Doté de pouvoirs excessifs, opérant depuis sept ans en secret sous la férule d’une hiérarchie centralisée, le Parquet national financier vient de se saborder au terme de l’affaire Fillon.
La femme de César doit être insoupçonnable. Chacun sait pourtant que, dans leur orageuse union, l’État a toujours été le premier à jeter le doute sur les frasques, réelles ou supposées, de sa justice. Ombrageux et jaloux, il n’a jamais pour autant voulu demander le divorce, ni même accepté de la laisser s’émanciper. Il s’est toujours assuré en revanche de la garder sous sa coupe, en lui rappelant ses stricts devoirs d’obéissance et de fidélité. Après avoir jeté sa gourme, à la fin du siècle précédent, dans quelques affaires de corruption, la justice a fini par comprendre ce qu’on attendait d’elle et a appris comment satisfaire quelques-uns de ses propres penchants, tout en servant de rabatteur à son seigneur et maître. C’est ainsi qu’au fil du temps, État et justice sont parvenus à trouver des accommodements qui les satisfaisaient tous les deux. L’opinion publique, témoin muet de leur lunatique relation, a pu d’ailleurs croire – c’était ce qu’on voulait qu’elle crût – que la justice était tranquillement rentrée au bercail.
Poursuites les plus sensibles
Ces quelques lignes pourraient résumer toute l’évolution, depuis trente ans, de notre système judiciaire. Il est loin, le temps où le garde des Sceaux affrétait un hélicoptère pour l’Himalaya en vue de récupérer un procureur en vacances et de sauver la République des initiatives d’un substitut trop zélé[tooltips content= »En novembre 1996, tandis que le procureur d’Évry, Laurent Davenas, est en vacances dans l’Himalaya, un magistrat de son parquet, Hubert Dujardin, décide d’ouvrir une information judiciaire visant Xavière Tiberi. Il reproche à cette dernière d’avoir été rémunérée 200 000 francs pour la rédaction d’un rapport bidon par le conseil général de l’Essonne. Affolé, le garde des Sceaux, Jacques Toubon, envoie un hélicoptère pour tenter de trouver Laurent Davenas, afin qu’il empêche son vice-procureur de saisir un juge d’instruction. Prudent, L. Davenas feindra de ne pas avoir été informé des recherches dont il était l’objet. »](1)[/tooltips]. Durant toutes ces années, on a pu faire, sans vagues, du juge d’instruction un mort-vivant, ce qui valait beaucoup mieux que d’en faire un martyr. Il n’y a pas eu besoin de lui enlever ses attributions et moins encore de le sacrifier. Il a suffi de donner tout simplement aux parquets, placés sous haute surveillance et qui n’ont de comptes à rendre qu’à leur hiérarchie, des pouvoirs qui concurrencent largement ceux de l’« homme le plus puissant de France ».
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Seuls quelques « accidents » judiciaires ont pu alors faire éclater encore, ici ou là, un scandale, comme l’affaire Cahuzac, qui allait montrer que le système n’était pas encore assez bien verrouillé. C’est dans ces conditions qu’est né en 2013 le Parquet national financier (PNF), chargé de centraliser les poursuites les plus sensibles qui seraient désormais suivies de près par une poignée de magistrats triés sur le volet. Le PNF a, depuis lors, bien rempli la mission qui lui était assignée. Doté de pouvoirs d’enquête qui valent largement ceux des juges d’instruction, mais sans être encombré par les droits de la défense, agissant – selon les besoins – tantôt dans l’ombre, tantôt en pleine lumière, il est parvenu à incarner la vertu financière ou, plutôt, il l’incarnait jusqu’à ces derniers jours, qui ont vu tomber le masque de la comédie.
Mme Houlette vend la mèche
Beaucoup en étaient restés à l’idée désuète que, lorsque le pouvoir politique s’intéresse à la justice, c’est pour l’empêcher de faire son travail et qu’il serait encore assez maladroit et grossier pour aller lui-même lui mettre des bâtons dans les roues cahotantes de la charrette judiciaire. Ce sont en général les mêmes qui croyaient que le PNF était un instrument de moralisation de la vie publique. Comment auraient-ils imaginé qu’un organe centralisé entre les mains expertes de quelques hiérarques au sommet des honneurs judiciaires, nommés après des parcours professionnels sans faute, disposant de pouvoirs exorbitants, enquêtant en secret, dont les agents sont promis eux-mêmes à une brillante carrière et n’ont d’autres censeurs que leurs supérieurs hiérarchiques, puisse servir à autre chose qu’à faire triompher la justice et le droit ?
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Il est rare qu’en France un haut magistrat mette sur la place publique les petits arrangements de l’institution judiciaire avec l’idée de justice et c’est du jamais-vu que le chef d’un des plus grands parquets saborde tout seul son propre service. Pourquoi Mme Houlette a-t-elle vendu la mèche, venant se plaindre tout haut de ce qui fait le quotidien des parquets et qu’elle a vécu toute sa vie professionnelle durant ? Il y a trois manières d’analyser le naufrage d’une institution quand il est provoqué de l’intérieur. La première est de l’attribuer aux vices du système ; la seconde aux vices de ceux qui en ont la charge ; la troisième à la conjugaison des deux précédentes. Que le Parquet national financier soit une hérésie judiciaire, il n’y a que dans la patrie des droits de l’homme que la chose pouvait passer inaperçue, au nom d’une autorité républicaine qui sert à perpétuer les privilèges, au premier rang desquels l’impunité des grands. Mais cela n’est ni nouveau ni propre au PNF, et il faudrait, pour revenir à des mœurs plus saines, réviser tout le système qui fait du juge le simple auxiliaire du parquet et de celui-ci le majordome des puissants. Aucune famille politique ne le souhaite quand elle est au pouvoir ou qu’elle espère y revenir, ce ne sera donc sûrement pas une réforme mise au programme du « monde d’après ».
Que, par ailleurs, les hommes et les femmes qui ont la charge de la justice ne soient pas parfaits, cela peut chagriner, mais ne devrait pas surprendre. La vraie question est donc de savoir pourquoi nos tribunaux, construits sur le modèle des casernes, se sont transformés en cour du roi Pétaud, avec des généraux qui retournent leurs canons contre les murs qui les protègent. L’arbre du PNF cache peut-être une forêt moins bucolique qu’on ne le croit, mais pour s’en assurer, il faudrait y pénétrer. Et personne, aujourd’hui, n’en prendrait le risque. Ceux qui aiment voir le verre à moitié plein ou qui sont les moins avertis de la chose judiciaire pourront se réjouir de voir, en tout cas, grâce aux aveux publics de Mme Houlette, que le Code pénal et le Code de procédure pénale, judicieusement utilisés, peuvent servir en même temps à défendre la vertu républicaine et à faire pencher la balance électorale dans la bonne direction. Et tout cela pour bien moins cher que l’envoi d’un hélicoptère au fin fond du Tibet.
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