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Le paganisme expliqué à ceux qui pensent qu’il est mort

Christopher Gérard publie "La Source pérenne: Un parcours païen" (La Nouvelle Librairie, 2025)


Le paganisme expliqué à ceux qui pensent qu’il est mort
L'écrivain et critique littéraire belge Christopher Gérard. DR.

Et si le paganisme n’avait jamais vraiment disparu ? Sous les ruines de la modernité, un vieux fonds continue de vibrer – discret, mais tenace. À rebours des néo-druidismes de pacotille et des rêveries New Age, La Source pérenne de Christopher Gérard explore ce qui subsiste d’une sagesse cosmique, sans nostalgie ni folklore.


Que reste-t-il du paganisme dans un monde qui n’a d’yeux que pour les oracles de la Silicon Valley et leurs promesses d’immortalité ? Un vieux songe que cultivent une poignée de latinistes ? Une chimère éteinte avec la dépouille de l’empereur Julien, au IVe siècle ? Peut-être ? Mais on aurait tort d’en être aussi sûr. Pour s’en convaincre, il suffit d’ouvrir La Source pérenne. Loin du développement personnel et des kits clé en main pour « devenir soi-même en 21 jours », le paganisme de Christopher Gérard est d’abord, est avant tout une vision du monde, une manière d’habiter le réel. Mieux : une manière d’y survivre – plus encore quand le réel s’est assombri.

Retour aux Grecs

Voilà plus de vingt ans que l’auteur creuse ce sillon, à contre-courant des modes. La Source pérenne, publié une première fois en 2000 sous le titre Parcours païen, reparaît aujourd’hui dans une version revue, augmentée et enrichie, qu’il compare aux Rêveries d’un païen mystique de Louis Ménard, condisciple et ami de Baudelaire. Longtemps introuvable, le voici ressuscité par La Nouvelle Librairie, dans une édition mise à jour qui égrène une vingtaine de textes formant selon l’auteur une « fresque du paysage mental d’un païen contemporain ». Un livre tissé de méditations, d’hommages, de mélanges, qui tous concourent à un même dessein : témoigner de la permanence des dieux dans la conscience d’un Européen au XXIe siècle.

Archéologue au sens fort du terme, Christopher Gérard n’a jamais cessé de fouiller les couches sédimentaires de cette mémoire collective. On le suit enfant, dans les Ardennes belges, déterrant des ossements mérovingiens dans un tête à tête avec les morts. On le voit adolescent, fasciné par les symboles et les mythes. On l’accompagne adulte dans la fidélité aux maîtres qu’il s’est choisi : Nietzsche, l’initiateur, Alain Daniélou, l’éveilleur, Ernst Jünger, le modèle, Georges Dumézil et Walter Friedrich Otto, les guides érudits. Fidèle à son dieu tutélaire, Apollon, dieu de la lumière et de la mesure ; fidèle à Homère, l’éducateur de la Grèce, premier des voyants, tout aveugle qu’il fût. Pas d’Europe sans ce retour aux Grecs, insiste l’auteur, qui rappelle combien toutes nos renaissances, de la Renaissance italienne au romantisme allemand, ont toujours puisé dans cette longue mémoire.

Pas une pose

Vu par Christopher Gérard, le paganisme n’a rien d’une pose esthétique. C’est une fidélité et une discipline de vie. Il ne s’agit pas d’invoquer Wotan ou Lug sous les néons de nos villes bétonnées qui ne connaissent plus la splendeur nocturne des ciels étoilés, mais de retrouver, à hauteur d’homme, l’ordre du cosmos au gré des cycles et des rythmes naturels. Le païen est un veilleur de l’immanence. Il marche dans les pas d’Héraclite, qui voyait le monde comme un feu toujours vivant. Pour autant, il ne se réfugie pas dans quelque abstraction présocratique ou quelque utopie consolatrice, il l’habite, ce monde, de plain-pied, traquant ce qui subsiste sous les ruines de la modernité.

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Car tout n’a pas été effacé. Sous les voûtes désertées des églises d’un monde en voie de déchristianisation, derrière des rituels républicains vides de sens, sous l’empire tentaculaire de la marchandisation, le vieux fonds païen continue de battre. Il affleure dans les fêtes de solstice, les cultes des fontaines et des saints, dans les processions rurales et les rites populaires que l’on croyait disparus et qui ressurgissent ici ou là, à rebours des consignes de Vatican II, qui a voulu éradiquer ce monde. Ce fonds-là, le dominicain Serge Bonnet, dans sa Défense du catholicisme populaire (2015), l’appelait le « catholicisme festif » : un christianisme de chair et de terre, longtemps nourri des racines païennes de l’Europe, que l’Église, plus habile et moins puritaine qu’on ne le croit, avait su intégrer, jusqu’à ce qu’un certain esprit de réforme, au XXe siècle, s’acharne à l’extirper au nom d’une pureté théologique sans peuple et sans mémoire.

Pas la revanche des magiciens sur le crépuscule de Dieu 

Dans Dieu, un itinéraire (2001), Régis Debray se demandait si, à voir le succès des littératures ésotériques et des horoscopes de gare, on n’assistait pas à « la revanche des magiciens sur le crépuscule de Dieu », comme si, délivrés des dogmes et des Églises, nos contemporains allaient chercher dans les brumes du paranormal ce que le transcendantal n’était plus capable de leur offrir. On doute que Christopher Gérard se reconnaisse dans ce tableau. Rien cependant, dans La Source pérenne, qui ne relève de cet engouement pour le toc et le kitch.

Au contraire. Tout ici procède d’une quête de sens, d’une forme de résistance intérieure à l’effondrement de notre civilisation. Ainsi conçu, le païen n’est pas un songe-creux. S’il poursuit un songe, c’est celui d’Empédocle – pour reprendre le titre d’un roman de Christopher Gérard –, un songe lucide, enraciné. Il rejette les idoles modernes : le progrès amnésique, l’individualisme grégaire, la technique dévorante, la consommation sans objet. Il se dresse contre le nihilisme du « dernier homme » qui ramène tout à l’aune de son néant. Comme Nietzsche, il dit oui – au monde, à la beauté fragile, à l’ordre serein, à la sage mesure, aux hiérarchies pacificatrices. Il n’évacue pas le tragique, il l’assume. Son livre est celui de la nature ; il n’attend rien d’autre que ce qui est déjà là ; il n’espère rien de plus que le retour de ce qui vient. Il sait que tout est cycle : naissance, croissance, décrépitude, mort, renaissance. Rien ne commence vraiment, rien ne finit tout à fait.

Voilà ce que nous dit Christopher Gérard. Ce qu’il propose, c’est une « métanoïa », un terme cher à la théologie orthodoxe, c’est-à-dire une conversion du regard, une révolution intérieure. Revenir au paganisme, ce n’est pas revenir en arrière, c’est apprendre à voir le monde autrement. C’est se replacer dans l’ordre du monde en renouant avec la gratitude et la piété. C’est rompre avec l’oubli de l’être.

Nul prêche ici. L’auteur trace un chemin pour qui veut l’emprunter. Son livre est une source vive – pérenne – où chacun peut puiser. Il en émane une ferveur tranquille, une érudition sans pédanterie, une langue claire comme la ligne du même nom. On y entend la présence discrète de maîtres qui ne se donnent pas en modèle, mais en compagnon de route. On le referme avec une certitude : le paganisme, quand il est vécu et appréhendé ainsi, n’a rien d’une contrefaçon des anciens cultes. C’est un art de vivre et de mourir, réservé sans doute au petit nombre, ces « happy few », que Christopher Gérard n’a cessé d’appeler, livre après livre – des initiés. Un monde à (re)découvrir, sans crispation ni fanatisme, dans une théophanie discrète qui n’exclut pas les monothéismes, mais qui ne cherche pas non plus à se faire religion universelle. Nul ne l’a dit mieux que Montherlant lui-même, cité par l’auteur, avec des accents nervaliens : « J’incline volontiers à respecter Jésus-Christ, sans croire en lui, mais que le soleil se lève, que retentisse une musique entraînante, me voici païen, qui me reprends au monde. »

266 pages

La Source pérenne: Un parcours païen

Price: 22,00 €

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Rédacteur en chef de la revue "Eléments"

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