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Immigration: bienvenue en France-Afrique

La France connaît une transformation démographique rapide portée par une immigration africaine à forte fécondité, analyse le directeur de l'OID


Immigration: bienvenue en France-Afrique
Salle de maternité dans un hôpital français © Facelly/SIPA

La France est le pays européen qui accueille le plus d’immigrés africains. Le taux de fécondité élevé de ces populations dessine un bouleversement démographique rapide. Et les nombreux défis d’intégration imposés par cette situation ne se résolvent pas d’une génération à l’autre.


Disons-le tout net : il est désormais exagéré d’affirmer qu’on « ne peut pas parler de l’immigration » en France. La marée montante du réel a fini par rendre intenable le réflexe d’enfouissement qui avait prévalu sans conteste, durant trois décennies au moins, lorsqu’il s’agissait d’aborder cette question dans la majeure partie du champ médiatique ou politique. Depuis plusieurs années, le débat public cesse progressivement d’esquiver un certain nombre de questions centrales sur ce thème – à commencer par celle des nouveaux flux migratoires accueillis dans notre pays.

Augmentation spectaculaire des naissances issues d’au moins un parent né hors UE

En cette matière, le constat global du quart de siècle écoulé pourrait être résumé sous la forme d’un « triplement général ». Le nombre de premiers titres de séjour accordés chaque année à des ressortissants extra-européens a été multiplié par trois depuis la fin des années 1990. Le nombre de bénéficiaires de l’aide médicale d’État (qui sert à approcher la dynamique de l’immigration clandestine) a été multiplié par trois depuis le début des années 2000. Le nombre de bénéficiaires du droit d’asile en France a été multiplié par trois en dix ans.

Cependant, le sujet demeure aujourd’hui peu traité sous l’angle des transformations « endogènes » induites par l’immigration au sein de la population de la France. Il faut entendre par ce terme : non seulement l’impact direct des flux migratoires, mais aussi leurs effets démographiques à retardement.

La France connaît, depuis le tournant des années 2010, une rétractation rapide de son « solde naturel », c’est-à-dire de la différence entre les naissances et les décès enregistrés sur son territoire. La diminution du nombre global de nouveau-nés (qui a baissé de 20 % en quinze ans) a fait basculer ce solde dans le rouge : en 2024 et durant les premiers mois de l’année 2025, la France métropolitaine a enregistré plus de décès que de naissances. La hausse de la population générale, qui se poursuit en France malgré ce déficit, est désormais essentiellement portée par l’immigration.

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Ce portage se fait de deux façons : d’une part, par l’accélération rapide des flux entrants que nous avons décrite ; d’autre part, par l’augmentation spectaculaire de la part des naissances issues de l’immigration – spécialement extra-européenne.

Pour la première fois, en 2023, plus de 30 % des naissances enregistrées en France ont été issues d’au moins un parent né hors de l’Union européenne. Depuis l’an 2000, le nombre annuel d’enfants nés sur le territoire et issus de deux parents eux-mêmes nés en France a diminué de 28 % ; mais dans le même temps, les naissances issues d’au moins un parent né hors UE ont augmenté de 36 % et celles issues de deux parents nés hors UE ont augmenté de 73 %.

Du fait de la diffusion géographique toujours plus large des réalités migratoires, cette part significative de l’immigration dans les naissances est désormais une réalité visible sur l’ensemble du territoire – avec des écarts qui persistent néanmoins. En 2023, 67 % des naissances en Seine-Saint-Denis ont été issues d’au moins un parent né à l’étranger, tout comme 57 % dans le Val-d’Oise et 54 % en Essonne, contre 11 % en Vendée, 10 % en Haute-Loire ou 9 % dans le Pas-de-Calais. Parmi ces naissances dont un ou deux parents sont nés à l’étranger, neuf sur dix concernent un parent né hors UE.

Surfécondité des femmes immigrées

L’accroissement rapide de cette proportion a évidemment partie liée avec celui de la population immigrée. Mais un autre facteur entre aussi en ligne de compte, souvent considéré comme un tabou : il s’agit de ce qu’on pourrait appeler la fécondité différenciée des populations immigrées. L’analyse des chiffres de l’Insee démontre que l’indice de fécondité (exprimé en nombre moyen d’enfants) des femmes nées à l’étranger est significativement plus élevé que celui des femmes nées en France : en 2021 – dernière année pour laquelle ces données sont disponibles –, il était de 2,3 enfants par femme en moyenne pour les premières, contre 1,7 enfant parmi les secondes. En particulier, il est plus élevé de moitié chez les femmes nées au Maghreb (2,5 enfants par femme) et deux fois supérieur parmi les femmes nées en Afrique hors Maghreb (3,3 enfants) par rapport aux « natives ».

D’où vient donc cette surfécondité des femmes immigrées ? Pour une large part : des mœurs et habitudes issues de leurs pays d’origine. La France présente en effet la particularité d’accueillir, de loin, l’immigration la plus « africaine » de l’ensemble du continent européen. La part des immigrés originaires d’Afrique parmi l’ensemble de la population immigrée est, dans notre pays, trois fois supérieure à la moyenne de l’Union européenne. Parmi ces immigrés africains, six sur dix sont originaires du Maghreb, mais la plus forte poussée récente concerne la zone subsaharienne : le nombre d’immigrés venus d’Afrique sahélienne, guinéenne ou centrale a doublé en France depuis 2006.

Or, l’Afrique est aujourd’hui le continent le plus fécond du monde – avec un indice moyen de fécondité qui s’élève à quatre enfants par femme. Cinq des six pays du monde qui ont le plus grand nombre d’enfants par femme sont des États africains francophones. Résultat de cette structure géographique particulière de notre immigration : l’indice de fécondité des femmes nées hors de l’Union européenne est, en France, le plus élevé de toute l’Europe occidentale. Il s’élevait à 3,27 enfants par femme en 2019, soit le double des natives cette année-là.

Les études démographiques indiquent que les niveaux de fécondité des personnes d’origine immigrée ont tendance à diminuer à la génération suivante et à converger – progressivement – vers la moyenne des natifs. Toutefois, cette convergence n’est pas immédiate et ses effets sont fortement mitigés par l’accélération des nouveaux flux entrants. Cela est d’autant plus vrai que la migration en France produit des effets l’apparentant à un véritable « déclencheur de naissances ».

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L’analyse des données recueillies par le ministère de l’Intérieur sur « la fécondité des femmes primo-arrivantes », c’est-à-dire installées récemment sur le sol français, est particulièrement frappante : le pic des naissances issues des femmes immigrées se situe dès la première année après leur arrivée sur le territoire. La part de ces naissances qui ont lieu un an après leur installation est trois fois plus élevée que celle enregistrée un an avant la migration. Cet effet est particulièrement notable pour certaines origines migratoires : toutes choses égales par ailleurs, les primo-arrivantes maghrébines ont entre 20 % et 50 % plus de chances de faire un enfant dans les quatre années après leur installation que les autres primo-arrivantes – et cela vaut pour les femmes originaires de Tunisie, où l’indice local de fécondité est pourtant descendu sous les 2 enfants par femme.

D’ores et déjà, la population de la France compte plus de descendants d’immigrés de « deuxième génération » que d’immigrés au sens strict (nés étrangers à l’étranger) – lesquels sont pourtant plus nombreux que jamais, tant en volume absolu qu’en pourcentage. Huit millions de personnes qui vivent aujourd’hui en France y sont nées d’un ou deux parents immigrés, majoritairement originaires du Maghreb, d’Afrique subsaharienne, de Turquie ou du Moyen-Orient. Leur structure d’âge est beaucoup plus jeune que le reste de la population : 37 % d’entre eux ont moins de 18 ans, contre 21 % pour la population sans ascendance migratoire (selon les plus récentes données Insee pour l’année 2020, qui tendent à sous-estimer ce que peut être la situation cinq ans plus tard). En particulier, 72 % des descendants d’immigrés d’Afrique guinéenne ou centrale ont moins de 18 ans, tout comme 50 % des individus nés de parents immigrés marocains ou tunisiens.

Cette situation emporte évidemment des implications extrêmement fortes pour l’avenir démographique du pays. Celles-ci sont d’autant plus importantes que les défis de l’intégration ne se résolvent pas spontanément d’une génération à l’autre. La part des jeunes nés de parents immigrés qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation est, en France, la deuxième plus élevée du monde occidental – « dépassée » par la seule Belgique.

Intégration économique désastreuse et archipellisation

Sur certains indicateurs d’intégration économique et sociale, la deuxième génération issue de certaines immigrations rencontre même des difficultés plus marquées que la première. 57 % des immigrés d’Afrique sahélienne vivent en logement social ; c’est le cas de 63 % de leurs descendants. Le taux de chômage des descendants d’immigrés algériens est plus élevé que celui des immigrés eux-mêmes, tout comme dans les populations originaires d’Afrique subsaharienne. L’effet du plus jeune âge des descendants est un facteur explicatif à prendre en compte, mais qui ne se suffit pas à lui seul. Comme l’a résumé le ministère de l’Intérieur dans sa récente réponse à une question parlementaire : « pour les descendants d’immigrés, la moitié de l’écart de chômage reste inexpliquée, et plus des deux tiers pour les immigrés originaires du Maghreb, d’Afrique subsaharienne ou de Turquie ».

De tels constats dessinent un bouleversement démographique rapide et déjà très engagé, qu’une simple réduction (même drastique) de l’immigration nouvelle ne saurait effacer. Cependant, et à rebours d’un certain fatalisme qui règne parfois dans le débat public : les politiques mises en œuvre aujourd’hui et dans les années à venir auront un impact décisif sur le paysage de la population française à la fin de ce siècle. Leur pilotage raisonné commande une reprise en main politique des flux migratoires, à laquelle l’opinion publique aspire désormais de façon très majoritaire ; mais aussi la mise en œuvre d’une politique familiale renouvelée et intelligente, en mesure de rétablir les équilibres démographiques nécessaires à la cohésion de notre société – à rebours de l’archipélisation en cours.

Octobre 2025 – #138

Article extrait du Magazine Causeur




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Directeur de l'Observatoire de l'immigration et de la démographie

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