Accueil Édition Abonné Awassir: la cinquième colonne d’Alger

Awassir: la cinquième colonne d’Alger

Quand Alger s'invite à Paris sans visa...


Awassir: la cinquième colonne d’Alger
Soirée de lancement de l'association Awassir à la Grande Mosquée de Paris, 5 mars 2024 © Omar BOULKROUMA/Awassir

Awassir est une association parrainée par le président Tebboune et hébergée par la Grande Mosquée de Paris. Cette nouvelle version de la Fédération de France, alliée du FLN pendant la guerre d’indépendance, ne cache pas son objectif: transformer la diaspora en une force politique au service du régime d’Alger.


En général, les révélations liées aux manœuvres des ingérences étrangères s’accompagnent d’une multitude de détails croustillants et sulfureux dignes d’un roman policier. Ici, pas d’histoire de corruption, de témoignage de repenti, d’excavation de réseaux souterrains ou de fuite de document compromettant. Mais pendant que les services de l’État et les journalistes d’enquête pourchassent (parfois la main dans la main) les groupes qui travaillent la société française dans l’ombre pour le compte de gouvernements hostiles, il existe des organisations qui agissent en pleine lumière sans que leur progression fasse l’objet d’une quelconque prise de conscience. C’est le cas d’Awassir.

De son adresse, à ses parrains, à son projet politique pour la communauté algérienne de France, la nouvelle pièce maîtresse de la stratégie d’ingérence du régime algérien en France ne cherche rien à dissimuler. Comment expliquer que son action n’ait, jusqu’à présent, pas encore alerté les si bien informés locataires du Quai d’Orsay et de l’hôtel de Beauvau, en particulier dans un moment d’escalade des tensions entre la France et l’Algérie ? Mystère. Il est pourtant peu vraisemblable qu’ils n’en aient jamais entendu parler.

Bonnes fées

Sans être habilitées à recevoir les « notes blanches » qu’adressent les services de renseignement aux plus hauts responsables des administrations de l’État, les sources qui m’ont mis sur la piste d’Awassir sont elles-mêmes issues du ministère de l’Intérieur, du ministère des Affaires étrangères et de cercles d’affaires qui fréquentent régulièrement les réseaux diplomatiques : « Tu devrais t’intéresser à Awassir », « Tebboune veut se mettre les Algériens de France dans la poche, avec Awassir il cherche à ressusciter l’Amicale des Algériens », « Awassir, tu connais ? Une cinquième colonne, sans la clandestinité ! »

A lire aussi: Coupons le cordon! Pour l’indépendance de l’Algérie

Fondée en 1962 sur le modèle de la « Fédération de France » qui joua un rôle politique majeur dans l’Hexagone au profit du FLN pendant la guerre d’Algérie, l’« Amicale des Algériens » avait pour but de cultiver la fidélité des Algériens émigrés en France à l’égard de leur mère patrie. Noyée sous les divisions, elle a cessé d’exister quelques années avant la décennie noire des années 1990.

Awassir est sa nouvelle mouture, créée alors que le régime algérien redouble dans l’autoritarisme et que la communauté (franco-)algérienne de France représente un poids démographique et électoral significatif (2,6 millions d’individus selon la direction nationale du renseignement territorial, 6 millions selon le président Tebboune, qui inclut probablement dans ce chiffre les générations de Français issus de l’immigration algérienne).

Sise dans les locaux de la Grande Mosquée de Paris, Awassir est née sous les auspices de deux fées incontournables du « système » algérien : Chems-Eddine Mohamed Hafiz, actuel recteur de la Grande Mosquée, président du comité de soutien du président Abdelaziz Bouteflika en France en 2014, soutien inconditionnel du président Tebboune, il fut l’avocat qui traîna en justice Michel Houellebecq pour ses propos sur l’islam et Charlie Hebdo après la publication des caricatures de Mahomet en 2006.

La seconde fée est Abdelmadjid Tebboune himself. Ce double parrainage n’est ni une supposition, ni une interprétation, ni un secret. Le président d’Awassir, Antar Boudiaf, un binational enseignant en génie mécanique de proche banlieue parisienne, fervent zélateur du régime et de tous ses avatars, l’exprimait clairement le 11 août dernier, à l’occasion d’un passage sur AL24, la première chaîne d’information internationale algérienne, huit mois après la création d’Awassir : « Cette association était une volonté du recteur de la Grande Mosquée de Paris […], il faut rappeler, quand même, que c’est une initiative aussi du président Abdelmadjid Tebboune, qui nous a tendu la main, nous la communauté algérienne de l’étranger qui est une partie intégrante de la communauté nationale. Pour nous il était important de fédérer, de mobiliser cette communauté. »

A lire aussi, Gil Mihaely: Bombe iranienne: divergences entre militaires et renseignement aux États-Unis

Si le nom d’« Awassir » (le « pont ») et son objet administratif (« susciter, promouvoir, consolider, approfondir toute forme de rencontres et de coopérations […] dans tous les domaines touchant les sociétés civiles française et algérienne ») peuvent jeter le trouble sur la nature de l’association, les discours et les actions qu’elle porte publiquement suffisent à comprendre son véritable but : façonner la communauté algérienne de France dans le sens des intérêts d’Alger. Le « pont » ne va que dans un seul sens, celui de l’Algérie.

Tebboune, le « candidat libre »

Aidée par les ressources et les réseaux de la Grande Mosquée de Paris, Awassir « travaille » la diaspora algérienne de France sur trois axes. Elle cherche à cultiver le sentiment d’appartenance à l’Algérie en organisant des camps de vacances et des circuits de découverte du patrimoine algérien (pris en charge par le ministère algérien de la Jeunesse) à destination des jeunes et en structurant des réseaux professionnels. 

Derrière la façade binationale, Awassir ne développe pas seulement un creuset culturel communautaire, mais agit comme un véritable organe de propagande électorale à la solde d’Alger. À mi-chemin entre un parti politique et un département chargé des élections du ministère de l’Intérieur, Awassir incitait il y a un an les Algériens de « citoyenneté française » à s’inscrire sur les listes électorales aux élections européennes pour « peser » sur la politique hexagonale. Deux jours avant le scrutin, le président d’Awassir cosignait un appel[1] pour faire de cette élection un référendum contre le RN et les « excès » de Reconquête. En août dernier, l’association a battu campagne pour la réélection du président Tebboune (« le candidat libre ») organisant tous ses meetings en France, à Stains, Lyon, Marseille, Paris… avant d’être invitée à sa cérémonie d’investiture.

Passée entre les mailles du filet de la loi sur les ingérences étrangères adoptée l’été dernier, Awassir continue son travail politique au service du président Tebboune, à l’ombre du minaret de la mosquée de Paris. Les prochaines échéances électorales françaises auront lieu dans huit mois, puis viendra l’élection présidentielle. D’ici là, Awassir a le temps et les moyens d’atteindre son but : transformer la diaspora algérienne en une force politique au service du régime algérien.

Après la paix: Défis français

Price: 12,00 €

5 used & new available from 12,00 €


[1] https://www.la-croix.com/a-vif/face-a-la-montee-du-rn-et-ses-discours-de-division-un-appel-signe-par-80-personnalites-musulmanes-20240705

Juin 2025 – #135

Article extrait du Magazine Causeur




Article précédent Une Pléiade pour entrer dans l’atelier d’Aragon
Article suivant Podcast: Trump, maître de l’OTAN; le match France-Algérie; Villepin « humaniste »
Loup Viallet est journaliste et géopolitologue, directeur du journal Contre-Poison Auteur de La fin du franc CFA et d'Après la paix

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération