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Abbaye de Pontigny: la restauration du patrimoine au-delà de la polémique…

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Le projet de vente par la Région Bourgogne Franche-Comté de l’abbaye de Pontigny dans le département de l’Yonne a provoqué un début de polémique. Fallait-il privilégier le projet de la fondation François Schneider prévoyant, en plus d’activités touristiques et culturelles, un complexe hôtelier haut de gamme (finalement choisi) aux dépens du projet de la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre?


N’ayant pas eu accès aux dossiers, nous ne réglerons pas la question, mais cet événement est l’occasion de revenir sur une question qui fait l’actualité depuis plusieurs mois: la restauration du patrimoine. Nous avons interrogé Guillaume Ull, architecte du patrimoine qui travaille depuis de nombreuses années dans la restauration du patrimoine historique et qui, en 2019, a racheté avec son compagnon l’Abbaye de Chéhéry dans les Ardennes.

Causeur. La région Bourgogne Franche-Comté vient de valider la vente du domaine de l’abbaye de Pontigny à la fondation Schneider pour la somme de 1,8 million d’euros. On a appris à cette occasion que l’entretien du monument par la collectivité coûtait 200 000 euros par an! Finalement vendre de tels monuments historiques au privé n’est-il pas, au vu des charges pesant déjà sur les comptes  publics, le meilleur moyen de les sauvegarder ?

Guillaume ULL. C’est une question de société : aujourd’hui le ministère de la Culture consacre trois cents millions d’euros par an à la restauration du patrimoine sur les trois milliards d’euros de son budget (hors plan de relance qui consacre un budget supplémentaire sans précédent pour l’année 2021). La protection d’un bâtiment au titre des Monuments historiques est une décision émanant de l’État qui implique des investissements de sa part. Mais avec un tel budget, il n’est pas toujours en mesure d’assumer les contraintes financières qu’il s’est pourtant lui-même créées.

Guillaume Ull, Administrateur de l’abbaye de Chéhéry.

Cela dit, l’État ne peut pas tout et ne sait pas tout faire et on ne peut pas considérer que cette politique ne fonctionne pas, car chaque année de nombreuses opérations de restaurations se montent partout sur le territoire. Cette politique n’est juste pas suffisante. L’initiative privée a tout à fait sa place dans le processus, étant plus à même de mener des projets dont l’aspect économique est primordial au regard des coûts d’entretien très importants et des investissements nécessaires.

Dans le cadre d’un projet de restauration et de valorisation d’une telle abbaye cistercienne, quelles seraient, selon vous, les actions à mener, les écueils à éviter?

L’objectif de tout projet de restauration est la conservation des bâtiments afin de garantir leur pérennité dans le temps et de les transmettre aux générations futures dans de bonnes conditions. Le parc des Monuments Historiques français est immense et très varié, chaque bâtiment appelle donc une réflexion spécifique, en fonction de sa nature, aussi bien en termes de restauration que de valorisation.

Un programme hôtelier peut être une réponse économique pour garantir le bon entretien et donc la pérennité du monument dans le temps

Par exemple, une église paroissiale reste encore aujourd’hui dans la plupart des cas un édifice cultuel et est restaurée comme telle. Tout programme doit être construit en tenant compte de la nature, de l’histoire, des espaces, de la fonction d’origine du monument (entre autres). Il n’y aurait rien de pire que de chercher à faire rentrer une fonction prédéfinie dans un monument sans réflexion profonde de ce type. Ce serait sa dénaturation à coup sûr. En résumé c’est le programme qui doit s’adapter au monument et non le monument qui doit s’adapter au programme.

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Au-delà de la question du programme, le patrimoine fait partie de notre bien commun. Il doit donc, selon moi, être ouvert le plus largement au public, ce qui ne s’oppose pas à un développement économique. C’est une question d’équilibre à trouver. Si de nombreux monuments publics sont souvent des musées ou développent des programmes à visée culturelle, c’est parce que les institutions les financent. L’aspect économique n’est pas primordial dans ce cas. Cela donne simplement l’avantage d’être très ouvert et éducatif. Cependant, certains aspects du monument ne seront pas mis en avant, aspects que des propriétaires privés seront plus susceptibles d’assumer parce qu’ils poursuivent, en autre, une certaine rentabilité économique. Ainsi, dans le cas d’une abbaye, un projet économique tourné autour de la production, comme on essaye de le faire à l’Abbaye de Chéhéry, est très cohérent car ces édifices cultuels étaient aussi d’immenses domaines de production qui assuraient d’importants revenus aux communautés. Les enjeux de notre époque sur l’origine et la qualité des produits alimentaires sont devenus centraux. Quoi donc de mieux que de redonner à une abbaye une de ses fonctions premières, et de la présenter ainsi telle qu’elle fonctionnait à l’origine ?

Enfin, pour les programmes culturels qui restent très fréquents, là aussi la créativité doit rester de mise. Pour ma part je milite pour des activités et manifestations très variées de manière à ne pas exclusivement toucher un public d’initiés. Le patrimoine appartient d’une certaine manière à tout le monde. C’est encore une fois une question de cohérence et d’équilibre à trouver.

Le projet retenu pour l’instant par la région est centré sur un complexe hôtelier. Finalement, le fait que le monument soit classé au titre des monuments historiques ne garantit-il pas à lui seul, du fait des règles qui s’imposent aux propriétaires, que le projet soit respectueux du monument et de son histoire ?

Le classement au titre des Monuments Historiques est un statut particulier qui interdit la démolition de tout ou partie du monument. Il soumet également un propriétaire au droit de regard des institutions culturelles qui évaluent le projet afin que celui-ci soit respectueux des bâtiments. Cela ne veut pas dire qu’aucun aménagement, transformation, voire extension n’est possible mais il devra se soumettre à l’avis des institutions, être conçu et évalué en partenariat avec elles. Si certains projets sont très réussis, d’autres sont préjudiciables à l’authenticité du monument, et ce malgré ces garde-fous. Un système n’est jamais parfait, mais il fonctionne globalement plutôt bien dans notre pays. Si nous avons tous en tête certaines destructions traumatisantes ou certains monuments très transformés, c’est aussi une question d’époque. Ces mutilations, sans dire qu’elles n’existent plus, se font de plus en plus rares aujourd’hui.

A lire aussi, Jean-Luc Gréau et Philippe Murer: Émissions CO2: la France est exemplaire!

Pour complètement répondre à la question, un programme hôtelier est très courant dans ce genre d’édifice. Il peut être une réponse économique pour garantir le bon entretien et donc la pérennité du monument dans le temps. Il est ensuite difficile de préjuger du résultat. Un programme d’hôtellerie est très lourd en termes de normes, très formaté selon qu’on vise telle ou telle clientèle. Il peut donc s’avérer très destructif pour l’authenticité d’un bâtiment. Même si l’aspect final est très qualitatif, c’est souvent au prix de lourdes interventions et d’éléments refaits à l’identique.

Dans la mesure où la France rurale rencontre de grandes difficultés économiques et semble s’éloigner de la France des métropoles, n’a-t-elle pas finalement besoin de grands projets économiquement ambitieux pour remonter la pente ? Et dans ce cadre, ne peut-on pas un peu « violer l’histoire (ou le patrimoine) pour faire de beaux enfants » ?

La chance avec le patrimoine c’est qu’il est présent partout, dans les villes comme dans les campagnes voire dans des lieux extrêmement isolés. C’est donc un formidable vecteur de projets. Il y a là encore un véritable potentiel de développement économique rural de toutes les échelles. Ces monuments appartiennent en grande majorité à des privés, ils tiennent donc une partie de ce potentiel entre leurs mains, d’autant que les possibilités et aides de la part des institutions sont parfois très importantes aussi bien pour les travaux de conservation et de restauration que pour les investissements nécessaires au montage d’un projet économique. Beaucoup de projets se développent depuis quelques années et l’on voit fleurir de plus en plus de projets intéressants, multiples et variés.

Rien ne nécessite donc d’être violé, car comme je l’expliquais, un monument est une chose complexe et tout programme est envisageable mais cela dépendra de son caractère, de la qualité du projet et de sa mise en œuvre.

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Culture: ils s’estiment méprisés par le pouvoir et investis d’une si noble mission…

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À la manifestation du monde du spectacle…


Mardi 15 décembre midi, le monde de la « culture » manifeste place de la Bastille ! On y voit des pancartes « Culture en danger !». Ah tiens ! Enfin, ils s’en rendent compte ? 

Moi aussi je pense que la culture est en danger depuis un sacré bout de temps, mais je me dis plutôt « Les salles sont fermées ? Tellement de mauvais spectacles qui ne se joueront pas, tellement de classiques revisités, modernisés et déchiquetés qui sont annulés, c’est toujours ça de gagné. Molière et Racine vont enfin pouvoir reposer en paix ! » Oui, je suis mauvais camarade, c’est vrai, mais que voulez-vous…

Pour qui tombe en plein dans ce rassemblement sans en être informé, impossible de savoir à première vue pour quoi on manifeste. Ecriture inclusive sur les pancartes : proteste-t-on contre les violences faites aux femmes ? Deux marionnettes géantes dont une noire qui danse à l’africaine : Marche-t-on une nouvelle fois contre le racisme ? 

Le stéréotype de la manifestation 

Non, c’est plutôt un mélange de tout cela. On vient défendre son petit beefsteak culturel, mais comme on est « artiste », on rappelle qu’on est gentil, qu’on a des jolis petits sentiments et des larmes prêtes à couler, qu’on n’est pas raciste, pas sexiste, enfin qu’on n’est pas des fachos ! Bienvenue à la fête de l’Huma ! Dans cette manif, tout le monde semblait savoir jouer du djembé et des percussions en tout genre, mais pas sûr qu’on aurait pu trouver quelqu’un sachant dire l’alexandrin. Le boucan des tam-tams aurait-il fait fuir Racine ? 

A lire aussi, du même auteur: Bambi: « Désormais l’idée de se moquer d’eux-mêmes ne viendrait même plus à l’esprit de nos comiques »

Mais pour que le cliché soit complet, Assa Traoré ainsi que quelques odeurs de saucisses grillées se mêlant à la foule manquaient un peu. Enfin bref, tout ce joyeux petit monde cultureux était là, mobilisé, plein de ferveur, même s’il est probable qu’une simple averse aurait suffi à faire rentrer tout le monde à la maison. Je peux évidemment comprendre qu’ils réclament la réouverture des salles, je n’attends moi-même que de pouvoir remonter sur les planches. Mais qu’on ne me fasse pas croire que c’est pour sauver la culture. Qu’ils soient au moins honnêtes, et qu’ils l’avouent : c’est pour leur fric qu’ils manifestent ! 

Commerçants du spectacle

On ne voit personne manifester contre le Conservatoire national d’art dramatique de Paris qui n’apprend plus à ses élèves à déclamer l’alexandrin et qui préfère donner des cours de Tai-chi ou former de bons petits militants de gauche (comment pourrait-on être un bon citoyen de droite ?)

Martine Chevallier, la plus grande tragédienne française, a été mise à la porte de la Comédie française il y a peu de temps : où étaient les gardiens de la culture et leurs pancartes ? On ne les voit pas non plus manifester contre la Comédie-Française qui, de conservatoire du théâtre français, est passé destructeur de répertoire ! S’ils se réunissent place de la République, ce n’est évidemment pas pour la culture, encore moins pour l’art, c’est pour leur sécurité. Alors, un peu d’humilité et d’honnêteté.

Oubliez le mot “Culture” comme vous avez oublié le mot Art, et assumez le statut de commerçant du spectacle, qui n’est certes pas très joli, mais plus réaliste, et dans ce domaine-là vous avez toute ma confiance. Allez, musique! Musique! Boum, boum, Tam, tam, en avant les djembés!

Émissions CO2: la France est exemplaire!


Avec 1% des émissions mondiales de carbone pour 2,7% du PIB planétaire, la France est plutôt vertueuse en matière climatique. Ce qui n’empêche pas le gouvernement de battre sa coulpe et le Conseil d’État d’exiger de meilleurs résultats. 


On ne sait pas vraiment comment les Français perçoivent notre « vertu » ou notre « vice écologique ». Mais à lire les discours des médias et à entendre les leçons de morale des politiques sur le sujet, on finit par croire que la France est le cancre de service. L’unanimité politico-médiatique s’explique aisément. Le thème écologique ignore les frontières idéologiques. Et les politiques y voient le moyen de se faire une image exemplaire : « Aucun effort ne doit être ménagé pour sauver la Terre de la tragédie qui la menace », disent-ils tous en substance.

Plus encore, le Conseil d’État, dont les membres sont parmi les mieux placés pour connaître les faits et leurs conséquences, vient de prendre une décision inattendue – et scandaleuse. Répondant favorablement à la requête d’une commune de Vendée menacée de submersion, si le niveau des mers venait à s’élever, il a ordonné au gouvernement de prouver qu’il mettait tout en œuvre pour se conformer à l’engagement de réduction substantielle de nos émissions de carbone d’ici à 2030 prévu par l’accord de Paris. Et la « tribu » écologique de danser en rond en psalmodiant autour du totem de l’État[tooltips content= »Nicolas Hulot a salué un « pas de géant ». »](1)[/tooltips]. Une des plus hautes instances publiques, pilier de ce que l’on nomme l’État de droit, confère au discours écolo-dominant une légitimité supérieure.

L’ignorance au pouvoir

Pour commencer, comment un pays représentant moins de 1 % de la population mondiale pourrait-il « contribuer » substantiellement à l’émission, donc à la réduction substantielle, du CO2 scélérat ? Curieusement, les apôtres de la mondialisation, qui soulignent à l’envi que la France n’est même plus une puissance moyenne, semblent penser que, dans le domaine du climat, nous sommes un des principaux responsables du problème, donc un acteur majeur de sa solution.

À lire aussi, Céline Pina: Pas de souveraineté économique sans indépendance énergétique

Nos émissions de CO2 représentent moins de 1 % du total mondial pour moins de 1 % de la population planétaire. On est tenté de conclure que nous ne sommes ni particulièrement vertueux, ni particulièrement vicieux. Cependant, notre PIB étant, lui, égal à 2,7 % du PIB mondial, cela signifie que nous émettons trois fois moins de CO2 que le reste de la planète en proportion de notre production. Autrement dit, si le monde entier parvenait à notre niveau d’émission, cela suffirait à diviser par trois le niveau global d’émission, baisse requise pour endiguer le réchauffement climatique. Et les professeurs de morale en seraient pour leurs frais.

Dans ce domaine comme dans bien d’autres, l’ignorance est au pouvoir. Ainsi, qui sait que la France fait partie des trois pays émettant le moins de CO2 pour produire leur électricité, avec la Suède et la Norvège, richement dotées en ressources hydroélectriques[tooltips content= »Ces données sont issues du blog de Philippe Murer, auteur de Comment réaliser la transition énergétique, paru aux éditions Godefroy en 2020. »](2)[/tooltips] ? L’Allemagne, présentée comme le pays le plus écologique d’Europe, vient très loin derrière nous : les centrales thermiques au charbon y produisent 38 % de l’électricité requise et une seule d’entre elles émet autant que toute la flotte aérienne intérieure de la France.

Les Verts sont au pouvoir

La performance française s’explique largement, hélas, par la désindustrialisation massive du pays, sous les coups de l’euro et de la politique d’enrichissement des actionnaires pratiquée par les managers des sociétés. Il y a aussi les nouvelles normes en matière d’habitat, les économies d’énergie des entreprises encore accrochées au sol français, la réduction lente de la consommation des véhicules, sans oublier, soyons honnêtes, la contribution modeste des éoliennes et de l’électricité solaire. Mais nous devons d’abord nos bons résultats à notre parc nucléaire, résultat heureux des chocs pétroliers. « Il faut s’accrocher au nucléaire », disait Raymond Barre, alors que le prix du pétrole flambait.

La centrale nucléaire du Tricastin dans la Drôme. © CHAUVEAU/SIPA Numéro de reportage : 00946652_000001
La centrale nucléaire du Tricastin dans la Drôme. © CHAUVEAU/SIPA Numéro de reportage : 00946652_000001

Raisonnons à partir d’un événement récent. Le 23 avril, un décret peu commenté a programmé la fermeture de quatorze centrales sur les quinze prochaines années. Toutes choses égales par ailleurs, ce scénario se traduirait par un accroissement de 40 % de nos émissions de CO2. Il faudrait recourir massivement au gaz, au prix d’une aggravation d’un déficit commercial déjà situé à son plus haut niveau depuis la guerre.

Autant dire que, grâce aux Républicains en marche et au gouvernement des juges, les Verts sont déjà au pouvoir, sans devoir en assumer les risques et les responsabilités.

À lire aussi, Isabelle Saporta: « Les maires EELV devraient être modestes et travailler »

La France pourrait mieux faire encore : en relançant le programme de TGV, inexplicablement arrêté par Emmanuel Macron, en développant le ferroutage à fort retour économique et écologique, en mettant le paquet sur les véhicules à hydrogène, automobiles, camions, trains et avions comme les trois projets récemment dévoilés par Airbus.

Une remise en cause indispensable de la mondialisation commerciale

Resterait à financer ces efforts alors que notre État, en situation de banqueroute non déclarée, ne survit que sous la tente à oxygène de la BCE. La question de la monnaie unique ressurgit. Où serait le drame si nous pouvions obtenir, nous et nos partenaires européens, que 2 %, par exemple, des crédits budgétaires soient financés par la création monétaire pure de la banque centrale ; une solution simple et sans risque, infiniment plus efficace que le plan de relance européen lancé à grands coups de trompettes ? Une autre piste est à explorer, celle d’une monnaie « écologique » qui serait un instrument « ad hoc[tooltips content= »Voir Alain Grandjean et Nicolas Dufrêne, Une monnaie écologique, Odile Jacob 2020. »](3)[/tooltips] ».

In cauda venenum. Dans la queue est le venin. En réalité, seule une remise en cause de la mondialisation commerciale permettra une réduction décisive et non coûteuse des émissions de carbone. Les innombrables produits fabriqués par les entreprises occidentales dans les pays à faibles salaires représentent un coût écologique exorbitant. Il suffirait de taxer les produits en fonction du poids, du mode de transport et de la distance parcourue. Contrairement aux apparences, la chose est aisément faisable, les entreprises concernées le savent mieux que quiconque.

On pourrait ainsi, au nom d’une écologie bien pensée, taxer l’importation des futures DS9 et Citroën C5 à partir de la Chine et celle de la dernière Peugeot 208 à partir du Maroc, qui représentent des destructions d’emplois implicites. Mais les constructeurs préfèrent s’offrir une belle image en sortant des véhicules électriques beaucoup moins écologiques que ce qu’on croit[tooltips content= »Les batteries au lithium ne sont pas recyclables. De plus, la fabrication des moteurs électriques et des batteries produit plus de CO2 que celles des moteurs thermiques. »](4)[/tooltips] et ruineux pour les Trésors publics.

Le safe space ou la fabrique victimaire

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Les safe space organisés non pas autour d’un vécu individuel mais autour d’une appartenance collective favorisent la construction d’identités victimaires.


Le 10 décembre est la date anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, laquelle proclame notamment l’égalité de tous en dignité et en droits.

Mais le 10 décembre, c’est aussi la date choisie par le collectif féministe bruxellois Imazi.Reine pour organiser une rencontre virtuelle en safe space, plus exactement « en non-mixité sans hommes cis-hétéro (oui aux mecs queer, oui aux personnes non-binaires) et sans personnes blanches. ». Un libellé qui a fait grincer des dents et conduit à une reformulation moins excluante, afin de répondre à l’exigence légale de non-discrimination sur base de quelque critère que ce soit.

En juin dernier, le collectif Imazi.Reine s’était déjà illustré par une action baptisée « Hijabisfightback », qui visait à protester contre l’arrêt de la Cour constitutionnelle belge permettant l’interdiction des signes religieux dans l’enseignement supérieur. Aujourd’hui au centre d’une nouvelle polémique, il maintient que les espaces non-mixtes sont nécessaires, affirmant sur son compte Instagram que « la non mixité est un outil de survie et bien-être dont nous avons besoin. On crée ces espaces par nécessité et non par volonté d’exclusion. »

Si ce collectif se revendique intersectionnel, décolonial, anti-raciste et inclusif, il est permis de douter du caractère inclusif d’un dispositif qui revendique l’exclusion, tout comme de la dimension antiraciste d’une approche qui se fonde sur la reconnaissance explicite de l’existence de races, comme s’en explique la fondatrice du collectif, Fatima Zohra : « Beaucoup de personnes reviennent avec l’argument du « les races n’existent pas », alors que si, d’un point de vue sociologique, elles existent, je pense qu’il faut pouvoir les aborder de manière à pouvoir traiter le problème. »

La non-mixité, outil de survie?

Un safe space, précisait l’annonce, est « un endroit permettant aux personnes habituellement marginalisées, à cause d’une ou plusieurs appartenances à certains groupes sociaux, de se réunir afin de communiquer autour de leurs expériences ».

Il y a donc en Belgique (ou en France), des personnes qui sont habituellement marginalisées en raison de leur appartenance à certains groupes sociaux, et qui ont de ce fait besoin de se réunir pour partager leur vécu. Jusque-là, rien de bien problématique. Il est en effet parfaitement imaginable que certaines expériences traumatisantes fassent naître le besoin de se retrouver avec des personnes partageant le même vécu. On songe bien sûr aux femmes ayant subi des violences conjugales ou un viol, ou encore aux victimes d’agressions homophobes. Qu’il existe pour ces personnes des groupes de parole est une fort bonne chose. Mais les safe space vont plus loin, et c’est là que réside le problème : ils établissent une équivalence entre une expérience – toujours singulière – et une appartenance – forcément collective.

A lire aussi: Rokhaya Diallo: « Cher.e.s lectrices et lecteurs de Causeur… »

Dans son principe, le safe space repose sur le principe qu’il est nécessaire de se mettre momentanément à l’abri d’une catégorie d’individus – les hommes, les violeurs, les racistes, les homophobes,… – pour partager le plus sereinement possible une expérience et s’outiller en vue de lutter plus efficacement, dans un second temps, contre l’adversaire – qu’il s’agisse ici d’individus ou d’idées.

Il s’agit donc de rompre avec un principe fondamental d’égalité de tous en dignité et en droits – droit de s’associer, de se réunir – au nom d’un autre droit fondamental : le droit à la sécurité. Encore faut-il dès lors démontrer l’existence d’une menace suffisante sur la sécurité pour justifier la rupture du principe d’égalité.

De plus, en excluant les personnes blanches et les hommes cis hétéros de sa rencontre – virtuelle, ce qui relativise d’emblée tout danger réel auquel seraient exposés les participants – le collectif « féministe » Imazi.Reine valide implicitement deux présupposés : le premier consiste à accréditer l’idée que les personnes blanches et les hommes cis hétéros ne sauraient être d’authentiques alliés – réels ou potentiels – dont l’intérêt serait éveillé par le titre de l’événement[tooltips content= »« Pour une convergence des luttes non consensuelle. Entre antiracisme et misogynie, qu’en est-il de « nos hommes » ? » NDLA »](1)[/tooltips].

On ne saucissonne pas sans risque l’humanité, et il est regrettable que des causes aussi nobles que le féminisme ou l’antiracisme fassent reculer l’universalisme au profit d’une guerre des clans dont nul ne sortira vainqueur

Le second consiste à considérer que dès lors qu’on est noir, non-binaire, queer ou femme non-blanche, on ne saurait nuire par sa présence au caractère « sûr » de la rencontre. Or, si l’on peut en effet supposer qu’être non-binaire ou queer sensibilise de facto aux discriminations dont sont victimes certaines catégories de la population, il semble pour le moins hâtif de considérer qu’un homme noir ou une femme « non-blanche » serait nécessairement un allié. Je ne pense pas m’aventurer beaucoup en disant qu’il doit y avoir des hommes noirs plus misogynes que certains hommes blancs. Quant à ce qui concerne l’antiracisme, considérer qu’il ne saurait provenir que de l’homme blanc constitue une validation hâtive du prisme « systémique ».

Quand le structurel noie l’individuel

Or, si l’on peut évidemment admettre que dans une société globalement « blanche », le racisme s’exerce prioritairement sur la minorité que constituent les personnes non-blanches, cette affirmation doit cependant être nuancée. D’abord parce que les concepts de majorité et de minorité sont toujours relatifs, et que l’on peut donc être à la fois membre d’une minorité au niveau national et majoritaire dans un quartier, une commune ou une école, et y reproduire des rapports de domination que l’on subit par ailleurs. Ensuite parce que cette logique équivaut à passer totalement sous silence l’antisémitisme, qui cible essentiellement, dans nos pays, une minorité blanche. Et cette omission des Juifs ne peut s’expliquer que de deux manières : soit par le déni d’une forme de racisme pourtant en augmentation, soit par l’adhésion au préjugé antisémite selon lequel les Juifs ne sauraient être de vraies victimes, dès lors qu’ils feraient partie des dominants.

A lire aussi: La nouvelle lutte des races

Par ailleurs, la logique intersectionnelle, qui se fonde sur l’idée que certaines discriminations, en se superposant, ont un effet multiplicateur, se rend aveugle à la singularité de tel ou tel vécu. Une femme blanche, en tant que « personne blanche », est ainsi d’emblée disqualifiée, comme si elle n’avait par essence rien à dire sur les discriminations que l’on peut subir en raison de son sexe. Plus encore, elle ne saurait porter une parole pertinente sur l’effet multiplicateur induit par la conjugaison de son sexe et de sa couleur de peau, puisqu’être blanc équivaut, selon la logique intersectionnelle, à appartenir au camp des dominants.

Autrement dit, dès lors que le racisme anti-blancs n’est pas « structurel », il en devient inaudible, voire nié, alors même qu’il peut de toute évidence exister des comportements racistes émanant d’une minorité à l’égard de membres soit d’une autre minorité, soit de membres de la majorité.

La Belgique c’est quand même moins grand que les Etats-Unis !

Qui plus est, l’expérience américaine devrait nous renseigner sur ce que la ségrégation raciale subie par les Noirs a engendré en termes de discours et comportements haineux envers les Blancs, considérés indistinctement, quand bien même ils luttaient aux côtés des Noirs pour leur plein accès aux droits civiques. À un racisme structurel en a répondu un autre, certes plus explicable historiquement, mais non moins problématique et délétère.

Certes, cette référence aux États-Unis peut sembler fort peu à propos, s’agissant d’un événement organisé en Belgique. Mais précisément, la logique même des safe space est directement importée des États-Unis, dont elle reprend sans examen la grille de lecture racialiste. Or, nonobstant la réalité de notre passé colonial, nous n’avons jamais racialisé la société comme l’ont fait les États-Unis. Jamais la Belgique n’a pratiqué sur son territoire la ségrégation légale. Certes, le racisme existe, en Belgique comme ailleurs : aucune société humaine n’est immunisée contre lui. Mais notre société n’en est pas moins proche du modèle color-blind qui a tant de peine à émerger aux États-Unis, modèle color-blind que les safe space contribuent à faire dangereusement reculer au profit d’une logique victimaire qui distille insidieusement sa lecture racialiste, faisant des uns les victimes, des autres les coupables par essence.

A lire aussi: Justice pour Adama: quand des militants se réfugient derrière l’antiracisme pour promouvoir la distinction des races

En organisant des safe space organisés non pas autour d’un vécu individuel, mais autour d’une appartenance collective, on favorise la construction d’identités victimaires fondées non sur une quelconque réalité, mais sur une appartenance communautaire transformée en unique grille de lecture sociétale, que nulle intersubjectivité, nul contact avec l’altérité ne peut venir relativiser. Cette barrière de protection érigée entre soi et autrui, qui est essentielle lorsqu’il s’agit de partager un vécu traumatique où toute relativisation sonne à juste titre comme une minimisation, ne peut sans danger être transposée à tout ressenti subjectif fondé sur le seul critère de l’appartenance communautaire.

On ne saucissonne pas sans risque l’humanité, et il est regrettable que des causes aussi nobles que le féminisme ou l’antiracisme fassent reculer l’universalisme au profit d’une guerre des clans dont nul ne sortira vainqueur.

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Quelles défenses spirituelles face à l’islamisme?

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Des Français sont séduits par l’idéologie islamiste, d’autres refusent de condamner les crimes terroristes de cette doctrine ou de se soumettre aux lois de la République française. Et si tout cela n’était que la suite logique à la décadence d’une civilisation amorcée il y a plus de deux siècles avec la mise au ban de ses dieux? Si le mal est si profond, le projet de loi visant à lutter contre le séparatisme islamiste est-il alors à la hauteur de l’enjeu? Analyse.


Religion, quand tu nous tiens…

Chez tous les animaux sociaux, des souris à l’humain en passant par les singes, la vie en communauté est régie par des règles dont l’objectif est de promouvoir les comportements d’entraide et de limiter les comportements néfastes : les comportements altruistes sont bons et récompensés, les comportements qui nuisent aux autres et menacent la cohésion du groupe sont mauvais et punis.

Chez l’homme, ces règles constituent la morale et s’expriment et se transmettent via les religions, au sens large du terme.

A lire aussi, Françoise Bonardel: Se séparer? Quelle bonne idée!

La religion, qui organise la vie des individus au sein de la nature sur le mode de comportements encouragés et d’interdits à travers des rites et des traditions, est un système moral qui a la particularité de faire reposer ses règles sur des croyances communes. Du naturisme à l’animisme, du chamanisme au christianisme, il est toujours question d’une communauté unie autour d’une interprétation du monde, de lois et de gestes rappelant les rapports des hommes entre eux et avec la nature. Dès lors, la vie en société est-elle possible sans ce lien spirituel ? Des lois se voulant uniquement le produit de la raison humaine et donc sans cesse remodelées par les hommes peuvent-elles garantir la pérennité d’un peuple ? Donner à chaque individu appartenant à ce peuple un attachement tel à sa communauté qu’aucun sacrifice ne lui paraisse trop grand pour elle ?

L’inquiétante étrangeté d’une société sans dieu

La laïcité, qui s’inscrivait dans le prolongement des Lumières avec le triomphe de la raison et de la science, a donné à la France un système moral clivé : l’État organisait la vie des citoyens sans l’intervention des croyances religieuses et le citoyen pouvait dans la sphère privée organiser sa vie sur la base de ses croyances. Le schisme opéré par la laïcité a privé la communauté française d’une spiritualité commune. Ce n’est pas un hasard si ceux qui tiennent au roman national font commencer l’histoire de France au baptême de Clovis.

Voilà notre nation qui s’en va affronter, avec ses mots auxquels elle prête trop de pouvoir (à l’heure où 160 caractères suffisent pour débattre) et ses lois nationales (que l’Union européenne regarde avec condescendance) un monstre dont elle a probablement sous-estimé l’endurance…

Les catholiques qui priaient devant les parvis d’églises il y a un mois alors que les messes avaient été interdites par les mesures sanitaires pour lutter contre la Covid-19 manifestaient un besoin vital de communion.

Des catholiques se rassemblent devant l’église Saint-Sulpice à Paris pour protester contre l'interdiction de célébrer les messes imposée par le gouvernement et confirmée par le Conseil d'État. © JEANNE ACCORSINI/SIPA Numéro de reportage: 00991058_000028.
Des catholiques se rassemblent devant l’église Saint-Sulpice à Paris pour protester contre l’interdiction de célébrer les messes imposée par le gouvernement et confirmée par le Conseil d’État. © JEANNE ACCORSINI/SIPA Numéro de reportage: 00991058_000028.

La France, l’un des pays qui compte le plus d’athées au monde et qui connait la plus forte baisse en croyants, a cru que la raison triompherait et se propagerait dans les esprits aussi bien que le font les croyances religieuses. Croire que les sciences et l’éclairage qu’elles nous donnent de nous-mêmes suffiraient à combler le manque laissé par la perte de cette relation métaphysique au monde partagée par une communauté, c’était méconnaitre notre nature profondément spirituelle. En ne remplaçant pas le divin qu’elle éliminait de la conscience collective par la construction d’un mythe national (des héros pour remplacer les dieux, une histoire glorieuse pour remplacer les épopées), la France en tant que communauté indivisible est probablement condamnée à disparaitre.

L’antispécisme et l’idéologie écologiste sont autant de manifestations pathétiques de ce besoin de spiritualité : replacer l’homme au sein de la nature et retrouver un projet collectif qui nous transcenderait. Mais sans traditions ni rites, ces ersatz d’effervescences collectives[tooltips content= »D’après le concept développé par Emile Durkheim »](1)[/tooltips] ne sont que des feux follets qui virevoltent au-dessus des individus sans jamais embraser leurs âmes.

Une nation désarmée

S’il est probable que nous n’ayons pas les bonnes armes pour lutter contre l’hydre islamiste, notre nation était déjà bien malade lorsqu’elle a été attaquée par cette idéologie. Elle n’avait déjà plus aucune défense spirituelle à opposer à l’islamisme. Voilà notre nation, ainsi qu’Héraclès s’en allant combattre l’Hydre de Lerne, qui s’en va affronter, avec ses mots auxquels elle prête trop de pouvoir (à l’heure où 160 caractères suffisent pour débattre) et ses lois nationales que l’Union européenne regarde avec condescendance, un monstre dont elle a probablement sous-estimé l’endurance. Bien que l’on puisse saluer le discours prononcé aux Mureaux le 2 octobre par le Président Emmanuel Macron qui nommait sans détour l’ennemi (« plan de lutte contre le séparatisme islamiste ») et certaines mesures du « projet de loi confortant les principes républicains » présenté ce 9 décembre, on peut s’interroger sur la réussite future de ce projet. Quelle sera l’efficacité dans le fond d’une mesure pénalisant les médecins qui délivrent des certificats de virginité ? Si on affirme un principe (même si c’est déjà pas mal), lutte-t-on vraiment contre une tradition liée à des croyances multiples et variées autour de la virginité de la femme ? Quel est l’intérêt d’obliger la scolarisation dès 3 ans si certains enfants sont plongés de retour à la maison dans un environnement qui considère que la musique c’est « haram » et se bouchent les oreilles quand on passe de la musique en classe[tooltips content= »D’après une note confidentielle des services de renseignement sur les signalements de cas de  communautarisme musulman dans les établissements scolaires et dévoilée mardi 9 octobre par Europe 1″](2)[/tooltips] ? L’Etat pourra-t-il renvoyer dans son pays un étranger polygame ou sanctionner un individu qui refuserait de serrer la main d’une personne parce qu’elle est une femme ? Dans son épreuve Héraclès devait également affronter un crabe venu au secours de l’Hydre. Reste à savoir si le Conseil constitutionnel ou La Cour Européenne des droits de l’homme (CEDH) n’entraveront pas l’Etat français dans son combat pour lutter contre ceux qui veulent « construire une société parallèle et imposer leurs règles à la République. (…) mettre leur foi au-dessus de la loi. ».

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En admettant que ces lois résistent aux lectures idéologiques du Conseil constitutionnel ou de la CEDH par exemple, nous apporteront-elles pour autant la paix ? Héraclès vint à bout du monstre grâce à une aide extérieure qui, tandis que le héros écrasait les têtes de l’Hydre, en brûlait les moignons pour les empêcher de repousser. Dans un État démocratique aux multiples méandres juridiques à travers lesquelles les islamistes ont appris à se mouvoir, il nous faudra bien plus que des lois pour empêcher la contamination des esprits. Par exemple raviver l’âme de notre nation. Et cela commence par la façon dont elle se raconte, en particulier à nos enfants : la langue française et le roman national. N’oublions pas que dans le mythe l’Hydre n’est pas morte : la tête immortelle a été enfouie sous terre. On ne se débarrasse pas si facilement d’une idéologie, en particulier lorsqu’elle prend racine dans un sol en jachère.

Notre nation est réduite à un corps à l’âme déliquescente, morcelé en individualités qui n’ont plus que leur propre destin et donc leur propre mort en tête. La pandémie actuelle a mis à jour une société prête à toutes les concessions pour un supplément de vie, quitte à ce que cette vie soit dégradée. Dépouillés d’idéal à placer au-dessus de nos vies, tétanisés par l’idée de notre propre finitude que nos hyper-individualités ont rendue intolérable, addicts des plaisirs consuméristes qui anesthésient nos âmes sans les guérir, nous luttons pour survivre sans panache. Dans un pays aux valeurs dévoyées, où la liberté individuelle prime sur tout, où l’égalité verse dans l’égalitarisme et la fraternité est réduite à une solidarité étatique, ce n’est ni la formation des enseignants à la laïcité qui réenchantera les âmes de nos enfants, ni les mesures visant à réduire la capacité de nuisance de l’islamisme qui mèneront à convertir à la « religion de la Raison » des individus qui ont trouvé dans l’islamisme un absolu spirituel à placer au-dessus de leur existence et qui, pour les plus violents d’entre eux, sont prêts pour défendre cet idéal à donner leur vie.

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Élisabeth Lévy: « Le procès a permis aux survivants, aux rescapés, de partager la douleur et l’effroi »

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Le procès des attentats de janvier 2015 (contre Charlie Hebdo et à l’Hyper Cacher) a livré son verdict. Pour beaucoup de familles, c’est la fin d’un procès douloureux mais indispensable.


Dans le cadre de ce procès historique, la cour d’assises spéciale de Paris a prononcé plusieurs condamnations. Certains accusés ont été jugés par défaut, parmi eux Mohamed Belhoucine et Hayat Boumeddiene. Le premier, soutien logistique du terroriste Amedy Coulibaly, est condamné à perpétuité. La seconde, ex-compagne d’Amedy Coulibaly, est condamnée à 30 ans de réclusion assortie d’une période de sûreté des deux tiers.

Sur les 11 présents à l’audience, seulement quatre d’entre eux sont condamnés pour association de malfaiteurs à visée terroriste

Ali Riza Rolat, reconnu coupable d’association de malfaiteurs terroriste (AMT) et condamné à 30 ans de réclusion criminelle, fera appel de cette décision. Les trois autres condamnés pour AMT sont: Willy Prévost (13 ans de réclusion), Nezar Pastor Alwatik et Amar Ramdani (respectivement 18 ans et 20 ans, assortis d’une période de sûreté des deux tiers).

Cependant, pour sept d’entre eux, la cour d’assises n’a pas retenu la qualification terroriste. Sont ainsi condamnés pour association de malfaiteurs (ADM) : Christophe Raumel (condamné à 4 ans de prison), Michel Catino (5 ans de prison), Miguel Martinez (7 ans), Saïd Makhlouf (8 ans), Mohamed Farès (8 ans), Metin Karasular (8 ans), Abdelaziz Abbad (étant récidiviste, il est condamné à 10 ans de réclusion criminelle).

À quand la fin du déni?

Richard Malka, avocat de Charlie Hebdo, a réagi à la fin de ce procès: « C’était le procès d’une nébuleuse de personnes plus ou moins proches des terroristes, ayant fourni plus ou moins d’aide à ces terroristes. Ce que dit cette décision, c’est que sans cette nébuleuse, il n’y a pas d’attentat, sans la nébuleuse il n’y a pas de terrorisme et que toute personne qui participe à cette nébuleuse peut être sanctionnée très sévèrement. C’est nécessaire au regard de notre société et du pays et j’espère que ce message sera entendu. » Richard Malka, qui est également l’avocat de Mila, s’est par ailleurs défendu de s’attaquer à l’islam: « Ce danger est subi d’abord par les musulmans, qui en sont les principales victimes. Il faut distinguer l’islamisme qui est une dérive politique. »

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Charlie Hebdo, combien de divisions?

Sur Sud Radio ce matin[tooltips content= »Retrouvez le regard libre d’Elisabeth Lévy du lundi au vendredi à 8h15 dans la matinale de Sud Radio. « ](1)[/tooltips], Élisabeth Lévy a réagi à ce verdict – qui « a rendu vie aux victimes et permis aux survivants, aux rescapés, de partager la douleur et l’effroi » – avant de revenir sur la notion de « séparatisme ». La directrice de la rédaction de Causeur réaffirme que ce processus ne concerne pas une minorité isolée, mais reste avant tout « une conquête des esprits qui persuade de jeunes Français que les Français sont des mécréants ». Elle ajoute qu’il est difficile de distinguer islam et islamisme: « On n’est pas islamiste ou musulman. On peut être un peu des deux selon les sujets et selon les moments ».

Alors, restons-nous dans le déni?

Certes, « les lignes politiques ont bougé », mais la directrice de la rédaction de Causeur nous met en garde contre « les emballements lyriques » qui « préludent souvent aux capitulations ». Élisabeth Lévy rappelle qu’« on nomme l’ennemi, avec des noms changeants, mais on a du mal à le regarder en face » et conclut qu’ « il devient compliqué d’inviter nos concitoyens à rejoindre pleinement une culture dont nous ne savons plus ce qu’elle est ».

Causeur vous propose de visionner l’intégralité de son intervention:

Retrouvez le regard libre d’Elisabeth Lévy du lundi au vendredi à 8h15 sur Sud Radio.

Donald Trump: le punching ball des élites mondialisées rebondira

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Quand Joe Biden sera finalement confirmé Président des Etats-Unis le 20 janvier, le « trumpisme » n’en sera pas pour autant mort.


Bien que Joe Biden ait été désigné président élu par le Collège électoral des Grands électeurs lundi 14 décembre, Donald Trump semble décidé à continuer ses actions en justice dans plusieurs états-clés et à marteler que les élections ont été « truquées ». Les Républicains ont envoyé, comme en 1876, un « set » d’environ 60 Grands électeurs « parallèles » au Congrès afin que celui-ci puisse, si certaines actions sont soutenues par des juges, les certifier et élire Donald Trump président le 6 janvier lorsque le Sénat se réunira pour approuver le Collège. Stratégie sérieuse ou simple coup de théâtre ?

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Défaite de Trump…

La seule victoire concrète et indirecte de Trump est l’accord d’un juge du Michigan de publier une enquête indépendante d’un groupe cyberspécialisé, le « Allied Security Operation Group ». Ces experts auraient découvert qu’une Dominion Voting Machine, dans le comté d’Antrim, affichait un taux d’erreur « inacceptable » de 68,05% alors que la Commission électorale fédérale n’admet qu’un taux de 0,0008%. C’est dans ce comté du Michigan qu’un recomptage à la main avait mis le doigt sur un basculement de 6.000 voix en faveur de Biden, basculement vite corrigé en faveur de Trump. Cités par le Washington Examiner, les experts prétendent avoir découvert une « erreur significative et fatale sur l’intégrité des élections » et non, comme les officiels du Michigan l’ont assuré, une « erreur humaine ». L’extrapolation de cette découverte aux milliers d’appareils de ce type utilisés dans 28 États a toutefois peu de chance d’aboutir à une décision de justice d’autant que la firme Dominion nie toute fraude.

Donald Trump a fait signer aux Émirats arabes unis, au Soudan et au Maroc, avec le concours de son gendre, Jared Kushner, des accords de paix historiques avec Israël. Il aurait reçu le prix Nobel de la Paix s’il s’était appelé Hillary Clinton. Même Joe Biden et Barack Obama l’ont salué

L’avocat de Donald Trump, Rudy Giuliani, disposerait d’un millier de témoignages sous serment alléguant des fraudes mais aucun juge n’a voulu les entendre pour le moment.

Vendredi 11 décembre, Donald Trump a subi un revers important lorsque la Cour suprême – y compris les trois juges nommés par Trump ! – a refusé d’examiner une plainte du Texas, alléguant que quatre états-clés avaient modifié les modalités du vote par correspondance de manière anti-constitutionnelle. Selon l’avocat constitutionnaliste, Alan Dershowitz, professeur émérite à Harvard, la Cour suprême a lancé un signal clair qu’elle n’interviendra pas dans le processus électoral.

Donald Trump peut encore actionner « sa » Loi de 2018 portant sur la manipulation des élections par des puissances étrangères et qui lui permet d’instituer un état d’urgence mais il est peu probable qu’il ira aussi loin. Le conspirationnisme est inhérent à l’Amérique : pendant près de trois ans (2017-2019), le procureur Mueller a enquêté, en pure perte, sur les collusions entre Donald Trump et le pouvoir russe quant à une éventuelle manipulation des élections de 2016. Les grands médias mainstream (CNN en tête) ont endossé cette théorie du complot ad nauseam, Hillary Clinton répétant qu’on lui avait « volé son élection. »

…mais non du trumpisme

Taxé de fanfaron, inepte et raciste dès le début de son mandat, Donald Trump a pourtant imprimé sa marque sur l’Amérique. Il s’est créé, dans son combat contre l’Establishment, un noyau dur de fervents supporters à travers le pays. Mais aussi d’irréductibles ennemis, les GAFAM en tête. Qu’on se souvienne de l’enquête du New York Post sur l’ordinateur portable compromettant de Hunter Biden, censurée par Twitter et qui réapparaît maintenant que l’élection est pliée.

« Milliardaire proche du peuple », Donald Trump a pour marque de fabrique d’appeler un chat un chat. Il a ainsi identifié rapidement le nouvel adversaire des États-Unis : le régime communiste chinois. Comblant peu à peu le déficit commercial de 350 milliards de dollars avec l’Empire du milieu, il a aussi mis le holà aux tentatives hégémoniques de la Chine en matière de 5G, refusant la mainmise de Huawei. Dans la continuité de Barack Obama, il s’est tourné vers le Pacifique et accepté le combat pour le leadership mondial, refusant de s’agenouiller devant l’hydre totalitaire chinoise. Même Joe Biden a d’ores et déjà averti qu’il entendait maintenir les droits de douane punitifs sur les produits chinois mis en place à partir de 2018 par son prédécesseur. Ce faisant, Trump a volontairement secoué les « pacifiques » Européens, en leur rappelant qu’il ne paierait pas indéfiniment pour leur défense à travers l’OTAN, et les a pressés d’augmenter leurs contributions financières.

Trump a retiré les États-Unis de plusieurs agences onusiennes stipendiées par l’Amérique mais qui lui sont systématiquement hostiles et il est sorti de l’Accord de Paris, constatant son inefficacité dans la lutte contre le réchauffement climatique (dont il nie d’ailleurs la dimension anthropique), choqué aussi de constater que la Chine y bénéficiait d’un statut d’exception jusqu’en 2030.

Pour celui qu’on voyait, dès son entrée en fonction, pousser sur le bouton nucléaire comme le Dr Folamour, Trump n’a, en fait, déclenché aucune guerre. Au Moyen-Orient, il a choisi, à tort ou à raison, les Sunnites (Arabie saoudite, Émirats Arabes Unis) conte les Chiites (l’Iran qui n’a pas respecté l’Accord nucléaire). Mais ce choix lui a permis de faire signer aux Émirats arabes unis, au Soudan et au Maroc, avec le concours de son gendre, Jared Kushner, des accords de paix historiques avec Israël. Il aurait reçu le prix Nobel de la Paix s’il s’était appelé Hillary Clinton. Même Joe Biden et Barack Obama l’ont salué. Il a préalablement appliqué l’« Embassy Act », à savoir le déplacement logique de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem-Ouest, capitale non-disputée des Israéliens juifs.

Du point de vue intérieur, Donald Trump a tenté, comme peu d’hommes politiques, d’appliquer son programme ou de créer les conditions pour l’appliquer, qu’on le déteste ou qu’on l’apprécie: diminution de l’immigration clandestine et construction partielle du mur à la frontière mexicaine dans une Amérique en panne d’intégration (11 à 15 millions d’illégaux, selon les sources), relocalisation industrielle aux États-Unis, moratoire pour les personnes arrivant de pays partiellement occupés par l’État islamique, création d’emplois record notamment au sein des minorités ethniques, Wall Street en hausse continue, baisses d’impôts, etc. Il a redonné une raison de vivre au petit peuple américain, raflant tout de même 73 millions de voix alors que certains sondages donnaient Biden gagnant avec une très large majorité.

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Entrepreneur, Trump sait, contrairement à beaucoup d’hommes politiques « professionnels », ce que c’est que créer de la valeur. Il a donc géré les États-Unis comme une entreprise. À l’abri du besoin, il n’a pas l’obligation de s’assurer une retraite. Le « Trumpisme », en rupture avec l’approche post-nationale des principaux dirigeants occidentaux, laissera probablement de profondes traces dans la sociologie étasunienne et au sein du Parti républicain. Et ce n’est pas fini : « Président bulldozer », Trump, qui martèle à ses troupes que Joe Biden a massivement triché, annonce la création d’un puissant média et son retour en 2024. Pourquoi pas ? En pleine santé après avoir attrapé le Covid, le punching-ball des élites mondialisées affiche un bilan très honorable.

Faits divers: le crime est notre affaire!

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Les Français ont une passion pour les faits divers qui les interrogent sur leur propre personnalité


« Pourquoi un tel engouement pour les faits divers ? » C’est la question que pose Guillaume de Dieuleveult dans un excellent article du Figaro en date du 27 novembre.

Le hasard de l’écoute matinale fait que dans l’émission « Grand bien vous fasse ! » d’Ali Rebeihi, le 15 décembre, le même sujet a été traité.

Il m’a semblé que ce thème était si riche, et la passion des Français pour les faits divers tellement majoritaire et consensuelle, que je pouvais me donner le droit d’aller plus avant que je ne l’avais fait déjà dans un billet du 9 février 2018 : « Sang pour cent: le crime, une passion ordinaire… »

Pourquoi, en effet, une telle dilection, partagée par toutes les classes sociales, pour le sombre de la criminalité, l’extra-ordinaire d’un comportement et d’une tragédie ou parfois, dans un registre moins lourd, l’anecdotique singulier de telle ou telle séquence de vie ?

Les faits sont divers et la curiosité à leur égard unit. Celle-ci n’est pas sordide ni vulgaire, elle ne révèle rien de malsain, elle considère avec une fascination emplie de bonne conscience les épisodes criminels, les incroyables ressources du Mal. Ce dernier ne cesse d’inventer, de sorte qu’hier sera dépassé par aujourd’hui que le futur relativisera.

A lire aussi, du même auteur: Jonathann Daval ne pouvait avouer plus que ce qu’il est parvenu à appréhender de lui-même

Il faut demeurer aux aguets puisque la nature malfaisante d’une minorité engendrera, sans se lasser, de quoi combler chez nous ce besoin paradoxal mais incontestable de notre similitude et, à la fois, de notre différence.

Comme l’a pensé la philosophe Simone Weil, certes « les démons sont en nous » mais, la plupart du temps, ils y demeurent et nos fors intérieurs échappent, pour une part, au registre le plus abject, à l’innommable porté à son comble. Si les démons nous habitent, nous ne les accueillons pas tous.

Simone Weil. SIPA, 00412865_000002
Simone Weil. SIPA, 00412865_000002

Il y a des crimes qu’on s’imagine pouvoir commettre, aux assises par exemple, j’avais remarqué combien la fausse monnaie bénéficiait d’un préjugé favorable ! Il y en a d’autres tellement étrangers à notre être, par leur singularité cruelle et littéralement inhumaine, que nous les considérons comme un spectacle affreux qui pourtant nous concerne – on le sait, on le sent, puisque leur monstruosité ne les fait pas sortir de notre condition – mais nous place en même temps dedans et dehors: ils sont de la même essence que nous mais leurs actes nous inspirent un sentiment de stupéfaction indignée se résumant dans un « ce n’est pas possible ! », euphémisme pour dire l’inexprimable d’un dégoût hors de toute mesure.

A lire aussi, Ingrid Riocreux: Johnny, Daval, Maëlys, Tarnac: fermez les tribunaux, les médias font le boulot !

Parfois – heureusement il s’agit d’une rareté – chez certains qui ne s’empêchent pas de confondre le crime avec l’homme qui l’a perpétré, surgit presque une fascination pour cette humanité qui a osé la toute-puissance, est allée au bout des extrémités les plus honteuses, les plus sordides. D’ailleurs on peut regretter à ce sujet que, sans discriminer assez, des médias prétendant informer subliment le pire et constituent en héros de misérables destinées.

Outre que les faits divers soient peut-être, mais sans mépris de ma part, un opium du peuple et pour poursuivre la métaphore marxiste, la psychologie d’un monde qui en manque, ils sont aussi la preuve éclatante que les démons sont partout, que nous avons à leur résister ; la liberté n’est pas de les laisser vivre mais de les tuer avant que lâchés ils tuent.

Mon expérience m’a souvent démontré que le crime peut être, pour un homme, le moyen d’administrer par le pire une situation qui le dépasse. La réflexion sur les faits divers, une pédagogie pour les coupables et les innocents.

Touche pas à mon porc!


La France ne serait pas la France sans sa charcuterie. Déjà dévoyée par l’industrialisation agricole, la cochonnaille suscite le rejet—parfois violent—de consommateurs musulmans. Heureusement, une bande héroïque d’éleveurs et de charcutiers mène la résistance.


Il y a quelque temps, la revue locale Le Mensuel de Rennes rapportait cette anecdote, que m’a confirmée le grand journaliste et ami Éric Conan, parti profiter de sa retraite bien méritée dans sa Bretagne natale : dans le quartier de Rennes Le Blosne-Italie, situé au sud de la ville, un malheureux Breton qui tenait une crêperie proposant la spécialité locale des galettes à la saucisse a été menacé de mort et sa vitrine taguée ou brisée avec des slogans « cochonophobes » du type « à mort les porcs, on vous saignera ». Il a donc été obligé de vendre sa boutique qui a immédiatement été remplacée par une boucherie hallal. Selon Conan, la municipalité de Rennes, qui du reste a été la première de France à accepter avec empressement le burkini dans ses piscines municipales, n’a évidemment rien fait pour aider ce pauvre artisan… Pire, en matière de soumission, et toujours à Rennes, le chef breton Loïc Pasco n’a pas trouvé mieux, dans la foulée, que de se distinguer en proposant de relever le « défi » (lancé par qui ?) avec une recette de galette sans porc (il a mis une saucisse de veau à la place, pourtant bien moins goûteuse), destinée au service de livraison de plats cuisinés Uber Eats. La genèse de ce type d’affaires, de plus en plus fréquentes sur tout notre territoire (il suffit de tendre l’oreille), est bien décrite dans le livre de poche Histoire de l’islamisation française : quarante ans de soumission (L’Artilleur, 2020).

La charcuterie : une invention française

Sans invoquer Charles Martel et Jeanne d’Arc ni chanter La Marseillaise, rappelons que le porc constitue 99 % de notre charcuterie, qui est une invention française remontant au Moyen Âge (1475), le mot charcutier désignant à l’origine celui qui cuit la chair, en l’occurrence, la viande de porc… Pour notre pape de la charcuterie Joël Mauvigney, meilleur ouvrier de France et président de la Confédération nationale des charcutiers traiteurs (CNCT) – dont la boutique située depuis 1963 à Mérignac, près de Bordeaux, se visite comme une vraie bijouterie, avec ses somptueux fromages de tête et autres pâtés en croûte maison –, « la charcuterie française est unique au monde, il n’y a pas l’équivalent ailleurs, c’est une composante de notre identité culturelle et gastronomique ». Pourquoi donc ceux qui n’aiment pas le saucisson nous obligeraient-ils à ne plus en manger ?

©Wiaz
©Wiaz

En réalité, on ne hait que ce qui nous ressemble : apparu en Asie au début de l’ère tertiaire, juste après la disparition des dinosaures (il y a 66 millions d’années), et domestiqué depuis le Néolithique (9000 ans avant J.-C.), le porc est l’animal le plus proche de l’être humain, puisqu’il possède 95 % de nos gènes ! En médecine et en chirurgie, on utilise d’ailleurs son insuline et même sa valve cardiaque pour faire des greffes. Sur le plan anatomique, Léonard de Vinci l’avait bien constaté : quand on ouvre un porc, ses organes intérieurs sont disposés exactement comme les nôtres…

Le cochon fustigé et célébré à travers le monde

Réputé goinfre, avide, sale, méchant et lubrique par à peu près toutes les religions du monde, ce pauvre animal, pourtant ultra sensible et intelligent, mérite d’être réhabilité ! Dans la mythologie grecque, il est associé à Déméter, la déesse de la fertilité. Chez les Égyptiens, Nout, la déesse du ciel et mère éternelle des astres, est figurée sous les traits d’une truie allaitant sa portée. En Chine et au Vietnam, le cochon est le symbole de l’abondance et de la fécondité. Mais le plus bel hommage jamais rendu au porc est un poème sublime que Paul Claudel écrivit en 1895, dans Connaissance de l’Est et qu’il faudrait obligatoirement faire lire à tous les élèves de France dès le CP. Claudel, quand il arrive en Chine, après avoir renoncé à devenir moine, est subjugué par ce pays « vertigineux, inextricable où la vie n’a pas été atteinte par ce mal moderne : l’esprit qui se considère lui-même et s’enseigne ses propres rêveries. […]. Ici, au contraire, tout est naturel et normal. » Le spectacle des porcs se promenant en liberté au milieu du tohu-bohu des chaises à porteurs le fascine et lui inspire ce texte plein de tendresse, qui nous montre en passant qu’il y avait bien en Claudel un porc qui sommeille (comme il l’avouera plus tard dans sa correspondance avec Jacques Rivière). Que l’on me permette donc d’en citer un extrait, car, pour le porc, avoir un Claudel comme avocat, c’est quand tout de même énorme :

« Je peindrai ici l’image du Porc. C’est une bête solide et tout d’une pièce ; sans jointure et sans cou, ça fonce en avant comme un soc. Cahotant sur ses quatre jambons trapus, c’est une trompe en marche qui quête, et toute odeur qu’il sent, y appliquant son corps de pompe, il l’ingurgite. Que s’il a trouvé le trou qu’il faut, il s’y vautre avec énormité. Ce n’est pas le frétillement du canard qui entre dans l’eau, ce n’est point l’allégresse sociable du chien ; c’est une jouissance profonde, solitaire, consciente, intégrale. Il renifle, il sirote, il déguste, et l’on ne sait trop s’il boit ou s’il mange ; […] il grogne, il jouit jusque dans le recès de sa triperie, il cligne de l’œil. […] Gourmand, paillard ! […] Je n’omets pas que le sang du cochon sert à fixer l’or. »

Tout est bon dans le cochon !

La viande de cochon est moelleuse et subtile, avec des saveurs douces, tendres et fondantes, qui changent selon qu’on la fasse cuire en potée ou en ragoût, qu’elle soit rôtie, grillée, poêlée ou encore sautée, qu’on la serve chaude ou froide. Miel et gingembre, épices et piment d’Espelette la relèvent merveilleusement. Joël Mauvigney nous le confirme, « dans le cochon, tout est bon, sauf peut-être les ongles et les dents… Les oreilles elles-mêmes peuvent être délicieuses, si on les fourre au foie gras. »

Il faut au moins quatre ans de formation pour devenir charcutier

À la tête du Ceproc (Centre d’excellence des professions culinaires), basé à La Villette depuis cinquante ans, Joël Mauvigney s’attache à transmettre sa passion de la charcuterie française à plus de 3 000 apprentis (dont beaucoup sont en phase de reconversion après avoir exercé un autre métier, preuve que la charcuterie est loin d’être morte !). « En France, il y a 6 500 entreprises. Il faut au moins quatre ans de formation pour devenir charcutier. La première chose est de bien connaître les cochons et leur morphologie, pour cela, il faut aller chez les éleveurs et les paysans, observer les animaux et vivre avec. Le cochon doit être élevé en plein air pendant au moins douze mois. Il doit alors peser entre 140 et 200 kilos. En achetant un cochon fermier, nous savons exactement d’où il vient, où il a été élevé, comment il a été nourri et traité. » Joël Mauvigney ne fait pas dans la nostalgie, il ne regrette pas le temps où les cochons étaient abattus à la ferme par le paysan : « C’était terrible ! Dans les abattoirs modernes, au moins, il est endormi avant d’être tué. »

Le charcutier est un intellectuel, on peut le comparer à un chirurgien : il réfléchit avant d’agir. Il connaît par cœur les 450 préparations différentes qui sont recensées dans notre bible. Il sait découper un cochon, et trier tous ses morceaux, un par un. Il sait préparer une sauce et cuire avec précision au degré près. C’est un esthète qui aime mettre en valeur la beauté des produits, les charcuteries d’aujourd’hui sont des bijouteries. « Nous avons été les premiers à respecter les normes d’hygiène les plus élémentaires, en créant des laboratoires d’une propreté absolue. »

Pour ce sage, la préparation du jambon blanc est un incontournable, raison pour laquelle il regrette que seulement 85 % des charcutiers le préparent eux-mêmes, les 15 % restant s’approvisionnant auprès des industriels, ce qui est un scandale. « Un vrai jambon blanc, c’est ce qui permet de juger la compétence d’un charcutier. Il doit être d’un beau rose pâle, moelleux, mais avec des tranches un peu sèches, surtout pas humides et brillantes, ce qui prouve la présence de conservateurs, de gélifiants et d’émulsifiants multiples. » À Paris, on conseillera ainsi la maison Doumbéa, rue de Charonne, qui fabrique le dernier vrai jambon de Paris traditionnel, choisi par des chefs comme Alain Ducasse et Yannick Alléno, et par le boucher Hugo Desnoyer (www.jambondeparis.com).

En France, il y a 50 recettes différentes de boudin noir, selon les régions : c’est un patrimoine unique au monde. 99 % des Français consomment pas loin de 35 kg de cochon par an et affirment ne pas pouvoir renoncer à la charcuterie, qui est pour eux un hymne à la convivialité et au partage. Alors, pourquoi ne dit-on rien quand un malheureux Breton se voit interdit par les barbus de faire des galettes à la saucisse ?

Le poids des porcheries industrielles

Tout cela est bien beau. Mais la réhabilitation du cochon et de tous les métiers qui dépendent de lui passe tout de même par une mise au point : de quel cochon parle-t-on ? En 2000, Le Canard enchaîné publiait un dossier qui, hélas, n’a pas pris une ride : 98 % des porcs français sortent d’une usine… Comme le disait le Canard, « vu les médicaments qu’il avale, le cochon industriel devrait être remboursé par la Sécurité sociale ».

Les premières porcheries industrielles sont apparues au Danemark dans les années 1950, sur le modèle américain, avant d’être copiées partout dans le monde. Qu’on soit donc en Bretagne, en Hollande, ou dans l’Illinois, c’est le même processus. Les races pures locales et anciennes de cochon (cul noir du Limousin, porc gascon, pie noir du Pays basque, porc de Bayeux, porc blanc de l’Ouest, porc nustrale de Corse…) ont été remplacées par des hybrides mis au point par les généticiens, comme le Large White (« larjouit » comme on dit dans les campagnes), un cochon taillé pour l’industrie. Les mères procréent deux fois plus par portée (15 porcelets programmés pour engraisser plus vite et pas cher). À six mois, ils sont prêts pour l’abattoir. Le paradoxe est qu’en grossissant plus, les cochons ont perdu leur graisse (notamment au niveau du lard dorsal qui est la matière noble des fabricants de saucisson sec). Et ne parlons pas du goût qui a totalement disparu ! De quoi donner presque raison aux barbus, non ?

Réhabiliter le porc bien de chez nous, c’est donc défendre la poignée d’éleveurs qui travaillent à l’ancienne, comme Pierre Oteiza qui, en 1989, a sauvé de l’extinction le vrai porc basque élevé en montagne et nourri aux châtaignes, dans les Aldudes, non loin de Biarritz (on compte aujourd’hui 70 éleveurs et 3 000 porcs). Son jambon est plus savoureux que celui de Parme ! On peut aussi citer Pierre Matayron, qui élève de somptueux porcs noir de Bigorre dans le Gers, ou la ferme de Pouloupry, dans les Côtes-d’Armor, où, sur 32 hectares de landes, Antoine Raoul a redonné vie au porc de race Berkshire à robe noire, la plus ancienne race anglaise – Shakespeare en consommait tous les matins pour son breakfast. Des artisans passionnés !

Les restaurants étant fermés jusqu’à nouvel ordre et pour ainsi dire condamnés à mort par un gouvernement qui rêve de nous maintenir en bonne santé en nous conduisant à la pauvreté (qui est la pire des maladies !), il ne nous reste plus qu’à rendre visite aux plus belles charcuteries de France.

En voici quelques-unes :

David Davaine, place du Marché aux poissons, 59500 Douai

Pascal Joly, 89, rue Cambronne 75015 Paris

Maison Dumont, 28, rue de Nemours 35000 Rennes

Pierrick Bougerolle, 42, rue du Marché, 21210 Saulieu

Georges Reynon, 13, rue des Archers 69002 Lyon

Cyrill Strub, 2, rue Pierre-Marie, 57560 Abreschviller

Coralie Delaume, souveraine de sa vie

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Souveraine et souverainiste.


Coralie Delaume est partie hier matin. Elle s’est éclipsée de ce monde qu’elle observait et analysait avec acuité discrètement, sur la pointe des pieds, comme si elle avait peur de déranger en partant si vite. Une politesse qui la caractérisait.

Au mois de janvier, elle apprenait l’existence de son cancer. Une lutte supplémentaire pour cette infatigable combattante, ancien officier de l’armée de terre qui se battait pour ses idées, pour la France et sa souveraineté, prête à engager la lutte à coups d’entraînement rigoureux : un travail exigeant, des connaissances précises qu’elle aiguisait et revisitait sans cesse, des lectures acharnées, un humour ciselé et surtout une indéfectible capacité à s’insurger.

Coralie était une indignée, une vraie, pas une rebelle de salon ou d’opérette qui braille à l’injustice et donne des leçons en vivant sur ses acquis, mais une femme engagée pour la souveraineté, celle du peuple, la seule légitime à ses yeux, pour l’indépendance de la France, pour la défense de sa culture, de son histoire, de son économie et du bien-être de sa population. Ces convictions ont nourri son combat : expliquer les rouages de l’Union Européenne et comment cette institution, froide et bureaucratique, détruit les nations.
Il fallait oser, par conviction, sortir d’un confort professionnel pour devenir blogueuse, puis auteur, puis contribuer par son travail à expliquer l’impasse dans laquelle nous mène l’Europe politique et les rapports que l’Allemagne et la France entretiennent au détriment de cette dernière.

Il ne suffit pas de se proclamer souverainiste pour l’être. Il faut avoir ça dans les tripes et dans la tête. Savoir le sentir et l’intellectualiser. Coralie le faisait si bien que son travail pouvait intéresser aussi bien sa famille politique (c’était une femme de gauche qui détestait les étiquettes) que ceux qui souhaitaient plus simplement s’informer sur l’histoire et les institutions européennes.

Ses analyses, elle les livrait dans les colloques, sur le net, en se forçant un peu d’ailleurs car elle estimait que son travail n’était jamais vraiment achevé, et dans ses livres qu’il nous appartient de lire ou relire tant on s’aperçoit, avec le recul, qu’ils collent à l’actualité : Europe, les États désunis ou Le couple franco-allemand n’existe pas publiés aux éditions Michalon.

C’était aussi une femme de terrain. Les convictions emmènent sur tous les fronts et elle avait lutté avec acharnement contre la privatisation d’ADP en lançant avec David Cayla une pétition qu’elle prenait le temps d’expliquer dans un tour de France, ordinateur en mains pour encourager les signatures. 

Il y a quelques semaines, elle était encore en ébullition, des projets plein la tête, des choses à lire, à digérer, à comprendre afin de les analyser pour informer, décrypter. Le nombre de lectures indigestes que Coralie a pu se « farcir » afin de nous les rendre intelligibles… Des essais interminables, des communiqués de la BCE, des directives alambiquées… Faites un tour dans « la littérature » des commissions européennes et vous allez vite comprendre votre douleur ! Dégager du sens dans le marasme et en dénoncer l’absurdité, c’est une démarche d’aventurier. Coralie était une aventurière : plusieurs métiers, plusieurs passions, mais une fidélité à ses idées et à ses amis intègre.

Au moment où les médecins ne cachaient plus leur pessimisme, elle continuait de bâtir des projets, d’écrire, d’entamer des lectures pour le travail ou le plaisir. Car le plaisir faisait aussi partie de la vie de Coralie qu’on présente toujours avec le sérieux qui s’impose – et qu’elle s’imposait – mais qui n’oubliait jamais de trinquer à la vie, une vie qui ne se réduit pas à soi-même mais qui est marquée par le devoir d’être et d’exister :« Je vais faire comme la petite chèvre de monsieur Seguin. Je vais me bagarrer toute la nuit et à l’aurore, le loup me mangera. De toute façon, tôt ou tard, le loup nous mange tous » avait-elle écrit pour rassurer ceux qui s’inquiétaient pour elle.

Coralie, par excès d’exigence et humilité, avait toujours l’impression de ne pas être vraiment à sa place. Là, je te le dis Coralie, tu n’es vraiment pas à ta place, pas maintenant. Le loup est venu trop tôt. Mais tu lui as aussi joué un tour à ta façon, avoue-le… Il n’a pas tout emporté, il reste ce que tu as semé avec détermination et patience, tes idées, tes livres, tes échanges, ce que tu as su faire naître autour de toi, par un sourire, par un échange. Là aussi est le secret de l’immortalité: être souverain de sa vie.

Il faut avec urgence relire les ouvrages de Coralie Delaume pour éclairer notre perception de l’Europe.

Il faut sans doute compiler la somme de travail qui n’a pas encore été édité.

Il faut faire tant de choses et parfois les faire vite car les existences fauchées si jeunes doivent nous apprendre à combattre sans relâche pour nous aussi pouvoir gruger le loup.

Abbaye de Pontigny: la restauration du patrimoine au-delà de la polémique…

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L'abbaye de Pontigny, ancien monastère de l'ordre cistercien. Fondée en 1114. Département de l'Yonne © MANUEL COHEN / MANUEL COHEN VIA AFP

Le projet de vente par la Région Bourgogne Franche-Comté de l’abbaye de Pontigny dans le département de l’Yonne a provoqué un début de polémique. Fallait-il privilégier le projet de la fondation François Schneider prévoyant, en plus d’activités touristiques et culturelles, un complexe hôtelier haut de gamme (finalement choisi) aux dépens du projet de la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre?


N’ayant pas eu accès aux dossiers, nous ne réglerons pas la question, mais cet événement est l’occasion de revenir sur une question qui fait l’actualité depuis plusieurs mois: la restauration du patrimoine. Nous avons interrogé Guillaume Ull, architecte du patrimoine qui travaille depuis de nombreuses années dans la restauration du patrimoine historique et qui, en 2019, a racheté avec son compagnon l’Abbaye de Chéhéry dans les Ardennes.

Causeur. La région Bourgogne Franche-Comté vient de valider la vente du domaine de l’abbaye de Pontigny à la fondation Schneider pour la somme de 1,8 million d’euros. On a appris à cette occasion que l’entretien du monument par la collectivité coûtait 200 000 euros par an! Finalement vendre de tels monuments historiques au privé n’est-il pas, au vu des charges pesant déjà sur les comptes  publics, le meilleur moyen de les sauvegarder ?

Guillaume ULL. C’est une question de société : aujourd’hui le ministère de la Culture consacre trois cents millions d’euros par an à la restauration du patrimoine sur les trois milliards d’euros de son budget (hors plan de relance qui consacre un budget supplémentaire sans précédent pour l’année 2021). La protection d’un bâtiment au titre des Monuments historiques est une décision émanant de l’État qui implique des investissements de sa part. Mais avec un tel budget, il n’est pas toujours en mesure d’assumer les contraintes financières qu’il s’est pourtant lui-même créées.

Guillaume Ull, Administrateur de l’abbaye de Chéhéry.

Cela dit, l’État ne peut pas tout et ne sait pas tout faire et on ne peut pas considérer que cette politique ne fonctionne pas, car chaque année de nombreuses opérations de restaurations se montent partout sur le territoire. Cette politique n’est juste pas suffisante. L’initiative privée a tout à fait sa place dans le processus, étant plus à même de mener des projets dont l’aspect économique est primordial au regard des coûts d’entretien très importants et des investissements nécessaires.

Dans le cadre d’un projet de restauration et de valorisation d’une telle abbaye cistercienne, quelles seraient, selon vous, les actions à mener, les écueils à éviter?

L’objectif de tout projet de restauration est la conservation des bâtiments afin de garantir leur pérennité dans le temps et de les transmettre aux générations futures dans de bonnes conditions. Le parc des Monuments Historiques français est immense et très varié, chaque bâtiment appelle donc une réflexion spécifique, en fonction de sa nature, aussi bien en termes de restauration que de valorisation.

Un programme hôtelier peut être une réponse économique pour garantir le bon entretien et donc la pérennité du monument dans le temps

Par exemple, une église paroissiale reste encore aujourd’hui dans la plupart des cas un édifice cultuel et est restaurée comme telle. Tout programme doit être construit en tenant compte de la nature, de l’histoire, des espaces, de la fonction d’origine du monument (entre autres). Il n’y aurait rien de pire que de chercher à faire rentrer une fonction prédéfinie dans un monument sans réflexion profonde de ce type. Ce serait sa dénaturation à coup sûr. En résumé c’est le programme qui doit s’adapter au monument et non le monument qui doit s’adapter au programme.

A lire aussi, du même auteur: Foutues éoliennes

Au-delà de la question du programme, le patrimoine fait partie de notre bien commun. Il doit donc, selon moi, être ouvert le plus largement au public, ce qui ne s’oppose pas à un développement économique. C’est une question d’équilibre à trouver. Si de nombreux monuments publics sont souvent des musées ou développent des programmes à visée culturelle, c’est parce que les institutions les financent. L’aspect économique n’est pas primordial dans ce cas. Cela donne simplement l’avantage d’être très ouvert et éducatif. Cependant, certains aspects du monument ne seront pas mis en avant, aspects que des propriétaires privés seront plus susceptibles d’assumer parce qu’ils poursuivent, en autre, une certaine rentabilité économique. Ainsi, dans le cas d’une abbaye, un projet économique tourné autour de la production, comme on essaye de le faire à l’Abbaye de Chéhéry, est très cohérent car ces édifices cultuels étaient aussi d’immenses domaines de production qui assuraient d’importants revenus aux communautés. Les enjeux de notre époque sur l’origine et la qualité des produits alimentaires sont devenus centraux. Quoi donc de mieux que de redonner à une abbaye une de ses fonctions premières, et de la présenter ainsi telle qu’elle fonctionnait à l’origine ?

Enfin, pour les programmes culturels qui restent très fréquents, là aussi la créativité doit rester de mise. Pour ma part je milite pour des activités et manifestations très variées de manière à ne pas exclusivement toucher un public d’initiés. Le patrimoine appartient d’une certaine manière à tout le monde. C’est encore une fois une question de cohérence et d’équilibre à trouver.

Le projet retenu pour l’instant par la région est centré sur un complexe hôtelier. Finalement, le fait que le monument soit classé au titre des monuments historiques ne garantit-il pas à lui seul, du fait des règles qui s’imposent aux propriétaires, que le projet soit respectueux du monument et de son histoire ?

Le classement au titre des Monuments Historiques est un statut particulier qui interdit la démolition de tout ou partie du monument. Il soumet également un propriétaire au droit de regard des institutions culturelles qui évaluent le projet afin que celui-ci soit respectueux des bâtiments. Cela ne veut pas dire qu’aucun aménagement, transformation, voire extension n’est possible mais il devra se soumettre à l’avis des institutions, être conçu et évalué en partenariat avec elles. Si certains projets sont très réussis, d’autres sont préjudiciables à l’authenticité du monument, et ce malgré ces garde-fous. Un système n’est jamais parfait, mais il fonctionne globalement plutôt bien dans notre pays. Si nous avons tous en tête certaines destructions traumatisantes ou certains monuments très transformés, c’est aussi une question d’époque. Ces mutilations, sans dire qu’elles n’existent plus, se font de plus en plus rares aujourd’hui.

A lire aussi, Jean-Luc Gréau et Philippe Murer: Émissions CO2: la France est exemplaire!

Pour complètement répondre à la question, un programme hôtelier est très courant dans ce genre d’édifice. Il peut être une réponse économique pour garantir le bon entretien et donc la pérennité du monument dans le temps. Il est ensuite difficile de préjuger du résultat. Un programme d’hôtellerie est très lourd en termes de normes, très formaté selon qu’on vise telle ou telle clientèle. Il peut donc s’avérer très destructif pour l’authenticité d’un bâtiment. Même si l’aspect final est très qualitatif, c’est souvent au prix de lourdes interventions et d’éléments refaits à l’identique.

Dans la mesure où la France rurale rencontre de grandes difficultés économiques et semble s’éloigner de la France des métropoles, n’a-t-elle pas finalement besoin de grands projets économiquement ambitieux pour remonter la pente ? Et dans ce cadre, ne peut-on pas un peu « violer l’histoire (ou le patrimoine) pour faire de beaux enfants » ?

La chance avec le patrimoine c’est qu’il est présent partout, dans les villes comme dans les campagnes voire dans des lieux extrêmement isolés. C’est donc un formidable vecteur de projets. Il y a là encore un véritable potentiel de développement économique rural de toutes les échelles. Ces monuments appartiennent en grande majorité à des privés, ils tiennent donc une partie de ce potentiel entre leurs mains, d’autant que les possibilités et aides de la part des institutions sont parfois très importantes aussi bien pour les travaux de conservation et de restauration que pour les investissements nécessaires au montage d’un projet économique. Beaucoup de projets se développent depuis quelques années et l’on voit fleurir de plus en plus de projets intéressants, multiples et variés.

Rien ne nécessite donc d’être violé, car comme je l’expliquais, un monument est une chose complexe et tout programme est envisageable mais cela dépendra de son caractère, de la qualité du projet et de sa mise en œuvre.

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Culture: ils s’estiment méprisés par le pouvoir et investis d’une si noble mission…

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Le monde du spectacle se révolte à Paris contre les fermetures des salles, le 15 décembre 2020 © Edouard Monfrais / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP.

À la manifestation du monde du spectacle…


Mardi 15 décembre midi, le monde de la « culture » manifeste place de la Bastille ! On y voit des pancartes « Culture en danger !». Ah tiens ! Enfin, ils s’en rendent compte ? 

Moi aussi je pense que la culture est en danger depuis un sacré bout de temps, mais je me dis plutôt « Les salles sont fermées ? Tellement de mauvais spectacles qui ne se joueront pas, tellement de classiques revisités, modernisés et déchiquetés qui sont annulés, c’est toujours ça de gagné. Molière et Racine vont enfin pouvoir reposer en paix ! » Oui, je suis mauvais camarade, c’est vrai, mais que voulez-vous…

Pour qui tombe en plein dans ce rassemblement sans en être informé, impossible de savoir à première vue pour quoi on manifeste. Ecriture inclusive sur les pancartes : proteste-t-on contre les violences faites aux femmes ? Deux marionnettes géantes dont une noire qui danse à l’africaine : Marche-t-on une nouvelle fois contre le racisme ? 

Le stéréotype de la manifestation 

Non, c’est plutôt un mélange de tout cela. On vient défendre son petit beefsteak culturel, mais comme on est « artiste », on rappelle qu’on est gentil, qu’on a des jolis petits sentiments et des larmes prêtes à couler, qu’on n’est pas raciste, pas sexiste, enfin qu’on n’est pas des fachos ! Bienvenue à la fête de l’Huma ! Dans cette manif, tout le monde semblait savoir jouer du djembé et des percussions en tout genre, mais pas sûr qu’on aurait pu trouver quelqu’un sachant dire l’alexandrin. Le boucan des tam-tams aurait-il fait fuir Racine ? 

A lire aussi, du même auteur: Bambi: « Désormais l’idée de se moquer d’eux-mêmes ne viendrait même plus à l’esprit de nos comiques »

Mais pour que le cliché soit complet, Assa Traoré ainsi que quelques odeurs de saucisses grillées se mêlant à la foule manquaient un peu. Enfin bref, tout ce joyeux petit monde cultureux était là, mobilisé, plein de ferveur, même s’il est probable qu’une simple averse aurait suffi à faire rentrer tout le monde à la maison. Je peux évidemment comprendre qu’ils réclament la réouverture des salles, je n’attends moi-même que de pouvoir remonter sur les planches. Mais qu’on ne me fasse pas croire que c’est pour sauver la culture. Qu’ils soient au moins honnêtes, et qu’ils l’avouent : c’est pour leur fric qu’ils manifestent ! 

Commerçants du spectacle

On ne voit personne manifester contre le Conservatoire national d’art dramatique de Paris qui n’apprend plus à ses élèves à déclamer l’alexandrin et qui préfère donner des cours de Tai-chi ou former de bons petits militants de gauche (comment pourrait-on être un bon citoyen de droite ?)

Martine Chevallier, la plus grande tragédienne française, a été mise à la porte de la Comédie française il y a peu de temps : où étaient les gardiens de la culture et leurs pancartes ? On ne les voit pas non plus manifester contre la Comédie-Française qui, de conservatoire du théâtre français, est passé destructeur de répertoire ! S’ils se réunissent place de la République, ce n’est évidemment pas pour la culture, encore moins pour l’art, c’est pour leur sécurité. Alors, un peu d’humilité et d’honnêteté.

Oubliez le mot “Culture” comme vous avez oublié le mot Art, et assumez le statut de commerçant du spectacle, qui n’est certes pas très joli, mais plus réaliste, et dans ce domaine-là vous avez toute ma confiance. Allez, musique! Musique! Boum, boum, Tam, tam, en avant les djembés!

Émissions CO2: la France est exemplaire!

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@ Soleil

Avec 1% des émissions mondiales de carbone pour 2,7% du PIB planétaire, la France est plutôt vertueuse en matière climatique. Ce qui n’empêche pas le gouvernement de battre sa coulpe et le Conseil d’État d’exiger de meilleurs résultats. 


On ne sait pas vraiment comment les Français perçoivent notre « vertu » ou notre « vice écologique ». Mais à lire les discours des médias et à entendre les leçons de morale des politiques sur le sujet, on finit par croire que la France est le cancre de service. L’unanimité politico-médiatique s’explique aisément. Le thème écologique ignore les frontières idéologiques. Et les politiques y voient le moyen de se faire une image exemplaire : « Aucun effort ne doit être ménagé pour sauver la Terre de la tragédie qui la menace », disent-ils tous en substance.

Plus encore, le Conseil d’État, dont les membres sont parmi les mieux placés pour connaître les faits et leurs conséquences, vient de prendre une décision inattendue – et scandaleuse. Répondant favorablement à la requête d’une commune de Vendée menacée de submersion, si le niveau des mers venait à s’élever, il a ordonné au gouvernement de prouver qu’il mettait tout en œuvre pour se conformer à l’engagement de réduction substantielle de nos émissions de carbone d’ici à 2030 prévu par l’accord de Paris. Et la « tribu » écologique de danser en rond en psalmodiant autour du totem de l’État[tooltips content= »Nicolas Hulot a salué un « pas de géant ». »](1)[/tooltips]. Une des plus hautes instances publiques, pilier de ce que l’on nomme l’État de droit, confère au discours écolo-dominant une légitimité supérieure.

L’ignorance au pouvoir

Pour commencer, comment un pays représentant moins de 1 % de la population mondiale pourrait-il « contribuer » substantiellement à l’émission, donc à la réduction substantielle, du CO2 scélérat ? Curieusement, les apôtres de la mondialisation, qui soulignent à l’envi que la France n’est même plus une puissance moyenne, semblent penser que, dans le domaine du climat, nous sommes un des principaux responsables du problème, donc un acteur majeur de sa solution.

À lire aussi, Céline Pina: Pas de souveraineté économique sans indépendance énergétique

Nos émissions de CO2 représentent moins de 1 % du total mondial pour moins de 1 % de la population planétaire. On est tenté de conclure que nous ne sommes ni particulièrement vertueux, ni particulièrement vicieux. Cependant, notre PIB étant, lui, égal à 2,7 % du PIB mondial, cela signifie que nous émettons trois fois moins de CO2 que le reste de la planète en proportion de notre production. Autrement dit, si le monde entier parvenait à notre niveau d’émission, cela suffirait à diviser par trois le niveau global d’émission, baisse requise pour endiguer le réchauffement climatique. Et les professeurs de morale en seraient pour leurs frais.

Dans ce domaine comme dans bien d’autres, l’ignorance est au pouvoir. Ainsi, qui sait que la France fait partie des trois pays émettant le moins de CO2 pour produire leur électricité, avec la Suède et la Norvège, richement dotées en ressources hydroélectriques[tooltips content= »Ces données sont issues du blog de Philippe Murer, auteur de Comment réaliser la transition énergétique, paru aux éditions Godefroy en 2020. »](2)[/tooltips] ? L’Allemagne, présentée comme le pays le plus écologique d’Europe, vient très loin derrière nous : les centrales thermiques au charbon y produisent 38 % de l’électricité requise et une seule d’entre elles émet autant que toute la flotte aérienne intérieure de la France.

Les Verts sont au pouvoir

La performance française s’explique largement, hélas, par la désindustrialisation massive du pays, sous les coups de l’euro et de la politique d’enrichissement des actionnaires pratiquée par les managers des sociétés. Il y a aussi les nouvelles normes en matière d’habitat, les économies d’énergie des entreprises encore accrochées au sol français, la réduction lente de la consommation des véhicules, sans oublier, soyons honnêtes, la contribution modeste des éoliennes et de l’électricité solaire. Mais nous devons d’abord nos bons résultats à notre parc nucléaire, résultat heureux des chocs pétroliers. « Il faut s’accrocher au nucléaire », disait Raymond Barre, alors que le prix du pétrole flambait.

La centrale nucléaire du Tricastin dans la Drôme. © CHAUVEAU/SIPA Numéro de reportage : 00946652_000001
La centrale nucléaire du Tricastin dans la Drôme. © CHAUVEAU/SIPA Numéro de reportage : 00946652_000001

Raisonnons à partir d’un événement récent. Le 23 avril, un décret peu commenté a programmé la fermeture de quatorze centrales sur les quinze prochaines années. Toutes choses égales par ailleurs, ce scénario se traduirait par un accroissement de 40 % de nos émissions de CO2. Il faudrait recourir massivement au gaz, au prix d’une aggravation d’un déficit commercial déjà situé à son plus haut niveau depuis la guerre.

Autant dire que, grâce aux Républicains en marche et au gouvernement des juges, les Verts sont déjà au pouvoir, sans devoir en assumer les risques et les responsabilités.

À lire aussi, Isabelle Saporta: « Les maires EELV devraient être modestes et travailler »

La France pourrait mieux faire encore : en relançant le programme de TGV, inexplicablement arrêté par Emmanuel Macron, en développant le ferroutage à fort retour économique et écologique, en mettant le paquet sur les véhicules à hydrogène, automobiles, camions, trains et avions comme les trois projets récemment dévoilés par Airbus.

Une remise en cause indispensable de la mondialisation commerciale

Resterait à financer ces efforts alors que notre État, en situation de banqueroute non déclarée, ne survit que sous la tente à oxygène de la BCE. La question de la monnaie unique ressurgit. Où serait le drame si nous pouvions obtenir, nous et nos partenaires européens, que 2 %, par exemple, des crédits budgétaires soient financés par la création monétaire pure de la banque centrale ; une solution simple et sans risque, infiniment plus efficace que le plan de relance européen lancé à grands coups de trompettes ? Une autre piste est à explorer, celle d’une monnaie « écologique » qui serait un instrument « ad hoc[tooltips content= »Voir Alain Grandjean et Nicolas Dufrêne, Une monnaie écologique, Odile Jacob 2020. »](3)[/tooltips] ».

In cauda venenum. Dans la queue est le venin. En réalité, seule une remise en cause de la mondialisation commerciale permettra une réduction décisive et non coûteuse des émissions de carbone. Les innombrables produits fabriqués par les entreprises occidentales dans les pays à faibles salaires représentent un coût écologique exorbitant. Il suffirait de taxer les produits en fonction du poids, du mode de transport et de la distance parcourue. Contrairement aux apparences, la chose est aisément faisable, les entreprises concernées le savent mieux que quiconque.

On pourrait ainsi, au nom d’une écologie bien pensée, taxer l’importation des futures DS9 et Citroën C5 à partir de la Chine et celle de la dernière Peugeot 208 à partir du Maroc, qui représentent des destructions d’emplois implicites. Mais les constructeurs préfèrent s’offrir une belle image en sortant des véhicules électriques beaucoup moins écologiques que ce qu’on croit[tooltips content= »Les batteries au lithium ne sont pas recyclables. De plus, la fabrication des moteurs électriques et des batteries produit plus de CO2 que celles des moteurs thermiques. »](4)[/tooltips] et ruineux pour les Trésors publics.

Le safe space ou la fabrique victimaire

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Manifestation du mouvement HijabisFightBack à Anvers en Belgique, juillet 2020 © Photo Twitter.

Les safe space organisés non pas autour d’un vécu individuel mais autour d’une appartenance collective favorisent la construction d’identités victimaires.


Le 10 décembre est la date anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, laquelle proclame notamment l’égalité de tous en dignité et en droits.

Mais le 10 décembre, c’est aussi la date choisie par le collectif féministe bruxellois Imazi.Reine pour organiser une rencontre virtuelle en safe space, plus exactement « en non-mixité sans hommes cis-hétéro (oui aux mecs queer, oui aux personnes non-binaires) et sans personnes blanches. ». Un libellé qui a fait grincer des dents et conduit à une reformulation moins excluante, afin de répondre à l’exigence légale de non-discrimination sur base de quelque critère que ce soit.

En juin dernier, le collectif Imazi.Reine s’était déjà illustré par une action baptisée « Hijabisfightback », qui visait à protester contre l’arrêt de la Cour constitutionnelle belge permettant l’interdiction des signes religieux dans l’enseignement supérieur. Aujourd’hui au centre d’une nouvelle polémique, il maintient que les espaces non-mixtes sont nécessaires, affirmant sur son compte Instagram que « la non mixité est un outil de survie et bien-être dont nous avons besoin. On crée ces espaces par nécessité et non par volonté d’exclusion. »

Si ce collectif se revendique intersectionnel, décolonial, anti-raciste et inclusif, il est permis de douter du caractère inclusif d’un dispositif qui revendique l’exclusion, tout comme de la dimension antiraciste d’une approche qui se fonde sur la reconnaissance explicite de l’existence de races, comme s’en explique la fondatrice du collectif, Fatima Zohra : « Beaucoup de personnes reviennent avec l’argument du « les races n’existent pas », alors que si, d’un point de vue sociologique, elles existent, je pense qu’il faut pouvoir les aborder de manière à pouvoir traiter le problème. »

La non-mixité, outil de survie?

Un safe space, précisait l’annonce, est « un endroit permettant aux personnes habituellement marginalisées, à cause d’une ou plusieurs appartenances à certains groupes sociaux, de se réunir afin de communiquer autour de leurs expériences ».

Il y a donc en Belgique (ou en France), des personnes qui sont habituellement marginalisées en raison de leur appartenance à certains groupes sociaux, et qui ont de ce fait besoin de se réunir pour partager leur vécu. Jusque-là, rien de bien problématique. Il est en effet parfaitement imaginable que certaines expériences traumatisantes fassent naître le besoin de se retrouver avec des personnes partageant le même vécu. On songe bien sûr aux femmes ayant subi des violences conjugales ou un viol, ou encore aux victimes d’agressions homophobes. Qu’il existe pour ces personnes des groupes de parole est une fort bonne chose. Mais les safe space vont plus loin, et c’est là que réside le problème : ils établissent une équivalence entre une expérience – toujours singulière – et une appartenance – forcément collective.

A lire aussi: Rokhaya Diallo: « Cher.e.s lectrices et lecteurs de Causeur… »

Dans son principe, le safe space repose sur le principe qu’il est nécessaire de se mettre momentanément à l’abri d’une catégorie d’individus – les hommes, les violeurs, les racistes, les homophobes,… – pour partager le plus sereinement possible une expérience et s’outiller en vue de lutter plus efficacement, dans un second temps, contre l’adversaire – qu’il s’agisse ici d’individus ou d’idées.

Il s’agit donc de rompre avec un principe fondamental d’égalité de tous en dignité et en droits – droit de s’associer, de se réunir – au nom d’un autre droit fondamental : le droit à la sécurité. Encore faut-il dès lors démontrer l’existence d’une menace suffisante sur la sécurité pour justifier la rupture du principe d’égalité.

De plus, en excluant les personnes blanches et les hommes cis hétéros de sa rencontre – virtuelle, ce qui relativise d’emblée tout danger réel auquel seraient exposés les participants – le collectif « féministe » Imazi.Reine valide implicitement deux présupposés : le premier consiste à accréditer l’idée que les personnes blanches et les hommes cis hétéros ne sauraient être d’authentiques alliés – réels ou potentiels – dont l’intérêt serait éveillé par le titre de l’événement[tooltips content= »« Pour une convergence des luttes non consensuelle. Entre antiracisme et misogynie, qu’en est-il de « nos hommes » ? » NDLA »](1)[/tooltips].

On ne saucissonne pas sans risque l’humanité, et il est regrettable que des causes aussi nobles que le féminisme ou l’antiracisme fassent reculer l’universalisme au profit d’une guerre des clans dont nul ne sortira vainqueur

Le second consiste à considérer que dès lors qu’on est noir, non-binaire, queer ou femme non-blanche, on ne saurait nuire par sa présence au caractère « sûr » de la rencontre. Or, si l’on peut en effet supposer qu’être non-binaire ou queer sensibilise de facto aux discriminations dont sont victimes certaines catégories de la population, il semble pour le moins hâtif de considérer qu’un homme noir ou une femme « non-blanche » serait nécessairement un allié. Je ne pense pas m’aventurer beaucoup en disant qu’il doit y avoir des hommes noirs plus misogynes que certains hommes blancs. Quant à ce qui concerne l’antiracisme, considérer qu’il ne saurait provenir que de l’homme blanc constitue une validation hâtive du prisme « systémique ».

Quand le structurel noie l’individuel

Or, si l’on peut évidemment admettre que dans une société globalement « blanche », le racisme s’exerce prioritairement sur la minorité que constituent les personnes non-blanches, cette affirmation doit cependant être nuancée. D’abord parce que les concepts de majorité et de minorité sont toujours relatifs, et que l’on peut donc être à la fois membre d’une minorité au niveau national et majoritaire dans un quartier, une commune ou une école, et y reproduire des rapports de domination que l’on subit par ailleurs. Ensuite parce que cette logique équivaut à passer totalement sous silence l’antisémitisme, qui cible essentiellement, dans nos pays, une minorité blanche. Et cette omission des Juifs ne peut s’expliquer que de deux manières : soit par le déni d’une forme de racisme pourtant en augmentation, soit par l’adhésion au préjugé antisémite selon lequel les Juifs ne sauraient être de vraies victimes, dès lors qu’ils feraient partie des dominants.

A lire aussi: La nouvelle lutte des races

Par ailleurs, la logique intersectionnelle, qui se fonde sur l’idée que certaines discriminations, en se superposant, ont un effet multiplicateur, se rend aveugle à la singularité de tel ou tel vécu. Une femme blanche, en tant que « personne blanche », est ainsi d’emblée disqualifiée, comme si elle n’avait par essence rien à dire sur les discriminations que l’on peut subir en raison de son sexe. Plus encore, elle ne saurait porter une parole pertinente sur l’effet multiplicateur induit par la conjugaison de son sexe et de sa couleur de peau, puisqu’être blanc équivaut, selon la logique intersectionnelle, à appartenir au camp des dominants.

Autrement dit, dès lors que le racisme anti-blancs n’est pas « structurel », il en devient inaudible, voire nié, alors même qu’il peut de toute évidence exister des comportements racistes émanant d’une minorité à l’égard de membres soit d’une autre minorité, soit de membres de la majorité.

La Belgique c’est quand même moins grand que les Etats-Unis !

Qui plus est, l’expérience américaine devrait nous renseigner sur ce que la ségrégation raciale subie par les Noirs a engendré en termes de discours et comportements haineux envers les Blancs, considérés indistinctement, quand bien même ils luttaient aux côtés des Noirs pour leur plein accès aux droits civiques. À un racisme structurel en a répondu un autre, certes plus explicable historiquement, mais non moins problématique et délétère.

Certes, cette référence aux États-Unis peut sembler fort peu à propos, s’agissant d’un événement organisé en Belgique. Mais précisément, la logique même des safe space est directement importée des États-Unis, dont elle reprend sans examen la grille de lecture racialiste. Or, nonobstant la réalité de notre passé colonial, nous n’avons jamais racialisé la société comme l’ont fait les États-Unis. Jamais la Belgique n’a pratiqué sur son territoire la ségrégation légale. Certes, le racisme existe, en Belgique comme ailleurs : aucune société humaine n’est immunisée contre lui. Mais notre société n’en est pas moins proche du modèle color-blind qui a tant de peine à émerger aux États-Unis, modèle color-blind que les safe space contribuent à faire dangereusement reculer au profit d’une logique victimaire qui distille insidieusement sa lecture racialiste, faisant des uns les victimes, des autres les coupables par essence.

A lire aussi: Justice pour Adama: quand des militants se réfugient derrière l’antiracisme pour promouvoir la distinction des races

En organisant des safe space organisés non pas autour d’un vécu individuel, mais autour d’une appartenance collective, on favorise la construction d’identités victimaires fondées non sur une quelconque réalité, mais sur une appartenance communautaire transformée en unique grille de lecture sociétale, que nulle intersubjectivité, nul contact avec l’altérité ne peut venir relativiser. Cette barrière de protection érigée entre soi et autrui, qui est essentielle lorsqu’il s’agit de partager un vécu traumatique où toute relativisation sonne à juste titre comme une minimisation, ne peut sans danger être transposée à tout ressenti subjectif fondé sur le seul critère de l’appartenance communautaire.

On ne saucissonne pas sans risque l’humanité, et il est regrettable que des causes aussi nobles que le féminisme ou l’antiracisme fassent reculer l’universalisme au profit d’une guerre des clans dont nul ne sortira vainqueur.

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Quelles défenses spirituelles face à l’islamisme?

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Hommage à Poissy après l'assassinat de Samuel Paty © ISA HARSIN/SIPA Numéro de reportage: 00986699_000007

Des Français sont séduits par l’idéologie islamiste, d’autres refusent de condamner les crimes terroristes de cette doctrine ou de se soumettre aux lois de la République française. Et si tout cela n’était que la suite logique à la décadence d’une civilisation amorcée il y a plus de deux siècles avec la mise au ban de ses dieux? Si le mal est si profond, le projet de loi visant à lutter contre le séparatisme islamiste est-il alors à la hauteur de l’enjeu? Analyse.


Religion, quand tu nous tiens…

Chez tous les animaux sociaux, des souris à l’humain en passant par les singes, la vie en communauté est régie par des règles dont l’objectif est de promouvoir les comportements d’entraide et de limiter les comportements néfastes : les comportements altruistes sont bons et récompensés, les comportements qui nuisent aux autres et menacent la cohésion du groupe sont mauvais et punis.

Chez l’homme, ces règles constituent la morale et s’expriment et se transmettent via les religions, au sens large du terme.

A lire aussi, Françoise Bonardel: Se séparer? Quelle bonne idée!

La religion, qui organise la vie des individus au sein de la nature sur le mode de comportements encouragés et d’interdits à travers des rites et des traditions, est un système moral qui a la particularité de faire reposer ses règles sur des croyances communes. Du naturisme à l’animisme, du chamanisme au christianisme, il est toujours question d’une communauté unie autour d’une interprétation du monde, de lois et de gestes rappelant les rapports des hommes entre eux et avec la nature. Dès lors, la vie en société est-elle possible sans ce lien spirituel ? Des lois se voulant uniquement le produit de la raison humaine et donc sans cesse remodelées par les hommes peuvent-elles garantir la pérennité d’un peuple ? Donner à chaque individu appartenant à ce peuple un attachement tel à sa communauté qu’aucun sacrifice ne lui paraisse trop grand pour elle ?

L’inquiétante étrangeté d’une société sans dieu

La laïcité, qui s’inscrivait dans le prolongement des Lumières avec le triomphe de la raison et de la science, a donné à la France un système moral clivé : l’État organisait la vie des citoyens sans l’intervention des croyances religieuses et le citoyen pouvait dans la sphère privée organiser sa vie sur la base de ses croyances. Le schisme opéré par la laïcité a privé la communauté française d’une spiritualité commune. Ce n’est pas un hasard si ceux qui tiennent au roman national font commencer l’histoire de France au baptême de Clovis.

Voilà notre nation qui s’en va affronter, avec ses mots auxquels elle prête trop de pouvoir (à l’heure où 160 caractères suffisent pour débattre) et ses lois nationales (que l’Union européenne regarde avec condescendance) un monstre dont elle a probablement sous-estimé l’endurance…

Les catholiques qui priaient devant les parvis d’églises il y a un mois alors que les messes avaient été interdites par les mesures sanitaires pour lutter contre la Covid-19 manifestaient un besoin vital de communion.

Des catholiques se rassemblent devant l’église Saint-Sulpice à Paris pour protester contre l'interdiction de célébrer les messes imposée par le gouvernement et confirmée par le Conseil d'État. © JEANNE ACCORSINI/SIPA Numéro de reportage: 00991058_000028.
Des catholiques se rassemblent devant l’église Saint-Sulpice à Paris pour protester contre l’interdiction de célébrer les messes imposée par le gouvernement et confirmée par le Conseil d’État. © JEANNE ACCORSINI/SIPA Numéro de reportage: 00991058_000028.

La France, l’un des pays qui compte le plus d’athées au monde et qui connait la plus forte baisse en croyants, a cru que la raison triompherait et se propagerait dans les esprits aussi bien que le font les croyances religieuses. Croire que les sciences et l’éclairage qu’elles nous donnent de nous-mêmes suffiraient à combler le manque laissé par la perte de cette relation métaphysique au monde partagée par une communauté, c’était méconnaitre notre nature profondément spirituelle. En ne remplaçant pas le divin qu’elle éliminait de la conscience collective par la construction d’un mythe national (des héros pour remplacer les dieux, une histoire glorieuse pour remplacer les épopées), la France en tant que communauté indivisible est probablement condamnée à disparaitre.

L’antispécisme et l’idéologie écologiste sont autant de manifestations pathétiques de ce besoin de spiritualité : replacer l’homme au sein de la nature et retrouver un projet collectif qui nous transcenderait. Mais sans traditions ni rites, ces ersatz d’effervescences collectives[tooltips content= »D’après le concept développé par Emile Durkheim »](1)[/tooltips] ne sont que des feux follets qui virevoltent au-dessus des individus sans jamais embraser leurs âmes.

Une nation désarmée

S’il est probable que nous n’ayons pas les bonnes armes pour lutter contre l’hydre islamiste, notre nation était déjà bien malade lorsqu’elle a été attaquée par cette idéologie. Elle n’avait déjà plus aucune défense spirituelle à opposer à l’islamisme. Voilà notre nation, ainsi qu’Héraclès s’en allant combattre l’Hydre de Lerne, qui s’en va affronter, avec ses mots auxquels elle prête trop de pouvoir (à l’heure où 160 caractères suffisent pour débattre) et ses lois nationales que l’Union européenne regarde avec condescendance, un monstre dont elle a probablement sous-estimé l’endurance. Bien que l’on puisse saluer le discours prononcé aux Mureaux le 2 octobre par le Président Emmanuel Macron qui nommait sans détour l’ennemi (« plan de lutte contre le séparatisme islamiste ») et certaines mesures du « projet de loi confortant les principes républicains » présenté ce 9 décembre, on peut s’interroger sur la réussite future de ce projet. Quelle sera l’efficacité dans le fond d’une mesure pénalisant les médecins qui délivrent des certificats de virginité ? Si on affirme un principe (même si c’est déjà pas mal), lutte-t-on vraiment contre une tradition liée à des croyances multiples et variées autour de la virginité de la femme ? Quel est l’intérêt d’obliger la scolarisation dès 3 ans si certains enfants sont plongés de retour à la maison dans un environnement qui considère que la musique c’est « haram » et se bouchent les oreilles quand on passe de la musique en classe[tooltips content= »D’après une note confidentielle des services de renseignement sur les signalements de cas de  communautarisme musulman dans les établissements scolaires et dévoilée mardi 9 octobre par Europe 1″](2)[/tooltips] ? L’Etat pourra-t-il renvoyer dans son pays un étranger polygame ou sanctionner un individu qui refuserait de serrer la main d’une personne parce qu’elle est une femme ? Dans son épreuve Héraclès devait également affronter un crabe venu au secours de l’Hydre. Reste à savoir si le Conseil constitutionnel ou La Cour Européenne des droits de l’homme (CEDH) n’entraveront pas l’Etat français dans son combat pour lutter contre ceux qui veulent « construire une société parallèle et imposer leurs règles à la République. (…) mettre leur foi au-dessus de la loi. ».

A lire aussi, Aurélien Marq: Al-Sissi / Macron: loi de Dieu, loi des hommes

En admettant que ces lois résistent aux lectures idéologiques du Conseil constitutionnel ou de la CEDH par exemple, nous apporteront-elles pour autant la paix ? Héraclès vint à bout du monstre grâce à une aide extérieure qui, tandis que le héros écrasait les têtes de l’Hydre, en brûlait les moignons pour les empêcher de repousser. Dans un État démocratique aux multiples méandres juridiques à travers lesquelles les islamistes ont appris à se mouvoir, il nous faudra bien plus que des lois pour empêcher la contamination des esprits. Par exemple raviver l’âme de notre nation. Et cela commence par la façon dont elle se raconte, en particulier à nos enfants : la langue française et le roman national. N’oublions pas que dans le mythe l’Hydre n’est pas morte : la tête immortelle a été enfouie sous terre. On ne se débarrasse pas si facilement d’une idéologie, en particulier lorsqu’elle prend racine dans un sol en jachère.

Notre nation est réduite à un corps à l’âme déliquescente, morcelé en individualités qui n’ont plus que leur propre destin et donc leur propre mort en tête. La pandémie actuelle a mis à jour une société prête à toutes les concessions pour un supplément de vie, quitte à ce que cette vie soit dégradée. Dépouillés d’idéal à placer au-dessus de nos vies, tétanisés par l’idée de notre propre finitude que nos hyper-individualités ont rendue intolérable, addicts des plaisirs consuméristes qui anesthésient nos âmes sans les guérir, nous luttons pour survivre sans panache. Dans un pays aux valeurs dévoyées, où la liberté individuelle prime sur tout, où l’égalité verse dans l’égalitarisme et la fraternité est réduite à une solidarité étatique, ce n’est ni la formation des enseignants à la laïcité qui réenchantera les âmes de nos enfants, ni les mesures visant à réduire la capacité de nuisance de l’islamisme qui mèneront à convertir à la « religion de la Raison » des individus qui ont trouvé dans l’islamisme un absolu spirituel à placer au-dessus de leur existence et qui, pour les plus violents d’entre eux, sont prêts pour défendre cet idéal à donner leur vie.

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Élisabeth Lévy: « Le procès a permis aux survivants, aux rescapés, de partager la douleur et l’effroi »

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Le procès des attentats de janvier 2015 (contre Charlie Hebdo et à l’Hyper Cacher) a livré son verdict. Pour beaucoup de familles, c’est la fin d’un procès douloureux mais indispensable.


Dans le cadre de ce procès historique, la cour d’assises spéciale de Paris a prononcé plusieurs condamnations. Certains accusés ont été jugés par défaut, parmi eux Mohamed Belhoucine et Hayat Boumeddiene. Le premier, soutien logistique du terroriste Amedy Coulibaly, est condamné à perpétuité. La seconde, ex-compagne d’Amedy Coulibaly, est condamnée à 30 ans de réclusion assortie d’une période de sûreté des deux tiers.

Sur les 11 présents à l’audience, seulement quatre d’entre eux sont condamnés pour association de malfaiteurs à visée terroriste

Ali Riza Rolat, reconnu coupable d’association de malfaiteurs terroriste (AMT) et condamné à 30 ans de réclusion criminelle, fera appel de cette décision. Les trois autres condamnés pour AMT sont: Willy Prévost (13 ans de réclusion), Nezar Pastor Alwatik et Amar Ramdani (respectivement 18 ans et 20 ans, assortis d’une période de sûreté des deux tiers).

Cependant, pour sept d’entre eux, la cour d’assises n’a pas retenu la qualification terroriste. Sont ainsi condamnés pour association de malfaiteurs (ADM) : Christophe Raumel (condamné à 4 ans de prison), Michel Catino (5 ans de prison), Miguel Martinez (7 ans), Saïd Makhlouf (8 ans), Mohamed Farès (8 ans), Metin Karasular (8 ans), Abdelaziz Abbad (étant récidiviste, il est condamné à 10 ans de réclusion criminelle).

À quand la fin du déni?

Richard Malka, avocat de Charlie Hebdo, a réagi à la fin de ce procès: « C’était le procès d’une nébuleuse de personnes plus ou moins proches des terroristes, ayant fourni plus ou moins d’aide à ces terroristes. Ce que dit cette décision, c’est que sans cette nébuleuse, il n’y a pas d’attentat, sans la nébuleuse il n’y a pas de terrorisme et que toute personne qui participe à cette nébuleuse peut être sanctionnée très sévèrement. C’est nécessaire au regard de notre société et du pays et j’espère que ce message sera entendu. » Richard Malka, qui est également l’avocat de Mila, s’est par ailleurs défendu de s’attaquer à l’islam: « Ce danger est subi d’abord par les musulmans, qui en sont les principales victimes. Il faut distinguer l’islamisme qui est une dérive politique. »

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Charlie Hebdo, combien de divisions?

Sur Sud Radio ce matin[tooltips content= »Retrouvez le regard libre d’Elisabeth Lévy du lundi au vendredi à 8h15 dans la matinale de Sud Radio. « ](1)[/tooltips], Élisabeth Lévy a réagi à ce verdict – qui « a rendu vie aux victimes et permis aux survivants, aux rescapés, de partager la douleur et l’effroi » – avant de revenir sur la notion de « séparatisme ». La directrice de la rédaction de Causeur réaffirme que ce processus ne concerne pas une minorité isolée, mais reste avant tout « une conquête des esprits qui persuade de jeunes Français que les Français sont des mécréants ». Elle ajoute qu’il est difficile de distinguer islam et islamisme: « On n’est pas islamiste ou musulman. On peut être un peu des deux selon les sujets et selon les moments ».

Alors, restons-nous dans le déni?

Certes, « les lignes politiques ont bougé », mais la directrice de la rédaction de Causeur nous met en garde contre « les emballements lyriques » qui « préludent souvent aux capitulations ». Élisabeth Lévy rappelle qu’« on nomme l’ennemi, avec des noms changeants, mais on a du mal à le regarder en face » et conclut qu’ « il devient compliqué d’inviter nos concitoyens à rejoindre pleinement une culture dont nous ne savons plus ce qu’elle est ».

Causeur vous propose de visionner l’intégralité de son intervention:

Retrouvez le regard libre d’Elisabeth Lévy du lundi au vendredi à 8h15 sur Sud Radio.

Donald Trump: le punching ball des élites mondialisées rebondira

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Donald Trump en mars 2019 © Carolyn Kaster/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22308675_000001

Quand Joe Biden sera finalement confirmé Président des Etats-Unis le 20 janvier, le « trumpisme » n’en sera pas pour autant mort.


Bien que Joe Biden ait été désigné président élu par le Collège électoral des Grands électeurs lundi 14 décembre, Donald Trump semble décidé à continuer ses actions en justice dans plusieurs états-clés et à marteler que les élections ont été « truquées ». Les Républicains ont envoyé, comme en 1876, un « set » d’environ 60 Grands électeurs « parallèles » au Congrès afin que celui-ci puisse, si certaines actions sont soutenues par des juges, les certifier et élire Donald Trump président le 6 janvier lorsque le Sénat se réunira pour approuver le Collège. Stratégie sérieuse ou simple coup de théâtre ?

À lire aussi, Roland Jaccard: Citizen Trump, en quatrième vitesse

Défaite de Trump…

La seule victoire concrète et indirecte de Trump est l’accord d’un juge du Michigan de publier une enquête indépendante d’un groupe cyberspécialisé, le « Allied Security Operation Group ». Ces experts auraient découvert qu’une Dominion Voting Machine, dans le comté d’Antrim, affichait un taux d’erreur « inacceptable » de 68,05% alors que la Commission électorale fédérale n’admet qu’un taux de 0,0008%. C’est dans ce comté du Michigan qu’un recomptage à la main avait mis le doigt sur un basculement de 6.000 voix en faveur de Biden, basculement vite corrigé en faveur de Trump. Cités par le Washington Examiner, les experts prétendent avoir découvert une « erreur significative et fatale sur l’intégrité des élections » et non, comme les officiels du Michigan l’ont assuré, une « erreur humaine ». L’extrapolation de cette découverte aux milliers d’appareils de ce type utilisés dans 28 États a toutefois peu de chance d’aboutir à une décision de justice d’autant que la firme Dominion nie toute fraude.

Donald Trump a fait signer aux Émirats arabes unis, au Soudan et au Maroc, avec le concours de son gendre, Jared Kushner, des accords de paix historiques avec Israël. Il aurait reçu le prix Nobel de la Paix s’il s’était appelé Hillary Clinton. Même Joe Biden et Barack Obama l’ont salué

L’avocat de Donald Trump, Rudy Giuliani, disposerait d’un millier de témoignages sous serment alléguant des fraudes mais aucun juge n’a voulu les entendre pour le moment.

Vendredi 11 décembre, Donald Trump a subi un revers important lorsque la Cour suprême – y compris les trois juges nommés par Trump ! – a refusé d’examiner une plainte du Texas, alléguant que quatre états-clés avaient modifié les modalités du vote par correspondance de manière anti-constitutionnelle. Selon l’avocat constitutionnaliste, Alan Dershowitz, professeur émérite à Harvard, la Cour suprême a lancé un signal clair qu’elle n’interviendra pas dans le processus électoral.

Donald Trump peut encore actionner « sa » Loi de 2018 portant sur la manipulation des élections par des puissances étrangères et qui lui permet d’instituer un état d’urgence mais il est peu probable qu’il ira aussi loin. Le conspirationnisme est inhérent à l’Amérique : pendant près de trois ans (2017-2019), le procureur Mueller a enquêté, en pure perte, sur les collusions entre Donald Trump et le pouvoir russe quant à une éventuelle manipulation des élections de 2016. Les grands médias mainstream (CNN en tête) ont endossé cette théorie du complot ad nauseam, Hillary Clinton répétant qu’on lui avait « volé son élection. »

…mais non du trumpisme

Taxé de fanfaron, inepte et raciste dès le début de son mandat, Donald Trump a pourtant imprimé sa marque sur l’Amérique. Il s’est créé, dans son combat contre l’Establishment, un noyau dur de fervents supporters à travers le pays. Mais aussi d’irréductibles ennemis, les GAFAM en tête. Qu’on se souvienne de l’enquête du New York Post sur l’ordinateur portable compromettant de Hunter Biden, censurée par Twitter et qui réapparaît maintenant que l’élection est pliée.

« Milliardaire proche du peuple », Donald Trump a pour marque de fabrique d’appeler un chat un chat. Il a ainsi identifié rapidement le nouvel adversaire des États-Unis : le régime communiste chinois. Comblant peu à peu le déficit commercial de 350 milliards de dollars avec l’Empire du milieu, il a aussi mis le holà aux tentatives hégémoniques de la Chine en matière de 5G, refusant la mainmise de Huawei. Dans la continuité de Barack Obama, il s’est tourné vers le Pacifique et accepté le combat pour le leadership mondial, refusant de s’agenouiller devant l’hydre totalitaire chinoise. Même Joe Biden a d’ores et déjà averti qu’il entendait maintenir les droits de douane punitifs sur les produits chinois mis en place à partir de 2018 par son prédécesseur. Ce faisant, Trump a volontairement secoué les « pacifiques » Européens, en leur rappelant qu’il ne paierait pas indéfiniment pour leur défense à travers l’OTAN, et les a pressés d’augmenter leurs contributions financières.

Trump a retiré les États-Unis de plusieurs agences onusiennes stipendiées par l’Amérique mais qui lui sont systématiquement hostiles et il est sorti de l’Accord de Paris, constatant son inefficacité dans la lutte contre le réchauffement climatique (dont il nie d’ailleurs la dimension anthropique), choqué aussi de constater que la Chine y bénéficiait d’un statut d’exception jusqu’en 2030.

Pour celui qu’on voyait, dès son entrée en fonction, pousser sur le bouton nucléaire comme le Dr Folamour, Trump n’a, en fait, déclenché aucune guerre. Au Moyen-Orient, il a choisi, à tort ou à raison, les Sunnites (Arabie saoudite, Émirats Arabes Unis) conte les Chiites (l’Iran qui n’a pas respecté l’Accord nucléaire). Mais ce choix lui a permis de faire signer aux Émirats arabes unis, au Soudan et au Maroc, avec le concours de son gendre, Jared Kushner, des accords de paix historiques avec Israël. Il aurait reçu le prix Nobel de la Paix s’il s’était appelé Hillary Clinton. Même Joe Biden et Barack Obama l’ont salué. Il a préalablement appliqué l’« Embassy Act », à savoir le déplacement logique de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem-Ouest, capitale non-disputée des Israéliens juifs.

Du point de vue intérieur, Donald Trump a tenté, comme peu d’hommes politiques, d’appliquer son programme ou de créer les conditions pour l’appliquer, qu’on le déteste ou qu’on l’apprécie: diminution de l’immigration clandestine et construction partielle du mur à la frontière mexicaine dans une Amérique en panne d’intégration (11 à 15 millions d’illégaux, selon les sources), relocalisation industrielle aux États-Unis, moratoire pour les personnes arrivant de pays partiellement occupés par l’État islamique, création d’emplois record notamment au sein des minorités ethniques, Wall Street en hausse continue, baisses d’impôts, etc. Il a redonné une raison de vivre au petit peuple américain, raflant tout de même 73 millions de voix alors que certains sondages donnaient Biden gagnant avec une très large majorité.

À lire aussi, Jeremy Stubbs: Le trumpisme avait tout de même du bon

Entrepreneur, Trump sait, contrairement à beaucoup d’hommes politiques « professionnels », ce que c’est que créer de la valeur. Il a donc géré les États-Unis comme une entreprise. À l’abri du besoin, il n’a pas l’obligation de s’assurer une retraite. Le « Trumpisme », en rupture avec l’approche post-nationale des principaux dirigeants occidentaux, laissera probablement de profondes traces dans la sociologie étasunienne et au sein du Parti républicain. Et ce n’est pas fini : « Président bulldozer », Trump, qui martèle à ses troupes que Joe Biden a massivement triché, annonce la création d’un puissant média et son retour en 2024. Pourquoi pas ? En pleine santé après avoir attrapé le Covid, le punching-ball des élites mondialisées affiche un bilan très honorable.

Faits divers: le crime est notre affaire!

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Les Français ont une passion pour les faits divers qui les interrogent sur leur propre personnalité


« Pourquoi un tel engouement pour les faits divers ? » C’est la question que pose Guillaume de Dieuleveult dans un excellent article du Figaro en date du 27 novembre.

Le hasard de l’écoute matinale fait que dans l’émission « Grand bien vous fasse ! » d’Ali Rebeihi, le 15 décembre, le même sujet a été traité.

Il m’a semblé que ce thème était si riche, et la passion des Français pour les faits divers tellement majoritaire et consensuelle, que je pouvais me donner le droit d’aller plus avant que je ne l’avais fait déjà dans un billet du 9 février 2018 : « Sang pour cent: le crime, une passion ordinaire… »

Pourquoi, en effet, une telle dilection, partagée par toutes les classes sociales, pour le sombre de la criminalité, l’extra-ordinaire d’un comportement et d’une tragédie ou parfois, dans un registre moins lourd, l’anecdotique singulier de telle ou telle séquence de vie ?

Les faits sont divers et la curiosité à leur égard unit. Celle-ci n’est pas sordide ni vulgaire, elle ne révèle rien de malsain, elle considère avec une fascination emplie de bonne conscience les épisodes criminels, les incroyables ressources du Mal. Ce dernier ne cesse d’inventer, de sorte qu’hier sera dépassé par aujourd’hui que le futur relativisera.

A lire aussi, du même auteur: Jonathann Daval ne pouvait avouer plus que ce qu’il est parvenu à appréhender de lui-même

Il faut demeurer aux aguets puisque la nature malfaisante d’une minorité engendrera, sans se lasser, de quoi combler chez nous ce besoin paradoxal mais incontestable de notre similitude et, à la fois, de notre différence.

Comme l’a pensé la philosophe Simone Weil, certes « les démons sont en nous » mais, la plupart du temps, ils y demeurent et nos fors intérieurs échappent, pour une part, au registre le plus abject, à l’innommable porté à son comble. Si les démons nous habitent, nous ne les accueillons pas tous.

Simone Weil. SIPA, 00412865_000002
Simone Weil. SIPA, 00412865_000002

Il y a des crimes qu’on s’imagine pouvoir commettre, aux assises par exemple, j’avais remarqué combien la fausse monnaie bénéficiait d’un préjugé favorable ! Il y en a d’autres tellement étrangers à notre être, par leur singularité cruelle et littéralement inhumaine, que nous les considérons comme un spectacle affreux qui pourtant nous concerne – on le sait, on le sent, puisque leur monstruosité ne les fait pas sortir de notre condition – mais nous place en même temps dedans et dehors: ils sont de la même essence que nous mais leurs actes nous inspirent un sentiment de stupéfaction indignée se résumant dans un « ce n’est pas possible ! », euphémisme pour dire l’inexprimable d’un dégoût hors de toute mesure.

A lire aussi, Ingrid Riocreux: Johnny, Daval, Maëlys, Tarnac: fermez les tribunaux, les médias font le boulot !

Parfois – heureusement il s’agit d’une rareté – chez certains qui ne s’empêchent pas de confondre le crime avec l’homme qui l’a perpétré, surgit presque une fascination pour cette humanité qui a osé la toute-puissance, est allée au bout des extrémités les plus honteuses, les plus sordides. D’ailleurs on peut regretter à ce sujet que, sans discriminer assez, des médias prétendant informer subliment le pire et constituent en héros de misérables destinées.

Outre que les faits divers soient peut-être, mais sans mépris de ma part, un opium du peuple et pour poursuivre la métaphore marxiste, la psychologie d’un monde qui en manque, ils sont aussi la preuve éclatante que les démons sont partout, que nous avons à leur résister ; la liberté n’est pas de les laisser vivre mais de les tuer avant que lâchés ils tuent.

Mon expérience m’a souvent démontré que le crime peut être, pour un homme, le moyen d’administrer par le pire une situation qui le dépasse. La réflexion sur les faits divers, une pédagogie pour les coupables et les innocents.

Touche pas à mon porc!

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Au village des Aldudes, Pierre Oteiza a sauvé de l'extinction le merveilleux porc, reconnaissable à sa tête et à son derrière noirs. Un vrai porc de montagne élevé en plein air et nourri aux châtaignes, aux glands et aux fruits © Gaizka Iroz/AFP

La France ne serait pas la France sans sa charcuterie. Déjà dévoyée par l’industrialisation agricole, la cochonnaille suscite le rejet—parfois violent—de consommateurs musulmans. Heureusement, une bande héroïque d’éleveurs et de charcutiers mène la résistance.


Il y a quelque temps, la revue locale Le Mensuel de Rennes rapportait cette anecdote, que m’a confirmée le grand journaliste et ami Éric Conan, parti profiter de sa retraite bien méritée dans sa Bretagne natale : dans le quartier de Rennes Le Blosne-Italie, situé au sud de la ville, un malheureux Breton qui tenait une crêperie proposant la spécialité locale des galettes à la saucisse a été menacé de mort et sa vitrine taguée ou brisée avec des slogans « cochonophobes » du type « à mort les porcs, on vous saignera ». Il a donc été obligé de vendre sa boutique qui a immédiatement été remplacée par une boucherie hallal. Selon Conan, la municipalité de Rennes, qui du reste a été la première de France à accepter avec empressement le burkini dans ses piscines municipales, n’a évidemment rien fait pour aider ce pauvre artisan… Pire, en matière de soumission, et toujours à Rennes, le chef breton Loïc Pasco n’a pas trouvé mieux, dans la foulée, que de se distinguer en proposant de relever le « défi » (lancé par qui ?) avec une recette de galette sans porc (il a mis une saucisse de veau à la place, pourtant bien moins goûteuse), destinée au service de livraison de plats cuisinés Uber Eats. La genèse de ce type d’affaires, de plus en plus fréquentes sur tout notre territoire (il suffit de tendre l’oreille), est bien décrite dans le livre de poche Histoire de l’islamisation française : quarante ans de soumission (L’Artilleur, 2020).

La charcuterie : une invention française

Sans invoquer Charles Martel et Jeanne d’Arc ni chanter La Marseillaise, rappelons que le porc constitue 99 % de notre charcuterie, qui est une invention française remontant au Moyen Âge (1475), le mot charcutier désignant à l’origine celui qui cuit la chair, en l’occurrence, la viande de porc… Pour notre pape de la charcuterie Joël Mauvigney, meilleur ouvrier de France et président de la Confédération nationale des charcutiers traiteurs (CNCT) – dont la boutique située depuis 1963 à Mérignac, près de Bordeaux, se visite comme une vraie bijouterie, avec ses somptueux fromages de tête et autres pâtés en croûte maison –, « la charcuterie française est unique au monde, il n’y a pas l’équivalent ailleurs, c’est une composante de notre identité culturelle et gastronomique ». Pourquoi donc ceux qui n’aiment pas le saucisson nous obligeraient-ils à ne plus en manger ?

©Wiaz
©Wiaz

En réalité, on ne hait que ce qui nous ressemble : apparu en Asie au début de l’ère tertiaire, juste après la disparition des dinosaures (il y a 66 millions d’années), et domestiqué depuis le Néolithique (9000 ans avant J.-C.), le porc est l’animal le plus proche de l’être humain, puisqu’il possède 95 % de nos gènes ! En médecine et en chirurgie, on utilise d’ailleurs son insuline et même sa valve cardiaque pour faire des greffes. Sur le plan anatomique, Léonard de Vinci l’avait bien constaté : quand on ouvre un porc, ses organes intérieurs sont disposés exactement comme les nôtres…

Le cochon fustigé et célébré à travers le monde

Réputé goinfre, avide, sale, méchant et lubrique par à peu près toutes les religions du monde, ce pauvre animal, pourtant ultra sensible et intelligent, mérite d’être réhabilité ! Dans la mythologie grecque, il est associé à Déméter, la déesse de la fertilité. Chez les Égyptiens, Nout, la déesse du ciel et mère éternelle des astres, est figurée sous les traits d’une truie allaitant sa portée. En Chine et au Vietnam, le cochon est le symbole de l’abondance et de la fécondité. Mais le plus bel hommage jamais rendu au porc est un poème sublime que Paul Claudel écrivit en 1895, dans Connaissance de l’Est et qu’il faudrait obligatoirement faire lire à tous les élèves de France dès le CP. Claudel, quand il arrive en Chine, après avoir renoncé à devenir moine, est subjugué par ce pays « vertigineux, inextricable où la vie n’a pas été atteinte par ce mal moderne : l’esprit qui se considère lui-même et s’enseigne ses propres rêveries. […]. Ici, au contraire, tout est naturel et normal. » Le spectacle des porcs se promenant en liberté au milieu du tohu-bohu des chaises à porteurs le fascine et lui inspire ce texte plein de tendresse, qui nous montre en passant qu’il y avait bien en Claudel un porc qui sommeille (comme il l’avouera plus tard dans sa correspondance avec Jacques Rivière). Que l’on me permette donc d’en citer un extrait, car, pour le porc, avoir un Claudel comme avocat, c’est quand tout de même énorme :

« Je peindrai ici l’image du Porc. C’est une bête solide et tout d’une pièce ; sans jointure et sans cou, ça fonce en avant comme un soc. Cahotant sur ses quatre jambons trapus, c’est une trompe en marche qui quête, et toute odeur qu’il sent, y appliquant son corps de pompe, il l’ingurgite. Que s’il a trouvé le trou qu’il faut, il s’y vautre avec énormité. Ce n’est pas le frétillement du canard qui entre dans l’eau, ce n’est point l’allégresse sociable du chien ; c’est une jouissance profonde, solitaire, consciente, intégrale. Il renifle, il sirote, il déguste, et l’on ne sait trop s’il boit ou s’il mange ; […] il grogne, il jouit jusque dans le recès de sa triperie, il cligne de l’œil. […] Gourmand, paillard ! […] Je n’omets pas que le sang du cochon sert à fixer l’or. »

Tout est bon dans le cochon !

La viande de cochon est moelleuse et subtile, avec des saveurs douces, tendres et fondantes, qui changent selon qu’on la fasse cuire en potée ou en ragoût, qu’elle soit rôtie, grillée, poêlée ou encore sautée, qu’on la serve chaude ou froide. Miel et gingembre, épices et piment d’Espelette la relèvent merveilleusement. Joël Mauvigney nous le confirme, « dans le cochon, tout est bon, sauf peut-être les ongles et les dents… Les oreilles elles-mêmes peuvent être délicieuses, si on les fourre au foie gras. »

Il faut au moins quatre ans de formation pour devenir charcutier

À la tête du Ceproc (Centre d’excellence des professions culinaires), basé à La Villette depuis cinquante ans, Joël Mauvigney s’attache à transmettre sa passion de la charcuterie française à plus de 3 000 apprentis (dont beaucoup sont en phase de reconversion après avoir exercé un autre métier, preuve que la charcuterie est loin d’être morte !). « En France, il y a 6 500 entreprises. Il faut au moins quatre ans de formation pour devenir charcutier. La première chose est de bien connaître les cochons et leur morphologie, pour cela, il faut aller chez les éleveurs et les paysans, observer les animaux et vivre avec. Le cochon doit être élevé en plein air pendant au moins douze mois. Il doit alors peser entre 140 et 200 kilos. En achetant un cochon fermier, nous savons exactement d’où il vient, où il a été élevé, comment il a été nourri et traité. » Joël Mauvigney ne fait pas dans la nostalgie, il ne regrette pas le temps où les cochons étaient abattus à la ferme par le paysan : « C’était terrible ! Dans les abattoirs modernes, au moins, il est endormi avant d’être tué. »

Le charcutier est un intellectuel, on peut le comparer à un chirurgien : il réfléchit avant d’agir. Il connaît par cœur les 450 préparations différentes qui sont recensées dans notre bible. Il sait découper un cochon, et trier tous ses morceaux, un par un. Il sait préparer une sauce et cuire avec précision au degré près. C’est un esthète qui aime mettre en valeur la beauté des produits, les charcuteries d’aujourd’hui sont des bijouteries. « Nous avons été les premiers à respecter les normes d’hygiène les plus élémentaires, en créant des laboratoires d’une propreté absolue. »

Pour ce sage, la préparation du jambon blanc est un incontournable, raison pour laquelle il regrette que seulement 85 % des charcutiers le préparent eux-mêmes, les 15 % restant s’approvisionnant auprès des industriels, ce qui est un scandale. « Un vrai jambon blanc, c’est ce qui permet de juger la compétence d’un charcutier. Il doit être d’un beau rose pâle, moelleux, mais avec des tranches un peu sèches, surtout pas humides et brillantes, ce qui prouve la présence de conservateurs, de gélifiants et d’émulsifiants multiples. » À Paris, on conseillera ainsi la maison Doumbéa, rue de Charonne, qui fabrique le dernier vrai jambon de Paris traditionnel, choisi par des chefs comme Alain Ducasse et Yannick Alléno, et par le boucher Hugo Desnoyer (www.jambondeparis.com).

En France, il y a 50 recettes différentes de boudin noir, selon les régions : c’est un patrimoine unique au monde. 99 % des Français consomment pas loin de 35 kg de cochon par an et affirment ne pas pouvoir renoncer à la charcuterie, qui est pour eux un hymne à la convivialité et au partage. Alors, pourquoi ne dit-on rien quand un malheureux Breton se voit interdit par les barbus de faire des galettes à la saucisse ?

Le poids des porcheries industrielles

Tout cela est bien beau. Mais la réhabilitation du cochon et de tous les métiers qui dépendent de lui passe tout de même par une mise au point : de quel cochon parle-t-on ? En 2000, Le Canard enchaîné publiait un dossier qui, hélas, n’a pas pris une ride : 98 % des porcs français sortent d’une usine… Comme le disait le Canard, « vu les médicaments qu’il avale, le cochon industriel devrait être remboursé par la Sécurité sociale ».

Les premières porcheries industrielles sont apparues au Danemark dans les années 1950, sur le modèle américain, avant d’être copiées partout dans le monde. Qu’on soit donc en Bretagne, en Hollande, ou dans l’Illinois, c’est le même processus. Les races pures locales et anciennes de cochon (cul noir du Limousin, porc gascon, pie noir du Pays basque, porc de Bayeux, porc blanc de l’Ouest, porc nustrale de Corse…) ont été remplacées par des hybrides mis au point par les généticiens, comme le Large White (« larjouit » comme on dit dans les campagnes), un cochon taillé pour l’industrie. Les mères procréent deux fois plus par portée (15 porcelets programmés pour engraisser plus vite et pas cher). À six mois, ils sont prêts pour l’abattoir. Le paradoxe est qu’en grossissant plus, les cochons ont perdu leur graisse (notamment au niveau du lard dorsal qui est la matière noble des fabricants de saucisson sec). Et ne parlons pas du goût qui a totalement disparu ! De quoi donner presque raison aux barbus, non ?

Réhabiliter le porc bien de chez nous, c’est donc défendre la poignée d’éleveurs qui travaillent à l’ancienne, comme Pierre Oteiza qui, en 1989, a sauvé de l’extinction le vrai porc basque élevé en montagne et nourri aux châtaignes, dans les Aldudes, non loin de Biarritz (on compte aujourd’hui 70 éleveurs et 3 000 porcs). Son jambon est plus savoureux que celui de Parme ! On peut aussi citer Pierre Matayron, qui élève de somptueux porcs noir de Bigorre dans le Gers, ou la ferme de Pouloupry, dans les Côtes-d’Armor, où, sur 32 hectares de landes, Antoine Raoul a redonné vie au porc de race Berkshire à robe noire, la plus ancienne race anglaise – Shakespeare en consommait tous les matins pour son breakfast. Des artisans passionnés !

Les restaurants étant fermés jusqu’à nouvel ordre et pour ainsi dire condamnés à mort par un gouvernement qui rêve de nous maintenir en bonne santé en nous conduisant à la pauvreté (qui est la pire des maladies !), il ne nous reste plus qu’à rendre visite aux plus belles charcuteries de France.

En voici quelques-unes :

David Davaine, place du Marché aux poissons, 59500 Douai

Pascal Joly, 89, rue Cambronne 75015 Paris

Maison Dumont, 28, rue de Nemours 35000 Rennes

Pierrick Bougerolle, 42, rue du Marché, 21210 Saulieu

Georges Reynon, 13, rue des Archers 69002 Lyon

Cyrill Strub, 2, rue Pierre-Marie, 57560 Abreschviller

Coralie Delaume, souveraine de sa vie

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Image: capture d'écran YouTube.

Souveraine et souverainiste.


Coralie Delaume est partie hier matin. Elle s’est éclipsée de ce monde qu’elle observait et analysait avec acuité discrètement, sur la pointe des pieds, comme si elle avait peur de déranger en partant si vite. Une politesse qui la caractérisait.

Au mois de janvier, elle apprenait l’existence de son cancer. Une lutte supplémentaire pour cette infatigable combattante, ancien officier de l’armée de terre qui se battait pour ses idées, pour la France et sa souveraineté, prête à engager la lutte à coups d’entraînement rigoureux : un travail exigeant, des connaissances précises qu’elle aiguisait et revisitait sans cesse, des lectures acharnées, un humour ciselé et surtout une indéfectible capacité à s’insurger.

Coralie était une indignée, une vraie, pas une rebelle de salon ou d’opérette qui braille à l’injustice et donne des leçons en vivant sur ses acquis, mais une femme engagée pour la souveraineté, celle du peuple, la seule légitime à ses yeux, pour l’indépendance de la France, pour la défense de sa culture, de son histoire, de son économie et du bien-être de sa population. Ces convictions ont nourri son combat : expliquer les rouages de l’Union Européenne et comment cette institution, froide et bureaucratique, détruit les nations.
Il fallait oser, par conviction, sortir d’un confort professionnel pour devenir blogueuse, puis auteur, puis contribuer par son travail à expliquer l’impasse dans laquelle nous mène l’Europe politique et les rapports que l’Allemagne et la France entretiennent au détriment de cette dernière.

Il ne suffit pas de se proclamer souverainiste pour l’être. Il faut avoir ça dans les tripes et dans la tête. Savoir le sentir et l’intellectualiser. Coralie le faisait si bien que son travail pouvait intéresser aussi bien sa famille politique (c’était une femme de gauche qui détestait les étiquettes) que ceux qui souhaitaient plus simplement s’informer sur l’histoire et les institutions européennes.

Ses analyses, elle les livrait dans les colloques, sur le net, en se forçant un peu d’ailleurs car elle estimait que son travail n’était jamais vraiment achevé, et dans ses livres qu’il nous appartient de lire ou relire tant on s’aperçoit, avec le recul, qu’ils collent à l’actualité : Europe, les États désunis ou Le couple franco-allemand n’existe pas publiés aux éditions Michalon.

C’était aussi une femme de terrain. Les convictions emmènent sur tous les fronts et elle avait lutté avec acharnement contre la privatisation d’ADP en lançant avec David Cayla une pétition qu’elle prenait le temps d’expliquer dans un tour de France, ordinateur en mains pour encourager les signatures. 

Il y a quelques semaines, elle était encore en ébullition, des projets plein la tête, des choses à lire, à digérer, à comprendre afin de les analyser pour informer, décrypter. Le nombre de lectures indigestes que Coralie a pu se « farcir » afin de nous les rendre intelligibles… Des essais interminables, des communiqués de la BCE, des directives alambiquées… Faites un tour dans « la littérature » des commissions européennes et vous allez vite comprendre votre douleur ! Dégager du sens dans le marasme et en dénoncer l’absurdité, c’est une démarche d’aventurier. Coralie était une aventurière : plusieurs métiers, plusieurs passions, mais une fidélité à ses idées et à ses amis intègre.

Au moment où les médecins ne cachaient plus leur pessimisme, elle continuait de bâtir des projets, d’écrire, d’entamer des lectures pour le travail ou le plaisir. Car le plaisir faisait aussi partie de la vie de Coralie qu’on présente toujours avec le sérieux qui s’impose – et qu’elle s’imposait – mais qui n’oubliait jamais de trinquer à la vie, une vie qui ne se réduit pas à soi-même mais qui est marquée par le devoir d’être et d’exister :« Je vais faire comme la petite chèvre de monsieur Seguin. Je vais me bagarrer toute la nuit et à l’aurore, le loup me mangera. De toute façon, tôt ou tard, le loup nous mange tous » avait-elle écrit pour rassurer ceux qui s’inquiétaient pour elle.

Coralie, par excès d’exigence et humilité, avait toujours l’impression de ne pas être vraiment à sa place. Là, je te le dis Coralie, tu n’es vraiment pas à ta place, pas maintenant. Le loup est venu trop tôt. Mais tu lui as aussi joué un tour à ta façon, avoue-le… Il n’a pas tout emporté, il reste ce que tu as semé avec détermination et patience, tes idées, tes livres, tes échanges, ce que tu as su faire naître autour de toi, par un sourire, par un échange. Là aussi est le secret de l’immortalité: être souverain de sa vie.

Il faut avec urgence relire les ouvrages de Coralie Delaume pour éclairer notre perception de l’Europe.

Il faut sans doute compiler la somme de travail qui n’a pas encore été édité.

Il faut faire tant de choses et parfois les faire vite car les existences fauchées si jeunes doivent nous apprendre à combattre sans relâche pour nous aussi pouvoir gruger le loup.