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Sâdeq Hedâyat: cauchemar persan

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« Le Kafka iranien », nous dit la presse. Avec ces deux mots, l’imagination du lecteur est titillée : angoisse, noirceur, confusion, exotisme, orientalisme… Une bonne technique de vente, peut-être, mais une comparaison ô combien insuffisante pour décrire le monde uniquement glauque et hypnotisant de Sâdeq Hedâyat.

La Chouette aveugle (1936) fut l’un des premiers romans iraniens, la littérature persane étant, jusqu’alors, dominée par la poésie, sa tradition ancestrale. Un livre, deux nouveautés : l’une à l’échelle nationale, dans le genre, et l’autre, aux quatre coins du globe, en tant que pionnier du modernisme. Et bien qu’André Breton le citât comme une influence majeure sur le surréalisme, la vie de son auteur, elle, fut une tragédie absurdiste.

Repêché dans la Marne

Né dans l’aristocratie iranienne à Téhéran, en 1903, Sâdeq Hedâyat grandit avec un père haut-placé au gouvernement, ainsi qu’une sœur ayant épousé un général des armées, et une autre, l’un des premiers ministres du Chah. Autant dire que son ascension vers les plus hautes strates du pouvoir était non seulement tracée, mais attendue. L’on crut bon de l’inscrire au collège Saint-Louis de Téhéran, puis de l’envoyer en Belgique et à Paris, dans l’espoir que le mâle de la lignée y acquière un goût pour la diplomatie, et, pour la forme, un diplôme d’architecture.

Or, ce qu’il y trouva, c’est d’abord un profond désespoir, un état de marginal, et l’opium – mais aussi, une passion pour la littérature européenne. Maupassant, Rilke, Hesse, Tchékhov, et, bien sûr, Kafka, berceront ou hanteront ses jours, à mesure que sa présence aux cours se faisait plus rare. En 1927, jugeant la société comme absurde, et sa vie comme dépourvue de sens, il se jeta dans la Marne, ce qui eût mis fin à notre histoire si les quelques pêcheurs des environs ne l’avaient pas attrapé avec leur prochaine grillade.

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De retour en Iran, Hedâyat végéta quelques années dans des postes bureaucratiques, publiant en parallèle des nouvelles à faible tirage. Il fréquenta tantôt des cercles communistes, tantôt des cercles ésotérico-politiques, dans un contexte de nationalisme axé sur le Zoroastrisme et la culture persane préislamique, avant de se replier dans son écriture, et dans un mal-être toujours plus étouffant. Mais le moment charnière de son écriture survint au cours d’un long séjour en Inde, en 1936-37. Fasciné par cette culture ancienne qu’il jugeait authentique et pleine de sagesse, à l’opposé de son Iran occidentalisé, il puisa l’inspiration pour plusieurs nouvelles, riches en folklore et en mysticisme, et surtout, pour son roman-phare. Or, la parution de La Chouette aveugle ne lui valut que le mépris et le scandale dans son pays natal. Entretemps, son opiomanie s’intensifia, et, consumé par la désillusion et l’absurde, il retourna à Paris, et se suicida dans son appartement rue Championnet, en 1951, laissant une œuvre trop tardivement redécouverte.

Les meilleures lectures sont celles où l’on en sait le moins possible sur ce qui nous attend. Mais, chronique littéraire oblige, la plume s’efforcera de conjuguer, d’une part, son appréciation pour l’originalité, les thèmes et le style du roman, et de l’autre, une certaine retenue. Car, à l’image d’une chouette, il ne faut pas trop éclairer ce livre, au risque qu’il s’envole.

Psychose et digressions noires

La Chouette aveugle est composée de deux parties. Dans la première, plus courte, nous assisons à une scène cauchemardesque, racontée du point de vue d’un narrateur en pleine psychose. Ouvrant avec un événement invraisemblable, les pages se tournent et s’enfoncent dans un glauque toujours plus suffocant. Même le lecteur le plus clairvoyant ne saurait prévoir ce qui l’attend plus loin, car il est retenu prisonnier par un narrateur instable. Est-ce une pure rêverie ? Des hallucinations dans le monde réel ? Ou des visions concrètes ? Mystère… Bien entendu, il s’agit là d’un élément fondateur du surréalisme employé si souvent par la cohorte européenne – Buñuel, Dalí, Breton, Magritte… – sauf que chez Hedâyat, l’incertitude se mêle à une horreur et à une violence particulièrement crues, mais non moins captivantes. Plusieurs symboles et personnages reparaissent au fil de cette section, sans que le lecteur puisse en comprendre le sens, mais leurs récurrences ne font qu’attiser son envie de les déchiffrer.

La « résolution » de cette scène clôture la première partie, et ouvre la seconde. Celle-ci, plus longue, est écrite sous forme du cahier du narrateur qui, l’instant d’après, est saisi par l’urgence de coucher sa vie sur le papier, et de cracher le venin qui le ronge.

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Peu à peu, il détaille sa vie d’extrême misère et de solitude, la torture psychologique infligée par ses proches, ses délires sous opium, son désir de mort et ses obsessions diverses, entremêlés de digressions noires. Un récit non-linéaire dont la lecture intrigue et déroute. Cependant, plus on avance dans cette section, mieux l’on comprend les événements et symbolismes de la première partie. Un puzzle morbide, assemblé en sautant d’un coin à l’autre. C’est à la dernière page que nous comprenons tout, et que nous voyons enfin, dans sa totalité, l’horreur pressentie depuis le début.

Le passage d’un narrateur à la première personne à sa propre écriture manuscrite signale un changement de ton et de style, permettant à l’auteur de déployer sa palette. En effet, dans la première partie, nous lisons les pensées internes du personnage, des pensées confuses, nerveuses, certes, mais exprimées, pour ainsi dire, avec fluidité ; tandis que dans la seconde, l’on sent les tremblements de sa main sur le papier, la difficulté qu’il éprouve pour trouver les mots justes, et en même temps, la catharsis dans ses aveux-fleuve.

Cette impression est largement due à l’usage de la ponctuation. Bien plus qu’un simple outil, elle représente, dans un texte, musique ou dissonance, respiration ou asphyxie. Justement, Hedâyat emploie très peu de points ou de phrases complètes, préférant le tiret pour entrecouper des événements de pensées, des souvenirs de sensations, et le passé du présent, de cauchemars, de folie… L’usage de la répétition, aussi : certaines formulations et expressions reparaissent constamment, mais toujours dans des contextes différents, de façon à créer un mélange fascinant d’imprévu et de déjà-vu.

Qui eût cru que les toussotements d’un esprit tuberculeux pouvaient contenir autant de poésie ? Et qu’en regardant jusqu’au fond d’un homme aussi singulier, l’on pourrait reconnaître, même de loin, ses propres noirceurs ?

Finalement, malgré leurs différences, Hedâyat resta fidèle au mot de Kafka : « La littérature est la hache qui brise en nous la mer gelée. »

Christophe Gleizes, victime collatérale de la guerre froide franco-algérienne

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Christophe Gleizes, journaliste sportif français collaborant avec So Foot et Society, a été condamné le 29 juin 2025 par un tribunal de Tizi Ouzou en Algérie à sept ans de prison ferme pour « apologie du terrorisme » et « possession de publications à visée de propagande », après un an de contrôle judiciaire. Le journaliste était au mauvais endroit et au mauvais moment, révèle notre chroniqueur, qui déplore par ailleurs que la propagande outrancière du régime bénéficie jusqu’au soutien de certains de nos députés.


Dans l’ombre de Boualem Sansal, un journaliste sportif de So Foot et Society était assigné à résidence à Tizi Ouzou depuis le 28 mai 2024. Christophe Gleizes est désormais condamné à sept ans de réclusion criminelle avec mandat de dépôt pour « apologie du terrorisme » et « possession de publications dans un but de propagande nuisant à l’intérêt national ».

Si notre compatriote reporter a fait appel du jugement lundi 30 juin, les tensions actuelles entre Paris et Alger laissent malheureusement peu d’espoir de trouver rapidement une issue positive et négociée.

Le mouvement du Hirak a laissé des traces

Otage du régime algérien, comme Cécile Kohler et Jacques Pâris le sont de la République islamique d’Iran, Christophe Gleizes est une victime collatérale de la dérive d’un pays aux abois depuis la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara au mitan de l’année 2024. Depuis lors, l’Algérie et la France se livrent une guerre froide intense, le pays dirigé par Abdelmadjid Tebboune multipliant les provocations et les actes hostiles. Des relations qualifiées de « polaires » par Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur qui doit faire face aux refus constants d’Alger de récupérer ses ressortissants expulsés et à l’utilisation de citoyens français placés au cachot dans l’idée de servir de leviers de chantage sur Paris.

Ce sont là les méthodes d’un Etat voyou, sorte de guerre diplomatique asymétrique qui fait fi du droit comme de la morale. Que reproche d’ailleurs Alger à Christophe Gleizes ? La justice l’accuse d’avoir eu « des contacts, en 2015 et 2017, avec le responsable du club de football de la JSK par ailleurs responsable du Mouvement pour l’autodétermination de la kabylie (MAK), classé organisation terroriste par les autorités algériennes en 2021 ». Depuis le mouvement du Hirak, qui s’est étalé entre 2019 et 2021, l’Algérie craint que sa jeunesse ne puisse un jour se rebeller. L’enjeu de la Kabylie, qui connait un mouvement autonomiste vif et démocratique mais fournit aussi au régime ses généraux les plus puissants, est ainsi devenu avec le temps une cause fédératrice dans un pays craignant plus que tout la division.

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De fait, le mouvement du Hirak, spontané et parti de la rue, a réveillé au cœur des élites algérienne la peur de la cauchemardesque décennie noire. Le régime a donc accusé tous les participants à cette série de manifestations pacifiques de projets séditieux ou islamistes. Les opposants en exil décrivent tous un système politique en proie à la crainte, dont le caractère obsidional se renforce constamment. Alger réclame d’ailleurs depuis longtemps à la France de récupérer ses opposants en exil. Ainsi d’Amir DZ[1] qui a subi une tentative de rapt en avril 2024 en région parisienne, visé par neuf mandats internationaux, ou encore, de divers membres du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie.

Parfois instrumentalisés par des services secrets du régime pour diffuser des informations gênantes, ces opposants et influenceurs sont aussi visés comme étant des « agents du Makhzen » ou des « protégés de la France » dans une opinion chauffée à blanc par une propagande grossière mais efficace.

Christophe Gleizes : victime collatérale d’un dossier qui le dépasse

Christophe Gleizes n’a rien de commun avec ces profils. Il n’était qu’un journaliste lambda, passionné par le football africain, en reportage de terrain. Il a été arrêté au plus fort de la première crise diplomatique de la France avec l’Algérie, pile au moment où la France reconnaissait la souveraineté marocaine sur le Sahara. Là au mauvais endroit et au moment, le journaliste aura pu juger du « sens de l’accueil » de l’Algérie que le député Sébastien Delogu vantait encore sur Algérie 2 cette semaine.

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« De l’autre côté de la méditerranée quand vous écoutez les médias, vous avez l’impression que c’est l’Algérie qui est coupable de tout. Mais quand vous arrivez ici, vous apprenez à découvrir un peuple qui vous accueille d’une manière que je n’ai jamais vue. Tout le monde est gentil. Tout le monde sourit. Tout le monde prend soin de moi », a ainsi affirmé l’insoumis marseillais en visite façon village Potemkine d’autrefois. Pourtant, Christophe Gleizes était un journaliste plutôt marqué à gauche, participant à des émissions du Média des insoumis et même à des conférences sur la pensée dite « décoloniale ». Pas de quoi, malheureusement, lui offrir le soutien de La France Insoumise qui n’a pas parlé une seule fois de son cas durant l’année écoulée.

Si prompts à se lever pour dénoncer l’arbitraire partout dans le monde, les élus de cette formation politique semblent toujours étrangement silencieux quand il s’agit d’un pays que Rima Hassan qualifiait il y a quelques mois de « Mecque des révolutionnaires ». Quand bien même feront-ils mollement la demande aux autorités algériennes de libérer Christophe Gleizes dans les prochaines heures ou les prochains jours, les insoumis resteront pour l’histoire les complices d’un pays désormais hostile qui n’en finit plus de dériver, n’hésitant plus à utiliser des méthodes coercitives dignes de l’Iran et de la Russie, réprimant ses opposants et détruisant toute sa société civile.

Il n’est désormais plus possible à des journalistes d’y faire leur métier sans risquer d’être arrêtés et utilisés comme monnaie d’échange. Qu’attendons-nous donc pour agir ?


[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Amir_DZ

Ultra fast-fashion: fin du game?

À Dijon, l’ouverture du magasin éphémère de la marque chinoise Shein a provoqué un tollé plus brûlant encore qu’un pot de moutarde oublié au soleil… Les lobbyistes de la marque, comme Christophe Castaner, assurent « défendre la mode pour tous ».


Nous sommes le 26 juin et il y a énormément de monde dans cette petite rue commerçante du centre-ville de Dijon. Cela m’intrigue. Les Dijonnais auraient-ils un regain d’intérêt pour les soldes d’été débutés la veille ?

J’apprends hélas, quelques minutes plus tard, que ce qui déplace les foules ce matin de juin n’est autre que l’ouverture du pop-up store du géant chinois Shein qui continue de déployer son concept de magasin éphémère dans les centres-villes des métropoles françaises. Après Paris en 2023, Marseille fin 2024, c’est donc dans la capitale bourguignonne que Shein vient de poser ses valises. L’entreprise n’y restera qu’une dizaine de jours mais sa présence suffit à déclencher une virulente polémique.

La moutarde nous monte au nez

Une association locale de consommateurs (CLCV 21) dénonce dans un communiqué de presse un modèle économique « incompatible avec les enjeux actuels de consommation responsable, de respects des droits humains et de préservation de l’environnement ». La vitrine a été vandalisée avant même l’ouverture du magasin et les médias locaux se pressent pour recueillir avis et témoignages, qu’ils émanent d’adeptes ou bien de détracteurs. En tant que commerçante, je préfère éviter de condamner trop rapidement un phénomène capable de générer du trafic en centre-ville et donc du potentiel flux dans les commerces même si, pour ma part, j’ai toujours détesté ces produits à bas coût et de piètre qualité. Après tout, les Français sont libres de dépenser leur argent comme ils l’entendent pourvu que le cadre légal soit respecté. Malheureusement, c’est précisément là que le bât blesse.

Quentin Ruffat, porte-parole de Shein France, répondant à ses détracteurs dijonnais, a déclaré que « le problème avec la morale, c’est que c’est toujours celle des autres ». Mais est-ce vraiment la morale qui est en cause ? Le 29 avril dernier, la ministre chargée des Comptes publics Amélie de Montchalin, a dévoilé des chiffres alarmants : 94 % des produits contrôlés en provenance des plateformes chinoises Shein et Temu ne sont pas conformes aux normes françaises. 66 % d’entre eux seraient même dangereux pour les consommateurs. Est-ce une question de morale ou bien de santé publique ? En tout cas, il ne fait aucun doute que si un commerçant français proposait à la vente de tels articles, la répression des fraudes aurait tôt fait de le sanctionner, à juste titre, d’une fermeture administrative à effet immédiat.

Dans une enquête publiée en mai 2025[1], la commission européenne pointe également du doigt les pratiques frauduleuses de l’enseigne : faux rabais et informations mensongères. Ce travail fait écho à celui de Bercy qui, un mois plus tôt, dévoilait un plan d’action[2] visant à lutter contre la concurrence déloyale du e-commerce international et plus particulièrement des plateformes chinoises. Le 10 juin, le Sénat adopte une loi pour tenter de freiner leur essor en proposant notamment une taxe supplémentaire sur certains produits importés à fort impact environnemental et une interdiction de publicité.

Le roi du commerce

Comment une entreprise affichant un tel palmarès dans la controverse et l’illégalité peut-elle, en toute impunité, ouvrir un pas-de-porte, fût-il éphémère, en France ? Malheureusement, dans une actualité économique mondiale toujours plus rapide, la lenteur de la législation et de la bureaucratie, française ou européenne, rend celles-ci quasiment impuissantes. Depuis 2023, la Commission européenne envisage de supprimer l’exemption de droits de douane pour les petits colis d’une valeur inférieure à 150 € expédiés depuis un pays tiers directement chez le consommateur. Cela concerne tout de même 1,5 milliard de colis expédiés depuis la Chine vers la France l’an passé. Ce cadeau fiscal complètement injustifié, sur lequel repose une grande partie de l’avantage concurrentiel de Shein, était également en vigueur aux États-Unis mais a été supprimé par Donald Trump en l’espace de quelques minutes, le temps pour lui de signer un décret à ce sujet. En Europe, leur suppression ne devrait être effective qu’en 2028 alors qu’il devient d’autant plus urgent d’agir et que Shein et Temu, privés du marché américain, concentrent désormais leurs budgets publicitaires sur l’Europe. Ceux-ci ont déjà augmenté de plus de 30 % en France depuis le mois de mai.

À quoi sert de mettre en place tout un arsenal législatif pour combattre un modèle économique qui risque fort d’être déjà obsolète quand celui-ci sera enfin effectif ? En effet, dans le monde du e-commerce mondial, une nouvelle machine de guerre est en train d’émerger. Déjà surnommé le« social shopping », ce nouveau modèle économique, incarné notamment par Tik Tok Shop, donne la possibilité aux consommateurs de faire des achats sans même quitter l’application d’un réseau social.

Oui, l’ultra fast-fashion est peut-être déjà en déclin et son modèle économique aussi éphémère et jetable que les articles qu’elle propose. Cela n’empêche pas les plateformes chinoises de gagner du temps en défendant coûte que coûte leurs intérêts, notamment par le biais d’un lobbying puissant. Début 2025, Shein se paye notamment les services de Christophe Castaner, ancien ministre de l’Intérieur d’Emmanuel Macron et ancien député socialiste, qu’elle nomme responsable RSE et dont le discours bien rodé consiste à brandir le pouvoir d’achat en berne des Français pour légitimer l’existence de l’ultra fast-fashion, prétendant « défendre la mode pour tous ». En réalité, il s’agit d’une contre-vérité. Le modèle économique de l’ultra fast-fashion participe à la destruction d’emplois et du savoir-faire textile et donc à l’appauvrissement de la France. Le commerce français n’a, quant à lui, aucun moyen de lutter contre une entreprise qui, contrairement à lui, n’est pas écrasée par des taxes, normes et réglementations qu’elle contourne aisément.

Si les entreprises comme Shein ne sont évidemment pas les seules responsables des difficultés de l’industrie textile et du commerce en France, il est en revanche évident qu’elles donnent un coup de grâce à un secteur déjà grandement fragilisé. Shein est devenue l’enseigne de mode où les Français ont le plus dépensé en 2024[3] avec notamment un bond de 58 % entre 2023 et 2024. Contrairement à ce que prétend M. Castaner, il existe en réalité d’autres moyens de « démocratiser la mode ». Les enseignes de mode à petit prix existent en France depuis des décennies. La qualité ou l’impact environnemental de leurs articles de mode ne sont peut-être pas meilleurs que ceux des articles vendus sur les plateformes chinoises mais, contrairement à Shein, ces enseignes créent des emplois durables et s’acquittent de leurs impôts. Elles contribuent ainsi à la prospérité économique de notre pays et au financement de son modèle social. Il s’agit de ne pas mélanger les torchons et les serviettes, fussent-ils produits dans les mêmes usines chinoises.

Finalement, que reste-t-il de la morale lorsqu’une entreprise crée de la pauvreté en prétendant la combattre ?


[1]              https://www.economie.gouv.fr/actualites/shein-une-action-europeenne-engagee-contre-la-plateforme-de-e-commerce#

[2]              https://www.economie.gouv.fr/actualites/un-plan-daction-pour-la-regulation-et-la-securite-du-e-commerce

[3]              https://fashionunited.fr/actualite/mode/en-2024-shein-devient-lenseigne-de-mode-ou-les-francais-ont-le-plus-depense-etude/2025012837072

«Portrait de famille» par Jean-François Sivadier: odyssée théâtrale ou peinture du siècle ?

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Le Théâtre du rond-point convie le Paris ennuyé à faire un tour aux Champs-Élysées pour trois heures trente d’oppressante bigarrure entre la grandeur de l’histoire et la petitesse des hommes. Jean-François Sivadier propose une « Histoire des Atrides » qui nous plonge dans les tribulations de cette famille maudite et déchirée jusqu’à la fin de la Guerre de Troie, avec une mise en scène ondoyante, des monologues encore dignes de ce que le théâtre français a apporté à la civilisation, et d’affreux relents d’un siècle incapable de se contenter du sublime.


Du grand classique pour un monde étriqué

Le pari de la troupe est clair : offrir une vraie représentation théâtrale en reprenant les canons de la scène française (ils n’ont pu s’empêcher d’incruster un « oh hélas, trois fois hééélllaaass » pour amuser le bourgeois) tout en saupoudrant l’assiette de saillies modernistes et décomplexées – et ce, il faut le dire, pour le plus grand ravissement du blasé. Tous les registres et tous les tons semblent convoqués pour toucher le cœur et éveiller l’esprit, et les thèmes virevoltent pour susciter l’hilarité ou la profonde réflexion sur la vanité du monde terrestre.

Les célestes monologues de Clytemnestre nous font quelque peu voyager en planant de Socrate à Schopenhauer, tant les cris du cœur et la rage vengeresse de cette femme (qui ne pardonnera jamais son mari Agamemnon d’avoir sacrifié sa fille Iphigénie à Artémis et qui se décidera à le tuer à la fin de la guerre) incarnent toute la précaire tranquillité des hommes, sans cesse malmenés par les troubles personnels et le fracas du monde. Si un grand fond philosophique parcourt la pièce comme un fil d’Ariane, l’esthète peut se ravir d’une forme fondamentalement irréprochable. La mise est impeccable, le sol est juché d’innombrables lamelles cendrées qui laissent s’exhaler la poussière à chaque pas, les couleurs des tapisseries et des lumières font entrer tout simplement des aurores boréales dans ce théâtre souterrain, et la beauté d’un décor puissamment orchestré est de nature à détourner l’oreille du spectateur pour ne le laisser qu’avec ses yeux ébahis.

La mise en scène laisse parfois le temps se suspendre, dilaté entre les vapeurs, la poussière qui virgule au ras du sol et la timide incandescence des cierges qui nous rappelle que dans le théâtre, il y a une forme de liturgie. Ces magnificences sont couronnées par des costumes idoines et des rôles interchangés qui n’injurient pas la cohérence du jeu, tout en se permettant l’apport des bassesses de la modernité qui s’autorise à gangréner le sublime d’inutiles grossièretés qui pulvérisent en deux répliques un script pourtant objectivement qualitatif.

D’épouvantables jurons imitant très maladroitement un argot racailleux par ailleurs inconnu des argoteux sonnaient mal avec la hauteur de la représentation, mais nous pardonnons aisément ces bassesses de langage qui ne sont qu’un des multiples symptômes de la maladie de la culture.

Droits des hommes et justice des dieux

Les œuvres d’Homère ainsi revisitées laissent toujours paraître l’axe matriciel de ce récit gréco-troyen : qu’est-ce que la Justice ? La pièce est truffée de personnages manifestement dépourvus d’empathie et de sens moral, comme s’ils n’étaient pas acteurs de leur destinée, et comme si la volonté s’écrasait constamment devant les divins décrets. Tout part d’une histoire de cocufiage et d’élucubrations d’oracles illuminés pour s’achever en milliers de mort et en aporétiques vengeances infra-familiales. Les Atrides amorcent leur thrénodie avec Atrée, qui cuisine les enfants de son frère Thyeste et les lui sert lors d’un festin pour se venger d’une trahison. Atrée laisse deux enfants, Agamemnon, chef de l’armée grecque, et le roi de Sparte Ménélas. S’en suit une rocambolesque histoire par laquelle Artémis demande Iphigénie en sacrifice, à l’occasion de quoi Agamemnon et son frère feront croire à un mariage entre l’innocente et Achille afin de réaliser le dessein artémisien consistant à lever les vents qui empêchaient le départ des grecs désireux de récupérer Hélène à Troie, femme de Ménélas enlevée par Paris. C’est l’enclenchement d’un engrenage martial qui s’achèvera dix ans plus tard.

Dans cette escalade conflictuelle où la bassesse et l’orgueil des hommes dansent avec l’ivresse destructrice des dieux, nous distinguons les personnages actifs, ceux qui subissent et ceux qui se révoltent. Mais la plupart succombent au belliqueux chant des sirènes, et le sang coule à mesure que les vices s’exaltent. L’incompréhension et les tiraillements dominent un édifice qui souffre d’un grand absent : l’amour. La païenne sauvagerie dévore les cœurs des enfants – stricto sensu – et les plus grands calculs sont ceux de la cruauté. Ce portrait de famille constitue également une fresque des vices qui a perdu les tapisseries de la vertu, car dans ce drame rien n’est mesuré, rien n’est harmonieux, et l’entropie condamne les âmes au dérèglement et à la destruction. Chacun agit mécaniquement et se soumet aux puissances invisibles, ce que la mise en scène permet prodigieusement de révéler par le truchement de puissants dialogues qui laissent la joute aux désaccords.

Plume virtuose et tableau décadent

Pour configurer le public à la compréhension de cette histoire aux tragédies mêlées, Sivadier n’a pas manqué de déployer une vaste panoplie de subterfuges et de coups bien pesés. Que ce soit par la démonstration d’un Agamemnon qui tient une conférence de presse en maniant la politicienne langue de bois la plus éhontée, par des accélérations de récit qui permettent de ne pas laisser de place aux défaillances de la mémoire immédiate, par de nocturnes bavardages d’enfants qui récitent le péché originel d’Atrée ou encore par les récapitulations bienvenues qui permettent de recadrer ce dédale homérique.

C’est ainsi la désincarnation de la politique qui s’introduit dans la pièce, un déluge d’illusions perdues, une myriade d’intrigues et de crasseuses machinations, sans pour autant trouver, à la fin, une grande, salutaire et heureuse respiration. Les cerveaux sont compressés, et la représentation présente l’inqualifiable mérite de garantir une expérience immersive et sensorielle. Ici, le spectateur ne se contente pas de regarder, il vit la pièce, et un bon gros mal de crâne qui vous gagne peut apparaître comme le signe d’un spectacle réellement « vivant ».

Sivadier nous sert l’ambroisie d’Apollon dans un beau calice qui ne fait pas totalement disparaître les méandres de l’Olympe du XXIe siècle, car ici le dramaturge est captif de son époque, et n’a pas pu s’empêcher d’incorporer à son travail des fragments d’avachissement et de messages politiques suffisamment banals et édulcorés pour ne pas trop froisser le réactionnaire ou le progressiste. Ce portrait de famille constitue bel et bien une prodigieuse pièce, il serait encore plus divin s’il était moins le miroir du siècle.


38€ 3h50 dont 20 minutes d’entracte

Représentations parisiennes terminées.
En tournée : 12 — 14 mars 2026 Le Liberté, scène nationale / Toulon (83)
21 et 22 mars 2026 Théâtre-Sénart, scène nationale / Lieusaint (77)
26 — 28 mars 2026 Théâtre de Saint-Quentin-enYvelines et L’Onde Théâtre Centre d’Art / Vélizy-Villacoublay (78)
5 et 6 mai 2026 La Comédie de Clermont Ferrand (63)
10 — 13 juin 2026 Théâtre des Célestins, Théâtre de Lyon (69)

Gros comme un Turc

Missionnés pour peser la population dans la rue, les agents de santé turcs obéissent à la dernière lubie hygiéniste d’Erdogan, pour qui la minceur est une vertu patriotique. Mais entre austérité alimentaire et culpabilisation publique, le président ne confond-il pas lutte légitime contre l’obésité et contrôle des corps façon autocratie néo-ottomane ?


La Turquie a récemment lancé une campagne nationale spectaculaire : arrêter les passants dans l’espace public pour les peser et mesurer leur tour de taille. Munis de balances et de rubans à mesurer, des agents de santé sillonnent les 81 provinces du pays dans l’objectif affiché d’évaluer 10 millions de personnes avant le 10 juillet. Si la démarche repose sur le volontariat, la mise en scène, elle, est éminemment politique.

Car pour le président turc Recep Tayyip Erdogan, l’obésité est une grande cause nationale. Il appelle ses concitoyens à manger moins de pain, à éviter sucre et produits transformés, et à privilégier une alimentation locale, nationale et saine. Le président n’hésite pas à commenter publiquement la silhouette d’enfants ou de ministres qu’il croise, érigeant la minceur, l’autodiscipline et la sobriété alimentaire en vertus civiques. Le citoyen idéal selon Erdogan est, pour utiliser un terme du XIXe siècle, « sec », pieux et résolument opposé aux excès venus d’Occident.

À lire aussi, Gil Mihaely : Erdogan: de persécuté à persécuteur

Il est vrai que les chiffres interrogent. Depuis son arrivée au pouvoir en 2002, l’obésité qui concernait 22,3 % des adultes en 2000 atteindrait cette année 37,2 % !

D’abord, durant les années de forte croissance économique (2004-2013), une alimentation plus riche en calories est devenue plus accessible, notamment aux classes moyennes émergentes, base électorale d’Erdogan. Puis, la crise économique venue, l’alimentation s’est appauvrie sous une autre forme. Des produits de qualité, trop chers, ont été remplacés par des aliments industriels bon marché. Dans ce contexte, les injonctions présidentielles à « manger moins » et à « marcher plus » font penser à une certaine reine de France qui s’était risquée à des recommandations nutritionnelles. Cela ne lui a pas réussi.

Tournez manège!

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Cet été, bravons tous les interdits en allant voir F1 le film avec Brad Pitt en pilote sexagénaire. Le blockbuster met à mal toutes les théories sur l’âge, le sexe, la transmission, le risque et le plaisir de rouler très vite à l’air libre…


F1 le film est un cas d’école. Chimiquement pur d’une aliénation masculiniste. Le retour des heures les plus sombres. Tout un travail de réarmement écologique et civilisationnel mis à mal durant deux heures et trente minutes. Toute la prise de conscience de ces quinze dernières années faite de colloques, de tribunes, de pétitions, de marches, de procès, toutes ces actions militantes et salutaires n’auront donc servi à rien. Que la lutte est vaine face à l’état-profond des mentalités. Ils sont inguérissables. Les Hommes ne sont que des enfants capricieux, incontrôlables et vaniteux, leur rééducation est tout bonnement impossible. Tous ces efforts pour réinitialiser les garçons et en arriver à un tel résultat : voir des bagnoles s’affronter sur une piste, se délecter d’une bataille entre mâles alpha courant vers la victoire dans une société hyper-marchande à haute teneur technologique, cet archaïsme sans nom est un aveu d’échec.

Joujou pour attardés

Pendant que la planète brûle, des réfractaires à la décroissance heureuse tentent d’améliorer leur record du tour en jouant sur les appuis aérodynamiques ou la stratégie des arrêts aux stands. C’est pitoyable ! Ce long-métrage a-t-il été commandité par des forces réactionnaires à la manœuvre dans une Amérique viriliste revancharde ? Est-il à la solde d’une coalition ultra-carbonée réunissant constructeurs automobiles, pétroliers et manufacturiers ? N’y a-t-il pas dans son populisme décomplexé les germes d’une révolution égotiste où les plus bas instincts (courage, puissance et dévouement) seraient célébrés dans l’arène des circuits ? Les jeux du cirque n’ont plus cours depuis l’édit de Constantin en 326. Certains demanderont des comptes ou, à minima, une enquête pour révéler le nom des responsables de cette grande opération décadente à base d’accélérations poudreuses, d’accidents spectaculaires et de beaux mecs qui courent le torse nu, dans une érotisation qui va à l’encontre d’une parité mormone. Comment a-t-on pu laisser tourner une telle ode sauvage au plaisir de conduite et à l’absence de conscience sociétale ? Quel échec pour tous les redresseurs et les propagandistes d’une société liquide qui voudraient annihiler les différences.

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Ce film sur les écrans depuis mercredi coche toutes les cases d’un objet cinématographique passéiste à fort relent jouissif où l’adrénaline et la testostérone disputent un bras de fer dans un bar suburbain abandonné d’un vieux pays industriel. Un joujou pour attardés qui font vroum vroum dans leur chambre au lieu de s’inquiéter de l’inclusivité dans les sports mécaniques. Une teuf-teuf pour fous du volant qui ne se sont pas encore convertis au vélo-cargo électrique aussi encombrant dans les rues de Paris qu’un pick-up dans l’Utah. Il fallait oser réaliser un film dans l’une des rares disciplines, la Formule 1, où les femmes n’ont pas encore leur baquet réservé. Il fallait oser mettre en vedette un homme de plus de 60 ans, désinvolte et individualiste, séduisant et vénéneux dans son approche hédoniste de ce sport extrême ; sans calcul et sans reproche, ne courant ni après l’argent, ni après la foule, ce cow-boy solitaire de l’asphalte marche vers un horizon toujours inconnu. Il roule dans un van surélevé et porte des chaussettes dépareillées. Mais Brad possède la classe de ses aînés, il creuse le sillon de Steve McQueen et de Paul Newman. C’est parce qu’il est seul, qu’il a décidé d’être seul, que sa démarche nous émeut. Il fallait oser placer ce film sous le signe de la transmission, le vieux pilote pas toujours très sage tentant d’inculquer son savoir à un rookie turbulent, ce principe d’éducation étant banni de nos jours. Il fallait oser mettre de la verticalité dans l’horizontalité béate. Il fallait oser filmer des monoplaces dans un environnement technique complexe sans abuser d’images virtuelles. Il fallait oser sacraliser l’autorité d’une mère qui, on le sait depuis Camus, est toujours supérieure aux enjeux des sponsors et des réseaux.

Top Gun de la terre ferme

Ce film peut dérouter les tenants du manichéisme ambiant. Il vient d’Hollywood, il est scénarisé et n’en reste pas moins proche de la réalité des Grand Prix qui se disputent chaque dimanche durant la saison, les freinages en bout de ligne droite tapent dans le cœur, la force centrifuge est apnéique, les chicanes brouillent la vue ; ce top-gun de la terre ferme est un manège en forme d’exutoire. Profitez-en avant que ce genre de production ne soit interdit. Dans la salle, toutes les générations, tous les sexes, toutes les classes, sont réunis. En F1, existe l’effet de sol, au cinéma on appelle ça l’effet Brad.

En ce début d’été, un peuple sous canicule en perte de repères a seulement besoin d’un bon film d’action, pas trop moralisant, à l’esthétique soyeuse, qui ne crache pas trop sur le passé et ne mette pas le spectateur dans la peau d’un procureur.

2h 36m. Réalisation : Joseph Kosinski

Tendre est la province

Price: 19,00 €

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Le maire de Nanterre nous donne le coup de grâce!

Raphaël Adam choque en proposant d’installer dans sa commune une plaque commémorative pour Nahel Merzouk, mort lors d’un refus d’obtempérer. « Merci d’être là, merci d’être mobilisés. On restera ensemble jusqu’à ce qu’on obtienne justice pour Nahel » a-t-il ajouté devant des manifestants, dont sa mère qui déclare de son côté: «Je suis obligée de tenir, pour mon bébé, pour Allah et pour vous. On continue ! Justice pour Nahel»… Commentaire.


Ce n’est pas né d’aujourd’hui mais le maire de Nanterre pousse au paroxysme une dérive qui n’a cessé de gangrener notre société. En substance, la médiatisation de la malfaisance, l’hommage pervers et complaisant rendu aux transgresseurs de toutes sortes.

Au prétexte de l’information, que de déviations subtiles et malignes vers ce qui peut être considéré par l’auditeur et le téléspectateur moyen comme un éclat indécent projeté sur le délinquant voire le criminel ! Je songe par exemple à ces enquêtes rapides où la famille et les voisins d’un tueur sont questionnés et où on a droit à des réponses ridiculement naïves. Comme si le crime avait existé avant son heure et qu’il allait naturellement s’arrêter après !

Stupéfiant

Il y a une fascination médiatique pour cet univers qui représente en effet le comble du contre-pouvoir, contre la normalité, l’honnêteté et le respect d’autrui…

Le monde au quotidien n’est pas si irréprochable qu’on puisse, avec un sadisme compulsif, focaliser en plus sur ses horreurs et ses turpitudes ! Je ne parviendrai jamais à m’habituer à cette curiosité de mauvais aloi, portant aux nues ce qu’on devrait laisser dans l’ombre par hygiène morale, salubrité sociale.

Qu’on songe par exemple à la délirante focalisation de quelques semaines sur Mohamed Amra après son arrestation, mêlant des données utiles à une profusion de nouvelles à la fois préjudiciables aux enquêtes et indécentes par leur tour au mieux ambigu, au pire positif.

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Mais qui pouvait prévoir ce coup de grâce porté par le maire PCF de Nanterre, Raphaël Adam ? Je ne l’ai pas cru tout de suite tellement c’était stupéfiant ! Dans quelle tête municipale sensée a pu germer l’absurdité d’une plaque commémorative en hommage à Nahel ?

Ce jeune homme a trouvé la mort à la suite de ses transgressions répétées au cours de quelques heures : véhicule volé, avec de fausses plaques, conduite sans permis, deux refus d’obtempérer.

Le maire de Nanterre aurait dû d’abord, à défaut d’être sensible à l’indécence absolue de cette plaque, s’abstenir par délicatesse judiciaire. En effet, un procès criminel rendra bientôt son verdict sur l’accusation de meurtre imputée au fonctionnaire de police Florian M. Pour ma part j’espère qu’il en résultera que cette qualification n’a aucun sens et que les magistrats et citoyens concernés sauront ne pas apposer confortablement sur les difficiles réalités de l’activité policière l’abstraction d’un droit en chambre, la facilité irresponsable du « il n’y avait qu’à »…

Une mère qui finit par nous choquer

En tout cas il est symptomatique que ce maire ait préjugé et rendu d’une certaine manière encore plus choquant l’activisme de la mère de Nahel, au-delà de la douleur personnelle compréhensible de cette dernière.

Quand j’affirme que ce maire « nous » a donné le coup de grâce, je veux signifier par là qu’il plonge notre société tout entière dans un hommage public qu’il souhaite rendre à quelqu’un qui nous a fait honte à tous. Il aurait dû considérer ce que cet honneur évoqué pouvait avoir d’offensant pour cette « société des honnêtes gens » qu’a mise si justement en avant Bruno Retailleau. Ou faut-il admettre qu’être maire, et maire à Nanterre, justifie les pires affronts au bon sens, à la décence sociale ? Une société si gangrenée qu’elle célèbre ses délinquants ou ses criminels, même tués au cours de leurs méfaits, est profondément malade. Proche de se tuer elle-même. Le maire de Nanterre va-t-il recouvrer la raison ?

Finale du Top 14: les trois coups de pied qui ont fait le match

Toulouse s’est imposé face à Bordeaux samedi soir et repart du Stade de France avec le bouclier de Brennus ! Statistiques d’un match mémorable.


A la 80ème minute, juste avant que l’arbitre ne s’apprête à siffler samedi au stade de France le glas de la finale de rugby du Top 14, le Stade toulousain avait match gagné. Quand, soudain, il commet une fatidique faute, mais une aubaine inespérée offerte à l’Union Bordeaux-Bègles (UBB) qui lui avait bravement tenu la dragée haute. Impavide, Maxime Lucu (dont le patronyme en basque veut dire bois), demi-mêlée et buteur de l’équipe, la passe et met les deux équipes à égalité à 33-33.

Finale d’anthologie

Du jamais vu depuis 20 ans[1], les deux finalistes se départageront au terme de deux prolongations de 10 mn chacune.

A la 95ème minute de celles-ci, Thomas Ramos, l’impérial arrière toulousain, donne l’avantage à son équipe alors que les deux parties faisaient jeu égal, et assez échevelé, transforme une pénalité, puis donne le coup de grâce à Bordeaux-Bègles, en en passant une autre à la 100ème, portant le score à 39 à 33, et mettant fin, le temps étant expiré, à un match « époustouflant », selon Sud-Ouest, le quotidien bordelais où les deux protagonistes « se sont rendu coup pour coup. ».

Ainsi, le sort de cette finale d’anthologie s’est décidé sur trois coups de pied dans un sport qui se joue essentiellement à la main, sans pour autant se résumer à ces derniers. Chacune des équipes a marqué trois essais. Leurs deux buteurs respectifs, Ramos et Lucu, ont eu 100% de réussite (9/9 tentatives pour le premier marquant 24 points sur les 39, et 7/7 pour le second inscrivant lui 18 points sur les 33). Ramos a été élu « homme du match ».

Les deux équipes méritaient la victoire, mais c’est la plus sereine, la plus maître de soi car la plus expérimentée qui s’est imposée. Jeune équipe qui va fêter ses 20 ans la saison prochaine, Bordeaux ne disputait que la seconde finale de son histoire et n’a décroché son premier titre il y a à peine un peu plus d’un mois en remportant la coupe d’Europe après avoir justement sorti Toulouse en demie.

Alors que Toulouse, sur les quinze dernières éditions, a empoché sept titres de champion de France. Cette victoire de samedi à l’arrachée est sa troisième consécutive en finale, sa cinquième sur les six dernières disputées depuis 2019. Le titre n’a pas été décerné en 2020 pour cause de covid. Elle a en tout emmagasiné vingt-quatre boucliers de Brennus dans son histoire. Elle a connu une saison exceptionnelle : en 27 matches de championnat, elle a inscrit 930 points, soit une moyenne de 36 par rencontre, un record, trois de moins que samedi, c’est dire le niveau de sa prestation ce soir-là.

Deux cartons jaunes pour les Bordelais

Les Toulousains ont imposé la suprématie de leurs avants qui ont neutralisé les trois-quarts bordelais, dits « la Patrouille de France », bien que la plus belle phase du match revienne à l’un d’eux. Sur une petite diagonale au pied rasante de Lucu, Damian Penaud, à la vitesse d’une flèche, a été déposé l’ovale entre les poteaux. « Un bijou de clairvoyance », l’a qualifiée le chroniqueur de Sud-Ouest Denys Kappès-Grangé. Mais réaliser des bijoux ne font pas la fortune d’une équipe en rugby.

Si l’UBB a perdu, c’est sa faute pour les avoir cumulées. Contre trois au Stade toulousain, elle en a commis treize ce qui lui valu deux cartons jaunes, autrement dit sur les 80 minutes du temps réglementaire, elle a joué pendant 60 minutes à 14 contre 15, ce qui est un substantiel avantage offert à la partie adverse.

 « Dur de battre Toulouse quand on concède deux cartons jaunes », a convenu l’entraîneur bordelo-blégois, Yannick Bru, surtout que les deux sanctionnés ont été des avants, Guido Petti et Pierre Bochaton, le point faible des Girondins, face une partie adverse dont les trois premières lignes sont justement sa carte majeure, avec bien sûr son arrière Ramos au pied d’or.

« La frustration est énorme, a concédé Lucu, le capitaine de l’UBB. On commet une petite faute sur un ballon haut. Le match se joue sur ça. On a un petit peu craqué à la fin ».

Justement, on laissera le mot de la fin Denys Kappès-Grangé qui écrit avec pertinence dans l’entame de son article de dimanche : « Il n’est pas interdit de se demander si la détresse ressentie par les Bordelais n’est pas plus grande aujourd’hui que celle qu’ils ont éprouvée il y a un an lors de leur humiliation à Marseille ». Pour sa première finale face déjà à Toulouse, ils avaient encaissé un magistrale dérouillée (59-3).

Oui, que vaut-il mieux ? Perdre par 6 points d’écart ou 56 ? Question presque métaphysique. En tout cas, avec Bordeaux-Toulouse se profile désormais un « clasico » de l’ovalie hexagonale…


[1] Le 11 juin 2005 le Biarritz olympique (BO) l’avait emporté sur le Stade français par 37 à 34, au terme des 100 minutes de jeu.

Le spectre des tocards

86% des Français sont très pessimistes sur l’avenir du « vivre-ensemble » et du civisme.


Le sondage IFOP du 25 juin ne surprend personne, le fond de l’air effraie : individualisme, crétinisation numérique, effondrement éducatif et culturel, croissance en berne, chaos migratoire, violences, narcotrafic, explosion de la dette (3345,8 milliards d’euros, plus 40 milliards en trois mois, 114%, du PIB)… François Bayrou tient son cap, ne fait rien : c’est plus prudent. Emmanuel Macron gesticule comme un hanneton sur le dos. Au fond du bocal, il cherche de l’oxygène. La fin de règne est morose. Encore deux ans. Les Diadoques ont faim. Darmanin, Attal, Philippe : le sprint est lancé !

Un grand concert d’idées brisées

Colbertiste, libérale, patriote, européenne, identitaire, prolo, aristo, orléaniste, bonapartiste, Mariniste, Jordanienne, Jacobine, Girondine, éclatée, fusionnée… Dans le purgatoire depuis quinze ans, les droites hésitent, varient au gré des calculs électoraux et enquêtes du Parquet National Financier. Bruno Retailleau a le vent en poupe. Combien de temps restera-t-il éligible ? La BRI, Tracfin, le Syndicat de la Magistrature et Mediapart sont sur la piste de détournements et financements illicites de Carambars, dans un collège vendéen en 1970.

Les gauches ne vont pas mieux. Olivier Croquignol, Nicolas Filochard et Boris Ribouldingue, se disputent le cadavre du PS. LFI joue cartes sur table, veut faire exploser la nation, sa langue, son histoire, créolise, libanise, vend le pays à l’étranger, à la découpe. Sur le segment porteur mais encombré du lacrymal-victimaire-boulgour-bio, Raphaël Glucksmann a un programme attrape toutous, fusionne les saveurs, enfile les naïvetés et slogans bienveillants comme des colliers de nouilles. À son crédit, la dénonciation de l’ours russe qui menace l’Europe.

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Excédé par les casseurs, les crises de nerfs des succubes, harenguières insoumises, lazzaroni, la chienlit, un quarteron de généreux à la retraite, vieux de la veille, en appellent au consensus et à la modération. Trop, c’est trop ! 

Les forçats de la déroute

Poulidor tranquille de la Social-démocratie, Bernard Cazeneuve plaide –affettuoso allargando- « le retour de la raison en politique, le dépassement des clivages stériles, au service de l’intérêt général ». Son truc c’est « une gauche républicaine, européenne et réformiste, qui refuse tant les outrances que les renoncements ». Un chien parmi les loups, c’est le titre intriguant de son essai. Milou en mai ? Rintintin ? Cubitus ? En 2024, sous le même titre, Marie-Jeanne Rioux racontait les amours d’un pilote d’hélico et d’un biologiste dans le Nunavut canadien. C’est blizzard.

Michel Barnier (Ce que j’ai appris de vous) est porté par une noble conviction : « Chacun est nécessaire ». Il ne donne pas de leçons, mais transmet celles que les Français lui ont inculqué. Voter pour lui, c’est voter pour nous. Bien joué, Michel.

Edouard Philippe frôle le collapsus. Qui paiera Le prix de nos mensonges ? « Nous nous racontons des histoires jolies, rassurantes, glorieuses parfois, qui nous empêchent de proposer au pays des solutions utiles. Pendant que nous nous mentons, les autres avancent, transforment, adaptent, innovent. Et nous nous glosons… Où va-t-il chercher tout cela, Edouard ? Dans Causeur ? Qu’a-t-il fait pendant trois ans ?

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Dominique d’Arabie a trouvé son Chemin de Damas, lance un parti (« La France humaniste »), nous alerte dans Le Pouvoir de dire non. « Il est temps de se réveiller. De déchirer les voiles d’illusions, de renoncer aux reflexes politiciens … Dire non, à ce qui porte atteinte à l’avenir de l’humanité et à la dignité de la république ». Fini les grands moulinets à la Cyrano. De Guiche de la Mirandole Galouzeau de Villepin a muri son projet, affiné depuis 18 ans (son départ de Matignon) : « Une politique d’équilibre et de mesure… Créer les conditions de la recherche du consensus… L’immobilisme, il faut tout faire pour essayer de l’amender ». C’est l’allure finale, les visages du cirque.

Des éléphants, apparatchiks, Esterhazy à l’abri des lambris, s’inquiètent, accusent ! Les pieds-nickelés de la remontada dînent du mensonge et soupent du scandale, s’ébattent dans les Pactes, Grenelle, dénis d’initiés, le « toutlemondisme », des rapports bidons de chercheurs islamo-trotskistes, à l’Hamas et au CNRS. Nos élites lotophages se gargarisent de schibboleth de pacotille : « modèle français », « exception culturelle », repoussoirs qui font éclater de rire à l’étranger. Hors-sol, incompétents, confits dans l’idéologie, aux commandes depuis des générations, ils ont cramé la caisse, plombé le pays, mais restent intarissables sur les leçons de bonne conduite, recettes de potions magiques pour combattre le populisme et défendre l’Etat de droit. Marianne est dans la fosse.

Pas de panique. Il y a le ressenti et la réalité. Les sociologues de France Inter et Télérama sont formels. Dans le passé, le pays a traversé des pics de violence et d’angoisse : Paris en juin 40, en juillet 1793, en août 1572… Haut les cœurs ! Le taux d’exécution des OQTF pourrait atteindre les 10% en 2055. Elisabeth Borne concocte un plan « Zéro machette, Zéro Coke » dans les salles de cours. Sorbonne Université lance un Master 2 d’influenceurs, spécialité « Rap.t-Tag-Crypto ». L’avenir du pays c’est l’éducation, la culture, la jeunesse. 6/20, c’est la barre d’admissibilité pour le concours de professeurs des écoles dans l’académie de Créteil.

« Les hommes sentent dans leur cœur qu’ils sont un même peuple lorsqu’ils ont une communauté d’idées, d’intérêts, d’affections, de souvenirs et d’espérances ». Voilà ce qui fait la patrie. Voilà pourquoi les hommes veulent marcher ensemble, ensemble travailler, ensemble combattre, vivre et mourir les uns pour les autres » (Fustel de Coulanges). Tout s’explique.

Mélenchon ou l’abandon programmé de la France

Destruction de la France : Mélenchon et ses limites


Dans sa destruction de la France française, Jean-Luc Mélenchon est clair, méthodique, cohérent. Depuis sa conversion à l’islamophilie, le leader LFI illustre la réflexion de Chesterton : « Le fou n’est pas celui qui a perdu la raison. Le fou est celui qui a tout perdu excepté la raison ». Lui qui, en 2010, qualifiait le voile islamique de « pratique répugnante et obscène », s’est fait, depuis, le théoricien rigoureux de la conquête musulmane. Tout à son projet électoraliste d’une « nouvelle France » métissée, également rêvée par Dominique de Villepin, Mélenchon banalise le voilement des petites filles, dénonce l’islamophobie derrière la critique de la charia, nazifie le sionisme qui résiste à ses ennemis, invite les clandestins qui traversent la Méditerranée à « épouser nos filles et nos gars ». Il propose même de brader la langue française : « Je préférerai que l’on dise que nous parlons tous le créole », a-t-il dit l’autre jour à l’Assemblée nationale, lors d’un colloque sur la francophonie. Le candidat de l’extrême gauche à la présidentielle a choisi de promouvoir le basculement identitaire de la nation – son grand remplacement en somme – en l’ouvrant sans cesse à une immigration maghrébine et africaine dont il sait, par l’effet du nombre, qu’elle ne modifiera pas ses mœurs en foulant le sol français. Qu’est-ce que coloniser un pays sinon s’y installer en refusant de changer sa propre histoire ? Non content d’être le parti de l’étranger, LFI est celui de l’islamisation et de l’africanisation de la nation. Si rien ne vient faire obstacle à cette disparition espérée d’un peuple enraciné, coupable de vouloir se protéger de ses envahisseurs et de leurs complices à prénoms français, l’histoire donnera raison, au mitan de ce siècle, à Mélenchon. Mais tout est encore réversible.

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Car il reste une lacune, dans la logique glaciale de l’idéologue : son raisonnement ne tient que si le peuple indigène demeure tenu à l’écart de son destin. Or il ne suffit pas de décréter, comme Sandrine Rousseau jeudi, que « les Français de souche, ça n’existe pas » pour les faire disparaître tels des mouches agaçantes. Ces Français-là sont encore, aux trois-quarts, largement majoritaires. C’est pourquoi il est devenu urgent que l’immigration de peuplement, qui accélère le naufrage du pays, apparaisse enfin comme le sujet prioritaire d’un référendum. Au-delà du militant pro-islam qu’est Mélenchon, c’est tout un monde politique qui, depuis cinquante ans, a avalisé le projet d’une société ouverte, multiculturelle, indifférenciée. Jamais aucun peuple d’Europe n’a été invité, hormis le référendum français de 2005 passé à la trappe et le Brexit britannique, à se prononcer sur son avenir.

Pourtant tous les sondages montrent l’attachement des gens ordinaires à leur patrie, leur mode de vie, leurs traditions. Le mérite du chef de LFI est de confirmer, dans son objectif de la table rase, que la première des menaces pour le pays vient de l’intérieur, c’est-à-dire de ces traîtres qui veulent enterrer la France et que j’avais dénoncés en 20201.

Dans son discours de Munich du 14 février, le vice-président américain, J. D. Vance, a rappelé qu’il était encore loisible de « changer de cap, de donner une nouvelle direction à notre civilisation commune », en écoutant simplement la voix des citoyens oubliés. Les bâillonner encore serait criminel.

  1. Les Traîtres, Edition Pierre-Guillaume de Roux ↩︎

Sâdeq Hedâyat: cauchemar persan

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L'écrivain iranien Sadegh Hedayat (1903-1951). DR.

« Le Kafka iranien », nous dit la presse. Avec ces deux mots, l’imagination du lecteur est titillée : angoisse, noirceur, confusion, exotisme, orientalisme… Une bonne technique de vente, peut-être, mais une comparaison ô combien insuffisante pour décrire le monde uniquement glauque et hypnotisant de Sâdeq Hedâyat.

La Chouette aveugle (1936) fut l’un des premiers romans iraniens, la littérature persane étant, jusqu’alors, dominée par la poésie, sa tradition ancestrale. Un livre, deux nouveautés : l’une à l’échelle nationale, dans le genre, et l’autre, aux quatre coins du globe, en tant que pionnier du modernisme. Et bien qu’André Breton le citât comme une influence majeure sur le surréalisme, la vie de son auteur, elle, fut une tragédie absurdiste.

Repêché dans la Marne

Né dans l’aristocratie iranienne à Téhéran, en 1903, Sâdeq Hedâyat grandit avec un père haut-placé au gouvernement, ainsi qu’une sœur ayant épousé un général des armées, et une autre, l’un des premiers ministres du Chah. Autant dire que son ascension vers les plus hautes strates du pouvoir était non seulement tracée, mais attendue. L’on crut bon de l’inscrire au collège Saint-Louis de Téhéran, puis de l’envoyer en Belgique et à Paris, dans l’espoir que le mâle de la lignée y acquière un goût pour la diplomatie, et, pour la forme, un diplôme d’architecture.

Or, ce qu’il y trouva, c’est d’abord un profond désespoir, un état de marginal, et l’opium – mais aussi, une passion pour la littérature européenne. Maupassant, Rilke, Hesse, Tchékhov, et, bien sûr, Kafka, berceront ou hanteront ses jours, à mesure que sa présence aux cours se faisait plus rare. En 1927, jugeant la société comme absurde, et sa vie comme dépourvue de sens, il se jeta dans la Marne, ce qui eût mis fin à notre histoire si les quelques pêcheurs des environs ne l’avaient pas attrapé avec leur prochaine grillade.

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De retour en Iran, Hedâyat végéta quelques années dans des postes bureaucratiques, publiant en parallèle des nouvelles à faible tirage. Il fréquenta tantôt des cercles communistes, tantôt des cercles ésotérico-politiques, dans un contexte de nationalisme axé sur le Zoroastrisme et la culture persane préislamique, avant de se replier dans son écriture, et dans un mal-être toujours plus étouffant. Mais le moment charnière de son écriture survint au cours d’un long séjour en Inde, en 1936-37. Fasciné par cette culture ancienne qu’il jugeait authentique et pleine de sagesse, à l’opposé de son Iran occidentalisé, il puisa l’inspiration pour plusieurs nouvelles, riches en folklore et en mysticisme, et surtout, pour son roman-phare. Or, la parution de La Chouette aveugle ne lui valut que le mépris et le scandale dans son pays natal. Entretemps, son opiomanie s’intensifia, et, consumé par la désillusion et l’absurde, il retourna à Paris, et se suicida dans son appartement rue Championnet, en 1951, laissant une œuvre trop tardivement redécouverte.

Les meilleures lectures sont celles où l’on en sait le moins possible sur ce qui nous attend. Mais, chronique littéraire oblige, la plume s’efforcera de conjuguer, d’une part, son appréciation pour l’originalité, les thèmes et le style du roman, et de l’autre, une certaine retenue. Car, à l’image d’une chouette, il ne faut pas trop éclairer ce livre, au risque qu’il s’envole.

Psychose et digressions noires

La Chouette aveugle est composée de deux parties. Dans la première, plus courte, nous assisons à une scène cauchemardesque, racontée du point de vue d’un narrateur en pleine psychose. Ouvrant avec un événement invraisemblable, les pages se tournent et s’enfoncent dans un glauque toujours plus suffocant. Même le lecteur le plus clairvoyant ne saurait prévoir ce qui l’attend plus loin, car il est retenu prisonnier par un narrateur instable. Est-ce une pure rêverie ? Des hallucinations dans le monde réel ? Ou des visions concrètes ? Mystère… Bien entendu, il s’agit là d’un élément fondateur du surréalisme employé si souvent par la cohorte européenne – Buñuel, Dalí, Breton, Magritte… – sauf que chez Hedâyat, l’incertitude se mêle à une horreur et à une violence particulièrement crues, mais non moins captivantes. Plusieurs symboles et personnages reparaissent au fil de cette section, sans que le lecteur puisse en comprendre le sens, mais leurs récurrences ne font qu’attiser son envie de les déchiffrer.

La « résolution » de cette scène clôture la première partie, et ouvre la seconde. Celle-ci, plus longue, est écrite sous forme du cahier du narrateur qui, l’instant d’après, est saisi par l’urgence de coucher sa vie sur le papier, et de cracher le venin qui le ronge.

A relire, du même auteur: Léon Bloy: Clotilde ou la grâce dans la tourmente

Peu à peu, il détaille sa vie d’extrême misère et de solitude, la torture psychologique infligée par ses proches, ses délires sous opium, son désir de mort et ses obsessions diverses, entremêlés de digressions noires. Un récit non-linéaire dont la lecture intrigue et déroute. Cependant, plus on avance dans cette section, mieux l’on comprend les événements et symbolismes de la première partie. Un puzzle morbide, assemblé en sautant d’un coin à l’autre. C’est à la dernière page que nous comprenons tout, et que nous voyons enfin, dans sa totalité, l’horreur pressentie depuis le début.

Le passage d’un narrateur à la première personne à sa propre écriture manuscrite signale un changement de ton et de style, permettant à l’auteur de déployer sa palette. En effet, dans la première partie, nous lisons les pensées internes du personnage, des pensées confuses, nerveuses, certes, mais exprimées, pour ainsi dire, avec fluidité ; tandis que dans la seconde, l’on sent les tremblements de sa main sur le papier, la difficulté qu’il éprouve pour trouver les mots justes, et en même temps, la catharsis dans ses aveux-fleuve.

Cette impression est largement due à l’usage de la ponctuation. Bien plus qu’un simple outil, elle représente, dans un texte, musique ou dissonance, respiration ou asphyxie. Justement, Hedâyat emploie très peu de points ou de phrases complètes, préférant le tiret pour entrecouper des événements de pensées, des souvenirs de sensations, et le passé du présent, de cauchemars, de folie… L’usage de la répétition, aussi : certaines formulations et expressions reparaissent constamment, mais toujours dans des contextes différents, de façon à créer un mélange fascinant d’imprévu et de déjà-vu.

Qui eût cru que les toussotements d’un esprit tuberculeux pouvaient contenir autant de poésie ? Et qu’en regardant jusqu’au fond d’un homme aussi singulier, l’on pourrait reconnaître, même de loin, ses propres noirceurs ?

Finalement, malgré leurs différences, Hedâyat resta fidèle au mot de Kafka : « La littérature est la hache qui brise en nous la mer gelée. »

La Chouette aveugle

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Christophe Gleizes, victime collatérale de la guerre froide franco-algérienne

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DR.

Christophe Gleizes, journaliste sportif français collaborant avec So Foot et Society, a été condamné le 29 juin 2025 par un tribunal de Tizi Ouzou en Algérie à sept ans de prison ferme pour « apologie du terrorisme » et « possession de publications à visée de propagande », après un an de contrôle judiciaire. Le journaliste était au mauvais endroit et au mauvais moment, révèle notre chroniqueur, qui déplore par ailleurs que la propagande outrancière du régime bénéficie jusqu’au soutien de certains de nos députés.


Dans l’ombre de Boualem Sansal, un journaliste sportif de So Foot et Society était assigné à résidence à Tizi Ouzou depuis le 28 mai 2024. Christophe Gleizes est désormais condamné à sept ans de réclusion criminelle avec mandat de dépôt pour « apologie du terrorisme » et « possession de publications dans un but de propagande nuisant à l’intérêt national ».

Si notre compatriote reporter a fait appel du jugement lundi 30 juin, les tensions actuelles entre Paris et Alger laissent malheureusement peu d’espoir de trouver rapidement une issue positive et négociée.

Le mouvement du Hirak a laissé des traces

Otage du régime algérien, comme Cécile Kohler et Jacques Pâris le sont de la République islamique d’Iran, Christophe Gleizes est une victime collatérale de la dérive d’un pays aux abois depuis la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara au mitan de l’année 2024. Depuis lors, l’Algérie et la France se livrent une guerre froide intense, le pays dirigé par Abdelmadjid Tebboune multipliant les provocations et les actes hostiles. Des relations qualifiées de « polaires » par Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur qui doit faire face aux refus constants d’Alger de récupérer ses ressortissants expulsés et à l’utilisation de citoyens français placés au cachot dans l’idée de servir de leviers de chantage sur Paris.

Ce sont là les méthodes d’un Etat voyou, sorte de guerre diplomatique asymétrique qui fait fi du droit comme de la morale. Que reproche d’ailleurs Alger à Christophe Gleizes ? La justice l’accuse d’avoir eu « des contacts, en 2015 et 2017, avec le responsable du club de football de la JSK par ailleurs responsable du Mouvement pour l’autodétermination de la kabylie (MAK), classé organisation terroriste par les autorités algériennes en 2021 ». Depuis le mouvement du Hirak, qui s’est étalé entre 2019 et 2021, l’Algérie craint que sa jeunesse ne puisse un jour se rebeller. L’enjeu de la Kabylie, qui connait un mouvement autonomiste vif et démocratique mais fournit aussi au régime ses généraux les plus puissants, est ainsi devenu avec le temps une cause fédératrice dans un pays craignant plus que tout la division.

A relire: Coupons le cordon! Pour l’indépendance de l’Algérie

De fait, le mouvement du Hirak, spontané et parti de la rue, a réveillé au cœur des élites algérienne la peur de la cauchemardesque décennie noire. Le régime a donc accusé tous les participants à cette série de manifestations pacifiques de projets séditieux ou islamistes. Les opposants en exil décrivent tous un système politique en proie à la crainte, dont le caractère obsidional se renforce constamment. Alger réclame d’ailleurs depuis longtemps à la France de récupérer ses opposants en exil. Ainsi d’Amir DZ[1] qui a subi une tentative de rapt en avril 2024 en région parisienne, visé par neuf mandats internationaux, ou encore, de divers membres du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie.

Parfois instrumentalisés par des services secrets du régime pour diffuser des informations gênantes, ces opposants et influenceurs sont aussi visés comme étant des « agents du Makhzen » ou des « protégés de la France » dans une opinion chauffée à blanc par une propagande grossière mais efficace.

Christophe Gleizes : victime collatérale d’un dossier qui le dépasse

Christophe Gleizes n’a rien de commun avec ces profils. Il n’était qu’un journaliste lambda, passionné par le football africain, en reportage de terrain. Il a été arrêté au plus fort de la première crise diplomatique de la France avec l’Algérie, pile au moment où la France reconnaissait la souveraineté marocaine sur le Sahara. Là au mauvais endroit et au moment, le journaliste aura pu juger du « sens de l’accueil » de l’Algérie que le député Sébastien Delogu vantait encore sur Algérie 2 cette semaine.

A lire aussi : Awassir: la cinquième colonne d’Alger

« De l’autre côté de la méditerranée quand vous écoutez les médias, vous avez l’impression que c’est l’Algérie qui est coupable de tout. Mais quand vous arrivez ici, vous apprenez à découvrir un peuple qui vous accueille d’une manière que je n’ai jamais vue. Tout le monde est gentil. Tout le monde sourit. Tout le monde prend soin de moi », a ainsi affirmé l’insoumis marseillais en visite façon village Potemkine d’autrefois. Pourtant, Christophe Gleizes était un journaliste plutôt marqué à gauche, participant à des émissions du Média des insoumis et même à des conférences sur la pensée dite « décoloniale ». Pas de quoi, malheureusement, lui offrir le soutien de La France Insoumise qui n’a pas parlé une seule fois de son cas durant l’année écoulée.

Si prompts à se lever pour dénoncer l’arbitraire partout dans le monde, les élus de cette formation politique semblent toujours étrangement silencieux quand il s’agit d’un pays que Rima Hassan qualifiait il y a quelques mois de « Mecque des révolutionnaires ». Quand bien même feront-ils mollement la demande aux autorités algériennes de libérer Christophe Gleizes dans les prochaines heures ou les prochains jours, les insoumis resteront pour l’histoire les complices d’un pays désormais hostile qui n’en finit plus de dériver, n’hésitant plus à utiliser des méthodes coercitives dignes de l’Iran et de la Russie, réprimant ses opposants et détruisant toute sa société civile.

Il n’est désormais plus possible à des journalistes d’y faire leur métier sans risquer d’être arrêtés et utilisés comme monnaie d’échange. Qu’attendons-nous donc pour agir ?


[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Amir_DZ

Ultra fast-fashion: fin du game?

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Boutique éphémère de la marque Shein à Dijon, le 26 juin 2025 © Sabrina Dolidze/SIPA

À Dijon, l’ouverture du magasin éphémère de la marque chinoise Shein a provoqué un tollé plus brûlant encore qu’un pot de moutarde oublié au soleil… Les lobbyistes de la marque, comme Christophe Castaner, assurent « défendre la mode pour tous ».


Nous sommes le 26 juin et il y a énormément de monde dans cette petite rue commerçante du centre-ville de Dijon. Cela m’intrigue. Les Dijonnais auraient-ils un regain d’intérêt pour les soldes d’été débutés la veille ?

J’apprends hélas, quelques minutes plus tard, que ce qui déplace les foules ce matin de juin n’est autre que l’ouverture du pop-up store du géant chinois Shein qui continue de déployer son concept de magasin éphémère dans les centres-villes des métropoles françaises. Après Paris en 2023, Marseille fin 2024, c’est donc dans la capitale bourguignonne que Shein vient de poser ses valises. L’entreprise n’y restera qu’une dizaine de jours mais sa présence suffit à déclencher une virulente polémique.

La moutarde nous monte au nez

Une association locale de consommateurs (CLCV 21) dénonce dans un communiqué de presse un modèle économique « incompatible avec les enjeux actuels de consommation responsable, de respects des droits humains et de préservation de l’environnement ». La vitrine a été vandalisée avant même l’ouverture du magasin et les médias locaux se pressent pour recueillir avis et témoignages, qu’ils émanent d’adeptes ou bien de détracteurs. En tant que commerçante, je préfère éviter de condamner trop rapidement un phénomène capable de générer du trafic en centre-ville et donc du potentiel flux dans les commerces même si, pour ma part, j’ai toujours détesté ces produits à bas coût et de piètre qualité. Après tout, les Français sont libres de dépenser leur argent comme ils l’entendent pourvu que le cadre légal soit respecté. Malheureusement, c’est précisément là que le bât blesse.

Quentin Ruffat, porte-parole de Shein France, répondant à ses détracteurs dijonnais, a déclaré que « le problème avec la morale, c’est que c’est toujours celle des autres ». Mais est-ce vraiment la morale qui est en cause ? Le 29 avril dernier, la ministre chargée des Comptes publics Amélie de Montchalin, a dévoilé des chiffres alarmants : 94 % des produits contrôlés en provenance des plateformes chinoises Shein et Temu ne sont pas conformes aux normes françaises. 66 % d’entre eux seraient même dangereux pour les consommateurs. Est-ce une question de morale ou bien de santé publique ? En tout cas, il ne fait aucun doute que si un commerçant français proposait à la vente de tels articles, la répression des fraudes aurait tôt fait de le sanctionner, à juste titre, d’une fermeture administrative à effet immédiat.

Dans une enquête publiée en mai 2025[1], la commission européenne pointe également du doigt les pratiques frauduleuses de l’enseigne : faux rabais et informations mensongères. Ce travail fait écho à celui de Bercy qui, un mois plus tôt, dévoilait un plan d’action[2] visant à lutter contre la concurrence déloyale du e-commerce international et plus particulièrement des plateformes chinoises. Le 10 juin, le Sénat adopte une loi pour tenter de freiner leur essor en proposant notamment une taxe supplémentaire sur certains produits importés à fort impact environnemental et une interdiction de publicité.

Le roi du commerce

Comment une entreprise affichant un tel palmarès dans la controverse et l’illégalité peut-elle, en toute impunité, ouvrir un pas-de-porte, fût-il éphémère, en France ? Malheureusement, dans une actualité économique mondiale toujours plus rapide, la lenteur de la législation et de la bureaucratie, française ou européenne, rend celles-ci quasiment impuissantes. Depuis 2023, la Commission européenne envisage de supprimer l’exemption de droits de douane pour les petits colis d’une valeur inférieure à 150 € expédiés depuis un pays tiers directement chez le consommateur. Cela concerne tout de même 1,5 milliard de colis expédiés depuis la Chine vers la France l’an passé. Ce cadeau fiscal complètement injustifié, sur lequel repose une grande partie de l’avantage concurrentiel de Shein, était également en vigueur aux États-Unis mais a été supprimé par Donald Trump en l’espace de quelques minutes, le temps pour lui de signer un décret à ce sujet. En Europe, leur suppression ne devrait être effective qu’en 2028 alors qu’il devient d’autant plus urgent d’agir et que Shein et Temu, privés du marché américain, concentrent désormais leurs budgets publicitaires sur l’Europe. Ceux-ci ont déjà augmenté de plus de 30 % en France depuis le mois de mai.

À quoi sert de mettre en place tout un arsenal législatif pour combattre un modèle économique qui risque fort d’être déjà obsolète quand celui-ci sera enfin effectif ? En effet, dans le monde du e-commerce mondial, une nouvelle machine de guerre est en train d’émerger. Déjà surnommé le« social shopping », ce nouveau modèle économique, incarné notamment par Tik Tok Shop, donne la possibilité aux consommateurs de faire des achats sans même quitter l’application d’un réseau social.

Oui, l’ultra fast-fashion est peut-être déjà en déclin et son modèle économique aussi éphémère et jetable que les articles qu’elle propose. Cela n’empêche pas les plateformes chinoises de gagner du temps en défendant coûte que coûte leurs intérêts, notamment par le biais d’un lobbying puissant. Début 2025, Shein se paye notamment les services de Christophe Castaner, ancien ministre de l’Intérieur d’Emmanuel Macron et ancien député socialiste, qu’elle nomme responsable RSE et dont le discours bien rodé consiste à brandir le pouvoir d’achat en berne des Français pour légitimer l’existence de l’ultra fast-fashion, prétendant « défendre la mode pour tous ». En réalité, il s’agit d’une contre-vérité. Le modèle économique de l’ultra fast-fashion participe à la destruction d’emplois et du savoir-faire textile et donc à l’appauvrissement de la France. Le commerce français n’a, quant à lui, aucun moyen de lutter contre une entreprise qui, contrairement à lui, n’est pas écrasée par des taxes, normes et réglementations qu’elle contourne aisément.

Si les entreprises comme Shein ne sont évidemment pas les seules responsables des difficultés de l’industrie textile et du commerce en France, il est en revanche évident qu’elles donnent un coup de grâce à un secteur déjà grandement fragilisé. Shein est devenue l’enseigne de mode où les Français ont le plus dépensé en 2024[3] avec notamment un bond de 58 % entre 2023 et 2024. Contrairement à ce que prétend M. Castaner, il existe en réalité d’autres moyens de « démocratiser la mode ». Les enseignes de mode à petit prix existent en France depuis des décennies. La qualité ou l’impact environnemental de leurs articles de mode ne sont peut-être pas meilleurs que ceux des articles vendus sur les plateformes chinoises mais, contrairement à Shein, ces enseignes créent des emplois durables et s’acquittent de leurs impôts. Elles contribuent ainsi à la prospérité économique de notre pays et au financement de son modèle social. Il s’agit de ne pas mélanger les torchons et les serviettes, fussent-ils produits dans les mêmes usines chinoises.

Finalement, que reste-t-il de la morale lorsqu’une entreprise crée de la pauvreté en prétendant la combattre ?


[1]              https://www.economie.gouv.fr/actualites/shein-une-action-europeenne-engagee-contre-la-plateforme-de-e-commerce#

[2]              https://www.economie.gouv.fr/actualites/un-plan-daction-pour-la-regulation-et-la-securite-du-e-commerce

[3]              https://fashionunited.fr/actualite/mode/en-2024-shein-devient-lenseigne-de-mode-ou-les-francais-ont-le-plus-depense-etude/2025012837072

«Portrait de famille» par Jean-François Sivadier: odyssée théâtrale ou peinture du siècle ?

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Portrait de famille - Une histoire des Atrides de Jean-François Sivadier © Christophe Raynaud De Lage

Le Théâtre du rond-point convie le Paris ennuyé à faire un tour aux Champs-Élysées pour trois heures trente d’oppressante bigarrure entre la grandeur de l’histoire et la petitesse des hommes. Jean-François Sivadier propose une « Histoire des Atrides » qui nous plonge dans les tribulations de cette famille maudite et déchirée jusqu’à la fin de la Guerre de Troie, avec une mise en scène ondoyante, des monologues encore dignes de ce que le théâtre français a apporté à la civilisation, et d’affreux relents d’un siècle incapable de se contenter du sublime.


Du grand classique pour un monde étriqué

Le pari de la troupe est clair : offrir une vraie représentation théâtrale en reprenant les canons de la scène française (ils n’ont pu s’empêcher d’incruster un « oh hélas, trois fois hééélllaaass » pour amuser le bourgeois) tout en saupoudrant l’assiette de saillies modernistes et décomplexées – et ce, il faut le dire, pour le plus grand ravissement du blasé. Tous les registres et tous les tons semblent convoqués pour toucher le cœur et éveiller l’esprit, et les thèmes virevoltent pour susciter l’hilarité ou la profonde réflexion sur la vanité du monde terrestre.

Les célestes monologues de Clytemnestre nous font quelque peu voyager en planant de Socrate à Schopenhauer, tant les cris du cœur et la rage vengeresse de cette femme (qui ne pardonnera jamais son mari Agamemnon d’avoir sacrifié sa fille Iphigénie à Artémis et qui se décidera à le tuer à la fin de la guerre) incarnent toute la précaire tranquillité des hommes, sans cesse malmenés par les troubles personnels et le fracas du monde. Si un grand fond philosophique parcourt la pièce comme un fil d’Ariane, l’esthète peut se ravir d’une forme fondamentalement irréprochable. La mise est impeccable, le sol est juché d’innombrables lamelles cendrées qui laissent s’exhaler la poussière à chaque pas, les couleurs des tapisseries et des lumières font entrer tout simplement des aurores boréales dans ce théâtre souterrain, et la beauté d’un décor puissamment orchestré est de nature à détourner l’oreille du spectateur pour ne le laisser qu’avec ses yeux ébahis.

La mise en scène laisse parfois le temps se suspendre, dilaté entre les vapeurs, la poussière qui virgule au ras du sol et la timide incandescence des cierges qui nous rappelle que dans le théâtre, il y a une forme de liturgie. Ces magnificences sont couronnées par des costumes idoines et des rôles interchangés qui n’injurient pas la cohérence du jeu, tout en se permettant l’apport des bassesses de la modernité qui s’autorise à gangréner le sublime d’inutiles grossièretés qui pulvérisent en deux répliques un script pourtant objectivement qualitatif.

D’épouvantables jurons imitant très maladroitement un argot racailleux par ailleurs inconnu des argoteux sonnaient mal avec la hauteur de la représentation, mais nous pardonnons aisément ces bassesses de langage qui ne sont qu’un des multiples symptômes de la maladie de la culture.

Droits des hommes et justice des dieux

Les œuvres d’Homère ainsi revisitées laissent toujours paraître l’axe matriciel de ce récit gréco-troyen : qu’est-ce que la Justice ? La pièce est truffée de personnages manifestement dépourvus d’empathie et de sens moral, comme s’ils n’étaient pas acteurs de leur destinée, et comme si la volonté s’écrasait constamment devant les divins décrets. Tout part d’une histoire de cocufiage et d’élucubrations d’oracles illuminés pour s’achever en milliers de mort et en aporétiques vengeances infra-familiales. Les Atrides amorcent leur thrénodie avec Atrée, qui cuisine les enfants de son frère Thyeste et les lui sert lors d’un festin pour se venger d’une trahison. Atrée laisse deux enfants, Agamemnon, chef de l’armée grecque, et le roi de Sparte Ménélas. S’en suit une rocambolesque histoire par laquelle Artémis demande Iphigénie en sacrifice, à l’occasion de quoi Agamemnon et son frère feront croire à un mariage entre l’innocente et Achille afin de réaliser le dessein artémisien consistant à lever les vents qui empêchaient le départ des grecs désireux de récupérer Hélène à Troie, femme de Ménélas enlevée par Paris. C’est l’enclenchement d’un engrenage martial qui s’achèvera dix ans plus tard.

Dans cette escalade conflictuelle où la bassesse et l’orgueil des hommes dansent avec l’ivresse destructrice des dieux, nous distinguons les personnages actifs, ceux qui subissent et ceux qui se révoltent. Mais la plupart succombent au belliqueux chant des sirènes, et le sang coule à mesure que les vices s’exaltent. L’incompréhension et les tiraillements dominent un édifice qui souffre d’un grand absent : l’amour. La païenne sauvagerie dévore les cœurs des enfants – stricto sensu – et les plus grands calculs sont ceux de la cruauté. Ce portrait de famille constitue également une fresque des vices qui a perdu les tapisseries de la vertu, car dans ce drame rien n’est mesuré, rien n’est harmonieux, et l’entropie condamne les âmes au dérèglement et à la destruction. Chacun agit mécaniquement et se soumet aux puissances invisibles, ce que la mise en scène permet prodigieusement de révéler par le truchement de puissants dialogues qui laissent la joute aux désaccords.

Plume virtuose et tableau décadent

Pour configurer le public à la compréhension de cette histoire aux tragédies mêlées, Sivadier n’a pas manqué de déployer une vaste panoplie de subterfuges et de coups bien pesés. Que ce soit par la démonstration d’un Agamemnon qui tient une conférence de presse en maniant la politicienne langue de bois la plus éhontée, par des accélérations de récit qui permettent de ne pas laisser de place aux défaillances de la mémoire immédiate, par de nocturnes bavardages d’enfants qui récitent le péché originel d’Atrée ou encore par les récapitulations bienvenues qui permettent de recadrer ce dédale homérique.

C’est ainsi la désincarnation de la politique qui s’introduit dans la pièce, un déluge d’illusions perdues, une myriade d’intrigues et de crasseuses machinations, sans pour autant trouver, à la fin, une grande, salutaire et heureuse respiration. Les cerveaux sont compressés, et la représentation présente l’inqualifiable mérite de garantir une expérience immersive et sensorielle. Ici, le spectateur ne se contente pas de regarder, il vit la pièce, et un bon gros mal de crâne qui vous gagne peut apparaître comme le signe d’un spectacle réellement « vivant ».

Sivadier nous sert l’ambroisie d’Apollon dans un beau calice qui ne fait pas totalement disparaître les méandres de l’Olympe du XXIe siècle, car ici le dramaturge est captif de son époque, et n’a pas pu s’empêcher d’incorporer à son travail des fragments d’avachissement et de messages politiques suffisamment banals et édulcorés pour ne pas trop froisser le réactionnaire ou le progressiste. Ce portrait de famille constitue bel et bien une prodigieuse pièce, il serait encore plus divin s’il était moins le miroir du siècle.


38€ 3h50 dont 20 minutes d’entracte

Représentations parisiennes terminées.
En tournée : 12 — 14 mars 2026 Le Liberté, scène nationale / Toulon (83)
21 et 22 mars 2026 Théâtre-Sénart, scène nationale / Lieusaint (77)
26 — 28 mars 2026 Théâtre de Saint-Quentin-enYvelines et L’Onde Théâtre Centre d’Art / Vélizy-Villacoublay (78)
5 et 6 mai 2026 La Comédie de Clermont Ferrand (63)
10 — 13 juin 2026 Théâtre des Célestins, Théâtre de Lyon (69)

Gros comme un Turc

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© D.R.

Missionnés pour peser la population dans la rue, les agents de santé turcs obéissent à la dernière lubie hygiéniste d’Erdogan, pour qui la minceur est une vertu patriotique. Mais entre austérité alimentaire et culpabilisation publique, le président ne confond-il pas lutte légitime contre l’obésité et contrôle des corps façon autocratie néo-ottomane ?


La Turquie a récemment lancé une campagne nationale spectaculaire : arrêter les passants dans l’espace public pour les peser et mesurer leur tour de taille. Munis de balances et de rubans à mesurer, des agents de santé sillonnent les 81 provinces du pays dans l’objectif affiché d’évaluer 10 millions de personnes avant le 10 juillet. Si la démarche repose sur le volontariat, la mise en scène, elle, est éminemment politique.

Car pour le président turc Recep Tayyip Erdogan, l’obésité est une grande cause nationale. Il appelle ses concitoyens à manger moins de pain, à éviter sucre et produits transformés, et à privilégier une alimentation locale, nationale et saine. Le président n’hésite pas à commenter publiquement la silhouette d’enfants ou de ministres qu’il croise, érigeant la minceur, l’autodiscipline et la sobriété alimentaire en vertus civiques. Le citoyen idéal selon Erdogan est, pour utiliser un terme du XIXe siècle, « sec », pieux et résolument opposé aux excès venus d’Occident.

À lire aussi, Gil Mihaely : Erdogan: de persécuté à persécuteur

Il est vrai que les chiffres interrogent. Depuis son arrivée au pouvoir en 2002, l’obésité qui concernait 22,3 % des adultes en 2000 atteindrait cette année 37,2 % !

D’abord, durant les années de forte croissance économique (2004-2013), une alimentation plus riche en calories est devenue plus accessible, notamment aux classes moyennes émergentes, base électorale d’Erdogan. Puis, la crise économique venue, l’alimentation s’est appauvrie sous une autre forme. Des produits de qualité, trop chers, ont été remplacés par des aliments industriels bon marché. Dans ce contexte, les injonctions présidentielles à « manger moins » et à « marcher plus » font penser à une certaine reine de France qui s’était risquée à des recommandations nutritionnelles. Cela ne lui a pas réussi.

Tournez manège!

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Brad Pitt dans "F1 le film", 2025 © Warner Bros.

Cet été, bravons tous les interdits en allant voir F1 le film avec Brad Pitt en pilote sexagénaire. Le blockbuster met à mal toutes les théories sur l’âge, le sexe, la transmission, le risque et le plaisir de rouler très vite à l’air libre…


F1 le film est un cas d’école. Chimiquement pur d’une aliénation masculiniste. Le retour des heures les plus sombres. Tout un travail de réarmement écologique et civilisationnel mis à mal durant deux heures et trente minutes. Toute la prise de conscience de ces quinze dernières années faite de colloques, de tribunes, de pétitions, de marches, de procès, toutes ces actions militantes et salutaires n’auront donc servi à rien. Que la lutte est vaine face à l’état-profond des mentalités. Ils sont inguérissables. Les Hommes ne sont que des enfants capricieux, incontrôlables et vaniteux, leur rééducation est tout bonnement impossible. Tous ces efforts pour réinitialiser les garçons et en arriver à un tel résultat : voir des bagnoles s’affronter sur une piste, se délecter d’une bataille entre mâles alpha courant vers la victoire dans une société hyper-marchande à haute teneur technologique, cet archaïsme sans nom est un aveu d’échec.

Joujou pour attardés

Pendant que la planète brûle, des réfractaires à la décroissance heureuse tentent d’améliorer leur record du tour en jouant sur les appuis aérodynamiques ou la stratégie des arrêts aux stands. C’est pitoyable ! Ce long-métrage a-t-il été commandité par des forces réactionnaires à la manœuvre dans une Amérique viriliste revancharde ? Est-il à la solde d’une coalition ultra-carbonée réunissant constructeurs automobiles, pétroliers et manufacturiers ? N’y a-t-il pas dans son populisme décomplexé les germes d’une révolution égotiste où les plus bas instincts (courage, puissance et dévouement) seraient célébrés dans l’arène des circuits ? Les jeux du cirque n’ont plus cours depuis l’édit de Constantin en 326. Certains demanderont des comptes ou, à minima, une enquête pour révéler le nom des responsables de cette grande opération décadente à base d’accélérations poudreuses, d’accidents spectaculaires et de beaux mecs qui courent le torse nu, dans une érotisation qui va à l’encontre d’une parité mormone. Comment a-t-on pu laisser tourner une telle ode sauvage au plaisir de conduite et à l’absence de conscience sociétale ? Quel échec pour tous les redresseurs et les propagandistes d’une société liquide qui voudraient annihiler les différences.

A lire aussi, du même auteur: Le promeneur de Saint-Germain

Ce film sur les écrans depuis mercredi coche toutes les cases d’un objet cinématographique passéiste à fort relent jouissif où l’adrénaline et la testostérone disputent un bras de fer dans un bar suburbain abandonné d’un vieux pays industriel. Un joujou pour attardés qui font vroum vroum dans leur chambre au lieu de s’inquiéter de l’inclusivité dans les sports mécaniques. Une teuf-teuf pour fous du volant qui ne se sont pas encore convertis au vélo-cargo électrique aussi encombrant dans les rues de Paris qu’un pick-up dans l’Utah. Il fallait oser réaliser un film dans l’une des rares disciplines, la Formule 1, où les femmes n’ont pas encore leur baquet réservé. Il fallait oser mettre en vedette un homme de plus de 60 ans, désinvolte et individualiste, séduisant et vénéneux dans son approche hédoniste de ce sport extrême ; sans calcul et sans reproche, ne courant ni après l’argent, ni après la foule, ce cow-boy solitaire de l’asphalte marche vers un horizon toujours inconnu. Il roule dans un van surélevé et porte des chaussettes dépareillées. Mais Brad possède la classe de ses aînés, il creuse le sillon de Steve McQueen et de Paul Newman. C’est parce qu’il est seul, qu’il a décidé d’être seul, que sa démarche nous émeut. Il fallait oser placer ce film sous le signe de la transmission, le vieux pilote pas toujours très sage tentant d’inculquer son savoir à un rookie turbulent, ce principe d’éducation étant banni de nos jours. Il fallait oser mettre de la verticalité dans l’horizontalité béate. Il fallait oser filmer des monoplaces dans un environnement technique complexe sans abuser d’images virtuelles. Il fallait oser sacraliser l’autorité d’une mère qui, on le sait depuis Camus, est toujours supérieure aux enjeux des sponsors et des réseaux.

Top Gun de la terre ferme

Ce film peut dérouter les tenants du manichéisme ambiant. Il vient d’Hollywood, il est scénarisé et n’en reste pas moins proche de la réalité des Grand Prix qui se disputent chaque dimanche durant la saison, les freinages en bout de ligne droite tapent dans le cœur, la force centrifuge est apnéique, les chicanes brouillent la vue ; ce top-gun de la terre ferme est un manège en forme d’exutoire. Profitez-en avant que ce genre de production ne soit interdit. Dans la salle, toutes les générations, tous les sexes, toutes les classes, sont réunis. En F1, existe l’effet de sol, au cinéma on appelle ça l’effet Brad.

En ce début d’été, un peuple sous canicule en perte de repères a seulement besoin d’un bon film d’action, pas trop moralisant, à l’esthétique soyeuse, qui ne crache pas trop sur le passé et ne mette pas le spectateur dans la peau d’un procureur.

2h 36m. Réalisation : Joseph Kosinski

Tendre est la province

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Le maire de Nanterre nous donne le coup de grâce!

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Mounia Merzouk, Nanterre, 27 juin 2025 © Idir hakim/SIPA

Raphaël Adam choque en proposant d’installer dans sa commune une plaque commémorative pour Nahel Merzouk, mort lors d’un refus d’obtempérer. « Merci d’être là, merci d’être mobilisés. On restera ensemble jusqu’à ce qu’on obtienne justice pour Nahel » a-t-il ajouté devant des manifestants, dont sa mère qui déclare de son côté: «Je suis obligée de tenir, pour mon bébé, pour Allah et pour vous. On continue ! Justice pour Nahel»… Commentaire.


Ce n’est pas né d’aujourd’hui mais le maire de Nanterre pousse au paroxysme une dérive qui n’a cessé de gangrener notre société. En substance, la médiatisation de la malfaisance, l’hommage pervers et complaisant rendu aux transgresseurs de toutes sortes.

Au prétexte de l’information, que de déviations subtiles et malignes vers ce qui peut être considéré par l’auditeur et le téléspectateur moyen comme un éclat indécent projeté sur le délinquant voire le criminel ! Je songe par exemple à ces enquêtes rapides où la famille et les voisins d’un tueur sont questionnés et où on a droit à des réponses ridiculement naïves. Comme si le crime avait existé avant son heure et qu’il allait naturellement s’arrêter après !

Stupéfiant

Il y a une fascination médiatique pour cet univers qui représente en effet le comble du contre-pouvoir, contre la normalité, l’honnêteté et le respect d’autrui…

Le monde au quotidien n’est pas si irréprochable qu’on puisse, avec un sadisme compulsif, focaliser en plus sur ses horreurs et ses turpitudes ! Je ne parviendrai jamais à m’habituer à cette curiosité de mauvais aloi, portant aux nues ce qu’on devrait laisser dans l’ombre par hygiène morale, salubrité sociale.

Qu’on songe par exemple à la délirante focalisation de quelques semaines sur Mohamed Amra après son arrestation, mêlant des données utiles à une profusion de nouvelles à la fois préjudiciables aux enquêtes et indécentes par leur tour au mieux ambigu, au pire positif.

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Mais qui pouvait prévoir ce coup de grâce porté par le maire PCF de Nanterre, Raphaël Adam ? Je ne l’ai pas cru tout de suite tellement c’était stupéfiant ! Dans quelle tête municipale sensée a pu germer l’absurdité d’une plaque commémorative en hommage à Nahel ?

Ce jeune homme a trouvé la mort à la suite de ses transgressions répétées au cours de quelques heures : véhicule volé, avec de fausses plaques, conduite sans permis, deux refus d’obtempérer.

Le maire de Nanterre aurait dû d’abord, à défaut d’être sensible à l’indécence absolue de cette plaque, s’abstenir par délicatesse judiciaire. En effet, un procès criminel rendra bientôt son verdict sur l’accusation de meurtre imputée au fonctionnaire de police Florian M. Pour ma part j’espère qu’il en résultera que cette qualification n’a aucun sens et que les magistrats et citoyens concernés sauront ne pas apposer confortablement sur les difficiles réalités de l’activité policière l’abstraction d’un droit en chambre, la facilité irresponsable du « il n’y avait qu’à »…

Une mère qui finit par nous choquer

En tout cas il est symptomatique que ce maire ait préjugé et rendu d’une certaine manière encore plus choquant l’activisme de la mère de Nahel, au-delà de la douleur personnelle compréhensible de cette dernière.

Quand j’affirme que ce maire « nous » a donné le coup de grâce, je veux signifier par là qu’il plonge notre société tout entière dans un hommage public qu’il souhaite rendre à quelqu’un qui nous a fait honte à tous. Il aurait dû considérer ce que cet honneur évoqué pouvait avoir d’offensant pour cette « société des honnêtes gens » qu’a mise si justement en avant Bruno Retailleau. Ou faut-il admettre qu’être maire, et maire à Nanterre, justifie les pires affronts au bon sens, à la décence sociale ? Une société si gangrenée qu’elle célèbre ses délinquants ou ses criminels, même tués au cours de leurs méfaits, est profondément malade. Proche de se tuer elle-même. Le maire de Nanterre va-t-il recouvrer la raison ?

Finale du Top 14: les trois coups de pied qui ont fait le match

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Thomas Ramos lors de la finale du TOP 14, Saint-Denis, 28 juin 2025 © Gabrielle CEZARD/SIPA

Toulouse s’est imposé face à Bordeaux samedi soir et repart du Stade de France avec le bouclier de Brennus ! Statistiques d’un match mémorable.


A la 80ème minute, juste avant que l’arbitre ne s’apprête à siffler samedi au stade de France le glas de la finale de rugby du Top 14, le Stade toulousain avait match gagné. Quand, soudain, il commet une fatidique faute, mais une aubaine inespérée offerte à l’Union Bordeaux-Bègles (UBB) qui lui avait bravement tenu la dragée haute. Impavide, Maxime Lucu (dont le patronyme en basque veut dire bois), demi-mêlée et buteur de l’équipe, la passe et met les deux équipes à égalité à 33-33.

Finale d’anthologie

Du jamais vu depuis 20 ans[1], les deux finalistes se départageront au terme de deux prolongations de 10 mn chacune.

A la 95ème minute de celles-ci, Thomas Ramos, l’impérial arrière toulousain, donne l’avantage à son équipe alors que les deux parties faisaient jeu égal, et assez échevelé, transforme une pénalité, puis donne le coup de grâce à Bordeaux-Bègles, en en passant une autre à la 100ème, portant le score à 39 à 33, et mettant fin, le temps étant expiré, à un match « époustouflant », selon Sud-Ouest, le quotidien bordelais où les deux protagonistes « se sont rendu coup pour coup. ».

Ainsi, le sort de cette finale d’anthologie s’est décidé sur trois coups de pied dans un sport qui se joue essentiellement à la main, sans pour autant se résumer à ces derniers. Chacune des équipes a marqué trois essais. Leurs deux buteurs respectifs, Ramos et Lucu, ont eu 100% de réussite (9/9 tentatives pour le premier marquant 24 points sur les 39, et 7/7 pour le second inscrivant lui 18 points sur les 33). Ramos a été élu « homme du match ».

Les deux équipes méritaient la victoire, mais c’est la plus sereine, la plus maître de soi car la plus expérimentée qui s’est imposée. Jeune équipe qui va fêter ses 20 ans la saison prochaine, Bordeaux ne disputait que la seconde finale de son histoire et n’a décroché son premier titre il y a à peine un peu plus d’un mois en remportant la coupe d’Europe après avoir justement sorti Toulouse en demie.

Alors que Toulouse, sur les quinze dernières éditions, a empoché sept titres de champion de France. Cette victoire de samedi à l’arrachée est sa troisième consécutive en finale, sa cinquième sur les six dernières disputées depuis 2019. Le titre n’a pas été décerné en 2020 pour cause de covid. Elle a en tout emmagasiné vingt-quatre boucliers de Brennus dans son histoire. Elle a connu une saison exceptionnelle : en 27 matches de championnat, elle a inscrit 930 points, soit une moyenne de 36 par rencontre, un record, trois de moins que samedi, c’est dire le niveau de sa prestation ce soir-là.

Deux cartons jaunes pour les Bordelais

Les Toulousains ont imposé la suprématie de leurs avants qui ont neutralisé les trois-quarts bordelais, dits « la Patrouille de France », bien que la plus belle phase du match revienne à l’un d’eux. Sur une petite diagonale au pied rasante de Lucu, Damian Penaud, à la vitesse d’une flèche, a été déposé l’ovale entre les poteaux. « Un bijou de clairvoyance », l’a qualifiée le chroniqueur de Sud-Ouest Denys Kappès-Grangé. Mais réaliser des bijoux ne font pas la fortune d’une équipe en rugby.

Si l’UBB a perdu, c’est sa faute pour les avoir cumulées. Contre trois au Stade toulousain, elle en a commis treize ce qui lui valu deux cartons jaunes, autrement dit sur les 80 minutes du temps réglementaire, elle a joué pendant 60 minutes à 14 contre 15, ce qui est un substantiel avantage offert à la partie adverse.

 « Dur de battre Toulouse quand on concède deux cartons jaunes », a convenu l’entraîneur bordelo-blégois, Yannick Bru, surtout que les deux sanctionnés ont été des avants, Guido Petti et Pierre Bochaton, le point faible des Girondins, face une partie adverse dont les trois premières lignes sont justement sa carte majeure, avec bien sûr son arrière Ramos au pied d’or.

« La frustration est énorme, a concédé Lucu, le capitaine de l’UBB. On commet une petite faute sur un ballon haut. Le match se joue sur ça. On a un petit peu craqué à la fin ».

Justement, on laissera le mot de la fin Denys Kappès-Grangé qui écrit avec pertinence dans l’entame de son article de dimanche : « Il n’est pas interdit de se demander si la détresse ressentie par les Bordelais n’est pas plus grande aujourd’hui que celle qu’ils ont éprouvée il y a un an lors de leur humiliation à Marseille ». Pour sa première finale face déjà à Toulouse, ils avaient encaissé un magistrale dérouillée (59-3).

Oui, que vaut-il mieux ? Perdre par 6 points d’écart ou 56 ? Question presque métaphysique. En tout cas, avec Bordeaux-Toulouse se profile désormais un « clasico » de l’ovalie hexagonale…


[1] Le 11 juin 2005 le Biarritz olympique (BO) l’avait emporté sur le Stade français par 37 à 34, au terme des 100 minutes de jeu.

Le spectre des tocards

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86% des Français sont très pessimistes sur l’avenir du « vivre-ensemble » et du civisme.


Le sondage IFOP du 25 juin ne surprend personne, le fond de l’air effraie : individualisme, crétinisation numérique, effondrement éducatif et culturel, croissance en berne, chaos migratoire, violences, narcotrafic, explosion de la dette (3345,8 milliards d’euros, plus 40 milliards en trois mois, 114%, du PIB)… François Bayrou tient son cap, ne fait rien : c’est plus prudent. Emmanuel Macron gesticule comme un hanneton sur le dos. Au fond du bocal, il cherche de l’oxygène. La fin de règne est morose. Encore deux ans. Les Diadoques ont faim. Darmanin, Attal, Philippe : le sprint est lancé !

Un grand concert d’idées brisées

Colbertiste, libérale, patriote, européenne, identitaire, prolo, aristo, orléaniste, bonapartiste, Mariniste, Jordanienne, Jacobine, Girondine, éclatée, fusionnée… Dans le purgatoire depuis quinze ans, les droites hésitent, varient au gré des calculs électoraux et enquêtes du Parquet National Financier. Bruno Retailleau a le vent en poupe. Combien de temps restera-t-il éligible ? La BRI, Tracfin, le Syndicat de la Magistrature et Mediapart sont sur la piste de détournements et financements illicites de Carambars, dans un collège vendéen en 1970.

Les gauches ne vont pas mieux. Olivier Croquignol, Nicolas Filochard et Boris Ribouldingue, se disputent le cadavre du PS. LFI joue cartes sur table, veut faire exploser la nation, sa langue, son histoire, créolise, libanise, vend le pays à l’étranger, à la découpe. Sur le segment porteur mais encombré du lacrymal-victimaire-boulgour-bio, Raphaël Glucksmann a un programme attrape toutous, fusionne les saveurs, enfile les naïvetés et slogans bienveillants comme des colliers de nouilles. À son crédit, la dénonciation de l’ours russe qui menace l’Europe.

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Excédé par les casseurs, les crises de nerfs des succubes, harenguières insoumises, lazzaroni, la chienlit, un quarteron de généreux à la retraite, vieux de la veille, en appellent au consensus et à la modération. Trop, c’est trop ! 

Les forçats de la déroute

Poulidor tranquille de la Social-démocratie, Bernard Cazeneuve plaide –affettuoso allargando- « le retour de la raison en politique, le dépassement des clivages stériles, au service de l’intérêt général ». Son truc c’est « une gauche républicaine, européenne et réformiste, qui refuse tant les outrances que les renoncements ». Un chien parmi les loups, c’est le titre intriguant de son essai. Milou en mai ? Rintintin ? Cubitus ? En 2024, sous le même titre, Marie-Jeanne Rioux racontait les amours d’un pilote d’hélico et d’un biologiste dans le Nunavut canadien. C’est blizzard.

Michel Barnier (Ce que j’ai appris de vous) est porté par une noble conviction : « Chacun est nécessaire ». Il ne donne pas de leçons, mais transmet celles que les Français lui ont inculqué. Voter pour lui, c’est voter pour nous. Bien joué, Michel.

Edouard Philippe frôle le collapsus. Qui paiera Le prix de nos mensonges ? « Nous nous racontons des histoires jolies, rassurantes, glorieuses parfois, qui nous empêchent de proposer au pays des solutions utiles. Pendant que nous nous mentons, les autres avancent, transforment, adaptent, innovent. Et nous nous glosons… Où va-t-il chercher tout cela, Edouard ? Dans Causeur ? Qu’a-t-il fait pendant trois ans ?

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Dominique d’Arabie a trouvé son Chemin de Damas, lance un parti (« La France humaniste »), nous alerte dans Le Pouvoir de dire non. « Il est temps de se réveiller. De déchirer les voiles d’illusions, de renoncer aux reflexes politiciens … Dire non, à ce qui porte atteinte à l’avenir de l’humanité et à la dignité de la république ». Fini les grands moulinets à la Cyrano. De Guiche de la Mirandole Galouzeau de Villepin a muri son projet, affiné depuis 18 ans (son départ de Matignon) : « Une politique d’équilibre et de mesure… Créer les conditions de la recherche du consensus… L’immobilisme, il faut tout faire pour essayer de l’amender ». C’est l’allure finale, les visages du cirque.

Des éléphants, apparatchiks, Esterhazy à l’abri des lambris, s’inquiètent, accusent ! Les pieds-nickelés de la remontada dînent du mensonge et soupent du scandale, s’ébattent dans les Pactes, Grenelle, dénis d’initiés, le « toutlemondisme », des rapports bidons de chercheurs islamo-trotskistes, à l’Hamas et au CNRS. Nos élites lotophages se gargarisent de schibboleth de pacotille : « modèle français », « exception culturelle », repoussoirs qui font éclater de rire à l’étranger. Hors-sol, incompétents, confits dans l’idéologie, aux commandes depuis des générations, ils ont cramé la caisse, plombé le pays, mais restent intarissables sur les leçons de bonne conduite, recettes de potions magiques pour combattre le populisme et défendre l’Etat de droit. Marianne est dans la fosse.

Pas de panique. Il y a le ressenti et la réalité. Les sociologues de France Inter et Télérama sont formels. Dans le passé, le pays a traversé des pics de violence et d’angoisse : Paris en juin 40, en juillet 1793, en août 1572… Haut les cœurs ! Le taux d’exécution des OQTF pourrait atteindre les 10% en 2055. Elisabeth Borne concocte un plan « Zéro machette, Zéro Coke » dans les salles de cours. Sorbonne Université lance un Master 2 d’influenceurs, spécialité « Rap.t-Tag-Crypto ». L’avenir du pays c’est l’éducation, la culture, la jeunesse. 6/20, c’est la barre d’admissibilité pour le concours de professeurs des écoles dans l’académie de Créteil.

« Les hommes sentent dans leur cœur qu’ils sont un même peuple lorsqu’ils ont une communauté d’idées, d’intérêts, d’affections, de souvenirs et d’espérances ». Voilà ce qui fait la patrie. Voilà pourquoi les hommes veulent marcher ensemble, ensemble travailler, ensemble combattre, vivre et mourir les uns pour les autres » (Fustel de Coulanges). Tout s’explique.

Mélenchon ou l’abandon programmé de la France

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Jean-Luc Mélenchon et Rima Hassan, Place de la République à Paris, le 14 juin 2025 © Franck Derouda/SIPA

Destruction de la France : Mélenchon et ses limites


Dans sa destruction de la France française, Jean-Luc Mélenchon est clair, méthodique, cohérent. Depuis sa conversion à l’islamophilie, le leader LFI illustre la réflexion de Chesterton : « Le fou n’est pas celui qui a perdu la raison. Le fou est celui qui a tout perdu excepté la raison ». Lui qui, en 2010, qualifiait le voile islamique de « pratique répugnante et obscène », s’est fait, depuis, le théoricien rigoureux de la conquête musulmane. Tout à son projet électoraliste d’une « nouvelle France » métissée, également rêvée par Dominique de Villepin, Mélenchon banalise le voilement des petites filles, dénonce l’islamophobie derrière la critique de la charia, nazifie le sionisme qui résiste à ses ennemis, invite les clandestins qui traversent la Méditerranée à « épouser nos filles et nos gars ». Il propose même de brader la langue française : « Je préférerai que l’on dise que nous parlons tous le créole », a-t-il dit l’autre jour à l’Assemblée nationale, lors d’un colloque sur la francophonie. Le candidat de l’extrême gauche à la présidentielle a choisi de promouvoir le basculement identitaire de la nation – son grand remplacement en somme – en l’ouvrant sans cesse à une immigration maghrébine et africaine dont il sait, par l’effet du nombre, qu’elle ne modifiera pas ses mœurs en foulant le sol français. Qu’est-ce que coloniser un pays sinon s’y installer en refusant de changer sa propre histoire ? Non content d’être le parti de l’étranger, LFI est celui de l’islamisation et de l’africanisation de la nation. Si rien ne vient faire obstacle à cette disparition espérée d’un peuple enraciné, coupable de vouloir se protéger de ses envahisseurs et de leurs complices à prénoms français, l’histoire donnera raison, au mitan de ce siècle, à Mélenchon. Mais tout est encore réversible.

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Car il reste une lacune, dans la logique glaciale de l’idéologue : son raisonnement ne tient que si le peuple indigène demeure tenu à l’écart de son destin. Or il ne suffit pas de décréter, comme Sandrine Rousseau jeudi, que « les Français de souche, ça n’existe pas » pour les faire disparaître tels des mouches agaçantes. Ces Français-là sont encore, aux trois-quarts, largement majoritaires. C’est pourquoi il est devenu urgent que l’immigration de peuplement, qui accélère le naufrage du pays, apparaisse enfin comme le sujet prioritaire d’un référendum. Au-delà du militant pro-islam qu’est Mélenchon, c’est tout un monde politique qui, depuis cinquante ans, a avalisé le projet d’une société ouverte, multiculturelle, indifférenciée. Jamais aucun peuple d’Europe n’a été invité, hormis le référendum français de 2005 passé à la trappe et le Brexit britannique, à se prononcer sur son avenir.

Pourtant tous les sondages montrent l’attachement des gens ordinaires à leur patrie, leur mode de vie, leurs traditions. Le mérite du chef de LFI est de confirmer, dans son objectif de la table rase, que la première des menaces pour le pays vient de l’intérieur, c’est-à-dire de ces traîtres qui veulent enterrer la France et que j’avais dénoncés en 20201.

Dans son discours de Munich du 14 février, le vice-président américain, J. D. Vance, a rappelé qu’il était encore loisible de « changer de cap, de donner une nouvelle direction à notre civilisation commune », en écoutant simplement la voix des citoyens oubliés. Les bâillonner encore serait criminel.

  1. Les Traîtres, Edition Pierre-Guillaume de Roux ↩︎