Donald Trump a renouvelé ses propos virulents contre l’élue d’origine somalienne Ilhan Omar, déclarant hier qu’elle « devrait se faire dégager de notre pays ».
Donald Trump avait tenu à propos de la députée Ilhan Omar des propos d’une rare brutalité, qui méritent d’être cités intégralement avant toute analyse :
« Regardez ce qui arrive avec des gens comme Ilhan Omar. Elle vient d’un pays complètement effondré, un endroit en ruine totale. Et au lieu d’être reconnaissante envers l’Amérique de l’avoir accueillie, elle passe son temps à salir notre pays, à lui cracher dessus, à dire que nous sommes mauvais.
Et maintenant, on fait entrer des dizaines de milliers de personnes venant du même pays, du même endroit, et tout cela ne va pas améliorer quoi que ce soit chez nous. Ce ne sont pas des gens qui se lèvent le matin pour travailler dur, pour rendre l’Amérique meilleure. Non. On fait entrer des gens qui n’apportent rien, et si on continue comme ça, on va droit dans le mur.
Je vous le dis : si on continue à accepter n’importe qui, si on continue à faire entrer ce qui abîme notre pays, on va le payer très cher. Nous n’avons pas besoin de ramener chez nous les problèmes d’un pays brisé. Nous avons assez à faire avec les nôtres.
Et Ilhan Omar, eh bien… c’est exactement ça. C’est une catastrophe ambulante. C’est une honte. Elle est un déchet politique — et les gens qu’elle soutient, les gens qu’elle veut faire venir ici, ce sont des déchets aussi. Ce n’est pas ce dont l’Amérique a besoin.
Quand je serai de retour, nous arrêterons ces entrées massives. Nous mettrons un terme à cette folie. Et ceux qui n’auraient jamais dû être autorisés à venir ici, nous les renverrons chez eux. Nous allons faire ce qu’il faut pour protéger notre pays.
Parce que si on laisse entrer des gens venant de pays en échec total, on se dirige nous aussi vers l’échec. Et moi, je ne laisserai pas l’Amérique devenir ça. Pas question. »
Ces paroles très dures, transgressant ouvertement les normes du débat public, ont immédiatement suscité un déluge d’indignations. Elles choquent, bien sûr ; elles doivent choquer. Mais leur violence ne dispense pas de comprendre ce qu’elles révèlent. Et l’on doit rappeler, pour situer l’enjeu, que Trump n’a jamais nourri d’hostilité particulière envers les Afro-Américains en tant que tels : c’est l’immigration récente et sa logique qui sont ici visées, non un groupe racial installé dans la communauté politique américaine.
La brutalité comme révélateur : dire sans médiation
La radicalité du propos trumpien ne tient pas seulement à l’injure ou à la dépréciation de personnes. Elle réside dans la volonté de dire directement une réalité telle qu’il la perçoit : la décomposition d’un modèle d’intégration, l’impuissance de l’État à maîtriser les flux migratoires, l’inquiétude diffuse d’une partie du pays face à une transformation démographique qui semble échapper à tout contrôle.
On peut contester la vision, la réfuter, en démonter les biais ou les généralisations hâtives. Ce serait même le seul terrain légitime de la critique. Mais il faut reconnaître à cette parole ce qui lui donne son efficacité : elle ne cherche pas à ménager ce que nous appelons aujourd’hui, souvent de manière purement esthétique, le « politiquement correct ». Trump parle comme si la démocratie se réduisait à l’énonciation sans médiation de son propre jugement. Il le fait au nom de ce qu’il considère comme la vérité factuelle — et que ses adversaires qualifieront immédiatement de fantasme ou de haine.
La surprise n’est pas là où l’on croit : ce n’est pas qu’un dirigeant parle ainsi ; c’est que l’ensemble du système politique soit devenu incapable d’y répondre autrement que par l’excommunication morale.
L’allergie à la conflictualité : quand le désaccord devient faute morale
Il faut ici mesurer ce que révèle la réaction en chaîne déclenchée par ses propos. On n’opposera pas à Trump des chiffres, des analyses sur les effets socio-économiques de telle immigration, ni même une réflexion sur ce que signifie accueillir en masse les ressortissants d’un pays en effondrement institutionnel. On lui opposera un mot : racisme.
Le recours immédiat au registre moral est devenu l’outil ordinaire de l’argumentation politique. Il évite précisément de répondre au fond : que représente l’immigration somalienne aux États-Unis ? Quels sont les critères d’intégration ? Quelle articulation entre accueil des personnes et exigences de cohésion nationale ? Quelles responsabilités pour celles et ceux qui, entrés dans la communauté politique, s’attaquent ensuite à ses fondements symboliques ?
Ces questions légitimes sont devenues interdites parce qu’elles font sentir la dimension conflictuelle inhérente à toute démocratie vivante.
Car c’est bien là que se situe le cœur du problème : nous sommes les héritiers de sociétés qui ont voulu conjurer la conflictualité, non pas la réguler. Toute parole heurtant la sensibilité du groupe dominant — ou de ceux qu’il a érigés en figures sacrées — est immédiatement renvoyée dans le registre de l’inhumanité.
L’impensé démocratique : la peur du réel
Ce que Trump montre, dans sa façon d’aller droit au but, c’est la difficulté contemporaine à assumer que la démocratie implique l’autorisation du conflit. Dire ce que l’on pense, non pas dans une forme polie, mais dans une forme tranchée, est devenu suspect. L’individu démocratique, tel qu’il s’est façonné au fil des décennies, refuse désormais de considérer que le désaccord peut être frontal sans être criminel.
Or l’histoire longue des systèmes démocratiques nous enseigne l’inverse : c’est par l’affrontement explicite des points de vue que les sociétés libres ont su s’orienter. Si l’on commence par interdire la parole au nom de son caractère blessant, on finit par rendre impossible toute mise en évidence du réel. Car le réel, par définition, blesse.
Le cas Ilhan Omar : entre appartenance et contestation
L’affaire prend ici une dimension symbolique singulière. Ilhan Omar est à la fois le produit d’une tradition démocratique américaine — celle qui permet l’intégration et la participation politique de personnes issues de sociétés effondrées — et la critique radicale de cette même tradition, qu’elle accuse de racisme, d’impérialisme, d’iniquité constitutive.
Cela n’est pas nouveau : les démocraties modernes ont toujours donné voix à leurs propres contestataires. Mais ce qui change, c’est que l’expression de cette contestation n’est plus perçue comme un élément interne au débat démocratique. Elle devient un signe d’hostilité civilisationnelle.
La difficulté — et c’est là que Trump met le doigt dessus, sans capacité d’élaboration conceptuelle — est de savoir comment une démocratie peut accueillir des personnes issues de mondes qui n’ont pas connu la matrice politique occidentale, tout en préservant les cadres symboliques qui rendent possible la coexistence. Ce n’est pas une question raciale. C’est une question de forme de vie.
Le malentendu fondamental : dire le réel ou le déformer ?
Il serait trop simple de renvoyer Trump à sa brutalité, ou d’en faire un raciste structurel. L’enjeu est ailleurs : comment une démocratie affronte-t-elle l’irruption de paroles qui disent le réel sous une forme insoutenable ?
Car la démocratie ne meurt pas de la brutalité verbale. Elle meurt de la disqualification morale du réel.
Lorsque l’on refuse d’entendre une inquiétude — justifiée ou non — sous prétexte qu’elle heurte, on ouvre la voie à ce que cette inquiétude devienne rage.
La règle du conflit démocratique n’est pas d’édulcorer ce qui se dit. Elle est de l’affronter, d’y répondre, d’argumenter. C’est précisément ce qui a disparu. Les accusations ont remplacé les arguments. L’indignation a supplanté l’analyse.
Trump, paradoxalement, remplit une fonction démocratique essentielle : rappeler que le conflit existe. Mais il la remplit de manière sauvage, parce que la démocratie elle-même ne sait plus l’apprivoiser.
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