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L’étau de ma mère

Régis Jauffret signe avec Maman une déclaration d’amour rageuse, cocasse, parfois violente et bouleversante. Le brillant romancier lève le voile sur ses fragilités sans se départir de son cynisme.


Cette rentrée littéraire a livré d’innombrables ouvrages inspirés par les mères – ceux de Justine Lévy, Raphaël Enthoven, Jakuta Alikavazovic, Amélie Nothomb, Catherine Millet… Le texte de Régis Jauffret se distingue par sa noirceur, son humour et sa folie. Sobrement intitulé Maman, titre aussi touchant qu’ironique, ce roman est le testament littéraire d’un écrivain au mieux de sa forme. En 2020, l’auteur des Microfictions nous avait gratifiés d’un magnifique Papa. N’allez pas croire pour autant que l’écrivain ait une quelconque appétence pour l’autofiction. Son œuvre, forte d’une vingtaine de romans, en est la preuve. Il est pourtant des textes auxquels on n’échappe pas. Maman est de ceux-là.

La mère de l’auteur meurt le 30 janvier 2020. Madeleine dite aussi Mado, Magdalena, Madelon, noms destinés à tenir le pathos à distance, avait alors 106 ans. Un âge plus qu’honorable pour cette femme a la voix de stentor, qui n’aimait rien tant que le champagne et le foie gras que son fils unique lui apportait à chaque visite. Une forte femme dont Régis Jauffret entreprend de faire le portrait. Un portrait bien dans sa manière, dans lequel il prend soin de préciser « je dis ici toute la vérité » pour aussitôt nuancer « je dois cependant mentir, falsifier, gommer, imaginer ». D’où l’appellation de roman. Et quel roman ! Maman s’inscrit entre la mort de la mère et son enterrement. Soit deux cent cinquante pages d’une logorrhée irrésistible dans lesquelles le fils va décortiquer leur relation. Deux cent cinquante pages d’une absolue sincérité où « Jau » ne cache rien de son adoration, de sa culpabilité, de sa lassitude et de son exaspération envers cette femme qui rêvait d’être « une Marie Curie, une Teresa, une Virginia Woolf, une Serena Williams de la mératerie ». Une femme qui ment à tout bout de champ. Abuse du chantage à la mort et réécrit son histoire. Une femme qui tapisse son appartement de photos de son fils en format géant et a pour lui des attentes écrasantes. C’est pour elle que l’auteur d’Asiles de fous s’est mis à écrire, à seule fin de la séduire puis, plus tard, avec l’espoir de combler son besoin de reconnaissance.

Mais rien n’est jamais assez pour cette mère effroyable. À tel point que le fils gardera à vie un manque de confiance en lui et le sentiment épuisant de n’être jamais à la hauteur. Il aura beau lui régler son compte, la « tabasser » symboliquement, lui intenter un procès, rien n’entamera son amour dévorant. « Je l’ai aimée, je l’ai tant aimée. […] Je l’aime encore, je l’aimerai toujours et puisqu’il ne me reste pas tant de siècles à vivre, je peux supposer que je tiendrai parole. » On connaissait de Régis Jauffret sa noirceur, son ironie, son cynisme, l’on découvre ici sa fragilité et son extrême sensibilité. Maman est une déclaration d’amour rageuse, violente, cocasse, macabre, bouleversante, brillante. En un mot : inoubliable.

Maman, Régis Jauffret, Éditions Récamier, 2025. 256 pages

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Les santons, enfants de la Bonne mère

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Comme à chaque trêve des confiseurs, les crèches de Noël vont donner une crise de foi aux islamo-gauchistes et autres laïcards. Pourtant c’est grâce à leurs aïeux les sans foi ni loi de la Révolution que les crèches se sont « démocratisées », avec l’apparition des santons.


En 1793, pour bouffer du curé, les révolutionnaires, qui font régner la terreur, interdisent la messe de minuit et les crèches dans les églises. À Marseille, où, depuis 1214 sur la colline de la Garde la Bonne-Mère veille sur la ville, la mesure indigne et l’interdit est contourné. Avec la malice d’un Don Camillo se jouant des mauvais tours de Peppone, certains habitants installent chez eux des crèches et invitent leurs voisins à venir les admirer. Malheureusement, cela n’est pas donné à tout le monde de pouvoir créer de telles crèches. À cette époque, les figurines sont en cire, leur prix est élevé et elles sont alors réservées à une clientèle aisée. Dès 1797, un homme a alors l’idée de cuire, dans des moules de plâtre, des sujets en argile, dont le coût de production, modique, peut assurer une distribution meilleur marché. Des sujets en argile, car « môssieu », de même qu’un bon pastis est élaboré avec de l’anis étoilé, le vrai santon de Provence est en argile ! 

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Le créateur du santon est reconnu quand en 1953, l’avocat Leopold Dor fait don au musée du Vieux-Marseille d’une collection de moules anciens d’où sont sortis les premiers santons ! Sur ces précieux objets, une signature : Lagnel. Le père des santons est identifié. Il s’agit de Jean-Louis Lagnel, né en 1764, mort en 1822. Sur ses derniers moules, Lagnel gravait également la date de création. Sur une pièce figure ainsi « 25 mas 1817 ». Il faut lire 25 mars 1817, mais s’il manque un « R », ce n’est pas une erreur, mais une volonté délibérée ! Comme tous ceux à qui la Révolution avait inspiré une sainte horreur, il refusait d’utiliser la lettre « R », l’initiale de l’événement maudit…

Qui veut la paix, apprend l’histoire

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La tentation de céder au « réalisme » russe revient régulièrement dans le débat occidental. Pourtant, toute l’histoire de l’Europe centrale et orientale démontre le contraire. Le glacis, loin d’apporter la paix, n’a produit que soumission forcée, instabilité et implosion finale. Face à l’Ukraine, c’est moins le rapport de force qu’il faut regarder que la mémoire oubliée des peuples.  


Le débat concernant la guerre en Ukraine se déroule comme si l’on avait, d’un côté, des « réalistes » qui ne souhaitent qu’arrêter la boucherie et reconnaître la réalité des rapports de force, et de l’autre des va-t-en-guerre à la botte des États-Unis, qui, par ailleurs, ne semblent pas partager leurs opinions, ni sous l’administration Biden, qui n’a rien fait de décisif pour permettre à l’Ukraine de gagner, ni sous Trump. Ce constat appelle deux rappels.

Tout d’abord, concernant la volonté d’étendre l’OTAN à l’Est et le sens de cette politique. Sans entrer dans un débat stérile sur les écrits et les déclarations des uns et des autres, il suffit d’examiner les budgets de la défense en France, au Royaume-Uni et en Allemagne depuis 1991 jusqu’en 2022, d’un côté, et les chiffres de la présence militaire américaine sur le sol européen, en hommes comme en blindés, de l’autre, pour comprendre que la Russie n’a jamais été menacée à l’Ouest. Dès l’effondrement de l’URSS, les membres européens de l’OTAN se sont mis à diminuer leurs forces armées et à affaiblir leurs capacités à mener une guerre de haute intensité contre un ennemi de puissance équivalente. Lorsque Poutine prononce son célèbre discours à Munich, l’OTAN n’est plus que l’ombre de ce qu’elle était vingt ans auparavant, et le président Bush, qui aurait poussé à un élargissement, est alors affaibli, en fin de mandat et en minorité au sein même de l’Alliance. À partir de 2009, sous Obama, puis sous Trump et Biden, il devient clair que ce ne sont pas uniquement la France et l’Allemagne qui sont réticentes à un nouvel élargissement de l’OTAN, mais aussi les États-Unis. En 2016, Trump va même plus loin en mettant en cause l’article 5. On voit donc mal qui aurait pu menacer militairement la Russie, d’autant plus que, depuis février 2022, on sait que les services de renseignement occidentaux ont très largement surestimé la puissance militaire russe. On peut donc conclure que, quoi qu’il ait été dit ou écrit, personne en Europe ne préparait une guerre contre la Russie.

Quant à la logique russe du droit au glacis comme base de l’architecture de la sécurité européenne, et donc de la stabilité du continent, l’exemple de la guerre froide indique plutôt le contraire.

Après 1945, Staline imposa avec une détermination intransigeante la création d’un glacis stratégique à l’ouest de l’Union soviétique. Cette zone tampon, composée d’États satellites (SSR ou Etats frères faussement indépendants), devait empêcher toute nouvelle invasion venue d’Europe occidentale et garantir à Moscou un contrôle politique, militaire et idéologique sur une large partie du continent. Les rapports de force issus de la victoire contre l’Allemagne nazie contraignirent Londres et Washington à céder sur des points essentiels, notamment sur le sort de la Pologne, pourtant alliée dès les premières heures de la guerre. La conférence de Yalta entérina ainsi une réalité brutale et, au nom de la stabilité et d’un équilibre jugé nécessaire, les grandes puissances acceptèrent qu’une partie de l’Europe fût livrée à l’influence exclusive de l’URSS.

Cet ordre, fondé sur une lecture strictement réaliste des rapports de force internationaux, ignora superbement la volonté des peuples concernés, de la mer Baltique à la mer Noire. Privés de souveraineté véritable, soumis à des régimes autoritaires étroitement contrôlés par Moscou, ces pays devinrent les pièces d’un échiquier géopolitique où leur propre voix n’avait plus aucun poids. Pendant un peu plus de quatre décennies, l’Union soviétique maintint le couvercle sur l’Europe centrale et orientale par la menace, par la contrainte et, lorsque cela s’avérait nécessaire, par la violence pure. L’écrasement des soulèvements de Berlin-Est en 1953, de Budapest en 1956 et de Prague en 68 illustre de manière éclatante la volonté soviétique de préserver à tout prix cet empire informel, au mépris des aspirations nationales.

Mais cet ordre imposé par la force portait en lui-même les germes de sa propre disparition. À mesure que l’économie soviétique s’essoufflait, que l’idéologie perdait de sa capacité de mobilisation et que l’attrait du mode de vie occidental ne cessait de croître, les peuples soumis à la domination de Moscou commencèrent à se dérober sous ses pieds. La fuite vers l’Ouest prit des proportions massives, qu’il s’agisse des départs clandestins, des demandes d’asile ou des mouvements de contestation de plus en plus visibles dans les années 1980. L’effondrement de l’URSS entre 1989 et 1991 ne fut pas seulement la conséquence d’une crise économique ou d’erreurs politiques mais aussi, et peut-être surtout, la conséquence de ce rejet profond, silencieux puis ouvert, de systèmes imposés sans légitimité populaire.

Aussitôt l’Union soviétique dissoute, ces pays, autrefois membres du Pacte de Varsovie ou anciennes républiques socialistes, cherchèrent à tout prix à s’éloigner de l’orbite russe. Leur ralliement progressif à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord n’était pas une simple manœuvre opportuniste ni une provocation à l’égard de Moscou mais avant tout un réflexe de survie politique et historique. Marqués par quarante années d’oppression, d’humiliation et de misère, ils voyaient dans l’OTAN non seulement une alliance militaire, mais une garantie de souveraineté, de stabilité et de protection contre un retour possible de la domination russe. La Pologne a ainsi œuvré pendant les années Clinton pour changer la position américaine et convaincre un Washington réticent et plutôt favorable à Eltsin, d’ouvrir l’OTAN pour eux même ainsi que leurs anciens codétenus de la prison géopolitique soviétique.  

Aujourd’hui, Vladimir Poutine semble réactiver la même logique que celle de Staline. Selon lui, les besoins de la Russie en matière de sécurité seraient supérieurs au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Dans cette vision, l’indépendance de l’Ukraine, le choix de la Géorgie, des pays baltes ou de la Moldavie de s’orienter vers l’Ouest ne sont pas perçus comme des expressions d’un sentiment national mais comme des menaces stratégiques inacceptables. Cette conception impériale et étroite des relations internationales peut, à court terme, produire certains résultats en imposant, par la force, des zones d’influence ou des États satellites. Elle a déjà « fonctionné » sous Staline, au prix d’immenses souffrances humaines et d’un gel brutal des libertés.

Mais l’histoire récente suggère que cette logique porte en elle une fragilité profonde. Un ordre bâti sur la contrainte, la peur et la négation des identités nationales est coûteux à maintenir et finit toujours par se fissurer. Les peuples qui se sont libérés de la tutelle de Moscou il y a un peu moins de quarante ans ne seront pas plus faciles à contrôler et à mater qu’ils ne l’étaient après 1945. Ce que l’URSS a appris à ses dépens pourrait bien, tôt ou tard, se rappeler à la Russie poutinienne : la stabilité et la sécurité pour tous dépendent du respect des nations.

Et Bruxelles inventa le concept de « crèche inclusive »

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Dans la capitale belge, le marché de Noël est rebaptisé « Plaisirs d’hiver ». Quant à la crèche, la version 2025 qui entend « lancer un message inclusif pour que tout le monde s’y retrouve » avec des personnages sans visage fait polémique.


Je me souviens avec nostalgie des Noëls joyeux de mon enfance : en préambule du réveillon, nous nous rendions en famille sur la Grand-Place de Bruxelles pour y découvrir le sapin – souvent maigrelet dans mes souvenirs – et la crèche plus ou moins réussie. Au moins, à l’époque, celle-ci ressemblait à une vraie crèche, avec Joseph, la Vierge Marie, l’Enfant-Jésus, les rois mages, un peu de paille et des moutons, ceux-ci ayant disparu au mitan des années 2010 car, paraît-il, certains malotrus les dérobaient. 

Message inclusif

La ville de Bruxelles vient donc de dévoiler la version 2025 de sa crèche, intitulée « Les étoffes de la nativité », faite de chiffons de recyclage et composée de personnages sans identité – ou, ce qui revient au même, de toutes les identités de la planète -, afin, se justifie-t-elle auprès des nigauds un peu rétrogrades que nous sommes, de « lancer un message inclusif pour que tout le monde s’y retrouve ». Pour Victoria-Maria Geyer, conceptrice de cette « chose » que nous ne pouvons décemment appeler crèche, « le visage des personnes est fait dans un tissu qui est composé de toutes les couleurs des ethnies possibles et imaginables afin de ne discriminer personne ».

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Décryptons le verbiage et déconstruisons les déconstructeurs : tout le monde, c’est évidemment tout le monde sauf vous et moi. Soyez certains que chaque fois qu’ils utilisent le mot « inclusif », ce n’est ni pour réparer une injustice, ni pour intégrer de nouvelles personnes dans la communauté nationale, mais pour cracher à la figure de l’Occidental, du Belge en l’occurrence, du chrétien, de l’homme blanc, de toute personne qui entend simplement faire perdurer ses traditions sur son sol.  

Les wokes, ça ose tout !

Evidemment, les wokes, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît. Ils osent tellement tout qu’ils prétendent même que le wokisme n’existe pas. Mais comme ils ne sont jamais entravés dans leur féconde imagination, ils continuent, encore et encore, et peinent à masquer leur vraie ambition, non pas tant effacer dans la culture occidentale ses parts d’ombre, mais supprimer complètement ce qui fonde celle-ci (son histoire, ses traditions, son identité, ses hommes et ses femmes) afin de mieux la remplacer par un multiculturalisme multiconflictuel.

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Et donc, dans l’Europe de la cancel culture, les personnages de la crèche à Bruxelles, nouvelle capitale de l’islamisme, du « palestinisme » et du gauchisme violent et où le marché de Noël se nomme désormais « Plaisirs d’hiver », ressemblent à des touaregs du désert et à des pantins désarticulés. Les mauvaises langues diront que les visages sont dépourvus d’yeux, de nez et de bouche car la représentation des êtres humains est prohibée dans la religion musulmane. La laideur d’un ensemble inesthétique et dépourvu de toute dimension sacrée achève de rompre avec les standards civilisationnels de Beauté. Le pire, c’est qu’ils iront sans doute encore plus loin : on attend déjà la crèche avec ses personnages en transition de genre et portant un keffieh en soutien à la Palestine !

🎙️ Podcast: Iran, Mali, Ukraine, avec Harold Hyman

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Harold Hyman est invité au micro de Jeremy Stubbs pour commenter l’actualité internationale.


L’Iran a indiqué vouloir reprendre des négociations avec les Etats-Unis afin de trouver un accord qui calme l’inquiétude occidentale concernant le nucléaire iranien et permette au régime des mollahs d’attirer les investissements occidentaux dont il a si grand besoin.

Au Mali, on craignait la chute possible de la junte dictatoriale. Les rebelles djihadistes avaient tenté de paralyser la capitale du pays en la privant de carburant, mais le blocus a finalement été contourné grâce surtout au pétrole du Burkina Faso. Le régime survit, tandis que les djihadistes cherchent à s’attirer les bonnes grâces des différents groupes ethniques maliens.

Les négociations de paix en Ukraine font-elles des progrès? Ces derniers temps, nous avons entendu beaucoup de rumeurs et de contre-rumeurs: oui, un accord semble possible; non, c’est du vent, il ne se passe rien. Enfin, Harold Hyman nous explique que, les deux belligerents étant épuisés – bien que ce soit à un degré différent – les négociations avancent quand même…

A lire : Iran: 45 ans d’infiltration en France…

Intelligence artificielle, la défaite de la pensée?


Guillaume Grallet, reporter high-tech au Point, propose avec son livre Pionniers un voyage passionnant au cœur des cerveaux de l’intelligence artificielle.

Son enquête commence par la genèse des êtres humains qui ont bouleversé nos misérables vies, pour reprendre l’adjectif employé par Pascal pour résumer la condition humaine. On plonge dans l’histoire secrète de la Silicon Valley, vaste verger, jadis paisible, devenu le laboratoire du monde, peuplé d’esprits iconoclastes, biberonnés au road trip de Jack Kerouac et aux écrits du déjanté Allen Ginsberg, tous favorables – ou presque – à la contre-culture, partant de la remise en cause des puissances étatiques pour rechercher frénétiquement la vie éternelle. Grallet rencontra, en juillet 2016, l’écrivain Howard Rheingold, personnage excentrique connaissant les coulisses de cette partie mondialement connue de la Californie. Rheingold rappelle l’importance du LSD dans le processus créatif de nos chercheurs de génie. Drogue, mais également méditation transcendantale, comme Steve Jobs, fondateur d’Apple. Grallet raconte que Jobs partit en Inde, voyage initiatique qui renforça son goût de l’inconnu, allant jusqu’à se raser la tête en signe de purification. Les autres exemples ne sont pas mal non plus dans le genre névrosé. Ce qui n’effraya pas la DARPA, l’agence de recherche du Pentagone, qui investit des milliards de dollars dans leurs entreprises de technologie révolutionnaire. Cette prise de risque, caractéristique de la mentalité américaine, est l’une des raisons du succès de la Silicon Valley.

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Parmi les rencontres, il faut citer celle de l’auteur avec Mark Zuckerberg, à Hawaï, où le créateur de Facebook construit un gigantesque bunker pour se protéger de l’apocalypse nucléaire. L’homme qui possède 200 milliards de dollars est imprévisible, voire versatile, comme le prouve le portrait qu’il nous propose. « Zuck », aujourd’hui subtilement anti-woke, n’en démord pas : dans trente ou cinquante ans, on aura la capacité d’avoir une pensée et de la partager instantanément avec quelqu’un. Son projet transhumaniste peut paraître fou, mais ce « geek insatiable », à la tête du réseau social comptant plus de 3 milliards d’utilisateurs, est persuadé qu’un jour les cerveaux communiqueront en direct, sans avoir besoin d’écrans. Lui aussi parie sur l’IA.

Le développement inéluctable de l’IA divise. Elle doit être perçue comme un amplificateur de l’intelligence humaine, « un partenaire de réflexion ». Elle peut déjà détecter un certain nombre de pathologies ou prévenir des catastrophes naturelles. Mais il semble indispensable de l’encadrer par de solides garde-fous, car elle va bouleverser le monde du travail et la géopolitique. Elle risque, de plus, d’accroitre les inégalités entre les êtres humains, de développer un chômage de masse au sein de la classe moyenne, sans épargner les cols blancs. Certains spécialistes s’attendent à un carnage, tandis que d’autres prévoient une métamorphose moins meurtrière. Les entreprises « sans ambition », qui refusent d’innover, seront les plus touchées. Les capacités des différents systèmes d’IA risquent également d’accoucher d’un super puissant État peuplé de personnes hautement intelligentes dominant la scène mondiale. Pire, l’auteur précise que « les modèles d’IA peuvent tromper leurs utilisateurs et poursuivre des objectifs de manière ‘’imprévue’’. Ils ont la capacité, par exemple, de générer des réponses faussement rassurantes pour viser des intentions cachées. » Bref, comme l’a écrit Rabelais : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. »

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Ce qui serait magique, c’est que l’IA soit capable d’annihiler le cerveau des docteurs Folamour qui ne rêvent que de feu nucléaire. Mais le mieux, pour éviter l’apocalypse, serait d’appliquer le conseil de Camus : « Un homme, ça s’empêche. » Pour cela, il faudrait être capable de garder intacte, et surtout indépendante, notre faculté de pensée.

De toute façon, au final, on entendra résonner la voix de Macbeth :
« La vie n’est qu’une ombre errante ; un pauvre acteur
Qui se pavane et s’agite une heure sur la scène
Et qu’ensuite on n’entend plus ; c’est une histoire
Racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur,
Et qui ne signifie rien. »

Guillaume Grallet, Pionniers. Voyage aux frontières de l’intelligence artificielle, Grasset. 288 pages

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Napoléon vu par Abel Gance, une longue attente

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Un très beau cadeau de Noël: Napoléon vu par Abel Gance sorti en Blu-ray haute définition par Potemkine Films[1]. Tout le génie cinématographique d’Abel Gance au service de la grandeur de Bonaparte et de la France…


Je n’avais jamais vu ce film mythique. Depuis 50 ans, j’attendais le moment de découvrir la vison de Napoléon vu par Abel Gance après avoir vu des extraits de versions non satisfaisantes. Le travail méticuleux et subtil de reconstitution du film dans sa Grande Version inédite et définitive accompli pendant seize ans par Georges Mourier et son équipe est exceptionnel. Cette restauration est au plus près du montage originel dans la rythmique musicale, voulue par Abel Gance, très proche de la copie Apollo montrée en 1927.

Abel Gance, un inventeur du cinéma

Abel Gance est avec Jean Epstein, Cecil. B. DeMille et David Wark Griffith l’un des grands cinéastes inventeurs de formes du cinéma muet. Indéniablement, c’est un réalisateur inspiré et novateur dont le style empreint de lyrisme tranche avec la production de l’époque.

J’Accuse (1919) et La Roue (1923) deux chefs-d’œuvre de l’art cinématographique le consacrent comme un metteur en scène reconnu qui a tourné de nombreux beaux films durant la période du cinéma muet, puis des œuvres intéressantes mais parfois moins convaincantes après la naissance du cinéma parlant et sonore.

Une fresque monumentale

Napoléon vu par Abel Gance est une fresque monumentale datant de 1927, qui retrace la vie du futur empereur depuis son enfance jusqu’aux premiers feux de la campagne d’Italie.

Genèse et production du film

La recherche de financement pour sa production et l’écriture du scénario s’étalent de 1923 à 1924. Abel Gance pensait réaliser six films racontant l’histoire complète de Napoléon. Il s’associe avec Pathé, monte la société Les Films Abel-Gance puis écrit le premier volet du film. Le tournage démarre le 15 janvier 1925, aux studios de Billancourt. Il dure quatorze mois (entre Paris, la Corse et le château de Versailles…) et nécessite des tonnes de matériel dont dix-huit caméras…

Un laboratoire d’innovations pour une œuvre hors norme

Pour servir au mieux la mise en scène de son film, Gance innove sans cesse et trouve de nouvelles solutions techniques : caméras sur des filins et des balançoires, caméras portées, installées sur des chevaux au galop, fabrication d’objectifs spéciaux, surimpressions, essais sur la couleur et tournage du film en Polyvision (pour une projection sur trois écrans)… Le montage, assuré par Abel Gance et Marguerite Beaugé, exige un an de travail.

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Napoléon vu par Abel Gance est une œuvre cinématographique, artistique, historique et politique d’une envergure sans pareille. L’épopée napoléonienne d’Abel Gance est un poème épique d’une audace et d’une inventivité folle au service de la grandeur de la France et d’un homme qui l’aimait : Napoléon Bonaparte. L’histoire de France vue par Abel Gance tient de la force et de la beauté du roman national servi par la vision acérée et précise du cinéaste, la justesse d’interprétation de tous les acteurs en particulier celles d’Albert Dieudonné (Napoléon Bonaparte), Abel Gance (Saint-Just), Alexandre Koubitzky (Danton), Edmond Van Daële (Robespierre), Antonin Artaud (Marat), Gina Manès (Joséphine de Beauharnais), Annabella (Violine)…

Esthétique, musique et mise en scène

La mise scène est ample, rigoureuse et attentive. Ses plans et images flamboyants sont servis par un noir et blanc contrasté parfois teinté de bleus, rouges, verts, jaunes ou bistres illustrant les tensions dramatiques du récit. La musique extraordinaire de justesse confiée à Simon Cloquet-Lafollye et interprétée par l’Orchestre National de France, l’Orchestre Philharmonique et le Chœur de Radio France, sous la direction de Frank Strobel est faite de plages de calme et de tensions, de moments lyriques et d’envolées magnifiques. Le compositeur a puisé dans plus de deux cents ans de musique symphonique subtilement réarrangé pour la bande musicale du film.

Humanité et violence

Gance filme avec une grande tendresse les scènes où la vie privée des personnages principaux de l’aventure napoléonienne sont en jeu. Relations familiales, amour maternel et filial et passion amoureuse donnent à cette œuvre une vérité humaniste. Lorsqu’il s’agit de filmer la violence et la terreur de la Révolution française ou la barbarie de la guerre – prise de Toulon, bataille d’Italie – il montre sans concession par des procédés visuels de surimpression et de colorisation, l’horreur en marche.

Un aboutissement cinématographique

Tous ces éléments liés à l’attention particulière du cinéaste aux sentiments, désirs, pensées et souffrances de ces personnages qui ont écrit l’histoire de notre nation font de ce film un véritable enchantement pour qui aime la France, l’esthétisme cinématographique, la musique.

Le triptyque final de la bataille d’Italie est un morceau de bravoure et d’anthologie cinématographique bouleversant, grâce à sa beauté et son inventivité formelle.

Un film muet où l’on voit et entend le bruit et la fureur de l’Histoire. Une véritable prouesse, un chef-d’œuvre absolu ou la forme et le fond se rejoignent.

1927 – 7h20 – film historique – muet


[1] Coffret du film restauré par la Cinémathèque française. Contient :- 3 Blu-ray, le livre Napoléon vu par Abel Gance, des éditions La Table Ronde (2024, 312 pages), un livret avec la liste des musiques utilisées pour la bande son.

Napoléon vu par Abel Gance

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Présidentielle: ne demandez pas le programme!

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Le projet présidentiel, ce sera l’homme…


Pour la prochaine élection présidentielle, chaque candidat, de droite comme de gauche, se sentirait déshonoré s’il n’invoquait pas l’absolue nécessité d’un programme avant d’afficher toute ambition personnelle. C’est une sorte de réflexe destiné à montrer son sérieux et sa profondeur.

Alors même que l’on sait très bien que cette volonté d’afficher un projet passe de plus en plus au second plan, derrière la qualité de la personnalité qui sollicitera nos suffrages.

J’ai songé notamment à cette évolution – que l’on peut situer à partir de 2007, lorsque l’être du président a commencé à compter davantage que ce qu’il annonçait, sa politique à venir – en regardant Gabriel Attal qui, précisément, s’est efforcé, le 26 novembre au soir surCNews, de démontrer la priorité qu’il accordait à l’élaboration du programme.

Alors qu’en l’écoutant, on percevait que c’étaient sa personnalité, ses forces et ses éventuelles faiblesses qui pourraient constituer la véritable preuve permettant de légitimer, ou non, son avenir présidentiel.

Je perçois bien les limites de cette personnalisation, puisqu’elle dépend du goût et de la subjectivité de chaque citoyen, chacun étant susceptible de ne pas porter le même regard sur les personnalités bientôt en lice. J’ai conscience que ma propre dilection mettra en évidence le caractère et le comportement de tel ou telle au détriment d’autres, et que mon intuition ne sera pas forcément exempte de contradictions.

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À considérer l’espace politique d’aujourd’hui, mon sentiment que le seul à m’inspirer une totale confiance s’il était en charge du pouvoir serait Bruno Retailleau n’est sans doute pas universellement partagé, même dans le camp conservateur pris au sens large. Je n’aurais aucune difficulté à argumenter pour expliquer ma préférence. Je m’en tiendrais aux qualités de l’homme : sa rigueur, sa rectitude, sa moralité, son honnêteté, ainsi qu’à ce que ses activités sénatoriales et ministérielles ont révélé de sa constance, de sa cohérence et de son courage intellectuel. Mais je devine qu’ici ou là on pourrait m’opposer d’autres incarnations.

Ce qui est certain, c’est qu’aussi clairs que soient nos dissentiments, nous pourrions tout de même tomber d’accord sur ceux qu’il conviendrait d’exclure, ceux dont la densité ou le caractère nous paraîtraient trop aux antipodes d’un destin présidentiel pour être choisis.

En 2027, ceux qui s’affronteront dans les débats, d’abord puis lors de « l’emballage » ultime, auront bien davantage que des catalogues de mesures à présenter : ils n’auront qu’une ambition, une obsession, celle de manifester qu’ils seront à la hauteur de la fonction prestigieuse qu’ils espèrent assumer, par le corps, l’esprit et l’âme.

Je me souviens de Nicolas Sarkozy ayant insisté un jour sur le rôle prépondérant et bénéfique, même face à une mauvaise loi, de celui qui la mettra à exécution – ou, au contraire, sur le rôle calamiteux que peut jouer celui qui trouve le moyen de dégrader une bonne loi.

Il ne s’agira donc plus de se jeter des chiffres au visage ni de multiplier les contradictions, mais de proposer, durant la campagne et sur les plateaux, des tempéraments capables de convaincre, de rassurer et de faire croire en demain.

Pour moi, ce sera Bruno Retailleau, mais la démocratie, j’en ai peur, consiste à avoir le droit de décider… en même temps que beaucoup d’autres. Il n’empêche que son projet – qui est lui-même – me plaît.

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Le tuning entre (enfin) au musée!

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Tuning outragé, tuning brisé, tuning martyrisé, mais aujourd’hui tuning libéré à Autoworld, le musée automobile de Bruxelles. Jusqu’au 14 décembre se tient une exposition temporaire consacrée aux maîtres allemands de la transformation


Les sourires se crispent, la moquerie n’est pas loin. Hargneuse. Vindicative. Diffamatoire. Les blagues fusent en cascade. Le délit de faciès n’est pas condamné, en l’espèce, par la justice. On se défoule sans limite. On crie à l’attentat esthétique et, dans le fond, on laisse exploser sa haine du « populaire ». À la vue d’une auto bodybuildée, aux appendices aérodynamiques disproportionnés, aux couleurs « outrageantes » et à la sono assourdissante, le bourgeois s’étrangle. Il se fait censeur, sermonneur ; lui seul détient la carte du bon goût, lui seul peut décider de ce qui est beau ou laid, admis ou rejeté, démocratique ou populiste. Comment de telles horreurs peuvent-elles avoir le droit de rouler sur les routes ? On en appelle aux autorités morales, à la régulation, à l’homogénéisation, au lessivage, au nivelage. La transformation génétique des voitures, c’est de la sorcellerie, au mieux une dérive poujadiste à condamner. Le tuning a toujours eu mauvaise presse. Il fait tache. Il fait « SEGPA ». Les médias culturels l’ont délégitimé, l’ont sali et l’ont intellectualisé pour mieux le vider de sa substance. Parce que ces gens-là ne comprennent rien à l’imaginaire prolétaire, ce sont des commentateurs lointains, étrangers aux envies et aux rêves d’une jeunesse hors des villes.

© Autoworld Bruxelles.

Manque de savoir-vivre

Ils y ont vu une révolte, un exutoire, une manière de contrecarrer le déterminisme social de tous ces enfants végétant dans les filières techniques, ils ont pris le tuning pour un manque de savoir-vivre, alors qu’au contraire, le tuning est une affirmation, une fierté, la révélation d’une identité profonde, une culture riche qui prend sa source dès les premiers tâtonnements de la création automobile. Nos penseurs fainéants enfermés dans leur case idéologique ont cru déceler les tenailles du système, la misère et l’oppression.

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Il y avait pourtant de la beauté, de l’audace, de l’exagération jubilatoire, de la féérie fluorescente et pailletée. Le tuning, c’est avant tout du plaisir, plaisir de se faire remarquer, de faire du bruit et d’exister avec sa voiture maquillée et longuement pensée dans son garage. Une voiture façonnée selon ses propres codes, ses propres aspirations, sans se soucier du qu’en-dira-t-on. En s’affranchissant des parents, des profs, des patrons et de toutes les institutions moralisantes. La vague tuning qui a touché l’Europe dans les années 1980/1990 s’est peu à peu retirée au passage de l’an 2000. La « raison » l’a emporté face à l’éclat des campagnes et des banlieues. Car le tuning est une activité dissidente et extérieure aux centres du pouvoir, il se propage dans les départements ruraux ou dans les périphéries excommuniées. Il ne germe pas dans les arrondissements protégés, là où les enfants studieux passent l’agrégation avant le permis de conduire. La normalisation des moyens de locomotion a tué la marge. Un jour, nous nous sommes réveillés et n’avons plus vu une 205 gonflée comme un crapaud géant, portant sur le toit un aileron démesuré et des bas de caisse proéminents, le tout dans une teinte allant du violet au blanc nacré. Un monde souterrain avait disparu. Le tuning est l’Atlantide des gamins heureux de discuter « bagnole » et « hifi », de se retrouver ensemble sur des parkings de supermarché et de fanfaronner. Ils ne sont pas si éloignés de Vittorio Gassman au volant de sa Lancia Aurelia en août 1962. Et puis, le tuning comme expression nouvelle a été absorbé par les constructeurs, ils préfèrent parler de « personnalisation », ça fait plus « chic », plus ordonné.

Le salut vient de Belgique

Les extravagances de carrosserie sont les hiéroglyphes de la fin du XXème siècle. Le monde a changé en vingt-cinq ans. On promeut l’inclusivité et l’on a rejeté le tuning, cet art primaire de la modification. En cette fin d’année, notre salut vient de Belgique. En matière artistique, le royaume a toujours assumé le décalage. Le musée Autoworld à Bruxelles réveille les consciences en exposant les grands maîtres allemands de la discipline : Koenig, Strosek, Gemballa, Brabus, etc… Ceux qui ont tout inventé, qui ont bravé les interdits, ils se sont tout permis, les largeurs ahurissantes, les portes en papillon, en élytre, les hauteurs de caisse et les décapsulages les plus dingues. L’âge d’or du tuning se regarde comme la peinture flamande.

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Là, une Opel Manta jaune et bleue, plus loin, une Audi Quattro Roadster, une Porsche 911 Turbo aux couleurs « Rainbow » nargue une 928 à l’ouverture verticale. Les peine-à-jouir peuvent passer leur chemin. Ils ne sont pas les bienvenus. Si les nostalgiques se souviennent du coupé AMG conduit par Jean-Paul et Johnny dans les années 80, ils vont tomber à la renverse en admirant la Mercedes modifiée par Gemballa. Étrange et fascinante.

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Mourir pour Kiev?

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En soutenant les propos du général Mandon dans une de ses chroniques la semaine passée, notre directrice de la rédaction a donné à certains la désagréable impression de « sonner le clairon ».


Précision : le titre donné à la chronique de Melle Lévy (« Mourir pour Kiev ») n’a pas été choisi par elle, et se voulait un pastiche du célèbre « Faut-il mourir pour Dantzig ? » de Marcel Déat (1939). Elisabeth Lévy précisera sa position concernant la menace russe dans le prochain numéro du magazine, en vente mercredi prochain • La rédaction.

La nouvelle guerre froide idéologique s’organise ainsi : d’un côté les défenseurs d’Israël qui condamnent la Russie et son agression de l’Ukraine, de l’autre ceux qui comprennent le point de vue russe et qui condamnent Israël. Nonobstant nuances et précisions, il n’y a guère d’exceptions, on est d’un côté ou de l’autre. Elisabeth Lévy s’inscrit dans la première catégorie et elle défend, comme Causeur, une ligne très agressive à l’égard de la Russie. J’ai encore en mémoire un article délirant de Cyril Bennasar qui appelait à « aller casser la gueule » aux Russes.

Renouant avec la diplomatie brejnévienne, la Russie se pose en chef de file des défenseurs de la cause palestinienne, en tout cas elle en est le porte-parole au Conseil de sécurité. On comprend que, dans les circonstances actuelles, les soutiens d’Israël n’apprécient pas. Mais quand, comme c’est le cas d’Elisabeth Lévy, on est un patriote français, on ne peut pas faire du conflit du Proche-Orient son critère de jugement de la guerre d’Ukraine et de la position de la France à cet égard. Quelles que soient ses arrière-pensées, son appel, à la suite du général Mandon, à aller « mourir pour Kiev » doit être examiné en fonction, et uniquement en fonction, des intérêts de la France.

Scandinavie et pays baltes inquiets

La « menace russe » est aujourd’hui présentée de façon moins caricaturale qu’il y a quelques mois. L’armée russe n’a jamais dépassé l’Elbe (sauf à l’occasion de l’aller-retour de 1814, dans le cadre d’une grande coalition européenne), et elle ne le fera jamais pour d’évidentes raisons stratégiques. La menace est celle qui pèse sur les confins des anciens empires allemand et russe, et sur la Scandinavie. Ce n’est pas une nouveauté. L’affrontement de la Pologne et de la Lituanie avec la Russie dure depuis trois siècles et n’a cessé que par intermittence. Prolongé jusqu’à la « Guerre d’hiver » finno-soviétique, le face-à-face de la Suède avec la Russie a des racines historiques profondes, déterminées par l’enjeu du contrôle de la mer Baltique.

Or ces pays sont aujourd’hui liés à l’Europe occidentale et à la France par un système d’alliance (OTAN et UE) qui définirait un devoir de solidarité allant, si nécessaire, jusqu’à l’entrée en guerre. Il est permis d’en douter, ou plutôt de s’interroger sur la réalité et le sens de cette solidarité.

Rappelons d’abord que l’effectivité de l’article 5 de la charte de l’OTAN n’a jamais été testée et qu’en 1920 le Congrès des Etats-Unis, animé d’un Etat d’esprit plus proche de celui de Donald Trump que du président d’alors, Woodrow Wilson, a refusé de rejoindre la SDN pour ne pas avoir à ratifier un article   équivalent qui portait alors le numéro 11.

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Le titre de la chronique d’Elisabeth Levy, « Mourir pour Kiev » fait écho à celui de l’article de Marcel Déat publié en mai 1939, « Faut-il mourir pour Dantzig ? ». Alors que la garantie franco-britannique donnée à la Pologne avait affirmé notre devoir de solidarité, la question posée reçut une réponse ambigüe : on déclara la guerre et puis on ne la fit (presque) pas, avant de finalement la subir. La fière proclamation de la solidarité franco-polonaise n’a pas sauvé la Pologne du dépeçage. Ni en 1772-1795 (et Bonaparte n’a pas tenu sa promesse de rétablir la souveraineté polonaise), ni en 1939 (quand nous sommes restés l’arme au pied pendant que Hitler et Staline rejouaient la pièce du partage). Et comme l’a dit avec franchise Claude Cheysson lors de la loi martiale polonaise de 1981, « Naturellement nous ne ferons rien ». L’exception, qu’il faut relever, à l’impuissance française à traduire en actes sa solidarité avec le Pologne, c’est 1920, le « miracle de la Vistule », quand une solide délégation d’officiers français (mais sans forces combattantes) a aidé la jeune armée polonaise à s’organiser pour repousser l’Armée rouge parvenue aux portes de Varsovie.

La cause immédiate de la Seconde Guerre mondiale, a été le conflit germano-polonais autour de ce fameux corridor de Dantzig. C’était une création de la Conférence de Versailles chargée d’organiser le rabotage de l’empire allemand et le démembrement de l’empire austro-hongrois (la même qui a créé une Tchécoslovaquie avec 3 millions d’Allemands à l’intérieur de ses frontières). Il séparait la Prusse occidentale de la Prusse orientale pour offrir un accès à la mer au nouvel Etat polonais.  On peut épiloguer sur les causes profondes de la guerre, sur l’expansionnisme hitlérien, il n’en demeure pas moins que les occasions des deux agressions qui ont déclenché la guerre, les Sudètes et Dantzig, ont été créées par les défauts d’un traité qui se souciait plus de la morale, du droit de peuples, que du réalisme géopolitique.

Vers le gouffre ?

Aujourd’hui la réalité géopolitique de l’Europe à laquelle la France est confrontée n’est plus la même. Du fait des grands nettoyages ethniques de 1942-45, la question des minorités ne se pose plus de façon aussi aigue que dans l’entre-deux-guerres. Pourtant, à la suite de la disparition de l’URSS, elle a réapparu en Ukraine et dans les pays baltes avec les minorités russophones, ainsi que dans le Caucase. Mais elle est incompréhensible pour des Européens qui ont grandi dans un monde où la coïncidence des Etats et des appartenances nationales semble aller de soi.  L’autre grand changement est que la politique étrangère française a perdu son principe organisateur essentiel qui était de se prémunir contre le péril allemand. Une troisième différence est que la France est insérée dans l’Union européenne, un objet politique nouveau, à la fois espace économique commun, alliance politique, et proto-Etat fédéral.

Mais il y a une constante qui a traversé le XXe siècle : la question de l’organisation de « la ceinture des peuples mêlés » (Hannah Arendt), c’est-à-dire de l’équilibre des forces en Europe orientale, ouverte par la disparition des empires en 1917-18. Celle-ci a creusé un gouffre d’instabilité plus ou moins masqué en 1945 par l’expansion de l’empire russe, puis après son effondrement par les élargissements successifs à l’est de l’OTAN et de l’UE. Justifiés à nouveau par le droit des peuples, ceux-ci entraînent l’Europe occidentale vers ce gouffre qu’on avait imaginé refermé en 1991, date de « la fin de l’Histoire » et qui s’est réouvert entre Kiev et Donetsk en 2014.

Avec le recul, on peut dire qu’il ne s’agissait pas en 1939 de mourir pour l’intégrité de la Pologne mais pour la liberté de l’Europe. Peut-on en dire autant aujourd’hui de « Mourir pour Kiev » ?  Certainement pas, les projets de Vladimir Poutine n’ont rien à voir avec ceux de Hitler. Celui-ci avait soif de Lebensraum, d’espace vital, celui-là cherche à fortifier un trop grand espace. S’il ne s’agit pas de ça, alors affirmer une solidarité jusqu’à la mort, prendre le risque d’une confrontation nucléaire, c’est affirmer que l’Ukraine, ou du moins l’Estonie ou la Pologne, parce qu’ils appartiennent à l’Union européenne, sont des parties de notre nation, c’est effectuer ce saut fédéral que, si j’ai bien compris, Elisabeth Lévy récuse. Car on ne doit faire la guerre, envoyer ses enfants sur le champ de bataille, que quand la survie de la nation est en jeu.

Si l’on peut tenir des propos aussi inconséquents c’est parce qu’on croit, dans le fond, que ça ne se produira pas. La perception de la « menace russe » n’a rien de comparable pour les Français, et à juste titre, avec ce qu’était la menace allemande.

Au lieu de sonner le clairon et d’aller chercher des preuves de la menace russe dans des jeux d’influence africains ou dans le nouveau Far-West de l’espace numérique, on ferait mieux de se pencher enfin sérieusement sur les causes des paranoïas croisées est-européennes, l’angoisse de l’invasion russe chez les est-Européens, celle de la menace otanienne chez les Russes. Et, sans agiter les mots ronflants, rechercher un accord de paix durable, c’est-à-dire celui qui offrira la seule véritable garantie : la création d’un système européen d’équilibre des forces et des intérêts intégrant la Russie, comme l’avait proposé, en vain, François Mitterrand en 1991.

L’étau de ma mère

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Régis Jauffret © Hannah Assouline

Régis Jauffret signe avec Maman une déclaration d’amour rageuse, cocasse, parfois violente et bouleversante. Le brillant romancier lève le voile sur ses fragilités sans se départir de son cynisme.


Cette rentrée littéraire a livré d’innombrables ouvrages inspirés par les mères – ceux de Justine Lévy, Raphaël Enthoven, Jakuta Alikavazovic, Amélie Nothomb, Catherine Millet… Le texte de Régis Jauffret se distingue par sa noirceur, son humour et sa folie. Sobrement intitulé Maman, titre aussi touchant qu’ironique, ce roman est le testament littéraire d’un écrivain au mieux de sa forme. En 2020, l’auteur des Microfictions nous avait gratifiés d’un magnifique Papa. N’allez pas croire pour autant que l’écrivain ait une quelconque appétence pour l’autofiction. Son œuvre, forte d’une vingtaine de romans, en est la preuve. Il est pourtant des textes auxquels on n’échappe pas. Maman est de ceux-là.

La mère de l’auteur meurt le 30 janvier 2020. Madeleine dite aussi Mado, Magdalena, Madelon, noms destinés à tenir le pathos à distance, avait alors 106 ans. Un âge plus qu’honorable pour cette femme a la voix de stentor, qui n’aimait rien tant que le champagne et le foie gras que son fils unique lui apportait à chaque visite. Une forte femme dont Régis Jauffret entreprend de faire le portrait. Un portrait bien dans sa manière, dans lequel il prend soin de préciser « je dis ici toute la vérité » pour aussitôt nuancer « je dois cependant mentir, falsifier, gommer, imaginer ». D’où l’appellation de roman. Et quel roman ! Maman s’inscrit entre la mort de la mère et son enterrement. Soit deux cent cinquante pages d’une logorrhée irrésistible dans lesquelles le fils va décortiquer leur relation. Deux cent cinquante pages d’une absolue sincérité où « Jau » ne cache rien de son adoration, de sa culpabilité, de sa lassitude et de son exaspération envers cette femme qui rêvait d’être « une Marie Curie, une Teresa, une Virginia Woolf, une Serena Williams de la mératerie ». Une femme qui ment à tout bout de champ. Abuse du chantage à la mort et réécrit son histoire. Une femme qui tapisse son appartement de photos de son fils en format géant et a pour lui des attentes écrasantes. C’est pour elle que l’auteur d’Asiles de fous s’est mis à écrire, à seule fin de la séduire puis, plus tard, avec l’espoir de combler son besoin de reconnaissance.

Mais rien n’est jamais assez pour cette mère effroyable. À tel point que le fils gardera à vie un manque de confiance en lui et le sentiment épuisant de n’être jamais à la hauteur. Il aura beau lui régler son compte, la « tabasser » symboliquement, lui intenter un procès, rien n’entamera son amour dévorant. « Je l’ai aimée, je l’ai tant aimée. […] Je l’aime encore, je l’aimerai toujours et puisqu’il ne me reste pas tant de siècles à vivre, je peux supposer que je tiendrai parole. » On connaissait de Régis Jauffret sa noirceur, son ironie, son cynisme, l’on découvre ici sa fragilité et son extrême sensibilité. Maman est une déclaration d’amour rageuse, violente, cocasse, macabre, bouleversante, brillante. En un mot : inoubliable.

Maman, Régis Jauffret, Éditions Récamier, 2025. 256 pages

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Les santons, enfants de la Bonne mère

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DR.

Comme à chaque trêve des confiseurs, les crèches de Noël vont donner une crise de foi aux islamo-gauchistes et autres laïcards. Pourtant c’est grâce à leurs aïeux les sans foi ni loi de la Révolution que les crèches se sont « démocratisées », avec l’apparition des santons.


En 1793, pour bouffer du curé, les révolutionnaires, qui font régner la terreur, interdisent la messe de minuit et les crèches dans les églises. À Marseille, où, depuis 1214 sur la colline de la Garde la Bonne-Mère veille sur la ville, la mesure indigne et l’interdit est contourné. Avec la malice d’un Don Camillo se jouant des mauvais tours de Peppone, certains habitants installent chez eux des crèches et invitent leurs voisins à venir les admirer. Malheureusement, cela n’est pas donné à tout le monde de pouvoir créer de telles crèches. À cette époque, les figurines sont en cire, leur prix est élevé et elles sont alors réservées à une clientèle aisée. Dès 1797, un homme a alors l’idée de cuire, dans des moules de plâtre, des sujets en argile, dont le coût de production, modique, peut assurer une distribution meilleur marché. Des sujets en argile, car « môssieu », de même qu’un bon pastis est élaboré avec de l’anis étoilé, le vrai santon de Provence est en argile ! 

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Le créateur du santon est reconnu quand en 1953, l’avocat Leopold Dor fait don au musée du Vieux-Marseille d’une collection de moules anciens d’où sont sortis les premiers santons ! Sur ces précieux objets, une signature : Lagnel. Le père des santons est identifié. Il s’agit de Jean-Louis Lagnel, né en 1764, mort en 1822. Sur ses derniers moules, Lagnel gravait également la date de création. Sur une pièce figure ainsi « 25 mas 1817 ». Il faut lire 25 mars 1817, mais s’il manque un « R », ce n’est pas une erreur, mais une volonté délibérée ! Comme tous ceux à qui la Révolution avait inspiré une sainte horreur, il refusait d’utiliser la lettre « R », l’initiale de l’événement maudit…

Qui veut la paix, apprend l’histoire

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Masques de Lukashenko, Poutine et Staline vendus dans une boutique de souvenirs, à Saint-Pétersbourg, 13 juin 2024 © SOPA Images/SIPA

La tentation de céder au « réalisme » russe revient régulièrement dans le débat occidental. Pourtant, toute l’histoire de l’Europe centrale et orientale démontre le contraire. Le glacis, loin d’apporter la paix, n’a produit que soumission forcée, instabilité et implosion finale. Face à l’Ukraine, c’est moins le rapport de force qu’il faut regarder que la mémoire oubliée des peuples.  


Le débat concernant la guerre en Ukraine se déroule comme si l’on avait, d’un côté, des « réalistes » qui ne souhaitent qu’arrêter la boucherie et reconnaître la réalité des rapports de force, et de l’autre des va-t-en-guerre à la botte des États-Unis, qui, par ailleurs, ne semblent pas partager leurs opinions, ni sous l’administration Biden, qui n’a rien fait de décisif pour permettre à l’Ukraine de gagner, ni sous Trump. Ce constat appelle deux rappels.

Tout d’abord, concernant la volonté d’étendre l’OTAN à l’Est et le sens de cette politique. Sans entrer dans un débat stérile sur les écrits et les déclarations des uns et des autres, il suffit d’examiner les budgets de la défense en France, au Royaume-Uni et en Allemagne depuis 1991 jusqu’en 2022, d’un côté, et les chiffres de la présence militaire américaine sur le sol européen, en hommes comme en blindés, de l’autre, pour comprendre que la Russie n’a jamais été menacée à l’Ouest. Dès l’effondrement de l’URSS, les membres européens de l’OTAN se sont mis à diminuer leurs forces armées et à affaiblir leurs capacités à mener une guerre de haute intensité contre un ennemi de puissance équivalente. Lorsque Poutine prononce son célèbre discours à Munich, l’OTAN n’est plus que l’ombre de ce qu’elle était vingt ans auparavant, et le président Bush, qui aurait poussé à un élargissement, est alors affaibli, en fin de mandat et en minorité au sein même de l’Alliance. À partir de 2009, sous Obama, puis sous Trump et Biden, il devient clair que ce ne sont pas uniquement la France et l’Allemagne qui sont réticentes à un nouvel élargissement de l’OTAN, mais aussi les États-Unis. En 2016, Trump va même plus loin en mettant en cause l’article 5. On voit donc mal qui aurait pu menacer militairement la Russie, d’autant plus que, depuis février 2022, on sait que les services de renseignement occidentaux ont très largement surestimé la puissance militaire russe. On peut donc conclure que, quoi qu’il ait été dit ou écrit, personne en Europe ne préparait une guerre contre la Russie.

Quant à la logique russe du droit au glacis comme base de l’architecture de la sécurité européenne, et donc de la stabilité du continent, l’exemple de la guerre froide indique plutôt le contraire.

Après 1945, Staline imposa avec une détermination intransigeante la création d’un glacis stratégique à l’ouest de l’Union soviétique. Cette zone tampon, composée d’États satellites (SSR ou Etats frères faussement indépendants), devait empêcher toute nouvelle invasion venue d’Europe occidentale et garantir à Moscou un contrôle politique, militaire et idéologique sur une large partie du continent. Les rapports de force issus de la victoire contre l’Allemagne nazie contraignirent Londres et Washington à céder sur des points essentiels, notamment sur le sort de la Pologne, pourtant alliée dès les premières heures de la guerre. La conférence de Yalta entérina ainsi une réalité brutale et, au nom de la stabilité et d’un équilibre jugé nécessaire, les grandes puissances acceptèrent qu’une partie de l’Europe fût livrée à l’influence exclusive de l’URSS.

Cet ordre, fondé sur une lecture strictement réaliste des rapports de force internationaux, ignora superbement la volonté des peuples concernés, de la mer Baltique à la mer Noire. Privés de souveraineté véritable, soumis à des régimes autoritaires étroitement contrôlés par Moscou, ces pays devinrent les pièces d’un échiquier géopolitique où leur propre voix n’avait plus aucun poids. Pendant un peu plus de quatre décennies, l’Union soviétique maintint le couvercle sur l’Europe centrale et orientale par la menace, par la contrainte et, lorsque cela s’avérait nécessaire, par la violence pure. L’écrasement des soulèvements de Berlin-Est en 1953, de Budapest en 1956 et de Prague en 68 illustre de manière éclatante la volonté soviétique de préserver à tout prix cet empire informel, au mépris des aspirations nationales.

Mais cet ordre imposé par la force portait en lui-même les germes de sa propre disparition. À mesure que l’économie soviétique s’essoufflait, que l’idéologie perdait de sa capacité de mobilisation et que l’attrait du mode de vie occidental ne cessait de croître, les peuples soumis à la domination de Moscou commencèrent à se dérober sous ses pieds. La fuite vers l’Ouest prit des proportions massives, qu’il s’agisse des départs clandestins, des demandes d’asile ou des mouvements de contestation de plus en plus visibles dans les années 1980. L’effondrement de l’URSS entre 1989 et 1991 ne fut pas seulement la conséquence d’une crise économique ou d’erreurs politiques mais aussi, et peut-être surtout, la conséquence de ce rejet profond, silencieux puis ouvert, de systèmes imposés sans légitimité populaire.

Aussitôt l’Union soviétique dissoute, ces pays, autrefois membres du Pacte de Varsovie ou anciennes républiques socialistes, cherchèrent à tout prix à s’éloigner de l’orbite russe. Leur ralliement progressif à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord n’était pas une simple manœuvre opportuniste ni une provocation à l’égard de Moscou mais avant tout un réflexe de survie politique et historique. Marqués par quarante années d’oppression, d’humiliation et de misère, ils voyaient dans l’OTAN non seulement une alliance militaire, mais une garantie de souveraineté, de stabilité et de protection contre un retour possible de la domination russe. La Pologne a ainsi œuvré pendant les années Clinton pour changer la position américaine et convaincre un Washington réticent et plutôt favorable à Eltsin, d’ouvrir l’OTAN pour eux même ainsi que leurs anciens codétenus de la prison géopolitique soviétique.  

Aujourd’hui, Vladimir Poutine semble réactiver la même logique que celle de Staline. Selon lui, les besoins de la Russie en matière de sécurité seraient supérieurs au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Dans cette vision, l’indépendance de l’Ukraine, le choix de la Géorgie, des pays baltes ou de la Moldavie de s’orienter vers l’Ouest ne sont pas perçus comme des expressions d’un sentiment national mais comme des menaces stratégiques inacceptables. Cette conception impériale et étroite des relations internationales peut, à court terme, produire certains résultats en imposant, par la force, des zones d’influence ou des États satellites. Elle a déjà « fonctionné » sous Staline, au prix d’immenses souffrances humaines et d’un gel brutal des libertés.

Mais l’histoire récente suggère que cette logique porte en elle une fragilité profonde. Un ordre bâti sur la contrainte, la peur et la négation des identités nationales est coûteux à maintenir et finit toujours par se fissurer. Les peuples qui se sont libérés de la tutelle de Moscou il y a un peu moins de quarante ans ne seront pas plus faciles à contrôler et à mater qu’ils ne l’étaient après 1945. Ce que l’URSS a appris à ses dépens pourrait bien, tôt ou tard, se rappeler à la Russie poutinienne : la stabilité et la sécurité pour tous dépendent du respect des nations.

Et Bruxelles inventa le concept de « crèche inclusive »

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Installation du sapin de Noël sur la grande place de Bruxelles, 20 novembre 2025 © EMILE WINDAL/BELGA/SIPA

Dans la capitale belge, le marché de Noël est rebaptisé « Plaisirs d’hiver ». Quant à la crèche, la version 2025 qui entend « lancer un message inclusif pour que tout le monde s’y retrouve » avec des personnages sans visage fait polémique.


Je me souviens avec nostalgie des Noëls joyeux de mon enfance : en préambule du réveillon, nous nous rendions en famille sur la Grand-Place de Bruxelles pour y découvrir le sapin – souvent maigrelet dans mes souvenirs – et la crèche plus ou moins réussie. Au moins, à l’époque, celle-ci ressemblait à une vraie crèche, avec Joseph, la Vierge Marie, l’Enfant-Jésus, les rois mages, un peu de paille et des moutons, ceux-ci ayant disparu au mitan des années 2010 car, paraît-il, certains malotrus les dérobaient. 

Message inclusif

La ville de Bruxelles vient donc de dévoiler la version 2025 de sa crèche, intitulée « Les étoffes de la nativité », faite de chiffons de recyclage et composée de personnages sans identité – ou, ce qui revient au même, de toutes les identités de la planète -, afin, se justifie-t-elle auprès des nigauds un peu rétrogrades que nous sommes, de « lancer un message inclusif pour que tout le monde s’y retrouve ». Pour Victoria-Maria Geyer, conceptrice de cette « chose » que nous ne pouvons décemment appeler crèche, « le visage des personnes est fait dans un tissu qui est composé de toutes les couleurs des ethnies possibles et imaginables afin de ne discriminer personne ».

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Décryptons le verbiage et déconstruisons les déconstructeurs : tout le monde, c’est évidemment tout le monde sauf vous et moi. Soyez certains que chaque fois qu’ils utilisent le mot « inclusif », ce n’est ni pour réparer une injustice, ni pour intégrer de nouvelles personnes dans la communauté nationale, mais pour cracher à la figure de l’Occidental, du Belge en l’occurrence, du chrétien, de l’homme blanc, de toute personne qui entend simplement faire perdurer ses traditions sur son sol.  

Les wokes, ça ose tout !

Evidemment, les wokes, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît. Ils osent tellement tout qu’ils prétendent même que le wokisme n’existe pas. Mais comme ils ne sont jamais entravés dans leur féconde imagination, ils continuent, encore et encore, et peinent à masquer leur vraie ambition, non pas tant effacer dans la culture occidentale ses parts d’ombre, mais supprimer complètement ce qui fonde celle-ci (son histoire, ses traditions, son identité, ses hommes et ses femmes) afin de mieux la remplacer par un multiculturalisme multiconflictuel.

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Et donc, dans l’Europe de la cancel culture, les personnages de la crèche à Bruxelles, nouvelle capitale de l’islamisme, du « palestinisme » et du gauchisme violent et où le marché de Noël se nomme désormais « Plaisirs d’hiver », ressemblent à des touaregs du désert et à des pantins désarticulés. Les mauvaises langues diront que les visages sont dépourvus d’yeux, de nez et de bouche car la représentation des êtres humains est prohibée dans la religion musulmane. La laideur d’un ensemble inesthétique et dépourvu de toute dimension sacrée achève de rompre avec les standards civilisationnels de Beauté. Le pire, c’est qu’ils iront sans doute encore plus loin : on attend déjà la crèche avec ses personnages en transition de genre et portant un keffieh en soutien à la Palestine !

🎙️ Podcast: Iran, Mali, Ukraine, avec Harold Hyman

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Le journaliste franco-américain spécialiste des affaires internationales Harold Hyman. Photo D.R.

Harold Hyman est invité au micro de Jeremy Stubbs pour commenter l’actualité internationale.


L’Iran a indiqué vouloir reprendre des négociations avec les Etats-Unis afin de trouver un accord qui calme l’inquiétude occidentale concernant le nucléaire iranien et permette au régime des mollahs d’attirer les investissements occidentaux dont il a si grand besoin.

Au Mali, on craignait la chute possible de la junte dictatoriale. Les rebelles djihadistes avaient tenté de paralyser la capitale du pays en la privant de carburant, mais le blocus a finalement été contourné grâce surtout au pétrole du Burkina Faso. Le régime survit, tandis que les djihadistes cherchent à s’attirer les bonnes grâces des différents groupes ethniques maliens.

Les négociations de paix en Ukraine font-elles des progrès? Ces derniers temps, nous avons entendu beaucoup de rumeurs et de contre-rumeurs: oui, un accord semble possible; non, c’est du vent, il ne se passe rien. Enfin, Harold Hyman nous explique que, les deux belligerents étant épuisés – bien que ce soit à un degré différent – les négociations avancent quand même…

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Intelligence artificielle, la défaite de la pensée?

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Le journaliste Guillaume Grallet © France24

Guillaume Grallet, reporter high-tech au Point, propose avec son livre Pionniers un voyage passionnant au cœur des cerveaux de l’intelligence artificielle.

Son enquête commence par la genèse des êtres humains qui ont bouleversé nos misérables vies, pour reprendre l’adjectif employé par Pascal pour résumer la condition humaine. On plonge dans l’histoire secrète de la Silicon Valley, vaste verger, jadis paisible, devenu le laboratoire du monde, peuplé d’esprits iconoclastes, biberonnés au road trip de Jack Kerouac et aux écrits du déjanté Allen Ginsberg, tous favorables – ou presque – à la contre-culture, partant de la remise en cause des puissances étatiques pour rechercher frénétiquement la vie éternelle. Grallet rencontra, en juillet 2016, l’écrivain Howard Rheingold, personnage excentrique connaissant les coulisses de cette partie mondialement connue de la Californie. Rheingold rappelle l’importance du LSD dans le processus créatif de nos chercheurs de génie. Drogue, mais également méditation transcendantale, comme Steve Jobs, fondateur d’Apple. Grallet raconte que Jobs partit en Inde, voyage initiatique qui renforça son goût de l’inconnu, allant jusqu’à se raser la tête en signe de purification. Les autres exemples ne sont pas mal non plus dans le genre névrosé. Ce qui n’effraya pas la DARPA, l’agence de recherche du Pentagone, qui investit des milliards de dollars dans leurs entreprises de technologie révolutionnaire. Cette prise de risque, caractéristique de la mentalité américaine, est l’une des raisons du succès de la Silicon Valley.

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Parmi les rencontres, il faut citer celle de l’auteur avec Mark Zuckerberg, à Hawaï, où le créateur de Facebook construit un gigantesque bunker pour se protéger de l’apocalypse nucléaire. L’homme qui possède 200 milliards de dollars est imprévisible, voire versatile, comme le prouve le portrait qu’il nous propose. « Zuck », aujourd’hui subtilement anti-woke, n’en démord pas : dans trente ou cinquante ans, on aura la capacité d’avoir une pensée et de la partager instantanément avec quelqu’un. Son projet transhumaniste peut paraître fou, mais ce « geek insatiable », à la tête du réseau social comptant plus de 3 milliards d’utilisateurs, est persuadé qu’un jour les cerveaux communiqueront en direct, sans avoir besoin d’écrans. Lui aussi parie sur l’IA.

Le développement inéluctable de l’IA divise. Elle doit être perçue comme un amplificateur de l’intelligence humaine, « un partenaire de réflexion ». Elle peut déjà détecter un certain nombre de pathologies ou prévenir des catastrophes naturelles. Mais il semble indispensable de l’encadrer par de solides garde-fous, car elle va bouleverser le monde du travail et la géopolitique. Elle risque, de plus, d’accroitre les inégalités entre les êtres humains, de développer un chômage de masse au sein de la classe moyenne, sans épargner les cols blancs. Certains spécialistes s’attendent à un carnage, tandis que d’autres prévoient une métamorphose moins meurtrière. Les entreprises « sans ambition », qui refusent d’innover, seront les plus touchées. Les capacités des différents systèmes d’IA risquent également d’accoucher d’un super puissant État peuplé de personnes hautement intelligentes dominant la scène mondiale. Pire, l’auteur précise que « les modèles d’IA peuvent tromper leurs utilisateurs et poursuivre des objectifs de manière ‘’imprévue’’. Ils ont la capacité, par exemple, de générer des réponses faussement rassurantes pour viser des intentions cachées. » Bref, comme l’a écrit Rabelais : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. »

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Ce qui serait magique, c’est que l’IA soit capable d’annihiler le cerveau des docteurs Folamour qui ne rêvent que de feu nucléaire. Mais le mieux, pour éviter l’apocalypse, serait d’appliquer le conseil de Camus : « Un homme, ça s’empêche. » Pour cela, il faudrait être capable de garder intacte, et surtout indépendante, notre faculté de pensée.

De toute façon, au final, on entendra résonner la voix de Macbeth :
« La vie n’est qu’une ombre errante ; un pauvre acteur
Qui se pavane et s’agite une heure sur la scène
Et qu’ensuite on n’entend plus ; c’est une histoire
Racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur,
Et qui ne signifie rien. »

Guillaume Grallet, Pionniers. Voyage aux frontières de l’intelligence artificielle, Grasset. 288 pages

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Napoléon vu par Abel Gance, une longue attente

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Albert Dieudonné en Napoléon Bonaparte dans le film d'Abel Gance, 1927. © Cinémathèque française

Un très beau cadeau de Noël: Napoléon vu par Abel Gance sorti en Blu-ray haute définition par Potemkine Films[1]. Tout le génie cinématographique d’Abel Gance au service de la grandeur de Bonaparte et de la France…


Je n’avais jamais vu ce film mythique. Depuis 50 ans, j’attendais le moment de découvrir la vison de Napoléon vu par Abel Gance après avoir vu des extraits de versions non satisfaisantes. Le travail méticuleux et subtil de reconstitution du film dans sa Grande Version inédite et définitive accompli pendant seize ans par Georges Mourier et son équipe est exceptionnel. Cette restauration est au plus près du montage originel dans la rythmique musicale, voulue par Abel Gance, très proche de la copie Apollo montrée en 1927.

Abel Gance, un inventeur du cinéma

Abel Gance est avec Jean Epstein, Cecil. B. DeMille et David Wark Griffith l’un des grands cinéastes inventeurs de formes du cinéma muet. Indéniablement, c’est un réalisateur inspiré et novateur dont le style empreint de lyrisme tranche avec la production de l’époque.

J’Accuse (1919) et La Roue (1923) deux chefs-d’œuvre de l’art cinématographique le consacrent comme un metteur en scène reconnu qui a tourné de nombreux beaux films durant la période du cinéma muet, puis des œuvres intéressantes mais parfois moins convaincantes après la naissance du cinéma parlant et sonore.

Une fresque monumentale

Napoléon vu par Abel Gance est une fresque monumentale datant de 1927, qui retrace la vie du futur empereur depuis son enfance jusqu’aux premiers feux de la campagne d’Italie.

Genèse et production du film

La recherche de financement pour sa production et l’écriture du scénario s’étalent de 1923 à 1924. Abel Gance pensait réaliser six films racontant l’histoire complète de Napoléon. Il s’associe avec Pathé, monte la société Les Films Abel-Gance puis écrit le premier volet du film. Le tournage démarre le 15 janvier 1925, aux studios de Billancourt. Il dure quatorze mois (entre Paris, la Corse et le château de Versailles…) et nécessite des tonnes de matériel dont dix-huit caméras…

Un laboratoire d’innovations pour une œuvre hors norme

Pour servir au mieux la mise en scène de son film, Gance innove sans cesse et trouve de nouvelles solutions techniques : caméras sur des filins et des balançoires, caméras portées, installées sur des chevaux au galop, fabrication d’objectifs spéciaux, surimpressions, essais sur la couleur et tournage du film en Polyvision (pour une projection sur trois écrans)… Le montage, assuré par Abel Gance et Marguerite Beaugé, exige un an de travail.

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Napoléon vu par Abel Gance est une œuvre cinématographique, artistique, historique et politique d’une envergure sans pareille. L’épopée napoléonienne d’Abel Gance est un poème épique d’une audace et d’une inventivité folle au service de la grandeur de la France et d’un homme qui l’aimait : Napoléon Bonaparte. L’histoire de France vue par Abel Gance tient de la force et de la beauté du roman national servi par la vision acérée et précise du cinéaste, la justesse d’interprétation de tous les acteurs en particulier celles d’Albert Dieudonné (Napoléon Bonaparte), Abel Gance (Saint-Just), Alexandre Koubitzky (Danton), Edmond Van Daële (Robespierre), Antonin Artaud (Marat), Gina Manès (Joséphine de Beauharnais), Annabella (Violine)…

Esthétique, musique et mise en scène

La mise scène est ample, rigoureuse et attentive. Ses plans et images flamboyants sont servis par un noir et blanc contrasté parfois teinté de bleus, rouges, verts, jaunes ou bistres illustrant les tensions dramatiques du récit. La musique extraordinaire de justesse confiée à Simon Cloquet-Lafollye et interprétée par l’Orchestre National de France, l’Orchestre Philharmonique et le Chœur de Radio France, sous la direction de Frank Strobel est faite de plages de calme et de tensions, de moments lyriques et d’envolées magnifiques. Le compositeur a puisé dans plus de deux cents ans de musique symphonique subtilement réarrangé pour la bande musicale du film.

Humanité et violence

Gance filme avec une grande tendresse les scènes où la vie privée des personnages principaux de l’aventure napoléonienne sont en jeu. Relations familiales, amour maternel et filial et passion amoureuse donnent à cette œuvre une vérité humaniste. Lorsqu’il s’agit de filmer la violence et la terreur de la Révolution française ou la barbarie de la guerre – prise de Toulon, bataille d’Italie – il montre sans concession par des procédés visuels de surimpression et de colorisation, l’horreur en marche.

Un aboutissement cinématographique

Tous ces éléments liés à l’attention particulière du cinéaste aux sentiments, désirs, pensées et souffrances de ces personnages qui ont écrit l’histoire de notre nation font de ce film un véritable enchantement pour qui aime la France, l’esthétisme cinématographique, la musique.

Le triptyque final de la bataille d’Italie est un morceau de bravoure et d’anthologie cinématographique bouleversant, grâce à sa beauté et son inventivité formelle.

Un film muet où l’on voit et entend le bruit et la fureur de l’Histoire. Une véritable prouesse, un chef-d’œuvre absolu ou la forme et le fond se rejoignent.

1927 – 7h20 – film historique – muet


[1] Coffret du film restauré par la Cinémathèque française. Contient :- 3 Blu-ray, le livre Napoléon vu par Abel Gance, des éditions La Table Ronde (2024, 312 pages), un livret avec la liste des musiques utilisées pour la bande son.

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Présidentielle: ne demandez pas le programme!

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L'ancien Premier ministre Gabriel Attal, à l'Assemblée nationale, le 12 novembre 2025 © Stephane Lemouton/SIPA

Le projet présidentiel, ce sera l’homme…


Pour la prochaine élection présidentielle, chaque candidat, de droite comme de gauche, se sentirait déshonoré s’il n’invoquait pas l’absolue nécessité d’un programme avant d’afficher toute ambition personnelle. C’est une sorte de réflexe destiné à montrer son sérieux et sa profondeur.

Alors même que l’on sait très bien que cette volonté d’afficher un projet passe de plus en plus au second plan, derrière la qualité de la personnalité qui sollicitera nos suffrages.

J’ai songé notamment à cette évolution – que l’on peut situer à partir de 2007, lorsque l’être du président a commencé à compter davantage que ce qu’il annonçait, sa politique à venir – en regardant Gabriel Attal qui, précisément, s’est efforcé, le 26 novembre au soir surCNews, de démontrer la priorité qu’il accordait à l’élaboration du programme.

Alors qu’en l’écoutant, on percevait que c’étaient sa personnalité, ses forces et ses éventuelles faiblesses qui pourraient constituer la véritable preuve permettant de légitimer, ou non, son avenir présidentiel.

Je perçois bien les limites de cette personnalisation, puisqu’elle dépend du goût et de la subjectivité de chaque citoyen, chacun étant susceptible de ne pas porter le même regard sur les personnalités bientôt en lice. J’ai conscience que ma propre dilection mettra en évidence le caractère et le comportement de tel ou telle au détriment d’autres, et que mon intuition ne sera pas forcément exempte de contradictions.

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À considérer l’espace politique d’aujourd’hui, mon sentiment que le seul à m’inspirer une totale confiance s’il était en charge du pouvoir serait Bruno Retailleau n’est sans doute pas universellement partagé, même dans le camp conservateur pris au sens large. Je n’aurais aucune difficulté à argumenter pour expliquer ma préférence. Je m’en tiendrais aux qualités de l’homme : sa rigueur, sa rectitude, sa moralité, son honnêteté, ainsi qu’à ce que ses activités sénatoriales et ministérielles ont révélé de sa constance, de sa cohérence et de son courage intellectuel. Mais je devine qu’ici ou là on pourrait m’opposer d’autres incarnations.

Ce qui est certain, c’est qu’aussi clairs que soient nos dissentiments, nous pourrions tout de même tomber d’accord sur ceux qu’il conviendrait d’exclure, ceux dont la densité ou le caractère nous paraîtraient trop aux antipodes d’un destin présidentiel pour être choisis.

En 2027, ceux qui s’affronteront dans les débats, d’abord puis lors de « l’emballage » ultime, auront bien davantage que des catalogues de mesures à présenter : ils n’auront qu’une ambition, une obsession, celle de manifester qu’ils seront à la hauteur de la fonction prestigieuse qu’ils espèrent assumer, par le corps, l’esprit et l’âme.

Je me souviens de Nicolas Sarkozy ayant insisté un jour sur le rôle prépondérant et bénéfique, même face à une mauvaise loi, de celui qui la mettra à exécution – ou, au contraire, sur le rôle calamiteux que peut jouer celui qui trouve le moyen de dégrader une bonne loi.

Il ne s’agira donc plus de se jeter des chiffres au visage ni de multiplier les contradictions, mais de proposer, durant la campagne et sur les plateaux, des tempéraments capables de convaincre, de rassurer et de faire croire en demain.

Pour moi, ce sera Bruno Retailleau, mais la démocratie, j’en ai peur, consiste à avoir le droit de décider… en même temps que beaucoup d’autres. Il n’empêche que son projet – qui est lui-même – me plaît.

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Le tuning entre (enfin) au musée!

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© Autoworld

Tuning outragé, tuning brisé, tuning martyrisé, mais aujourd’hui tuning libéré à Autoworld, le musée automobile de Bruxelles. Jusqu’au 14 décembre se tient une exposition temporaire consacrée aux maîtres allemands de la transformation


Les sourires se crispent, la moquerie n’est pas loin. Hargneuse. Vindicative. Diffamatoire. Les blagues fusent en cascade. Le délit de faciès n’est pas condamné, en l’espèce, par la justice. On se défoule sans limite. On crie à l’attentat esthétique et, dans le fond, on laisse exploser sa haine du « populaire ». À la vue d’une auto bodybuildée, aux appendices aérodynamiques disproportionnés, aux couleurs « outrageantes » et à la sono assourdissante, le bourgeois s’étrangle. Il se fait censeur, sermonneur ; lui seul détient la carte du bon goût, lui seul peut décider de ce qui est beau ou laid, admis ou rejeté, démocratique ou populiste. Comment de telles horreurs peuvent-elles avoir le droit de rouler sur les routes ? On en appelle aux autorités morales, à la régulation, à l’homogénéisation, au lessivage, au nivelage. La transformation génétique des voitures, c’est de la sorcellerie, au mieux une dérive poujadiste à condamner. Le tuning a toujours eu mauvaise presse. Il fait tache. Il fait « SEGPA ». Les médias culturels l’ont délégitimé, l’ont sali et l’ont intellectualisé pour mieux le vider de sa substance. Parce que ces gens-là ne comprennent rien à l’imaginaire prolétaire, ce sont des commentateurs lointains, étrangers aux envies et aux rêves d’une jeunesse hors des villes.

© Autoworld Bruxelles.

Manque de savoir-vivre

Ils y ont vu une révolte, un exutoire, une manière de contrecarrer le déterminisme social de tous ces enfants végétant dans les filières techniques, ils ont pris le tuning pour un manque de savoir-vivre, alors qu’au contraire, le tuning est une affirmation, une fierté, la révélation d’une identité profonde, une culture riche qui prend sa source dès les premiers tâtonnements de la création automobile. Nos penseurs fainéants enfermés dans leur case idéologique ont cru déceler les tenailles du système, la misère et l’oppression.

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Il y avait pourtant de la beauté, de l’audace, de l’exagération jubilatoire, de la féérie fluorescente et pailletée. Le tuning, c’est avant tout du plaisir, plaisir de se faire remarquer, de faire du bruit et d’exister avec sa voiture maquillée et longuement pensée dans son garage. Une voiture façonnée selon ses propres codes, ses propres aspirations, sans se soucier du qu’en-dira-t-on. En s’affranchissant des parents, des profs, des patrons et de toutes les institutions moralisantes. La vague tuning qui a touché l’Europe dans les années 1980/1990 s’est peu à peu retirée au passage de l’an 2000. La « raison » l’a emporté face à l’éclat des campagnes et des banlieues. Car le tuning est une activité dissidente et extérieure aux centres du pouvoir, il se propage dans les départements ruraux ou dans les périphéries excommuniées. Il ne germe pas dans les arrondissements protégés, là où les enfants studieux passent l’agrégation avant le permis de conduire. La normalisation des moyens de locomotion a tué la marge. Un jour, nous nous sommes réveillés et n’avons plus vu une 205 gonflée comme un crapaud géant, portant sur le toit un aileron démesuré et des bas de caisse proéminents, le tout dans une teinte allant du violet au blanc nacré. Un monde souterrain avait disparu. Le tuning est l’Atlantide des gamins heureux de discuter « bagnole » et « hifi », de se retrouver ensemble sur des parkings de supermarché et de fanfaronner. Ils ne sont pas si éloignés de Vittorio Gassman au volant de sa Lancia Aurelia en août 1962. Et puis, le tuning comme expression nouvelle a été absorbé par les constructeurs, ils préfèrent parler de « personnalisation », ça fait plus « chic », plus ordonné.

Le salut vient de Belgique

Les extravagances de carrosserie sont les hiéroglyphes de la fin du XXème siècle. Le monde a changé en vingt-cinq ans. On promeut l’inclusivité et l’on a rejeté le tuning, cet art primaire de la modification. En cette fin d’année, notre salut vient de Belgique. En matière artistique, le royaume a toujours assumé le décalage. Le musée Autoworld à Bruxelles réveille les consciences en exposant les grands maîtres allemands de la discipline : Koenig, Strosek, Gemballa, Brabus, etc… Ceux qui ont tout inventé, qui ont bravé les interdits, ils se sont tout permis, les largeurs ahurissantes, les portes en papillon, en élytre, les hauteurs de caisse et les décapsulages les plus dingues. L’âge d’or du tuning se regarde comme la peinture flamande.

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Là, une Opel Manta jaune et bleue, plus loin, une Audi Quattro Roadster, une Porsche 911 Turbo aux couleurs « Rainbow » nargue une 928 à l’ouverture verticale. Les peine-à-jouir peuvent passer leur chemin. Ils ne sont pas les bienvenus. Si les nostalgiques se souviennent du coupé AMG conduit par Jean-Paul et Johnny dans les années 80, ils vont tomber à la renverse en admirant la Mercedes modifiée par Gemballa. Étrange et fascinante.

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Mourir pour Kiev?

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Kiev, après des attaques russes, hier © Service/UPI/Shutterstock/SIPA

En soutenant les propos du général Mandon dans une de ses chroniques la semaine passée, notre directrice de la rédaction a donné à certains la désagréable impression de « sonner le clairon ».


Précision : le titre donné à la chronique de Melle Lévy (« Mourir pour Kiev ») n’a pas été choisi par elle, et se voulait un pastiche du célèbre « Faut-il mourir pour Dantzig ? » de Marcel Déat (1939). Elisabeth Lévy précisera sa position concernant la menace russe dans le prochain numéro du magazine, en vente mercredi prochain • La rédaction.

La nouvelle guerre froide idéologique s’organise ainsi : d’un côté les défenseurs d’Israël qui condamnent la Russie et son agression de l’Ukraine, de l’autre ceux qui comprennent le point de vue russe et qui condamnent Israël. Nonobstant nuances et précisions, il n’y a guère d’exceptions, on est d’un côté ou de l’autre. Elisabeth Lévy s’inscrit dans la première catégorie et elle défend, comme Causeur, une ligne très agressive à l’égard de la Russie. J’ai encore en mémoire un article délirant de Cyril Bennasar qui appelait à « aller casser la gueule » aux Russes.

Renouant avec la diplomatie brejnévienne, la Russie se pose en chef de file des défenseurs de la cause palestinienne, en tout cas elle en est le porte-parole au Conseil de sécurité. On comprend que, dans les circonstances actuelles, les soutiens d’Israël n’apprécient pas. Mais quand, comme c’est le cas d’Elisabeth Lévy, on est un patriote français, on ne peut pas faire du conflit du Proche-Orient son critère de jugement de la guerre d’Ukraine et de la position de la France à cet égard. Quelles que soient ses arrière-pensées, son appel, à la suite du général Mandon, à aller « mourir pour Kiev » doit être examiné en fonction, et uniquement en fonction, des intérêts de la France.

Scandinavie et pays baltes inquiets

La « menace russe » est aujourd’hui présentée de façon moins caricaturale qu’il y a quelques mois. L’armée russe n’a jamais dépassé l’Elbe (sauf à l’occasion de l’aller-retour de 1814, dans le cadre d’une grande coalition européenne), et elle ne le fera jamais pour d’évidentes raisons stratégiques. La menace est celle qui pèse sur les confins des anciens empires allemand et russe, et sur la Scandinavie. Ce n’est pas une nouveauté. L’affrontement de la Pologne et de la Lituanie avec la Russie dure depuis trois siècles et n’a cessé que par intermittence. Prolongé jusqu’à la « Guerre d’hiver » finno-soviétique, le face-à-face de la Suède avec la Russie a des racines historiques profondes, déterminées par l’enjeu du contrôle de la mer Baltique.

Or ces pays sont aujourd’hui liés à l’Europe occidentale et à la France par un système d’alliance (OTAN et UE) qui définirait un devoir de solidarité allant, si nécessaire, jusqu’à l’entrée en guerre. Il est permis d’en douter, ou plutôt de s’interroger sur la réalité et le sens de cette solidarité.

Rappelons d’abord que l’effectivité de l’article 5 de la charte de l’OTAN n’a jamais été testée et qu’en 1920 le Congrès des Etats-Unis, animé d’un Etat d’esprit plus proche de celui de Donald Trump que du président d’alors, Woodrow Wilson, a refusé de rejoindre la SDN pour ne pas avoir à ratifier un article   équivalent qui portait alors le numéro 11.

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Le titre de la chronique d’Elisabeth Levy, « Mourir pour Kiev » fait écho à celui de l’article de Marcel Déat publié en mai 1939, « Faut-il mourir pour Dantzig ? ». Alors que la garantie franco-britannique donnée à la Pologne avait affirmé notre devoir de solidarité, la question posée reçut une réponse ambigüe : on déclara la guerre et puis on ne la fit (presque) pas, avant de finalement la subir. La fière proclamation de la solidarité franco-polonaise n’a pas sauvé la Pologne du dépeçage. Ni en 1772-1795 (et Bonaparte n’a pas tenu sa promesse de rétablir la souveraineté polonaise), ni en 1939 (quand nous sommes restés l’arme au pied pendant que Hitler et Staline rejouaient la pièce du partage). Et comme l’a dit avec franchise Claude Cheysson lors de la loi martiale polonaise de 1981, « Naturellement nous ne ferons rien ». L’exception, qu’il faut relever, à l’impuissance française à traduire en actes sa solidarité avec le Pologne, c’est 1920, le « miracle de la Vistule », quand une solide délégation d’officiers français (mais sans forces combattantes) a aidé la jeune armée polonaise à s’organiser pour repousser l’Armée rouge parvenue aux portes de Varsovie.

La cause immédiate de la Seconde Guerre mondiale, a été le conflit germano-polonais autour de ce fameux corridor de Dantzig. C’était une création de la Conférence de Versailles chargée d’organiser le rabotage de l’empire allemand et le démembrement de l’empire austro-hongrois (la même qui a créé une Tchécoslovaquie avec 3 millions d’Allemands à l’intérieur de ses frontières). Il séparait la Prusse occidentale de la Prusse orientale pour offrir un accès à la mer au nouvel Etat polonais.  On peut épiloguer sur les causes profondes de la guerre, sur l’expansionnisme hitlérien, il n’en demeure pas moins que les occasions des deux agressions qui ont déclenché la guerre, les Sudètes et Dantzig, ont été créées par les défauts d’un traité qui se souciait plus de la morale, du droit de peuples, que du réalisme géopolitique.

Vers le gouffre ?

Aujourd’hui la réalité géopolitique de l’Europe à laquelle la France est confrontée n’est plus la même. Du fait des grands nettoyages ethniques de 1942-45, la question des minorités ne se pose plus de façon aussi aigue que dans l’entre-deux-guerres. Pourtant, à la suite de la disparition de l’URSS, elle a réapparu en Ukraine et dans les pays baltes avec les minorités russophones, ainsi que dans le Caucase. Mais elle est incompréhensible pour des Européens qui ont grandi dans un monde où la coïncidence des Etats et des appartenances nationales semble aller de soi.  L’autre grand changement est que la politique étrangère française a perdu son principe organisateur essentiel qui était de se prémunir contre le péril allemand. Une troisième différence est que la France est insérée dans l’Union européenne, un objet politique nouveau, à la fois espace économique commun, alliance politique, et proto-Etat fédéral.

Mais il y a une constante qui a traversé le XXe siècle : la question de l’organisation de « la ceinture des peuples mêlés » (Hannah Arendt), c’est-à-dire de l’équilibre des forces en Europe orientale, ouverte par la disparition des empires en 1917-18. Celle-ci a creusé un gouffre d’instabilité plus ou moins masqué en 1945 par l’expansion de l’empire russe, puis après son effondrement par les élargissements successifs à l’est de l’OTAN et de l’UE. Justifiés à nouveau par le droit des peuples, ceux-ci entraînent l’Europe occidentale vers ce gouffre qu’on avait imaginé refermé en 1991, date de « la fin de l’Histoire » et qui s’est réouvert entre Kiev et Donetsk en 2014.

Avec le recul, on peut dire qu’il ne s’agissait pas en 1939 de mourir pour l’intégrité de la Pologne mais pour la liberté de l’Europe. Peut-on en dire autant aujourd’hui de « Mourir pour Kiev » ?  Certainement pas, les projets de Vladimir Poutine n’ont rien à voir avec ceux de Hitler. Celui-ci avait soif de Lebensraum, d’espace vital, celui-là cherche à fortifier un trop grand espace. S’il ne s’agit pas de ça, alors affirmer une solidarité jusqu’à la mort, prendre le risque d’une confrontation nucléaire, c’est affirmer que l’Ukraine, ou du moins l’Estonie ou la Pologne, parce qu’ils appartiennent à l’Union européenne, sont des parties de notre nation, c’est effectuer ce saut fédéral que, si j’ai bien compris, Elisabeth Lévy récuse. Car on ne doit faire la guerre, envoyer ses enfants sur le champ de bataille, que quand la survie de la nation est en jeu.

Si l’on peut tenir des propos aussi inconséquents c’est parce qu’on croit, dans le fond, que ça ne se produira pas. La perception de la « menace russe » n’a rien de comparable pour les Français, et à juste titre, avec ce qu’était la menace allemande.

Au lieu de sonner le clairon et d’aller chercher des preuves de la menace russe dans des jeux d’influence africains ou dans le nouveau Far-West de l’espace numérique, on ferait mieux de se pencher enfin sérieusement sur les causes des paranoïas croisées est-européennes, l’angoisse de l’invasion russe chez les est-Européens, celle de la menace otanienne chez les Russes. Et, sans agiter les mots ronflants, rechercher un accord de paix durable, c’est-à-dire celui qui offrira la seule véritable garantie : la création d’un système européen d’équilibre des forces et des intérêts intégrant la Russie, comme l’avait proposé, en vain, François Mitterrand en 1991.