le moyen de dégrader une bonne loi.

Il ne s’agira donc plus de se jeter des chiffres au visage ni de multiplier les contradictions, mais de proposer, durant la campagne et sur les plateaux, des tempéraments capables de convaincre, de rassurer et de faire croire en demain.

Pour moi, ce sera Bruno Retailleau, mais la démocratie, j’en ai peur, consiste à avoir le droit de décider… en même temps que beaucoup d’autres. Il n’empêche que son projet – qui est lui-même – me plaît.

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Le tuning entre (enfin) au musée!

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© Autoworld

Tuning outragé, tuning brisé, tuning martyrisé, mais aujourd’hui tuning libéré à Autoworld, le musée automobile de Bruxelles. Jusqu’au 14 décembre se tient une exposition temporaire consacrée aux maîtres allemands de la transformation


Les sourires se crispent, la moquerie n’est pas loin. Hargneuse. Vindicative. Diffamatoire. Les blagues fusent en cascade. Le délit de faciès n’est pas condamné, en l’espèce, par la justice. On se défoule sans limite. On crie à l’attentat esthétique et, dans le fond, on laisse exploser sa haine du « populaire ». À la vue d’une auto bodybuildée, aux appendices aérodynamiques disproportionnés, aux couleurs « outrageantes » et à la sono assourdissante, le bourgeois s’étrangle. Il se fait censeur, sermonneur ; lui seul détient la carte du bon goût, lui seul peut décider de ce qui est beau ou laid, admis ou rejeté, démocratique ou populiste. Comment de telles horreurs peuvent-elles avoir le droit de rouler sur les routes ? On en appelle aux autorités morales, à la régulation, à l’homogénéisation, au lessivage, au nivelage. La transformation génétique des voitures, c’est de la sorcellerie, au mieux une dérive poujadiste à condamner. Le tuning a toujours eu mauvaise presse. Il fait tache. Il fait « SEGPA ». Les médias culturels l’ont délégitimé, l’ont sali et l’ont intellectualisé pour mieux le vider de sa substance. Parce que ces gens-là ne comprennent rien à l’imaginaire prolétaire, ce sont des commentateurs lointains, étrangers aux envies et aux rêves d’une jeunesse hors des villes.

© Autoworld Bruxelles.

Manque de savoir-vivre

Ils y ont vu une révolte, un exutoire, une manière de contrecarrer le déterminisme social de tous ces enfants végétant dans les filières techniques, ils ont pris le tuning pour un manque de savoir-vivre, alors qu’au contraire, le tuning est une affirmation, une fierté, la révélation d’une identité profonde, une culture riche qui prend sa source dès les premiers tâtonnements de la création automobile. Nos penseurs fainéants enfermés dans leur case idéologique ont cru déceler les tenailles du système, la misère et l’oppression.

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Il y avait pourtant de la beauté, de l’audace, de l’exagération jubilatoire, de la féérie fluorescente et pailletée. Le tuning, c’est avant tout du plaisir, plaisir de se faire remarquer, de faire du bruit et d’exister avec sa voiture maquillée et longuement pensée dans son garage. Une voiture façonnée selon ses propres codes, ses propres aspirations, sans se soucier du qu’en-dira-t-on. En s’affranchissant des parents, des profs, des patrons et de toutes les institutions moralisantes. La vague tuning qui a touché l’Europe dans les années 1980/1990 s’est peu à peu retirée au passage de l’an 2000. La « raison » l’a emporté face à l’éclat des campagnes et des banlieues. Car le tuning est une activité dissidente et extérieure aux centres du pouvoir, il se propage dans les départements ruraux ou dans les périphéries excommuniées. Il ne germe pas dans les arrondissements protégés, là où les enfants studieux passent l’agrégation avant le permis de conduire. La normalisation des moyens de locomotion a tué la marge. Un jour, nous nous sommes réveillés et n’avons plus vu une 205 gonflée comme un crapaud géant, portant sur le toit un aileron démesuré et des bas de caisse proéminents, le tout dans une teinte allant du violet au blanc nacré. Un monde souterrain avait disparu. Le tuning est l’Atlantide des gamins heureux de discuter « bagnole » et « hifi », de se retrouver ensemble sur des parkings de supermarché et de fanfaronner. Ils ne sont pas si éloignés de Vittorio Gassman au volant de sa Lancia Aurelia en août 1962. Et puis, le tuning comme expression nouvelle a été absorbé par les constructeurs, ils préfèrent parler de « personnalisation », ça fait plus « chic », plus ordonné.

Le salut vient de Belgique

Les extravagances de carrosserie sont les hiéroglyphes de la fin du XXème siècle. Le monde a changé en vingt-cinq ans. On promeut l’inclusivité et l’on a rejeté le tuning, cet art primaire de la modification. En cette fin d’année, notre salut vient de Belgique. En matière artistique, le royaume a toujours assumé le décalage. Le musée Autoworld à Bruxelles réveille les consciences en exposant les grands maîtres allemands de la discipline : Koenig, Strosek, Gemballa, Brabus, etc… Ceux qui ont tout inventé, qui ont bravé les interdits, ils se sont tout permis, les largeurs ahurissantes, les portes en papillon, en élytre, les hauteurs de caisse et les décapsulages les plus dingues. L’âge d’or du tuning se regarde comme la peinture flamande.

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Là, une Opel Manta jaune et bleue, plus loin, une Audi Quattro Roadster, une Porsche 911 Turbo aux couleurs « Rainbow » nargue une 928 à l’ouverture verticale. Les peine-à-jouir peuvent passer leur chemin. Ils ne sont pas les bienvenus. Si les nostalgiques se souviennent du coupé AMG conduit par Jean-Paul et Johnny dans les années 80, ils vont tomber à la renverse en admirant la Mercedes modifiée par Gemballa. Étrange et fascinante.

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Mourir pour Kiev?

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Kiev, après des attaques russes, hier © Service/UPI/Shutterstock/SIPA

En soutenant les propos du général Mandon dans une de ses chroniques la semaine passée, notre directrice de la rédaction a donné à certains la désagréable impression de « sonner le clairon ».


Précision : le titre donné à la chronique de Melle Lévy (« Mourir pour Kiev ») n’a pas été choisi par elle, et se voulait un pastiche du célèbre « Faut-il mourir pour Dantzig ? » de Marcel Déat (1939). Elisabeth Lévy précisera sa position concernant la menace russe dans le prochain numéro du magazine, en vente mercredi prochain • La rédaction.

La nouvelle guerre froide idéologique s’organise ainsi : d’un côté les défenseurs d’Israël qui condamnent la Russie et son agression de l’Ukraine, de l’autre ceux qui comprennent le point de vue russe et qui condamnent Israël. Nonobstant nuances et précisions, il n’y a guère d’exceptions, on est d’un côté ou de l’autre. Elisabeth Lévy s’inscrit dans la première catégorie et elle défend, comme Causeur, une ligne très agressive à l’égard de la Russie. J’ai encore en mémoire un article délirant de Cyril Bennasar qui appelait à « aller casser la gueule » aux Russes.

Renouant avec la diplomatie brejnévienne, la Russie se pose en chef de file des défenseurs de la cause palestinienne, en tout cas elle en est le porte-parole au Conseil de sécurité. On comprend que, dans les circonstances actuelles, les soutiens d’Israël n’apprécient pas. Mais quand, comme c’est le cas d’Elisabeth Lévy, on est un patriote français, on ne peut pas faire du conflit du Proche-Orient son critère de jugement de la guerre d’Ukraine et de la position de la France à cet égard. Quelles que soient ses arrière-pensées, son appel, à la suite du général Mandon, à aller « mourir pour Kiev » doit être examiné en fonction, et uniquement en fonction, des intérêts de la France.

Scandinavie et pays baltes inquiets

La « menace russe » est aujourd’hui présentée de façon moins caricaturale qu’il y a quelques mois. L’armée russe n’a jamais dépassé l’Elbe (sauf à l’occasion de l’aller-retour de 1814, dans le cadre d’une grande coalition européenne), et elle ne le fera jamais pour d’évidentes raisons stratégiques. La menace est celle qui pèse sur les confins des anciens empires allemand et russe, et sur la Scandinavie. Ce n’est pas une nouveauté. L’affrontement de la Pologne et de la Lituanie avec la Russie dure depuis trois siècles et n’a cessé que par intermittence. Prolongé jusqu’à la « Guerre d’hiver » finno-soviétique, le face-à-face de la Suède avec la Russie a des racines historiques profondes, déterminées par l’enjeu du contrôle de la mer Baltique.

Or ces pays sont aujourd’hui liés à l’Europe occidentale et à la France par un système d’alliance (OTAN et UE) qui définirait un devoir de solidarité allant, si nécessaire, jusqu’à l’entrée en guerre. Il est permis d’en douter, ou plutôt de s’interroger sur la réalité et le sens de cette solidarité.

Rappelons d’abord que l’effectivité de l’article 5 de la charte de l’OTAN n’a jamais été testée et qu’en 1920 le Congrès des Etats-Unis, animé d’un Etat d’esprit plus proche de celui de Donald Trump que du président d’alors, Woodrow Wilson, a refusé de rejoindre la SDN pour ne pas avoir à ratifier un article   équivalent qui portait alors le numéro 11.

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Le titre de la chronique d’Elisabeth Levy, « Mourir pour Kiev » fait écho à celui de l’article de Marcel Déat publié en mai 1939, « Faut-il mourir pour Dantzig ? ». Alors que la garantie franco-britannique donnée à la Pologne avait affirmé notre devoir de solidarité, la question posée reçut une réponse ambigüe : on déclara la guerre et puis on ne la fit (presque) pas, avant de finalement la subir. La fière proclamation de la solidarité franco-polonaise n’a pas sauvé la Pologne du dépeçage. Ni en 1772-1795 (et Bonaparte n’a pas tenu sa promesse de rétablir la souveraineté polonaise), ni en 1939 (quand nous sommes restés l’arme au pied pendant que Hitler et Staline rejouaient la pièce du partage). Et comme l’a dit avec franchise Claude Cheysson lors de la loi martiale polonaise de 1981, « Naturellement nous ne ferons rien ». L’exception, qu’il faut relever, à l’impuissance française à traduire en actes sa solidarité avec le Pologne, c’est 1920, le « miracle de la Vistule », quand une solide délégation d’officiers français (mais sans forces combattantes) a aidé la jeune armée polonaise à s’organiser pour repousser l’Armée rouge parvenue aux portes de Varsovie.

La cause immédiate de la Seconde Guerre mondiale, a été le conflit germano-polonais autour de ce fameux corridor de Dantzig. C’était une création de la Conférence de Versailles chargée d’organiser le rabotage de l’empire allemand et le démembrement de l’empire austro-hongrois (la même qui a créé une Tchécoslovaquie avec 3 millions d’Allemands à l’intérieur de ses frontières). Il séparait la Prusse occidentale de la Prusse orientale pour offrir un accès à la mer au nouvel Etat polonais.  On peut épiloguer sur les causes profondes de la guerre, sur l’expansionnisme hitlérien, il n’en demeure pas moins que les occasions des deux agressions qui ont déclenché la guerre, les Sudètes et Dantzig, ont été créées par les défauts d’un traité qui se souciait plus de la morale, du droit de peuples, que du réalisme géopolitique.

Vers le gouffre ?

Aujourd’hui la réalité géopolitique de l’Europe à laquelle la France est confrontée n’est plus la même. Du fait des grands nettoyages ethniques de 1942-45, la question des minorités ne se pose plus de façon aussi aigue que dans l’entre-deux-guerres. Pourtant, à la suite de la disparition de l’URSS, elle a réapparu en Ukraine et dans les pays baltes avec les minorités russophones, ainsi que dans le Caucase. Mais elle est incompréhensible pour des Européens qui ont grandi dans un monde où la coïncidence des Etats et des appartenances nationales semble aller de soi.  L’autre grand changement est que la politique étrangère française a perdu son principe organisateur essentiel qui était de se prémunir contre le péril allemand. Une troisième différence est que la France est insérée dans l’Union européenne, un objet politique nouveau, à la fois espace économique commun, alliance politique, et proto-Etat fédéral.

Mais il y a une constante qui a traversé le XXe siècle : la question de l’organisation de « la ceinture des peuples mêlés » (Hannah Arendt), c’est-à-dire de l’équilibre des forces en Europe orientale, ouverte par la disparition des empires en 1917-18. Celle-ci a creusé un gouffre d’instabilité plus ou moins masqué en 1945 par l’expansion de l’empire russe, puis après son effondrement par les élargissements successifs à l’est de l’OTAN et de l’UE. Justifiés à nouveau par le droit des peuples, ceux-ci entraînent l’Europe occidentale vers ce gouffre qu’on avait imaginé refermé en 1991, date de « la fin de l’Histoire » et qui s’est réouvert entre Kiev et Donetsk en 2014.

Avec le recul, on peut dire qu’il ne s’agissait pas en 1939 de mourir pour l’intégrité de la Pologne mais pour la liberté de l’Europe. Peut-on en dire autant aujourd’hui de « Mourir pour Kiev » ?  Certainement pas, les projets de Vladimir Poutine n’ont rien à voir avec ceux de Hitler. Celui-ci avait soif de Lebensraum, d’espace vital, celui-là cherche à fortifier un trop grand espace. S’il ne s’agit pas de ça, alors affirmer une solidarité jusqu’à la mort, prendre le risque d’une confrontation nucléaire, c’est affirmer que l’Ukraine, ou du moins l’Estonie ou la Pologne, parce qu’ils appartiennent à l’Union européenne, sont des parties de notre nation, c’est effectuer ce saut fédéral que, si j’ai bien compris, Elisabeth Lévy récuse. Car on ne doit faire la guerre, envoyer ses enfants sur le champ de bataille, que quand la survie de la nation est en jeu.

Si l’on peut tenir des propos aussi inconséquents c’est parce qu’on croit, dans le fond, que ça ne se produira pas. La perception de la « menace russe » n’a rien de comparable pour les Français, et à juste titre, avec ce qu’était la menace allemande.

Au lieu de sonner le clairon et d’aller chercher des preuves de la menace russe dans des jeux d’influence africains ou dans le nouveau Far-West de l’espace numérique, on ferait mieux de se pencher enfin sérieusement sur les causes des paranoïas croisées est-européennes, l’angoisse de l’invasion russe chez les est-Européens, celle de la menace otanienne chez les Russes. Et, sans agiter les mots ronflants, rechercher un accord de paix durable, c’est-à-dire celui qui offrira la seule véritable garantie : la création d’un système européen d’équilibre des forces et des intérêts intégrant la Russie, comme l’avait proposé, en vain, François Mitterrand en 1991.

American parano

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Emma Stone, "Bugonia" (2025) de Y. Lánthimos © Focus Features

Contrairement à Jean Chauvet dans le magazine, notre contributeur a apprécié le film Bugonia, en salles depuis hier. Il prévient: le dernier film de Lánthimos sur les délires conspirationnistes va nous perturber…


Et si cela devenait une nouvelle lame de fond du cinéma nord-américain ? Après Eddington (Ari Aster), Une bataille après l’autre (Paul Thomas Anderson), Marche ou crève (Francis Lawrence) ou Running Man (Edgar Wright), Bugonia, le dernier opus du réalisateur grec un brin perché Yórgos Lánthimos, accoste à son tour sur les rivages conspirationnistes et paranoïaques d’un Empire jadis étoilé, actuellement en pleine déliquescence… C’est un grand film inclassable, malséant et perturbant !  

Le coup d’éclat permanent

Après Canine, The Lobster, Mise à mort du cerf sacré, Pauvres créatures et Kinds of kindness, Yórgos Lánthimos s’impose désormais selon moi comme le réalisateur le plus excitant et le plus électrisant de ces dernières années. Il possède ce don rare et singulier de capter l’air du temps via de saisissantes paraboles intimistes, philosophiques et politiques, n’hésitant pas à plonger sans ciller dans nos angoisses, fantasmes et phobies les plus profondément enfouis. Une introspection qui, évidemment, peut faire très mal…

Il le prouve une fois encore avec panache, brio et provocation en revisitant, littéralement habité et exalté, le film sud-coréen Save the Green Planet ! (2003) de Jang Joon-hwan.

Porté à bout de bras (et de crâne…) par son actrice fétiche Emma Stone – également coproductrice du métrage aux côtés de l’incontournable Ari Aster – son Bugonia (étymologiquement « progéniture de bœuf ») s’érige comme l’un des premiers grands chefs-d’œuvre de notre ère dite de la post-vérité, dont l’avènement fut accéléré par la pandémie mondiale de la Covid-19. Une période trouble et inédite ayant alimenté à travers le globe les théories conspirationnistes et paranoïaques les plus farfelues et les plus fumeuses, surtout aux Etats-Unis, par ailleurs avant-garde du camp masculiniste et survivaliste.   

Ils sont parmi nous…

De quoi s’agit-il ? Très schématiquement, et sans trop déflorer l’intrigue, nous pénétrons le cerveau apparemment malade et dysfonctionnel de deux Américains (très) moyens, vivotant dans une vieille maison perdue dans une banlieue campagnarde archétypale. Chimiquement castrés, ils ambitionnent de se délier de toute contrainte matérielle et corporelle pour enfin atteindre la Vérité absolue… tout en sauvant au passage le genre humain !

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Si Don (Aidan Delbis) est un gros nounours simple d’esprit, directement sorti de l’univers d’un John Steinbeck, Teddy (Jesse Plemons) incarne la tête pensante de ce binôme de « losers », grands perdants de la mondialisation, autre nom de L’Horreur économique, jadis prophétisée dans nos contrées cartésiennes par notre grande pythonisse Viviane Forrester (1996). Opérateur de commandes dans une immense firme pharmaceutique dirigée par la très charismatique (et bien nommée !) Michelle Fuller (Emma Stone), Teddy est surtout passionné par son hobby d’apiculteur. Mais constatant une dégradation progressive et inéluctable du cycle de reproduction et de vitalité des abeilles, il croit y déceler les signes d’un grand complot mondial ourdi par des forces extra-terrestres dans le but de provoquer une extinction de l’espèce humaine ! Et l’un des ordonnateurs déguisés de ce terrible dessein serait sa propre P-DG, un alien sous les apparences d’une hyper active working executive woman. N’écoutant que son intuition et se fiant à ses nombreuses lectures sur le net, il décide de la séquestrer et de la rudoyer, aidé par son pauvre acolyte. Objectif : démasquer l’adversaire (en lui rasant le crâne afin de couper toute liaison avec les forces d’occupation) tout en tentant d’accéder au grand manitou, sorte d’Empereur suprême trônant quelque part dans un supra-monde !

Jesse Plemons (C) Focus features

À partir d’un tel script dément et insensé, le cinéaste furieusement inspiré parvient à tenir en haleine le spectateur deux heures durant, entre huis-clos asphyxiant, tunnels de dialogues sibyllins, torture-porn, éclaboussures gore et révélation finale pré-apocalyptique absolument hallucinante, au détour de plans finaux d’une époustouflante beauté tragique digne de toiles de maîtres !

Références cachées

On pourra au passage se délecter de la peinture au vitriol d’une certaine caste dirigeante mondialisée prête à tout pour rester accrochée au pouvoir, quitte à recourir à une « novlangue » perfide versant sournoisement dans le discours corporate « diversitaire » (d’aucuns diraient wokiste !) tout en cultivant les injonctions paradoxales en direction des salariés et des masses laborieuses : « N’oubliez pas de partir de l’entreprise à 17H30 pour profiter de vos proches, sauf si vous ne le souhaitez pas et sauf si vous avez encore du travail à accomplir ! »… Comble du vide hypocrite et nonsensique cher à nos élites « corporate » dénationalisées.

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Mais, au-delà des références évidentes au film premium sud-coréen déjà évoqué (et qu’on peut (re)voir en double programme !), on est forcément obligés de songer au formidable film Emprise (Frailty), du regretté Bill Paxton, sorti en 2001. Dans un coin perdu du Texas, un père veuf hyper rigoriste, élevant seul ses deux garçons, était assagi de visions « divines » lui enjoignant de débarrasser le monde de démons ayant pris le corps de citoyens lambdas… Le pauvre chrétien investi de cette mission salvatrice allait alors commettre l’irréparable jusqu’à une terrible révélation finale…

Le fondamentalisme chrétien du film de Paxton est ici remplacé par un délire complotiste et paranoïaque aboutissant à un savoureux jeu de massacres dont la conclusion tout aussi inattendue devrait vous remuer les méninges pendant un long moment…

Sacré Yorgos, décidément le plus grand affabulateur de notre ère post-véridique ! Surtout, ne changez rien !


1h 59min.

Au bonheur des drames

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Image d'illustration Unsplash.

Dans son roman, Gabriel Boksztejn dessine un tableau noir et précis de la France contemporaine.


Pierre-André est fier de sa réussite professionnelle : il dirige un supermarché à Saint-Lô, en Normandie. Il a de l’argent, une maîtresse et un frère, Bernard, un perdant assez peu magnifique. Il est aussi menacé par son sous-directeur, Marc-Antoine, un salaud pas du tout lumineux. Pour aider son frère, Pierre-André embauche Émilie, la femme de Bernard.

L’effet papillon du coupon de réduction

On regarde s’agiter ces créatures en cherchant l’élément qui va déclencher la tragédie. On croit d’abord que Saint-Lô, et ce magasin qui s’appelle Martin, vont devenir, comme la caissière Émilie, les héros du roman – ce n’est pas directement le cas et le récit se dérobe en partie. Le drame, le dé du destin, viendra d’un bon de réduction, aussi dérisoire que sera dramatique son effet sur la vie de tous ces personnages – auxquels il faut ajouter, habilement liés les uns aux autres, Hichem, chef de rayon, qui a recueilli Jamil, son neveu homo chassé par sa mère (pour qui une liaison entre hommes est « un mariage génétiquement modifié ») ; Louis, normalien et idéologue, et Adrien, son frère cadet.

C’est par des additions de contraires que le roman progresse et tient le lecteur en haleine. La plus réussie des oppositions est peut-être celle entre Jamil et Farid, qui sont parmi les personnages les plus attachants du livre ; et l’opposition la plus flagrante est celle entre Adrien et Louis. Le premier, jeune écrivain putatif et torturé, est écrasé par le second, son frère aîné, « Louis le Magnifique ». Ce brillant normalien est surtout un cynique à qui le fameux « bon de réduction » permettra de se lancer en politique – puisque le récit, surtout dans sa dernière partie, brosse le portrait d’un militant porté par « l’arrivisme de la vertu » : Louis surjoue le révolutionnaire, dont il a le caractère irréductible et machiavélique : « Il n’était guère de ces hommes à brûler un Pôle emploi ou une voiture de police. Il subsistait entre lui et le crime trop d’ambition et plus encore de calculs. »

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Il est significatif que ce soit de son propre camp, de son propre parti, La Nouvelle Action directe, que viendra le coup qui le fera trébucher ; on est toujours condamné par plus pur que soi.

Avec certaines silhouettes – Mathias, figure terrible d’adolescent tourmenté, ou Isabelle, sympathique prostituée occasionnelle –, le portraitiste est à son meilleur ; et, avec certains détails – les applis de rencontre, les emballements médiatiques, « la meute des réseaux sociaux » –, il dessine un tableau précis de la France contemporaine.

Quelques lourdeurs mais des formules originales

Tous les personnages entretiennent des liens qui les isolent plus qu’ils ne les rapprochent. L’auteur a choisi pour cela un dispositif narratif où le destin (peut-être), passant d’une langue académique à un style parlé, du lyrisme à la méditation, apostrophe ses créatures, isolées dans des chapitres autonomes, où chacun est renvoyé à sa solitude. Les lecteurs trouveront peut-être que le lyrisme amoureux alourdit certaines pages, alors que l’auteur est très bon dans la verdeur – une des meilleures façons de parler d’amour. Ils regretteront aussi peut-être, dans un autre genre, l’abus d’infinitifs utilisés comme sujet. Mais on oublie ces détails quand on tombe sur des formules originales et imagées : cette corde, dans un suicide par pendaison, comparée à « une alliance que l’on passe au doigt de la mariée » ; ou ce compte en banque «vidé comme on ach[ève] les blessés sur les champs de bataille».

Une belle noirceur domine l’ensemble, rehaussée par l’ironie du narrateur. L’obsession du suicide, suivi ou non de passages à l’acte, court par exemple tout au long du livre. Si le destin est cruel, l’auteur aime ses personnages, quand tant de romanciers s’aiment d’abord eux-mêmes. Il ne les a pas voulus noirs ni blancs, mais 𝑔𝑟𝑖𝑠𝑒́𝑠, hachurés à la mine de plomb, accusant ou éclaircissant leurs traits, en fonction des obstacles rencontrés – comme la maladie qui humanise Pierre-André. C’est plus généralement un récit qui refuse le « noir et le blanc », lui préférant « le gris écœurant qui ronge le monde », où les Arabes ne votent pas forcément à gauche, où l’amour ne sauve pas toujours les êtres, où les salopards ne sont pas tout d’une pièce : 

« En ce sens, Louis ne se révélait pas même un franc salaud. Un de ces salauds dont la saloperie vous dévisage de face, d’une ignominie que l’on peut défier, à la loyale, et qui, tel le Pyrrhus de Racine, s’abandonne au crime en criminel. Non, Louis recherchait le crime, mais sans l’odeur du crime. Il aspirait à l’hygiène du crime. Il en niait jusqu’à la forme […]. C’est parce qu’il se figurait profondément convaincu de la justesse de sa lutte, qu’il se complaisait sans remords dans l’abaissement de sa politique, cette dégradation se présentant sous mille masques, mille prétextes, mille arrangements et casuistiques, combines retouchées de noblesse, tromperies maquillées de sublime, qu’il vous exposait avec sa condescendance mielleuse de lumineux bourreau. »

296 pages

Suicide ou assassinat? Le dilemme du procès de «la mère empoisonneuse»

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DR.

Dans les Landes, la mère de famille Maylis Daubon assure au tribunal qu’elle n’est pas responsable de l’empoisonnement de sa fille.


Depuis son inauguration en 2021, le flambant Palais de justice de Mont-de-Marsan, à l’architecture tout en angles et grandes baies vitrées, ressemblant davantage à une moderne salle de spectacle qu’à un solennel édifice où l’on prononce des condamnations ou accorde parfois un acquittement, trône à la périphérie de cette commune de 40 000 habitants, préfecture des Landes. Il n’avait encore jamais connu pareille affluence. C’est que depuis le lundi 24 novembre se tient jusqu’au moins mercredi 3 décembre, en cour d’assises, un procès hors du commun d’une durée exceptionnellement longue, huit jours alors que la moyenne est deux ou trois jours.

Un geste routinier

On y juge en effet une affaire particulièrement ténébreuse, morbide, scabreuse, appelée, si condamnation il y a, à rester dans les annales judiciaires, comme si elle était sortie de l’imagination de l’écrivaine anglaise, Agatha Christie, dite « la Reine du crime » et dont l’arme de prédilection dans ses romans était les poisons.

Devant un « jury citoyen » composé de six personnes tirées au sort et de trois magistrates professionnelles comparaît Maylis Daubon, une mère de famille de 53 ans originaire de Dax, ville voisine de Mont-de-Marsan, accusée d’avoir, durant des mois, empoisonné ses deux filles en leur administrant à leur insu une mixture de médicaments de manière systématique, presque quotidienne. L’ainée, Enéa, y a succombé à 18 ans. La cadette, Luan, un an de moins, a survécu. Témoin crucial, elle a pris le parti de sa mère, ne s’est pas constituée partie civile estimant que celle-ci ne lui a rien fait de mal. Ce qui fragilise singulièrement l’accusation.

Pas moins d’une trentaine de journalistes, presse régionale et nationale, ont été accrédités. Un important service d’ordre a été mobilisé. La salle d’audience était le premier jour, et aussi, les suivants, pleine à craquer. Tous les matins bien avant l’ouverture des portes à 8 h 15, une longue file d’attente de curieux se forme pour assister aux débats qui devront établir s’il y a eu effectivement assassinat ou suicide. Car si l’acte d’accusation est accablant, les preuves d’un geste délibéré sont absentes.

L’accusée défie l’assistance

Le journaliste du quotidien régional Sud Ouest, Alexis Gonzalez, rapporte que lundi, à l’ouverture du procès, Maylis Daubon est entrée « dans la salle vêtue d’un tailleur gris, sa longue chevelure noire tenue par une barrette. Elle ne baisse pas la tête et jauge du regard chaque personne présente, prenant tout de même le soin d’éviter le banc des parties civiles où siège son ex-mari ». Ce dernier, père des deux filles, séparé depuis 13 ans de son épouse, Yannick Reverdy, 49 ans, un ancien international de hand-ball au physique de colosse, est son unique accusateur et s’est beaucoup répandu dans la presse pour l’accabler.   

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 « L’accusée, souligne l’article, (a) fait forte impression. » C’est un peu, déduit-on, comme si elle avait voulu défier l’assistance en affichant par cette posture altière son refus de reconnaître la moindre culpabilité.

 « Je suis innocente de ce qu’on me reproche, a-t-elle proclamé dans une déclaration liminaire avant de s’asseoir et de rester coite, recroquevillée sur son banc. Je suis dévastée par le décès de mon enfant. C’est un chagrin abyssal. Je suis terrorisée d’être ici, accusée de faits horribles pour une mère et une femme. Jamais rien au monde ne pourrait me faire commettre ces actes. » Durant toute l’instruction, elle n’a cessé d’affirmer que sa fille s’était suicidée. Pourtant, les faits établis — ou plutôt le faisceau d’indices concordants — mentionnés dans l’acte d’accusation accréditeraient le contraire. La présidente de la cour, Emmanuelle Adoul, les égrènera pendant une bonne heure et demie, sans négliger le moindre petit détail. 

Médication noire

En proie à des convulsions et à un arrêt cardiorespiratoire le 13 novembre 2019, Enéa est hospitalisée aux urgences de Dax. Six jours plus tard, elle décède. Perplexe face à cette mort étrange, le corps médical procède à une expertise toxicologique. Stupéfaction, on y décèle dans ses flux une quantité faramineuse de propranolol, un bêtabloquant cardiaque, équivalente à l’absorption de 50 à 75 cachets. Une analyse capillaire révèle en plus la soumission à ce qu’on appelle une « médication noire », à savoir la présence d’un cocktail d’hypnotiques, anxiolytiques, sédatifs, antidépresseurs. Le soupçon d’un empoisonnement s’installe. Le parquet ouvre une enquête. Une perquisition est menée trois jours après le décès au domicile de l’accusée.

Nouvelle stupéfaction, alors qu’elle avait dit ne pas en disposer, les enquêteurs découvrent une quantité impressionnante de propranolol, de psychotropes, et des seringues n’ayant pas servi.  Pour se justifier, elle se dit avoir été dépassée par la maladie de sa fille sans être en mesure de la nommer. L’enquête établit rapidement que c’est elle qui se les est procurés « après 83 passages en pharmacie », à l’aide d’ordonnances aux dates trafiquées, et que, durant la même période, de février 2018 à novembre 2019, elle a accompagné Enéa à 58 consultations de psychiatres pour cause de dépression chronique. Autre fait troublant, le portable de la défunte demeure introuvable. Or une énigmatique communication a été passée après son admission aux urgences. Par qui ?

A sa décharge, le jour de son hospitalisation, Maylis Daubon n’était pas à son domicile. En outre, à la même époque, une forte dose, pas suffisante pour être mortelle, du même cocktail médicamenteux, avait été détectée dans les flux et cheveux de Luan, la cadette. Donc logiquement, pour l’accusation, elle aussi avait été victime d’une tentative d’empoisonnement de la part de la mère. À la mort de sa sœur, elle a refusé d’aller vivre avec le père pour rester auprès de sa mère. De plus, âgée de 22 ans aujourd’hui, Luan a refusé catégoriquement de se porter partie civile contre cette dernière qui n’a été mise en examen et incarcérée à Pau qu’en 2022, trois ans après les faits qui lui sont imputés. Comme quoi la certitude de l’empoisonnement a mis du temps à s’imposer aux enquêteurs.

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Le père prétend qu’elle a subi de la part de sa famille maternelle qui l’a hébergée, « un lavage de cerveau pendant des années ». Il ajoute dans un entretien à Sud Ouest : « Elle continue de défendre son bourreau. Ce procès doit lui ouvrir les yeux. »

Son ex-épouse fait l’objet également d’une autre mise en examen. Elle aurait commandité auprès de codétenues libérables son assassinat. L’accusation repose essentiellement sur la délation de ces dernières.

Syndrome de Münchhausen

A partir du peu de témoignages qu’il a pu recueillir auprès des proches de l’accusée, l’enquêteur de personnalité, Bruno Rougeoreille, la décrit comme une menteuse invétérée et mythomane « qui surjoue les émotions qu’elle exprime ». Une policière chargée de l’enquête a affirmé à la barre lundi que ses dépositions étaient un tissu « de petites incohérences ». Un de ses collèges, lui, a taxé celles-ci de « mensonges ». Mais il a ajouté que « beaucoup de questions demeurent », précisant que « c’est l’histoire de la mort d’une gamine de 18 ans dans des circonstances que l’on ne connait pas ». Mais il a néanmoins écarté l’éventualité d’un suicide.

Pour une psychologue du pôle départemental de la protection de l’enfance, Maylis Daudon serait atteinte d’une pathologie mentale rare, le syndrome de Münchhausen. Il s’agit « d’un trouble factice qui conduit un parent à simuler, exagérer, ou provoquer chez son enfant une pathologie physique ou psychique, puis à faire appel au corps médical pour le soumettre à des traitements inutiles, voire dangereux. La plupart du temps, le parent (…) semble être à la recherche d’une reconnaissance au travers de l’assistance qu’il offre à son enfant. »

Lors de la première audience, son avocate, Me Carine Monzat a d’entrée fixée quelle sera, dans cette nébuleuse affaire, la ligne directrice de la défense de sa cliente. « Même si elle est mythomane, et alors ? Ça ne fait pas d’elle une empoisonneuse » a-t-elle lancé à l’endroit du jury.

Pour entrer en condamnation, une cour d’assisses n’a pas besoin de preuves mais seulement d’une intime conviction. Et quand il se l’est faite, le tribunal prononce son verdict en « son âme et conscience ». Mercredi prochain, quand il se retirera pour délibérer, face « aux circonstances que l’on ne connaît pas » de la mort d’Enéa, le jury des assises des Landes aura sans doute bien du mal à se faire la sienne d’intime conviction.  

Parité mal ordonnée…

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Rebecca Zlotowski et Jodie Foster présentent leur film "Vie privée" à New York, le 5 octobre 2025 © Lev Radin/Sipa USA/SIPA

Mauvais film. Selon le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), le cinéma français connait une tendance terriblement préoccupante: seulement 62 films français ont été réalisés ou coréalisés par des femmes en 2024 (contre 64 en 2023 et 69 en 2022). La parité, c’est anti-féministe, explique Elisabeth Lévy!


Comptez la femme ! D’après le CNC, la part des femmes dans les réalisateurs de films français est à son plus bas niveau depuis cinq ans. C’est une étude de l’observatoire de la parité créé par l’organisme public qui nous apprend cette nouvelle gravissime. En 2025, 24 % des films français ont été réalisés par des femmes. J’enrage que des gens soient payés pour ce travail absurde et même nuisible. Si le film de femmes est une catégorie artistique je veux qu’on me les signale pour les éviter.

L’art enrôlé dans une entreprise militante

La seule aune à laquelle on devrait juger un film est sa qualité artistique, son succès, sa maitrise technique. Peu me chaut que le metteur en scène ou le chef op soit un homme, une femme ou un non-binaire. Pire, introduire ce type de critères, c’est enrôler le cinéma dans une entreprise militante. Et puis si on compte les femmes, moi je veux savoir combien de films français sont réalisés par des bouddhistes, des unijambistes ou des « trans racisés ».

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Compter les réalisatrices ça ne suffit pas. Pour juger un film on compte aussi les femmes aux postes de direction. Jusque-là, les productions paritaires touchaient déjà un bonus du CNC. A partir du 1er janvier prochain, les films qui n’embauchent pas assez de femmes aux postes de chef auront un malus. Pas de femmes, pas de subvention : c’est une victoire de la statistique sur la singularité, de l’idéologie sur l’art, du droit sur le mérite.

Bondieuseries féministes

En politique, on me somme de reconnaitre que la parité est un vrai progrès. Non, c’est une insulte aux femmes, une forme de paternalisme. La seule chose importante, c’est qu’on n’écarte pas une femme parce qu’elle est une femme. Pourquoi faudrait-il choisir ses colistiers en fonction de leur sexe ? Résultat : on finit par recruter des femmes même si elles sont moins compétentes. Comble de la sottise administrative c’est désormais obligatoire pour les communes de 1000 habitants. Parité au village ! Un vrai casse-tête quand nombre de maires veulent jeter l’éponge.

On n’a pas besoin de règles tatillonnes et de sanctions, la société évolue à son rythme. L’égalité est la norme dans notre pays, mais quelle loi divine exige que toutes les activités humaines soient paritaires ? Faut-il une loi imposant autant de policières que de policiers, autant de magistrats que de magistrates ? Tout ceci est complètement idiot. Remarquez, cette bondieuserie prétendument féministe a une conséquence positive. Ceux qui pleurnichent parce qu’il n’y a pas assez de femmes, reconnaissent au moins que les hommes et les femmes ça existe.


Bilal Hussein, nouvelle voix des apostats de l’islam

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Le militant Bilal Hussein dit "Ali Babal" sur CNews. DR.

À l’heure où les ex-musulmans sont de plus en plus nombreux à s’exprimer, le militant athée Bilal Hussein, qui débat régulièrement avec ses anciens coreligionnaires sur le web, a donné une conférence à Paris. Nous sommes allés écouter ce qui s’y est raconté…


Il s’est fait connaître pour ses débats avec des musulmans à travers Tiktok et YouTube. En juin, son passage sur CNews a été remarqué pour l’impitoyable dérision avec laquelle il critique l’islam.

Rires

Ce soir-là, aux Salons Hoche à Paris, une centaine de personnes sont venues écouter la conférence de Bilal Hussein, 33 ans, militant athée. Un événement co-organisé par le Café Laïque de Fadila Maaroufi et Florence Bergeaud-Blackler. Dès le début de sa présentation, le ton est posé : « Je suis Syrien, je suis né aux pays des droits de l’homme : l’Arabie saoudite », entraînant des rires qui ne cesseront pas de fuser.

L’humour est la marque de fabrique de Bilal Hussein, qui, dans toutes ses interventions, montre à l’aide de la satire la dimension rétrograde et les contradictions de la religion dans laquelle il a grandi, qui fragilisent son authenticité. Ce que ses détracteurs perçoivent comme une série de provocations puériles s’avère en fait un moyen d’émanciper les esprits, comme il l’explique : « Je ne critique pas l’islam parce que c’est drôle en soi, mais je pense que nous, musulmans, en fait on n’a jamais vraiment rigolé. » Car le rire est libérateur. Il est, selon Bilal Hussein, « ce qui manque aux musulmans pour se détacher de l’islam ». Seulement, derrière la plaisanterie, il y a une vie, faite de véritables souffrances.

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Comme il le raconte, l’enfance de Bilal Hussein est émaillée de scènes de violences : l’agonie des moutons sacrifiés sans étourdissement pour l’Aïd le marque et, quand il demande pourquoi on le contraint à prier, la réponse avec des coups. Le jour de l’attentat du World Trade Center, le 11 septembre 2001, son entourage, fou de joie, l’encourage à célébrer l’attaque. L’endoctrinement qu’il subit alors, explique l’apostat, repose en partie sur un principe: « Apprendre à des enfants à aimer la mort plus que la vie. » Et la manœuvre fonctionne. Le dogme macabre qui lui est inculqué ampute le jeune Bilal de toute empathie. En témoigne cet aveu saisissant: « Quand Samuel Paty est mort, je n’ai rien ressenti et aujourd’hui, je ne veux plus qu’on l’accepte. » Pour sortir de cette torpeur, il lui fallait sortir de l’islam.        

Obligations éreintantes

Plus qu’une croyance, l’islam est une pratique. Bilal Hussein égrène les obligations éreintantes qui lui ont été́ imposées très tôt telles que se lever au petit matin dès que rugit l’appel à la prière, prière à effectuer pas moins de cinq fois par jour. « C’est une vision très marxiste de la religion », commente d’un ton critique, assise à sa gauche sur la scène Florence Bergeaud-Blackler, avant d’ajouter: « Éric Zemmour amène cette même différence, qu’il y aurait les musulmans et l’islam, je trouve que ça nous empêche de réfléchir. Vous dites que l’islam, c’est juste des contes de fées… » L’apostat assume et maintient que son expérience est celle de « la société́ islamique dans sa forme la plus pure ». S’il n’avait pas quitté la Syrie pour la France à l’âge de huit ans, dit-il, son destin, tracé par l’islam, aurait été tout autre : « J’aurais pu finir esclavagiste ».

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Florence Bergeaud-Blackler reste sceptique. « J’ai un sentiment mitigé par rapport à la question de l’apostasie », confie l’anthropologue, qui différencie les apostats des ex-musulmans. « Pour moi, l’apostat c’est celui qui sort l’autre de l’islam, et vous, vous êtes un apostat athée, donc vous véhiculez l’idée que toutes les religions sont toxiques. Je ne suis pas de cet avis, la question du rapport à la religion est complexe, ce n’est pas seulement de l’endoctrinement d’enfants. » L’expérience la plus traumatisante des jeunes années de Bilal Hussein – une circoncision clandestine, sans anesthésie, dans le salon familial – explique sans aucun doute son opposition viscérale à toutes les pratiques qui se veulent d’inspiration divine. La trahison des adultes a alors été profonde et il ne leur pardonnera jamais.

Sortir du marasme

Durant le temps des questions au public, un médecin, qui s’est occupé́ de femmes victimes de l’excision, exprime lui aussi son désaccord avec l’apostat, pour qui la circoncision et l’excision sont à ranger sur le même plan, celui d’une pratique sans aucun fondement médical. Bilal Hussein maintient ne pas vouloir « hiérarchiser » les souffrances. Le médecin ne minimise pas la sienne mais lui fait remarquer que les conséquences de l’excision sont destructrices et définitives, contrairement à la circoncision: « Médicalement, vous avez tort ». L’échange, tendu, est ponctué par les applaudissements du public, qui se rangent du côté de l’apostat. Fadila Maaroufi doit faire un rappel à l’ordre au nom du respect de toutes les paroles.

Il faut dire que beaucoup dans la salle suivent Bilal Hussein sur les réseaux sociaux et, à la fin de la conférence, ils seront nombreux à faire la queue pour se faire dédicacer leur exemplaire de son livre, Incroyable Islam. Avant cela, Fadila Maaroufi conclut la conférence: « On doit continuer à ne pas s’auto-censurer, c’est ce qui nous sortira de ce marasme. » Comme l’aura souligné un peu plus tôt la co-fondatrice du Café Laïque, le surgissement de nouveaux visages comme celui de Bilal Hussein témoigne d’un véritable changement dans le débat sur l’islam en France. « La prise de parole des ex-musulmans va faire connaitre la réalité́ des choses », se réjouit-elle. Elle va sans doute aussi décomplexer les nombreux musulmans qui n’osent exprimer leurs critiques du dogme islamique. Une belle perspective dans un pays comme la France, qui s’enorgueillit d’être le gardien de la liberté́ de conscience et le phare le plus lumineux qui soit contre l’obscurantisme religieux.

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