Accueil Édition Abonné Décembre 2025 La France humiliée mais Boualem libre

La France humiliée mais Boualem libre

Boualem Sansal toujours otage?


La France humiliée mais Boualem libre
Boualem Sansal interviewé au JT de 20 heures sur France 2, 23 novembre 2025. DR.

Toute la classe politique aurait dû célébrer la libération de Boualem Sansal. Mais perdue dans ses compromissions ou ses renoncements, elle confond prudence et lâcheté. Après les geôles d’Alger, l’écrivain rebelle découvre, en France, le bridage médiatique.


La libération de Boualem Sansal aurait dû être un moment de soulagement, puis de fierté nationale. Elle aurait pu rappeler que la France reste, au-delà de ses contra dictions, un pays qui protège les écrivains menacés, les esprits libres, les consciences dissidentes. Au lieu de cela, elle met cruellement en lumière nos renoncements, notre timidité diplomatique et, plus grave encore, l’abdication d’une partie de la classe politique face à un régime autoritaire. Le contraste est brutal : quand la France hésite, recule ou se tait, c’est l’Allemagne qui obtient la libération de Boualem Sansal.

La France a peur d’Alger

Depuis des années, Sansal incarne tout ce que les dictatures redoutent : la parole libre, l’ironie acérée, la critique lucide de l’islamisme et du militarisme algérien. Il n’a jamais renoncé à dénoncer le conformisme, la corruption et la dérive autoritaire du pouvoir d’Alger. Voir un tel écrivain arrêté, humilié, menacé pour ses idées aurait dû déclencher un réflexe immédiat dans le pays des Lumières. Ce réflexe n’est jamais venu.

Pire encore : alors que la société civile s’inquiétait, que des voix académiques et littéraires tentaient de s’élever, les autorités françaises se sont réfugiées dans un mutisme embarrassé. Pas un mot fort, pas une condamnation nette, pas la moindre pression publique, les efforts isolés – quoique courageux – de Bruno Retailleau mis à part. La raison est connue : la France a peur d’Alger. Peur de froisser un partenaire imprévisible. Peur de remettre en question une coopération sécuritaire fragile. Peur, surtout, d’affronter une mémoire franco-algérienne instrumentalisée, que nos gouvernants tentent d’apaiser au moyen de repentances symboliques plutôt que par la défense de principes.

Cette prudence, que certains osent appeler « réalisme diplomatique », n’est rien d’autre qu’une forme de lâcheté. Une lâcheté d’autant plus choquante qu’elle contraste avec la détermination de l’Allemagne. Berlin, sans passé colonial en Algérie, sans dette mémorielle utilisée comme chantage, a agi avec fermeté et célérité pour sortir de sa geôle un écrivain persécuté. Ce simple écart de posture révèle une vérité dérangeante : la France n’est plus, dans cette région du monde, un acteur respecté, mais un pays paralysé par sa culpabilité et incapable d’affirmer ses lignes rouges.

Le naufrage des Insoumis

Plus grave encore est l’attitude d’une partie de la gauche radicale française, au premier rang de laquelle La France insoumise. Au lieu de défendre la liberté d’expression d’un intellectuel persécuté, plusieurs députés LFI ont choisi de le calomnier, l’accusant de « racisme » et d’« islamophobie » – anathèmes automatiques dès qu’un penseur critique l’islamisme ou ses relais politiques. Ils ont voté contre les résolutions appelant à sa libération, préférant s’en prendre à l’écrivain plutôt qu’au régime qui l’emprisonne. L’histoire retiendra leurs noms.

Boualem Sansal n’est certes pas consensuel. Sa critique de l’islamisme est frontale, sans fard. Il ose même critiquer l’islam, ce qui est son droit le plus absolu au pays de Charlie. Son regard sur les dérives identitaires heurte ceux qui confondent défense des minorités et sacralisation d’une religion. Mais c’est cela, précisément, la litté rature : la liberté d’inquiéter, de bousculer, de choquer. Or ce sont des élus de la République qui ont rejoint, consciemment ou non, le camp de ceux qui veulent faire taire les voix dissidentes.

Maintenant qu’il est « libéré », une question se pose : l’est-il vraiment ? Peut-on dire aujourd’hui que Boualem Sansal a recouvré sa liberté pleine et entière lorsqu’il affirme lui-même qu’il devra « modérer » sa parole pour ne pas mettre en danger les siens ? Lui est-il demandé – et par qui ? – de ne pas livrer le fond de sa pensée et le récit de son emprisonnement ? Le gouvernement français, soucieux de préserver ses relations avec Alger, impose-t-il implicitement à Sansal une prudence qui tranche avec son esprit rebelle et effronté ?

À cela s’ajoute un plan média verrouillé, conçu par Gallimard : une première prise de parole sur France Inter, puis une autre sur France Télévisions – ce même service public qui a laissé traiter l’écrivain de raciste et d’islamophobe, et qui n’a jamais rectifié ni assumé les injures de certains de ses chroniqueurs. Qu’un auteur libéré d’une dictature commence son retour par un parcours médiatique ainsi organisé interroge : protège-t-on Sansal, ou encadre-t-on ce qu’il est autorisé à dire ? Il y a quelque chose de terrible dans cette image d’un dissident surveillé par ses libérateurs.

Boualem est certes revenu en France, et c’est heureux. Mais quand retrouvera-t-il pleinement la place qui est la sienne – celle d’un esprit libre ? Tant que subsisteront les pressions politiques, les menaces implicites, les silences prudents et les stratégies d’image pour ne pas froisser Alger, sa libération restera incomplète. Et elle continuera de symboliser, au-delà de son cas personnel, notre renoncement collectif à défendre sans trembler ceux qui parlent librement.

Décembre 2025 – #140

Article extrait du Magazine Causeur




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