Missionnés pour peser la population dans la rue, les agents de santé turcs obéissent à la dernière lubie hygiéniste d’Erdogan, pour qui la minceur est une vertu patriotique. Mais entre austérité alimentaire et culpabilisation publique, le président ne confond-il pas lutte légitime contre l’obésité et contrôle des corps façon autocratie néo-ottomane ?
La Turquie a récemment lancé une campagne nationale spectaculaire : arrêter les passants dans l’espace public pour les peser et mesurer leur tour de taille. Munis de balances et de rubans à mesurer, des agents de santé sillonnent les 81 provinces du pays dans l’objectif affiché d’évaluer 10 millions de personnes avant le 10 juillet. Si la démarche repose sur le volontariat, la mise en scène, elle, est éminemment politique.
Car pour le président turc Recep Tayyip Erdogan, l’obésité est une grande cause nationale. Il appelle ses concitoyens à manger moins de pain, à éviter sucre et produits transformés, et à privilégier une alimentation locale, nationale et saine. Le président n’hésite pas à commenter publiquement la silhouette d’enfants ou de ministres qu’il croise, érigeant la minceur, l’autodiscipline et la sobriété alimentaire en vertus civiques. Le citoyen idéal selon Erdogan est, pour utiliser un terme du XIXe siècle, « sec », pieux et résolument opposé aux excès venus d’Occident.
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Il est vrai que les chiffres interrogent. Depuis son arrivée au pouvoir en 2002, l’obésité qui concernait 22,3 % des adultes en 2000 atteindrait cette année 37,2 % !
D’abord, durant les années de forte croissance économique (2004-2013), une alimentation plus riche en calories est devenue plus accessible, notamment aux classes moyennes émergentes, base électorale d’Erdogan. Puis, la crise économique venue, l’alimentation s’est appauvrie sous une autre forme. Des produits de qualité, trop chers, ont été remplacés par des aliments industriels bon marché. Dans ce contexte, les injonctions présidentielles à « manger moins » et à « marcher plus » font penser à une certaine reine de France qui s’était risquée à des recommandations nutritionnelles. Cela ne lui a pas réussi.