Accueil Culture «Rien à foutre»: les hôtesses de l’air ne s’envoient plus en l’air

«Rien à foutre»: les hôtesses de l’air ne s’envoient plus en l’air

Adèle Exarchopoulos en hôtesse de l'air, actuellement au cinéma


«Rien à foutre»: les hôtesses de l’air ne s’envoient plus en l’air
"Rien à foutre" (2022), un film de Emmanuel Marre et Julie Lecoustre © Condor Distribution

Le film d’Emmanuel Marre et Julie Lecoustre trace le portrait désabusé d’une prolétaire des vols low-cost.


Il n’y a pas de petits métiers. Mais certains font pitié, tout de même. Cassandre – rien que le prénom : tout un programme ! – est hôtesse de l’air. Enfin, hôtesse, c’est un bien grand mot pour qualifier ce job servile que l’héroïne de « Rien à foutre » a en partage avec un régiment cosmopolite de filles pas futées.

Rêvant d’échapper à leur sédentarité sans horizon, toutes ont signé avec « Wing », une compagnie low cost… qui en rappelle certaines. Elles enchaînent les vols moyens courriers : Lanzarote/ Prague/ Lisbonne, par exemple, en un seul jour.

Robe cardigan bleu criard, foulard jaune canari: c’est l’uniforme hideux de ce prolétariat corvéable à merci, car en nombre inépuisable.

Hiérarchie intrusive et novlangue managériale

Dans le rôle de Cassandre, Adèle Exarchopoulos, la comédienne de « La vie d’Adèle », ce film d’Abdellatif Kechiche qui avait assuré sa célébrité comme martyre du Septième art. Elle s’en est si bien remise qu’on l’a revue cette année dans « Bac nord », de Cédric Jimenez, et dans « Mandibules », de Quentin Dupieux.

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Assez courageusement, elle endosse ici le rôle pas très glamour d’une de ces exécutantes assignées à « faire du chiffre » à bord, précédées de leur charriot de produits duty free : « personnel junior » navigant, promis à se voir évalué sans trêve par une hiérarchie intrusive qui ne connaît, comme mode d’échange avec son personnel constamment sous pression que la novlangue anglo-saxonne et, en guise de promotion interne, le chantage au licenciement.

© Condor Distribution

La désolation de ces destins, leur cruauté métaphysique, tient à l’assentiment qu’ils suscitent malgré tout, smiley formatés, banalité consentie du quotidien, vide des rencontres, copulations sans lendemain, addiction aux réseaux : même pas malheureuses ! Rien à foutre ! Leur rêve suprême : intégrer une compagnie haut de gamme de jets privés, accéder ainsi par procuration à l’opulence aseptisée de Dubaï. Tournées sous la tyrannie de la distanciation sociale dans une cité bâillonnée par la pandémie, les séquences finales nappent le monde tel qu’il va d’un regard judicieusement acide.  

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Cassandre ou l’exploitation

En se gardant de « victimiser » à outrance leur jeune Cassandre, le duo de scénaristes réalisateurs Emmanuel Marre et Julie Lecoustre échappent avec intelligence au « film dossier » chargé de documenter une forme parmi d’autres d’exploitation capitaliste et de réification du travail.   

Rien à foutre. Film d’Emmanuel Marre et Julie Lecoustre. Avec Adèle Exarchopoulos. France, couleur, 2021. Durée : 1h50. En salles le 2 mars 2022.




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