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Il n’est que la première honte qui coûte…

Le 6 mai, 28 députés LFI ont voté contre une résolution demandant la libération de Boualem Sansal


Il est des situations politiques qui se répètent. Pour les repérer, il faut ajuster la focale de sa lunette de vue afin de percevoir la longue durée rappelle l’anthropologue. Le contraire du « nez dans le guidon » du chroniqueur de la radio « de service public ».

Regard en arrière : Il arrive que des trajectoires de deux météores se croisent. Ce fut le cas de la rencontre de Victor Serge – alias Victor Lvovitch Kibaltchiche – et de Paul Vaillant-Couturier. C’est en 1929 que ces deux hommes politiques et écrivains se sont rencontrés. Vaillant-Couturier était rédacteur en chef de l’Humanité depuis 1926 avant d’être « viré » en 1929. Il était entré au Comité Central du Parti Communiste en 1920 et il sera limogé en 1922, puis retour en 1924…. Victor Serge, révolutionnaire de la première heure est, lui, exclu du Parti Communiste d’URSS en 1928. Arrêté en 1933 par le Guépéou et gardé prisonnier jusqu’an 1936. Les deux hommes étaient « amis »[1].

Si des intellectuels de l’époque s’élevèrent devant l’arrestation de Victor Serge, on ne trouve pas la signature de son « ami » Vaillant au bas de l’appel des écrivains pour sa libération publié en 1933 dans la revue La critique sociale, pas plus qu’au bas de la lettre « L’appel aux hommes » publiée à l’initiative de Magdeleine Paz, ni dans l’appel publié en 1931 à l’initiative d’André Breton et portant notamment les signatures de Victor Margueritte, Charles Vildrac, Jean Guéhenno. Ils demandaient que Victor Serge, malade, puisse venir se faire soigner en France (comme n’importe quel dignitaire de la dictature algérienne peut le faire aujourd’hui dans nos hôpitaux du Service public). L’Humanité publia en 1933 un article condamnent Serge pour ses écrits, conformément aux directives de Moscou. Vaillant resta muet devant ce lâchage du PCF.

Victor Serge, un ami trahi

Serge écrit à ce propos : « Vaillant-Couturier signa le papier commandé à l’Humanité. À peu de jours de là, je le rencontrais à Moscou […] Nous étions amis depuis des années. Je repoussais la main qu’il me tendait. « Tu sais bien que tu viens de signer une infamie !». Sa grosse tête joufflue palissait et il bredouillait : « Viens ce soir, je t’expliquerais. J’ai reçu les renseignements officiels. Est-ce que je peux vérifier moi ? ». [.…]. Il eut plus volontiers risqué sa peau sur une barricade que sa carrière de tribun de cette façon-là. Or, il n’est que la première honte qui coûte »[2]. On dirait une déclaration d’Éric Coquerel ou de quelque autre commissaire politique de LFI devant le Parlement français un siècle plus tard.

Il n’est que la première honte qui coûte.

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Devant cette vilenie, comment ne pas penser à ces 28 parlementaires de L.F.I qui, le 6 mai 2025 ont voté contre une résolution du Parlement français demandant la libération de Boualem Sansal ? On ne peut certes pas demander à Mathilde Panot, à Louis Boyard, Manuel Bompard ou David Guiraud plus d’humanité que n’en avait eu l’extrême gauche un siècle auparavant à propos du sort d’un autre prisonnier… comment vous dites… Victor Serge ? Qui c’est ? … et Vaillant…. Vaillant comment… ? Quant aux députés communistes, leur témérité les a conduits à s’abstenir lors de ce vote demandant la libération de Boualem Sansal.

Ce n’était pas ici, hélas, la première honte.

Les justifications des députés LFI

La députée L.F.I de la Gironde Mathilde Feld a expliqué que ce vote courageux et empreint d’humanité de L.F.I contre le vœu de libération de l’écrivain algérien n’était en réalité qu’une « occasion pour la droite et l’extrême droite, etc… ». Elle rejoint les propos pleins d’humanité du député Bastien Lachaud, (futur « ministre végétarien » de la défense du futur président de la République Jean-Luc Mélenchon, parait-il…) qui dénonce en Boualem Sansal un individu « proche de l’extrême droite, xénophobe et islamophobe ». Traduire : « il a été invité à un salon du livre en Israël ». On ne peut pas demander à un aspirant futur ministre de la Défense du Lider maximo de lire les livres de l’écrivain que son parti veut maintenir en prison. Quelques jours après le vote des 28 contre la motion demandant la libération de l’écrivain algérien, Manon Aubry dans une diatribe à la saveur mélenchonienne pouvait déclarer sur Europe 1 : « Nous voulons la libération de Boualem Sansal »[3] !

Il n’y a que la première honte….

Quelle jubilation alors pour ces « 28 de la honte » que d’apprendre que le tribunal d’Oran lançait ce même jour un mandat d’arrêt international contre Kamel Daoud, qui, comme Boualem Sansal a le tort de déplaire à la dictature algérienne. On ne peut pas demander aux 28 de la honte de lire un Prix Goncourt, c’est déjà assez fatigant d’être député, si en plus il fallait lire des livres… !

Câlineries. Dans cet élan de léchage de bottes de la dictature algérienne, le 8 mai, la gauche déléguait des parlementaires à la cérémonie de commémoration en Algérie des répressions du 8 mai 1945. Cette visite était une façon d’honorer un pays qui venait d’expulser en avril 12 agents consulaires de l’ambassade d’Alger. Ces parlementaires de gauche ne voulaient sans doute pas laisser la prime de la honte au président de la République qui lui recevait à l’Élysée le « gentil jihadiste » Ahmad al-Chareh, président de la Syrie. La réception sous les ors de la république du « gentil jihadiste » fondateur et chef du groupe salafiste Al Nostra, rééquilibrait ainsi du côté de l’exécutif, la honte que les députés de La France Indigne avaient exhibé au Parlement français la veille en se désolidarisant de la demande de clémence à l’endroit de Boualem Sansal.

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« Un boucher islamiste souille l’Élysée » déclarait Éric Ciotti devant le serrage de main du président français venu accueillir au bas des marches du perron de l’Élysée le responsable d’une organisation experte en formation d’auteurs d’attentats suicides, qui s’était réjouie des attentats du Bataclan et de l’Hyper Cacher.

Une gauche en déroute et en ignominie

Il devient de plus en plus difficile dans ce pays d’être de gauche pense le boomer nostalgique d’un autre temps. Si l’antisémitisme d’une extrême gauche auxquels les insoumis nous ont habitué ne laissait guère de doute sur son potentiel d’humanité, sa « bienveillance » pour la dictature algérienne marquait un progrès dans l’ignominie. Une ignominie qui culmine dans l’exfiltration par cette extrême gauche de députés, écrivains, intellectuels juifs qui se risquent à vouloir participer à des rassemblements… de gauche !

Les rictus de haine des cadres de LFI et de leur gourou admirateur de Robespierre couronnent magnifiquement ces parcours de la Honte.

Beaucoup de déçus devant cette dégringolade en indignité de la gauche française expriment leur désarroi aujourd’hui par la formulation suivante : « Je ne suis plus de gauche… parce que je suis de gauche ». Devant ces mots, je pense au roman de Victor Serge Les Derniers temps où l’auteur résume ainsi le sort fait aux victimes de la dérive stalinienne : à la question » êtes-vous communiste ? » son héros répond : « selon le manifeste de Karl Marx assurément, c’est précisément pourquoi j’ai été exclu du Parti Communiste ».[4]


[1] – Jean-Paul Loubes, Paul Vaillant-Couturier. Essai sur un écrivain qui s’est empêché de l’être, Ed.du Sextant, 2013.

[2] – Victor Serge, Mémoires d’un révolutionnaire. Seuil, 1957, p 218.

[3] – Europe 1, Émission Le Grand rendez-vous, le 11/05/25.

[4] – Victor Serge, Les derniers temps, Grasset, 1998, p 185


Paul Vaillant-Couturier

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Le paganisme expliqué à ceux qui pensent qu’il est mort

Et si le paganisme n’avait jamais vraiment disparu ? Sous les ruines de la modernité, un vieux fonds continue de vibrer – discret, mais tenace. À rebours des néo-druidismes de pacotille et des rêveries New Age, La Source pérenne de Christopher Gérard explore ce qui subsiste d’une sagesse cosmique, sans nostalgie ni folklore.


Que reste-t-il du paganisme dans un monde qui n’a d’yeux que pour les oracles de la Silicon Valley et leurs promesses d’immortalité ? Un vieux songe que cultivent une poignée de latinistes ? Une chimère éteinte avec la dépouille de l’empereur Julien, au IVe siècle ? Peut-être ? Mais on aurait tort d’en être aussi sûr. Pour s’en convaincre, il suffit d’ouvrir La Source pérenne. Loin du développement personnel et des kits clé en main pour « devenir soi-même en 21 jours », le paganisme de Christopher Gérard est d’abord, est avant tout une vision du monde, une manière d’habiter le réel. Mieux : une manière d’y survivre – plus encore quand le réel s’est assombri.

Retour aux Grecs

Voilà plus de vingt ans que l’auteur creuse ce sillon, à contre-courant des modes. La Source pérenne, publié une première fois en 2000 sous le titre Parcours païen, reparaît aujourd’hui dans une version revue, augmentée et enrichie, qu’il compare aux Rêveries d’un païen mystique de Louis Ménard, condisciple et ami de Baudelaire. Longtemps introuvable, le voici ressuscité par La Nouvelle Librairie, dans une édition mise à jour qui égrène une vingtaine de textes formant selon l’auteur une « fresque du paysage mental d’un païen contemporain ». Un livre tissé de méditations, d’hommages, de mélanges, qui tous concourent à un même dessein : témoigner de la permanence des dieux dans la conscience d’un Européen au XXIe siècle.

Archéologue au sens fort du terme, Christopher Gérard n’a jamais cessé de fouiller les couches sédimentaires de cette mémoire collective. On le suit enfant, dans les Ardennes belges, déterrant des ossements mérovingiens dans un tête à tête avec les morts. On le voit adolescent, fasciné par les symboles et les mythes. On l’accompagne adulte dans la fidélité aux maîtres qu’il s’est choisi : Nietzsche, l’initiateur, Alain Daniélou, l’éveilleur, Ernst Jünger, le modèle, Georges Dumézil et Walter Friedrich Otto, les guides érudits. Fidèle à son dieu tutélaire, Apollon, dieu de la lumière et de la mesure ; fidèle à Homère, l’éducateur de la Grèce, premier des voyants, tout aveugle qu’il fût. Pas d’Europe sans ce retour aux Grecs, insiste l’auteur, qui rappelle combien toutes nos renaissances, de la Renaissance italienne au romantisme allemand, ont toujours puisé dans cette longue mémoire.

Pas une pose

Vu par Christopher Gérard, le paganisme n’a rien d’une pose esthétique. C’est une fidélité et une discipline de vie. Il ne s’agit pas d’invoquer Wotan ou Lug sous les néons de nos villes bétonnées qui ne connaissent plus la splendeur nocturne des ciels étoilés, mais de retrouver, à hauteur d’homme, l’ordre du cosmos au gré des cycles et des rythmes naturels. Le païen est un veilleur de l’immanence. Il marche dans les pas d’Héraclite, qui voyait le monde comme un feu toujours vivant. Pour autant, il ne se réfugie pas dans quelque abstraction présocratique ou quelque utopie consolatrice, il l’habite, ce monde, de plain-pied, traquant ce qui subsiste sous les ruines de la modernité.

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Car tout n’a pas été effacé. Sous les voûtes désertées des églises d’un monde en voie de déchristianisation, derrière des rituels républicains vides de sens, sous l’empire tentaculaire de la marchandisation, le vieux fonds païen continue de battre. Il affleure dans les fêtes de solstice, les cultes des fontaines et des saints, dans les processions rurales et les rites populaires que l’on croyait disparus et qui ressurgissent ici ou là, à rebours des consignes de Vatican II, qui a voulu éradiquer ce monde. Ce fonds-là, le dominicain Serge Bonnet, dans sa Défense du catholicisme populaire (2015), l’appelait le « catholicisme festif » : un christianisme de chair et de terre, longtemps nourri des racines païennes de l’Europe, que l’Église, plus habile et moins puritaine qu’on ne le croit, avait su intégrer, jusqu’à ce qu’un certain esprit de réforme, au XXe siècle, s’acharne à l’extirper au nom d’une pureté théologique sans peuple et sans mémoire.

Pas la revanche des magiciens sur le crépuscule de Dieu 

Dans Dieu, un itinéraire (2001), Régis Debray se demandait si, à voir le succès des littératures ésotériques et des horoscopes de gare, on n’assistait pas à « la revanche des magiciens sur le crépuscule de Dieu », comme si, délivrés des dogmes et des Églises, nos contemporains allaient chercher dans les brumes du paranormal ce que le transcendantal n’était plus capable de leur offrir. On doute que Christopher Gérard se reconnaisse dans ce tableau. Rien cependant, dans La Source pérenne, qui ne relève de cet engouement pour le toc et le kitch.

Au contraire. Tout ici procède d’une quête de sens, d’une forme de résistance intérieure à l’effondrement de notre civilisation. Ainsi conçu, le païen n’est pas un songe-creux. S’il poursuit un songe, c’est celui d’Empédocle – pour reprendre le titre d’un roman de Christopher Gérard –, un songe lucide, enraciné. Il rejette les idoles modernes : le progrès amnésique, l’individualisme grégaire, la technique dévorante, la consommation sans objet. Il se dresse contre le nihilisme du « dernier homme » qui ramène tout à l’aune de son néant. Comme Nietzsche, il dit oui – au monde, à la beauté fragile, à l’ordre serein, à la sage mesure, aux hiérarchies pacificatrices. Il n’évacue pas le tragique, il l’assume. Son livre est celui de la nature ; il n’attend rien d’autre que ce qui est déjà là ; il n’espère rien de plus que le retour de ce qui vient. Il sait que tout est cycle : naissance, croissance, décrépitude, mort, renaissance. Rien ne commence vraiment, rien ne finit tout à fait.

Voilà ce que nous dit Christopher Gérard. Ce qu’il propose, c’est une « métanoïa », un terme cher à la théologie orthodoxe, c’est-à-dire une conversion du regard, une révolution intérieure. Revenir au paganisme, ce n’est pas revenir en arrière, c’est apprendre à voir le monde autrement. C’est se replacer dans l’ordre du monde en renouant avec la gratitude et la piété. C’est rompre avec l’oubli de l’être.

Nul prêche ici. L’auteur trace un chemin pour qui veut l’emprunter. Son livre est une source vive – pérenne – où chacun peut puiser. Il en émane une ferveur tranquille, une érudition sans pédanterie, une langue claire comme la ligne du même nom. On y entend la présence discrète de maîtres qui ne se donnent pas en modèle, mais en compagnon de route. On le referme avec une certitude : le paganisme, quand il est vécu et appréhendé ainsi, n’a rien d’une contrefaçon des anciens cultes. C’est un art de vivre et de mourir, réservé sans doute au petit nombre, ces « happy few », que Christopher Gérard n’a cessé d’appeler, livre après livre – des initiés. Un monde à (re)découvrir, sans crispation ni fanatisme, dans une théophanie discrète qui n’exclut pas les monothéismes, mais qui ne cherche pas non plus à se faire religion universelle. Nul ne l’a dit mieux que Montherlant lui-même, cité par l’auteur, avec des accents nervaliens : « J’incline volontiers à respecter Jésus-Christ, sans croire en lui, mais que le soleil se lève, que retentisse une musique entraînante, me voici païen, qui me reprends au monde. »

266 pages

Bruno Retailleau: d’une présidence à une autre?

L’élection de Bruno Retailleau à la présidence des Républicains symbolise l’espoir d’un retour au pouvoir d’une droite authentique – claire dans ses positions, lucide sur le séparatisme islamique, forte dans ses actes et fidèle à ses convictions. Dans un texte à la fois personnel et politique, notre chroniqueur Philippe Bilger salue ce choix des militants tout en réaffirmant sa position singulière: proche des siens, mais farouchement libre


La victoire de Bruno Retailleau a été éclatante et pour une fois que la réalité n’a pas déjoué mes pronostics, on me pardonnera de rappeler à ceux qui me font l’honneur de lire ou commenter mes billets mon article du 15 mai : « Bruno Retailleau : le jour J pour le futur de la droite… ». À vrai dire, il était difficile d’imaginer un tel écart entre les deux candidats. Quelle fierté pour ce peuple de droite qui a su faire si nettement le bon choix. Avec un vainqueur et un vaincu qui ont dominé, pour le premier, son triomphe et pour le second, sa déception.

À l’écart, mais pas indifférent

Ce n’est pas un hasard si ce sujet m’est venu en tête. D’abord, l’interrogation lancinante sur l’utilité d’être dedans ou dehors n’a jamais cessé au cours de ma vie intellectuelle, judiciaire, médiatique et politique (en tout cas civique). Et, pour les Républicains plus précisément, je me suis constamment questionné : de quelle manière mon influence, aussi modeste soit-elle, pourrait-elle être la plus efficace ? En étant dehors ou dedans ?

À deux reprises – bien avant sa victoire – j’ai consulté sur ce point Bruno Retailleau dont l’avis m’importe. Son conseil, se fondant surtout sur mon caractère, a été de m’inciter à demeurer là où j’étais, tout proche mais sans adhésion officielle à ce parti. C’est ma position actuelle. Mais j’avoue parfois ressentir une sorte de frustration quand je vois de loin ces rassemblements et ces enthousiasmes, comme le 18 mai au soir au Café Concorde et qu’ils me signifient que ma seule ressource est d’y participer du cœur et de l’esprit.

Je sais aussi que si j’avais été dans ce parti où j’ai des amis et quelques proches de qualité, par exemple, outre Bruno Retailleau, David Lisnard, Philippe Juvin, Jean-François Copé, François-Xavier Bellamy, Xavier Bertrand (y est-il d’ailleurs ?), je n’aurais pas manqué d’intervenir et qu’à force j’aurais succombé à cette pente d’éprouver du malaise même dans l’univers qui à l’origine avait ma dilection.

L’impossible discipline de l’esprit libre

Avec cette conséquence que cette magnifique pensée de Balzac – « Je suis de l’opposition qui s’appelle la vie » – qui est au coeur de mon être depuis toujours, m’aurait poussé aux pires extrémités de la sincérité en répudiant cette solidarité qui est à la fois la plaie et la force des partis.

Je suis persuadé que, si j’avais surmonté ma répugnance à l’égard du militantisme, du collectif et de l’obéissance obligatoire, je n’aurais sans doute jamais rué dans les brancards face à ce que le nouveau président de LR va mettre en œuvre, en privilégiant la consultation des adhérents. L’intégralité de ses projets et de son plan d’action me convient et probablement me serais-je tenu coi.

À lire aussi, Ivan Rioufol : Bruno Retailleau fera-t-il l’union des droites?

Mais, me connaissant, j’ai tendance tout de même à louer la sagesse de Bruno Retailleau à mon sujet. Il y a des expériences qui m’ont démontré que je suis incapable de la discipline intellectuelle, politique et médiatique que les responsables des mondes où je suis présent attendent de moi. Non pas, me semble-t-il, parce que je serais un irresponsable, un agité compulsif mais tout simplement, parce que plaçant au-dessus de tout ma propre liberté, je n’aurais jamais pris garde à sa rançon possible sur les univers concernés. Moi d’abord, mon épanouissement, mon envie de penser et d’exister, mon être illimité contre les contraintes même légitimes des structures. L’idée que mon « je » devrait se réduire parce qu’il engagerait dangereusement au-delà de soi me dérange.

Une droite qui peut enfin être fière

Aussi, faute de cette inconditionnalité qui rassure les chefs, comme dedans je suis trop vite en opposition, je vais rester tranquillement dehors.

J’éprouve une peur face aux jeux politiciens et aux choix ineptes des hiérarchies internes – qu’on ait par exemple pour le Sénat éliminé Pierre Charon au bénéfice de Francis Szpiner continue à me scandaliser – et cette crainte et mon éventuelle dénonciation peuvent s’exprimer de manière plus tranquille si je suis dehors. Je reste libre et ne crée ainsi aucune zizanie interne.

La droite n’a jamais été la plus bête du monde. Maintenant elle sera à la fois intelligente mais surtout fière et courageuse.

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Crépol: une cécité judiciaire

Le livre-enquête sur la mort du jeune Thomas à Crépol, minimise le caractère raciste de l’attaque. Il révèle surtout qu’aux yeux de la Justice le racisme antiblanc n’existe pas.


C’est sans doute maître Alexandre Farelly, l’avocat de la famille du défunt, qui a trouvé les mots les plus justes pour exprimer le malaise que l’on ressent en lisant Une nuit en France, le livre-enquête consacré au meurtre du jeune Thomas à Crépol en novembre 2023. Quelques jours après la parution de l’ouvrage, son cabinet a diffusé un communiqué déplorant de « nombreux passages très gênants, qui tendent à banaliser le port d’armes, la violence meurtrière, l’omerta et la victimisation des mis en cause ».

Un livre sidérant

Il faut dire que l’ouvrage, signé par deux journalistes parisiens et une scénariste de polar, a une curieuse manière de raconter la nuit durant laquelle, il y a deux ans, dans une petite commune de la Drôme, une bande de jeunes de banlieue, munis de couteaux, a blessé grièvement plusieurs villageois sans défense, dont Thomas, poignardé à mort, mais aussi quatre autres habitants, parmi lesquels deux ont dû être transférés à l’hôpital en urgence absolue.

À en croire le récit, les torts dans cette histoire seraient plus partagés qu’on ne l’a dit dans la presse. Et les agresseurs, qui sont tous originaires d’une cité de Romans-sur-Isère à forte population immigrée, ne seraient pas de si mauvais bougres. D’ailleurs, à leur décharge, l’arme blanche qui a tué Thomas leur servirait en temps normal à « couper du cannabis »… On n’ose imaginer le scandale si un livre plaidait la cause de Dominique Pélicot en relevant que celui-ci s’est toujours servi d’un somnifère banal et inoffensif pour droguer sa femme et la violer.

À lire aussi : La France des clochers va-t-elle tonner ?

Reste que les auteurs ont l’honnêteté de ne pas faire l’impasse sur des propos, autrement accablants, que certaines personnes présentes le soir des violences rapportent avoir entendu dans la bouche des suspects : « On est là pour planter des Blancs. » Même si, sans surprise, l’hypothèse d’un homicide raciste antiblanc est présentée dans l’ouvrage comme un pur fantasme, qui ne ferait qu’alimenter l’« hystérie » médiatique et les polémiques « radioactives ».

L’amateurisme du parquet

Par conscience professionnelle toutefois, les auteurs ont interrogé le procureur chargé de l’enquête sur cet aspect du dossier. « Lorsque nous le rencontrons en décembre 2023, écrivent-ils, il concède qu’une poignée de témoins ont évoqué des insultes antiblancs, mais il cite une jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle cela ne peut pas constituer une circonstance aggravante de racisme. »

On se pince. Comment un magistrat peut-il s’imaginer que le racisme antiblanc ne serait pas reconnu par nos lois ? L’article 132-76 du Code pénal ne laisse pourtant aucune place au doute. Il prévoit bel et bien une aggravation des peines quand un délinquant ou un criminel a tenu des propos déshonorants sur sa victime à raison de l’appartenance de celle-ci à « une prétendue race ».

À lire aussi : Nouvelles réflexions sur le racisme antiblanc

Le mot « prétendue » a été rajouté par le législateur en 2017. Il permet d’éviter tout débat oiseux sur l’existence ou non d’une race blanche, et donc lève toute équivoque quant à la possibilité pour un juge de punir un cas de racisme antiblanc.

Dans l’affaire de Crépol, le procès n’a pas encore eu lieu. Le jour venu, les accusés seront-ils questionnés sur leur racisme présumé ? L’amateurisme du parquet prévaudra-t-il ? Réponse aux assises.

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Rodéos urbains, refus d’obtempérer: bienvenue dans la France «Orange mécanique»

Vendredi soir, en Meurthe-et-Moselle, près de Nancy, un gendarme de 24 ans a été volontairement percuté par le pilote d’une moto engagée dans un rodéo urbain. L’individu, déjà connu de la justice, a pris la fuite[1]. Pour Charles Rojzman, auteur de Les masques tombent (FYP Éditions), cette montée des violences contre les forces de l’ordre, particulièrement dans certains quartiers, traduit une rupture profonde entre une partie de la jeunesse et la République — une fracture nourrie par un discours victimaire, le rejet de l’autorité et un séparatisme culturel que l’État ne peut plus ignorer sans danger.


À Neuves-Maisons près de Nancy un gendarme a été grièvement blessé lors d’un refus d’obtempérer à l’occasion d’un rodéo automobile. L’homme, percuté volontairement par un chauffard de 20 ans qu’il tentait d’intercepter, est aujourd’hui hospitalisé. Il aurait pu mourir. Comme d’autres policiers ou gendarmes avant lui, victimes d’une violence qui ne cesse de croître et qui, loin d’être un phénomène marginal, traduit une dégradation continue de l’ordre républicain.

Ce fait n’est ni anecdotique, ni exceptionnel. Il s’inscrit dans une série d’actes devenus presque banals dans certains quartiers : refus d’obtempérer, rodéos sauvages, caillassages de commissariats, traquenards tendus aux pompiers. Un refus d’obtempérer est enregistré toutes les vingt minutes en France. Une fréquence terrifiante, révélatrice d’un rapport profondément conflictuel à l’autorité.

Un défi permanent

La plupart du temps, les auteurs sont des jeunes, parfois mineurs, souvent sans permis, au volant de véhicules volés. Ils roulent à tombeau ouvert, parfois sous l’emprise de drogues, et se sentent intouchables. Face à eux, des forces de l’ordre tenues par des protocoles stricts, accusées à la moindre intervention, et de plus en plus exposées à des risques mortels.

La blessure de ce gendarme ne fait pas les gros titres. Elle ne déclenche ni manifestations, ni indignation médiatique. Pourtant, elle dit tout d’un climat d’insécurité et de défi permanent dans lequel nos agents sont contraints d’opérer.

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Contrairement à ce que certains veulent faire croire, les policiers et les gendarmes n’ont que très rarement des comportements inadmissibles. Ils sont dans leur immense majorité des serviteurs de la loi, épuisés, exposés, et souvent démoralisés. Ils tiennent la digue, alors même qu’ils se sentent lâchés par leur hiérarchie, désavoués par les institutions, et traités en ennemis par une partie de la population.

Cette confrontation entre une jeunesse en rupture et les représentants de l’État ne date pas d’hier. Elle dure depuis plus de quarante ans. J’ai moi-même participé à la création de la police de proximité initiée par Jean-Pierre Chevènement. C’était un projet ambitieux, lucide, humain : rapprocher la police de ceux qu’elle protège, reconstruire une confiance. Ce projet a été brutalement arrêté sous Nicolas Sarkozy, dans un geste purement politique.

Un documentaire, À l’écoute de la police, réalisé par Bernard Mangiante, retrace cette expérience à travers des formations de formateurs de la police nationale que j’ai animées. On y voit les policiers exprimer leur désarroi, leur isolement, leur colère devant les contradictions d’une institution bureaucratisée. Et l’on voit, en face, des jeunes qui ne reconnaissent plus — ou pas — la légitimité de la République.

Les discours victimaires de la gauche compliquent la tâche des forces de l’ordre

La fracture est là : dans cette hostilité profonde, cette défiance transformée en haine, que nourrissent certains discours. Cette jeunesse — ou du moins une partie d’entre elle — se vit comme victime d’un système raciste, d’un État oppresseur. Elle ne voit plus les policiers comme des agents de protection, mais comme les soldats d’une armée d’occupation.

Ce climat est alimenté par un discours victimaire, complaisamment relayé par une partie de la gauche radicale et amplifié par les propagandes islamistes. On excuse tout. On justifie tout. On inverse les responsabilités. Le policier devient coupable, le délinquant devient victime.

Or, il faut dire les choses avec clarté : ces violences, ces refus d’obtempérer, ces rodéos ne sont pas de simples provocations. Ils sont les manifestations visibles d’un rejet profond de la France et de ses valeurs. Ce n’est pas tant l’autorité qu’on défie, c’est la nation qu’on combat.

Il ne s’agit pas de nier la réalité sociale, les ghettos, la précarité, les discriminations parfois vécues. Mais il faut aussi oser dire que cette situation est aggravée par des comportements collectifs, des logiques de clan, un repli identitaire assumé, et un refus d’intégration alimenté de l’intérieur. Ceux qui ont entretenu ce séparatisme culturel portent une lourde part de responsabilité : élus, intellectuels, associations, relais communautaristes. Tous ceux qui aujourd’hui feignent de découvrir ce qu’ils ont contribué à produire.

La République ne peut pas rester passive. Cette jeunesse — radicalisée, violente, revendicative — doit être confrontée à la justice. Elle ne peut bénéficier d’aucune indulgence systématique. Les discours d’excuse, d’absolution automatique, ne font qu’alimenter le désordre. La loi doit être appliquée avec fermeté, et sans trembler.

Car si nous ne faisons rien, si nous laissons se banaliser ces actes hostiles au pacte républicain, nous verrons se lever sur notre propre sol une armée d’enfants-soldats. Des jeunes embrigadés non pas au service d’un idéal, mais au service d’ambitions totalitaires, d’une haine apprise, entretenue, dirigée contre la France. Il est encore temps d’agir. Mais ce temps se réduit. Et l’aveuglement, l’inaction ou la lâcheté pourraient bientôt ne plus être des erreurs, mais des fautes historiques.


[1] C’est finalement dimanche en fin de matinée que le suspect s’est présenté de lui-même au commissariat de Nancy, où il a aussitôt été placé en garde à vue avant d’être incarcéré.

Qui c’est celui-là?

Nous avons appris la disparition du chanteur Werenoi, mort samedi à 31 ans. Le numéro 1 des ventes de disques en France était inconnu de tous les membres de notre rédaction – et même de notre cheffe Elisabeth Lévy dont le travail consiste pourtant à tout savoir. Nous vous proposons d’écouter la chronique radio de cette dernière.


Werenoi a été fauché en pleine jeunesse et en pleine gloire, nous dit Le Monde. Jérémy Bana Owona était numéro un des ventes en 2023 et 2024, 5ème artiste sur Deezer avec un milliard de streams, et ses clips cumulaient des millions de vues sur YouTube. Or, comme pratiquement tous mes amis consultés hier, même les jeunes (mais mes jeunes amis sont très vieux monde), je n’en avais jamais entendu parler.

Je le regrette. J’ai écouté quelques titres ; c’est assez beau et mélodique. Il raconte la France des banlieues, mais il ne critique jamais les forces de l’ordre, les juges ou la France. « Werenoi évite les sujets qui fâchent, religion, politique, conflit israélo-palestinien » m’apprend Léna Lutaud dans Le Figaro[1]. Quand tant d’autres se servent du rap pour maudire les kouffars de Charlie Hebdo ou la France, ça me le rend très sympathique.

Un triste symbole

Il était très discret, loin de l’image du rappeur bling-bling plus connu pour ses frasques et sorties crypto-islamistes que pour sa musique.

Ce qui me frappe, c’est qu’il était une star pour les uns, et pourtant inconnu pour des millions de Français. David Doucet se demande ainsi dans Le Point s’il n’est pas le symbole d’une France qui ne chante plus ensemble[2].

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Le fossé générationnel a toujours existé. Mes parents n’écoutaient pas les Stones. Mais, ils savaient que les Stones existaient. Il y avait une culture populaire commune, véhiculée par les mass medias. Tout le monde écoutait les mêmes radios. Ma mère et moi, on fredonnait les mêmes tubes. Et à l’école, les gosses avaient vu le même film.

La technologie a accompagné la fragmentation culturelle de nos sociétés. Comme le dit Michel Maffesoli, il y a des tribus virtuelles qui se croisent peu. Cela recoupe en partie nos fractures identitaires. Certes, le rap est devenu la musique jeune – de tous les jeunes. Il est aussi en quelque sorte le soft power des quartiers ; il popularise leur argot et leurs références. Mais il ne produit plus ces tubes entonnés de 7 à 77 ans lors des mariages.

Comme le sport, la musique ne rassemble plus. Elle ne rassemble même pas d’ailleurs toute la jeunesse immigrée. Depuis la mort de Werenoi, et c’est bien triste, des musulmans revendiqués insultent la radio Skyrock qui annonce un hommage au rappeur, menacent les fans qui postent des extraits et appellent les plates-formes à retirer ses morceaux parce que la musique, c’est « haram » et que ça l’empêche d’aller au Paradis… Ces propos ont été dénoncés par l’entourage qui précise que seuls les clips – que j’imagine plus osés – seront indisponibles pendant le deuil.

On dira que ce sont quelques hurluberlus. Ça commence toujours par quelques hurluberlus. Après le voile dans le sport, la prohibition de la musique sera peut-être la prochaine bataille du salafo-frérisme.


Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio


Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale


[1] https://www.lefigaro.fr/musique/le-rappeur-werenoi-plus-gros-vendeur-de-disques-en-france-est-mort-a-31-ans-20250517

[2] https://www.lepoint.fr/culture/werenoi-symbole-d-une-france-qui-ne-chante-plus-ensemble-18-05-2025-2589841_3.php

Eurovision, la douce revanche d’Israël

Samedi, le public a massivement soutenu la chanteuse israélienne Yuval Raphael, rescapée du massacre du festival Nova. Notre contributeur veut voir dans ce vote le symbole d’une prise de conscience en Europe : face à l’islamisme radical perçu comme une menace contre les valeurs occidentales, les peuples se mobilisent là où des élites politiques de gauche ont failli.


Les Européens sont majoritairement nostalgiques de l’époque désormais révolue au cours de laquelle l’Eurovision sacrait des chanteurs aux ritournelles qui n’avaient d’autre prétention que d’apporter un peu de joie en plein milieu du mois du mai. Depuis quelques années, le concours est devenu une foire d’empoigne géopolitique en même temps que l’exposition de ce que l’idéologie LGBT a de plus outrancier. En la matière, Israël avait d’ailleurs été un des pionniers en faisant triompher Dana International, personnalité trans, à la fin des années quatre-vingt-dix.

12 points !

Samedi dernier, contrairement aux jurys dont on devine qu’ils étaient un peu partout composés des habituels donneurs de leçon, le public européen a largement plébiscité Israël, représenté cette fois-ci par une rescapée du pogrom du 7-Octobre. Si la chanson interprétée par Yuval Raphael fut l’une des plus émouvantes de la 69e édition du concours, expliquant en grande partie son succès, il ne fait guère de doute que d’autres facteurs expliquent l’enchaînement de « twelve points » attribués à Israël.

Et si la majorité silencieuse des Européens avait, en effet, également exprimé son exaspération de voir affichés partout le drapeau palestinien, l’antisémitisme drapé dans l’antisionisme, le soutien plus ou moins affirmé au Hamas par des personnalités de gauche et d’extrême gauche, les accusations de génocide répétées en boucle – comme si le fait de marteler érigeait une vérité -, les tags, les slogans et les stickers recouvrant les murs des bâtiments et les sièges des transports publics ? Et si les Français, les Belges, les Espagnols et tous les autres comprenaient inconsciemment que l’Etat hébreu était un avant-poste de l’Occident menacé par l’islamisme ? Je fais partie des Européens qui ont voté  Israël pour ces raisons-là, j’en connais même qui ont voté plusieurs fois. Et je tiens à rassurer tout le monde : je n’ai été manipulé par personne.

Les réactions courroucées de ceux qui ont transformé la bande de Gaza en cause ultime de leur engagement sont révélatrices de leur haine et de leur stratégie de manipulation. En France, Rima Hassan y est allée d’un « Money Money Money » que n’aurait pas renié Dieudonné ; en théoricien du complot, Aymeric Caron a quant à lui suspecté Israël d’avoir truqué le concours. En Espagne, le Premier ministre socialiste Pedro Sánchez a appelé à exclure Israël lors des prochaines éditions et la télévision publique a diffusé un message de soutien aux Palestiniens avant la retransmission de l’événement.

Enquête en Belgique

Comme souvent, c’est en Belgique que l’on déniche les réactions les plus extrêmes et farfelues. Vooruit, le parti socialiste flamand, a demandé une enquête, rien que ça, sur le vote du public à l’Eurovision. La VRT, radio-télévision publique flamande, qui l’année dernière avait brièvement interrompu le programme pour afficher un message de soutien à la Palestine, remet désormais en cause sa participation au concours qu’il juge… trop politisé – à noter, amis français, que c’est un jury issu de la même VRT qui n’a attribué aucun point à Louane. Dans un article digne d’Edouard Drumont, le média en ligne 7sur7 a donné la parole à Raf Van Bedts, pour qui « il ne faut pas sous-estimer le pouvoir de la communauté juive ». Et voilà comment l’utilisation du terme « lobby juif » est devenue acceptable.

Sans rentrer dans des considérations touchant à ce qui se joue actuellement au Proche-Orient, on devine qu’Israël, exerçant en musique son soft power, couvrant le bruit assourdissant des discours de haine d’une minorité issue de la gauche, tient depuis samedi une douce revanche. Et peut-être que, pour le pays, pour reprendre le titre de la chanson de Yuval Raphael,  un « nouveau jour se lèvera ».

Quelle hérésie de penser que le Saint-Esprit se mêle de basse politique terrestre…

Le Pape, combien de divisions ?
Staline.

Un prophète n’est méprisé que dans son pays et dans sa propre maison.
Mt 13, 57.


Succède donc à Francesco l’Américano-péruvien Léon XIV, Robert Francis Prevost à la ville. Comme toujours, c’est le Saint-Esprit qui a guidé les cardinaux électeurs.

Vu que Sa Sainteté appartient à l’ordre de Saint-Augustin, il faut croire qu’il était prédestiné à devenir le vicaire du Christ.

De prime abord, son obédience augustinienne serait de nature à inquiéter car cet éminent docteur de l’Église professait une doctrine peu optimiste et même morbide sur le monde. Quelques exemples en vrac : les bébés morts sans baptême sont condamnés à l’enfer éternel; dans ses Confessions, il dit voir dans ses propres rapines alors qu’il était enfant des poires du voisin la preuve de la nature satanique du genre humain.

De surcroit, son enseignement scientifique est sujet à caution, notamment lorsqu’il explique que les anges volent en haute altitude car l’air y est plus volatil. Quant aux mouches, bien évidemment accueillies par Noé dans son arche, il avoue humblement ne pas comprendre les raisons de leur création.

Habile compromis

Mais que l’on se rassure : la Weltanschauung de Léon est empreinte de modernité.

Même la théorie des limbes, développée ultérieurement afin de faire contrepoids au rigorisme jugé quelque peu excessif de l’évêque d’Hippone (un modèle d’intégrité qui ne plaisantait pas avec le péché originel, on ne se refait pas), fut plus ou moins répudiée par Benoît XVI à titre de simple « hypothèse théologique » aux termes d’un rapport de 41 pages très méthodique et fouillé vu la gravité de la question. Et le bagage intellectuel de Léon est impressionnant : diplômé et enseignant en mathématiques et aussi en physique, ce qui implique des connaissances de pointe en aérodynamique.

La prédestination semble toujours d’actualité.

L’Esprit-Saint ne se manifeste pas seulement dans la Chapelle Sixtine lors des conclaves. Il donne un souffle à toutes les communications millimétrées du Saint-Siège, verbales et symboliques; la sémiotique n’a pas de mystères (dans tous les sens du terme) à la Curie romaine.

Par le nom qu’il a choisi, le pontife annonce emprunter les brisées de Léon XIII, connu pour sa doctrine sociale révolutionnaire pour l’époque, encore que l’on peut se demander s’il fait aussi sienne la conception de la Bible de son modèle : un livre ayant Dieu pour auteur direct, qui ne peut contenir aucune erreur, même concernant les faits scientifiques ou historiques. Et Léon XIV est apparu à la loggia portant une mozzetta rouge (veste), avec une étole brodée d’or et une croix pectorale dorée, sans doute un hommage au conservateur Benoît XVI. Un habile compromis entre la tradition et le modernisme affiché par François.

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Alors, qu’attendre du pontificat de Léon? On ne peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il remette en question les contes de fées constituent le socle de la foi catholique depuis deux millénaires, notamment l’historicité des récits évangéliques : la marche sur les eaux, la multiplication des pains, la résurrection; les guérisons miraculeuses de Lourdes, etc.

D’emblée il exprime son empathie à l’égard des démunis sur la planète, ce qui inclut les migrants. Un discours bien ciblé depuis François vu que la clientèle de l’Église catholique se trouve plutôt dans le tiers-monde, étant donné le déclin général de la pratique religieuse dans les pays plus riches où la population a accès à la pensée rationnelle par l’éducation.

Controverse avec le vice-président américain

Doit faire ses preuves en matière de répression des crimes sexuels des clercs et affidés. Quel est son propre bilan à titre d’évêque en la matière? A voir. Le canoniste, donc juriste qu’il est, renoncera-t-il à la stratégie de « procédurite » méthodiquement pratiquée par François pour combattre les réclamations des victimes devant les tribunaux? A suivre.

Quant aux homosexuels, aux femmes, aux transgenres, aux médecins avorteurs, aux divorcés (remariés ou non), etc., grand bien leur fasse s’il adopte une attitude « progressive », mais les intéressés et intéressées seraient bien avisés de ne pas attacher une trop grande importance à son adoubement.

Notons une récente controverse théologique entre le pape François et le vice-président américain J.D. Vance; ce dernier déclarait : « Vous aimez votre famille, puis votre voisin, puis votre communauté, puis vos concitoyens… Après, vous pouvez vous concentrer sur le reste du monde. ». Ce néo-catholique a fait son saint patron de saint Augustin (encore lui…), celui-là même qui a donné ses lettres de noblesse au concubinage en donnant le jour à Adéodat. JayDee invoque donc sa doctrine de l’« ordo amoris »(reprise par Saint-Thomas d’Aquin), à l’appui de la politique migratoire du président Trump. Pour sa part, François évoque une « fraternité ouverte à tous » et rétorque que l’amour chrétien n’est pas « une expansion concentrique d’intérêts s’étendant, petit à petit à d’autres personnes ou groupes ».

Et le cardinal Robert Prevost de formuler cette glose : « Jésus ne nous demande pas de hiérarchiser notre amour pour les autres », ce qui donne lieu à un âpre différend intra-augustinien, qui eût fait l’objet d’une captivante question quodlibétale au Moyen-Âge.

De quoi donner envie au président Trump d’exiger un recomptage du vote.

(N.B. Vu le monopole catholique de la vérité judicieusement rappelé par Benoît XVI, irrité par un climat de tolérance frôlant dangereusement le laxisme, le terme « autres » exclut les non-baptisés ; cependant, les 1,4 milliard membres du troupeau – un pourcentage impressionnant de l’humanité – sont sur un pied d’égalité).

Sa Majesté orange et JayDee ont beau dénigrer aujourd’hui les universités « élitistes », ce dernier, juriste diplômé de Yale, cède à la tentation (qui ne sera pas la dernière) de citer des textes en les sollicitant. L’on peut lui conseiller, s’il persiste à défendre la justesse de la politique présidentielle en matière d’immigration, de se rabattre de préférence sur d’autres sources (scripturales ou autres) plus pertinentes.

(Incidemment, le péquenaud autoproclamé – « hillbilly » en v.o. – Vance s’inspire manifestement d’une autre personnalité chrétienne, plus contemporaine, le Français Jean-Marie Le Pen : « Je préfère mes filles à mes nièces, mes nièces à mes cousines, mes cousines à mes voisines, mes voisines à des inconnus et des inconnus à mes ennemis »).

Des esprits forts veulent voir des visées politiques dans le choix d’un Américano-péruvien, polyglotte, aux racines françaises, italiennes, espagnoles et créoles, qui font de lui un creuset (ou « melting pot » en v.o.) bien américain à lui tout seul qui ne peut que répugner à Donald Trump; d’aucuns osent même dresser un parallèle avec Jean-Paul II, originaire d’une (quasi) colonie soviétique, qui aurait été choisi dans le but précis de combattre la tyrannie communiste.

Quelle hérésie de penser que le Saint-Esprit se mêle de basse politique terrestre. Seule compte l’augustinienne cité de Dieu (Civitas Dei, en v.o.).

Comme en témoigne la mère de Dieu, pleine de grâce, les voies du Seigneur sont impénétrables.

Québec, du mythe au cauchemar : enquête sur le multiculturalisme canadien

Justin Trudeau est fier d’avoir fait du Canada le « premier État postnational ». Il a laissé une immigration massive venue des quatre coins du monde imposer ses exigences culturelles et importer des conflits étrangers. Un bouleversement profond qui vient s’ajouter à la division historique du pays. Reportage


Comment peut-on être québécois ? Interrogé par le New York Times il y a tout juste dix ans, le Premier ministre Justin Trudeau désignait le Canada comme le « premier État postnational ». Une décennie plus tard, le modèle multiculturaliste tant loué par les élites libérales occidentales a volontairement précipité l’effacement des cultures de ses peuples fondateurs et a entraîné une fragmentation politico-identitaire inédite dans l’histoire contemporaine.

Soumise au nom d’une utopie politique à un multiculturalisme d’État qui promeut sans relâche l’implantation de nouveaux peuples sur son territoire, la nation québécoise peine à défendre sa singularité. Comment vit-on lorsque son existence est défiée en permanence par une idéologie officielle ?

Une nation aéroport

Si dans les rêves de Jacques Attali, les pays sont des hôtels, le Canada est un aéroport. Un lieu aussi anonyme que la construction multinationale de ce pays. Sa similitude apparente avec les États-Unis fait du Canada une nation difficile à appréhender. Fondamentalement, le Canada et les États-Unis sont toutes deux des nations « contractualistes », sauf qu’aux États-Unis le contrat s’adresse au peuple américain, lorsqu’au Canada, il s’adresse à l’élite laurentienne.

La culture canadienne n’existe que dans ses institutions d’élite (les sociétés d’État, la Société Radio-Canada, le système parlementaire, les universités) où une élite bilingue règne en veillant à maintenir coûte que coûte le Québec dans l’ensemble canadien. Entre loyalistes fidèles à la Couronne britannique et descendants des fondateurs de la Nouvelle-France, la défiance mutuelle est profonde et il n’est pas rare, en échangeant avec des Québécois, de les entendre affirmer que leur dilution est au cœur d’un projet d’inféodation.

À bord du vol Paris-Montréal, un homme soupire : « Le Canada fait exprès de laisser entrer au Québec une vague d’immigrants qui ne parlent pas français, dans le but de noyer la nation québécoise sous le poids du nombre. Les universités McGill et Concordia, anglophones, jouent un rôle important dans cette anglicisation de la région métropolitaine de Montréal. » Philippe, animateur dans une radio québécoise, établit, à l’instar de la plupart des Québécois, une différence fondamentale entre Québec et Canada, comme s’il s’agissait d’entités étrangères.

Première image du Canada : l’aéroport Pierre-Elliot Trudeau. Du nom du père de Justin Trudeau. Chantre du premier multiculturalisme canadien, il l’impose comme politique officielle du gouvernement fédéral, avant d’en inscrire le principe dans la Constitution en 1981. Une déclaration de « non-identité » qui, poursuivant une utopie libérale, aspire à dépasser son histoire coloniale. Seulement, l’argument multiculturaliste revêt une autre fonction. La constitutionnalisation permet en réalité de maîtriser les velléités indépendantistes du Québec et d’acculturer les Canadiens français à l’identité anglo-saxonne des autres provinces.

Le projet « postnational » de Justin Trudeau marque quant à lui la seconde naissance du Canada. Le fils de Pierre-Elliot assumera ouvertement un projet multiculturaliste globalisé et sous sa houlette, le Canada ouvrira ses frontières aux peuples du monde entier en se posant comme modèle de dépassement des États-nations.

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Nouveaux peuples, nouvelles mœurs

Arrivée à Montréal. Larges avenues, malls à l’américaine et centres d’affaires city composés de blocs de béton ou de verre, le tout agrémenté de quartiers résidentiels aux maisons victoriennes. Ici, les quartiers sont autant de petites nations où l’importation de toute nouvelle culture étrangère relègue automatiquement le décor historique au second plan. Chinatown, Petit Maghreb, Petit Portugal, Petite Italie, quant au Plateau, il exhale l’odeur des baguettes françaises. Hormis Parc-Extension, quartier cosmopolite à forte criminalité où pullulent restaurants indiens, libano-syriens, et où femmes en niqab côtoient sikhs à turbans, le melting-pot ne se mélange pas.

Lorsque l’on aborde avec un Montréalais canadien français la question du vivre-ensemble au Québec, il est fréquent que, gêné par ces mœurs nouvelles importées et tolérées par l’idéologie canadienne, il fasse part d’une sorte de malaise. Installé au comptoir d’un bar irlandais, Maxime, étudiant à l’UQAM, soupire : « Je ne compte plus mes connaissances et amies femmes qui me racontent qu’elles subissent du harcèlement dans la rue et les transports publics à Montréal, et ce, toujours en provenance de groupes extra-européens. Mais par crainte de se faire accuser de racisme, elles ne le diront jamais publiquement. »

Si les quartiers de Montréal se communautarisent, les différentes nationalités sont pourtant forcées de se côtoyer dans les espaces publics. Alors le vivre-ensemble s’applique, qu’importe si les coutumes importées choquent les sociétés d’accueil. Au pays où remettre en question le modèle migratoire a longtemps été considérée comme une faute morale, au point que très peu de politiques osaient s’y aventurer, l’augmentation récente des conflits liés au multiculturalisme a permis de reconsidérer les vertus d’une immigration massive ouverte aux quatre vents.

Nombre de Montréalais ont découvert les périls de l’entrisme islamique au travers de l’affaire Bedford, établissement public tombé sous la tutelle d’une communauté musulmane de quartier. Au programme : mauvais traitements, recours à de vieux manuels d’enseignement maghrébins datant des années 1970, ablutions, prières en classe et discrimination des femmes. Révélé il y a tout juste six mois, le scandale a eu le mérite d’obliger le gouvernement à ouvrir d’autres enquêtes, et d’apprendre aux Québécois que leur province comptait 17 autres cas similaires.

« Toutes les sociétés aujourd’hui risquent de voir des concepts religieux islamistes entrer dans nos écoles », a commenté le Premier ministre québécois François Legault.

Il y a six ans, coincé entre le marteau du modèle français et l’enclume du multiculturalisme canadien, le Québec a adopté une loi sur la laïcité. Cette loi, qui n’a cessé d’être contestée par les tribunaux fédéraux canadiens, est un bouclier bien trop fragile pour s’imposer aux masses musulmanes et supporter les coups de boutoir d’un gouvernement fédéral qui a nommé une femme voilée « représentante de la lutte contre l’islamophobie » avec un budget de 5,6 millions de dollars.

Manifestation en soutien au peuple palestinien à Toronto, 5 octobre 2024, à quelques jours du premier anniversaire de l’attaque du Hamas et de la réponse militaire d’Israël. Des manifestations similaires ont eu lieu à Montréal, où des scènes de violence ont été observées, avec des symboles du Hamas et des slogans anticanadiens © Arlyn McAdorey/The Canadian Press via AP/SIPA

Du multiculturalisme au multiconflictualisme

Parmi les conséquences du multiculturalisme d’État sur les sociétés d’accueil canadiennes, l’exemple le plus remarquable est assurément le « white flight » – littéralement la « fuite des Blancs ». Difficile de connaître l’ampleur exacte du phénomène, mais de nombreux habitants de Québec sont venus de villes dont ils ne reconnaissaient plus le visage. Certains évoquent un changement de peuple et des mœurs trop arriérées, d’autres des conflits directement liés au multiculturalisme.

« Je détestais vivre à Brampton. J’avais l’impression de ne pas vivre du tout au Canada, je me sentais plus comme en Inde. Chaque fois que je me rendais au travail, tout ce que je voyais dans les rues, c’étaient des femmes en robe de chambre et des hommes en pyjama et en turban ! » Olga, citoyenne d’origine ukrainienne, résidait depuis plus de cinquante ans à Brampton, ville-banlieue de Toronto. Établie aujourd’hui à Québec, elle se remémore son arrivée à Brampton dans les années 1970. À cette époque, la ville comptait environ 50 000 habitants. Ils sont presque 800 000 aujourd’hui. « Où est le multiculturalisme dans ce pays ? C’est comme si les grandes villes étaient divisées en petits pays ! »

Brampton est l’exemple archétypal de la révolution démographique du Canada. Sa population, d’abord majoritairement composée d’individus d’origine britannique, a vu se greffer d’autres populations d’origines européennes, puis asiatiques. Aujourd’hui, la majorité des habitants sont d’origine bangladaise, indienne et pakistanaise. Surnommée « Browntown » ou encore « Singh City » par certains, son taux d’habitants aux origines extra-européennes dépasse les 80 %.

Force est de constater que, dans la plupart des grandes villes canadiennes, les Blancs sont une denrée de plus en plus rare. Les statistiques révèlent qu’à Vancouver et Toronto la population blanche est déjà minoritaire. Quant à la ville de Montréal, elle affiche une population d’origine extra-européenne de l’ordre de 38,8 %.

En se définissant politiquement comme la première « nation antinationale », le Canada moderne s’est bâti sur une identité composite, hétérogène, ajoutant des divisions culturelles aux divisions fédérales et surimposant des conflits étrangers à ses propres tensions historiques.

« Le plus frappant pour moi ? Les engueulades entre juifs et musulmans en face de mon école. C’est un quartier peuplé de juifs orthodoxes où une mosquée s’est établie récemment, raconte Eric, consterné. Au cours des quelques mois où j’y ai étudié, j’ai plusieurs fois vu des musulmans criant des insultes aux juifs. Une fois, j’ai vu un musulman s’en prendre physiquement à un juif et lui cracher dessus. » Ex-étudiant à Montréal, il a quitté le quartier branché de Mile End pour la ville de Québec. Pour autant, poursuit-il, « Québec n’est pas à l’abri des désagréments liés au multiculturalisme ».

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Les vagues migratoires les plus importantes au Canada ont été en grande partie composées d’identitaires vaincus : émigrés royalistes français, Russes blancs, Polonais apatrides, anciens combattants SS ukrainiens, Taïwanais associés au KMT dans les années 1960 et 1970, Libanais maronites dans les années 1970 et 1980, émigrés britanniques de Hong Kong dans les années 1990, séparatistes sikhs, Kurdes syriens, Palestiniens, etc. Le Canada a toujours été le pays où les causes perdues trouvaient une seconde vie. De sorte qu’à son paroxysme, le multiculturalisme canadien permet à tous les revanchards de la planète de poursuivre leurs conflits dans la Belle Province.

Peter, professeur franco-britannique à l’Université de Montréal, reste scandalisé par la succession d’émeutes survenues à la fin de l’année 2024. « J’ai vu beaucoup de manifestations pro-Hamas à Montréal. J’ai vu un homme masqué porter une fausse ceinture d’explosifs, ainsi qu’une bande de jeunes fillettes complètement voilées portant le bandeau vert du Hamas. J’ai vu le drapeau du Canada flamber au cri de ‘‘Death to Canada’’. Dans le même temps, une foule saccageait l’Université Mc Gill pour célébrer le ‘‘premier anniversaire du pire massacre de juifs depuis l’Holocauste’’. »

Aujourd’hui, ce qui « brasse dans la cabane’’, c’est Donald Trump. Depuis que ce dernier a décrété une hausse des tarifs douaniers touchant l’ensemble des produits canadiens, politiques, journalistes et citoyens n’en ont plus que pour les saillies du président américain. Jusqu’à sa proposition d’annexer les États fédérés du Canada, qui fait trembler les commentateurs québécois.

Reste à savoir comment le Québec, fragilisé à l’extrême par le modèle multiculturaliste fédéral, pourrait faire front avec le reste du Canada face à l’expansionnisme du président américain. L’emprise de l’élite laurentienne sur le pays pourrait être brisée à tout moment, et l’existence politique du Canada et du Québec en son sein n’a jamais été aussi compromise.

Il n’y a pas 40 millions de Canadiens au Canada. Il y a 25 millions de Canadiens anglophones et francophones à l’identité nationale en voie d’effacement et 2,5 millions de Canadiens sud-asiatiques, 1,7 million de Canadiens chinois, 1,5 million de Canadiens africains… aux identités nationales fortes ou conquérantes. De sorte qu’on peut se demander si le Canada existera demain.

Victoire de Nicusor Dan en Roumanie: la victoire du camp libéral… mais pour combien de temps?

En remportant l’élection présidentielle roumaine face au souverainiste George Simion, Nicusor Dan met un coup d’arrêt à la poussée populiste. Mais le plus dur commence : le nouveau président devra s’attaquer à la fracture profonde entre légitimité des urnes et autorité judiciaire, faute de quoi le clivage qui divise le pays continuera de s’envenimer.


L’Europe se réveille avec les résultats officiels de l’élection présidentielle roumaine : Nicusor Dan, candidat libéral indépendant, l’emporte face au souverainiste George Simion à 53,6 % contre 46,4 %. Cette élection tendue, scrutée par tous les observateurs européens, a enfin pu être menée à son terme ce dimanche 18 mai. Après l’annulation des résultats d’un premier scrutin en décembre 2024 par la Cour constitutionnelle du pays, les enjeux étaient très élevés pour les libéraux et les souverainistes.

Clivage durable

Nicusor Dan, maire de Bucarest avant de se présenter à la présidentielle, s’était fait connaître pour son combat contre la corruption, sujet sensible dans le pays. Il avait été, dès décembre 2024, un partisan de la fermeté face à Călin Georgescu, accusé de fraudes et de liens avec des acteurs étrangers au cours de l’élection – les liens avec la Russie n’ont pas formellement été prouvés par la justice.

Nicusor Dan s’était qualifié pour le second tour en devançant de moins d’un point le candidat de la coalition gouvernementale – qui va du parti social-démocrate aux autonomistes hongrois – dans un duel visant à choisir le champion du camp « libéral », contre les « populistes ». Face à la percée inattendue de Călin Georgescu en novembre 2024, un clivage durable s’est installé en Roumanie entre les partisans de l’Union européenne et d’un alignement sur l’OTAN tourné résolument contre la Russie, et les souverainistes, au style « populiste », qui souhaitent prendre leurs distances avec l’UE et négocier leur soutien à l’Ukraine.

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L’intérêt de cette élection réside pour nous autres Européens dans le fait que la Roumanie soit devenue depuis décembre dernier une sorte de laboratoire, de terrain d’observation de la réaction « libérale » face au « populisme ». S’y pose de manière claire et nette ce que l’on peut appeler le « dilemme libéral », c’est-à-dire la confrontation entre deux légitimités : l’une judiciaire, l’autre populaire. 

Face à la montée de meneurs souverainistes, « populistes », affichant des convictions conservatrices favorables au respect des mœurs traditionnelles de leurs peuples, mais dont les accointances sont parfois réellement problématiques et les méthodes outrepassent parfois la loi, celle-ci sévit contre eux, jusqu’à les priver d’élections. Le pouvoir judiciaire interfère alors avec la délibération démocratique, au nom de la légitimité qu’elle tire de son autorité, l’État de droit. Toutefois, dans le cas roumain, la décision de justice était contestable, tant dans la forme que dans le fond. Cela pose ainsi la question qui taraude tous les « libéraux » inquiets de la montée des « populismes » en Europe : jusqu’où peut-on aller au nom de l’État de droit ?

La vague populiste arrêtée à Bucarest

Si l’on peut discuter la pertinence de la décision de justice qui a privé Călin Georgescu d’élection, force est de constater que le narratif « populiste » a été mis en échec. L’idée d’élire un président qui conteste une décision de justice, qui porte un soutien indéfectible à un homme accusé d’entretenir des liens étroits avec la Russie, a été un repoussoir pour une majorité des électeurs roumains. Le score éclatant de George Simion au premier tour (41 % au total, 60 % dans la diaspora) a clairement motivé de nombreux abstentionnistes, dans le pays comme à l’étranger, à voter pour ce second tour, qui a connu une participation de 65 %, soit 12 points de plus que le 4 mai. Le vote de la diaspora, quant à lui, est passé de 956 000 à plus d’1,6 million de personnes.

Il serait exagéré de prétendre que c’est le « libéralisme » dans son entièreté qui a vaincu le « populisme » dans cette élection. Nicusor Dan est lui-même une personnalité singulière au sein de la mouvance pro-européenne. Il s’est fait connaître pour son combat contre la corruption et a fondé le parti USR en 2016 dans cet objectif. Il a été le tenant d’une ligne ferme face à Călin Georgescu et, ce, dès les premières accusations de fraude. Sa qualification au second tour de la présidentielle s’est faite face au candidat de la coalition gouvernementale, alors qu’il concourait sans l’étiquette d’un parti. De son côté, George Simion a lancé le parti AUR en 2019, qui est le premier parti de droite radicale à obtenir un poids significatif dans l’histoire contemporaine du pays. C’est une des leçons à retenir : la démonétisation des partis traditionnels en Roumanie. Finalement, le second tour s’est réduit à un affrontement entre un candidat sans bannière (Dan) et le tenant d’une posture antisystème (Simion).

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La victoire de Nicusor Dan a été claire, sans ambiguïté, avec plus de 800 000 voix d’avance sur son adversaire. Elle a le mérite de réconcilier les deux légitimités qui s’opposaient dans le discours de George Simion et du camp « populiste ». La légitimité judiciaire, qui a annulé le scrutin précédent, a été rejointe par l’approbation des urnes et la délibération démocratique, et cela d’autant plus fortement qu’elles l’emportent sur le candidat qui contestait la décision de justice.

Pour autant, peut-on considérer que cette victoire contre le « populiste » marque le dépassement du « dilemme libéral » ? Non. La Roumanie se trouve dans un « moment schmittien », une phase flottante de sa démocratie, dans laquelle les deux camps se regardent comme seuls légitimes. Chaque élection devient un référendum contre le camp d’en-face, dans une lutte agonale, un affrontement intense et possiblement dangereux, dans laquelle la question des moyens employés pour faire barrage à l’ennemi se posera de nouveau. Cette élection ne marque nullement la fin du souverainisme roumain : l’ombre de Georgescu continuera de planer, tandis que George Simion est à la tête de la première force d’opposition au parlement.

Si le « populisme » a subi une défaite dimanche soir, il reviendra, et plus puissamment qu’aujourd’hui, si le camp « libéral » ne sait pas recoudre les deux légitimités séparées.

Il n’est que la première honte qui coûte…

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De gauche à droite : Louis Boyard, Danièle Obono, Mathilde Panot, Manuel Bompard, Nadège Abomangoli, Clémence Guette, Eric Coquerel et Aurélie Trouvé. Rassemblement place de la République pour protester contre le meeting de Marine Le Pen place Vauban, le dimanche 6 avril 2025 © LEO VIGNAL/SIPA

Le 6 mai, 28 députés LFI ont voté contre une résolution demandant la libération de Boualem Sansal


Il est des situations politiques qui se répètent. Pour les repérer, il faut ajuster la focale de sa lunette de vue afin de percevoir la longue durée rappelle l’anthropologue. Le contraire du « nez dans le guidon » du chroniqueur de la radio « de service public ».

Regard en arrière : Il arrive que des trajectoires de deux météores se croisent. Ce fut le cas de la rencontre de Victor Serge – alias Victor Lvovitch Kibaltchiche – et de Paul Vaillant-Couturier. C’est en 1929 que ces deux hommes politiques et écrivains se sont rencontrés. Vaillant-Couturier était rédacteur en chef de l’Humanité depuis 1926 avant d’être « viré » en 1929. Il était entré au Comité Central du Parti Communiste en 1920 et il sera limogé en 1922, puis retour en 1924…. Victor Serge, révolutionnaire de la première heure est, lui, exclu du Parti Communiste d’URSS en 1928. Arrêté en 1933 par le Guépéou et gardé prisonnier jusqu’an 1936. Les deux hommes étaient « amis »[1].

Si des intellectuels de l’époque s’élevèrent devant l’arrestation de Victor Serge, on ne trouve pas la signature de son « ami » Vaillant au bas de l’appel des écrivains pour sa libération publié en 1933 dans la revue La critique sociale, pas plus qu’au bas de la lettre « L’appel aux hommes » publiée à l’initiative de Magdeleine Paz, ni dans l’appel publié en 1931 à l’initiative d’André Breton et portant notamment les signatures de Victor Margueritte, Charles Vildrac, Jean Guéhenno. Ils demandaient que Victor Serge, malade, puisse venir se faire soigner en France (comme n’importe quel dignitaire de la dictature algérienne peut le faire aujourd’hui dans nos hôpitaux du Service public). L’Humanité publia en 1933 un article condamnent Serge pour ses écrits, conformément aux directives de Moscou. Vaillant resta muet devant ce lâchage du PCF.

Victor Serge, un ami trahi

Serge écrit à ce propos : « Vaillant-Couturier signa le papier commandé à l’Humanité. À peu de jours de là, je le rencontrais à Moscou […] Nous étions amis depuis des années. Je repoussais la main qu’il me tendait. « Tu sais bien que tu viens de signer une infamie !». Sa grosse tête joufflue palissait et il bredouillait : « Viens ce soir, je t’expliquerais. J’ai reçu les renseignements officiels. Est-ce que je peux vérifier moi ? ». [.…]. Il eut plus volontiers risqué sa peau sur une barricade que sa carrière de tribun de cette façon-là. Or, il n’est que la première honte qui coûte »[2]. On dirait une déclaration d’Éric Coquerel ou de quelque autre commissaire politique de LFI devant le Parlement français un siècle plus tard.

Il n’est que la première honte qui coûte.

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Devant cette vilenie, comment ne pas penser à ces 28 parlementaires de L.F.I qui, le 6 mai 2025 ont voté contre une résolution du Parlement français demandant la libération de Boualem Sansal ? On ne peut certes pas demander à Mathilde Panot, à Louis Boyard, Manuel Bompard ou David Guiraud plus d’humanité que n’en avait eu l’extrême gauche un siècle auparavant à propos du sort d’un autre prisonnier… comment vous dites… Victor Serge ? Qui c’est ? … et Vaillant…. Vaillant comment… ? Quant aux députés communistes, leur témérité les a conduits à s’abstenir lors de ce vote demandant la libération de Boualem Sansal.

Ce n’était pas ici, hélas, la première honte.

Les justifications des députés LFI

La députée L.F.I de la Gironde Mathilde Feld a expliqué que ce vote courageux et empreint d’humanité de L.F.I contre le vœu de libération de l’écrivain algérien n’était en réalité qu’une « occasion pour la droite et l’extrême droite, etc… ». Elle rejoint les propos pleins d’humanité du député Bastien Lachaud, (futur « ministre végétarien » de la défense du futur président de la République Jean-Luc Mélenchon, parait-il…) qui dénonce en Boualem Sansal un individu « proche de l’extrême droite, xénophobe et islamophobe ». Traduire : « il a été invité à un salon du livre en Israël ». On ne peut pas demander à un aspirant futur ministre de la Défense du Lider maximo de lire les livres de l’écrivain que son parti veut maintenir en prison. Quelques jours après le vote des 28 contre la motion demandant la libération de l’écrivain algérien, Manon Aubry dans une diatribe à la saveur mélenchonienne pouvait déclarer sur Europe 1 : « Nous voulons la libération de Boualem Sansal »[3] !

Il n’y a que la première honte….

Quelle jubilation alors pour ces « 28 de la honte » que d’apprendre que le tribunal d’Oran lançait ce même jour un mandat d’arrêt international contre Kamel Daoud, qui, comme Boualem Sansal a le tort de déplaire à la dictature algérienne. On ne peut pas demander aux 28 de la honte de lire un Prix Goncourt, c’est déjà assez fatigant d’être député, si en plus il fallait lire des livres… !

Câlineries. Dans cet élan de léchage de bottes de la dictature algérienne, le 8 mai, la gauche déléguait des parlementaires à la cérémonie de commémoration en Algérie des répressions du 8 mai 1945. Cette visite était une façon d’honorer un pays qui venait d’expulser en avril 12 agents consulaires de l’ambassade d’Alger. Ces parlementaires de gauche ne voulaient sans doute pas laisser la prime de la honte au président de la République qui lui recevait à l’Élysée le « gentil jihadiste » Ahmad al-Chareh, président de la Syrie. La réception sous les ors de la république du « gentil jihadiste » fondateur et chef du groupe salafiste Al Nostra, rééquilibrait ainsi du côté de l’exécutif, la honte que les députés de La France Indigne avaient exhibé au Parlement français la veille en se désolidarisant de la demande de clémence à l’endroit de Boualem Sansal.

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« Un boucher islamiste souille l’Élysée » déclarait Éric Ciotti devant le serrage de main du président français venu accueillir au bas des marches du perron de l’Élysée le responsable d’une organisation experte en formation d’auteurs d’attentats suicides, qui s’était réjouie des attentats du Bataclan et de l’Hyper Cacher.

Une gauche en déroute et en ignominie

Il devient de plus en plus difficile dans ce pays d’être de gauche pense le boomer nostalgique d’un autre temps. Si l’antisémitisme d’une extrême gauche auxquels les insoumis nous ont habitué ne laissait guère de doute sur son potentiel d’humanité, sa « bienveillance » pour la dictature algérienne marquait un progrès dans l’ignominie. Une ignominie qui culmine dans l’exfiltration par cette extrême gauche de députés, écrivains, intellectuels juifs qui se risquent à vouloir participer à des rassemblements… de gauche !

Les rictus de haine des cadres de LFI et de leur gourou admirateur de Robespierre couronnent magnifiquement ces parcours de la Honte.

Beaucoup de déçus devant cette dégringolade en indignité de la gauche française expriment leur désarroi aujourd’hui par la formulation suivante : « Je ne suis plus de gauche… parce que je suis de gauche ». Devant ces mots, je pense au roman de Victor Serge Les Derniers temps où l’auteur résume ainsi le sort fait aux victimes de la dérive stalinienne : à la question » êtes-vous communiste ? » son héros répond : « selon le manifeste de Karl Marx assurément, c’est précisément pourquoi j’ai été exclu du Parti Communiste ».[4]


[1] – Jean-Paul Loubes, Paul Vaillant-Couturier. Essai sur un écrivain qui s’est empêché de l’être, Ed.du Sextant, 2013.

[2] – Victor Serge, Mémoires d’un révolutionnaire. Seuil, 1957, p 218.

[3] – Europe 1, Émission Le Grand rendez-vous, le 11/05/25.

[4] – Victor Serge, Les derniers temps, Grasset, 1998, p 185


Paul Vaillant-Couturier

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Le paganisme expliqué à ceux qui pensent qu’il est mort

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L'écrivain et critique littéraire belge Christopher Gérard. DR.

Et si le paganisme n’avait jamais vraiment disparu ? Sous les ruines de la modernité, un vieux fonds continue de vibrer – discret, mais tenace. À rebours des néo-druidismes de pacotille et des rêveries New Age, La Source pérenne de Christopher Gérard explore ce qui subsiste d’une sagesse cosmique, sans nostalgie ni folklore.


Que reste-t-il du paganisme dans un monde qui n’a d’yeux que pour les oracles de la Silicon Valley et leurs promesses d’immortalité ? Un vieux songe que cultivent une poignée de latinistes ? Une chimère éteinte avec la dépouille de l’empereur Julien, au IVe siècle ? Peut-être ? Mais on aurait tort d’en être aussi sûr. Pour s’en convaincre, il suffit d’ouvrir La Source pérenne. Loin du développement personnel et des kits clé en main pour « devenir soi-même en 21 jours », le paganisme de Christopher Gérard est d’abord, est avant tout une vision du monde, une manière d’habiter le réel. Mieux : une manière d’y survivre – plus encore quand le réel s’est assombri.

Retour aux Grecs

Voilà plus de vingt ans que l’auteur creuse ce sillon, à contre-courant des modes. La Source pérenne, publié une première fois en 2000 sous le titre Parcours païen, reparaît aujourd’hui dans une version revue, augmentée et enrichie, qu’il compare aux Rêveries d’un païen mystique de Louis Ménard, condisciple et ami de Baudelaire. Longtemps introuvable, le voici ressuscité par La Nouvelle Librairie, dans une édition mise à jour qui égrène une vingtaine de textes formant selon l’auteur une « fresque du paysage mental d’un païen contemporain ». Un livre tissé de méditations, d’hommages, de mélanges, qui tous concourent à un même dessein : témoigner de la permanence des dieux dans la conscience d’un Européen au XXIe siècle.

Archéologue au sens fort du terme, Christopher Gérard n’a jamais cessé de fouiller les couches sédimentaires de cette mémoire collective. On le suit enfant, dans les Ardennes belges, déterrant des ossements mérovingiens dans un tête à tête avec les morts. On le voit adolescent, fasciné par les symboles et les mythes. On l’accompagne adulte dans la fidélité aux maîtres qu’il s’est choisi : Nietzsche, l’initiateur, Alain Daniélou, l’éveilleur, Ernst Jünger, le modèle, Georges Dumézil et Walter Friedrich Otto, les guides érudits. Fidèle à son dieu tutélaire, Apollon, dieu de la lumière et de la mesure ; fidèle à Homère, l’éducateur de la Grèce, premier des voyants, tout aveugle qu’il fût. Pas d’Europe sans ce retour aux Grecs, insiste l’auteur, qui rappelle combien toutes nos renaissances, de la Renaissance italienne au romantisme allemand, ont toujours puisé dans cette longue mémoire.

Pas une pose

Vu par Christopher Gérard, le paganisme n’a rien d’une pose esthétique. C’est une fidélité et une discipline de vie. Il ne s’agit pas d’invoquer Wotan ou Lug sous les néons de nos villes bétonnées qui ne connaissent plus la splendeur nocturne des ciels étoilés, mais de retrouver, à hauteur d’homme, l’ordre du cosmos au gré des cycles et des rythmes naturels. Le païen est un veilleur de l’immanence. Il marche dans les pas d’Héraclite, qui voyait le monde comme un feu toujours vivant. Pour autant, il ne se réfugie pas dans quelque abstraction présocratique ou quelque utopie consolatrice, il l’habite, ce monde, de plain-pied, traquant ce qui subsiste sous les ruines de la modernité.

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Car tout n’a pas été effacé. Sous les voûtes désertées des églises d’un monde en voie de déchristianisation, derrière des rituels républicains vides de sens, sous l’empire tentaculaire de la marchandisation, le vieux fonds païen continue de battre. Il affleure dans les fêtes de solstice, les cultes des fontaines et des saints, dans les processions rurales et les rites populaires que l’on croyait disparus et qui ressurgissent ici ou là, à rebours des consignes de Vatican II, qui a voulu éradiquer ce monde. Ce fonds-là, le dominicain Serge Bonnet, dans sa Défense du catholicisme populaire (2015), l’appelait le « catholicisme festif » : un christianisme de chair et de terre, longtemps nourri des racines païennes de l’Europe, que l’Église, plus habile et moins puritaine qu’on ne le croit, avait su intégrer, jusqu’à ce qu’un certain esprit de réforme, au XXe siècle, s’acharne à l’extirper au nom d’une pureté théologique sans peuple et sans mémoire.

Pas la revanche des magiciens sur le crépuscule de Dieu 

Dans Dieu, un itinéraire (2001), Régis Debray se demandait si, à voir le succès des littératures ésotériques et des horoscopes de gare, on n’assistait pas à « la revanche des magiciens sur le crépuscule de Dieu », comme si, délivrés des dogmes et des Églises, nos contemporains allaient chercher dans les brumes du paranormal ce que le transcendantal n’était plus capable de leur offrir. On doute que Christopher Gérard se reconnaisse dans ce tableau. Rien cependant, dans La Source pérenne, qui ne relève de cet engouement pour le toc et le kitch.

Au contraire. Tout ici procède d’une quête de sens, d’une forme de résistance intérieure à l’effondrement de notre civilisation. Ainsi conçu, le païen n’est pas un songe-creux. S’il poursuit un songe, c’est celui d’Empédocle – pour reprendre le titre d’un roman de Christopher Gérard –, un songe lucide, enraciné. Il rejette les idoles modernes : le progrès amnésique, l’individualisme grégaire, la technique dévorante, la consommation sans objet. Il se dresse contre le nihilisme du « dernier homme » qui ramène tout à l’aune de son néant. Comme Nietzsche, il dit oui – au monde, à la beauté fragile, à l’ordre serein, à la sage mesure, aux hiérarchies pacificatrices. Il n’évacue pas le tragique, il l’assume. Son livre est celui de la nature ; il n’attend rien d’autre que ce qui est déjà là ; il n’espère rien de plus que le retour de ce qui vient. Il sait que tout est cycle : naissance, croissance, décrépitude, mort, renaissance. Rien ne commence vraiment, rien ne finit tout à fait.

Voilà ce que nous dit Christopher Gérard. Ce qu’il propose, c’est une « métanoïa », un terme cher à la théologie orthodoxe, c’est-à-dire une conversion du regard, une révolution intérieure. Revenir au paganisme, ce n’est pas revenir en arrière, c’est apprendre à voir le monde autrement. C’est se replacer dans l’ordre du monde en renouant avec la gratitude et la piété. C’est rompre avec l’oubli de l’être.

Nul prêche ici. L’auteur trace un chemin pour qui veut l’emprunter. Son livre est une source vive – pérenne – où chacun peut puiser. Il en émane une ferveur tranquille, une érudition sans pédanterie, une langue claire comme la ligne du même nom. On y entend la présence discrète de maîtres qui ne se donnent pas en modèle, mais en compagnon de route. On le referme avec une certitude : le paganisme, quand il est vécu et appréhendé ainsi, n’a rien d’une contrefaçon des anciens cultes. C’est un art de vivre et de mourir, réservé sans doute au petit nombre, ces « happy few », que Christopher Gérard n’a cessé d’appeler, livre après livre – des initiés. Un monde à (re)découvrir, sans crispation ni fanatisme, dans une théophanie discrète qui n’exclut pas les monothéismes, mais qui ne cherche pas non plus à se faire religion universelle. Nul ne l’a dit mieux que Montherlant lui-même, cité par l’auteur, avec des accents nervaliens : « J’incline volontiers à respecter Jésus-Christ, sans croire en lui, mais que le soleil se lève, que retentisse une musique entraînante, me voici païen, qui me reprends au monde. »

266 pages

Bruno Retailleau: d’une présidence à une autre?

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Emmanuel Macron serre la main de Bruno Retailleau lors d'une visite à l'État-major interministériel de lutte contre la criminalité organisée (EMCO), à Nanterre le 14 main 2025 © Christian Liewig-POOL/SIPA

L’élection de Bruno Retailleau à la présidence des Républicains symbolise l’espoir d’un retour au pouvoir d’une droite authentique – claire dans ses positions, lucide sur le séparatisme islamique, forte dans ses actes et fidèle à ses convictions. Dans un texte à la fois personnel et politique, notre chroniqueur Philippe Bilger salue ce choix des militants tout en réaffirmant sa position singulière: proche des siens, mais farouchement libre


La victoire de Bruno Retailleau a été éclatante et pour une fois que la réalité n’a pas déjoué mes pronostics, on me pardonnera de rappeler à ceux qui me font l’honneur de lire ou commenter mes billets mon article du 15 mai : « Bruno Retailleau : le jour J pour le futur de la droite… ». À vrai dire, il était difficile d’imaginer un tel écart entre les deux candidats. Quelle fierté pour ce peuple de droite qui a su faire si nettement le bon choix. Avec un vainqueur et un vaincu qui ont dominé, pour le premier, son triomphe et pour le second, sa déception.

À l’écart, mais pas indifférent

Ce n’est pas un hasard si ce sujet m’est venu en tête. D’abord, l’interrogation lancinante sur l’utilité d’être dedans ou dehors n’a jamais cessé au cours de ma vie intellectuelle, judiciaire, médiatique et politique (en tout cas civique). Et, pour les Républicains plus précisément, je me suis constamment questionné : de quelle manière mon influence, aussi modeste soit-elle, pourrait-elle être la plus efficace ? En étant dehors ou dedans ?

À deux reprises – bien avant sa victoire – j’ai consulté sur ce point Bruno Retailleau dont l’avis m’importe. Son conseil, se fondant surtout sur mon caractère, a été de m’inciter à demeurer là où j’étais, tout proche mais sans adhésion officielle à ce parti. C’est ma position actuelle. Mais j’avoue parfois ressentir une sorte de frustration quand je vois de loin ces rassemblements et ces enthousiasmes, comme le 18 mai au soir au Café Concorde et qu’ils me signifient que ma seule ressource est d’y participer du cœur et de l’esprit.

Je sais aussi que si j’avais été dans ce parti où j’ai des amis et quelques proches de qualité, par exemple, outre Bruno Retailleau, David Lisnard, Philippe Juvin, Jean-François Copé, François-Xavier Bellamy, Xavier Bertrand (y est-il d’ailleurs ?), je n’aurais pas manqué d’intervenir et qu’à force j’aurais succombé à cette pente d’éprouver du malaise même dans l’univers qui à l’origine avait ma dilection.

L’impossible discipline de l’esprit libre

Avec cette conséquence que cette magnifique pensée de Balzac – « Je suis de l’opposition qui s’appelle la vie » – qui est au coeur de mon être depuis toujours, m’aurait poussé aux pires extrémités de la sincérité en répudiant cette solidarité qui est à la fois la plaie et la force des partis.

Je suis persuadé que, si j’avais surmonté ma répugnance à l’égard du militantisme, du collectif et de l’obéissance obligatoire, je n’aurais sans doute jamais rué dans les brancards face à ce que le nouveau président de LR va mettre en œuvre, en privilégiant la consultation des adhérents. L’intégralité de ses projets et de son plan d’action me convient et probablement me serais-je tenu coi.

À lire aussi, Ivan Rioufol : Bruno Retailleau fera-t-il l’union des droites?

Mais, me connaissant, j’ai tendance tout de même à louer la sagesse de Bruno Retailleau à mon sujet. Il y a des expériences qui m’ont démontré que je suis incapable de la discipline intellectuelle, politique et médiatique que les responsables des mondes où je suis présent attendent de moi. Non pas, me semble-t-il, parce que je serais un irresponsable, un agité compulsif mais tout simplement, parce que plaçant au-dessus de tout ma propre liberté, je n’aurais jamais pris garde à sa rançon possible sur les univers concernés. Moi d’abord, mon épanouissement, mon envie de penser et d’exister, mon être illimité contre les contraintes même légitimes des structures. L’idée que mon « je » devrait se réduire parce qu’il engagerait dangereusement au-delà de soi me dérange.

Une droite qui peut enfin être fière

Aussi, faute de cette inconditionnalité qui rassure les chefs, comme dedans je suis trop vite en opposition, je vais rester tranquillement dehors.

J’éprouve une peur face aux jeux politiciens et aux choix ineptes des hiérarchies internes – qu’on ait par exemple pour le Sénat éliminé Pierre Charon au bénéfice de Francis Szpiner continue à me scandaliser – et cette crainte et mon éventuelle dénonciation peuvent s’exprimer de manière plus tranquille si je suis dehors. Je reste libre et ne crée ainsi aucune zizanie interne.

La droite n’a jamais été la plus bête du monde. Maintenant elle sera à la fois intelligente mais surtout fière et courageuse.

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Crépol: une cécité judiciaire

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Marche blanche en hommage à Thomas, Romans-sur-Isère, 22 novembre 2023 © MOURAD ALLILI/SIPA

Le livre-enquête sur la mort du jeune Thomas à Crépol, minimise le caractère raciste de l’attaque. Il révèle surtout qu’aux yeux de la Justice le racisme antiblanc n’existe pas.


C’est sans doute maître Alexandre Farelly, l’avocat de la famille du défunt, qui a trouvé les mots les plus justes pour exprimer le malaise que l’on ressent en lisant Une nuit en France, le livre-enquête consacré au meurtre du jeune Thomas à Crépol en novembre 2023. Quelques jours après la parution de l’ouvrage, son cabinet a diffusé un communiqué déplorant de « nombreux passages très gênants, qui tendent à banaliser le port d’armes, la violence meurtrière, l’omerta et la victimisation des mis en cause ».

Un livre sidérant

Il faut dire que l’ouvrage, signé par deux journalistes parisiens et une scénariste de polar, a une curieuse manière de raconter la nuit durant laquelle, il y a deux ans, dans une petite commune de la Drôme, une bande de jeunes de banlieue, munis de couteaux, a blessé grièvement plusieurs villageois sans défense, dont Thomas, poignardé à mort, mais aussi quatre autres habitants, parmi lesquels deux ont dû être transférés à l’hôpital en urgence absolue.

À en croire le récit, les torts dans cette histoire seraient plus partagés qu’on ne l’a dit dans la presse. Et les agresseurs, qui sont tous originaires d’une cité de Romans-sur-Isère à forte population immigrée, ne seraient pas de si mauvais bougres. D’ailleurs, à leur décharge, l’arme blanche qui a tué Thomas leur servirait en temps normal à « couper du cannabis »… On n’ose imaginer le scandale si un livre plaidait la cause de Dominique Pélicot en relevant que celui-ci s’est toujours servi d’un somnifère banal et inoffensif pour droguer sa femme et la violer.

À lire aussi : La France des clochers va-t-elle tonner ?

Reste que les auteurs ont l’honnêteté de ne pas faire l’impasse sur des propos, autrement accablants, que certaines personnes présentes le soir des violences rapportent avoir entendu dans la bouche des suspects : « On est là pour planter des Blancs. » Même si, sans surprise, l’hypothèse d’un homicide raciste antiblanc est présentée dans l’ouvrage comme un pur fantasme, qui ne ferait qu’alimenter l’« hystérie » médiatique et les polémiques « radioactives ».

L’amateurisme du parquet

Par conscience professionnelle toutefois, les auteurs ont interrogé le procureur chargé de l’enquête sur cet aspect du dossier. « Lorsque nous le rencontrons en décembre 2023, écrivent-ils, il concède qu’une poignée de témoins ont évoqué des insultes antiblancs, mais il cite une jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle cela ne peut pas constituer une circonstance aggravante de racisme. »

On se pince. Comment un magistrat peut-il s’imaginer que le racisme antiblanc ne serait pas reconnu par nos lois ? L’article 132-76 du Code pénal ne laisse pourtant aucune place au doute. Il prévoit bel et bien une aggravation des peines quand un délinquant ou un criminel a tenu des propos déshonorants sur sa victime à raison de l’appartenance de celle-ci à « une prétendue race ».

À lire aussi : Nouvelles réflexions sur le racisme antiblanc

Le mot « prétendue » a été rajouté par le législateur en 2017. Il permet d’éviter tout débat oiseux sur l’existence ou non d’une race blanche, et donc lève toute équivoque quant à la possibilité pour un juge de punir un cas de racisme antiblanc.

Dans l’affaire de Crépol, le procès n’a pas encore eu lieu. Le jour venu, les accusés seront-ils questionnés sur leur racisme présumé ? L’amateurisme du parquet prévaudra-t-il ? Réponse aux assises.

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Rodéos urbains, refus d’obtempérer: bienvenue dans la France «Orange mécanique»

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Image d'illustration.

Vendredi soir, en Meurthe-et-Moselle, près de Nancy, un gendarme de 24 ans a été volontairement percuté par le pilote d’une moto engagée dans un rodéo urbain. L’individu, déjà connu de la justice, a pris la fuite[1]. Pour Charles Rojzman, auteur de Les masques tombent (FYP Éditions), cette montée des violences contre les forces de l’ordre, particulièrement dans certains quartiers, traduit une rupture profonde entre une partie de la jeunesse et la République — une fracture nourrie par un discours victimaire, le rejet de l’autorité et un séparatisme culturel que l’État ne peut plus ignorer sans danger.


À Neuves-Maisons près de Nancy un gendarme a été grièvement blessé lors d’un refus d’obtempérer à l’occasion d’un rodéo automobile. L’homme, percuté volontairement par un chauffard de 20 ans qu’il tentait d’intercepter, est aujourd’hui hospitalisé. Il aurait pu mourir. Comme d’autres policiers ou gendarmes avant lui, victimes d’une violence qui ne cesse de croître et qui, loin d’être un phénomène marginal, traduit une dégradation continue de l’ordre républicain.

Ce fait n’est ni anecdotique, ni exceptionnel. Il s’inscrit dans une série d’actes devenus presque banals dans certains quartiers : refus d’obtempérer, rodéos sauvages, caillassages de commissariats, traquenards tendus aux pompiers. Un refus d’obtempérer est enregistré toutes les vingt minutes en France. Une fréquence terrifiante, révélatrice d’un rapport profondément conflictuel à l’autorité.

Un défi permanent

La plupart du temps, les auteurs sont des jeunes, parfois mineurs, souvent sans permis, au volant de véhicules volés. Ils roulent à tombeau ouvert, parfois sous l’emprise de drogues, et se sentent intouchables. Face à eux, des forces de l’ordre tenues par des protocoles stricts, accusées à la moindre intervention, et de plus en plus exposées à des risques mortels.

La blessure de ce gendarme ne fait pas les gros titres. Elle ne déclenche ni manifestations, ni indignation médiatique. Pourtant, elle dit tout d’un climat d’insécurité et de défi permanent dans lequel nos agents sont contraints d’opérer.

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Contrairement à ce que certains veulent faire croire, les policiers et les gendarmes n’ont que très rarement des comportements inadmissibles. Ils sont dans leur immense majorité des serviteurs de la loi, épuisés, exposés, et souvent démoralisés. Ils tiennent la digue, alors même qu’ils se sentent lâchés par leur hiérarchie, désavoués par les institutions, et traités en ennemis par une partie de la population.

Cette confrontation entre une jeunesse en rupture et les représentants de l’État ne date pas d’hier. Elle dure depuis plus de quarante ans. J’ai moi-même participé à la création de la police de proximité initiée par Jean-Pierre Chevènement. C’était un projet ambitieux, lucide, humain : rapprocher la police de ceux qu’elle protège, reconstruire une confiance. Ce projet a été brutalement arrêté sous Nicolas Sarkozy, dans un geste purement politique.

Un documentaire, À l’écoute de la police, réalisé par Bernard Mangiante, retrace cette expérience à travers des formations de formateurs de la police nationale que j’ai animées. On y voit les policiers exprimer leur désarroi, leur isolement, leur colère devant les contradictions d’une institution bureaucratisée. Et l’on voit, en face, des jeunes qui ne reconnaissent plus — ou pas — la légitimité de la République.

Les discours victimaires de la gauche compliquent la tâche des forces de l’ordre

La fracture est là : dans cette hostilité profonde, cette défiance transformée en haine, que nourrissent certains discours. Cette jeunesse — ou du moins une partie d’entre elle — se vit comme victime d’un système raciste, d’un État oppresseur. Elle ne voit plus les policiers comme des agents de protection, mais comme les soldats d’une armée d’occupation.

Ce climat est alimenté par un discours victimaire, complaisamment relayé par une partie de la gauche radicale et amplifié par les propagandes islamistes. On excuse tout. On justifie tout. On inverse les responsabilités. Le policier devient coupable, le délinquant devient victime.

Or, il faut dire les choses avec clarté : ces violences, ces refus d’obtempérer, ces rodéos ne sont pas de simples provocations. Ils sont les manifestations visibles d’un rejet profond de la France et de ses valeurs. Ce n’est pas tant l’autorité qu’on défie, c’est la nation qu’on combat.

Il ne s’agit pas de nier la réalité sociale, les ghettos, la précarité, les discriminations parfois vécues. Mais il faut aussi oser dire que cette situation est aggravée par des comportements collectifs, des logiques de clan, un repli identitaire assumé, et un refus d’intégration alimenté de l’intérieur. Ceux qui ont entretenu ce séparatisme culturel portent une lourde part de responsabilité : élus, intellectuels, associations, relais communautaristes. Tous ceux qui aujourd’hui feignent de découvrir ce qu’ils ont contribué à produire.

La République ne peut pas rester passive. Cette jeunesse — radicalisée, violente, revendicative — doit être confrontée à la justice. Elle ne peut bénéficier d’aucune indulgence systématique. Les discours d’excuse, d’absolution automatique, ne font qu’alimenter le désordre. La loi doit être appliquée avec fermeté, et sans trembler.

Car si nous ne faisons rien, si nous laissons se banaliser ces actes hostiles au pacte républicain, nous verrons se lever sur notre propre sol une armée d’enfants-soldats. Des jeunes embrigadés non pas au service d’un idéal, mais au service d’ambitions totalitaires, d’une haine apprise, entretenue, dirigée contre la France. Il est encore temps d’agir. Mais ce temps se réduit. Et l’aveuglement, l’inaction ou la lâcheté pourraient bientôt ne plus être des erreurs, mais des fautes historiques.


[1] C’est finalement dimanche en fin de matinée que le suspect s’est présenté de lui-même au commissariat de Nancy, où il a aussitôt été placé en garde à vue avant d’être incarcéré.

Qui c’est celui-là?

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Le rappeur Werenoi aux Francofolies de la Rochelle, 13 juillet 2024 © SADAKA EDMOND/SIPA

Nous avons appris la disparition du chanteur Werenoi, mort samedi à 31 ans. Le numéro 1 des ventes de disques en France était inconnu de tous les membres de notre rédaction – et même de notre cheffe Elisabeth Lévy dont le travail consiste pourtant à tout savoir. Nous vous proposons d’écouter la chronique radio de cette dernière.


Werenoi a été fauché en pleine jeunesse et en pleine gloire, nous dit Le Monde. Jérémy Bana Owona était numéro un des ventes en 2023 et 2024, 5ème artiste sur Deezer avec un milliard de streams, et ses clips cumulaient des millions de vues sur YouTube. Or, comme pratiquement tous mes amis consultés hier, même les jeunes (mais mes jeunes amis sont très vieux monde), je n’en avais jamais entendu parler.

Je le regrette. J’ai écouté quelques titres ; c’est assez beau et mélodique. Il raconte la France des banlieues, mais il ne critique jamais les forces de l’ordre, les juges ou la France. « Werenoi évite les sujets qui fâchent, religion, politique, conflit israélo-palestinien » m’apprend Léna Lutaud dans Le Figaro[1]. Quand tant d’autres se servent du rap pour maudire les kouffars de Charlie Hebdo ou la France, ça me le rend très sympathique.

Un triste symbole

Il était très discret, loin de l’image du rappeur bling-bling plus connu pour ses frasques et sorties crypto-islamistes que pour sa musique.

Ce qui me frappe, c’est qu’il était une star pour les uns, et pourtant inconnu pour des millions de Français. David Doucet se demande ainsi dans Le Point s’il n’est pas le symbole d’une France qui ne chante plus ensemble[2].

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Le fossé générationnel a toujours existé. Mes parents n’écoutaient pas les Stones. Mais, ils savaient que les Stones existaient. Il y avait une culture populaire commune, véhiculée par les mass medias. Tout le monde écoutait les mêmes radios. Ma mère et moi, on fredonnait les mêmes tubes. Et à l’école, les gosses avaient vu le même film.

La technologie a accompagné la fragmentation culturelle de nos sociétés. Comme le dit Michel Maffesoli, il y a des tribus virtuelles qui se croisent peu. Cela recoupe en partie nos fractures identitaires. Certes, le rap est devenu la musique jeune – de tous les jeunes. Il est aussi en quelque sorte le soft power des quartiers ; il popularise leur argot et leurs références. Mais il ne produit plus ces tubes entonnés de 7 à 77 ans lors des mariages.

Comme le sport, la musique ne rassemble plus. Elle ne rassemble même pas d’ailleurs toute la jeunesse immigrée. Depuis la mort de Werenoi, et c’est bien triste, des musulmans revendiqués insultent la radio Skyrock qui annonce un hommage au rappeur, menacent les fans qui postent des extraits et appellent les plates-formes à retirer ses morceaux parce que la musique, c’est « haram » et que ça l’empêche d’aller au Paradis… Ces propos ont été dénoncés par l’entourage qui précise que seuls les clips – que j’imagine plus osés – seront indisponibles pendant le deuil.

On dira que ce sont quelques hurluberlus. Ça commence toujours par quelques hurluberlus. Après le voile dans le sport, la prohibition de la musique sera peut-être la prochaine bataille du salafo-frérisme.


Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio


Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale


[1] https://www.lefigaro.fr/musique/le-rappeur-werenoi-plus-gros-vendeur-de-disques-en-france-est-mort-a-31-ans-20250517

[2] https://www.lepoint.fr/culture/werenoi-symbole-d-une-france-qui-ne-chante-plus-ensemble-18-05-2025-2589841_3.php

Eurovision, la douce revanche d’Israël

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La chanteuse Yuval Raphael à Bâle, Suisse © Jens Büttner/DPA/SIPA

Samedi, le public a massivement soutenu la chanteuse israélienne Yuval Raphael, rescapée du massacre du festival Nova. Notre contributeur veut voir dans ce vote le symbole d’une prise de conscience en Europe : face à l’islamisme radical perçu comme une menace contre les valeurs occidentales, les peuples se mobilisent là où des élites politiques de gauche ont failli.


Les Européens sont majoritairement nostalgiques de l’époque désormais révolue au cours de laquelle l’Eurovision sacrait des chanteurs aux ritournelles qui n’avaient d’autre prétention que d’apporter un peu de joie en plein milieu du mois du mai. Depuis quelques années, le concours est devenu une foire d’empoigne géopolitique en même temps que l’exposition de ce que l’idéologie LGBT a de plus outrancier. En la matière, Israël avait d’ailleurs été un des pionniers en faisant triompher Dana International, personnalité trans, à la fin des années quatre-vingt-dix.

12 points !

Samedi dernier, contrairement aux jurys dont on devine qu’ils étaient un peu partout composés des habituels donneurs de leçon, le public européen a largement plébiscité Israël, représenté cette fois-ci par une rescapée du pogrom du 7-Octobre. Si la chanson interprétée par Yuval Raphael fut l’une des plus émouvantes de la 69e édition du concours, expliquant en grande partie son succès, il ne fait guère de doute que d’autres facteurs expliquent l’enchaînement de « twelve points » attribués à Israël.

Et si la majorité silencieuse des Européens avait, en effet, également exprimé son exaspération de voir affichés partout le drapeau palestinien, l’antisémitisme drapé dans l’antisionisme, le soutien plus ou moins affirmé au Hamas par des personnalités de gauche et d’extrême gauche, les accusations de génocide répétées en boucle – comme si le fait de marteler érigeait une vérité -, les tags, les slogans et les stickers recouvrant les murs des bâtiments et les sièges des transports publics ? Et si les Français, les Belges, les Espagnols et tous les autres comprenaient inconsciemment que l’Etat hébreu était un avant-poste de l’Occident menacé par l’islamisme ? Je fais partie des Européens qui ont voté  Israël pour ces raisons-là, j’en connais même qui ont voté plusieurs fois. Et je tiens à rassurer tout le monde : je n’ai été manipulé par personne.

Les réactions courroucées de ceux qui ont transformé la bande de Gaza en cause ultime de leur engagement sont révélatrices de leur haine et de leur stratégie de manipulation. En France, Rima Hassan y est allée d’un « Money Money Money » que n’aurait pas renié Dieudonné ; en théoricien du complot, Aymeric Caron a quant à lui suspecté Israël d’avoir truqué le concours. En Espagne, le Premier ministre socialiste Pedro Sánchez a appelé à exclure Israël lors des prochaines éditions et la télévision publique a diffusé un message de soutien aux Palestiniens avant la retransmission de l’événement.

Enquête en Belgique

Comme souvent, c’est en Belgique que l’on déniche les réactions les plus extrêmes et farfelues. Vooruit, le parti socialiste flamand, a demandé une enquête, rien que ça, sur le vote du public à l’Eurovision. La VRT, radio-télévision publique flamande, qui l’année dernière avait brièvement interrompu le programme pour afficher un message de soutien à la Palestine, remet désormais en cause sa participation au concours qu’il juge… trop politisé – à noter, amis français, que c’est un jury issu de la même VRT qui n’a attribué aucun point à Louane. Dans un article digne d’Edouard Drumont, le média en ligne 7sur7 a donné la parole à Raf Van Bedts, pour qui « il ne faut pas sous-estimer le pouvoir de la communauté juive ». Et voilà comment l’utilisation du terme « lobby juif » est devenue acceptable.

Sans rentrer dans des considérations touchant à ce qui se joue actuellement au Proche-Orient, on devine qu’Israël, exerçant en musique son soft power, couvrant le bruit assourdissant des discours de haine d’une minorité issue de la gauche, tient depuis samedi une douce revanche. Et peut-être que, pour le pays, pour reprendre le titre de la chanson de Yuval Raphael,  un « nouveau jour se lèvera ».

Quelle hérésie de penser que le Saint-Esprit se mêle de basse politique terrestre…

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Le nouveau pape élu, Léon XIV, chapelle Sixtine au Vatican, le vendredi 9 mai 2025. © AP/SIPA

Le Pape, combien de divisions ?
Staline.

Un prophète n’est méprisé que dans son pays et dans sa propre maison.
Mt 13, 57.


Succède donc à Francesco l’Américano-péruvien Léon XIV, Robert Francis Prevost à la ville. Comme toujours, c’est le Saint-Esprit qui a guidé les cardinaux électeurs.

Vu que Sa Sainteté appartient à l’ordre de Saint-Augustin, il faut croire qu’il était prédestiné à devenir le vicaire du Christ.

De prime abord, son obédience augustinienne serait de nature à inquiéter car cet éminent docteur de l’Église professait une doctrine peu optimiste et même morbide sur le monde. Quelques exemples en vrac : les bébés morts sans baptême sont condamnés à l’enfer éternel; dans ses Confessions, il dit voir dans ses propres rapines alors qu’il était enfant des poires du voisin la preuve de la nature satanique du genre humain.

De surcroit, son enseignement scientifique est sujet à caution, notamment lorsqu’il explique que les anges volent en haute altitude car l’air y est plus volatil. Quant aux mouches, bien évidemment accueillies par Noé dans son arche, il avoue humblement ne pas comprendre les raisons de leur création.

Habile compromis

Mais que l’on se rassure : la Weltanschauung de Léon est empreinte de modernité.

Même la théorie des limbes, développée ultérieurement afin de faire contrepoids au rigorisme jugé quelque peu excessif de l’évêque d’Hippone (un modèle d’intégrité qui ne plaisantait pas avec le péché originel, on ne se refait pas), fut plus ou moins répudiée par Benoît XVI à titre de simple « hypothèse théologique » aux termes d’un rapport de 41 pages très méthodique et fouillé vu la gravité de la question. Et le bagage intellectuel de Léon est impressionnant : diplômé et enseignant en mathématiques et aussi en physique, ce qui implique des connaissances de pointe en aérodynamique.

La prédestination semble toujours d’actualité.

L’Esprit-Saint ne se manifeste pas seulement dans la Chapelle Sixtine lors des conclaves. Il donne un souffle à toutes les communications millimétrées du Saint-Siège, verbales et symboliques; la sémiotique n’a pas de mystères (dans tous les sens du terme) à la Curie romaine.

Par le nom qu’il a choisi, le pontife annonce emprunter les brisées de Léon XIII, connu pour sa doctrine sociale révolutionnaire pour l’époque, encore que l’on peut se demander s’il fait aussi sienne la conception de la Bible de son modèle : un livre ayant Dieu pour auteur direct, qui ne peut contenir aucune erreur, même concernant les faits scientifiques ou historiques. Et Léon XIV est apparu à la loggia portant une mozzetta rouge (veste), avec une étole brodée d’or et une croix pectorale dorée, sans doute un hommage au conservateur Benoît XVI. Un habile compromis entre la tradition et le modernisme affiché par François.

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Alors, qu’attendre du pontificat de Léon? On ne peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il remette en question les contes de fées constituent le socle de la foi catholique depuis deux millénaires, notamment l’historicité des récits évangéliques : la marche sur les eaux, la multiplication des pains, la résurrection; les guérisons miraculeuses de Lourdes, etc.

D’emblée il exprime son empathie à l’égard des démunis sur la planète, ce qui inclut les migrants. Un discours bien ciblé depuis François vu que la clientèle de l’Église catholique se trouve plutôt dans le tiers-monde, étant donné le déclin général de la pratique religieuse dans les pays plus riches où la population a accès à la pensée rationnelle par l’éducation.

Controverse avec le vice-président américain

Doit faire ses preuves en matière de répression des crimes sexuels des clercs et affidés. Quel est son propre bilan à titre d’évêque en la matière? A voir. Le canoniste, donc juriste qu’il est, renoncera-t-il à la stratégie de « procédurite » méthodiquement pratiquée par François pour combattre les réclamations des victimes devant les tribunaux? A suivre.

Quant aux homosexuels, aux femmes, aux transgenres, aux médecins avorteurs, aux divorcés (remariés ou non), etc., grand bien leur fasse s’il adopte une attitude « progressive », mais les intéressés et intéressées seraient bien avisés de ne pas attacher une trop grande importance à son adoubement.

Notons une récente controverse théologique entre le pape François et le vice-président américain J.D. Vance; ce dernier déclarait : « Vous aimez votre famille, puis votre voisin, puis votre communauté, puis vos concitoyens… Après, vous pouvez vous concentrer sur le reste du monde. ». Ce néo-catholique a fait son saint patron de saint Augustin (encore lui…), celui-là même qui a donné ses lettres de noblesse au concubinage en donnant le jour à Adéodat. JayDee invoque donc sa doctrine de l’« ordo amoris »(reprise par Saint-Thomas d’Aquin), à l’appui de la politique migratoire du président Trump. Pour sa part, François évoque une « fraternité ouverte à tous » et rétorque que l’amour chrétien n’est pas « une expansion concentrique d’intérêts s’étendant, petit à petit à d’autres personnes ou groupes ».

Et le cardinal Robert Prevost de formuler cette glose : « Jésus ne nous demande pas de hiérarchiser notre amour pour les autres », ce qui donne lieu à un âpre différend intra-augustinien, qui eût fait l’objet d’une captivante question quodlibétale au Moyen-Âge.

De quoi donner envie au président Trump d’exiger un recomptage du vote.

(N.B. Vu le monopole catholique de la vérité judicieusement rappelé par Benoît XVI, irrité par un climat de tolérance frôlant dangereusement le laxisme, le terme « autres » exclut les non-baptisés ; cependant, les 1,4 milliard membres du troupeau – un pourcentage impressionnant de l’humanité – sont sur un pied d’égalité).

Sa Majesté orange et JayDee ont beau dénigrer aujourd’hui les universités « élitistes », ce dernier, juriste diplômé de Yale, cède à la tentation (qui ne sera pas la dernière) de citer des textes en les sollicitant. L’on peut lui conseiller, s’il persiste à défendre la justesse de la politique présidentielle en matière d’immigration, de se rabattre de préférence sur d’autres sources (scripturales ou autres) plus pertinentes.

(Incidemment, le péquenaud autoproclamé – « hillbilly » en v.o. – Vance s’inspire manifestement d’une autre personnalité chrétienne, plus contemporaine, le Français Jean-Marie Le Pen : « Je préfère mes filles à mes nièces, mes nièces à mes cousines, mes cousines à mes voisines, mes voisines à des inconnus et des inconnus à mes ennemis »).

Des esprits forts veulent voir des visées politiques dans le choix d’un Américano-péruvien, polyglotte, aux racines françaises, italiennes, espagnoles et créoles, qui font de lui un creuset (ou « melting pot » en v.o.) bien américain à lui tout seul qui ne peut que répugner à Donald Trump; d’aucuns osent même dresser un parallèle avec Jean-Paul II, originaire d’une (quasi) colonie soviétique, qui aurait été choisi dans le but précis de combattre la tyrannie communiste.

Quelle hérésie de penser que le Saint-Esprit se mêle de basse politique terrestre. Seule compte l’augustinienne cité de Dieu (Civitas Dei, en v.o.).

Comme en témoigne la mère de Dieu, pleine de grâce, les voies du Seigneur sont impénétrables.

Québec, du mythe au cauchemar : enquête sur le multiculturalisme canadien

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Justin Trudeau, leader des libéraux canadiens, saluant la foule avec enthousiasme lors de la Pride Parade de Toronto, 28 juin 2015 © Chris Young/The Canadian Press via AP/SIPA

Justin Trudeau est fier d’avoir fait du Canada le « premier État postnational ». Il a laissé une immigration massive venue des quatre coins du monde imposer ses exigences culturelles et importer des conflits étrangers. Un bouleversement profond qui vient s’ajouter à la division historique du pays. Reportage


Comment peut-on être québécois ? Interrogé par le New York Times il y a tout juste dix ans, le Premier ministre Justin Trudeau désignait le Canada comme le « premier État postnational ». Une décennie plus tard, le modèle multiculturaliste tant loué par les élites libérales occidentales a volontairement précipité l’effacement des cultures de ses peuples fondateurs et a entraîné une fragmentation politico-identitaire inédite dans l’histoire contemporaine.

Soumise au nom d’une utopie politique à un multiculturalisme d’État qui promeut sans relâche l’implantation de nouveaux peuples sur son territoire, la nation québécoise peine à défendre sa singularité. Comment vit-on lorsque son existence est défiée en permanence par une idéologie officielle ?

Une nation aéroport

Si dans les rêves de Jacques Attali, les pays sont des hôtels, le Canada est un aéroport. Un lieu aussi anonyme que la construction multinationale de ce pays. Sa similitude apparente avec les États-Unis fait du Canada une nation difficile à appréhender. Fondamentalement, le Canada et les États-Unis sont toutes deux des nations « contractualistes », sauf qu’aux États-Unis le contrat s’adresse au peuple américain, lorsqu’au Canada, il s’adresse à l’élite laurentienne.

La culture canadienne n’existe que dans ses institutions d’élite (les sociétés d’État, la Société Radio-Canada, le système parlementaire, les universités) où une élite bilingue règne en veillant à maintenir coûte que coûte le Québec dans l’ensemble canadien. Entre loyalistes fidèles à la Couronne britannique et descendants des fondateurs de la Nouvelle-France, la défiance mutuelle est profonde et il n’est pas rare, en échangeant avec des Québécois, de les entendre affirmer que leur dilution est au cœur d’un projet d’inféodation.

À bord du vol Paris-Montréal, un homme soupire : « Le Canada fait exprès de laisser entrer au Québec une vague d’immigrants qui ne parlent pas français, dans le but de noyer la nation québécoise sous le poids du nombre. Les universités McGill et Concordia, anglophones, jouent un rôle important dans cette anglicisation de la région métropolitaine de Montréal. » Philippe, animateur dans une radio québécoise, établit, à l’instar de la plupart des Québécois, une différence fondamentale entre Québec et Canada, comme s’il s’agissait d’entités étrangères.

Première image du Canada : l’aéroport Pierre-Elliot Trudeau. Du nom du père de Justin Trudeau. Chantre du premier multiculturalisme canadien, il l’impose comme politique officielle du gouvernement fédéral, avant d’en inscrire le principe dans la Constitution en 1981. Une déclaration de « non-identité » qui, poursuivant une utopie libérale, aspire à dépasser son histoire coloniale. Seulement, l’argument multiculturaliste revêt une autre fonction. La constitutionnalisation permet en réalité de maîtriser les velléités indépendantistes du Québec et d’acculturer les Canadiens français à l’identité anglo-saxonne des autres provinces.

Le projet « postnational » de Justin Trudeau marque quant à lui la seconde naissance du Canada. Le fils de Pierre-Elliot assumera ouvertement un projet multiculturaliste globalisé et sous sa houlette, le Canada ouvrira ses frontières aux peuples du monde entier en se posant comme modèle de dépassement des États-nations.

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Nouveaux peuples, nouvelles mœurs

Arrivée à Montréal. Larges avenues, malls à l’américaine et centres d’affaires city composés de blocs de béton ou de verre, le tout agrémenté de quartiers résidentiels aux maisons victoriennes. Ici, les quartiers sont autant de petites nations où l’importation de toute nouvelle culture étrangère relègue automatiquement le décor historique au second plan. Chinatown, Petit Maghreb, Petit Portugal, Petite Italie, quant au Plateau, il exhale l’odeur des baguettes françaises. Hormis Parc-Extension, quartier cosmopolite à forte criminalité où pullulent restaurants indiens, libano-syriens, et où femmes en niqab côtoient sikhs à turbans, le melting-pot ne se mélange pas.

Lorsque l’on aborde avec un Montréalais canadien français la question du vivre-ensemble au Québec, il est fréquent que, gêné par ces mœurs nouvelles importées et tolérées par l’idéologie canadienne, il fasse part d’une sorte de malaise. Installé au comptoir d’un bar irlandais, Maxime, étudiant à l’UQAM, soupire : « Je ne compte plus mes connaissances et amies femmes qui me racontent qu’elles subissent du harcèlement dans la rue et les transports publics à Montréal, et ce, toujours en provenance de groupes extra-européens. Mais par crainte de se faire accuser de racisme, elles ne le diront jamais publiquement. »

Si les quartiers de Montréal se communautarisent, les différentes nationalités sont pourtant forcées de se côtoyer dans les espaces publics. Alors le vivre-ensemble s’applique, qu’importe si les coutumes importées choquent les sociétés d’accueil. Au pays où remettre en question le modèle migratoire a longtemps été considérée comme une faute morale, au point que très peu de politiques osaient s’y aventurer, l’augmentation récente des conflits liés au multiculturalisme a permis de reconsidérer les vertus d’une immigration massive ouverte aux quatre vents.

Nombre de Montréalais ont découvert les périls de l’entrisme islamique au travers de l’affaire Bedford, établissement public tombé sous la tutelle d’une communauté musulmane de quartier. Au programme : mauvais traitements, recours à de vieux manuels d’enseignement maghrébins datant des années 1970, ablutions, prières en classe et discrimination des femmes. Révélé il y a tout juste six mois, le scandale a eu le mérite d’obliger le gouvernement à ouvrir d’autres enquêtes, et d’apprendre aux Québécois que leur province comptait 17 autres cas similaires.

« Toutes les sociétés aujourd’hui risquent de voir des concepts religieux islamistes entrer dans nos écoles », a commenté le Premier ministre québécois François Legault.

Il y a six ans, coincé entre le marteau du modèle français et l’enclume du multiculturalisme canadien, le Québec a adopté une loi sur la laïcité. Cette loi, qui n’a cessé d’être contestée par les tribunaux fédéraux canadiens, est un bouclier bien trop fragile pour s’imposer aux masses musulmanes et supporter les coups de boutoir d’un gouvernement fédéral qui a nommé une femme voilée « représentante de la lutte contre l’islamophobie » avec un budget de 5,6 millions de dollars.

Manifestation en soutien au peuple palestinien à Toronto, 5 octobre 2024, à quelques jours du premier anniversaire de l’attaque du Hamas et de la réponse militaire d’Israël. Des manifestations similaires ont eu lieu à Montréal, où des scènes de violence ont été observées, avec des symboles du Hamas et des slogans anticanadiens © Arlyn McAdorey/The Canadian Press via AP/SIPA

Du multiculturalisme au multiconflictualisme

Parmi les conséquences du multiculturalisme d’État sur les sociétés d’accueil canadiennes, l’exemple le plus remarquable est assurément le « white flight » – littéralement la « fuite des Blancs ». Difficile de connaître l’ampleur exacte du phénomène, mais de nombreux habitants de Québec sont venus de villes dont ils ne reconnaissaient plus le visage. Certains évoquent un changement de peuple et des mœurs trop arriérées, d’autres des conflits directement liés au multiculturalisme.

« Je détestais vivre à Brampton. J’avais l’impression de ne pas vivre du tout au Canada, je me sentais plus comme en Inde. Chaque fois que je me rendais au travail, tout ce que je voyais dans les rues, c’étaient des femmes en robe de chambre et des hommes en pyjama et en turban ! » Olga, citoyenne d’origine ukrainienne, résidait depuis plus de cinquante ans à Brampton, ville-banlieue de Toronto. Établie aujourd’hui à Québec, elle se remémore son arrivée à Brampton dans les années 1970. À cette époque, la ville comptait environ 50 000 habitants. Ils sont presque 800 000 aujourd’hui. « Où est le multiculturalisme dans ce pays ? C’est comme si les grandes villes étaient divisées en petits pays ! »

Brampton est l’exemple archétypal de la révolution démographique du Canada. Sa population, d’abord majoritairement composée d’individus d’origine britannique, a vu se greffer d’autres populations d’origines européennes, puis asiatiques. Aujourd’hui, la majorité des habitants sont d’origine bangladaise, indienne et pakistanaise. Surnommée « Browntown » ou encore « Singh City » par certains, son taux d’habitants aux origines extra-européennes dépasse les 80 %.

Force est de constater que, dans la plupart des grandes villes canadiennes, les Blancs sont une denrée de plus en plus rare. Les statistiques révèlent qu’à Vancouver et Toronto la population blanche est déjà minoritaire. Quant à la ville de Montréal, elle affiche une population d’origine extra-européenne de l’ordre de 38,8 %.

En se définissant politiquement comme la première « nation antinationale », le Canada moderne s’est bâti sur une identité composite, hétérogène, ajoutant des divisions culturelles aux divisions fédérales et surimposant des conflits étrangers à ses propres tensions historiques.

« Le plus frappant pour moi ? Les engueulades entre juifs et musulmans en face de mon école. C’est un quartier peuplé de juifs orthodoxes où une mosquée s’est établie récemment, raconte Eric, consterné. Au cours des quelques mois où j’y ai étudié, j’ai plusieurs fois vu des musulmans criant des insultes aux juifs. Une fois, j’ai vu un musulman s’en prendre physiquement à un juif et lui cracher dessus. » Ex-étudiant à Montréal, il a quitté le quartier branché de Mile End pour la ville de Québec. Pour autant, poursuit-il, « Québec n’est pas à l’abri des désagréments liés au multiculturalisme ».

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Les vagues migratoires les plus importantes au Canada ont été en grande partie composées d’identitaires vaincus : émigrés royalistes français, Russes blancs, Polonais apatrides, anciens combattants SS ukrainiens, Taïwanais associés au KMT dans les années 1960 et 1970, Libanais maronites dans les années 1970 et 1980, émigrés britanniques de Hong Kong dans les années 1990, séparatistes sikhs, Kurdes syriens, Palestiniens, etc. Le Canada a toujours été le pays où les causes perdues trouvaient une seconde vie. De sorte qu’à son paroxysme, le multiculturalisme canadien permet à tous les revanchards de la planète de poursuivre leurs conflits dans la Belle Province.

Peter, professeur franco-britannique à l’Université de Montréal, reste scandalisé par la succession d’émeutes survenues à la fin de l’année 2024. « J’ai vu beaucoup de manifestations pro-Hamas à Montréal. J’ai vu un homme masqué porter une fausse ceinture d’explosifs, ainsi qu’une bande de jeunes fillettes complètement voilées portant le bandeau vert du Hamas. J’ai vu le drapeau du Canada flamber au cri de ‘‘Death to Canada’’. Dans le même temps, une foule saccageait l’Université Mc Gill pour célébrer le ‘‘premier anniversaire du pire massacre de juifs depuis l’Holocauste’’. »

Aujourd’hui, ce qui « brasse dans la cabane’’, c’est Donald Trump. Depuis que ce dernier a décrété une hausse des tarifs douaniers touchant l’ensemble des produits canadiens, politiques, journalistes et citoyens n’en ont plus que pour les saillies du président américain. Jusqu’à sa proposition d’annexer les États fédérés du Canada, qui fait trembler les commentateurs québécois.

Reste à savoir comment le Québec, fragilisé à l’extrême par le modèle multiculturaliste fédéral, pourrait faire front avec le reste du Canada face à l’expansionnisme du président américain. L’emprise de l’élite laurentienne sur le pays pourrait être brisée à tout moment, et l’existence politique du Canada et du Québec en son sein n’a jamais été aussi compromise.

Il n’y a pas 40 millions de Canadiens au Canada. Il y a 25 millions de Canadiens anglophones et francophones à l’identité nationale en voie d’effacement et 2,5 millions de Canadiens sud-asiatiques, 1,7 million de Canadiens chinois, 1,5 million de Canadiens africains… aux identités nationales fortes ou conquérantes. De sorte qu’on peut se demander si le Canada existera demain.

Victoire de Nicusor Dan en Roumanie: la victoire du camp libéral… mais pour combien de temps?

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Nicusor Dan, maire de Bucarest et candidat indépendant, s'exprime après le premier sondage de sortie des urnes du second tour de l'élection présidentielle roumaine à Bucarest, en Roumanie, le 18 mai 2025 © CHINE NOUVELLE/SIPA

En remportant l’élection présidentielle roumaine face au souverainiste George Simion, Nicusor Dan met un coup d’arrêt à la poussée populiste. Mais le plus dur commence : le nouveau président devra s’attaquer à la fracture profonde entre légitimité des urnes et autorité judiciaire, faute de quoi le clivage qui divise le pays continuera de s’envenimer.


L’Europe se réveille avec les résultats officiels de l’élection présidentielle roumaine : Nicusor Dan, candidat libéral indépendant, l’emporte face au souverainiste George Simion à 53,6 % contre 46,4 %. Cette élection tendue, scrutée par tous les observateurs européens, a enfin pu être menée à son terme ce dimanche 18 mai. Après l’annulation des résultats d’un premier scrutin en décembre 2024 par la Cour constitutionnelle du pays, les enjeux étaient très élevés pour les libéraux et les souverainistes.

Clivage durable

Nicusor Dan, maire de Bucarest avant de se présenter à la présidentielle, s’était fait connaître pour son combat contre la corruption, sujet sensible dans le pays. Il avait été, dès décembre 2024, un partisan de la fermeté face à Călin Georgescu, accusé de fraudes et de liens avec des acteurs étrangers au cours de l’élection – les liens avec la Russie n’ont pas formellement été prouvés par la justice.

Nicusor Dan s’était qualifié pour le second tour en devançant de moins d’un point le candidat de la coalition gouvernementale – qui va du parti social-démocrate aux autonomistes hongrois – dans un duel visant à choisir le champion du camp « libéral », contre les « populistes ». Face à la percée inattendue de Călin Georgescu en novembre 2024, un clivage durable s’est installé en Roumanie entre les partisans de l’Union européenne et d’un alignement sur l’OTAN tourné résolument contre la Russie, et les souverainistes, au style « populiste », qui souhaitent prendre leurs distances avec l’UE et négocier leur soutien à l’Ukraine.

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L’intérêt de cette élection réside pour nous autres Européens dans le fait que la Roumanie soit devenue depuis décembre dernier une sorte de laboratoire, de terrain d’observation de la réaction « libérale » face au « populisme ». S’y pose de manière claire et nette ce que l’on peut appeler le « dilemme libéral », c’est-à-dire la confrontation entre deux légitimités : l’une judiciaire, l’autre populaire. 

Face à la montée de meneurs souverainistes, « populistes », affichant des convictions conservatrices favorables au respect des mœurs traditionnelles de leurs peuples, mais dont les accointances sont parfois réellement problématiques et les méthodes outrepassent parfois la loi, celle-ci sévit contre eux, jusqu’à les priver d’élections. Le pouvoir judiciaire interfère alors avec la délibération démocratique, au nom de la légitimité qu’elle tire de son autorité, l’État de droit. Toutefois, dans le cas roumain, la décision de justice était contestable, tant dans la forme que dans le fond. Cela pose ainsi la question qui taraude tous les « libéraux » inquiets de la montée des « populismes » en Europe : jusqu’où peut-on aller au nom de l’État de droit ?

La vague populiste arrêtée à Bucarest

Si l’on peut discuter la pertinence de la décision de justice qui a privé Călin Georgescu d’élection, force est de constater que le narratif « populiste » a été mis en échec. L’idée d’élire un président qui conteste une décision de justice, qui porte un soutien indéfectible à un homme accusé d’entretenir des liens étroits avec la Russie, a été un repoussoir pour une majorité des électeurs roumains. Le score éclatant de George Simion au premier tour (41 % au total, 60 % dans la diaspora) a clairement motivé de nombreux abstentionnistes, dans le pays comme à l’étranger, à voter pour ce second tour, qui a connu une participation de 65 %, soit 12 points de plus que le 4 mai. Le vote de la diaspora, quant à lui, est passé de 956 000 à plus d’1,6 million de personnes.

Il serait exagéré de prétendre que c’est le « libéralisme » dans son entièreté qui a vaincu le « populisme » dans cette élection. Nicusor Dan est lui-même une personnalité singulière au sein de la mouvance pro-européenne. Il s’est fait connaître pour son combat contre la corruption et a fondé le parti USR en 2016 dans cet objectif. Il a été le tenant d’une ligne ferme face à Călin Georgescu et, ce, dès les premières accusations de fraude. Sa qualification au second tour de la présidentielle s’est faite face au candidat de la coalition gouvernementale, alors qu’il concourait sans l’étiquette d’un parti. De son côté, George Simion a lancé le parti AUR en 2019, qui est le premier parti de droite radicale à obtenir un poids significatif dans l’histoire contemporaine du pays. C’est une des leçons à retenir : la démonétisation des partis traditionnels en Roumanie. Finalement, le second tour s’est réduit à un affrontement entre un candidat sans bannière (Dan) et le tenant d’une posture antisystème (Simion).

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La victoire de Nicusor Dan a été claire, sans ambiguïté, avec plus de 800 000 voix d’avance sur son adversaire. Elle a le mérite de réconcilier les deux légitimités qui s’opposaient dans le discours de George Simion et du camp « populiste ». La légitimité judiciaire, qui a annulé le scrutin précédent, a été rejointe par l’approbation des urnes et la délibération démocratique, et cela d’autant plus fortement qu’elles l’emportent sur le candidat qui contestait la décision de justice.

Pour autant, peut-on considérer que cette victoire contre le « populiste » marque le dépassement du « dilemme libéral » ? Non. La Roumanie se trouve dans un « moment schmittien », une phase flottante de sa démocratie, dans laquelle les deux camps se regardent comme seuls légitimes. Chaque élection devient un référendum contre le camp d’en-face, dans une lutte agonale, un affrontement intense et possiblement dangereux, dans laquelle la question des moyens employés pour faire barrage à l’ennemi se posera de nouveau. Cette élection ne marque nullement la fin du souverainisme roumain : l’ombre de Georgescu continuera de planer, tandis que George Simion est à la tête de la première force d’opposition au parlement.

Si le « populisme » a subi une défaite dimanche soir, il reviendra, et plus puissamment qu’aujourd’hui, si le camp « libéral » ne sait pas recoudre les deux légitimités séparées.