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Mon coming-out nationaliste!

La nation apparaît désormais, paradoxe insupportable pour les consciences progressistes, comme le dernier rempart contre la dissolution générale


Mon coming-out nationaliste!
Jordan Bardella au siège du RN à Paris, le 25 avril 2025 © Chang Martin/SIPA

Dans notre grand bazar idéologique actuel où les concepts «tournent dans l’air vicié comme des feuilles mortes», Charles Rojzman explique que la nation, jadis considérée comme ringarde voire dangereuse, est devenue le dernier parapluie avant l’averse générale. Pendant que tout le monde se chamaille pour définir le réel, ceux qu’on croyait infréquentables deviennent soudain les seuls à oser regarder sous le tapis. Les nationalismes du XXIᵉ siècle ne sont plus les nationalismes «des uniformes impeccables, des parades martiales et des hymnes hurlés sous les drapeaux», observe-t-il.


Succès d’édition des livres de Zemmour, de Villiers, Bardella. Pourquoi ? Il est des moments où les mots se défont, où les concepts s’effondrent comme des cathédrales rongées de sel, et où ceux qui s’y abritaient se retrouvent nus sous la pluie d’un monde qu’ils ne comprennent plus. Nous habitons l’un de ces instants de renversement, de ce basculement silencieux où l’histoire change de sens sans daigner prévenir ceux qui croyaient encore la diriger. Les vieilles catégories — fascisme, nationalisme, antiracisme, universalisme — persistent à tourner dans l’air vicié comme des feuilles mortes, mais elles ne nomment plus rien. Elles ne sont que les reliques d’un siècle qui se croyait tragique et qui ne fut peut-être qu’un prélude.

Illumination tardive ?

Ce qui fut hier honni comme l’instrument de la violence collective — la nation — apparaît désormais, paradoxe insupportable pour les consciences progressistes, comme le dernier rempart contre une dissolution généralisée. Non pas parce qu’elle serait bonne par essence — rien de ce qui est humain ne l’est — mais parce qu’elle est la seule forme encore capable de dire « nous » dans un monde qui ne veut plus que des « eux ». Un monde où l’on ne reconnaît plus que des consommateurs, des croyants ou des victimes. Un monde où l’on rêve d’un homme interchangeable, sans mémoire, sans sol, sans héritage — un homme réduit à ses fonctions biologiques et économiques, un appareil respiratoire connecté à un marché et à une morale.

Ce texte ne procède pas d’une illumination tardive, ni d’un quelconque alignement partisan. Il vient du réel, de ce que l’on voit quand on accepte de regarder l’homme sans les filtres moraux dont nos sociétés se sont recouvertes comme d’un linceul parfumé. Il vient d’une expérience de chair et de voix, commencée il y a quarante ans, parmi les cités, les commissariats, les foyers, les salles communautaires où la haine circule comme un sang impur. Là où la gauche morale se détourne. Là où les discours se taisent et où ne subsistent que la peur, l’humiliation, la violence — ce que l’on ne veut pas entendre parce que cela contredit le récit rédempteur d’un Occident coupable et d’un Autre immaculé. J’ai appris là que le réel est obscène pour ceux qui vivent dans l’abstraction, et que l’imperfection humaine est désormais tenue pour un scandale. Pourtant, c’est d’elle que nous sommes faits, et c’est en elle que réside la seule vérité possible.

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Il faut d’abord prendre la mesure du renversement historique que nous vivons, et que notre vocabulaire politique peine encore à nommer. Car le nationalisme du XXIᵉ siècle n’est plus celui des uniformes impeccables, des parades martiales et des hymnes hurlés sous les drapeaux. Il n’est plus cet élan conquérant, saturé d’orgueil collectif et de certitude raciale, qui rêvait d’étendre son empire comme on étend un blason sur la peau d’un peuple soumis. Cette figure appartient à l’histoire tragique de l’Europe — et l’Europe, qui n’a plus la force de ses tragédies, la regarde désormais avec l’effroi d’un vieillard se souvenant de ses crimes.

Ce que nous voyons aujourd’hui, c’est presque l’inverse : la nation, longtemps tenue pour l’outil du totalitarisme, devient l’abri fragile contre trois forces qui, chacune à sa manière, veulent abolir les frontières, les appartenances, les différences concrètes qui donnent une forme aux hommes. La globalisation, cet anesthésiant universel ; l’islamisme, cette théologie guerrière qui rêve d’un califat sur les ruines des États ; et la gauche révolutionnaire, qui n’a jamais cessé de vouloir réduire l’humanité au schéma puéril des dominants et des dominés.

Toutes trois aspirent à une uniformité meurtrière. La globalisation ne veut plus de citoyens, mais des consommateurs sans attaches, dociles, solvables, loyaux non à un pays mais à un marché. L’islamisme ne reconnaît que les croyants de l’umma, communauté fantasmée qui prétend effacer les cultures, les langues, les histoires pour ne laisser subsister que la soumission. Quant à la gauche révolutionnaire, elle rêve d’un prolétaire mondial, purifié de toute appartenance, réduit à sa fonction de victime.

Pas de démocratie sans nations

Ces dynamiques convergent vers une même fin : dissoudre la nation, dernier espace où peut encore se déployer une démocratie réelle, fondée sur la confrontation entre égaux. Là où, hier, la famille et la patrie étaient brandies comme les symboles du fascisme, elles deviennent aujourd’hui — paradoxe somptueux — les lieux où s’abritent encore la continuité, la transmission, la responsabilité.

Ce renversement, je ne l’ai pas seulement pensé : je l’ai vécu. Dans les années 1980, lorsque, travaillant sur les dispositifs de lutte contre le racisme, j’ai voulu écouter les hommes non pas à travers les sermons moralisateurs, mais à partir de ce qu’ils portaient en eux : peur, rancœur, violence, humiliation. Je croyais entrer dans le domaine de la générosité universelle ; je suis tombé dans la géologie du ressentiment.

J’ai découvert ce que personne ne voulait voir : il n’existait pas un racisme, mais des racismes. Non pas un oppresseur et des victimes, mais une mosaïque de haines, de rejets, de mépris croisés. Non pas une morale, mais un champ de bataille.

Tout cela m’a arraché à la morale de gauche dans laquelle baignait notre culture politique, cette morale saturée de culpabilité postcoloniale, persuadée que la violence est toujours le fait du même camp. Nous vivons désormais sous un totalitarisme doux, sucré, écologique, compassionnel, qui rêve d’une société sans conflit — donc sans réalité.

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Car vouloir supprimer l’imperfection humaine, c’est vouloir supprimer l’homme.

Et voici le scandale : aujourd’hui, ce que l’on nomme « l’extrême droite » est souvent la seule force qui accepte de nommer le réel. Elle dit ce que les autres taisent. Elle regarde là où les autres détournent le regard. Non par vertu, mais par fidélité au monde tel qu’il est.

Danger il y a, bien sûr : car celui qui nomme le réel peut être tenté d’en devenir le propriétaire, le prophète, le maître. L’Europe sait où mènent ces tentations : à la réduction du conflit à l’essentialisme, à la transformation de la nation en idole et du peuple en matière sacrificielle.

Le véritable enjeu n’est donc pas de savoir qui a raison, mais de restaurer un cadre où le réel peut être dit sans être immédiatement sanctifié ou excommunié. La nation demeure ce cadre : non comme essence, mais comme forme politique, comme possibilité d’un « nous » qui ne soit pas un cri de haine ou un soupir de victime.

Le courage du XXIᵉ siècle sera de maintenir ce lieu fragile où le réel peut être affronté sans être écrasé. Non pas rêver d’un monde parfait — mensonge utopique — ni sacraliser une identité close — nostalgie mortifère — mais tenir, simplement tenir, dans cet entre-deux où l’homme continue d’exister.

Et pour l’instant, il faut le reconnaître : ceux qui acceptent de regarder ce réel en face ne sont pas ceux que l’on croyait. Ils sont les bannis, les honnis, les infréquentables — ces figures que l’histoire, parfois, choisit pour dire ce que les autres n’ont plus le courage d’articuler.

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Essayiste et fondateur d'une approche et d'une école de psychologie politique clinique, " la Thérapie sociale", exercée en France et dans de nombreux pays en prévention ou en réconciliation de violences individuelles et collectives.

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