Monsieur Nostalgie continue sa série sur les auteurs talentueux qui se font trop discrets. Ce dimanche, il nous parle d’Arnaud Guillon, le romancier du triangle amoureux…
Le jour, où je ne croiserai plus sa silhouette gracile flâner dans Saint-Germain-des-Prés et sa mèche blanche voler au vent mauvais d’une littérature jetable, que ce soit aux abords de la place St-Sulpice ou dans les rues du quartier latin, je perdrai foi dans le Livre. J’abandonnerai le métier sur le champ pour me consacrer aux automobiles anciennes. Sa présence dans les allées du Monoprix me rassure. Son port de tête, un brin altier, parfois goguenard, surplombant un buffet dans ces mondanités que Paris s’évertue à faire exister artificiellement me comble de joie. Je ris d’avance de ses bons mots et de cette distance d’ancien régime qui caractérisaient autrefois les honnêtes hommes. Il est le signe que notre pays n’a pas encore totalement sombré dans le reniement de son style et de son esprit.
Indéfinissable charme
Il est, sans le savoir, le baromètre d’une époque où l’écrivain possédait des lettres et des pudeurs, des tâtonnements et des soupirs, où sa matérialité passait par une œuvre délicate et une façon de la porter tout aussi élégante. Il m’a souvent parlé de la grâce d’un livre, cet indéfinissable charme qui s’élève, par miracle, d’un amas de mots. L’immortalité est à ce prix-là. J’ai vraiment peur du jour où Arnaud Guillon ne posera plus son regard distant et nostalgique, lucide et amusé, sur le tourbillon de la vie. Il est vraiment d’ailleurs bien qu’il soit né à Caen. Il pourrait être un cousin éloigné de Pascal Jardin ou de Jean Freustié dans le toucher de plume, la rondeur et le sarcasme jouant chez lui un tango infernal. Il serait un descendant du baron Empain, qui revenu de l’enfer, aurait le chic de ne pas se plaindre de son sort. Il pourrait être un imper qui traverse la nuit parisienne sur un saxo désenchanté de Miles Davis. Une note bleue sur un soleil couchant à la Pissarro. Ou bien ce conducteur de SM à moteur Maserati qui s’arrête au Drugstore pour acheter le journal du soir et un paquet de blondes. Une femme aux yeux clairs l’attend sur le siège passager, elle porte une montre-bracelet Cartier et des lunettes en écaille. Un brouillard à la Sautet, incertain comme les élans du cœur, nous empêche de distinguer son rouge à lèvres.
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Arnaud Guillon ressemble à un acteur de comédie dramatique des années 1970 ou à ces étudiants d’Oxford encapuchonnés dans un duffle-coat pour mieux masquer leurs fêlures. Il y a du Normand en lui, donc de l’Anglais mais un Anglais tamisé par les bouquinistes des quais de Seine, par l’odeur des reliures pleine fleur et la tristesse des petits matins quand l’être aimé doit partir. Après lui, c’en sera fini de l’édition et du contrat moral passé entre l’écrivain et son lecteur. Car le lecteur avait jadis des droits et des attentes. La littérature n’est pas le déversoir à sentiments qu’elle est devenue, elle n’est pas une psychanalyse pages ouvertes ; elle est un sacerdoce et un artisanat ensorcelés dans une solitude mystérieuse, source de béatitude et de sueurs froides. Parfois, pour les plus talentueux, Arnaud Guillon en fait partie, elle se transforme en art. L’auteur est un chevalier errant, il ne court pas les plateaux et les prébendes, il construit seul, patiemment, dans l’indifférence quelque fois, son théâtre vivant.
Une espèce en voie d’extinction
Dans ce quartier m’as-tu vu où le roman s’épanouissait, voir Arnaud Guillon remonter la rue Jacob d’un pas fouettant (il a bonne allure), c’est toucher l’un des derniers représentants d’une espèce en voie d’extinction. Je parle ici de l’écrivain de langue française, classique et intimiste à la fois, le conteur des alcôves bourgeoises et des chagrins qui ne se guérissent pas.
Le visage éternel d’un jeune provincial monté à la capitale, piqué de lectures et d’illusions, voulant lui aussi se jeter dans la bataille du texte aussi carnassière que celle du rail. Arnaud Guillon est ce travailleur du soir accaparé par son manuscrit et la concordance de ses phrases. Ses courts romans sont extraits de vendanges tardives, il les murît jusqu’à la dernière seconde, soigne leur attaque et leur longueur en bouche. Il chasse les adjectifs superflus, il débroussaille sa prose pour qu’elle sonne clair. Au siècle dernier, il s’était fait connaître par des entretiens, notamment avec l’impossible François Nourissier, puis dès la parution d’Écume Palace (Prix Roger Nimier 2000), il dessina sa carte du tendre ce qui assura son succès chez Plon et Héloïse d’Ormesson (15 août, Hit-parade, Tableau de chasse, En amoureux). Il a choisi comme terre d’expression, le roman d’amour, peu d’écrivains ont le cran d’écrire sur ce sujet sans se brûler les ailes. Sans mièvrerie, avec un art du retranchement remarquable, il a su créer des personnages et des histoires qui durent. Il s’est épanoui dans l’inconfort amoureux. Arnaud Guillon résiste à cette lame de fond du vulgaire, à cet esprit boutiquier, et surtout il ne se presse pas. Il ne publie pas voracement à chaque rentrée. Mais décidément, que c’est long, nous avons hâte de tenir entre les mains le prochain Guillon.


