Vieux de deux mois déjà, le conflit russo-ukrainien ne semble pas près de se conclure. Ni la Russie, ni l’Ukraine, ne semblent avoir les moyens militaires de l’emporter. Et aucune solution politique ne se dessine. La justification russe d’un prétendu « encerclement » par l’OTAN à son agression ne résiste pas à un examen sérieux.
La guerre est devenue un face à face dévastateur et sanglant dans le Donbass qui pourrait se prolonger des mois, voire des années. Cependant, ce conflit a déjà fait deux vainqueurs: l’OTAN et les Etats-Unis ! L’Alliance atlantique, moribonde il y a quelques années, est redevenue incontournable et va accueillir probablement deux nouveaux membres, la Finlande et la Suède. L’ironie majeure de ce renforcement est que ces deux pays vont doubler la longueur des frontières russes partagées avec l’OTAN, alors que c’est, entre autres, pour contrer l’encerclement supposé de son pays par les forces atlantiques que Poutine a déclenché sa guerre… Effet inverse de celui recherché !
Les Etats-Unis qui fournissent à l’Ukraine armes, équipements et entrainement ont fait, sur le terrain, par soldats ukrainiens interposés, la démonstration de la qualité de leur matériel et de leur efficacité militaire. Ils pourront continuer de vendre leurs armes et leur protection aux pays européens, ainsi même que leur gaz naturel, tandis que leur grand rival de la guerre froide se retrouve empêtré dans un conflit durable, isolé sur la scène internationale et ciblé par des sanctions économiques débilitantes à très long terme.
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Cette nouvelle réalité enrage d’ailleurs les zélés de l’anti-américanisme primaire qui se vengent comme ils peuvent en déversant leur haine de l’Amérique sur les ondes et les réseaux sociaux.
Certains n’hésitent pas à prétendre que si l’Amérique sort première gagnante de ce conflit c’est bien sûr parce qu’elle avait tout manigancé à l’avance. Ce conflit serait le résultat d’une « manipulation » américaine ! Il aurait été « orchestré » par les Etats-Unis ! Le vrai responsable, à les croire, c’est le grand satan américain. Ainsi, Vladimir Poutine, l’ex-espion du KGB et du FSB, homme retors, froid et calculateur, se serait fait berner par Joe Biden, le vieux pantin démocrate gaffeur aux capacités cognitives incertaines… Ahurissante analyse qui rassemble dans un même camp les ennemis de l’Amérique, l’extrême gauche radicale, l’extrême droite nationaliste, et même des terroristes islamistes.
Les États-Unis comme fauteurs de guerre, une idée très répandue
En Chine, le Quotidien du peuple qui est l’organe du Parti Communiste écrit : « Derrière la crise en Ukraine se cache l’ombre de l’hégémonie américaine. L’expansion de l’OTAN vers l’est, menée par les États-Unis, est à l’origine de la crise en Ukraine. Les États-Unis sont l’initiateur de la crise. »
La Corée du Nord reprend la voix de son maître : « La cause profonde de la crise ukrainienne réside dans l’autoritarisme et l’arbitraire des États-Unis… (leur) politique de suprématie militaire au mépris de la demande légitime de la Russie pour sa sécurité. Tout est de la faute des États-Unis. »
Au Liban, Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah déclarait récemment « L’Amérique est responsable de ce qui se passe en Ukraine. Elle a fait de la provocation, n’a pas aidé pour trouver une solution diplomatique et n’a rien fait pour arrêter la guerre. »
En Israël, le parti communiste a condamné « l’agression de l’OTAN qui sert les États-Unis bellicistes. » « Quiconque ignore la provocation des États-Unis par le biais de l’OTAN a tort et se trompe » a précisé son représentant à la Knesset, le parlement israélien.
En Italie, l’agence de presse altermondialiste Pressenza ne dit rien d’autre : « Ce dont nous sommes témoins est la conséquence de 30 ans d’agression américaine contre la Russie avec le soutien de l’Europe. »
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En France, Éric Zemmour, a estimé Vladimir Poutine «coupable » du déclenchement du conflit, mais «pas le seul responsable». « Les responsables c’est l’OTAN qui n’a cessé de s’étendre, a-t-il dit, les Français, les Allemands, les Américains, qui n’ont pas fait respecter les accords de Minsk et qui n’ont cessé d’étendre l’OTAN pour qu’elle soit autour de la Russie comme une sorte d’encerclement. »
Nikola Mirkovic, auteur de l’Amérique Empire, ouvrage dénonçant « l’impérialisme américain » a tenu à peu près les mêmes propos au politologue anti-islamiste Alexandre Del Valle : « Les Etats-Unis ont fait monter les tensions avec la Russie… et ont tenté d’utiliser l’Ukraine comme un coin entre la Russie et l’Europe… en Ukraine, l’ingérence des Etats-Unis et d’autres pays européens a été un grand facteur de déstabilisation. » Le même Alexandre del Valle a développé la thèse du « piège tendu par les Etats-Unis qui ont agité le chiffon rouge d’une Ukraine dans l’OTAN pour pousser Poutine à intervenir » dans un long entretien au site suisse Les Observateurs.
Aux États-Unis même, la thèse de la responsabilité occidentale a été mise en avant par John Mearsheimer, professeur à l’université de Chicago et tenant de l’école « réaliste » en politique étrangère, dans une interview à l’hebdomadaire de la gauche socio-libérale américaine The New Yorker : « Je pense que tout a commencé au sommet de l’OTAN de Bucarest en 2008, avec l’annonce que la Géorgie et l’Ukraine deviendraient membres de l’OTAN. Les Russes ont indiqué à cette époque que cela constituerait pour eux une menace existentielle et qu’ils s’y opposeraient… Néanmoins les occidentaux ont continué de transformer l’Ukraine en bastion occidental à la frontière russe… L’expansion de l’OTAN, et l’expansion de l’Union européenne, sont au coeur de cette stratégie, tout comme la volonté de faire de l’Ukraine une démocratie libérale pro-américaine, ce qui du point de vue russe est une menace existentielle. »
La Russie, responsable et coupable
Nul doute que si la Russie était parvenue à renverser le régime de Kiev en quelques jours, comme elle l’escomptait, ces mêmes analystes auraient loué la stratégie et l’audace du maître du Kremlin. Le « piège américain » n’est invoqué que pour masquer la monumentale erreur de Vladimir Poutine qui a surestimé les capacités de son armée, et sous-estimé celles de son adversaire.
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Dans ce conflit, choisi, et provoqué par Moscou, il n’y a pas eu de « piège américain », pas plus qu’il n’y a eu de « responsabilité de l’OTAN ». D’ailleurs pour justifier son intervention contre l’Ukraine, la Russie n’a pas parlé de l’OTAN. Elle a parlé du besoin de « démilitariser » et « dénazifier » l’Ukraine par une « opération militaire spéciale ». En choisissant un tel motif Poutine a révélé la réalité de sa motivation. Toutes ces années passées l’OTAN n’a été qu’un prétexte utilisé par Vladimir Poutine pour préserver à la Russie un droit de regard sur ses voisins proches, « droit de regard » auquel elle n’a justement pas droit… Pas plus qu’aucun autre pays indépendant n’a de « droit de regard » sur la politique intérieure ou étrangère d’un autre pays indépendant, fût-il son voisin.
Voici donc les mythes russes sur les agressions de l’OTAN démasqués.
Premier mythe, l’encerclement. La Russie prétend que les puissances occidentales cherchent à « encercler » son territoire et que les bases de l’OTAN tout au long de sa frontière ouest n’ont d’autre objectif que de permettre cet encerclement. Il suffit de regarder une carte pour réaliser que cet argument ne tient pas la route. La Russie est le plus vaste pays du monde. Elle couvre a elle seule 11% de la surface terrestre de la planète. Elle est deux fois plus vaste que les Etats-Unis continentaux. Sa superficie est trente fois supérieure à celle de la France et elle compte plus de vingt mille kilomètres de frontières. Elle partage ses frontières terrestres avec quatorze pays, dont seulement cinq sont aujourd’hui membres de l’OTAN. Ce qui représente mille deux cents kilomètres de frontières communes avec l’OTAN. Soit un vingtième de ses frontières totales. Les trois pays ayant les plus longues frontières avec la Russie sont le Kazakhstan, la Mongolie et la Chine.
Second mythe, l’OTAN est une puissance hostile vouée à vassaliser la Russie. L’OTAN est une alliance défensive fondée en 1949 pour contenir l’expansionnisme soviétique. Cette alliance a vu son mandat prolongé au-delà de la guerre froide, précisément pour protéger les ex-républiques soviétiques nouvellement indépendantes d’un quelconque revirement politique à Moscou. L’OTAN ne s’est pas montrée hostile envers la Russie mais l’a, au contraire, incluse dans des actions communes – au Kosovo, en Afghanistan et dans la Corne de l’Afrique, sous mandat de l’Onu – et a cherché à l’intégrer dans un nouvel ensemble eurasiatique et transatlantique allant de San Francisco à Vladivostok. Tentatives d’ouvertures rejetées par la Russie, notamment à partir des années 2000 et l’arrivée à la présidence de Vladimir Poutine.
Troisième mythe, l’OTAN serait revenue sur sa promesse de ne pas s’étendre à l’Est. Cette promesse est un vrai mythe. Elle n’existe pas et n’a jamais été faite à la Russie. Elle n’apparait dans aucun texte ou traité ! Les partisans de cette thèse font référence à des discussions ayant eu lieu du temps de l’Union soviétique, entre le président Gorbatchev et le secrétaire d’Etat américain de l’époque James Baker. Ces discussions portaient sur la réunification allemande et remontent au printemps 1991, alors que l’Union soviétique existait encore et qu’un certain nombre de pays d’Europe de l’Est lui étaient liés dans le cadre du Pacte de Varsovie. Tout empiétement sur cet ensemble aurait été une agression. Mais une fois l’Union soviétique dissoute, le pacte de Varsovie également dissout et ses ex-membres devenus des pays indépendants ces derniers avaient toute liberté et légitimité de rechercher des alliances internationales y compris celle de l’OTAN. Ce qui fut le cas.
Dans ce contexte, loin de provoquer la Russie, l’OTAN a attendu près de dix ans pour laisser rentrer ces pays. Le premier « round » d’intégration d’anciens pays de l’Est est intervenu en 1999, au sommet de Washington, avec l’intégration de la Pologne, de la Hongrie et de la République Tchèque. Cinq ans plus tard, en 2004, au sommet d’Istanbul, sept nouveaux pays européens furent accueillis au sein de l’Alliance atlantique (Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Roumanie, Slovaquie et Slovénie ). Certains pays ont alors pris soin de faire approuver cette entrée par référendum auprès de leur population.
Quatrième mythe : L’OTAN a cherché à isoler la Russie et à la marginaliser sur la scène internationale. C’est faux. Dès 1991 l’OTAN a ouvert un « partenariat pour la paix » avec la Russie. En 1997 la Russie et l’OTAN ont signé un Acte fondateur pour des relations mutuelles, pour la coopération et pour la sécurité, établissant un Conseil Permanent OTAN-Russie, et initiant une coopération dans le domaine de la lutte anti-terroriste et contre le trafic de drogue. Cette coopération s’est prolongée au-delà de 2008 en dépit de l’invasion de la Géorgie par la Russie. Cette coopération a été suspendue à partir de 2014 suite à l’annexion de la Crimée par la Russie.
Cinquième mythe : L’OTAN a commencé ses actes d’agression contre la Russie lors du sommet de Bucarest en 2008. La réalité est exactement inverse. Lors de ce sommet, qui s’est tenu au mois d’avril, l’OTAN a repoussé les processus d’adhésion de la Géorgie et de l’Ukraine, préférant évoquer une « vocation » à intégrer l’alliance sans toutefois mettre une date sur cette possible entrée. Cette décision fut prise au nom de l’apaisement. Justement pour ne pas froisser Moscou et donner l’impression d’une quelconque agressivité de l’Alliance. En langage diplomatique une promesse d’intégration, non accompagnée d’une date butoir, c’est un report sine die. En 2008, l’OTAN n’a pas provoqué la Russie de Vladimir Poutine. L’OTAN a au contraire plié devant Poutine. Car en tant que pays indépendants, l’Ukraine et la Géorgie auraient du avoir toute liberté de déposer leur candidature si tel était leur souhait.
Poutine a d’ailleurs interprété ce report comme un aveu de faiblesse. Quelques mois plus tard, en août 2008, il n’hésitait pas à envahir la Géorgie pour prendre le contrôle d’une partie de son territoire, l’Ossétie du Sud. Cette occupation du territoire géorgien par la Russie est parfaitement illégale mais elle dure toujours et prive la Géorgie d’une véritable indépendance ! C’est exactement la même tactique que celle employée en Ukraine, en Moldavie et ailleurs : soutenir des éléments russophones pour justifier une présence militaire et garder dans le giron russe une ancienne république soviétique officiellement indépendante depuis trente ans…
Au regard de l’évolution de la guerre russo-ukrainienne, il apparaît de plus en plus clairement que l’OTAN ne fut qu’un prétexte et que le véritable objectif de Vladimir Poutine est la reconstitution d’un empire Russe, dont il considère que l’Ukraine fait partie. Au même titre d’ailleurs que les pays baltes et d’autres pays d’Europe de l’Est… Ce qui laisse augurer d’autres engagements militaires !
Ces pays l’ont bien compris et c’est pour se prémunir contre toute agression russe que, depuis le début du conflit, ils se sont tournés vers les Etats-Unis pour leur protection, leur armement, leur entrainement militaire et même leur approvisionnement énergétique.
Pour commencer, l’Allemagne a passé commande de trente-cinq avions furtifs F-35, construits par la firme Lockheed Martin aux Etats-Unis. Une commande évaluée à 3,5 milliards de dollars. Berlin prévoit d’assortir cette commande de l’achat de quinze appareils euro-fighters construits par une consortium européen avec Airbus en son sein. Olaf Scholz, le chancelier allemand, a également assuré que son pays allait investir plus de cent milliards d’euros et consacrer plus de 2% de son budget à la défense. C’est ce que demandaient les Américains depuis quinze ans, sans être parvenus à l’obtenir (excepté Donald Trump qui avait menacé de quitter l’OTAN si les partenaires européens, à commencer par les Allemands, ne payaient pas « leur part » du budget de l’alliance).
La Finlande et la Suisse, deux pays neutres et non-membres de l’OTAN, ont également passé commande d’avions F-35. Or cet appareil a l’avantage d’offrir une interopérabilité avec les forces de l’OTAN, ce qui souligne de la part de ces pays, notamment la Finlande, une volonté d’intégrer l’alliance atlantique…
De son côté, la Pologne a passé commande de 250 chars M1A2 Abrams aux Etats-Unis. Commande approuvée sans tarder par le Pentagone.
L’Allemagne réarme
Le président américain Joe Biden a annoncé une hausse de 4% du budget militaire américain pour le porter à 812 milliards de dollars, soit 40% de toutes les dépenses militaires dans le monde.
Les Allemands affirment également vouloir se désengager de leur dépendance envers le gaz russe. Le projet de gazoduc sous-marin entre la Russie et l’Allemagne, Nord-Stream 2, a été abandonné. Les Allemands devront trouver du gaz ailleurs. Tout comme la Pologne et la Bulgarie, qui se sont vu supprimer tout approvisionnement russe. Ces pays ont désormais le choix entre plusieurs alternatives : le Qatar, l’Algérie, le Turkménistan et… les États-Unis !
Les Etats-Unis sont en effet un nouvel acteur majeur sur le marché du gaz, avec leur gaz naturel liquéfié (GNL), et depuis le début du conflit les Européens sont devenus les premiers importateurs de ce gaz. Les sanctions contre la Russie, qui resteront inévitablement en place à l’issue du conflit, garantissent aux Etats-Unis un marché captif pour des années.
Les Etats-Unis possèdent les cinquièmes plus importantes réserves de gaz naturel au monde (après la Russie, l’Iran, le Qatar et le Turkménistan), et ils sont actuellement le premier producteur mondial de gaz avec près de mille milliards de mètres cubes par an, loin devant la Russie (650 milliards de m3 environ) et l’Iran (250 milliards de m3).
Une partie de cette production est exportée en dépit du fait que les Etats-Unis continuent d’importer d’énormes quantités de gaz et de pétrole pour leur propre consommation. D’ailleurs, à la veille de la guerre en Ukraine, ils importaient près d’un million de barils de pétrole brut de Russie tous les jours.
Mais Vladimir Poutine a été victime de son propre hubris. Involontairement, l’ancien apparatchik du KGB a rendu un service inestimable à Joe Biden, dont la présidence est par ailleurs désastreuse, et aux Etats-Unis. Il a enrichi la machine de guerre américaine, il a renforcé la cohésion européenne autour des Etats-Unis et il a fait de l’Amérique plus que jamais la « nation essentielle ».
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