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« Des enfants gâtés », un film de Bertrand Tavernier


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Christine Pascal et Michel Piccoli dans "Des enfants gâtés" (1977) de Bertand Tavernier © ETIENNE GEORGE / COLLECTION CHRISTOPHEL VIA AFP

« Des enfants gâtés », mon Tavernier préféré disponible en VOD


« Et Bertrand Tavernier, il sent le pâté ? ». Certains parmi vous se sont offusqués de mon silence, en mars dernier, à la disparition du réalisateur français. Nécrologue officiel du journal, grand ordonnateur de papier, j’aurais volontairement omis de traiter ce décès célèbre. D’autres m’ont, par le passé, déjà reproché d’avoir embaumé Annie Cordy et Charles Gérard, ne comprenant pas ma logique des pompes funèbres. La nécrologie comme les antibiotiques, ce n’est pas automatique. Je ne suis pas le poinçonneur des chrysanthèmes. 

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Il n’y avait aucune intention de ma part, aucun calcul. Et je ne cours pas après le dernier mort en vogue. L’actualité m’avait, ce jour-là, orienté vers d’autres cieux. Aujourd’hui, au cœur de l’été, je tiens à réparer cette injustice en exhumant « Des enfants gâtés », film de 1977, disponible sur CANAL VOD. Pourquoi ce long-métrage et pas un autre ? Je vous répondrai : arbitraire du chroniqueur et sentimentalisme d’après-crise du pétrole, goût pour la moquette et affres intérieurs des cadres moyens. Tavernier en a écrit et réalisé probablement de meilleurs, de mieux construits, de moins explicatifs, de moins militants et cependant le charme automnal de cette tranche de vie a quelque chose de purement mélancolique. 

Un film qui déboussole et console à la fois

D’une puissance évocatrice que seule la littérature est d’habitude susceptible de provoquer chez moi. « Des enfants gâtés » rend triste et heureux, amer et vivant, dans cette incertitude poisseuse que les enfants uniques connaissent depuis leur naissance. La solitude, cette compagne versatile, nous a appris à composer avec l’insatisfaction de l’existence. Ce film inspire un état de transition fort agréable comme une journée à la plage sous la pluie ou une avant-veille de rentrée scolaire. Il déboussole et console. « Tu es tout chose, mon petit », me répétait ma grand-mère soucieuse de mon équilibre mental. « Des enfants gâtés » me produit ce même effet bizarre. Tavernier a capturé, malgré quelques lignes de dialogue trop sociologisantes, les éraflures du quotidien, misères domestiques et amours en filigrane, états d’âme couleur menthe à l’eau et rêves en formica, dans sa boule à neige.

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On éprouve un plaisir immense à revoir ce film et à s’imprégner de cette France en voie d’urbanisation au forceps. Un rideau de tergal nimbe alors l’avenir des classes moyennes, entre appétit de consommer et conscience politique. Au-delà de la crise immobilière et des expulsions qu’il condamne, de l’âpreté des promoteurs aux locataires réunis en comité de défense, ce film vaut pour l’atmosphère de cette fin 1970. Dans une impasse scénaristique, Bernard Rougerie (Michel Piccoli) s’installe dans une HLM pour terminer son film, il est aidé par Pierre (Michel Aumont). Au même moment, les locataires de l’immeuble où il réside provisoirement, partent en guerre contre leur propriétaire (Georges Riquier). Bernard Rougerie, unique célébrité au milieu de tant d’anonymes, va voir son quotidien bousculé par une jeune voisine (Christine Pascal) et son film prendra alors une autre trajectoire.

Apnée nostalgique

Tavernier portraiture à merveille cette coalition hétéroclite d’anti-héros ; fonctionnaires, commerçants ou demandeurs d’emploi qui cherchent à se loger au juste prix et s’invitent pour des soirées diapos. Il livre le visage d’un pays en mutation sans faire preuve d’un excès d’angélisme ou de défaitisme. Il navigue aux portes de la capitale dans un territoire griffé par des grues géantes et de voraces excavatrices. Les Halles Baltard n’existent déjà plus. Le béton coule le paysage. On continue pourtant de mettre de la cannelle sur les tartes et à s’acheter des meubles chez Habitat. À vrai dire, tout ça est accessoire, non essentiel, comme dirait un progressiste. C’est de l’ordre du décor. Lorsque la reine Christine Pascal pénètre dans l’écran, on se fout des loyers modérés, des clauses abusives et de la construction sous Giscard. L’émotion a trouvé sa muse. Fragile et volcanique, Christine se pose sur la caméra de Tavernier. Il n’a presque plus rien à faire. Il a trouvé son métronome. Elle est là, intensément, avec ce désespoir en bandoulière qui fit chavirer les adolescents de ma génération. 

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Chaque réplique foudroie par sa justesse et sa révolte. Piccoli, superbe comme souvent, admet la supériorité de cette voisine au corps délié pour qui l’amour est une aventure pas si ordinaire que ça. C’est elle qui désormais rythmera le film, lui donnera son relief, son apnée nostalgique et ses sanglots retenus. Je pourrais vous parler de la musique de Philippe Sarde, de la chanson d’ouverture interprétée par Marielle et Rochefort, de la présence des membres du Splendid encore inconnus, de cette phrase balancée par Jugnot qui me ravit : « Je suis Renault à mort » ou celle de Michel Aumont : « À Paris, t’es noyé, en Province, les choses sont plus cernées […] Je vois ça (le film) à Saint-Etienne ». Mais, par honnêteté intellectuelle, je ne me souviens que de Christine Pascal.  

Des enfants gâtés (1977), de Bertrand Tavernier – CANAL VOD.

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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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