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Convoi de la Liberté: l’opposition à une “révolte des élites”


Convoi de la Liberté: l’opposition à une “révolte des élites”
Ottawa, 30 janvier 2022 © Justin Tang/AP/SIPA

Le « convoi des camionneurs » qui paralyse la capitale canadienne Ottawa est plus qu’une révolte contre les mesures sanitaires


« A mari usque ad mare » ou « De la mer jusqu’à la mer ». Ces mots issus de la Bible sont la devise nationale du Canada où ils signifient « D’un océan à l’autre ». Des côtes de l’Atlantique à celles du Pacifique, des colonnes de poids lourds appelées « Convoi de la Liberté » ont rejoint la capitale fédérale, Ottawa, pour protester contre la triple vaccination obligatoire. Les manifestants sont notamment échaudés par les propos du Premier ministre Justin Trudeau les présentant comme des extrémistes. Si les chiffres de la participation sont exagérés, notamment par le recours à des photos décontextualisées, le mouvement est important et peut être en partie lu comme une révolte populaire face à la révolte des élites décrite par l’historien et penseur américain Christopher Lasch.

Une attitude condescendante

Dans un article d’opinion du quotidien canadien National Post intitulé « Justin Trudeau le diviseur suprême des Canadiens », le chroniqueur James Robson a comparé, le 25 janvier, le mépris du Premier ministre pour ses contradicteurs à celui de Barack Obama dont « l’attitude condescendante a eu un effet polarisant » sans que jamais il ne dise son mea culpa. On se rappellera que, lorsque les tea-partiers avaient protesté contre les taxes en 2009, Obama les avait traités de tea-baggers, une insulte sexuelle (mettre ses testicules dans la bouche d’une personne), reprenant l’injure d’Anderson Cooper, présentateur sur CNN, à leur sujet.

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Dans la foulée d’un Emmanuel Macron assurant qu’il souhaitait « emmerder les non-vaccinés », Justin Trudeau avait déclaré le 5 janvier au parlement que les Canadiens vaccinés étaient en colère contre ceux ne l’étant pas. Selon ses mots, les confinements et autres restrictions sont de leur faute. Le lendemain, le Toronto Sun a publié une chronique dénonçant la désignation de boucs émissaires et le silence de l’opposition. L’article rappelle les propos tenus en français par Trudeau en septembre dernier au Québec : « Il y a aussi des gens qui sont farouchement opposés à la vaccination, qui croient pas dans la science, qui sont souvent misogynes, souvent racistes, c’est un petit groupe mais qui prend de la place. Et, là, il faut faire un choix en tant que leader, en tant que pays : est-ce qu’on tolère ces gens-là ? »

Cette tendance grandissante de certaines élites à se révolter contre les petites gens pour les disqualifier, en dissimulant de moins en moins leur mépris, explique en partie ces manifestations de colère dans un pays réputé placide.

Non-démonstration au Parlement, démonstration devant le Parlement

Depuis le 15 janvier, les camionneurs franchissant la frontière américano-canadienne sont censés être vaccinés s’ils veulent éviter une quarantaine de deux semaines. De même, le gouvernement prévoit d’obliger les routiers à l’être s’ils veulent passer d’une province à une autre. Le média Global News souligne que, questionnés à la Chambre des communes mi-janvier, ni le ministre fédéral de la Santé, Jean-Yves Duclos, ni l’administratrice en chef de la santé publique, Theresa Tam, n’ont pu démontrer de lien entre les contaminations et les routiers. 10% des près de 230 000 routiers ont refusé la vaccination obligatoire pour franchir les limites provinciales.

Les premiers énormes poids lourds, assez souvent ornés du drapeau à la feuille d’érable, sont entrés à Ottawa le 28 janvier rejoints par les autres le lendemain, pour notamment protester devant la colline du Parlement. Certains avaient pris la route dès le 22. De manière générale, l’accent médiatique a été mis sur des éléments extrémistes censés discréditer le mouvement, tels que des manifestants affichant un drapeau nazi, les couleurs confédérées, ou insistant pour être nourris par des distributeurs de soupe, faute de pouvoir entrer dans les restaurants sans passeport vaccinal. Cependant, les camionneurs avaient préparé des provisions et ont mis en place un service d’ordre pour repérer les quelques fauteurs de troubles. 

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Dans cette révolte contre un pouvoir jugé arrogant, ils sont soutenus par le milliardaire Elon Musk (retrouvez cet après midi un article à ce sujet sur Causeur.fr) et l’ancien président américain Donald Trump, toujours prompts à dénoncer les élites. 

La révolte d’une élite face aux doutes et refus des petites gens: nazification et mépris

Dans La révolte des élites et la trahison de la démocratie publié à titre posthume en 1995, l’historien et critique social américain Christopher Lasch constate un mépris de classe grandissant, notamment sur le plan sanitaire : « Incapable de saisir l’importance de la différence de classe dans la formation de nos attitudes envers la vie, les libéraux de la bourgeoisie aisée (upper middle class) ne parviennent pas à prendre la mesure de la dimension de classe caractérisant leur obsession pour la santé et la droiture morale […] Lorsqu’ils se trouvent confrontés à de la résistance devant ces initiatives, ils révèlent la haine venimeuse qui ne se cache pas loin sous le masque souriant de la bienveillance bourgeoise. La moindre opposition fait oublier aux humanitaristes les vertus généreuses qu’ils prétendent défendre. Ils deviennent irritables, pharisiens, intolérants. Dans le feu de la controverse politique, ils jugent impossible de dissimuler leur mépris pour ceux qui jugent avec obstination de voir la lumière » [1].

Autre provocation et manifestation de mépris, avant même l’entrée des routiers dans la capitale et l’agitation de l’unique drapeau nazi, le caricaturiste canadien Michael de Adder, par ailleurs employé du Washington Post, avait publié le 28 sur Twitter un dessin montrant des camions affichant le terme « fascisme », avec pour légende ironique « Chaîne d’approvisionnement ». Fortement critiqué, il a depuis supprimé son message. Le même jour, le Washington Post publiait un article d’opinion affirmant que « le mouvement partage des affinités avec les politiques autoritaires toxiques de Trump ». Rien moins que ça…

Deux jours avant l’entrée des camionneurs dans la capitale, Justin Trudeau les avait décrits comme une « petite minorité marginale de personnes qui se rendent à Ottawa et qui ont des opinions inacceptables ». Et alors même qu’ils commençaient à se regrouper devant le Parlement et que le chef du gouvernement avait été exfiltré, son ministre des Transports, Omar Alghabra, a semblé provoquer davantage en affirmant être en train de travailler en vue de l’obligation vaccinale pour les transporteurs interprovinciaux. 

Sur American Thinker, Thomas Lifson, sociologue, parle d’une « escalade face à une révolte populaire » et estime que cela témoigne d’un « mépris ressenti par les élites éduquées – les personnes désormais connues sous le nom de classe des ordinateurs portables pour leur capacité à fonctionner même en cas de confinement – pour les classes inférieures dans l’ordre social. » L’auteur ajoute : « Si ces prolos, dont la vie professionnelle consiste à conduire des camions, entendent défier Trudeau, il leur montrera qui a le pouvoir et qui ne l’a pas. »

De son côté, le Premier ministre québécois, François Legault, a renoncé ce 1er février à déposer son projet de la loi sur la contribution santé censé obliger les personnes non-vaccinées à payer une taxe de 100 à 800 dollars selon les revenus.


[1] Christopher LASCH, La révolte des élites et la trahison de la démocratie, Climats, 1996, p. 40

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