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Banques libanaises : le ground zero financier

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Hier encore florissant, le système bancaire libanais est devenu un « ground zero financier » comparable au port de Beyrouth.


Le 30 juillet dernier, quelques jours à peine avant que l’exposition du dépôt numéro 12 ne dévaste des quartiers entiers de Beyrouth,  l’agence Moody’s a retiré les notations des trois banques libanaises qu’elle observe – Bank Audi, BLOM Bank et Byblos Bank, soit les trois établissements bancaires principaux du pays. Moody’s explique que le manque d’informations l’empêche d’évaluer efficacement leurs solvabilité. Cet argument est mis en avant lorsque l’émetteur refuse de fournir les informations demandées par Moody’s, des données que l’agence ne peut obtenir via les canaux publics. Autrement dit, c’est le naufrage. Mais si les banques libanaises coulent aujourd’hui, cela fait au moins un an qu’elles prennent l’eau.

Dès novembre 2019, la Banque du Liban (BDL, la Banque centrale libanaise) avait demandé aux banques libanaises d’augmenter de 20 % leurs fonds propres afin de renforcer leur solvabilité. Dans son plan de redressement économique voté le 30 mai, le gouvernement libanais avait également évoqué son intention de restructurer le secteur. La BDL a d’ailleurs créé le 16 juillet une commission à cette fin.

L’argent de la diaspora

Le plan de redressement du secteur bancaire conçu par le gouvernement libanais prévoit la restructuration de la Banque centrale (BDL) ainsi que des banques privées – mais non leur mise en faillite. Ainsi, la BDL a demandé aux banques de se recapitaliser en augmentant leurs capitaux. La logique derrière ce plan est d’obliger les actionnaires de réinjecter une partie des dividendes perçus depuis des années.

Car pendant de longues années, les banques libanaises attiraient les capitaux de la diaspora libanaise. Il faut dire qu’elles avaient un sacré atout dans leur manche : un taux d’intérêt élevé (autour de 6% ces dix dernières années) d’un côté, un taux de change relativement stable de l’autre. Autrement dit, un investisseur étranger pouvait acheter des livres libanaises, les investir à 6% et plus tard racheter du dollar à un prix proche du celui de la vente. Le maintien de cet  ensemble taux de change/taux d’intérêt – avec la complicité des différents acteurs du système politique et financier qui se partageaient les bénéfices engrangés – a produit une véritable « pompe à fric ». Cette manne a permis aux banques libanaises de devenir le sixième système bancaire mondial en termes d’actifs par rapport au PIB, avec des dépôts presque trois fois plus important que  production économique annuelle du pays. Avant la crise, les banques libanaises disposaient d’environ 25 milliards de dollars de fonds propres, bénéficiant d’un indice de solidité et de solvabilité supérieur aux normes internationales. Mais cette force est devenue une faiblesse depuis que les flux d’argent en provenance de l’étranger ont cessé.

Pyramide de Ponzi

Ainsi, ceux qui ont contribué à cette pyramide de Ponzi (un système nécessitant d’attirer de l’argent frais en devises pour pouvoir verser des intérêts à leurs déposants) et en ont profité au détriment des clients « ordinaires » (foyers, entreprises), sont appelés par le gouvernement libanais à mettre au pot. Concrètement, le plan de redressement du gouvernement considère que les pertes devraient être épongées par un effacement du capital existant (« write-off ») des banques. Soit la réduction à néant (« wipe-out ») de leur actionnariat. Ceci est bien évidemment un point de départ pour une négociation, mais la logique du « profiteur-payeur » n’en demeure pas moins claire.

Parallèlement, la BDL pousse les banques locales, trop nombreuses pour l’économie libanaise, à la fusion. Enfin, si tous ces efforts ne suffisent pas, un renflouement interne (« bail-in ») sera nécessaire avec la conversion forcée d’une partie des dépôts en instruments du capital. Autrement dit, aux dépens des épargnants. Lors de l’annonce de sa démission en juin, le directeur général du ministère des Finances Alain Bifani, qui a préparé le plan du gouvernement avec ses équipes et des conseillers étrangers (Lazard , Henri Chaoul…), a parlé d’un « haircut » (« coupe de cheveux », c’est-à-dire ce que les détenteurs des comptes devraient payer) de seulement 13%. Selon lui, seuls les comptes bancaires dépassant 10 millions de dollars (soit 931 sur un total de 2.7 millions de comptes), seraient concernés par cette contribution forcée qui s’effectuerait en échange d’actions de la banque.

Ainsi, certains gros investisseurs « piégés » par la crise partageraient la facture des pots cassés mais les comptes courants et l’épargne des  familles ou des entreprises libanaises ne seraient pas mise à contribution.

Crise soudaine

Or, recapitaliser les banques signifie émettre de nouvelles actions et faire appel à des investisseurs qui prennent en compte la notation des banques auprès des agences pour évaluer le risque ainsi que les conditions financières de leurs apports. Les deux autres agences de notation, Fitch et Standard & Poor’s (S&P) avaient noté respectivement Bank Audi et Byblos Bank à “RD”(restricted default) en décembre 2019; et Bank Audi, BLOM Bank et Bankmed à “SD” (selected default). Depuis mars, la notation souveraine est la même que celle des banques du pays. Signe que la pompe à fric était tombée en panne et que le système bancaire commençait à prendre l’eau.

La dégradation de la situation financière du Liban frappe par sa rapidité et sa brutalité. Jusqu’en 2017, les indicateurs étaient au vert et la Bank Audi,  premier établissement bancaire du pays, affichait des bonnes performances conjuguées à une bonne santé comptable. En novembre 2019, en plein mouvement de contestation (lancé le 17 octobre 2019), des rumeurs diffusées sur Facebook annonçaient la faillite imminente des deux premières banques libanaises, Audi et Byblos. L’information n’était hélas pas aussi fausse qu’on le croyait alors.

Cependant, le tarissement des investissements étrangers n’est pas la seule cause de l’écroulement du système libanais. Au fil de la crise, entre août et décembre 2019, les banques ont 10 milliards de dollars de dépôts et leurs fonds propres se sont érodés. Peu après les rumeurs de faillite, en novembre 2019, les réserves de devises étrangères des banques auprès de leurs correspondants sont tombées en dessous des 8 milliards de dollars. Dans un effort pour enrayer cette hémorragie, les banques ont imposé des limites à l’accès aux liquidités et aux transferts à l’étranger. Dans une telle situation, la solution évidente est d’obliger les banques à lever des fonds, c’est-à-dire se recapitaliser.

L’Etat au défi

Les estimations du montant nécessaire à l’opération varient entre 15 et 25 milliards de dollars. Pourquoi un tel écart ? Les banques ayant massivement investi leurs capitaux dans la dette publique libanaise, c’est-à-dire le financement de l’Etat, le trou dans leurs bilans dépend de la cote des obligations émises par l’Etat libanais… Dans ces conditions, on comprend l’extrême difficulté d’une levée de capitaux. Car ceux qui pouvaient renflouer les caisses des banques exigeaient en échange de les valoriser largement plus bas que leur valeur comptable, ce qui auraient fortement dilué les positions des actionnaires. Après avoir pris l’habitude de canaliser une grande partie de leurs dépôts vers le financement de l’Etat plutôt que de prêter au secteur privé, plus de deux tiers des actifs des banques sont immobilisés dans la dette publique. C’est ainsi qu’en 2019, le piège s’est renfermé sur les banques libanaises, bien avant le Covid-19 et l’explosion du 4 août dernier.

Comme le port de Beyrouth, le système bancaire libanais est aujourd’hui un « ground zero financier ». Les solutions sont autant politiques qu’économiques car comme l’ont confirmé les dernières crises, le dernier recours du système financier s’appelle l’Etat. L’Etat qui régule, l’Etat qui décide du taux d’intérêt, l’Etat qui décide du déficit, de l’endettement et des priorités budgétaires, l’Etat qui nationalise et redresse. L’Etat qui, dans le cas du Liban, fait tragiquement défaut.

Danemark, une autre idée des statistiques ethniques

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Au cœur du débat sur les statistiques ethniques, il peut être intéressant de regarder ce qui se fait ailleurs. L’exemple du Danemark nous prouve qu’il est possible de mettre en place des statistiques claires, lisibles et utiles. L’Insee pourrait en prendre de la graine !


 

Ce court texte, s’il traite d’un sujet bien spécifique, l’évaluation de la population d’origine étrangère au Danemark, est aussi un éloge à Statistic Denmark, tout particulièrement à la qualité de son site et à la grande clarté qui préside à l’accessibilité des données mises en ligne.

Le Danemark est un pays qui a connu une forte émigration, notamment vers les Etats-Unis, au 19ème siècle jusqu’au début du 20ème, mais une faible immigration étrangère jusqu’aux années 1970. Il comptait alors très peu d’immigrés, lesquels ont eux-mêmes eu peu de descendants. Ces immigrés étaient très souvent des voisins proches européens, venus d’Allemagne, de Suède et de Norvège principalement. Cette forte homogénéité du peuplement va être remise en cause par l’immigration étrangère qui s’y développera ensuite, sans toutefois prendre les proportions qu’elle a prises en Suède. Avec les années 2000, les gouvernements danois successifs ont adopté des mesures drastiques pour limiter l’immigration, notamment familiale, et encourager l’intégration. L’actuel ministre de la justice, le social-démocrate Mattias Tesfaye, écrit Douglas Murray, « a, à maintes reprises, tenu des discours difficiles à distinguer de ceux de la patronne du Parti du Peuple danois, Pia Kjærsgaard ». L’hypothèse de Douglas Murray est que la classe politique danoise a fini par comprendre qu’elle devait répondre aux préoccupations des citoyens danois. Le nouveau gouvernement social-démocrate élu en 2019 doit certes composer avec son aile gauche, mais il tient à préserver son modèle social, comme l’indiquent les propos de Rasmus Stoklund, député social-démocrate, tenus le 21 octobre 2019 à lecho.be :

« Allez-y! Les partis de gauche nous reprochent d’être trop durs envers les réfugiés, mais nous ne raisonnons pas en ces termes. Nous pensons à l’avenir de notre modèle. Si trop de personnes ont le sentiment que l’argent public n’est pas utilisé de manière équitable, la classe moyenne ne comprendra plus la signification de l’État Providence et le rejettera. »

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Si les Danois sont fiers de leur modèle social, ils peuvent aussi l’être de leur institut de statistique qui a développé une politique de mise à disposition de données exceptionnelle. Statistic Denmark propose en ligne des données par thème et arborescence, présentation qui permet de sélectionner les variables et modalités que l’on souhaite retenir et croiser. Une fois l’utilisateur enregistré sur le site, Statistic Denmark lui propose d’enregistrer ses tableaux aux fins d’une prochaine mise à jour, pour laquelle il peut recevoir une notification et le tableau actualisé s’il s’est inscrit pour le recevoir ! Il propose aussi différents calculs, avant de télécharger un tableau, avec des possibilités de mise en graphique ou en carte. En bas de chaque tableau, l’utilisateur dispose du nom, de l’adresse mail et du numéro de téléphone de la personne à contacter. Il présente aussi une documentation fournie. Visiblement, Statistic Denmark a songé au public, aux utilisateurs potentiels de ses données. L’Insee pourrait en prendre de la graine !

Définition de la population d’origine étrangère dans la statistique danoise

Le Danemark a une définition bien à lui de sa population d’origine étrangère qui ne ressemble à aucune autre, comme indiqué dans la documentation en ligne datant de 2017 : « La définition des immigrés et des descendants est une définition danoise. Il n’y a pas d’autre pays ayant la même définition ». Elle combine nationalité et lieu de naissance des individus et des parents.

Sont d’origine danoise les personnes nées au Danemark ou à l’étranger d’au moins un parent danois né au Danemark. Il suffit donc qu’un parent soit un natif danois pour qu’un individu soit considéré comme d’origine danoise, contrairement à la France où sont généralement considérés d’origine française, les personnes nées en France de deux parents nés en France.

Les immigrés sont nés à l’étranger de deux parents nés à l’étranger ou de deux parents de nationalité étrangère nés au Danemark (cas qui doivent être peu nombreux).

Les descendants sont nés au Danemark de deux parents qui sont soit immigrés soit descendants de nationalité étrangère (un parent quand il n’y en a qu’un seul). Sans information sur les parents, c’est la nationalité qui permet de trancher : s’il est de nationalité étrangère, il est classé comme un descendant. Des petits-enfants d’immigrés nés de deux parents étrangers nés au Danemark sont donc comptés parmi ces descendants, catégorie qui ne cerne pas strictement la 1ère génération née au Danemark. Par ailleurs, comme en Suède, la définition de l’origine étrangère des nés au Danemark est étroite, exigeant que chacun des parents soit immigré ou né au Danemark mais de nationalité étrangère. Contrairement à la Suède, le Danemark n’offre pas, à ma connaissance, de possibilité d’élargir la définition à un seul parent immigré. On verra plus loin l’inconvénient de cette définition étroite de l’origine étrangère.

Le code de la nationalité danoise décide de la nationalité à la naissance des enfants au Danemark en fonction de la nationalité de la mère et de celle du père. Si la mère est danoise, ses enfants nés au Danemark seront danois, quelle que soit la nationalité du père. Mais, si c’est le père qui est danois seulement, il faudra qu’il soit marié à la mère étrangère pour que l’enfant ait aussi la nationalité danoise à la naissance. Sinon, l’enfant peut devenir automatiquement danois si ses parents se marient pourvu qu’il ait moins de 18 ans au moment du mariage et qu’il ne soit pas lui-même marié (tableau ci-dessous). Bien évidemment, ceux qui restent étrangers bien qu’étant nés au Danemark peuvent demander la nationalité danoise et l’acquérir plus facilement que ne le prévoit le régime standard.

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Les conditions d’acquisition de la nationalité danoise sont relativement drastiques. Il faut neuf ans de résidence continue au Danemark avant de pouvoir la demander (8 ans pour les réfugiés). Ce délai est réduit pour les conjoints mariés à un Danois, pour ceux qui sont arrivés enfants et ceux qui ont effectué une part significative de leur éducation au Danemark. Ils devront avoir réussi l’examen de langue et le test de citoyenneté, prêter serment d’allégeance et de loyauté au Danemark et à la société danoise, s’engager à respecter les principes fondamentaux de la loi danoise et certifier sur l’honneur ne pas avoir de casier judiciaire pour des actes commis au Danemark ou à l’étranger.

Statistic Denmark propose des données sur l’origine par pays détaillé et un regroupement en trois postes : Danemark, Pays occidentaux et pays non occidentaux.

Les pays occidentaux regroupent ceux de l’UE (27 pays sans le Danemark), Andorre, l’Islande, le Lichtenstein, Monaco, la Norvège, la Suisse, le Vatican, les Etats-Unis, l’Australie et la Nouvelle Zélande. Tous les autres pays sont considérés comme non occidentaux. Il est également possible de reconstituer l’origine par continent, à partir des pays d’origine détaillés, judicieusement présentés dans l’ordre alphabétique mais successivement pour les différents continents. Nous avons reclassé la Turquie dans l’Asie.

Ces données sont tirées de l’exploitation du registre de population pour lequel Statistic Denmark reçoit tous les jours de nouvelles informations (émigrations, immigrations, naissances, décès) et dont il fait une extraction à la fin de chaque trimestre afin d’élaborer ses statistiques démographiques. Les corrections sont introduites au fur et à mesure que les informations lui arrivent. Ce registre est centralisé au CPR-Kontoret (l’Office du registre central des personnes). Toute personne résidant au Danemark plus de trois mois (6 mois si elle est originaire d’un pays nordique) est tenue de s’y faire enregistrer. Un numéro CPR à dix chiffres, dont les six premiers sont la date de naissance, lui est attribué. Ce numéro, qui figure sur le certificat délivré lors de l’enregistrement et sur la carte de santé, est indispensable pour toute démarche administrative. Le registre est considéré comme de bonne qualité, même s’il souffre d’un sous-enregistrement des sorties du territoire qui doivent être déclarées lorsque le séjour à l’étranger est supposé durer plus de 6 mois. Elles ne le sont pas toujours ou avec retard.

Croissance de l’immigration non occidentale

En 1980, la population d’origine étrangère, comprenant les immigrés et les descendants d’immigrés, ne représentait que 3 % de la population du Danemark, soit près de 153 000 personnes dont 12 % seulement étaient des descendants d’immigrés, indiquant ainsi probablement la prédominance d’une immigration non définitive et/ou de mariages mixtes. Parmi les quinze premiers groupes d’immigrés, deux seulement n’étaient pas originaires d’Europe ou des États-Unis (Turquie et Pakistan). Quarante ans plus tard, 13,9 % de la population est d’origine étrangère et les non-Occidentaux dominent largement (près des deux-tiers en 2020, contre un tiers seulement en 1980). Les Européens, qui représentaient 68 % de la population d’origine étrangère en 1980, n’en regroupent plus que 44 % en 2020, année où les personnes d’origine asiatique sont presque aussi nombreuses. En 2020, le nombre de descendants d’origine asiatique est plus de deux fois plus important que celui d’origine européenne. Dominance qui tient en grande partie à la définition danoise des descendants.

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En effet le nombre de descendants d’une origine donnée dépend de l’ancienneté du courant migratoire, de l’endogamie – puisque les enfants de couples mixtes sont classés d’origine danoise – de la fécondité et du caractère durable de l’installation. En 2020, on compte près de 6 immigrés pour un descendant d’origine polonaise et près de 5 pour ceux d’origine syrienne, contre 1 immigré pour 1 descendant dans la population d’origine turque. Si les immigrés de Turquie ne sont pas les immigrés les plus nombreux, leurs descendants dominent dans l’ensemble des descendants, en raison d’une endogamie turque que l’on retrouve à peu près partout en Europe.  Il est probable que nombre de ces mariages endogames aient été célébrés en Turquie. Mais si l’on regarde la distribution des quelques mariages d’hommes d’ascendance turque célébrés au Danemark en 2019, 82 % d’entre eux l’ont été avec des immigrées mais surtout des descendantes d’immigrés et 84 % de ces conjoints sont d’origine turque. Par comparaison, les quelques hommes immigrés ou descendants d’origine allemande qui se sont mariés au Danemark en 2019 l’ont fait très majoritairement avec des femmes d’origine danoise (60 %). La définition de l’origine au Danemark conduit donc à réduire les populations d’origine étrangère dans lesquelles les mariages mixtes sont nombreux. Mais l’encore faible descendance d’immigrés polonais s’explique par leur migration récente car l’endogamie des quelques mariages célébrés au Danemark est très forte : 94 % des mariages d’hommes d’origine polonaise l’ont été avec des femmes d’origine polonaise, des immigrés la plupart du temps.

Immigrés et descendants d’origine turque constituent donc la population d’origine étrangère la plus nombreuse devant celle originaire de l’ex-Yougoslavie, celle d’origine polonaise puis celle d’origine syrienne. Cette dernière est arrivée avec la dernière vague de réfugiés et représente, avec près de 43 000 personnes, un équivalent en France de l’ordre de 500 000, chiffre qui est loin d’être atteint. L’Insee dénombrait 30 900 immigrés de Syrie en 2017.

En 40 ans, alors que la population d’origine danoise est restée d’une grande stabilité, l’évolution la plus spectaculaire a été celle du nombre de descendants d’origine non occidentale dont le nombre a été multiplié par plus de 20 alors que celui des immigrés non occidentaux ne l’a été que par un peu plus de 8, connaissant un ralentissement entre 2003 et 2014. La croissance du nombre d’immigrés et de descendants occidentaux apparaît modeste par comparaison (graphique ci-dessous).

L’évolution du taux d’accroissement annuel de la proportion d’immigrés au Danemark  reflète bien la recrudescence de l’immigration non occidentale avec deux pics au milieu des années 1980 et 1990. La dernière vague au tour de 2015 a été moins profuse. L’immigration occidentale a pris une certaine ampleur au milieu des années 2000 avec l’entrée dans l’UE de nouveaux pays, notamment la Pologne en 2004 et la Bulgarie et la Roumanie en 2007 (graphique ci-dessous).

Naissances et fécondité d’origine étrangère

Les données sur les naissances de mère d’origine étrangère, dont la compilation ne démarre qu’en 2007, indiquent une hausse de la part de ces naissances qui est passée de  13,5 % en 2007 à 21,9 % en 2019. En 2019, encore 45 % d’entre elles ont une mère d’origine européenne, mais la part de celles dont la mère est d’origine asiatique s’est accrue, passant de 34,9 % à 42 % en une douzaine d’années. Que l’on prenne le classement par continent ou par origine occidentale/non occidentale, les mères descendantes d’immigrés ont joué un rôle beaucoup plus important dans l’évolution des naissances de mère d’origine non occidentale ou d’origine asiatique que dans celle des naissances de mère d’origine occidentale ou européenne. Pareille évolution tient à celle des courants migratoires, au rôle de l’endogamie dans la définition de l’origine étrangère au Danemark et de celui de la fécondité.

Statistic Denmark donne une évolution de l’indicateur conjoncturel de fécondité (ICF) selon l’origine des femmes (occidentale ou non) combinée à sa classification « générationnelle » (d’origine danoise, immigrée ou descendante d’immigrés) depuis 1986.

Jusqu’en 2000, l’ICF des immigrées d’origine non occidentale a été chaque année supérieur à 3 enfants par femme. Ensuite, il a beaucoup diminué jusqu’à 1,8 enfant par femme en 2013, niveau auquel il est encore en 2019, après le rebond constaté pendant la vague migratoire autour de 2015 (avec un maximum de 2,11 enfants par femme en 2016). L’ICF des descendantes d’immigrés (lissé sur trois ans en raison des fluctuations dues aux petits nombres) est, depuis 2007, en dessous de 2 enfants par femme. Jusqu’en 1994, l’ICF des immigrées occidentales a été supérieur à celui des femmes d’origine danoise, puis il est passé très en-dessous pour finir à 1,43 en 2019, très en dessous aussi de celui des descendantes d’immigrés occidentaux dont la composition par origine se réfère à une immigration plus ancienne.

La manière dont cette évolution de la fécondité des femmes d’origine étrangère a pesé sur la fécondité globale au Danemark dépend du poids des différentes origines parmi les immigrées et les descendantes d’immigrés, de leur fécondité et de son évolution dans le temps. Alors que cette influence a été globalement légèrement positive jusqu’en 2005, elle est plutôt légèrement négative depuis. L’ICF des femmes d’origine danoise est un peu supérieur à celui de l’ensemble des femmes au Danemark depuis 2006 (1,74 contre 1,70 en 2019, graphique ci-dessous).

Concentrations locales au Danemark

Grâce à son registre de population, Statistic Denmark est capable de produire des données très localisées sur les populations d’origine étrangère. Ce que l’Insee ne peut pas faire puisqu’il refuse d’introduire les questions utiles dans les enquêtes annuelles de recensement, seules capables d’apporter un coup d’œil infranational sur le sujet. Au Danemark, on dispose d’une série continue trimestrielle allant du 1er trimestre 2008 (juste après un remaniement du découpage territorial supprimant les comtés en 2007) au second trimestre 2020 pour les cinq grandes régions, elles-mêmes découpées en communes (99), dont la plus grande – Copenhague – compte au 1er avril 633 449 habitants et la plus petite – Christiansø (île de l’archipel Ertholmene) – n’abrite que 85 habitants.  Outre la distinction origine occidentale / non occidentale et « générationnelle » (d’origine danoise, immigrés, descendants), on peut connaître l’âge de 0 à 125 ans et le sexe. Des tableaux par origine détaillée sont également disponibles, mais avec des groupes d’âge quinquennaux.

C’est dans la région de la capitale (Hovedstaden), la plus peuplée (1,8 million d’habitants au 1er avril 2020), que la proportion de personnes d’origine étrangère est la plus élevée (20,2 % au 1er avril 2020). La proportion de personnes d’origine non occidentale y est de 13,2 %, deux fois supérieure à  ce qu’elle est dans le reste du Danemark. Et c’est dans la région très au nord du Danemark, la moins peuplée (Nordjylland ; près de 59 000 habitants) que la proportion de personnes d’origine étrangère est la plus faible (8,9 % ; 5,4 % d’origine non occidentale). Les plus fortes concentrations de populations d’origine étrangère sont localisées dans les communes de la région de la capitale, avec un pic à 41,4 % à Ishøj ; 34,4 % des habitants y sont d’origine non occidentale. Copenhague n’arrive qu’en cinquième position avec 25,6 % de sa population d’origine étrangère et seulement 15,9 % d’origine non occidentale.

Dans le tableau ci-dessous, l’ordre des origines les plus fréquentes a été établi à partir de celui observé à Ishøj où 52,9 % des habitants d’origine étrangère sont d’origine turque ou pakistanaise. Plus de la moitié le sont aussi à Albertslund. Les cases surlignées en vert clair indiquent, pour chacune des communes, les origines qu’il faut cumuler pour dépasser (de 0,1 à 4,4 points) la moitié de la population d’origine étrangère. Plus il y en a, plus la population d’origine étrangère est diversifiée. C’est particulièrement le cas à Copenhague où les personnes d’origine turque ou pakistanaise ne regroupent que 10,2 % de la population d’origine étrangère.

Conclusion

Ces quelques données ne donnent qu’un aperçu de ce qu’il est possible de faire à partir de StatBank. Le Danemark est exemplaire en matière de mise à disposition d’informations statistiques, avec une liberté de choix laissée à l’utilisateur qui fait envie. Ma réserve porte sur le choix méthodologique de la définition des descendants d’immigrés dont le nombre est très dépendant de la propension à l’endogamie. Ce qui fausse l’appréciation globale de la population d’origine étrangère et la part qu’y prennent différentes origines.

 

Retrouvez cet article avec tous les graphiques sur le blog de Michèle Tribalat en cliquant ici

 

« De moins en moins d’électeurs se revendiquent de la gauche »


On ne présente plus Jérôme Fourquet de l’Ifop, auteur de L’Archipel français. Dans sa dernière enquête d’opinion, le sondeur et politologue analyse la droitisation de la société française… qui ne profite pas forcément aux partis de droite. D’autant qu’Emmanuel Macron triangule avec brio. Entretien (1/2)


 

Daoud Boughezala. Dans la dernière enquête d’opinion de l’Ifop pour Le Point, près de quatre Français sur dix (39%) se disent de droite contre seulement 13% qui se situent à gauche. Cette droitisation du corps social est-elle la conséquence d’une accumulation de chocs (Covid, crise sanitaire, économique, insécurité…) ou traduit-elle tendance lourde ?

Jérôme Fourquet. C’est une tendance lourde sans doute renforcée par le climat actuel. Les faits divers indiquant un ensauvagement de la société, la crise économique, les tensions géopolitiques créent un climat propice au conservatisme, à une volonté de conserver l’existant, de rappeler les règles et les normes et de faire appel à une certaine forme d’autorité. Sur un plan politologique, les chiffres nous disent par ailleurs que le clivage gauche-droite n’est pas mort, bien qu’il ne soit plus le clivage politique dominant. Globalement, la droite s’en sort mieux que la gauche.

Si pour toute une partie de la population, cette grille de lecture est moins opérante pour comprendre et percevoir la scène politique (prises de position des uns et des autres), beaucoup continuent de se classer à droite ou à gauche lorsqu’il s’agit de définit leur identité politique individuelle.

En plus du clivage droite-gauche, un clivage puissant s’est installé en France depuis la présidentielle de 2017, comme dans d’autres pays (Brexit au Royaume-Uni, Trump aux Etats-Unis, Bolsonaro au Brésil…). On peut l’appeler société ouverte vs société fermée, somewhere vs anywhere, protégés vs exposés. Mais dans des sociétés complexes et archipellisées comme les nôtres, aucun clivage n’est suffisamment puissant pour résumer à lui seul le paysage politique. Si ce nouveau clivage est dominant, le clivage droite-gauche fait néanmoins de la résistance.

Se dire de droite, qu’est-ce que cela signifie aujourd’hui ?

Chez les électeurs qui se classent à droite, on peut penser que les valeurs d’ordre et d’autorité sont importantes, la notion de responsabilité individuelle tout autant, de même qu’une certaine forme de libéralisme qui laisse de la latitude aux acteurs économiques et fait jouer les lois du marché. Tout cela s’accompagne d’une aspiration à l’ordre et à la sécurité, d’une défense de la propriété individuelle, d’une volonté de maintenir et de transmettre un héritage culturel.

Mais le fait de se dire de droite ne conduit pas automatiquement à glisser un bulletin LR dans l’urne. Une partie des plus à droite préfère le RN, d’autres appuient la démarche d’Emmanuel Macron depuis qu’il a engagé un virage très précoce à droite. Les gens qui se considèrent culturellement et politiquement de droite ne votent donc pas comme un seul homme pour les représentants officiels de ce courant de pensée. Dans le dispositif macroniste, Castex, Darmanin et Le Maire ont pour fonction d’empêcher la reconstruction des Républicains et de toute alternative sérieuse à LREM susceptible de séduire l’électorat de droite.

Sociologiquement, à quoi correspond cet électorat ?

C’est un ensemble sociologiquement très hétéroclite composé de retraités plus ou moins modestes, de chefs d’entreprise, des cadres et professions libérales, des agriculteurs, qui partagent une certaine vision du monde. Manifestement, la droite continue d’avoir un électorat significatif puisque toute une partie de la population se revendique de droite.

Malgré ce climat relativement favorable, les états-majors des partis de droite ont un problème stratégique : quel positionnement adopter face au macronisme ?

Dans les premiers mois du quinquennat, la gauche tendance PS a aussi tergiversé avant de s’ancrer dans l’opposition…

La gauche se trouve dans une situation diamétralement opposée. Etant dans une position frontale, elle n’a pas de problème de positionnement vis-à-vis du macronisme, qui dérive de plus en plus vers la droite. Mais la gauche a un problème de taille : de moins en moins d’électeurs se revendiquent de la gauche. Par exemple, Jean-Luc Mélenchon prend régulièrement ses distances vis-à-vis de ce vocable. Il a commencé sa carrière autonome en dehors du PS en créant le « Parti de gauche » qui s’appelle aujourd’hui La France insoumise. Chez les écologistes, Yannick Jadot entend dépasser l’ancienne formule de « gauche plurielle » et déclare venu le temps de l’écologie politique. Quant au PS, il se revendique toujours de gauche mais son premier secrétaire Olivier Faure s’est réjoui de l’avènement d’un bloc social-écologiste le soir du second tour des municipales, comme si son objectif était un dépassement rapide de la vieille identité socialiste (« la vieille maison », aurait dit Blum) pour aller vers une formule nouvelle. Cela dénote une crise philosophique et culturelle profonde à gauche.

Quelles sont les causes de cette crise ? L’échec du quinquennat Hollande après la désillusion des deux septennats Mitterrand ?

Que la gauche française se rassure : on observe ce phénomène dans la plupart des démocraties occidentales. La promesse sociale-démocrate s’est épuisée. Du moins ce modèle et cette doctrine ont été déstabilisés par l’immersion dans le grand bain de la mondialisation. Olivier Faure annonce l’avènement de la social-écologie comme si l’écologie était la nouvelle force propulsive à gauche. Mélenchon a fait le même constat : le communisme et la social-démocratie semblent à bout de souffle, en s’inscrivant dans une optique populiste à la Chantal Mouffe : peuple contre élites, oligarchie contre les « 99% » de la population. Il ne se revendique plus qu’épisodiquement de la gauche.

Mais rendons à César ce qui est à César : le modèle social-démocrate est peut-être épuisé parce qu’il a en bonne partie réussi. On le voit avec la gestion de la crise du Covid : en quelques mois, nous avons renforcé notre Etat-Providence déjà très plantureux et qui paraît aujourd’hui obèse. L’Etat va vous donner 50 euros pour réparer votre vélo, tous les secteurs économiques tendent la sébile pour demander son chèque, de l’industrie aéronautique au tourisme en passant par les boîtes de nuit.

Il n’est plus du tout question de privatisations. C’est assez cocasse de penser que la France s’empaillait sur le cas d’Aéroports de Paris il y a encore un an. Au contraire, l’Etat va monter au capital d’Air France et toute une série d’entreprises connaîtront le même sort.

Même des libéraux comme Macron ou Le Maire appliquent aujourd’hui une politique ultrakeynésienne. Crise du Covid oblige, cet ultrakeynésianisme s’ajoute à un modèle français où 57% de la richesse nationale était déjà redistribuée par la puissance publique.

Avec l’assentiment de la quasi-totalité de la classe politique de l’extrême droite à l’extrême gauche…

Oui. Si certains critiquent cette politique, ils le font en prétendant qu’elle ne va pas assez loin dans l’étatisme. Signe des temps, le Premier ministre Jean Castex est de droite mais se dit gaulliste social. Même si la social-démocratie supposait aussi la négociation, le paritarisme, et des syndicats forts, avec la mise en place d’un Etat social très interventionniste économiquement, très redistributif fiscalement et très généreux socialement, la France a dépassé certains espoirs formulés après-guerre. Partant, qu’est-ce que les socialistes peuvent demander de plus ? C’est pourquoi certains d’entre eux cherchent plutôt la nouvelle frontière idéologique soit dans l’extension des droits (des individus ou des minorités) soit dans l’écologie.

à suivre…

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Zoe Saldana, l’actrice qui se repent d’être trop blanche

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Zoe Saldana, actrice américaine d’origine portoricaine et dominicaine, ayant incarné Nina Simone dans le biopic Nina, s’est excusé… de ne pas être assez noire de peau pour le rôle. Décryptage du racialisme de notre temps.


 

J’ai toujours tendance à sous-estimer la vitesse à laquelle une certaine partie de la société s’enfonce dans les délires idéologiques à la mode. Dernière surprise en date : en ce début d’août, Zoe Saldana, actrice américaine d’origine portoricaine et dominicaine – ce détail prend tout son sens plus tard – ayant joué Nina Simone dans le biopic Nina, s’est excusé pour avoir tenu le rôle de la grande musicienne, plus noire qu’elle : « Je n’aurais jamais dû jouer Nina. (…) J’aurais dû faire tout ce qui était en mon pouvoir pour confier le rôle à une femme noire pour qu’elle puisse incarner le rôle d’une femme noire exceptionnelle ». Concernant le fond de teint noir qu’il a fallu lui mettre pour lui donner un épiderme semblable à l’artiste qu’elle interprétait – vous connaissez la rengaine du « black face » – l’actrice a même déclaré : « Je pensais à l’époque que j’avais la permission parce que j’étais une femme noire, et je le suis, mais c’était Nina Simone (…) Nina avait un parcours qui devrait être honoré jusqu’au moindre détail ».

Peu consciente de l’incohérence de son propos (si l’on veut coller aux détails, le maquillage peut sembler légitime), l’actrice se répand en larmes de crocodiles pour témoigner de sa sincérité auprès du tribunal des belles âmes.

Je suis dur, me direz-vous.  Et puis il faut dire que dans un biopic, le protagoniste principal a intérêt à ressembler un peu au grand personnage qu’il incarne – à ce titre il était donc bien judicieux de faire jouer la grande Nina par une femme noire plutôt que par un homme blanc. Sauf qu’à l’époque où le film est sorti en 2016, la toute ambitieuse Zoe Saldana ne s’était pas défaite lorsque Kelly Simone, la fille de Nina, s’était déclarée peu convaincue par ce choix pour incarner sa mère, ainsi que par un scénario selon elle mensonger.

Cinquante nuances de noir

Prétendant s’identifier à une femme noire, – éternelle contradiction d’un progressisme qui autorise n’importe qui à s’identifier à n’importe quoi et qui attache simultanément à chacun les chaines de son appartenance natale – l’actrice à l’époque prête à tout défendait l’idée qu’il « n’y avait pas qu’une seule façon d’être noir », raison pour laquelle elle pouvait interpréter une « autre femme noire ». Quatre ans plus tard, l’emprise de mouvements haineux s’autoproclamant porte-voix des minorités est passée par-là, et l’actrice s’adonne à un exercice nord-coréen de repentance publique auprès d’une certaine gauche aux instincts totalitaires qui se constitue systématiquement en jury d’assise médiatique pour trancher du bien et du mal, du raciste et du non-raciste (il suffit de voir les journaux observant avec délectation les excuses de l’actrice – Huffington Post et autres Inrocks).

Il y a d’abord dans ce nouveau procès quelque chose qui relève de l’étrange recherche d’une « pureté de la race » noire, visiblement déniée à une actrice dont chacun peut tout de même constater qu’elle n’est pas blanche. Cet étrange concours de couleur, sous prétexte de lutter pour la visibilité de minorités qui n’en finissent plus de s’éclater en sous-groupes, fixe à chacun un spectre bien précis d’engagements qu’il peut incarner en fonction de son appartenance ethnique. Certes, Zoe Saldana avait grimé son nez pour ressembler à Nina Simone. Mais Eric Elmosnino dans Gainsbourg, vie héroïque, n’a-t-il par également revêtu un nez massif et tranchant pour bien coller au génie juif qu’il a magnifiquement interprété ? A-t-on entendu la communauté juive s’inquiéter de que ce maquillage ne fasse référence aux caricatures juives millénaires qui ont fait florès entre 39 et 45 ? Seulement voilà : certaines franges minoritaires n’ont que leur susceptibilité pour se mettre en valeur et justifier leur violence.

Le manque de diversité est idéologique

Cette concurrence épidermique masque enfin le fait que si le star system, en Amérique comme en France, est peu représentatif de la population, ce n’est pas parce qu’il manque de telle ou telle couleur, mais parce qu’il manque de diversité d’idées (et de plastiques également d’ailleurs – dans le cinoche, mieux vaut être une belle noire qu’un blanc moche !). Sur les centaines de star que nous connaissons, combien se revendiquent pro-Trump, antilibérales ou sceptiques vis-à-vis de MeToo et de Black lives matter ? Croyant d’un côté célébrer la diversité en hiérarchisant les races, le politiquement correct crée en même temps une surveillance de tous par chacun, dans laquelle les déviants mis au ban d’un monde du spectacle qui ne regorge ni d’intellectuels, ni de convictions très solides, et qui ne cherche en réalité que l’homogénéisation du monde.

« La destruction d’Israël reste l’utopie mobilisatrice des jihadistes »

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Une petite décennie après son déclenchement, où en est la guerre en Syrie ? Que reste-t-il de Daech à l’échelle mondiale ? Quel jeu joue la Turquie d’Erdogan ? Les réponses du géographe Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie et du Liban. Entretien (2/2).


Retrouvez la première partie de cet entretien ici.

Daoud Boughezala. Presque dix ans après le début de la guerre civile syrienne, Damas a-t-il renoncé à recouvrer son intégrité territoriale, notamment dans la province d’Idleb et au Kurdistan ?

Fabrice Balanche. Damas veut reconquérir l’ensemble de son territoire. La priorité est la poche d’Idleb (2,5 millions d’habitants), qui devrait connaître une nouvelle offensive dans les mois à venir. Son retour dans le giron de l’Etat syrien est indispensable pour restaurer l’économie d’Alep, toujours sous la menace des jihadistes qui contrôlent Idleb, mais également protéger Lattaquié et la région alaouite de leurs raids. Cependant la Turquie a déployé 9,000 hommes à Idleb pour bloquer la progression de l’armée syrienne. D’une part, elle ne veut pas voir affluer sur son territoire deux millions de nouveaux réfugiés. D’autre part, Erdogan veut une contrepartie contre les Kurdes. Depuis 2016, la progression de l’armée syrienne à Alep et Idleb s’est faite avec la complicité de la Turquie et donc au détriment des Kurdes, comme nous avons pu encore le constater en octobre 2019 lorsque l’armée turque s’est emparée de la bande frontalière Tel Abyad-Ras el-Aïn, sous le regard incrédule des Occidentaux.

Le Kurdistan syrien (Rojava) est donc sous la menace d’une nouvelle offensive turque, car Erdogan n’acceptera jamais un mini-Etat kurde dans le nord de la Syrie, notamment dirigé par un parti lié au PKK. La région dispose de pétrole mais elle est complètement enclavée et dépendante de la Turquie pour ses ressources en eau. Il lui faudrait une réelle protection militaire des Occidentaux et un plan Marshall pour construire une économie autonome. Or, les Etats-Unis n’ont aucune envie de s’engager dans ce processus et l’Union Européenne n’a pas les moyens militaires de se substituer aux Etats-Unis. Moscou, Damas et Téhéran attendent patiemment et activement que les troupes américaines toujours présentes quittent cette région. Les dirigeants Kurdes espèrent conserver leur autonomie grâce à la médiation de la Russie, mais Damas refuse pour l’instant toute concession. Les problèmes économiques du gouvernement syrien, le retour de la violence à Deraa et la lenteur avec laquelle l’armée syrienne progresse à Idleb, leur laissent un sursis de quelques mois, voire quelques années. Le Rojava est pris entre l’enclume syrienne et le marteau turc.

D’ailleurs, quelle stratégie poursuit la Turquie en Syrie ?

Depuis août 2016, la Turquie a entrepris la construction d’une ceinture arabe anti-kurde dans le Nord de la Syrie. Les districts d’al-Bab, Azaz et Jerablous, au nord d’Alep, conquis en 2016 contre Daesh, ont été agrandis par ceux d’Afrin, pris aux Kurdes en 2018, et ceux de Tel-Abyad – Ras al-Ain, également pris aux Kurdes en octobre 2019. Ces zones sont directement administrées par les gouverneurs turcs d’Antakya, Ourfa et Gaziantep. La Turquie a organisé une gendarmerie et une armée locale. Elle paye les fonctionnaires locaux et, avec l’effondrement de la livre syrienne début 2020, la livre turque est désormais la monnaie de référence. Ces territoires comptent aujourd’hui plus d’un million et demi d’habitants (dans une Syrie qui en dénombre 17 millions), des centaines de milliers de déplacés internes venus de Deraa, Idleb, la Ghouta et l’ensemble des zones reconquises par l’armée syrienne, viennent s’y installer à défaut de pouvoir se réfugier en Turquie. C’est dans cette zone que la Turquie recrute les mercenaires qu’elle envoie en Libye. Il sera difficile à l’armée syrienne de revenir dans cette zone qui risque de devenir une République de Syrie du Nord sur le modèle chypriote.

Comme l’illustre la brouille entre Bachar Al-Assad et son cousin milliardaire Rami Makhlouf, la rue alaouite a-t-elle lâché le pouvoir baathiste ? Plus globalement, alors que des druzes ont manifesté contre Damas, le régime est-il en train de perdre le soutien des minorités sur lesquelles il s’appuie depuis des décennies ?  

Les manifestations anti-régime à Souweida se sont rapidement terminées en juin dernier avec l’arrestation des principaux activistes. Elles étaient surtout motivées par la dégradation des conditions de vie en raison de la forte dévaluation de la livre syrienne. Nous avons eu des manifestations de colère semblable dans le pays alaouite durement éprouvé par la guerre. Si les provinces de Lattaquié et de Tartous ont été largement épargnées par les combats, en revanche les alaouites ont payé le prix du sang et ils n’acceptent pas la misère qui les frappent, alors que c’est grâce à leur sacrifice que Bachar el Assad a pu conserver le pouvoir. Certes, les alaouites n’avaient pas le choix, car la victoire de l’opposition islamiste aurait signifié leur élimination de Syrie, comme celle des autres minorités confessionnelles. Aujourd’hui encore, ils n’ont guère le choix, car vers qui se tourner en dehors de Bachar al-Assad ? Il a gagné la guerre avec l’appui des Russes et des Iraniens et il n’existe pas d’alternative politique réaliste en Syrie qui puisse donner des garanties existentielles aux minorités.

La brouille entre Bachar al-Assad et Rami Makhlouf ne témoigne pas d’une fracture au sein de la communauté alaouite ou d’un divorce entre la rue alaouite et le pouvoir baathiste. Rami Makhlouf est unanimement détesté en Syrie, par le peuple outré par son luxe ostentatoire et par les hommes d’affaires excédés par la prédation systématique qu’il exerçait sur l’économie syrienne. Il est le symbole de la corruption et du népotisme qui a conduit les Syriens à la révolte en 2011. Souvenons-nous qu’au début de la révolte, les Syriens s’attaquaient aux bâtiments officiels mais aussi aux agences de Syriatel, la compagnie de téléphone de Rami Makhlouf. En procédant à la confiscation des biens de son cousin, Bachar Al-Assad a retrouvé un peu de marge financière, mais il a surtout prouvé qu’il avait le pouvoir bien en main, puisqu’il était capable de frapper même au sein du premier cercle du pouvoir. En revanche, il ne faut pas y voir le début d’une opération anti-corruption de grande ampleur de la part d’un régime qui serait devenu vertueux sur ce plan. L’espace économique libéré par Rami Makhlouf est en partie déjà comblé par d’autres affairistes proches d’Asma Al-Assad et du président lui-même.

La Russie a annoncé construire une réplique de la cathédrale Sainte-Sophie en Syrie, dans la province de Hama.  Cette démonstration du soft power orthodoxe russe est-elle un message adressé à la Turquie d’Erdogan ? 

La construction d’une réplique miniature de la cathédrale Sainte-Sophie, à Sqalbyeh, petite ville chrétienne orthodoxe au nord-ouest de Hama, est bien entendu une réponse à Erdogan. La ré-islamisation de Sainte Sophie, devenue un musée sous Ataturk, possède une portée symbolique et stratégique qui va delà de la simple politique domestique. Erdogan se rêve en nouveau calife, comme son illustre prédécesseur Soliman le Magnifique. Sainte Sophie est appelée à remplacer la mosquée al-Ahzar du Caire pour ses avis juridiques et la prière du vendredi mettre en scène Erdogan comme le commandeur des croyants. Alors que l’Occident minimise l’affaire, la Russie de Vladimir Poutine prend très au sérieux le geste d’Erdogan ; cela lui donne un levier sur un monde arabe et musulman déstabilisé par les printemps arabes et qui est en mal de leadership. A contrario, Poutine a renoué avec la tradition russe de protection des chrétiens orthodoxes, et plus généralement de l’ensemble de la chrétienté, puisque les Etats d’Europe occidentale sécularisée ont renoncé à jouer ce rôle.

Sqalbyeh est un ilot chrétien dans une région musulmane. La ville a été défendue durant toute la guerre par une milice chrétienne qui a résisté aux assauts des rebelles islamistes et des jihadistes d’Al-Qaïda. Jusqu’au printemps 2019, elle était bombardée régulièrement par les rebelles d’Idleb soutenus par la Turquie. Le lieu est donc hautement symbolique, montrant qu’une petite communauté chrétienne, avec le soutien massif de la Russie, peut résister au rouleau compresseur islamo-turc. C’est un message très clair envoyé aux Européens qui s’inquiètent de l’expansion turque en Méditerranée orientale, de son ingérence dans les affaires domestiques grâce à une diaspora mobilisée par l’AKP, et soumis à un dangereux chantage aux migrants, que l’intervention militaire turque en Libye ne fait qu’augmenter.

Si le front syrien se stabilise, l’épicentre du djihadisme se déplacera-t-il en Libye, où la Turquie soutient des milices islamistes opposées à Haftar ?

Les deux fronts sont désormais liés puisque nous trouvons quasi les mêmes acteurs en Syrie et en Libye. La Turquie utilise le réservoir de rebelles islamistes et de jeunes chomeurs du Nord-Ouest de la Syrie pour soutenir le Président Sarraj en Libye. La Russie recrute des rebelles « réconciliés » du Sud de la Syrie pour les envoyer soutenir le maréchal Haftar au côté des mercenaires du groupe Wagner. Cependant, la Libye n’est pas une terre de jihad comme la Syrie avec Al-Qaïda et Daech. Certes, nous avons la présence des mêmes groupes jihadistes en Libye, qui essaiment également en Afrique sub-saharienne. Cependant la guerre en Libye n’est pas aussi mobilisatrice que celle au « pays de Sham » dans la jihadosphère. La lutte contre les « hérétiques » chiites est devenue un objectif prioritaire du jihad avec Daech. Mais l’utopie mobilisatrice commune des jihadistes demeure la destruction d’Israël et la reprise de Jérusalem. Or, on s’éloigne de l’Etat hébreu en Libye. Par ailleurs, on n’y trouve ni chiite à égorger, ni chrétiens à décapiter, à part quelques malheureux ouvriers coptes égyptiens, ni même une minorité yézidi à réduire en esclavage sexuel pour satisfaire les bas instincts des candidats au jihad. Il ne faut pas négliger pas ce dernier facteur, comme le souligne Hugo Micheron dans son ouvrage Le jihadisme français. quartiers, Syrie, prisons. Le véritable facteur d’attraction de la Libye, qui pourrait justement en faire l’épicentre du jihadisme, c’est simplement l’appât du gain. Les ressources pétrolières libyennes constituent un attrait non négligeable pour les professionnels du jihad, quitte à s’en servir pour financer des opérations sur d’autres terrains. Il est clair, que si la situation militaire doit pourrir en Libye, tandis que la Syrie se stabilise, nous verrons un transfert de combattants depuis la Syrie qui alimenteront le conflit au nom du « jihad ».

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Martin Parr, victime (consentante) des clichés antiracistes

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Martin Parr, le photographe britannique, injustement accusé de cautionner le racisme, soutient les déboulonnages de statues… Cloué au pilori, il ne bénéficie pas de la mansuétude dont jouit son concitoyen le rappeur Wiley, auteur d’une série de tirades antisémites. Selon que êtes blanc ou noir…


Faites vos jeux, rien ne va plus !  Il n’est pas facile de deviner qui sera la prochaine victime de la fâcheuse tendance actuelle à mettre au ban des médias toute personne ayant exprimé une opinion contraire à la moraline régnante. Car la cancel culture est un dédale où même ceux qui se croient purs et vertueux se perdent, où le bien et le mal se transforment l’un dans l’autre et où le héros d’hier peut devenir le grand méchant d’aujourd’hui. La formule de La Fontaine, « Tel est pris qui croyait prendre », n’a jamais été aussi pertinente. Considérons d’abord le cas de Martin Parr.

Laver plus blanc que blanc

Ce Britannique de 68 ans, photographe émérite et doyen des photojournalistes, a été contraint de démissionner de son rôle de directeur artistique du Festival photographique de Bristol, cette ville où l’on déboulonne les statues d’esclavagistes. La raison remonte à 1969. Cette année-là, un photographe italien, Gian Butturini, publie London, un album d’images de la capitale qui inclut une double page où l’on voit, à gauche, le portrait d’une femme noire, employée du métro londonien, dans sa guérite et, à droite, la photo d’un gorille dans sa cage au zoo. Un simple hasard ? Peu probable. Juxtaposition raciste ? Possible. Comparaison compassionnelle entre deux êtres enfermés, chacun à sa manière ? Concevable. Le problème est que, aujourd’hui, de telles ambiguïtés ne sont plus permises. En 2017, la maison d’édition italienne, Damiani, ressort le livre – devenu introuvable – en facsimilé, en demandant à Martin Parr d’en écrire la préface. Celui-ci s’exécute sans faire la moindre référence à la double page en question. En 2019, une étudiante londonienne reçoit le volume en cadeau de son père. En découvrant la double page, elle reste bouche bée : comment Parr n’a-t-il pas pu en voir le sens, pour elle, évident ? Seule conclusion : Parr, tout comme Butturini (mort en 2006), doit être raciste, au moins inconsciemment. Elle lance une campagne de protestation sur Twitter et à Londres devant une exposition de Parr à la National Portrait Gallery. Le mouvement est peu suivi, jusqu’à ce que, motivés par l’assassinat de George Floyd, des étudiants de l’Université de l’Ouest d’Angleterre décident de retirer leur participation à une exposition de fin d’année qui devait avoir lieu à la Fondation Martin Parr. Quelquefois, pour faire annuler, il faut boycotter et vice versa. Les autorités universitaires appuient la décision des étudiants en récitant le mantra trinitaire qui affirme qu’elles restent « totalement engagées au service de la diversité, de l’égalité et de l’inclusion. » La démission de Parr est désormais inévitable, accompagnée d’une lettre d’excuses où il s’avoue mortifié par sa négligence. Il se dit prêt à verser ses droits d’auteur pour la préface à une organisation caritative et demande à l’éditeur de mettre au pilon les exemplaires restants. Afin de rendre sa fondation « plus inclusive » et « ouverte à la diversité », il crée une nouvelle bourse réservée aux photographes issus des minorités ethniques. Au jeu de la repentance, c’est le full. Ses détracteurs stigmatisent à la fois son analphabétisme visuel en termes de race et son insouciance d’homme blanc d’un certain âge. Pour eux, critiquer un tel personnage équivaut à « démanteler le système. »

La grande ironie de l’histoire est que Parr est un gauchiste antiraciste qui, dans un entretien accordé au Figaro avant qu’il ne soit obligé de démissionner, avait proclamé son soutien pour Black Lives Matter et s’était déclaré « complètement pour » la destruction des statues qui constitue, à son avis, une « réappropriation de notre histoire. » A force de déboulonner les autres, on finit par se faire déboulonner soi-même. Les accusateurs de Parr le Blanc n’ont fait preuve d’aucune hésitation, d’aucune mansuétude, en le condamnant. Mais dans le labyrinthe de la cancel culture, les choses ne se passent jamais comme prévu. Comme le confirme le cas de Wiley.

Se grimer en raciste

Ce rappeur britannique, connu comme le « Roi » d’une forme de hip-hop appelée « grime », récompensée d’une médaille par la Reine en 2018, commence mal le weekend du 25/26 juillet. Vendredi soir, il se lance dans une série de tirades antisémites sur différents médias sociaux. Interdit pendant quelques heures de publier sur Twitter, où il a un demi-million de suiveurs, il revient à la charge samedi matin. S’adressant aux juifs, qu’il qualifie de « lâches » et de « serpents » et qu’il compare aux membres du Ku Klux Klan, il leur assène qu’Israël « n’est pas votre pays » avant d’affirmer plus tard que c’est « à nous », invoquant ainsi le mythe des Hébreux noirs cher à certains Afro-Américains (Croyance selon laquelle les Noirs sont les vrais descendants des anciens Israélites.). Il semble que l’origine de ce déversement de haine se trouve dans un conflit entre le musicien et son manager qui s’avère être juif. Néanmoins, les « excuses » que le rappeur propose du bout des lèvres par la suite ne font que renforcer l’impression qu’il assume pleinement les pires théories conspirationnistes. Condamné immédiatement par certains, Wiley fait l’objet d’une complaisance relative de la part d’autres, surtout à gauche. Malgré le caractère outrancièrement raciste de ses remarques, Facebook attend le mardi suivant pour bloquer ses comptes, et Twitter le mercredi. L’épisode rappelle le cas d’un autre rappeur, l’Afro-Américain Ice Cube, qui, au début du mois de juin, tweete la reproduction d’une peinture murale dont l’imagerie sort tout droit des Protocoles des Sages de Sion. Critiqué, il récidive en postant d’autres emblèmes qui abondent dans le même sens. En l’occurrence, l’artiste Mear One, responsable de la fresque, qu’il a peinte sur un mur londonien et qui a été effacée par la municipalité en 2012, avait reçu à l’époque le soutien du leader travailliste, Jeremy Corbyn. Or, en novembre dernier, celui-ci a tweeté ses remerciements à Wiley pour son appui pendant la campagne électorale. Le samedi des tirades de Wiley, ce tweet a été judicieusement effacé. Ici, on voit bien se dessiner les frontières de ce triangle des Bermudes entre l’extrême-gauche, la judéophobie et certaines idéologies identitaires noires, zone où disparaissent à jamais de nombreux donneurs de leçons antiracistes.

Les délires offensants de Wiley sont condamnés de manière implicite dans une lettre ouverte signée par des centaines de musiciens et de producteurs, publiée en ligne le 1 août. Certes, toutes les formes de discrimination y sont dénoncées et l’antisémitisme figure bien sur la liste, mais le texte peine à souligner la leçon fondamentale de cet épisode : le fait de se croire victime de racisme n’empêche pas d’être raciste à son tour. Comme l’explique l’universitaire afro-américain, Wilfred Riley, dans son livre récent sur les dix vérités dont on ne peut pas parler (Taboo. 10 Facts You Can’t Talk About), « n’importe qui peut être un raciste. » Nos deux cas illustrent parfaitement les contradictions absurdes de la cancel culture. Le Blanc qui se croit protégé par sa vertu inhérente de gauchiste se fait dénoncer sans magnanimité aucune et doit se prosterner pour être absous de ses péchés. Le Noir qui se croit protégé par son appartenance à une minorité ethnique socialement désavantagée dérape en montrant que le racisme peut prendre toutes les formes et que chacun peut être à la fois victime et bourreau. Au fond, dans le dédale de la cancel culture, le seul Minotaure est la vieille hypocrisie humaine. Selon une autre formule de La Fontaine : « On se voit d’un autre œil qu’on ne voit son prochain. »

 

La justice sur le banc des accusés


Les Français ne font plus confiance en leur justice. Pourtant, c’est elle qui peut faire reculer la violence dans notre pays. Sans une justice équitable, le danger est grand de voir réapparaître la tentation de régler la problématique sécuritaire de façon autoritaire et musclée.


Tonneau des Danaïdes

Si la violence ne  date pas d’hier et qu’il est vain de croire pouvoir l’éradiquer complètement, il n’est pas interdit toutefois de vouloir la contenir, l’endiguer et de réfléchir aux moyens d’y parvenir. Telle est d’ailleurs la première tâche de l’Etat. Mais pourquoi la France, sur-administrée, championne des prélèvements obligatoires et dont l’Etat est atteint de boulimie structurelle, n’y parvient-elle pas ? La  case défectueuse dans le dispositif  sécuritaire ne se situe pas dans la police et la gendarmerie, dont les agents sont en première ligne face aux bandes armées et aux délinquants, et dont le professionnalisme et la retenue forcent le respect. C’est la réponse pénale qui est montrée du doigt par nos concitoyens lorsqu’on les interroge sur les causes de l’impuissance de l’Etat à endiguer la violence.

La justice semble ne pas vouloir jouer le jeu. Combien de policiers ont témoigné de leur stupéfaction de voir des délinquants multirécidivistes, qu’ils avaient arrêtés le matin et remis entre les mains de la justice, se promener en fin d’après-midi à leur nez et à leur barbe, le juge leur ayant rendu entre-temps la liberté ! Les forces de l’ordre ont l’impression, non seulement de ne pas être soutenues par les magistrats, mais surtout d’être entravées et désavouées dans leurs actions. En effet, que penser d’un juge qui ne prononce qu’une peine légère à l’encontre d’un multirécidiviste qui recommencera le lendemain ?

À lire aussi : La justice mise à nu par ses magistrats!

La police nourrit le sentiment d’être soumise au supplice de Sisyphe, ce héros mythologique grec qui fut condamné, aux enfers, à rouler éternellement un rocher sur une pente ; parvenu au sommet, le rocher retombe et notre héros doit recommencer sans fin ! Ou bien à remplir le tonneau percé des Danaïdes ! N’est-ce pas la situation à laquelle sont confrontées nos forces de l’ordre vis-à-vis de la justice ? Interpeller continuellement les violents qui, le soir, sont remis en liberté, et qu’il faudra appréhender de nouveau dès le lendemain !

Une impunité qui accroît la violence

Cependant, la police n’est pas la seule à sortir perdante d’un tel dysfonctionnement de l’administration judiciaire. A long terme, les contrevenants et les délinquants finissent par en devenir eux aussi les victimes indirectes. En effet, le laxisme des juges entretient chez eux un sentiment d’impunité qui ne peut, dans un premier temps, que les encourager dans la carrière du crime. En effet, dès lors que le principe de responsabilité est mis à mal, dès lors que, quoi qu’ils fassent, ils ne seront jamais tenus pour pleinement responsables de leurs actes, et donc punis en conséquence, pourquoi s’arrêteraient-ils en si bon chemin et ne remettraient-ils pas le couvert pour augmenter exponentiellement leurs gains ?

La mansuétude excessive et inopportune des juges conforte les violents, les intégristes et les trafiquants dans leur volonté de s’enrichir en contournant et en violant les lois, ou de décérébrer et embrigader la jeunesse au mépris de la laïcité. La violence et le fanatisme, constatant l’absence, en face d’eux, d’un ordre étatique capable de les contenir et de les réprimer, sont encouragés à persévérer et à augmenter. Le laxisme fait de la sorte le jeu de la montée aux extrêmes, jusqu’à ce qu’un pouvoir autoritaire et dictatorial ne reprenne les choses en main au détriment de la liberté. C’est pourquoi le laxisme des juges, en plus d’encourager la violence, véhicule, tôt ou tard, l’enfouissement des libertés publiques sous la chape de plomb d’un pouvoir autoritaire. Voilà où conduit le laxisme d’une magistrature idéologisée qui trahit sa mission.

En finir avec la culture de l’excuse

Comment rendre la justice à sa fonction première qui est de rendre à chacun son dû ? Premièrement, en mettant un terme à la politique de l’excuse. Trop souvent, les juges atténuent la gravité des crimes en alléguant l’enfance difficile ou le milieu de leurs auteurs, ou bien leurs origines, voire la discrimination dont ils auraient fait l’objet. Le principe de la « circonstance atténuante », de périphérique, devient central. Si bien que le coupable devient la victime, quand la victime objective, par exemple la personne qui a été volée, n’est pas loin d’être accusée d’avoir excité la convoitise du voleur, et d’être tenue pour responsable de son propre malheur !

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Cessons cet embrouillamini mental et appelons un chat un chat, en refusant d’opérer l’amalgame entre victimes et coupables. Sinon, en appelant « bien » ce qui est mal, et « mal » ce qui est bien, nous courons à la schizophrénie et à la perte de nos repères cognitifs. Respecter les « valeurs », cela commence par bien nommer les choses, et ne pas confondre le criminel avec sa victime.

Raccourcir les délais de la réponse pénale

Le deuxième moyen à mettre en œuvre afin que la justice reprenne la situation sécuritaire en main, consiste à raccourcir les délais de jugement. En effet, plus la réponse pénale tarde à venir, plus le sentiment d’impunité s’installe et s’enracine dans l’esprit du délinquant. Au final, celui-ci ne parvient plus à percevoir le rapport de cause à effet entre son méfait et le verdict qui tombe plusieurs années plus tard. La « tolérance zéro », que le chef de l’Etat promet de rétablir, commence par une justice plus rapide et plus efficace. C’est à ce prix que les Français recouvreront leur confiance dans l’institution judiciaire.

 

Quand Yassine Belattar célèbre la « caillera » Rimbaud

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L’Obs fait du poète prodige une icône de la gauche la plus cosmopolite, LGBT et progressiste. Une récupération au forceps.


« La passion Rimbaud » titre L’Obs de cette semaine. En couverture, le fameux portrait de sa gueule d’ange lorsqu’il n’était pas sérieux à dix-sept ans. Mais en version warholisée. Etant tombée dans le chaudron Rimbaud à quinze ans, je l’achète, faisant fi de ma réticence envers l’hebdo.

Rimbaud est un autre

Catastrophe. Le premier article du dossier, signé Roan Bui, essaie de faire du Voyant qui fixait les vertiges une figure inclusive. Certes, le poète fut depuis toujours un modèle, des Surréalistes à Patti Smith, la quintessence de la révolte rock’n’roll pour les uns et l’inventeur de la poésie moderne pour les autres.

Mais l’hebdo progressiste plombe les semelles de vent du génie en voulant en faire un porte drapeau de la « pensée » inclusive. Arianne Pasco, cofondatrice de Nice Art, nous explique que les « racisés » du monde entier, de Rio à Gaza, vénèrent l’enfant de Charleville, insinuant ainsi qu’il n’est pas uniquement une figure occidentale.

Même les indiens Navajo lui vouent un culte, un vers du Bateau Ivre, avec mon mauvais esprit habituel me vient immédiatement en tête : « Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs ».

Pour Roan Bui, l’auteur de Voyelles aurait été le précurseur de Twitter : « Annonçait-il déjà notre millénaire dopé aux images et aux slogans de 140 signes ? » Car il paraît qu’Instagram s’est aussi emparé de la gouape rimbaldienne. Sa gouape justement, Rimbaud en fut victime, plus connu pour ses yeux bleus (d’ailleurs colorisés par le photographe, déjà à l’époque) que pour son oeuvre. Le très catholique François Mauriac eu ce mot d’une aveuglante justesse : « L’effroyable talent de Rimbaud fut aussi celui de ne pas avoir su vieillir ». Si je doute que Rimbaud fût le précurseur de Twitter, il annonça sans doute cette invention de l’après-guerre qu’est l’adolescence. Vivre vite, mourir jeune, et pourquoi pas no future.

Petit génie devenu bourgeois

Mais futur il y eut. En 2015, a été retrouvé un album photo ayant appartenu à la belle horizontale Liane de Pougy. Que des stars de l’époque mais sans la moindre légende. Une des photos attira l’attention du collectionneur Carlos Leresche : un homme un peu replet, entre deux âges, moustache et costume de bourgeois. Un regard bleu, LE regard. Cela ne fait aucun doute, le collectionneur compare la photo avec le célèbre portrait de Carjat. Cet homme c’est Rimbaud.

Peu importe que cela fût vrai ou non, car cela provoqua un tollé chez les rimbadolâtres, cette caricature de bourgeois du XIXéme ne peut être le génial poète fugueur. Condamné à la jeunesse pour l’Eternité (elle est retrouvée). On ne touche pas au mythe. Mythe qui fut d’ailleurs déconstruit par Etiemble dans son ouvrage Le mythe Rimbaud paru en 1954 chez Gallimard. Il estimait que « l’homme aux semelles de vent fut plombé par les commentaires et les crétineries ».

Et les crétineries, ce n’est pas ce qui manquent dans l’article de L’Obs, la palme revenant à Yassine Belattar qui qualifie Rimbaud de caillera : « Il a cette amour-haine pour la France qui ne l’accepte pas vraiment. Ca me fait un peu penser à ces gamins rebeus qui vont s’installer à Dubaï, plus caillera que Rimbaud tu meurs ». Belle projection, et pourquoi pas ? Nous nous sommes tous projetés en Rimbaud à un moment de notre vie. Mais je préfère l’imaginer crevant la dalle avec Verlaine à Bruxelles que faisant du shopping à Dubaï. Quant au terme caillera… Une caillera écrit-elle des poèmes en latin à quatorze ans ? Une caillera déclare-t-elle vouloir être voyant dans une lettre à son professeur à 17 ans ? : « Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens ». Une caillera apprend-t-elle plus d’une dizaine de langues ? Mais peut-être ai-je trop de préjugés.

Un génie démoniaque

Non, Rimbaud n’est pas une icône LGBT, rien ne prouve finalement qu’il fut homosexuel malgré son histoire passionnelle avec Verlaine. D’ailleurs, il le confesse dans « L’époux infernal », texte autobiographique d’Une saison en Enfer : « bien que cela ne fût pas bien ragoûtant« . Et il se maria en Abyssinie. Non, Rimbaud ne fut pas celui qui ne travailla jamais, il fut dur à la tâche à Harare. Non, Rimbaud ne fut ni anticlérical- en creux, il ne parle que de Dieu- ni politisé malgré son engagement de jeunesse auprès des Communards. Ni anti-France, car même le monde était trop petit pour lui

Bref, Rimbaud fut un génie, ce génie qui s’abattit sur ce petit-bourgeois paysan des Ardennes, ce génie qui sûrement l’encombrait.  Et l’étymologie de génie renvoie à démon. Le démon est double et Rimbaud fut au-delà de cette dualité puisqu’il est multiple.

Selon Fabrice Luchini, personne ne comprend Rimbaud. Beaucoup s’y sont essayés avec plus ou moins de bonheur, à l’image du professeur de lettres négationniste Robert Faurisson qui voyait en Voyelles la description d’un coït (hétérosexuel). Je est un autre et Rimbaud fut tous ces autres : le jeune homme qui exaltait les sens et la nature dans ses poèmes de la période de Douai, le vagabond exalté, le globe-trotter trafiquant d’armes.

Il y en a pour tout le monde. A mes yeux, Rimbaud reste celui qui livra l’ultime définition du kitsch dans l’Alchimie du verbe : « J’aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, la littérature populaires, livres démodés, latin d’église ». Et bien sûr celui définit ma jeunesse : « Oisive jeunesse. A tout asservie. par délicatesse, j’ai perdu ma vie ».

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Liban : Macron a raison de tancer la classe politique

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Emmanuel Macron a prévenu : après l’explosion de la semaine dernière, l’élite politique libanaise doit réformer le pays et endiguer la corruption… sinon cela bardera à son retour au pays du Cèdre dès le 1er septembre. Cette démarche est-elle justifiée ? Comment le Liban en est-il arrivé là ? Le Hezbollah sort-il grandi ou affaibli de la crise politique ? Les réponses du géographe Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie et du Liban. Entretien (1/2).


Daoud Boughezala. Après l’explosion survenue sur le port de Beyrouth, Emmanuel Macron a imposé un ultimatum à la classe politique libanaise dont il dénonce ouvertement la corruption. Comment expliquer cette démarche ?

Fabrice Balanche. Depuis la fin de la guerre civile en 1991, le Liban a reçu énormément d’argent de la part de la communauté internationale pour sa reconstruction. Différentes conférences à l’initiative de la France – Paris 1 en 2001, Paris 2 en 2002, Paris 3 en 2007, et Cèdre en 2018 – ont drainé des milliards d’euros vers le Liban. Cela n’a pas empêché l’Etat libanais de se retrouver en faillite aujourd’hui. En fait, cela fait près de trente ans que les dirigeants libanais détournent à leur profit les finances publiques. La paix sociale était assurée par des embauches dans une administration pléthorique et corrompue, de généreux taux d’intérêts sur les comptes bancaires grâce aux emprunts d’Etat et la redistribution d’une partie de ses détournements de fond aux clients des différents dirigeants politiques.

Comment la classe politique libanaise détourne-t-elle cet argent ?

Prenons l’exemple de La Caisse des Déplacés, destinées à indemniser les Libanais dont les logements furent squattés durant la guerre civile. Pour obtenir la restitution des logements sans provoquer de nouveaux affrontements, l’Etat libanais a payé les squatteurs pour qu’ils déménagent et indemnisé les propriétaires pour réparer les maisons. Dans le Chouf, région à majorité druze et fief de Walid Joumblatt, les druzes qui occupaient les maisons des chrétiens chassés durant « la guerre de la montagne » en 1983, reçurent de très généreuses allocations pour restituer les logements. Elles étaient d’autant plus généreuses qu’ils étaient loyaux à Walid Joumblatt, le ministre des déplacés, qui utilisa les milliards d’euros de La Caisse des Déplacés pour maintenir sa mainmise sur le Chouf. Dans le Sud Liban, il est difficile d’obtenir un poste dans la fonction publique sans être membre du Mouvement Amal de Nabib Berrih, l’éternel Président du Parlement. Je pourrais multiplier les exemples du népotisme, du clientélisme et de la corruption généralisée. Mais, à mon sens, le plus grand corrompu et celui qui institutionnalisé ce système au détriment d’un véritable état de droit était Rafic Hariri, Premier ministre libanais de 1992 à 2004. Il serait trop long de décrire comment les Hariri, père et fils (Saad Hariri a été premier ministre de septembre 2009 à janvier 2011, puis de décembre 2016 à janvier 2020), ont mis le pays en coupe réglée, je vous renvoie à un de mes articles sur le sujet qui est en accès libre : « The reconstruction of Lebanon or the racketeering ruling ».

Cette gabegie généralisée justifie-t-elle les sommations d’Emmanuel Macron ?

Emmanuel Macron a raison de signifier fermement aux politiciens libanais de la majorité comme de l’opposition qu’ils n’auront désormais plus de chèque en blanc. Car le Liban actuel, c’est le tonneau des Danaïdes et cette classe politique libanaise corrompue est richissime. Les comptes bancaires des Libanais sont bloqués depuis octobre 2019, mais les politiciens et leurs amis affairistes ont eux tout loisir de transférer leur argent à l’extérieur du pays. Le problème est que la France aurait dû se montrer réaliste face à ses alliés libanais depuis des décennies, en particulier la famille Hariri qui est notre principal allié au Liban. Mais pour d’obscures raisons de connivence avec certains dirigeants français mais aussi géopolitiques : conserver notre influence sur le Liban face à la Syrie et à l’Iran, la France a fermé les yeux sur la gabegie ambiante. Désormais nous avons le choix entre continuer de financer à fond perdu nos affidés libanais ou leur tenir un langage de fermeté au risque qu’ils se tournent vers d’autres bailleurs. Rappelons que les dirigeants libanais ne sont pas à vendre mais à louer. Cependant, je vois mal la Russie ou la Chine jouer le chevalier blanc au Liban. Les pays du Golfe sont fatigués de ce pays qu’ils considèrent de toute façon comme perdu au profit de l’Iran. Le risque est plutôt de voir une nouvelle guerre civile éclater.

 L’actuelle crise financière et politique que traverse le Liban renforce-t-elle ou affaiblit l’axe Syrie-Iran-Hezbollah ?

Pour répondre à cette question, il faut tout d’abord revenir sur l’origine de la crise financière. Depuis une vingtaine d’années, la couverture des importations sur les exportations est à peine de 20%, la balance des paiements était compensée par les transferts des émigrés libanais. Les taux d’intérêts élevés attiraient leur épargne malgré le risque de défaut de paiement que faisait courir la progression d’une dette hors de contrôle. Les activités productrices ont été tuées par la politique de reconstruction de Hariri qui a tout misé sur l’immobilier, la finance et le tourisme pour drainer l’épargne de la diaspora libanaise et les capitaux du Golfe. C’était une véritable fuite en avant qui a enrichi la famille Hariri et ses affidés, mais appauvri la majorité des Libanais contraints à l’émigration pour s’en sortir ou à sombrer dans la pauvreté. Les difficultés économiques du Golfe depuis la crise financière de 2008 ont progressivement réduit les remises des émigrés, la guerre en Syrie a tué les investissements du Golfe et les récentes menaces de sanctions américaines sur le système bancaire libanais accusé de financer le Hezbollah ont donné le coup de grâce.

La faillite financière du Liban a donc tendance à affaiblir les acteurs politiques liés à l’Occident et à l’Arabie Saoudite. Leurs activités et leur pouvoir politique sont liés à la rente étatique et à la rente géopolitique venue de l’Occident et des pays du Golfe. Ces sources financières étant taries, ils perdent le contrôle de leur clientèle. Les classes moyennes libanaises laminées par la crise économique, mais disposant d’un capital intellectuel, émigrent en masse. Quant au petit peuple, il n’a d’autre solution que de se trouver des parrains capable de lui offrir un minimum de services.

… dispensés par le Hezbollah ?

Le Hezbollah dispose en effet d’institutions de santé et d’éducation qui suppléent aux carences de l’Etat dans les zones chiites. Certes, il a des problèmes de financement également puisque l’Iran est sous sanction, mais il peut compter sur la diaspora chiite libanaise et la caisse personnelle de l’ayatollah Khaméneï, toujours largement abondée par les fidèles et indépendante du budget de l’Etat iranien. Les dirigeants du Hezbollah sont peu corrompus, contrairement à ceux des autres partis politiques libanais, ce qui le rend beaucoup plus efficace dans le domaine social. J’aurais donc tendance à dire que l’axe Iran-Syrie-Hezbollah se renforce au Liban avec la crise. Cependant, tout dépendra de la capacité des Occidentaux et des pays arabes du Golfe à soutenir financièrement leurs affidés locaux et de les organiser en milices anti-Hezbollah.

à suivre…

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Macron et le Quai d’Orsay protègent le Hezbollah

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Au Moyen-Orient, Emmanuel Macron voulait rester ouvert au dialogue avec tous et éviter de prendre parti. Son orientation en faveur du Hezbollah vient contredire cette ambition.


 

Lors de son investiture à l’Élysée le 14 mai 2017, le président Macron avait dévoilé les grandes lignes de la politique qu’il comptait mener à l’égard des pays arabes. Ses efforts devaient porter sur la sécurité du pays et pour cela il avait clairement désigné les cibles contre lesquelles il devait s’opposer : Daesh et le terrorisme islamiste. Il tenait à ce que sa doctrine s’appuie sur fond de «réalisme et de pragmatisme». Mais il avait bien précisé que sa diplomatie serait plus équilibrée vis-à-vis des pays du Golfe et de l’Iran.

Faire de la France un arbitre au Moyen-Orient

Alors que l’influence française au Moyen-Orient avait largement décliné, sous les mandats de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, il avait estimé que les Printemps arabes avaient modifié la donne et qu’il devait peser dorénavant sur les événements de la région. Il n’avait pas apprécié l’échec du Quai d’Orsay dans la gestion de la crise syrienne. Il voulait que la France soit partie prenante dans le conflit alors qu’elle avait été exclue des négociations d’Astana.

À lire aussi : Liban : Macron a raison de tancer la classe politique

Il avait donc modulé sa position en n’exigeant plus le départ de Bachar el-Assad comme condition préalable et en ne prenant pas le parti de l’un des clans chiites ou sunnites. Il voulait dorénavant agir en arbitre en parlant à tout le monde. Pour lui, il s’agissait du meilleur moyen de tarir les sources de financement du terrorisme. Il se distinguait ainsi de Nicolas Sarkozy qui avait des affinités avec le Qatar et de François Hollande qui s’était engagé pour l’Arabie saoudite.

Malgré une position nette adoptée par les Occidentaux, Macron dialoguait en Libye à la fois avec le premier ministre Fayez El-Sarraj et son opposant le maréchal Haftar. Il voulait s’inspirer de la politique gaullienne, qui avait été d’ailleurs suivie par François Mitterrand, en maintenant la lutte contre le terrorisme islamiste comme fondement de sa doctrine. C’est pourquoi il a financé l’Irak et le Liban, deux pays confrontés à la terreur des militants islamistes afin de s’insérer parmi les acteurs locaux et de tenter de résoudre les différentes crises.

Le soutien de la diplomatie française au Hezbollah 

Mais face à cette volonté légitime d’arbitrage, on ne comprend plus la position d’Emmanuel Macron qui a décidé de prendre fait et cause pour le Hezbollah, qui personnifie  un État dans l’État au Liban, après avoir infiltré tous les rouages de l’administration et mis le pays en coup après avoir acquis à sa cause le président libanais chrétien Michel Aoun. Le Hezbollah est l’une des causes du malheur libanais. D’ailleurs, les manifestants de la mini-révolution ne se sont pas trompés en pendant l’effigie d’Hassan Nasrallah dans la rue.

À lire aussi : Liban: la nation contre les communautés

On ne comprend donc pas pourquoi le président français a demandé officiellement à Donald Trump de suspendre les sanctions américaines qui visent le groupe chiite soutenu par l’Iran car, selon le Quai d’Orsay, elles sont contre-productives. A la suite d’un appel téléphoné avec le président américain, Emmanuel Macron a accusé les Américains de chercher à étouffer le financement du Hezbollah au lieu de l’aider car il doit être partie prenante dans la reconstruction du Liban. Ce coup de téléphone n’est pas une rumeur puisqu’il a été confirmé par le Quai qui a précisé que «Macron lui a dit que dans le cas du Liban, le fait est que la politique de pression ou d’abstention des États-Unis et de certains pays du Golfe pourrait effectivement faire le jeu de ceux qu’ils visent, l’Iran et le Hezbollah. C’était donc une invitation au président Trump à réinvestir la question libanaise, car la situation est grave et nous ne devons pas abandonner le Liban à ceux que les États-Unis sont censés cibler par leur politique de sanctions».

La conférence, qui a lieu ce 9 août, réunit le Premier ministre britannique Boris Johnson, le roi de Jordanie, les représentants de la Chine et de la Russie et de la Banque mondiale, pour envisager le financement du Liban. Israël et l’Iran ont été exclus de cette réunion alors que le Hezbollah intervient en tant que membre du gouvernement libanais. La France, qui sait que le Hezbollah phagocyte tout le pays grâce à la puissance de ses milices face à une armée libanaise mal équipée, justifie sa position : «Le Liban est en train de couler. Nous avons touché le fond, de nombreux Libanais le pensent. Nous sommes là pour aider le Liban à remonter à la surface». L’aide d’urgence collectée par la France et l’ONU pour le Liban s’élève à un peu plus de 250 millions d’euros, a annoncé l’Élysée.

Au moment où la population libanaise a ciblé son ennemi parmi le Hezbollah, il est étonnant que le président Macron, sur les conseils du Quai d’Orsay historiquement pro-arabe, défende une milice qui a généré le chaos dans le pays en le mettant en coupe réglée. Drôle de position d’arbitre que celle de la France.

Banques libanaises : le ground zero financier

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banque liban crise beyrouth
Des pompiers éteignent l'incendie du Crédit libanais, avril 2020, Beyrouth. Auteurs : Bilal Hussein/AP/SIPA. Numéro de reportage : AP22451053_000009

Hier encore florissant, le système bancaire libanais est devenu un « ground zero financier » comparable au port de Beyrouth.


Le 30 juillet dernier, quelques jours à peine avant que l’exposition du dépôt numéro 12 ne dévaste des quartiers entiers de Beyrouth,  l’agence Moody’s a retiré les notations des trois banques libanaises qu’elle observe – Bank Audi, BLOM Bank et Byblos Bank, soit les trois établissements bancaires principaux du pays. Moody’s explique que le manque d’informations l’empêche d’évaluer efficacement leurs solvabilité. Cet argument est mis en avant lorsque l’émetteur refuse de fournir les informations demandées par Moody’s, des données que l’agence ne peut obtenir via les canaux publics. Autrement dit, c’est le naufrage. Mais si les banques libanaises coulent aujourd’hui, cela fait au moins un an qu’elles prennent l’eau.

Dès novembre 2019, la Banque du Liban (BDL, la Banque centrale libanaise) avait demandé aux banques libanaises d’augmenter de 20 % leurs fonds propres afin de renforcer leur solvabilité. Dans son plan de redressement économique voté le 30 mai, le gouvernement libanais avait également évoqué son intention de restructurer le secteur. La BDL a d’ailleurs créé le 16 juillet une commission à cette fin.

L’argent de la diaspora

Le plan de redressement du secteur bancaire conçu par le gouvernement libanais prévoit la restructuration de la Banque centrale (BDL) ainsi que des banques privées – mais non leur mise en faillite. Ainsi, la BDL a demandé aux banques de se recapitaliser en augmentant leurs capitaux. La logique derrière ce plan est d’obliger les actionnaires de réinjecter une partie des dividendes perçus depuis des années.

Car pendant de longues années, les banques libanaises attiraient les capitaux de la diaspora libanaise. Il faut dire qu’elles avaient un sacré atout dans leur manche : un taux d’intérêt élevé (autour de 6% ces dix dernières années) d’un côté, un taux de change relativement stable de l’autre. Autrement dit, un investisseur étranger pouvait acheter des livres libanaises, les investir à 6% et plus tard racheter du dollar à un prix proche du celui de la vente. Le maintien de cet  ensemble taux de change/taux d’intérêt – avec la complicité des différents acteurs du système politique et financier qui se partageaient les bénéfices engrangés – a produit une véritable « pompe à fric ». Cette manne a permis aux banques libanaises de devenir le sixième système bancaire mondial en termes d’actifs par rapport au PIB, avec des dépôts presque trois fois plus important que  production économique annuelle du pays. Avant la crise, les banques libanaises disposaient d’environ 25 milliards de dollars de fonds propres, bénéficiant d’un indice de solidité et de solvabilité supérieur aux normes internationales. Mais cette force est devenue une faiblesse depuis que les flux d’argent en provenance de l’étranger ont cessé.

Pyramide de Ponzi

Ainsi, ceux qui ont contribué à cette pyramide de Ponzi (un système nécessitant d’attirer de l’argent frais en devises pour pouvoir verser des intérêts à leurs déposants) et en ont profité au détriment des clients « ordinaires » (foyers, entreprises), sont appelés par le gouvernement libanais à mettre au pot. Concrètement, le plan de redressement du gouvernement considère que les pertes devraient être épongées par un effacement du capital existant (« write-off ») des banques. Soit la réduction à néant (« wipe-out ») de leur actionnariat. Ceci est bien évidemment un point de départ pour une négociation, mais la logique du « profiteur-payeur » n’en demeure pas moins claire.

Parallèlement, la BDL pousse les banques locales, trop nombreuses pour l’économie libanaise, à la fusion. Enfin, si tous ces efforts ne suffisent pas, un renflouement interne (« bail-in ») sera nécessaire avec la conversion forcée d’une partie des dépôts en instruments du capital. Autrement dit, aux dépens des épargnants. Lors de l’annonce de sa démission en juin, le directeur général du ministère des Finances Alain Bifani, qui a préparé le plan du gouvernement avec ses équipes et des conseillers étrangers (Lazard , Henri Chaoul…), a parlé d’un « haircut » (« coupe de cheveux », c’est-à-dire ce que les détenteurs des comptes devraient payer) de seulement 13%. Selon lui, seuls les comptes bancaires dépassant 10 millions de dollars (soit 931 sur un total de 2.7 millions de comptes), seraient concernés par cette contribution forcée qui s’effectuerait en échange d’actions de la banque.

Ainsi, certains gros investisseurs « piégés » par la crise partageraient la facture des pots cassés mais les comptes courants et l’épargne des  familles ou des entreprises libanaises ne seraient pas mise à contribution.

Crise soudaine

Or, recapitaliser les banques signifie émettre de nouvelles actions et faire appel à des investisseurs qui prennent en compte la notation des banques auprès des agences pour évaluer le risque ainsi que les conditions financières de leurs apports. Les deux autres agences de notation, Fitch et Standard & Poor’s (S&P) avaient noté respectivement Bank Audi et Byblos Bank à “RD”(restricted default) en décembre 2019; et Bank Audi, BLOM Bank et Bankmed à “SD” (selected default). Depuis mars, la notation souveraine est la même que celle des banques du pays. Signe que la pompe à fric était tombée en panne et que le système bancaire commençait à prendre l’eau.

La dégradation de la situation financière du Liban frappe par sa rapidité et sa brutalité. Jusqu’en 2017, les indicateurs étaient au vert et la Bank Audi,  premier établissement bancaire du pays, affichait des bonnes performances conjuguées à une bonne santé comptable. En novembre 2019, en plein mouvement de contestation (lancé le 17 octobre 2019), des rumeurs diffusées sur Facebook annonçaient la faillite imminente des deux premières banques libanaises, Audi et Byblos. L’information n’était hélas pas aussi fausse qu’on le croyait alors.

Cependant, le tarissement des investissements étrangers n’est pas la seule cause de l’écroulement du système libanais. Au fil de la crise, entre août et décembre 2019, les banques ont 10 milliards de dollars de dépôts et leurs fonds propres se sont érodés. Peu après les rumeurs de faillite, en novembre 2019, les réserves de devises étrangères des banques auprès de leurs correspondants sont tombées en dessous des 8 milliards de dollars. Dans un effort pour enrayer cette hémorragie, les banques ont imposé des limites à l’accès aux liquidités et aux transferts à l’étranger. Dans une telle situation, la solution évidente est d’obliger les banques à lever des fonds, c’est-à-dire se recapitaliser.

L’Etat au défi

Les estimations du montant nécessaire à l’opération varient entre 15 et 25 milliards de dollars. Pourquoi un tel écart ? Les banques ayant massivement investi leurs capitaux dans la dette publique libanaise, c’est-à-dire le financement de l’Etat, le trou dans leurs bilans dépend de la cote des obligations émises par l’Etat libanais… Dans ces conditions, on comprend l’extrême difficulté d’une levée de capitaux. Car ceux qui pouvaient renflouer les caisses des banques exigeaient en échange de les valoriser largement plus bas que leur valeur comptable, ce qui auraient fortement dilué les positions des actionnaires. Après avoir pris l’habitude de canaliser une grande partie de leurs dépôts vers le financement de l’Etat plutôt que de prêter au secteur privé, plus de deux tiers des actifs des banques sont immobilisés dans la dette publique. C’est ainsi qu’en 2019, le piège s’est renfermé sur les banques libanaises, bien avant le Covid-19 et l’explosion du 4 août dernier.

Comme le port de Beyrouth, le système bancaire libanais est aujourd’hui un « ground zero financier ». Les solutions sont autant politiques qu’économiques car comme l’ont confirmé les dernières crises, le dernier recours du système financier s’appelle l’Etat. L’Etat qui régule, l’Etat qui décide du taux d’intérêt, l’Etat qui décide du déficit, de l’endettement et des priorités budgétaires, l’Etat qui nationalise et redresse. L’Etat qui, dans le cas du Liban, fait tragiquement défaut.

Danemark, une autre idée des statistiques ethniques

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Palais de Fredensborg (c) SIPA Olafur Steinar Gestsson/Ritzau Scanpix via AP)/AP22447910_000002

Au cœur du débat sur les statistiques ethniques, il peut être intéressant de regarder ce qui se fait ailleurs. L’exemple du Danemark nous prouve qu’il est possible de mettre en place des statistiques claires, lisibles et utiles. L’Insee pourrait en prendre de la graine !


 

Ce court texte, s’il traite d’un sujet bien spécifique, l’évaluation de la population d’origine étrangère au Danemark, est aussi un éloge à Statistic Denmark, tout particulièrement à la qualité de son site et à la grande clarté qui préside à l’accessibilité des données mises en ligne.

Le Danemark est un pays qui a connu une forte émigration, notamment vers les Etats-Unis, au 19ème siècle jusqu’au début du 20ème, mais une faible immigration étrangère jusqu’aux années 1970. Il comptait alors très peu d’immigrés, lesquels ont eux-mêmes eu peu de descendants. Ces immigrés étaient très souvent des voisins proches européens, venus d’Allemagne, de Suède et de Norvège principalement. Cette forte homogénéité du peuplement va être remise en cause par l’immigration étrangère qui s’y développera ensuite, sans toutefois prendre les proportions qu’elle a prises en Suède. Avec les années 2000, les gouvernements danois successifs ont adopté des mesures drastiques pour limiter l’immigration, notamment familiale, et encourager l’intégration. L’actuel ministre de la justice, le social-démocrate Mattias Tesfaye, écrit Douglas Murray, « a, à maintes reprises, tenu des discours difficiles à distinguer de ceux de la patronne du Parti du Peuple danois, Pia Kjærsgaard ». L’hypothèse de Douglas Murray est que la classe politique danoise a fini par comprendre qu’elle devait répondre aux préoccupations des citoyens danois. Le nouveau gouvernement social-démocrate élu en 2019 doit certes composer avec son aile gauche, mais il tient à préserver son modèle social, comme l’indiquent les propos de Rasmus Stoklund, député social-démocrate, tenus le 21 octobre 2019 à lecho.be :

« Allez-y! Les partis de gauche nous reprochent d’être trop durs envers les réfugiés, mais nous ne raisonnons pas en ces termes. Nous pensons à l’avenir de notre modèle. Si trop de personnes ont le sentiment que l’argent public n’est pas utilisé de manière équitable, la classe moyenne ne comprendra plus la signification de l’État Providence et le rejettera. »

À lire aussi : Statistiques ethniques: l’Insee traîne les pieds

Si les Danois sont fiers de leur modèle social, ils peuvent aussi l’être de leur institut de statistique qui a développé une politique de mise à disposition de données exceptionnelle. Statistic Denmark propose en ligne des données par thème et arborescence, présentation qui permet de sélectionner les variables et modalités que l’on souhaite retenir et croiser. Une fois l’utilisateur enregistré sur le site, Statistic Denmark lui propose d’enregistrer ses tableaux aux fins d’une prochaine mise à jour, pour laquelle il peut recevoir une notification et le tableau actualisé s’il s’est inscrit pour le recevoir ! Il propose aussi différents calculs, avant de télécharger un tableau, avec des possibilités de mise en graphique ou en carte. En bas de chaque tableau, l’utilisateur dispose du nom, de l’adresse mail et du numéro de téléphone de la personne à contacter. Il présente aussi une documentation fournie. Visiblement, Statistic Denmark a songé au public, aux utilisateurs potentiels de ses données. L’Insee pourrait en prendre de la graine !

Définition de la population d’origine étrangère dans la statistique danoise

Le Danemark a une définition bien à lui de sa population d’origine étrangère qui ne ressemble à aucune autre, comme indiqué dans la documentation en ligne datant de 2017 : « La définition des immigrés et des descendants est une définition danoise. Il n’y a pas d’autre pays ayant la même définition ». Elle combine nationalité et lieu de naissance des individus et des parents.

Sont d’origine danoise les personnes nées au Danemark ou à l’étranger d’au moins un parent danois né au Danemark. Il suffit donc qu’un parent soit un natif danois pour qu’un individu soit considéré comme d’origine danoise, contrairement à la France où sont généralement considérés d’origine française, les personnes nées en France de deux parents nés en France.

Les immigrés sont nés à l’étranger de deux parents nés à l’étranger ou de deux parents de nationalité étrangère nés au Danemark (cas qui doivent être peu nombreux).

Les descendants sont nés au Danemark de deux parents qui sont soit immigrés soit descendants de nationalité étrangère (un parent quand il n’y en a qu’un seul). Sans information sur les parents, c’est la nationalité qui permet de trancher : s’il est de nationalité étrangère, il est classé comme un descendant. Des petits-enfants d’immigrés nés de deux parents étrangers nés au Danemark sont donc comptés parmi ces descendants, catégorie qui ne cerne pas strictement la 1ère génération née au Danemark. Par ailleurs, comme en Suède, la définition de l’origine étrangère des nés au Danemark est étroite, exigeant que chacun des parents soit immigré ou né au Danemark mais de nationalité étrangère. Contrairement à la Suède, le Danemark n’offre pas, à ma connaissance, de possibilité d’élargir la définition à un seul parent immigré. On verra plus loin l’inconvénient de cette définition étroite de l’origine étrangère.

Le code de la nationalité danoise décide de la nationalité à la naissance des enfants au Danemark en fonction de la nationalité de la mère et de celle du père. Si la mère est danoise, ses enfants nés au Danemark seront danois, quelle que soit la nationalité du père. Mais, si c’est le père qui est danois seulement, il faudra qu’il soit marié à la mère étrangère pour que l’enfant ait aussi la nationalité danoise à la naissance. Sinon, l’enfant peut devenir automatiquement danois si ses parents se marient pourvu qu’il ait moins de 18 ans au moment du mariage et qu’il ne soit pas lui-même marié (tableau ci-dessous). Bien évidemment, ceux qui restent étrangers bien qu’étant nés au Danemark peuvent demander la nationalité danoise et l’acquérir plus facilement que ne le prévoit le régime standard.

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Les conditions d’acquisition de la nationalité danoise sont relativement drastiques. Il faut neuf ans de résidence continue au Danemark avant de pouvoir la demander (8 ans pour les réfugiés). Ce délai est réduit pour les conjoints mariés à un Danois, pour ceux qui sont arrivés enfants et ceux qui ont effectué une part significative de leur éducation au Danemark. Ils devront avoir réussi l’examen de langue et le test de citoyenneté, prêter serment d’allégeance et de loyauté au Danemark et à la société danoise, s’engager à respecter les principes fondamentaux de la loi danoise et certifier sur l’honneur ne pas avoir de casier judiciaire pour des actes commis au Danemark ou à l’étranger.

Statistic Denmark propose des données sur l’origine par pays détaillé et un regroupement en trois postes : Danemark, Pays occidentaux et pays non occidentaux.

Les pays occidentaux regroupent ceux de l’UE (27 pays sans le Danemark), Andorre, l’Islande, le Lichtenstein, Monaco, la Norvège, la Suisse, le Vatican, les Etats-Unis, l’Australie et la Nouvelle Zélande. Tous les autres pays sont considérés comme non occidentaux. Il est également possible de reconstituer l’origine par continent, à partir des pays d’origine détaillés, judicieusement présentés dans l’ordre alphabétique mais successivement pour les différents continents. Nous avons reclassé la Turquie dans l’Asie.

Ces données sont tirées de l’exploitation du registre de population pour lequel Statistic Denmark reçoit tous les jours de nouvelles informations (émigrations, immigrations, naissances, décès) et dont il fait une extraction à la fin de chaque trimestre afin d’élaborer ses statistiques démographiques. Les corrections sont introduites au fur et à mesure que les informations lui arrivent. Ce registre est centralisé au CPR-Kontoret (l’Office du registre central des personnes). Toute personne résidant au Danemark plus de trois mois (6 mois si elle est originaire d’un pays nordique) est tenue de s’y faire enregistrer. Un numéro CPR à dix chiffres, dont les six premiers sont la date de naissance, lui est attribué. Ce numéro, qui figure sur le certificat délivré lors de l’enregistrement et sur la carte de santé, est indispensable pour toute démarche administrative. Le registre est considéré comme de bonne qualité, même s’il souffre d’un sous-enregistrement des sorties du territoire qui doivent être déclarées lorsque le séjour à l’étranger est supposé durer plus de 6 mois. Elles ne le sont pas toujours ou avec retard.

Croissance de l’immigration non occidentale

En 1980, la population d’origine étrangère, comprenant les immigrés et les descendants d’immigrés, ne représentait que 3 % de la population du Danemark, soit près de 153 000 personnes dont 12 % seulement étaient des descendants d’immigrés, indiquant ainsi probablement la prédominance d’une immigration non définitive et/ou de mariages mixtes. Parmi les quinze premiers groupes d’immigrés, deux seulement n’étaient pas originaires d’Europe ou des États-Unis (Turquie et Pakistan). Quarante ans plus tard, 13,9 % de la population est d’origine étrangère et les non-Occidentaux dominent largement (près des deux-tiers en 2020, contre un tiers seulement en 1980). Les Européens, qui représentaient 68 % de la population d’origine étrangère en 1980, n’en regroupent plus que 44 % en 2020, année où les personnes d’origine asiatique sont presque aussi nombreuses. En 2020, le nombre de descendants d’origine asiatique est plus de deux fois plus important que celui d’origine européenne. Dominance qui tient en grande partie à la définition danoise des descendants.

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En effet le nombre de descendants d’une origine donnée dépend de l’ancienneté du courant migratoire, de l’endogamie – puisque les enfants de couples mixtes sont classés d’origine danoise – de la fécondité et du caractère durable de l’installation. En 2020, on compte près de 6 immigrés pour un descendant d’origine polonaise et près de 5 pour ceux d’origine syrienne, contre 1 immigré pour 1 descendant dans la population d’origine turque. Si les immigrés de Turquie ne sont pas les immigrés les plus nombreux, leurs descendants dominent dans l’ensemble des descendants, en raison d’une endogamie turque que l’on retrouve à peu près partout en Europe.  Il est probable que nombre de ces mariages endogames aient été célébrés en Turquie. Mais si l’on regarde la distribution des quelques mariages d’hommes d’ascendance turque célébrés au Danemark en 2019, 82 % d’entre eux l’ont été avec des immigrées mais surtout des descendantes d’immigrés et 84 % de ces conjoints sont d’origine turque. Par comparaison, les quelques hommes immigrés ou descendants d’origine allemande qui se sont mariés au Danemark en 2019 l’ont fait très majoritairement avec des femmes d’origine danoise (60 %). La définition de l’origine au Danemark conduit donc à réduire les populations d’origine étrangère dans lesquelles les mariages mixtes sont nombreux. Mais l’encore faible descendance d’immigrés polonais s’explique par leur migration récente car l’endogamie des quelques mariages célébrés au Danemark est très forte : 94 % des mariages d’hommes d’origine polonaise l’ont été avec des femmes d’origine polonaise, des immigrés la plupart du temps.

Immigrés et descendants d’origine turque constituent donc la population d’origine étrangère la plus nombreuse devant celle originaire de l’ex-Yougoslavie, celle d’origine polonaise puis celle d’origine syrienne. Cette dernière est arrivée avec la dernière vague de réfugiés et représente, avec près de 43 000 personnes, un équivalent en France de l’ordre de 500 000, chiffre qui est loin d’être atteint. L’Insee dénombrait 30 900 immigrés de Syrie en 2017.

En 40 ans, alors que la population d’origine danoise est restée d’une grande stabilité, l’évolution la plus spectaculaire a été celle du nombre de descendants d’origine non occidentale dont le nombre a été multiplié par plus de 20 alors que celui des immigrés non occidentaux ne l’a été que par un peu plus de 8, connaissant un ralentissement entre 2003 et 2014. La croissance du nombre d’immigrés et de descendants occidentaux apparaît modeste par comparaison (graphique ci-dessous).

L’évolution du taux d’accroissement annuel de la proportion d’immigrés au Danemark  reflète bien la recrudescence de l’immigration non occidentale avec deux pics au milieu des années 1980 et 1990. La dernière vague au tour de 2015 a été moins profuse. L’immigration occidentale a pris une certaine ampleur au milieu des années 2000 avec l’entrée dans l’UE de nouveaux pays, notamment la Pologne en 2004 et la Bulgarie et la Roumanie en 2007 (graphique ci-dessous).

Naissances et fécondité d’origine étrangère

Les données sur les naissances de mère d’origine étrangère, dont la compilation ne démarre qu’en 2007, indiquent une hausse de la part de ces naissances qui est passée de  13,5 % en 2007 à 21,9 % en 2019. En 2019, encore 45 % d’entre elles ont une mère d’origine européenne, mais la part de celles dont la mère est d’origine asiatique s’est accrue, passant de 34,9 % à 42 % en une douzaine d’années. Que l’on prenne le classement par continent ou par origine occidentale/non occidentale, les mères descendantes d’immigrés ont joué un rôle beaucoup plus important dans l’évolution des naissances de mère d’origine non occidentale ou d’origine asiatique que dans celle des naissances de mère d’origine occidentale ou européenne. Pareille évolution tient à celle des courants migratoires, au rôle de l’endogamie dans la définition de l’origine étrangère au Danemark et de celui de la fécondité.

Statistic Denmark donne une évolution de l’indicateur conjoncturel de fécondité (ICF) selon l’origine des femmes (occidentale ou non) combinée à sa classification « générationnelle » (d’origine danoise, immigrée ou descendante d’immigrés) depuis 1986.

Jusqu’en 2000, l’ICF des immigrées d’origine non occidentale a été chaque année supérieur à 3 enfants par femme. Ensuite, il a beaucoup diminué jusqu’à 1,8 enfant par femme en 2013, niveau auquel il est encore en 2019, après le rebond constaté pendant la vague migratoire autour de 2015 (avec un maximum de 2,11 enfants par femme en 2016). L’ICF des descendantes d’immigrés (lissé sur trois ans en raison des fluctuations dues aux petits nombres) est, depuis 2007, en dessous de 2 enfants par femme. Jusqu’en 1994, l’ICF des immigrées occidentales a été supérieur à celui des femmes d’origine danoise, puis il est passé très en-dessous pour finir à 1,43 en 2019, très en dessous aussi de celui des descendantes d’immigrés occidentaux dont la composition par origine se réfère à une immigration plus ancienne.

La manière dont cette évolution de la fécondité des femmes d’origine étrangère a pesé sur la fécondité globale au Danemark dépend du poids des différentes origines parmi les immigrées et les descendantes d’immigrés, de leur fécondité et de son évolution dans le temps. Alors que cette influence a été globalement légèrement positive jusqu’en 2005, elle est plutôt légèrement négative depuis. L’ICF des femmes d’origine danoise est un peu supérieur à celui de l’ensemble des femmes au Danemark depuis 2006 (1,74 contre 1,70 en 2019, graphique ci-dessous).

Concentrations locales au Danemark

Grâce à son registre de population, Statistic Denmark est capable de produire des données très localisées sur les populations d’origine étrangère. Ce que l’Insee ne peut pas faire puisqu’il refuse d’introduire les questions utiles dans les enquêtes annuelles de recensement, seules capables d’apporter un coup d’œil infranational sur le sujet. Au Danemark, on dispose d’une série continue trimestrielle allant du 1er trimestre 2008 (juste après un remaniement du découpage territorial supprimant les comtés en 2007) au second trimestre 2020 pour les cinq grandes régions, elles-mêmes découpées en communes (99), dont la plus grande – Copenhague – compte au 1er avril 633 449 habitants et la plus petite – Christiansø (île de l’archipel Ertholmene) – n’abrite que 85 habitants.  Outre la distinction origine occidentale / non occidentale et « générationnelle » (d’origine danoise, immigrés, descendants), on peut connaître l’âge de 0 à 125 ans et le sexe. Des tableaux par origine détaillée sont également disponibles, mais avec des groupes d’âge quinquennaux.

C’est dans la région de la capitale (Hovedstaden), la plus peuplée (1,8 million d’habitants au 1er avril 2020), que la proportion de personnes d’origine étrangère est la plus élevée (20,2 % au 1er avril 2020). La proportion de personnes d’origine non occidentale y est de 13,2 %, deux fois supérieure à  ce qu’elle est dans le reste du Danemark. Et c’est dans la région très au nord du Danemark, la moins peuplée (Nordjylland ; près de 59 000 habitants) que la proportion de personnes d’origine étrangère est la plus faible (8,9 % ; 5,4 % d’origine non occidentale). Les plus fortes concentrations de populations d’origine étrangère sont localisées dans les communes de la région de la capitale, avec un pic à 41,4 % à Ishøj ; 34,4 % des habitants y sont d’origine non occidentale. Copenhague n’arrive qu’en cinquième position avec 25,6 % de sa population d’origine étrangère et seulement 15,9 % d’origine non occidentale.

Dans le tableau ci-dessous, l’ordre des origines les plus fréquentes a été établi à partir de celui observé à Ishøj où 52,9 % des habitants d’origine étrangère sont d’origine turque ou pakistanaise. Plus de la moitié le sont aussi à Albertslund. Les cases surlignées en vert clair indiquent, pour chacune des communes, les origines qu’il faut cumuler pour dépasser (de 0,1 à 4,4 points) la moitié de la population d’origine étrangère. Plus il y en a, plus la population d’origine étrangère est diversifiée. C’est particulièrement le cas à Copenhague où les personnes d’origine turque ou pakistanaise ne regroupent que 10,2 % de la population d’origine étrangère.

Conclusion

Ces quelques données ne donnent qu’un aperçu de ce qu’il est possible de faire à partir de StatBank. Le Danemark est exemplaire en matière de mise à disposition d’informations statistiques, avec une liberté de choix laissée à l’utilisateur qui fait envie. Ma réserve porte sur le choix méthodologique de la définition des descendants d’immigrés dont le nombre est très dépendant de la propension à l’endogamie. Ce qui fausse l’appréciation globale de la population d’origine étrangère et la part qu’y prennent différentes origines.

 

Retrouvez cet article avec tous les graphiques sur le blog de Michèle Tribalat en cliquant ici

 

« De moins en moins d’électeurs se revendiquent de la gauche »

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Jérôme Fourquet. Photo : Hannah Assouline.

On ne présente plus Jérôme Fourquet de l’Ifop, auteur de L’Archipel français. Dans sa dernière enquête d’opinion, le sondeur et politologue analyse la droitisation de la société française… qui ne profite pas forcément aux partis de droite. D’autant qu’Emmanuel Macron triangule avec brio. Entretien (1/2)


 

Daoud Boughezala. Dans la dernière enquête d’opinion de l’Ifop pour Le Point, près de quatre Français sur dix (39%) se disent de droite contre seulement 13% qui se situent à gauche. Cette droitisation du corps social est-elle la conséquence d’une accumulation de chocs (Covid, crise sanitaire, économique, insécurité…) ou traduit-elle tendance lourde ?

Jérôme Fourquet. C’est une tendance lourde sans doute renforcée par le climat actuel. Les faits divers indiquant un ensauvagement de la société, la crise économique, les tensions géopolitiques créent un climat propice au conservatisme, à une volonté de conserver l’existant, de rappeler les règles et les normes et de faire appel à une certaine forme d’autorité. Sur un plan politologique, les chiffres nous disent par ailleurs que le clivage gauche-droite n’est pas mort, bien qu’il ne soit plus le clivage politique dominant. Globalement, la droite s’en sort mieux que la gauche.

Si pour toute une partie de la population, cette grille de lecture est moins opérante pour comprendre et percevoir la scène politique (prises de position des uns et des autres), beaucoup continuent de se classer à droite ou à gauche lorsqu’il s’agit de définit leur identité politique individuelle.

En plus du clivage droite-gauche, un clivage puissant s’est installé en France depuis la présidentielle de 2017, comme dans d’autres pays (Brexit au Royaume-Uni, Trump aux Etats-Unis, Bolsonaro au Brésil…). On peut l’appeler société ouverte vs société fermée, somewhere vs anywhere, protégés vs exposés. Mais dans des sociétés complexes et archipellisées comme les nôtres, aucun clivage n’est suffisamment puissant pour résumer à lui seul le paysage politique. Si ce nouveau clivage est dominant, le clivage droite-gauche fait néanmoins de la résistance.

Se dire de droite, qu’est-ce que cela signifie aujourd’hui ?

Chez les électeurs qui se classent à droite, on peut penser que les valeurs d’ordre et d’autorité sont importantes, la notion de responsabilité individuelle tout autant, de même qu’une certaine forme de libéralisme qui laisse de la latitude aux acteurs économiques et fait jouer les lois du marché. Tout cela s’accompagne d’une aspiration à l’ordre et à la sécurité, d’une défense de la propriété individuelle, d’une volonté de maintenir et de transmettre un héritage culturel.

Mais le fait de se dire de droite ne conduit pas automatiquement à glisser un bulletin LR dans l’urne. Une partie des plus à droite préfère le RN, d’autres appuient la démarche d’Emmanuel Macron depuis qu’il a engagé un virage très précoce à droite. Les gens qui se considèrent culturellement et politiquement de droite ne votent donc pas comme un seul homme pour les représentants officiels de ce courant de pensée. Dans le dispositif macroniste, Castex, Darmanin et Le Maire ont pour fonction d’empêcher la reconstruction des Républicains et de toute alternative sérieuse à LREM susceptible de séduire l’électorat de droite.

Sociologiquement, à quoi correspond cet électorat ?

C’est un ensemble sociologiquement très hétéroclite composé de retraités plus ou moins modestes, de chefs d’entreprise, des cadres et professions libérales, des agriculteurs, qui partagent une certaine vision du monde. Manifestement, la droite continue d’avoir un électorat significatif puisque toute une partie de la population se revendique de droite.

Malgré ce climat relativement favorable, les états-majors des partis de droite ont un problème stratégique : quel positionnement adopter face au macronisme ?

Dans les premiers mois du quinquennat, la gauche tendance PS a aussi tergiversé avant de s’ancrer dans l’opposition…

La gauche se trouve dans une situation diamétralement opposée. Etant dans une position frontale, elle n’a pas de problème de positionnement vis-à-vis du macronisme, qui dérive de plus en plus vers la droite. Mais la gauche a un problème de taille : de moins en moins d’électeurs se revendiquent de la gauche. Par exemple, Jean-Luc Mélenchon prend régulièrement ses distances vis-à-vis de ce vocable. Il a commencé sa carrière autonome en dehors du PS en créant le « Parti de gauche » qui s’appelle aujourd’hui La France insoumise. Chez les écologistes, Yannick Jadot entend dépasser l’ancienne formule de « gauche plurielle » et déclare venu le temps de l’écologie politique. Quant au PS, il se revendique toujours de gauche mais son premier secrétaire Olivier Faure s’est réjoui de l’avènement d’un bloc social-écologiste le soir du second tour des municipales, comme si son objectif était un dépassement rapide de la vieille identité socialiste (« la vieille maison », aurait dit Blum) pour aller vers une formule nouvelle. Cela dénote une crise philosophique et culturelle profonde à gauche.

Quelles sont les causes de cette crise ? L’échec du quinquennat Hollande après la désillusion des deux septennats Mitterrand ?

Que la gauche française se rassure : on observe ce phénomène dans la plupart des démocraties occidentales. La promesse sociale-démocrate s’est épuisée. Du moins ce modèle et cette doctrine ont été déstabilisés par l’immersion dans le grand bain de la mondialisation. Olivier Faure annonce l’avènement de la social-écologie comme si l’écologie était la nouvelle force propulsive à gauche. Mélenchon a fait le même constat : le communisme et la social-démocratie semblent à bout de souffle, en s’inscrivant dans une optique populiste à la Chantal Mouffe : peuple contre élites, oligarchie contre les « 99% » de la population. Il ne se revendique plus qu’épisodiquement de la gauche.

Mais rendons à César ce qui est à César : le modèle social-démocrate est peut-être épuisé parce qu’il a en bonne partie réussi. On le voit avec la gestion de la crise du Covid : en quelques mois, nous avons renforcé notre Etat-Providence déjà très plantureux et qui paraît aujourd’hui obèse. L’Etat va vous donner 50 euros pour réparer votre vélo, tous les secteurs économiques tendent la sébile pour demander son chèque, de l’industrie aéronautique au tourisme en passant par les boîtes de nuit.

Il n’est plus du tout question de privatisations. C’est assez cocasse de penser que la France s’empaillait sur le cas d’Aéroports de Paris il y a encore un an. Au contraire, l’Etat va monter au capital d’Air France et toute une série d’entreprises connaîtront le même sort.

Même des libéraux comme Macron ou Le Maire appliquent aujourd’hui une politique ultrakeynésienne. Crise du Covid oblige, cet ultrakeynésianisme s’ajoute à un modèle français où 57% de la richesse nationale était déjà redistribuée par la puissance publique.

Avec l’assentiment de la quasi-totalité de la classe politique de l’extrême droite à l’extrême gauche…

Oui. Si certains critiquent cette politique, ils le font en prétendant qu’elle ne va pas assez loin dans l’étatisme. Signe des temps, le Premier ministre Jean Castex est de droite mais se dit gaulliste social. Même si la social-démocratie supposait aussi la négociation, le paritarisme, et des syndicats forts, avec la mise en place d’un Etat social très interventionniste économiquement, très redistributif fiscalement et très généreux socialement, la France a dépassé certains espoirs formulés après-guerre. Partant, qu’est-ce que les socialistes peuvent demander de plus ? C’est pourquoi certains d’entre eux cherchent plutôt la nouvelle frontière idéologique soit dans l’extension des droits (des individus ou des minorités) soit dans l’écologie.

à suivre…

L'Archipel français: Naissance dune nation multiple et divisée

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Zoe Saldana, l’actrice qui se repent d’être trop blanche

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Zoe Saldana, Auteurs : John Salangsang/AP/SIPA; Numéro de reportage : AP21866161_000002

Zoe Saldana, actrice américaine d’origine portoricaine et dominicaine, ayant incarné Nina Simone dans le biopic Nina, s’est excusé… de ne pas être assez noire de peau pour le rôle. Décryptage du racialisme de notre temps.


 

J’ai toujours tendance à sous-estimer la vitesse à laquelle une certaine partie de la société s’enfonce dans les délires idéologiques à la mode. Dernière surprise en date : en ce début d’août, Zoe Saldana, actrice américaine d’origine portoricaine et dominicaine – ce détail prend tout son sens plus tard – ayant joué Nina Simone dans le biopic Nina, s’est excusé pour avoir tenu le rôle de la grande musicienne, plus noire qu’elle : « Je n’aurais jamais dû jouer Nina. (…) J’aurais dû faire tout ce qui était en mon pouvoir pour confier le rôle à une femme noire pour qu’elle puisse incarner le rôle d’une femme noire exceptionnelle ». Concernant le fond de teint noir qu’il a fallu lui mettre pour lui donner un épiderme semblable à l’artiste qu’elle interprétait – vous connaissez la rengaine du « black face » – l’actrice a même déclaré : « Je pensais à l’époque que j’avais la permission parce que j’étais une femme noire, et je le suis, mais c’était Nina Simone (…) Nina avait un parcours qui devrait être honoré jusqu’au moindre détail ».

Peu consciente de l’incohérence de son propos (si l’on veut coller aux détails, le maquillage peut sembler légitime), l’actrice se répand en larmes de crocodiles pour témoigner de sa sincérité auprès du tribunal des belles âmes.

Je suis dur, me direz-vous.  Et puis il faut dire que dans un biopic, le protagoniste principal a intérêt à ressembler un peu au grand personnage qu’il incarne – à ce titre il était donc bien judicieux de faire jouer la grande Nina par une femme noire plutôt que par un homme blanc. Sauf qu’à l’époque où le film est sorti en 2016, la toute ambitieuse Zoe Saldana ne s’était pas défaite lorsque Kelly Simone, la fille de Nina, s’était déclarée peu convaincue par ce choix pour incarner sa mère, ainsi que par un scénario selon elle mensonger.

Cinquante nuances de noir

Prétendant s’identifier à une femme noire, – éternelle contradiction d’un progressisme qui autorise n’importe qui à s’identifier à n’importe quoi et qui attache simultanément à chacun les chaines de son appartenance natale – l’actrice à l’époque prête à tout défendait l’idée qu’il « n’y avait pas qu’une seule façon d’être noir », raison pour laquelle elle pouvait interpréter une « autre femme noire ». Quatre ans plus tard, l’emprise de mouvements haineux s’autoproclamant porte-voix des minorités est passée par-là, et l’actrice s’adonne à un exercice nord-coréen de repentance publique auprès d’une certaine gauche aux instincts totalitaires qui se constitue systématiquement en jury d’assise médiatique pour trancher du bien et du mal, du raciste et du non-raciste (il suffit de voir les journaux observant avec délectation les excuses de l’actrice – Huffington Post et autres Inrocks).

Il y a d’abord dans ce nouveau procès quelque chose qui relève de l’étrange recherche d’une « pureté de la race » noire, visiblement déniée à une actrice dont chacun peut tout de même constater qu’elle n’est pas blanche. Cet étrange concours de couleur, sous prétexte de lutter pour la visibilité de minorités qui n’en finissent plus de s’éclater en sous-groupes, fixe à chacun un spectre bien précis d’engagements qu’il peut incarner en fonction de son appartenance ethnique. Certes, Zoe Saldana avait grimé son nez pour ressembler à Nina Simone. Mais Eric Elmosnino dans Gainsbourg, vie héroïque, n’a-t-il par également revêtu un nez massif et tranchant pour bien coller au génie juif qu’il a magnifiquement interprété ? A-t-on entendu la communauté juive s’inquiéter de que ce maquillage ne fasse référence aux caricatures juives millénaires qui ont fait florès entre 39 et 45 ? Seulement voilà : certaines franges minoritaires n’ont que leur susceptibilité pour se mettre en valeur et justifier leur violence.

Le manque de diversité est idéologique

Cette concurrence épidermique masque enfin le fait que si le star system, en Amérique comme en France, est peu représentatif de la population, ce n’est pas parce qu’il manque de telle ou telle couleur, mais parce qu’il manque de diversité d’idées (et de plastiques également d’ailleurs – dans le cinoche, mieux vaut être une belle noire qu’un blanc moche !). Sur les centaines de star que nous connaissons, combien se revendiquent pro-Trump, antilibérales ou sceptiques vis-à-vis de MeToo et de Black lives matter ? Croyant d’un côté célébrer la diversité en hiérarchisant les races, le politiquement correct crée en même temps une surveillance de tous par chacun, dans laquelle les déviants mis au ban d’un monde du spectacle qui ne regorge ni d’intellectuels, ni de convictions très solides, et qui ne cherche en réalité que l’homogénéisation du monde.

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« La destruction d’Israël reste l’utopie mobilisatrice des jihadistes »

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Jerusalem. Auteurs : Mahmoud Illean/AP/SIPA. Numéro de reportage : AP22478461_000016

Une petite décennie après son déclenchement, où en est la guerre en Syrie ? Que reste-t-il de Daech à l’échelle mondiale ? Quel jeu joue la Turquie d’Erdogan ? Les réponses du géographe Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie et du Liban. Entretien (2/2).


Retrouvez la première partie de cet entretien ici.

Daoud Boughezala. Presque dix ans après le début de la guerre civile syrienne, Damas a-t-il renoncé à recouvrer son intégrité territoriale, notamment dans la province d’Idleb et au Kurdistan ?

Fabrice Balanche. Damas veut reconquérir l’ensemble de son territoire. La priorité est la poche d’Idleb (2,5 millions d’habitants), qui devrait connaître une nouvelle offensive dans les mois à venir. Son retour dans le giron de l’Etat syrien est indispensable pour restaurer l’économie d’Alep, toujours sous la menace des jihadistes qui contrôlent Idleb, mais également protéger Lattaquié et la région alaouite de leurs raids. Cependant la Turquie a déployé 9,000 hommes à Idleb pour bloquer la progression de l’armée syrienne. D’une part, elle ne veut pas voir affluer sur son territoire deux millions de nouveaux réfugiés. D’autre part, Erdogan veut une contrepartie contre les Kurdes. Depuis 2016, la progression de l’armée syrienne à Alep et Idleb s’est faite avec la complicité de la Turquie et donc au détriment des Kurdes, comme nous avons pu encore le constater en octobre 2019 lorsque l’armée turque s’est emparée de la bande frontalière Tel Abyad-Ras el-Aïn, sous le regard incrédule des Occidentaux.

Le Kurdistan syrien (Rojava) est donc sous la menace d’une nouvelle offensive turque, car Erdogan n’acceptera jamais un mini-Etat kurde dans le nord de la Syrie, notamment dirigé par un parti lié au PKK. La région dispose de pétrole mais elle est complètement enclavée et dépendante de la Turquie pour ses ressources en eau. Il lui faudrait une réelle protection militaire des Occidentaux et un plan Marshall pour construire une économie autonome. Or, les Etats-Unis n’ont aucune envie de s’engager dans ce processus et l’Union Européenne n’a pas les moyens militaires de se substituer aux Etats-Unis. Moscou, Damas et Téhéran attendent patiemment et activement que les troupes américaines toujours présentes quittent cette région. Les dirigeants Kurdes espèrent conserver leur autonomie grâce à la médiation de la Russie, mais Damas refuse pour l’instant toute concession. Les problèmes économiques du gouvernement syrien, le retour de la violence à Deraa et la lenteur avec laquelle l’armée syrienne progresse à Idleb, leur laissent un sursis de quelques mois, voire quelques années. Le Rojava est pris entre l’enclume syrienne et le marteau turc.

D’ailleurs, quelle stratégie poursuit la Turquie en Syrie ?

Depuis août 2016, la Turquie a entrepris la construction d’une ceinture arabe anti-kurde dans le Nord de la Syrie. Les districts d’al-Bab, Azaz et Jerablous, au nord d’Alep, conquis en 2016 contre Daesh, ont été agrandis par ceux d’Afrin, pris aux Kurdes en 2018, et ceux de Tel-Abyad – Ras al-Ain, également pris aux Kurdes en octobre 2019. Ces zones sont directement administrées par les gouverneurs turcs d’Antakya, Ourfa et Gaziantep. La Turquie a organisé une gendarmerie et une armée locale. Elle paye les fonctionnaires locaux et, avec l’effondrement de la livre syrienne début 2020, la livre turque est désormais la monnaie de référence. Ces territoires comptent aujourd’hui plus d’un million et demi d’habitants (dans une Syrie qui en dénombre 17 millions), des centaines de milliers de déplacés internes venus de Deraa, Idleb, la Ghouta et l’ensemble des zones reconquises par l’armée syrienne, viennent s’y installer à défaut de pouvoir se réfugier en Turquie. C’est dans cette zone que la Turquie recrute les mercenaires qu’elle envoie en Libye. Il sera difficile à l’armée syrienne de revenir dans cette zone qui risque de devenir une République de Syrie du Nord sur le modèle chypriote.

Comme l’illustre la brouille entre Bachar Al-Assad et son cousin milliardaire Rami Makhlouf, la rue alaouite a-t-elle lâché le pouvoir baathiste ? Plus globalement, alors que des druzes ont manifesté contre Damas, le régime est-il en train de perdre le soutien des minorités sur lesquelles il s’appuie depuis des décennies ?  

Les manifestations anti-régime à Souweida se sont rapidement terminées en juin dernier avec l’arrestation des principaux activistes. Elles étaient surtout motivées par la dégradation des conditions de vie en raison de la forte dévaluation de la livre syrienne. Nous avons eu des manifestations de colère semblable dans le pays alaouite durement éprouvé par la guerre. Si les provinces de Lattaquié et de Tartous ont été largement épargnées par les combats, en revanche les alaouites ont payé le prix du sang et ils n’acceptent pas la misère qui les frappent, alors que c’est grâce à leur sacrifice que Bachar el Assad a pu conserver le pouvoir. Certes, les alaouites n’avaient pas le choix, car la victoire de l’opposition islamiste aurait signifié leur élimination de Syrie, comme celle des autres minorités confessionnelles. Aujourd’hui encore, ils n’ont guère le choix, car vers qui se tourner en dehors de Bachar al-Assad ? Il a gagné la guerre avec l’appui des Russes et des Iraniens et il n’existe pas d’alternative politique réaliste en Syrie qui puisse donner des garanties existentielles aux minorités.

La brouille entre Bachar al-Assad et Rami Makhlouf ne témoigne pas d’une fracture au sein de la communauté alaouite ou d’un divorce entre la rue alaouite et le pouvoir baathiste. Rami Makhlouf est unanimement détesté en Syrie, par le peuple outré par son luxe ostentatoire et par les hommes d’affaires excédés par la prédation systématique qu’il exerçait sur l’économie syrienne. Il est le symbole de la corruption et du népotisme qui a conduit les Syriens à la révolte en 2011. Souvenons-nous qu’au début de la révolte, les Syriens s’attaquaient aux bâtiments officiels mais aussi aux agences de Syriatel, la compagnie de téléphone de Rami Makhlouf. En procédant à la confiscation des biens de son cousin, Bachar Al-Assad a retrouvé un peu de marge financière, mais il a surtout prouvé qu’il avait le pouvoir bien en main, puisqu’il était capable de frapper même au sein du premier cercle du pouvoir. En revanche, il ne faut pas y voir le début d’une opération anti-corruption de grande ampleur de la part d’un régime qui serait devenu vertueux sur ce plan. L’espace économique libéré par Rami Makhlouf est en partie déjà comblé par d’autres affairistes proches d’Asma Al-Assad et du président lui-même.

La Russie a annoncé construire une réplique de la cathédrale Sainte-Sophie en Syrie, dans la province de Hama.  Cette démonstration du soft power orthodoxe russe est-elle un message adressé à la Turquie d’Erdogan ? 

La construction d’une réplique miniature de la cathédrale Sainte-Sophie, à Sqalbyeh, petite ville chrétienne orthodoxe au nord-ouest de Hama, est bien entendu une réponse à Erdogan. La ré-islamisation de Sainte Sophie, devenue un musée sous Ataturk, possède une portée symbolique et stratégique qui va delà de la simple politique domestique. Erdogan se rêve en nouveau calife, comme son illustre prédécesseur Soliman le Magnifique. Sainte Sophie est appelée à remplacer la mosquée al-Ahzar du Caire pour ses avis juridiques et la prière du vendredi mettre en scène Erdogan comme le commandeur des croyants. Alors que l’Occident minimise l’affaire, la Russie de Vladimir Poutine prend très au sérieux le geste d’Erdogan ; cela lui donne un levier sur un monde arabe et musulman déstabilisé par les printemps arabes et qui est en mal de leadership. A contrario, Poutine a renoué avec la tradition russe de protection des chrétiens orthodoxes, et plus généralement de l’ensemble de la chrétienté, puisque les Etats d’Europe occidentale sécularisée ont renoncé à jouer ce rôle.

Sqalbyeh est un ilot chrétien dans une région musulmane. La ville a été défendue durant toute la guerre par une milice chrétienne qui a résisté aux assauts des rebelles islamistes et des jihadistes d’Al-Qaïda. Jusqu’au printemps 2019, elle était bombardée régulièrement par les rebelles d’Idleb soutenus par la Turquie. Le lieu est donc hautement symbolique, montrant qu’une petite communauté chrétienne, avec le soutien massif de la Russie, peut résister au rouleau compresseur islamo-turc. C’est un message très clair envoyé aux Européens qui s’inquiètent de l’expansion turque en Méditerranée orientale, de son ingérence dans les affaires domestiques grâce à une diaspora mobilisée par l’AKP, et soumis à un dangereux chantage aux migrants, que l’intervention militaire turque en Libye ne fait qu’augmenter.

Si le front syrien se stabilise, l’épicentre du djihadisme se déplacera-t-il en Libye, où la Turquie soutient des milices islamistes opposées à Haftar ?

Les deux fronts sont désormais liés puisque nous trouvons quasi les mêmes acteurs en Syrie et en Libye. La Turquie utilise le réservoir de rebelles islamistes et de jeunes chomeurs du Nord-Ouest de la Syrie pour soutenir le Président Sarraj en Libye. La Russie recrute des rebelles « réconciliés » du Sud de la Syrie pour les envoyer soutenir le maréchal Haftar au côté des mercenaires du groupe Wagner. Cependant, la Libye n’est pas une terre de jihad comme la Syrie avec Al-Qaïda et Daech. Certes, nous avons la présence des mêmes groupes jihadistes en Libye, qui essaiment également en Afrique sub-saharienne. Cependant la guerre en Libye n’est pas aussi mobilisatrice que celle au « pays de Sham » dans la jihadosphère. La lutte contre les « hérétiques » chiites est devenue un objectif prioritaire du jihad avec Daech. Mais l’utopie mobilisatrice commune des jihadistes demeure la destruction d’Israël et la reprise de Jérusalem. Or, on s’éloigne de l’Etat hébreu en Libye. Par ailleurs, on n’y trouve ni chiite à égorger, ni chrétiens à décapiter, à part quelques malheureux ouvriers coptes égyptiens, ni même une minorité yézidi à réduire en esclavage sexuel pour satisfaire les bas instincts des candidats au jihad. Il ne faut pas négliger pas ce dernier facteur, comme le souligne Hugo Micheron dans son ouvrage Le jihadisme français. quartiers, Syrie, prisons. Le véritable facteur d’attraction de la Libye, qui pourrait justement en faire l’épicentre du jihadisme, c’est simplement l’appât du gain. Les ressources pétrolières libyennes constituent un attrait non négligeable pour les professionnels du jihad, quitte à s’en servir pour financer des opérations sur d’autres terrains. Il est clair, que si la situation militaire doit pourrir en Libye, tandis que la Syrie se stabilise, nous verrons un transfert de combattants depuis la Syrie qui alimenteront le conflit au nom du « jihad ».

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Martin Parr, victime (consentante) des clichés antiracistes

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Martin Parr. Auteurs : REX/Shutterstock/SIPA. Numéro de reportage : Shutterstock40699243_000107

Martin Parr, le photographe britannique, injustement accusé de cautionner le racisme, soutient les déboulonnages de statues… Cloué au pilori, il ne bénéficie pas de la mansuétude dont jouit son concitoyen le rappeur Wiley, auteur d’une série de tirades antisémites. Selon que êtes blanc ou noir…


Faites vos jeux, rien ne va plus !  Il n’est pas facile de deviner qui sera la prochaine victime de la fâcheuse tendance actuelle à mettre au ban des médias toute personne ayant exprimé une opinion contraire à la moraline régnante. Car la cancel culture est un dédale où même ceux qui se croient purs et vertueux se perdent, où le bien et le mal se transforment l’un dans l’autre et où le héros d’hier peut devenir le grand méchant d’aujourd’hui. La formule de La Fontaine, « Tel est pris qui croyait prendre », n’a jamais été aussi pertinente. Considérons d’abord le cas de Martin Parr.

Laver plus blanc que blanc

Ce Britannique de 68 ans, photographe émérite et doyen des photojournalistes, a été contraint de démissionner de son rôle de directeur artistique du Festival photographique de Bristol, cette ville où l’on déboulonne les statues d’esclavagistes. La raison remonte à 1969. Cette année-là, un photographe italien, Gian Butturini, publie London, un album d’images de la capitale qui inclut une double page où l’on voit, à gauche, le portrait d’une femme noire, employée du métro londonien, dans sa guérite et, à droite, la photo d’un gorille dans sa cage au zoo. Un simple hasard ? Peu probable. Juxtaposition raciste ? Possible. Comparaison compassionnelle entre deux êtres enfermés, chacun à sa manière ? Concevable. Le problème est que, aujourd’hui, de telles ambiguïtés ne sont plus permises. En 2017, la maison d’édition italienne, Damiani, ressort le livre – devenu introuvable – en facsimilé, en demandant à Martin Parr d’en écrire la préface. Celui-ci s’exécute sans faire la moindre référence à la double page en question. En 2019, une étudiante londonienne reçoit le volume en cadeau de son père. En découvrant la double page, elle reste bouche bée : comment Parr n’a-t-il pas pu en voir le sens, pour elle, évident ? Seule conclusion : Parr, tout comme Butturini (mort en 2006), doit être raciste, au moins inconsciemment. Elle lance une campagne de protestation sur Twitter et à Londres devant une exposition de Parr à la National Portrait Gallery. Le mouvement est peu suivi, jusqu’à ce que, motivés par l’assassinat de George Floyd, des étudiants de l’Université de l’Ouest d’Angleterre décident de retirer leur participation à une exposition de fin d’année qui devait avoir lieu à la Fondation Martin Parr. Quelquefois, pour faire annuler, il faut boycotter et vice versa. Les autorités universitaires appuient la décision des étudiants en récitant le mantra trinitaire qui affirme qu’elles restent « totalement engagées au service de la diversité, de l’égalité et de l’inclusion. » La démission de Parr est désormais inévitable, accompagnée d’une lettre d’excuses où il s’avoue mortifié par sa négligence. Il se dit prêt à verser ses droits d’auteur pour la préface à une organisation caritative et demande à l’éditeur de mettre au pilon les exemplaires restants. Afin de rendre sa fondation « plus inclusive » et « ouverte à la diversité », il crée une nouvelle bourse réservée aux photographes issus des minorités ethniques. Au jeu de la repentance, c’est le full. Ses détracteurs stigmatisent à la fois son analphabétisme visuel en termes de race et son insouciance d’homme blanc d’un certain âge. Pour eux, critiquer un tel personnage équivaut à « démanteler le système. »

La grande ironie de l’histoire est que Parr est un gauchiste antiraciste qui, dans un entretien accordé au Figaro avant qu’il ne soit obligé de démissionner, avait proclamé son soutien pour Black Lives Matter et s’était déclaré « complètement pour » la destruction des statues qui constitue, à son avis, une « réappropriation de notre histoire. » A force de déboulonner les autres, on finit par se faire déboulonner soi-même. Les accusateurs de Parr le Blanc n’ont fait preuve d’aucune hésitation, d’aucune mansuétude, en le condamnant. Mais dans le labyrinthe de la cancel culture, les choses ne se passent jamais comme prévu. Comme le confirme le cas de Wiley.

Se grimer en raciste

Ce rappeur britannique, connu comme le « Roi » d’une forme de hip-hop appelée « grime », récompensée d’une médaille par la Reine en 2018, commence mal le weekend du 25/26 juillet. Vendredi soir, il se lance dans une série de tirades antisémites sur différents médias sociaux. Interdit pendant quelques heures de publier sur Twitter, où il a un demi-million de suiveurs, il revient à la charge samedi matin. S’adressant aux juifs, qu’il qualifie de « lâches » et de « serpents » et qu’il compare aux membres du Ku Klux Klan, il leur assène qu’Israël « n’est pas votre pays » avant d’affirmer plus tard que c’est « à nous », invoquant ainsi le mythe des Hébreux noirs cher à certains Afro-Américains (Croyance selon laquelle les Noirs sont les vrais descendants des anciens Israélites.). Il semble que l’origine de ce déversement de haine se trouve dans un conflit entre le musicien et son manager qui s’avère être juif. Néanmoins, les « excuses » que le rappeur propose du bout des lèvres par la suite ne font que renforcer l’impression qu’il assume pleinement les pires théories conspirationnistes. Condamné immédiatement par certains, Wiley fait l’objet d’une complaisance relative de la part d’autres, surtout à gauche. Malgré le caractère outrancièrement raciste de ses remarques, Facebook attend le mardi suivant pour bloquer ses comptes, et Twitter le mercredi. L’épisode rappelle le cas d’un autre rappeur, l’Afro-Américain Ice Cube, qui, au début du mois de juin, tweete la reproduction d’une peinture murale dont l’imagerie sort tout droit des Protocoles des Sages de Sion. Critiqué, il récidive en postant d’autres emblèmes qui abondent dans le même sens. En l’occurrence, l’artiste Mear One, responsable de la fresque, qu’il a peinte sur un mur londonien et qui a été effacée par la municipalité en 2012, avait reçu à l’époque le soutien du leader travailliste, Jeremy Corbyn. Or, en novembre dernier, celui-ci a tweeté ses remerciements à Wiley pour son appui pendant la campagne électorale. Le samedi des tirades de Wiley, ce tweet a été judicieusement effacé. Ici, on voit bien se dessiner les frontières de ce triangle des Bermudes entre l’extrême-gauche, la judéophobie et certaines idéologies identitaires noires, zone où disparaissent à jamais de nombreux donneurs de leçons antiracistes.

Les délires offensants de Wiley sont condamnés de manière implicite dans une lettre ouverte signée par des centaines de musiciens et de producteurs, publiée en ligne le 1 août. Certes, toutes les formes de discrimination y sont dénoncées et l’antisémitisme figure bien sur la liste, mais le texte peine à souligner la leçon fondamentale de cet épisode : le fait de se croire victime de racisme n’empêche pas d’être raciste à son tour. Comme l’explique l’universitaire afro-américain, Wilfred Riley, dans son livre récent sur les dix vérités dont on ne peut pas parler (Taboo. 10 Facts You Can’t Talk About), « n’importe qui peut être un raciste. » Nos deux cas illustrent parfaitement les contradictions absurdes de la cancel culture. Le Blanc qui se croit protégé par sa vertu inhérente de gauchiste se fait dénoncer sans magnanimité aucune et doit se prosterner pour être absous de ses péchés. Le Noir qui se croit protégé par son appartenance à une minorité ethnique socialement désavantagée dérape en montrant que le racisme peut prendre toutes les formes et que chacun peut être à la fois victime et bourreau. Au fond, dans le dédale de la cancel culture, le seul Minotaure est la vieille hypocrisie humaine. Selon une autre formule de La Fontaine : « On se voit d’un autre œil qu’on ne voit son prochain. »

 

La justice sur le banc des accusés

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Des policiers jettent leurs menottes en signe de protestation, le 20 juin 2020 à Paris (c) Bastien LOUVET/BRST/SIPA/2006211229

Les Français ne font plus confiance en leur justice. Pourtant, c’est elle qui peut faire reculer la violence dans notre pays. Sans une justice équitable, le danger est grand de voir réapparaître la tentation de régler la problématique sécuritaire de façon autoritaire et musclée.


Tonneau des Danaïdes

Si la violence ne  date pas d’hier et qu’il est vain de croire pouvoir l’éradiquer complètement, il n’est pas interdit toutefois de vouloir la contenir, l’endiguer et de réfléchir aux moyens d’y parvenir. Telle est d’ailleurs la première tâche de l’Etat. Mais pourquoi la France, sur-administrée, championne des prélèvements obligatoires et dont l’Etat est atteint de boulimie structurelle, n’y parvient-elle pas ? La  case défectueuse dans le dispositif  sécuritaire ne se situe pas dans la police et la gendarmerie, dont les agents sont en première ligne face aux bandes armées et aux délinquants, et dont le professionnalisme et la retenue forcent le respect. C’est la réponse pénale qui est montrée du doigt par nos concitoyens lorsqu’on les interroge sur les causes de l’impuissance de l’Etat à endiguer la violence.

La justice semble ne pas vouloir jouer le jeu. Combien de policiers ont témoigné de leur stupéfaction de voir des délinquants multirécidivistes, qu’ils avaient arrêtés le matin et remis entre les mains de la justice, se promener en fin d’après-midi à leur nez et à leur barbe, le juge leur ayant rendu entre-temps la liberté ! Les forces de l’ordre ont l’impression, non seulement de ne pas être soutenues par les magistrats, mais surtout d’être entravées et désavouées dans leurs actions. En effet, que penser d’un juge qui ne prononce qu’une peine légère à l’encontre d’un multirécidiviste qui recommencera le lendemain ?

À lire aussi : La justice mise à nu par ses magistrats!

La police nourrit le sentiment d’être soumise au supplice de Sisyphe, ce héros mythologique grec qui fut condamné, aux enfers, à rouler éternellement un rocher sur une pente ; parvenu au sommet, le rocher retombe et notre héros doit recommencer sans fin ! Ou bien à remplir le tonneau percé des Danaïdes ! N’est-ce pas la situation à laquelle sont confrontées nos forces de l’ordre vis-à-vis de la justice ? Interpeller continuellement les violents qui, le soir, sont remis en liberté, et qu’il faudra appréhender de nouveau dès le lendemain !

Une impunité qui accroît la violence

Cependant, la police n’est pas la seule à sortir perdante d’un tel dysfonctionnement de l’administration judiciaire. A long terme, les contrevenants et les délinquants finissent par en devenir eux aussi les victimes indirectes. En effet, le laxisme des juges entretient chez eux un sentiment d’impunité qui ne peut, dans un premier temps, que les encourager dans la carrière du crime. En effet, dès lors que le principe de responsabilité est mis à mal, dès lors que, quoi qu’ils fassent, ils ne seront jamais tenus pour pleinement responsables de leurs actes, et donc punis en conséquence, pourquoi s’arrêteraient-ils en si bon chemin et ne remettraient-ils pas le couvert pour augmenter exponentiellement leurs gains ?

La mansuétude excessive et inopportune des juges conforte les violents, les intégristes et les trafiquants dans leur volonté de s’enrichir en contournant et en violant les lois, ou de décérébrer et embrigader la jeunesse au mépris de la laïcité. La violence et le fanatisme, constatant l’absence, en face d’eux, d’un ordre étatique capable de les contenir et de les réprimer, sont encouragés à persévérer et à augmenter. Le laxisme fait de la sorte le jeu de la montée aux extrêmes, jusqu’à ce qu’un pouvoir autoritaire et dictatorial ne reprenne les choses en main au détriment de la liberté. C’est pourquoi le laxisme des juges, en plus d’encourager la violence, véhicule, tôt ou tard, l’enfouissement des libertés publiques sous la chape de plomb d’un pouvoir autoritaire. Voilà où conduit le laxisme d’une magistrature idéologisée qui trahit sa mission.

En finir avec la culture de l’excuse

Comment rendre la justice à sa fonction première qui est de rendre à chacun son dû ? Premièrement, en mettant un terme à la politique de l’excuse. Trop souvent, les juges atténuent la gravité des crimes en alléguant l’enfance difficile ou le milieu de leurs auteurs, ou bien leurs origines, voire la discrimination dont ils auraient fait l’objet. Le principe de la « circonstance atténuante », de périphérique, devient central. Si bien que le coupable devient la victime, quand la victime objective, par exemple la personne qui a été volée, n’est pas loin d’être accusée d’avoir excité la convoitise du voleur, et d’être tenue pour responsable de son propre malheur !

À lire aussi : La précarité et l’injustice, faux prétextes de la sécession des banlieues

Cessons cet embrouillamini mental et appelons un chat un chat, en refusant d’opérer l’amalgame entre victimes et coupables. Sinon, en appelant « bien » ce qui est mal, et « mal » ce qui est bien, nous courons à la schizophrénie et à la perte de nos repères cognitifs. Respecter les « valeurs », cela commence par bien nommer les choses, et ne pas confondre le criminel avec sa victime.

Raccourcir les délais de la réponse pénale

Le deuxième moyen à mettre en œuvre afin que la justice reprenne la situation sécuritaire en main, consiste à raccourcir les délais de jugement. En effet, plus la réponse pénale tarde à venir, plus le sentiment d’impunité s’installe et s’enracine dans l’esprit du délinquant. Au final, celui-ci ne parvient plus à percevoir le rapport de cause à effet entre son méfait et le verdict qui tombe plusieurs années plus tard. La « tolérance zéro », que le chef de l’Etat promet de rétablir, commence par une justice plus rapide et plus efficace. C’est à ce prix que les Français recouvreront leur confiance dans l’institution judiciaire.

 

Quand Yassine Belattar célèbre la « caillera » Rimbaud

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Arthur Rimbaud, par Ernest Pignon-Ernest. SIPA. Numéro de reportage : 00298905_000004

L’Obs fait du poète prodige une icône de la gauche la plus cosmopolite, LGBT et progressiste. Une récupération au forceps.


« La passion Rimbaud » titre L’Obs de cette semaine. En couverture, le fameux portrait de sa gueule d’ange lorsqu’il n’était pas sérieux à dix-sept ans. Mais en version warholisée. Etant tombée dans le chaudron Rimbaud à quinze ans, je l’achète, faisant fi de ma réticence envers l’hebdo.

Rimbaud est un autre

Catastrophe. Le premier article du dossier, signé Roan Bui, essaie de faire du Voyant qui fixait les vertiges une figure inclusive. Certes, le poète fut depuis toujours un modèle, des Surréalistes à Patti Smith, la quintessence de la révolte rock’n’roll pour les uns et l’inventeur de la poésie moderne pour les autres.

Mais l’hebdo progressiste plombe les semelles de vent du génie en voulant en faire un porte drapeau de la « pensée » inclusive. Arianne Pasco, cofondatrice de Nice Art, nous explique que les « racisés » du monde entier, de Rio à Gaza, vénèrent l’enfant de Charleville, insinuant ainsi qu’il n’est pas uniquement une figure occidentale.

Même les indiens Navajo lui vouent un culte, un vers du Bateau Ivre, avec mon mauvais esprit habituel me vient immédiatement en tête : « Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs ».

Pour Roan Bui, l’auteur de Voyelles aurait été le précurseur de Twitter : « Annonçait-il déjà notre millénaire dopé aux images et aux slogans de 140 signes ? » Car il paraît qu’Instagram s’est aussi emparé de la gouape rimbaldienne. Sa gouape justement, Rimbaud en fut victime, plus connu pour ses yeux bleus (d’ailleurs colorisés par le photographe, déjà à l’époque) que pour son oeuvre. Le très catholique François Mauriac eu ce mot d’une aveuglante justesse : « L’effroyable talent de Rimbaud fut aussi celui de ne pas avoir su vieillir ». Si je doute que Rimbaud fût le précurseur de Twitter, il annonça sans doute cette invention de l’après-guerre qu’est l’adolescence. Vivre vite, mourir jeune, et pourquoi pas no future.

Petit génie devenu bourgeois

Mais futur il y eut. En 2015, a été retrouvé un album photo ayant appartenu à la belle horizontale Liane de Pougy. Que des stars de l’époque mais sans la moindre légende. Une des photos attira l’attention du collectionneur Carlos Leresche : un homme un peu replet, entre deux âges, moustache et costume de bourgeois. Un regard bleu, LE regard. Cela ne fait aucun doute, le collectionneur compare la photo avec le célèbre portrait de Carjat. Cet homme c’est Rimbaud.

Peu importe que cela fût vrai ou non, car cela provoqua un tollé chez les rimbadolâtres, cette caricature de bourgeois du XIXéme ne peut être le génial poète fugueur. Condamné à la jeunesse pour l’Eternité (elle est retrouvée). On ne touche pas au mythe. Mythe qui fut d’ailleurs déconstruit par Etiemble dans son ouvrage Le mythe Rimbaud paru en 1954 chez Gallimard. Il estimait que « l’homme aux semelles de vent fut plombé par les commentaires et les crétineries ».

Et les crétineries, ce n’est pas ce qui manquent dans l’article de L’Obs, la palme revenant à Yassine Belattar qui qualifie Rimbaud de caillera : « Il a cette amour-haine pour la France qui ne l’accepte pas vraiment. Ca me fait un peu penser à ces gamins rebeus qui vont s’installer à Dubaï, plus caillera que Rimbaud tu meurs ». Belle projection, et pourquoi pas ? Nous nous sommes tous projetés en Rimbaud à un moment de notre vie. Mais je préfère l’imaginer crevant la dalle avec Verlaine à Bruxelles que faisant du shopping à Dubaï. Quant au terme caillera… Une caillera écrit-elle des poèmes en latin à quatorze ans ? Une caillera déclare-t-elle vouloir être voyant dans une lettre à son professeur à 17 ans ? : « Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens ». Une caillera apprend-t-elle plus d’une dizaine de langues ? Mais peut-être ai-je trop de préjugés.

Un génie démoniaque

Non, Rimbaud n’est pas une icône LGBT, rien ne prouve finalement qu’il fut homosexuel malgré son histoire passionnelle avec Verlaine. D’ailleurs, il le confesse dans « L’époux infernal », texte autobiographique d’Une saison en Enfer : « bien que cela ne fût pas bien ragoûtant« . Et il se maria en Abyssinie. Non, Rimbaud ne fut pas celui qui ne travailla jamais, il fut dur à la tâche à Harare. Non, Rimbaud ne fut ni anticlérical- en creux, il ne parle que de Dieu- ni politisé malgré son engagement de jeunesse auprès des Communards. Ni anti-France, car même le monde était trop petit pour lui

Bref, Rimbaud fut un génie, ce génie qui s’abattit sur ce petit-bourgeois paysan des Ardennes, ce génie qui sûrement l’encombrait.  Et l’étymologie de génie renvoie à démon. Le démon est double et Rimbaud fut au-delà de cette dualité puisqu’il est multiple.

Selon Fabrice Luchini, personne ne comprend Rimbaud. Beaucoup s’y sont essayés avec plus ou moins de bonheur, à l’image du professeur de lettres négationniste Robert Faurisson qui voyait en Voyelles la description d’un coït (hétérosexuel). Je est un autre et Rimbaud fut tous ces autres : le jeune homme qui exaltait les sens et la nature dans ses poèmes de la période de Douai, le vagabond exalté, le globe-trotter trafiquant d’armes.

Il y en a pour tout le monde. A mes yeux, Rimbaud reste celui qui livra l’ultime définition du kitsch dans l’Alchimie du verbe : « J’aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, la littérature populaires, livres démodés, latin d’église ». Et bien sûr celui définit ma jeunesse : « Oisive jeunesse. A tout asservie. par délicatesse, j’ai perdu ma vie ».

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Liban : Macron a raison de tancer la classe politique

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Emmanuel Macron, Beyrouth, août 2020. Auteurs : Thibault Camus-POOL/SIPA. Numéro de reportage : 00975752_000004

Emmanuel Macron a prévenu : après l’explosion de la semaine dernière, l’élite politique libanaise doit réformer le pays et endiguer la corruption… sinon cela bardera à son retour au pays du Cèdre dès le 1er septembre. Cette démarche est-elle justifiée ? Comment le Liban en est-il arrivé là ? Le Hezbollah sort-il grandi ou affaibli de la crise politique ? Les réponses du géographe Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie et du Liban. Entretien (1/2).


Daoud Boughezala. Après l’explosion survenue sur le port de Beyrouth, Emmanuel Macron a imposé un ultimatum à la classe politique libanaise dont il dénonce ouvertement la corruption. Comment expliquer cette démarche ?

Fabrice Balanche. Depuis la fin de la guerre civile en 1991, le Liban a reçu énormément d’argent de la part de la communauté internationale pour sa reconstruction. Différentes conférences à l’initiative de la France – Paris 1 en 2001, Paris 2 en 2002, Paris 3 en 2007, et Cèdre en 2018 – ont drainé des milliards d’euros vers le Liban. Cela n’a pas empêché l’Etat libanais de se retrouver en faillite aujourd’hui. En fait, cela fait près de trente ans que les dirigeants libanais détournent à leur profit les finances publiques. La paix sociale était assurée par des embauches dans une administration pléthorique et corrompue, de généreux taux d’intérêts sur les comptes bancaires grâce aux emprunts d’Etat et la redistribution d’une partie de ses détournements de fond aux clients des différents dirigeants politiques.

Comment la classe politique libanaise détourne-t-elle cet argent ?

Prenons l’exemple de La Caisse des Déplacés, destinées à indemniser les Libanais dont les logements furent squattés durant la guerre civile. Pour obtenir la restitution des logements sans provoquer de nouveaux affrontements, l’Etat libanais a payé les squatteurs pour qu’ils déménagent et indemnisé les propriétaires pour réparer les maisons. Dans le Chouf, région à majorité druze et fief de Walid Joumblatt, les druzes qui occupaient les maisons des chrétiens chassés durant « la guerre de la montagne » en 1983, reçurent de très généreuses allocations pour restituer les logements. Elles étaient d’autant plus généreuses qu’ils étaient loyaux à Walid Joumblatt, le ministre des déplacés, qui utilisa les milliards d’euros de La Caisse des Déplacés pour maintenir sa mainmise sur le Chouf. Dans le Sud Liban, il est difficile d’obtenir un poste dans la fonction publique sans être membre du Mouvement Amal de Nabib Berrih, l’éternel Président du Parlement. Je pourrais multiplier les exemples du népotisme, du clientélisme et de la corruption généralisée. Mais, à mon sens, le plus grand corrompu et celui qui institutionnalisé ce système au détriment d’un véritable état de droit était Rafic Hariri, Premier ministre libanais de 1992 à 2004. Il serait trop long de décrire comment les Hariri, père et fils (Saad Hariri a été premier ministre de septembre 2009 à janvier 2011, puis de décembre 2016 à janvier 2020), ont mis le pays en coupe réglée, je vous renvoie à un de mes articles sur le sujet qui est en accès libre : « The reconstruction of Lebanon or the racketeering ruling ».

Cette gabegie généralisée justifie-t-elle les sommations d’Emmanuel Macron ?

Emmanuel Macron a raison de signifier fermement aux politiciens libanais de la majorité comme de l’opposition qu’ils n’auront désormais plus de chèque en blanc. Car le Liban actuel, c’est le tonneau des Danaïdes et cette classe politique libanaise corrompue est richissime. Les comptes bancaires des Libanais sont bloqués depuis octobre 2019, mais les politiciens et leurs amis affairistes ont eux tout loisir de transférer leur argent à l’extérieur du pays. Le problème est que la France aurait dû se montrer réaliste face à ses alliés libanais depuis des décennies, en particulier la famille Hariri qui est notre principal allié au Liban. Mais pour d’obscures raisons de connivence avec certains dirigeants français mais aussi géopolitiques : conserver notre influence sur le Liban face à la Syrie et à l’Iran, la France a fermé les yeux sur la gabegie ambiante. Désormais nous avons le choix entre continuer de financer à fond perdu nos affidés libanais ou leur tenir un langage de fermeté au risque qu’ils se tournent vers d’autres bailleurs. Rappelons que les dirigeants libanais ne sont pas à vendre mais à louer. Cependant, je vois mal la Russie ou la Chine jouer le chevalier blanc au Liban. Les pays du Golfe sont fatigués de ce pays qu’ils considèrent de toute façon comme perdu au profit de l’Iran. Le risque est plutôt de voir une nouvelle guerre civile éclater.

 L’actuelle crise financière et politique que traverse le Liban renforce-t-elle ou affaiblit l’axe Syrie-Iran-Hezbollah ?

Pour répondre à cette question, il faut tout d’abord revenir sur l’origine de la crise financière. Depuis une vingtaine d’années, la couverture des importations sur les exportations est à peine de 20%, la balance des paiements était compensée par les transferts des émigrés libanais. Les taux d’intérêts élevés attiraient leur épargne malgré le risque de défaut de paiement que faisait courir la progression d’une dette hors de contrôle. Les activités productrices ont été tuées par la politique de reconstruction de Hariri qui a tout misé sur l’immobilier, la finance et le tourisme pour drainer l’épargne de la diaspora libanaise et les capitaux du Golfe. C’était une véritable fuite en avant qui a enrichi la famille Hariri et ses affidés, mais appauvri la majorité des Libanais contraints à l’émigration pour s’en sortir ou à sombrer dans la pauvreté. Les difficultés économiques du Golfe depuis la crise financière de 2008 ont progressivement réduit les remises des émigrés, la guerre en Syrie a tué les investissements du Golfe et les récentes menaces de sanctions américaines sur le système bancaire libanais accusé de financer le Hezbollah ont donné le coup de grâce.

La faillite financière du Liban a donc tendance à affaiblir les acteurs politiques liés à l’Occident et à l’Arabie Saoudite. Leurs activités et leur pouvoir politique sont liés à la rente étatique et à la rente géopolitique venue de l’Occident et des pays du Golfe. Ces sources financières étant taries, ils perdent le contrôle de leur clientèle. Les classes moyennes libanaises laminées par la crise économique, mais disposant d’un capital intellectuel, émigrent en masse. Quant au petit peuple, il n’a d’autre solution que de se trouver des parrains capable de lui offrir un minimum de services.

… dispensés par le Hezbollah ?

Le Hezbollah dispose en effet d’institutions de santé et d’éducation qui suppléent aux carences de l’Etat dans les zones chiites. Certes, il a des problèmes de financement également puisque l’Iran est sous sanction, mais il peut compter sur la diaspora chiite libanaise et la caisse personnelle de l’ayatollah Khaméneï, toujours largement abondée par les fidèles et indépendante du budget de l’Etat iranien. Les dirigeants du Hezbollah sont peu corrompus, contrairement à ceux des autres partis politiques libanais, ce qui le rend beaucoup plus efficace dans le domaine social. J’aurais donc tendance à dire que l’axe Iran-Syrie-Hezbollah se renforce au Liban avec la crise. Cependant, tout dépendra de la capacité des Occidentaux et des pays arabes du Golfe à soutenir financièrement leurs affidés locaux et de les organiser en milices anti-Hezbollah.

à suivre…

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Macron et le Quai d’Orsay protègent le Hezbollah

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Emmanuel Macron à Beyrouth le 6 août dernier (c) SIPA / AP Photo/Thibault Camus, Pool/AP22480452_000009

Au Moyen-Orient, Emmanuel Macron voulait rester ouvert au dialogue avec tous et éviter de prendre parti. Son orientation en faveur du Hezbollah vient contredire cette ambition.


 

Lors de son investiture à l’Élysée le 14 mai 2017, le président Macron avait dévoilé les grandes lignes de la politique qu’il comptait mener à l’égard des pays arabes. Ses efforts devaient porter sur la sécurité du pays et pour cela il avait clairement désigné les cibles contre lesquelles il devait s’opposer : Daesh et le terrorisme islamiste. Il tenait à ce que sa doctrine s’appuie sur fond de «réalisme et de pragmatisme». Mais il avait bien précisé que sa diplomatie serait plus équilibrée vis-à-vis des pays du Golfe et de l’Iran.

Faire de la France un arbitre au Moyen-Orient

Alors que l’influence française au Moyen-Orient avait largement décliné, sous les mandats de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, il avait estimé que les Printemps arabes avaient modifié la donne et qu’il devait peser dorénavant sur les événements de la région. Il n’avait pas apprécié l’échec du Quai d’Orsay dans la gestion de la crise syrienne. Il voulait que la France soit partie prenante dans le conflit alors qu’elle avait été exclue des négociations d’Astana.

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Il avait donc modulé sa position en n’exigeant plus le départ de Bachar el-Assad comme condition préalable et en ne prenant pas le parti de l’un des clans chiites ou sunnites. Il voulait dorénavant agir en arbitre en parlant à tout le monde. Pour lui, il s’agissait du meilleur moyen de tarir les sources de financement du terrorisme. Il se distinguait ainsi de Nicolas Sarkozy qui avait des affinités avec le Qatar et de François Hollande qui s’était engagé pour l’Arabie saoudite.

Malgré une position nette adoptée par les Occidentaux, Macron dialoguait en Libye à la fois avec le premier ministre Fayez El-Sarraj et son opposant le maréchal Haftar. Il voulait s’inspirer de la politique gaullienne, qui avait été d’ailleurs suivie par François Mitterrand, en maintenant la lutte contre le terrorisme islamiste comme fondement de sa doctrine. C’est pourquoi il a financé l’Irak et le Liban, deux pays confrontés à la terreur des militants islamistes afin de s’insérer parmi les acteurs locaux et de tenter de résoudre les différentes crises.

Le soutien de la diplomatie française au Hezbollah 

Mais face à cette volonté légitime d’arbitrage, on ne comprend plus la position d’Emmanuel Macron qui a décidé de prendre fait et cause pour le Hezbollah, qui personnifie  un État dans l’État au Liban, après avoir infiltré tous les rouages de l’administration et mis le pays en coup après avoir acquis à sa cause le président libanais chrétien Michel Aoun. Le Hezbollah est l’une des causes du malheur libanais. D’ailleurs, les manifestants de la mini-révolution ne se sont pas trompés en pendant l’effigie d’Hassan Nasrallah dans la rue.

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On ne comprend donc pas pourquoi le président français a demandé officiellement à Donald Trump de suspendre les sanctions américaines qui visent le groupe chiite soutenu par l’Iran car, selon le Quai d’Orsay, elles sont contre-productives. A la suite d’un appel téléphoné avec le président américain, Emmanuel Macron a accusé les Américains de chercher à étouffer le financement du Hezbollah au lieu de l’aider car il doit être partie prenante dans la reconstruction du Liban. Ce coup de téléphone n’est pas une rumeur puisqu’il a été confirmé par le Quai qui a précisé que «Macron lui a dit que dans le cas du Liban, le fait est que la politique de pression ou d’abstention des États-Unis et de certains pays du Golfe pourrait effectivement faire le jeu de ceux qu’ils visent, l’Iran et le Hezbollah. C’était donc une invitation au président Trump à réinvestir la question libanaise, car la situation est grave et nous ne devons pas abandonner le Liban à ceux que les États-Unis sont censés cibler par leur politique de sanctions».

La conférence, qui a lieu ce 9 août, réunit le Premier ministre britannique Boris Johnson, le roi de Jordanie, les représentants de la Chine et de la Russie et de la Banque mondiale, pour envisager le financement du Liban. Israël et l’Iran ont été exclus de cette réunion alors que le Hezbollah intervient en tant que membre du gouvernement libanais. La France, qui sait que le Hezbollah phagocyte tout le pays grâce à la puissance de ses milices face à une armée libanaise mal équipée, justifie sa position : «Le Liban est en train de couler. Nous avons touché le fond, de nombreux Libanais le pensent. Nous sommes là pour aider le Liban à remonter à la surface». L’aide d’urgence collectée par la France et l’ONU pour le Liban s’élève à un peu plus de 250 millions d’euros, a annoncé l’Élysée.

Au moment où la population libanaise a ciblé son ennemi parmi le Hezbollah, il est étonnant que le président Macron, sur les conseils du Quai d’Orsay historiquement pro-arabe, défende une milice qui a généré le chaos dans le pays en le mettant en coupe réglée. Drôle de position d’arbitre que celle de la France.